Animisme
Lâanimisme (du latin animus, originairement « esprit », puis « Ăąme ») est la croyance en un esprit, une force vitale, qui anime les ĂȘtres vivants, les objets mais aussi les Ă©lĂ©ments naturels, comme les pierres ou le vent, ainsi qu'en des gĂ©nies protecteurs[1].
Ces Ăąmes ou ces esprits mystiques, manifestations de dĂ©funts ou de divinitĂ©s animales, peuvent agir sur le monde tangible, de maniĂšre bĂ©nĂ©fique ou non. Il convient donc de leur vouer un culte[2]. Ainsi dĂ©fini, comme « croyance Ă l'Ăąme et Ă une vie future et, corrĂ©lativement, croyance Ă des divinitĂ©s directrices et des esprits subordonnĂ©s »[3], l'animisme peut caractĂ©riser des sociĂ©tĂ©s extrĂȘmement diverses, situĂ©es sur tous les continents.
L'animisme a aussi été défini, notamment par Irving Hallowell et Phillipe Descola comme une ontologie. Les chercheurs liés au courant du « nouvel animisme » remettent en cause l'approche moderniste fondée sur une dissociation dualiste entre nature et culture, en faveur d'un lien avec les esprits du monde naturel proche des conceptions écologistes contemporaines[4].
Origine et usage du terme
MĂ©decine du XVIIIe siĂšcle
Le mĂ©decin allemand Georg Stahl est Ă l'origine (Theoria medica vera, 1707)[5] d'une thĂ©orie mĂ©dicale appelĂ©e « animisme », opposĂ©e au mĂ©canisme et au vitalisme ; pour rĂ©sumer Ă l'extrĂȘme, il sâagissait dâexpliquer que l'Ăąme avait une influence directe sur la santĂ©. Une seule et mĂȘme Ăąme est Ă la fois principe de vie et principe de pensĂ©e.
L'animisme (Stahl) s'oppose alors au mécanisme (Démocrite, Descartes, Cabanis, Le Dantec) et se différencie du vitalisme (Platon, Paracelse, Paul-Joseph Barthez, Félix Ravaisson, Bergson, H. Driesch). L'animisme ne se contente pas de subordonner la matiÚre à la vie, mais, qui plus est, il soumet la vie à la pensée. Les philosophes d'inspirations vitalistes considÚrent au contraire l'activité intellectuelle comme fondamentalement subordonnée à la « vie ».
Edward Tylor, le pionnier
Edward Burnett Tylor (1832-1917) est le premier sociologue Ă avoir Ă©tabli une thĂ©orie sur lâanimisme, dans Primitive Culture (1871). Il fonde son analyse sur le sentiment, pour lui gĂ©nĂ©ral dans les sociĂ©tĂ©s quâil qualifiait alors de « primitives », que lâĂąme Ă©tait distincte du corps car, lors des rĂȘves, le dormeur semble atteindre un monde diffĂ©rent de celui oĂč se trouve son corps.
Câest cette expĂ©rience qui aurait fondĂ© la notion dâ« Ăąme ».
Par analogie et extension, des Ăąmes auraient ainsi Ă©tĂ© prĂȘtĂ©es (attribuĂ©es) Ă lâensemble des Ă©lĂ©ments de la nature[6]. Pour Tylor, lâanimisme reprĂ©sentait le premier stade de religiositĂ© humaine, celui des sociĂ©tĂ©s les plus primitives, et il devait ĂȘtre suivi par le fĂ©tichisme, puis le polythĂ©isme et enfin, par le monothĂ©isme, qui caractĂ©risait la religion de sa propre sociĂ©tĂ©[7].
La thĂ©orie de Tylor sur lâanimisme eut un Ă©norme succĂšs. Le terme fut ensuite beaucoup repris, discutĂ© et critiquĂ©.
Les anthropologues ont notamment reprochĂ© Ă Tylor sa perspective Ă©volutionniste (comme si toutes les sociĂ©tĂ©s devaient Ă©voluer de la mĂȘme maniĂšre vers un mĂȘme but), sa perspective psychologique (il est difficile dâexpliquer une notion telle que lâĂąme par une simple rĂ©fĂ©rence Ă une expĂ©rience de dormeur â ou alors, cette notion devrait prendre un sens identique dans toutes les sociĂ©tĂ©s, ce qui nâest pas le cas), ainsi que le caractĂšre imprĂ©cis du terme animisme (tous les Ă©lĂ©ments de la nature ne sont pas partout perçus comme ayant une Ăąme, attribuer un esprit ou une Ăąme Ă un Ă©lĂ©ment nâest pas la mĂȘme chose, etc.).
Ăvolution vernaculaire du terme
Ă moins d'ĂȘtre redĂ©fini dans le champ de l'anthropologie, par exemple Ă la maniĂšre de Philippe Descola, ou limitĂ© Ă un processus psychique, par exemple dans la psychanalyse ou dans la conception piagĂ©tienne, l'objet « animisme » ne correspond Ă aucune rĂ©alitĂ© religieuse se rĂ©clamant comme telle.
En dehors de quelques anthropologues qui reprennent ce terme dans leur analyse en lui donnant une signification prĂ©cise (tel Philippe Descola), le terme dâanimisme nâest plus employĂ© que de maniĂšre trĂšs vague, pour finalement dĂ©signer toutes les religions qui ne sont pas universalistes (câest-Ă -dire les religions de la conversion, telles le christianisme, lâislam) ou qui ne sont pas des religions de grands pays-civilisations (les religions chinoises, indiennes, etc.). Il est alors pris comme synonyme de « religion traditionnelle » (un terme qui ne signifie rien, en soi), ou dâautres termes Ă lâusage tout aussi vague, tels que le chamanisme. En rĂ©alitĂ©, la difficultĂ© de dĂ©finir clairement ces termes et de circonscrire leurs pĂ©rimĂštres respectifs procĂšde essentiellement de leur Ă©loignement des modes de pensĂ©es des sociĂ©tĂ©s modernes, issus d'une reprĂ©sentation du monde radicalement diffĂ©rente, que Philippe Descola qualifie de naturaliste.
Introduit Ă la fin du XIXe siĂšcle par l'anthropologue britannique Edward Burnett Tylor pour dĂ©signer les religions des sociĂ©tĂ©s qu'il nomme « primitives » (Primitive Culture, 1871), le concept a connu un indĂ©niable succĂšs jusque dans les premiĂšres dĂ©cennies du XXe siĂšcle, devenant « l'un des termes de rĂ©fĂ©rence majeurs de l'histoire de l'ethnologie religieuse »[8]. Cette ambitieuse tentative d'explication globale des croyances religieuses â une « doctrine de l'Ăąme » â a perdu une large part de sa validitĂ© aujourd'hui et les travaux contemporains s'en Ă©cartent, notamment ceux de l'anthropologue français Philippe Descola qui ne voit pas dans l'animisme une religion, mais plutĂŽt « une maniĂšre de concevoir le monde, et de l'organiser »[9].
Le terme lui-mĂȘme, souvent entachĂ© de connotations colonialistes[10], du moins perçues comme pĂ©joratives[11], est employĂ© avec circonspection, parfois remplacĂ© par des expressions telles que « croyances populaires », « croyances indigĂšnes », « religions traditionnelles ». Par dĂ©faut ou par commoditĂ©, il est dĂ©sormais utilisĂ© dans le langage courant ou dans les statistiques, comme un mot fourre-tout dĂ©signant gĂ©nĂ©ralement l'ensemble de ce qui, ne relevant pas des grandes religions thĂ©istes s'appuyant sur des textes sacrĂ©s (christianisme, islam, bouddhismeâŠ), est transmis par des traditions orales[12].
Philippe Descola
Parmi les anthropologues contemporains, Philippe Descola, dans une vision globalisante voire universaliste, a redéfini l'animisme dans un ouvrage remarqué, Par-delà nature et culture (2005)[13]. Il se place pour cela dans la situation de l'Homme nu s'identifiant au monde suivant deux perspectives complémentaires : celle de son « intériorité » et celle de sa « physicalité » vis-à -vis des autres, humains et non humains.
L'animisme correspondrait Ă la perception d'une identitĂ© commune des intĂ©rioritĂ©s des existants, humains et non humains, et Ă celle d'une identitĂ© distincte entre leurs physicalitĂ©s. L'anthropologue dĂ©crit les trois autres « ontologies » qui suivent la perception d'une fusion ou d'une rupture entre intĂ©rioritĂ© et physicalitĂ©, et qu'il nomme totĂ©misme, analogisme et naturalisme ; les quatre modes (identitĂ©/rupture) * (intĂ©rioritĂ©/physicalitĂ©) rĂ©unis auraient une vocation universelle, tout en revĂȘtant diverses formes de cohabitation ou de dominance suivant les cultures (qu'elles soient archaĂŻques, traditionnelles ou modernes).
Ontologie
L'animisme repose sur cette affirmation : ressemblance des intĂ©rioritĂ©s et diffĂ©rence des physicalitĂ©s entre humains et non-humains (animaux, vĂ©gĂ©taux, esprits, objets). Les animaux, les plantes ont la mĂȘme Ăąme, intĂ©rioritĂ© (Ă©motions, conscience, dĂ©sirs, mĂ©moire, aptitude Ă communiquerâŠ) que les humains, ils ne s'en distinguent que par leurs corps et donc aussi par leurs mĆurs, l'Ă©thogramme, le mode de comportement spĂ©cialisĂ© (p. 187, 190). Il y a, comme dans le totĂ©misme, classification par prototype, c'est-Ă -dire Ă partir du modĂšle le plus reprĂ©sentatif, qui est, dans l'animisme, l'humain (p. 333). « De mĂȘme que l'animisme est anthropogĂ©nique parce qu'il emprunte aux humains le minimum indispensable pour que des non-humains puissent ĂȘtre traitĂ©s comme des humains, le totĂ©misme est cosmogĂ©nique car il fait procĂ©der de groupes d'attributs cosmiques prĂ©existants Ă la nature et Ă la culture tout ce qui est nĂ©cessaire pour que l'on ne puisse jamais dĂ©mĂȘler les parts respectives de ces deux hypostases dans la vie des collectifs » (p. 368-369).
GĂ©ographie
L'animisme se rencontre « en Amazonie, dans l'aire arctique et circumpolaire ou dans les forĂȘts de l'Asie du Sud-Est » (p. 189), chez les PygmĂ©es, les Dogon de Tireli au Mali, en Nouvelle-CalĂ©donie.
Notions
MĂ©tamorphose : les ĂȘtres ont la capacitĂ© de mĂ©tamorphose, l'animal peut devenir homme et inversement (p. 192). Un chamane huaorani d'Amazonie peut devenir jaguar (p. 344). Perspectivisme : comme l'Ă©crit Eduardo Viveiros de Castro, « les animaux (prĂ©dateurs) et les esprits voient les humains comme des animaux (des proies), tandis que les animaux (le gibier) voient les humains comme des esprits ou comme des animaux (prĂ©dateurs) ».
Religion
L'animisme ne consiste pas en croyances, mais en l'expĂ©rience qu'il y a des esprits avec lesquels on peut entrer en communication, par des rĂȘves, par la paroleâŠ
Sociabilité
« Relations permanentes sur le registre de l'amitiĂ©, de l'alliance de mariage, de dĂ©fĂ©rence vis-Ă -vis des anciens » (p. 346). Aussi, « sur tout son territoire on ne trouvera ni Ă©leveurs exclusifs, ni castes d'artisans spĂ©cialisĂ©s, ni culte des ancĂȘtres, ni lignages fonctionnant comme des personnes morales, ni dĂ©miurges crĂ©ateurs, ni goĂ»t pour les patrimoines matĂ©riels, ni obsession de l'hĂ©rĂ©ditĂ©, ni flĂšche du temps, ni filiations dĂ©mesurĂ©e, ni assemblĂ©es dĂ©libĂ©ratives » (p. 538).
ProblĂšmes
Comment rendre compte de la forme non humaine des non-humains ? Solution : la métamorphose (p. 416).
Des religions animistes ?
LâĂ©vocation dâune « religion animiste » est communĂ©ment entendue :
- en gĂ©nĂ©ral pour dĂ©signer le culte qui serait vouĂ© aux pierres, au vent, au sable, Ă lâeau, aux arbres, au feu⊠par des peuples divers ;
- en particulier pour désigner les religions noires-africaines originelles.
Une fois de plus, ce terme relĂšve du langage courant, il nâa pas de portĂ©e anthropologique. Il pĂȘche Ă trois Ă©gards : dâabord parce quâon peut mettre en doute que, pour leurs adeptes, ces Ă©lĂ©ments soient eux-mĂȘmes douĂ©s dâune Ăąme ; ensuite parce que les peuples concernĂ©s nâisolent pas la « religion » des autres aspects de leurs traditions[14] ; enfin parce quâil recouvre dâinnombrables cultures, trĂšs diffĂ©rentes les unes des autres.
Esprits, religions et animisme
Dans beaucoup de religions sinon toutes, les Ă©lĂ©ments naturels occupent une place importante. On peut citer la vĂ©nĂ©ration de fleuves, tel le Gange, dans lâhindouisme, ou la crue du Nil, divinisĂ©e sous le nom dâHĂąpy dans lâĂgypte ancienne ; celle du feu auquel pouvait ĂȘtre assimilĂ© Vesta Ă Rome ; celle du chĂȘne et du gui, sacrĂ©s chez les Celtes.
Les monothĂ©ismes abrahamiques sâappuient eux-mĂȘmes sur des Ă©lĂ©ments naturels, objets de cultes antĂ©rieurs : la fĂȘte de NoĂ«l est celle du solstice dâhiver (septentrional), celle de la Saint-Jean du solstice dâĂ©tĂ©, la fĂȘte de Pessa'h ou de PĂąques est attachĂ©e au calendrier lunaire, qui rythme Ă©galement la liturgie musulmane, dont le ramadan, etc.
Dans les religions amĂ©rindiennes, les divinitĂ©s sont associĂ©es Ă des Ă©lĂ©ments naturels, avec une grande importance accordĂ©e au soleil, Ă la lune, Ă la pluie⊠La MĂ©so-AmĂ©rique ne comptait pas moins de 4 dieux du maĂŻs : un pour le maĂŻs blanc, un pour le jaune, un pour le rouge, un pour le noir. Dans lâĂšre inca, on pratiquait une offrande Ă Pachamama, la Terre mĂšre.
Pour autant, aucune de ces religions ne rend un culte « aux pierres ou au vent ». Tous les peuples, depuis la prĂ©histoire, savent dĂ©pendre pour leur survie dâĂ©lĂ©ments naturels : la terre, le soleil, lâeau⊠Mais ils ne les adorent pas eux-mĂȘmes, ils attribuent leur puissance Ă des forces surnaturelles qui les commanderaient : ils les ont divinisĂ©s ou vĂ©nĂšrent les esprits ou les dieux qui les dirigent. Sâil y a des Ă©lĂ©ments dâanimisme dans la plupart des religions, il est jusquâĂ preuve du contraire difficile dâexhiber des cas de religions essentiellement fondĂ©es sur le culte des Ă©lĂ©ments naturels eux-mĂȘmes. Dans lâexemple des Celtes, la sacralisation du chĂȘne et du gui nâimplique pas quâil leur ait Ă©tĂ© directement rendu un culte : aucune source sĂ©rieuse ne le mentionne. Ce nâest pas parce que lâhostie est sacrĂ©e que le pain azyme est lâobjet dâun culte : Ă travers elle, câest le Christ qui est vĂ©nĂ©rĂ©âŠ
Certains lieux prĂ©sentant des caractĂšres physiques impressionnants ont marquĂ© tous les peuples qui les ont traversĂ©s. On en trouve un exemple frappant dans le nid dâaigle dâErice (Sicile) : Ălymes, PhĂ©niciens, Grecs, Romains, Arabes, chrĂ©tiens⊠en ont tous fait un lieu de culte. Aucun dâeux ne vĂ©nĂ©rait le rocher dâErice : ils Ă©taient convaincus que, perchĂ© au milieu du ciel, ce lieu Ă©tait Ă©lu, quâil offrait une voie dâaccĂšs privilĂ©giĂ©e Ă leur(s) divinitĂ©(s).
LâinterprĂ©tation « animiste » de religions « traditionnelles » comme celles de lâAfrique noire, repose sur une apprĂ©hension simpliste de cultes jugĂ©s « primitifs » et sur la conviction implicite de la supĂ©rioritĂ© des religions et des cultures des nouveaux venus. Lâappellation dâanimisme nâen reste pas moins et malheureusement gĂ©nĂ©ralisĂ©e.
Ă Mayotte par exemple, une petite Ăźle française situĂ©e dans le canal du Mozambique entre l'Afrique et Madagascar, religion et animisme cohabitent : en effet, Mayotte conserve une originalitĂ© culturelle liĂ©e aux diverses influences qui ont forgĂ© son identitĂ© qu'elles soient malgaches, africaines, europĂ©ennes ou arabes. Bien que 90 % de la population soit musulmane, se pratique sur lâĂźle des cultes animistes : Mayotte abrite des habitants que les statistiques ne prennent pas en compte, ce sont les esprits. Des esprits invisibles, puissants et qui, selon les croyants, peuvent possĂ©der le corps de l'homme. LâĂźle regorge de lieux sacrĂ©s et magiques, oĂč les gens viennent faire des offrandes, procĂšdent Ă des rituels d'exorcismes pour chasser l'esprit du corps possĂ©dĂ©. Parmi ces lieux de culte, on peut citer la pointe Mahabou, l'endroit oĂč repose le sultan d'origine malgache, Adriansouly, qui vendit Mayotte Ă la France. Cet endroit est considĂ©rĂ© comme Ă©tant un lieu de priĂšre pour les animistes, lieu oĂč l'on peut invoquer tous les esprits. On retrouve aussi la cascade de Soulou. La seule cascade de lâĂźle oĂč les habitants se rendent pour des bains rituels censĂ©s guĂ©rir le malade possĂ©dĂ©. Ce culte animiste est souvent remis en cause par la religion prĂ©dominante, l'islam. Mais la pratique de la religion Ă©tant modĂ©rĂ©e, animisme et religion cohabitent.
Animisme ou vitalismeâ?
Les voyageurs et les colons europĂ©ens, observant des offrandes, des sacrifices et des rites devant des Ă©lĂ©ments naturels tels que le fleuve Saloum, la pierre dâAbeokuta, etc. en dĂ©duisaient que dans leur « pensĂ©e primitive » les Noir-Africains leur attribuaient une Ăąme, dâoĂč le terme dâanimisme. La rĂ©alitĂ© est plutĂŽt inverse : le culte est rendu Ă un esprit localisĂ© Ă cet emplacement, parfois parce quâil y est mort ou y est enterrĂ©, et oĂč un autel lui est en gĂ©nĂ©ral dressĂ©. Ces esprits sont ceux dâancĂȘtres anonymes, dâancĂȘtres ayant jouĂ© un rĂŽle historique, parfois dâancĂȘtres divinisĂ©s, ils peuvent ĂȘtre recueillis ou hĂ©bergĂ©s en des animaux de la brousse, ĂȘtre dâune autre nature, comme les djinnĂ©s (inspirĂ©s des djinns arabes)⊠Il est significatif que plusieurs langues dâAfrique de lâOuest utilisent le terme dĂ©signant un esprit ancestral pour dĂ©signer Ă©galement un serpent (sĂ©rĂšre o fangool), un animal sauvage (wolof rab), un autel (mandinka jĂĄlaĆ, maninka boli, diola bĂ«cin)[15], etc.
On trouve un exemple du vĂ©ritable sens de lâ« animisme » dans la pratique encore trĂšs vivante en Afrique noire, consistant Ă rĂ©server les premiĂšres gouttes dâune boisson (surtout alcoolisĂ©e) ou les premiĂšres parcelles de nourriture Ă la terre : ce nâest pas Ă la nature que cette offrande est rendue, mais aux ancĂȘtres, dont le sĂ©jour est souterrain dans la vision africaine. Le mĂȘme rite est largement pratiquĂ© dans les rĂ©gions marquĂ©es par une forte prĂ©sence dâafrodescendants, comme la cĂŽte caraĂŻbe de Colombie. Au Laos, on trouve la mĂȘme pratique d'offrir Ă la nature, la premiĂšre gorgĂ©e, dans le bouddhisme Theravada.
La persistance du souffle vital (contrairement au corps et Ă la force vitale, Ă©phĂ©mĂšres) de lâancĂȘtre et son retour dans un nouveau-nĂ© (rĂ©incarnation partielle) sont centraux dans cette vision du monde qui englobe religion, mythe, magie, pouvoir, mĂ©decine⊠Elle a conduit certains auteurs, tel Louis-Vincent Thomas[16], Ă dĂ©finir ces religions comme vitalistes plutĂŽt que comme animistes : elles sont avant tout des religions de la vie, dans lesquelles la force vitale occupe la place centrale, et la sexualitĂ© comme la fĂ©conditĂ© y ont une portĂ©e religieuse. Le dĂ©cĂšs dâenfants en bas Ăąge est attribuĂ© au renoncement de lâancĂȘtre, déçu par la vie terrestre quâil retrouve et dĂ©sireux de repartir au village des morts[17]. Le sens de lâanthropophagie[18] (symbolique, contrairement au cannibalisme) est lâappropriation de la force vitale (mais non du souffle vital, qui ne peut l'ĂȘtre) de lâautre : lâesprit ou le sorcier anthropophage prend possession de sa victime pour absorber sa force vitale et augmenter la sienne[19].
Le terme de vitalisme, qui vise Ă restituer lâessence des religions africaines, ne fait pourtant pas lâunanimitĂ©, comme sont contestĂ©s tous ceux par lesquels on tente de remplacer celui dâanimisme, soit parce quâils nâen rendent que partiellement compte (culte des ancĂȘtresâŠ), soit parce quâils ne sont pas signifiants (religions traditionnellesâŠ). Quant Ă la tradition nĂ©gro-africaine, elle nâanalyse pas la religion isolĂ©ment de la magie, du pouvoir, de la mĂ©decine⊠et nâĂ©prouve donc pas le besoin de la nommer en tant que telle.
Une autre approximation consiste Ă opposer un animisme africain polythĂ©iste, puisque vĂ©nĂ©rant dâinnombrables esprits, aux religions monothĂ©istes. En rĂ©alitĂ©, la plupart des religions africaines, sinon toutes, sont fondĂ©es sur la croyance en un Dieu suprĂȘme ou unique : Roog chez les SĂ©rĂšres, Amma chez les Dogons, Olodumare chez les Yoruba, etc. occupent cette position. Si le culte est rendu aux esprits, ancĂȘtres ou orishas, et non au maĂźtre de lâunivers, câest que celui-ci est inaccessible et quâil convient dâamadouer les puissances « intermĂ©diaires » de lâau-delĂ pour intercĂ©der auprĂšs de lui[20]. Cette situation nâest pas si diffĂ©rente de la dĂ©votion aux saints du catholicisme et a grandement facilitĂ© la syncrĂ©tisation entre saints et orishas ou saints et inquices dans les religions afro-amĂ©ricaines, comme le candomblĂ©.
Animisme, totémisme, chamanisme, shintoïsme
Il y a plus quâune parentĂ© entre lâanimisme et le totĂ©misme, le chamanisme ou le shintoĂŻsme : une interpĂ©nĂ©tration, tous comportant une part dâ« animisme ».
Le totĂ©misme est prĂ©sent dans beaucoup de sociĂ©tĂ©s animistes ou chamaniques, dont il est un autre aspect de la vision du monde et de la culture. En Afrique de lâOuest, chaque famille clanique a son animal totem, par exemple le lapin pour les Senn wolofs ou sĂ©rĂšres ; cet animal est considĂ©rĂ© comme un parent et ne peut ĂȘtre consommĂ© par les membres du clan. La mĂȘme interdiction existe en Australie ou en AmĂ©rique du Nord, oĂč Claude LĂ©vi-Strauss montre que le totĂ©misme repose sur une analogie entre un groupe humain et une espĂšce naturelle[21] : tel clan ou tel hameau sâapparente au raton laveur par son mode de vie. Cette parentĂ© existe parce que le totem est souvent assimilĂ© Ă un ancĂȘtre.
Lâanimisme africain et les chamanismes de SibĂ©rie et des AmĂ©riques ont en commun la mĂ©diation entre les ĂȘtres humains avec des forces spirituelles (esprits de la nature, Ăąmes des animaux sauvages, ancĂȘtresâŠ), gĂ©nĂ©ralement intercesseurs auprĂšs de la ou des divinitĂ©s. Dans les deux cas, des sacerdotes (chaman ou pajĂ© amĂ©rindiens, saltigui ou babalawo africainsâŠ) ont la connaissance Ă©sotĂ©rique leur permettant dâentrer en contact avec lâautre monde. Le sacerdote, Ă lâaide de paroles rituelles et de plantes, voyage pour recueillir la volontĂ© des esprits et leur soumettre les besoins humains : il recommandera les offrandes et rites qui lui permettront dâapporter la guĂ©rison, la pluie, la fĂ©condité⊠LâintermĂ©diation use dans certains cas du support de la transe qui peut ĂȘtre celle du sacerdote ou du disciple.
Lâanimisme africain et le shintoĂŻsme japonais, dâailleurs de lointaine origine chamanique, ont en commun le culte des ancĂȘtres, dont les pratiques rituelles et les offrandes peuvent ĂȘtre assez proches de celles pratiquĂ©es en Afrique ou dans les religions afro-amĂ©ricaines.
Autres religions animistes
Ce quâil est convenu dâappeler animisme est prĂ©sent dans dâautres civilisations. On peut citer de maniĂšre non exhaustive, avec souvent des caractĂšres relevant de lâanimisme et du chamanisme, les traditions :
- Des Samis (ou Lapons) en Scandinavie ;
- Des Maris de la région de Kazan (Russie) ;
- De diverses ethnies de la péninsule indochinoise (Cambodge, Lao Theung et Lao Soung du Laos, Myanmar) ;
- De certains peuples dâInsulinde (IndonĂ©sie, Brunei) ;
- Des minorités chinoises comme les Naxi (dongba), les Turco-mongols (tengrisme), ou au Tibet (bön) ;
- Des peuples aborigĂšnes dâAustralie (Mythologie aborigĂšne).
- Des ethnies amérindiennes et d'Amérique du Sud comme les Kali'nas[22].
L'animisme enfantin
Emile Durkheim
Dans Les formes élémentaires de la vie religieuse, paru en 1912, Emile Durkheim interprétait ainsi la pensée de Edward Tylor concernant l'animisme[23] :
« Pour Tylor, cette extension de l'animisme Ă©tait due Ă la mentalitĂ© particuliĂšre du primitif qui, comme un enfant, ne peut pas distinguer l'animĂ© de l'inanimĂ©. Puisque les premiers ĂȘtres dont l'enfant commence Ă avoir une idĂ©e sont les hommes, c'est-Ă -dire lui-mĂȘme et ceux qui l'entourent, c'est sur ce modĂšle de la nature humaine qu'il tend Ă tout penser. âŠMaintenant, le primitif pense comme un enfant. Par consĂ©quent, il est Ă©galement enclin Ă doter toutes les choses, mĂȘme inanimĂ©es, d'une nature analogue Ă la sienne. »
Jean Piaget
Dans les annĂ©es 1920, Jean Piaget[24] utilise le mot Ă propos de la psychologie du dĂ©veloppement chez l'enfant de 6 Ă 14 ans. « Animisme : tendance Ă concevoir les choses comme Ă©tant vivantes et douĂ©es d'intention ». Par exemple, l'enfant dit que la chaise contre laquelle il se cogne est « mĂ©chante », il croit que sa poupĂ©e est vivante. « Lâanimisme est une forme primitive de causalitĂ© dans laquelle la rĂ©alitĂ© tout entiĂšre tend Ă ĂȘtre conçue comme peuplĂ©e dâĂȘtres animĂ©s, dotĂ©s dâun vouloir-ĂȘtre et dâun vouloir-faire plus ou moins conscient. Ainsi les nuages bougent parce quâils veulent bouger, comme le font les animaux lorsquâils se dĂ©placent. Pour la mentalitĂ© animiste, la cause premiĂšre des phĂ©nomĂšnes est considĂ©rĂ©e comme interne aux ĂȘtres qui y sont impliquĂ©s. Lâanimisme est tout Ă la fois un biocentrisme et un psychocentrisme diffus, il tend Ă identifier chaque ĂȘtre extĂ©rieur Ă la notion spontanĂ©e que lâĂȘtre humain se fait de lui-mĂȘme, comme source dâaction sur la rĂ©alitĂ© extĂ©rieure[25] ».
Selon la thĂ©orie de Piaget, durant le « stade 1 », Ă 6-7 ans, l'enfant confond vie et activitĂ© : le Soleil est vivant, puisqu'il Ă©claire. Durant le « stade 2 », vers 7-8 ans, l'enfant, plus prĂ©cisĂ©ment, assimile vie et mouvement : la table n'est pas vivante car elle ne bouge pas, mais le Soleil, oui, car il bouge. Durant le « stade 3 », vers 9-10 ans, l'enfant tient la vie pour le mouvement propre : la mouche est vivante car elle se meut elle-mĂȘme, mais la bicyclette, non, car on la pousse. Enfin, durant le « stade 4 », vers 11-12 ans, l'enfant n'attribue la vie qu'aux plantes et aux animaux[26].
DÚs 1932, cette théorie est contestée, par exemple par Johnson et Josey qui déclarent n'observer rien de tel[27].
Animisme, écologie et spiritualité
Le code moral de l'animisme est basĂ© sur un sens sophistiquĂ© de la durabilitĂ©. Il s'agit de maintenir le statu quo environnemental et de se conformer aux souhaits de l'esprit de la terre, qui pourrait ĂȘtre mĂ©taphoriquement la terre elle-mĂȘme[28].
Graham Harvey, maĂźtre de confĂ©rences en Ă©tudes religieuses Ă l'Open University au Royaume-Uni et auteur du livre publiĂ© en 2005 Animism, Respecting the living world, a estimĂ© que la vision de l'animisme sur l'identitĂ© de la personne reprĂ©sentait un dĂ©fi radical aux perspectives dominantes de la modernitĂ©, car elle accorde « l'intelligence, la rationalitĂ©, la conscience, la volontĂ©, l'agence, l'intentionnalitĂ©, le langage et le dĂ©sir » aux non-humains. De mĂȘme, elle remet en question la conception de l'unicitĂ© humaine qui prĂ©vaut Ă la fois dans les religions abrahamiques et le rationalisme occidental[28].
Les animaux
L'animisme implique la croyance que « tous les ĂȘtres vivants ont une Ăąme » et donc une prĂ©occupation centrale de la pensĂ©e animiste concerne la maniĂšre dont les animaux peuvent ĂȘtre mangĂ©s ou utilisĂ©s d'une autre maniĂšre pour les besoins de subsistance des humains. Les actions des animaux non humains sont considĂ©rĂ©es comme « intentionnelles, planifiĂ©es et pourvues d'un but » et sont considĂ©rĂ©es comme des personnes parce qu'elles sont Ă la fois vivantes et communiquent avec les autres[28].
Dans les visions animistes du monde, les animaux non humains sont considérés comme participant à des systÚmes et des cérémonies de parenté avec les humains, tout en ayant leurs propres systÚmes et cérémonies de parenté. Harvey a cité un exemple de compréhension animiste du comportement animal qui s'est produit lors d'un powwow tenu par les Mi'kmaq de Conne River en 1996 ; un aigle a survolé la cérémonie, en tournant au-dessus du groupe de tambours central. Les participants assemblés ont crié kitpu (« aigle »), pour souhaiter la bienvenue à l'oiseau et exprimer leur plaisir devant sa beauté, et ils ont plus tard exprimé l'opinion que les actions de l'aigle reflétaient son approbation de l'événement et le retour des Mi'kmaq aux pratiques spirituelles traditionnelles[28].
Cette relation aux animaux entraĂźne une conception particuliĂšre de la chasse :
« La chasse n'est pas du tout pratiquée dans un esprit agressif, et n'est certainement pas un « sport de sang » ou motivé par des tendances sadomasochistes⊠[elle n'est pas non plus] une guerre contre les animaux, mais plutÎt une occupation presque sacrée⊠Le pouvoir rituel se manifeste dans le gibier qu'ils chassent, et généralement les chasseurs-cueilleurs considÚrent les animaux comme des égaux spirituels qui, dans un sens important, se laissent tuer si le chasseur est dans la bonne condition mentale et spirituelle[29]. »
Les éléments
Diverses cultures animistes considĂšrent Ă©galement les pierres comme des personnes. En discutant des travaux ethnographiques menĂ©s chez les OjibwĂ©s, Harvey a notĂ© que leur sociĂ©tĂ© considĂ©rait gĂ©nĂ©ralement les pierres comme inanimĂ©es, Ă deux exceptions prĂšs : les pierres des Bell Rocks et celles qui se trouvent sous les arbres frappĂ©s par la foudre, qui Ă©taient censĂ©es ĂȘtre devenues des Thunderers. Les OjibwĂ©s concevaient le temps comme un Ă©lĂ©ment de la personnalitĂ©, les tempĂȘtes Ă©tant conçues comme des personnes appelĂ©es Thunderers dont les sons transmettraient des communications et qui se livreraient Ă des conflits saisonniers pour les lacs et les forĂȘts, jetant des Ă©clairs sur les monstres des lacs. Le vent, de mĂȘme, peut ĂȘtre conçu comme une personne dans la pensĂ©e animiste[28].
L'importance du lieu est également un élément récurrent de l'animisme, certains lieux étant compris comme des personnes à part entiÚre[28].
De mĂȘme, la relation aux Ă©lĂ©ments comme des personnes entraĂźne des relations diffĂ©rentes entre ĂȘtres humains et matĂ©riaux :
La coupe et la sculpture du bois ou de la pierre entraĂźnent autant de pertes de vie que la coupe et la sculpture des os. Les os peuvent provenir d'ĂȘtres dont la matiĂšre (os, chair, sang, etc.) ressemble davantage Ă la nĂŽtre, mais la diffĂ©rence entre nous et les arbres ou les rochers ne diminue en rien le fait que les couper revient Ă les agresser. L'enlĂšvement de la vie devient inĂ©vitablement Ă©vident. La sculpture et les arts dĂ©coratifs fleurissent chez les Maoris, mais loin d'essayer d'Ă©viter une conscience de la violence commise, cette conscience est centrale et gĂ©nĂ©ratrice[29].
Les esprits
L'animisme peut également impliquer l'établissement de relations avec des entités spirituelles non corporelles[28]. Ceux-ci impliquent une relation avec des personnes autres-que-humaines sans que celles-ci ne relÚvent systématiquement d'une transcendance :
« Il est peut-ĂȘtre nĂ©cessaire de notifier avec force que dans la discussion qui suit, les termes « personne » et « personne autre qu'une personne humaine » ne sont pas destinĂ©s Ă remplacer des mots comme « esprit » ou « divinitĂ© ». Ils ne font pas rĂ©fĂ©rence Ă des ĂȘtres « plus grands que l'homme » ou « surnaturels », Ă moins que cela ne soit spĂ©cifiĂ© d'une autre maniĂšre. Les animistes peuvent reconnaĂźtre l'existence et mĂȘme la prĂ©sence de divinitĂ©s ou de personnes dĂ©sincarnĂ©es (si c'est ce que signifie le mot « esprit »), mais leur statut de personne est un fait plus gĂ©nĂ©ral[29]. »
Le « nouvel animisme » et l'anthropologie postmoderne
Graham Harvey, dans une veine néo-païenne et écologique, parle du « nouvel animisme ». Avec ce terme, Harvey décrit l'approche des anthropologues qui sont conscients que leurs concepts contrastent avec les hypothÚses des premiers anthropologues[4].
Une critique des approches modernes en anthropologie
Ces approches, d'aprÚs l'anthropologue Nurit Bird-David visent à éviter l'hypothÚse moderniste selon laquelle l'environnement consiste en un monde physique distinct du monde des humains, ainsi que la conception moderniste de personne composée de maniÚre dualiste d'un corps et d'une ùme[23] .
Le « nouvel animisme » a Ă©mergĂ© en grande partie des publications de l'anthropologue Irving Hallowell qui ont Ă©tĂ© produites sur la base de ses recherches ethnographiques parmi les communautĂ©s Ojibwe du Canada au milieu du XXe siĂšcle. Pour les Ojibwe dĂ©couverts par Hallowell, l'identitĂ© personnelle ne nĂ©cessitait pas une ressemblance humaine, mais plutĂŽt que les humains soient perçus comme d'autres personnes, ce qui inclut par exemple les peuples des rochers et les peuples des ours. Pour les Ojibwe, ces personnes Ă©taient des ĂȘtres dotĂ©s de volontĂ© propre qui acquĂ©raient un sens et un pouvoir par leurs interactions avec les autres ; en interagissant respectueusement avec les autres, ils apprenaient eux-mĂȘmes à « agir comme une personne ». L'approche de Hallowell pour comprendre la personnalitĂ© des Ojibwe diffĂšre grandement des concepts anthropologiques antĂ©rieurs de l'animisme. Il soulignela nĂ©cessitĂ© de remettre en question les perspectives modernistes et occidentales de ce qu'est une personne en entrant en dialogue avec diffĂ©rentes visions du monde[28].
L'approche de Hallowell a influencé le travail de Nurit Bird-David, qui a produit un article[23] réévaluant l'idée d'animisme en 1999[28].
Nurit Bird-David soutient que les idées positivistes sur la signification de la « nature », de la « vie » et de la « personne » ont mal orienté les tentatives antérieures de comprendre les concepts locaux. Les théoriciens classiques auraient attribué leurs propres idées modernistes du soi aux « peuples primitifs »[23] .
Elle explique que l'animisme est une « épistémologie relationnelle » plutÎt qu'un échec du raisonnement primitif. En d'autres termes, l'identité du soi chez les animistes est fondée sur leurs relations avec les autres, plutÎt que sur des caractéristiques distinctives du soi. Au lieu de se concentrer sur le moi moderniste et essentialisé (« individuals »), les personnes sont considérées comme des faisceaux de relations sociales (« dividuals »), dont certaines incluent des « superpersonnes » (c'est-à -dire des non-humains)[23] .
Comme Bird-David, Tim Ingold soutient que les animistes ne se considÚrent pas comme séparés de leur environnement[30] :
« Les chasseurs-cueilleurs n'abordent pas, en rĂšgle gĂ©nĂ©rale, leur environnement comme un monde extĂ©rieur de nature qui doit ĂȘtre saisi intellectuellement⊠En effet, la sĂ©paration de l'esprit et de la nature n'a pas sa place dans leur pensĂ©e et leur pratique. »
Rane Willerslev prolonge l'argument en notant que les animistes rejettent ce dualisme cartĂ©sien et que le moi animiste s'identifie au monde, « se sentant Ă la fois Ă l'intĂ©rieur et Ă l'extĂ©rieur de celui-ci, de sorte que les deux glissent sans cesse l'un vers l'autre dans un circuit fermĂ© ». Le chasseur animiste est donc conscient d'ĂȘtre un chasseur humain, mais, par mimĂ©tisme, il est capable d'adopter le point de vue, les sens et les sensibilitĂ©s de sa proie, de ne faire qu'un avec elle[31].
Graham Harvey souligne également la différence radicale entre les systÚmes de connaissance occidentaux modernes et ceux des peuples dits animistes :
« Les ontologies et Ă©pistĂ©mologies animistes ont Ă©tĂ© vues sous un mauvais jour par rapport aux dualitĂ©s dĂ©terminantes de la philosophie et de la science modernistes (combinĂ©es sous le terme de « rationalisme »). Ceux-lĂ semblent provenir et ĂȘtre renforcĂ©s par une expĂ©rience relationnelle, incarnĂ©e, subjective, particuliĂšre, localisĂ©e, traditionnelle et sensuelle plutĂŽt que par une rĂ©flexion impartiale, intellectuelle, objective, universalisĂ©e, globale, progressive et rationnelle. En cĂ©lĂ©brant ce que des personnes particuliĂšres - des groupes et des participants Ă des groupes - vivent dans des lieux particuliers en s'engageant dans des relations spĂ©cifiques, les animismes semblent aller Ă l'encontre des systĂšmes de connaissances cartĂ©siens et occidentaux[29]. »
Relation des peuples animistes au surnaturel
Selon Graham Harvey, professeur en Ă©tudes religieuses Ă l'Open University, l'animisme ne reprĂ©sente pas une forme de religion particuliĂšre mais plutĂŽt un point de vue gĂ©nĂ©ral et une maniĂšre de concevoir les relations aux ĂȘtres vivants. La perception d'entitĂ©s autres-que-humaines n'implique en effet ni que celles-ci ne pensent ou n'agissent comme des humains vivants, ni que celles-ci soient des divinitĂ©s ; de ce fait la notion d'esprit en animisme est certainement Ă©loignĂ©e des conceptions modernes du surnaturel[29].
Les sociĂ©tĂ©s dites animistes peuvent par exemple disposer d'un culte des ancĂȘtres, cependant si la mort peut transformer radicalement les ĂȘtres humains qui deviennent des ancĂȘtres, ce n'est lĂ qu'une autre dĂ©monstration des processus qui peuvent ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme propres Ă la vie[29].
D'autre part,
« Puisque les signes indiquant la « personnalitĂ© » reconnue par les animistes comprennent gĂ©nĂ©ralement le pouvoir de transformation, la mort peut ĂȘtre perçue comme une grande transformation plutĂŽt que comme une cessation dĂ©finitive. Certainement, par exemple, la chose la moins intĂ©ressante concernant les ancĂȘtres est bien qu'il soient morts[29]. »
Les relations avec ces personnes autres entraĂźnent par la suite des formes de ritualisation et l'intervention de pratiques magiques ou chamaniques :
« Le maintien et le dĂ©veloppement de la communautĂ© humaine au sein de la communautĂ© de vie Ă©largie - de personnes dont certaines seulement sont humaines - exige d'Ă©normes efforts pour Ă©tablir, sauvegarder, rĂ©parer, stabiliser et amĂ©liorer les relations menacĂ©es par divers actes quotidiens de violence intime. Autrement dit, les besoins nutritionnels ordinaires agressent la communautĂ© de vie et exigent une action vigoureuse pour prĂ©venir la mise en danger rĂ©ciproque des communautĂ©s humaines. Cela pourrait Ă©galement ĂȘtre vrai pour les communautĂ©s autres que humaines et les rĂ©sultats de leurs besoins nutritionnels, et pourrait donc constituer une raison pour leur Ă©laboration parallĂšle d'un mode d'ĂȘtre culturel, etc. et leur emploi de chamans (autres que humains). Cependant, bien que le respect de toute vie soit important, il existe des agresseurs prĂ©dateurs, des ennemis et surtout des personnes dotĂ©es de capacitĂ©s « magiques », qui sont loin d'ĂȘtre les bienvenus et qui doivent ĂȘtre traitĂ©s d'une maniĂšre ou d'une autre. Ces faits quotidiens de violence et d'intimitĂ© mettent Ă l'Ă©preuve les limites de la vie humaine aux cĂŽtĂ©s des autres. Leur solution est l'emploi de chamans[29]. »
L'animisme en philosophie
Ogura Kizo, professeur d'études des civilisations à l'université de Kyoto considÚre la philosophie originelle de Confucius (particuliÚrement dans les Analectes) comme typique d'une pensée animiste[32].
Cette pensĂ©e est dĂ©crite comme appartenant Ă la « troisiĂšme vie », qui diffĂšre de la « premiĂšre vie », physique et biologique, ainsi que de la « deuxiĂšme vie », conçue comme Ă©tant celle prĂŽnĂ©e par les chamanes et TaoĂŻstes de l'Ă©poque (Ă savoir une vision de l'homme spirituel comme maĂźtre de la Terre et du Ciel), ainsi que par l'un des continuateurs cĂ©lĂšbres de Confucius, Mencius, a qui est attribuĂ©e une pensĂ©e de type spiritualiste, prĂŽnant que tous les objets dans le monde seraient faits de « matiĂšre spirituelle » ou qi (æ°Ł)[32].
La premiĂšre vie | La deuxiĂšme vie | La troisiĂšme vie | |
---|---|---|---|
Nature, essence | Physique, biologique | Religieuse, spirituelle | Conscience, reconnaissance de l'entre-deux |
Locus | Individuelle, corps humain | Universelle | Intersubjective (humain-humain et nature-humain) |
Mode d'existence | Visible et tangible dans ce monde | Transcendante, transpersonnelle | Accidentelle, allusive, apparition |
Domaine | Besoin et désirs humains | Tout | Contingence |
Type de contenu | Substantielle | Vérité absolue | Esthétique, sensuelle |
Selon lui, l'exemple du shintoĂŻsme japonais montre que le facteur dĂ©terminant afin d'employer le terme d'animisme n'est pas la transcendance mĂȘme du Ciel. Si de nombreux membres d'une communautĂ© humaine, que ce soit un village ou un pays, perçoivent une indication de vie ou d'anima dans une pierre, celle-ci peut ĂȘtre appelĂ©e kami, non pas parce que le caractĂšre pieux de la pierre descend du Ciel, mais parce que les gens reconnaissent son caractĂšre kami au motif qu'ils partagent certains sentiments subjectifs mais communs[32].
Une lecture attentive de la littĂ©rature confucĂ©enne indique que la notion de ren (ä») a des liens logiques profonds avec la vie de « l'entre-deux », et au sein des entitĂ©s sociales : de ce fait, l'animisme originel propre Ă la pensĂ©e confucĂ©enne se serait perdu, car il indiquerait une incompatibilitĂ© avec le panthĂ©isme, le spiritualisme et le chamanisme[32].
Selon les Ă©tudes anthropologiques de Takako Yamada, il est cependant erronĂ© de penser l'animisme comme une croyance dans les esprits fondĂ©e sur un systĂšme philosophique ou phĂ©nomĂ©nologique. De ce fait, des Ă©tudes portant sur les AĂŻnu, les Ladhaki et les Sakha montrent le caractĂšre insĂ©parable de l'animisme et du chamanisme, le premier reprĂ©sentant l'idĂ©e et lâinterprĂ©tation de lâensemble des phĂ©nomĂšnes spirituels dans une culture, le second un dispositif de mise en scĂšne visant Ă distribuer l'Ă©nergie de ces phĂ©nomĂšnes dans la vie de tous les jours[33].
Bibliographie
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- Denis Bon, L'animisme : l'Ăąme du monde et le culte des esprits, De Vecchi, Paris, 2002, 140 p. (ISBN 978-2-7328-3356-9)
- J. E. Chancerel, Recherches sur la pensée biologique de Stahl, 1934.
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Notes et références
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- « Lâanimisme est le fondement de la religion, depuis celle des sauvages jusquâĂ celle des civilisĂ©s » Edward Tylor, Primitive Culture, 1903, I, p. 426
- « Animisme », article de G. Le Moal dans Dictionnaire de l'ethnologie et de l'anthropologie, sous la direction de Michel Izard et Pierre Bonte, Presses universitaires de France, Paris, 4e éd. coll. « Quadrige. Dicos poche », 2007, p. 72-73 (ISBN 978-2-13-055999-3)
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- Comme dans ce rĂ©cit de ce missionnaire, ThĂ©ophile Burnier, Ămes primitives : contribution Ă l'Ă©tude du sentiment religieux chez les paĂŻens animistes, 1922.
- « Jusqu'ici le concept d'animisme a une connotation pĂ©jorative. Peu de gens sont capables de s'affirmer animistes » (Chindji Kouleu, NĂ©gritude, philosophie et mondialisation, Ăditions CLE, YaoundĂ©, 2001, p. 91).
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- (en) Ogura Kizo, Confucianisms for a Changing World Cultural Order, Roger T. Ames et Peter D. Hershock (lire en ligne), Animism and Spiritualism: The Two Origins of Life in Confucianism (chapitre)
- (en) Takako Yamada, An anthropology of animism and shamanism /, Akadémiai Kiadó, (ISBN 978-963-05-7683-3, lire en ligne)
Voir aussi
Articles connexes
Liens externes
- Notices dans des dictionnaires ou encyclopédies généralistes :
- Animisme. Imago mundi
- L'animisme est-il une religion ? Entretien avec Philippe Descola
- L'animisme. Les traditions sénégalaises