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Animisme

L’animisme (du latin animus, originairement « esprit », puis « Ăąme ») est la croyance en un esprit, une force vitale, qui anime les ĂȘtres vivants, les objets mais aussi les Ă©lĂ©ments naturels, comme les pierres ou le vent, ainsi qu'en des gĂ©nies protecteurs[1].

Faux lion Corvus albus lors d'un combat de lutte sénégalaise (Dakar).

Ces Ăąmes ou ces esprits mystiques, manifestations de dĂ©funts ou de divinitĂ©s animales, peuvent agir sur le monde tangible, de maniĂšre bĂ©nĂ©fique ou non. Il convient donc de leur vouer un culte[2]. Ainsi dĂ©fini, comme « croyance Ă  l'Ăąme et Ă  une vie future et, corrĂ©lativement, croyance Ă  des divinitĂ©s directrices et des esprits subordonnĂ©s »[3], l'animisme peut caractĂ©riser des sociĂ©tĂ©s extrĂȘmement diverses, situĂ©es sur tous les continents.

L'animisme a aussi été défini, notamment par Irving Hallowell et Phillipe Descola comme une ontologie. Les chercheurs liés au courant du « nouvel animisme » remettent en cause l'approche moderniste fondée sur une dissociation dualiste entre nature et culture, en faveur d'un lien avec les esprits du monde naturel proche des conceptions écologistes contemporaines[4].

Origine et usage du terme

MĂ©decine du XVIIIe siĂšcle

Le mĂ©decin allemand Georg Stahl est Ă  l'origine (Theoria medica vera, 1707)[5] d'une thĂ©orie mĂ©dicale appelĂ©e « animisme », opposĂ©e au mĂ©canisme et au vitalisme ; pour rĂ©sumer Ă  l'extrĂȘme, il s’agissait d’expliquer que l'Ăąme avait une influence directe sur la santĂ©. Une seule et mĂȘme Ăąme est Ă  la fois principe de vie et principe de pensĂ©e.

L'animisme (Stahl) s'oppose alors au mécanisme (Démocrite, Descartes, Cabanis, Le Dantec) et se différencie du vitalisme (Platon, Paracelse, Paul-Joseph Barthez, Félix Ravaisson, Bergson, H. Driesch). L'animisme ne se contente pas de subordonner la matiÚre à la vie, mais, qui plus est, il soumet la vie à la pensée. Les philosophes d'inspirations vitalistes considÚrent au contraire l'activité intellectuelle comme fondamentalement subordonnée à la « vie ».

Edward Tylor, le pionnier

Edward Burnett Tylor (1832-1917) est le premier sociologue Ă  avoir Ă©tabli une thĂ©orie sur l’animisme, dans Primitive Culture (1871). Il fonde son analyse sur le sentiment, pour lui gĂ©nĂ©ral dans les sociĂ©tĂ©s qu’il qualifiait alors de « primitives », que l’ñme Ă©tait distincte du corps car, lors des rĂȘves, le dormeur semble atteindre un monde diffĂ©rent de celui oĂč se trouve son corps.

C’est cette expĂ©rience qui aurait fondĂ© la notion d’« Ăąme ».

Par analogie et extension, des Ăąmes auraient ainsi Ă©tĂ© prĂȘtĂ©es (attribuĂ©es) Ă  l’ensemble des Ă©lĂ©ments de la nature[6]. Pour Tylor, l’animisme reprĂ©sentait le premier stade de religiositĂ© humaine, celui des sociĂ©tĂ©s les plus primitives, et il devait ĂȘtre suivi par le fĂ©tichisme, puis le polythĂ©isme et enfin, par le monothĂ©isme, qui caractĂ©risait la religion de sa propre sociĂ©tĂ©[7].

La thĂ©orie de Tylor sur l’animisme eut un Ă©norme succĂšs. Le terme fut ensuite beaucoup repris, discutĂ© et critiquĂ©.

Les anthropologues ont notamment reprochĂ© Ă  Tylor sa perspective Ă©volutionniste (comme si toutes les sociĂ©tĂ©s devaient Ă©voluer de la mĂȘme maniĂšre vers un mĂȘme but), sa perspective psychologique (il est difficile d’expliquer une notion telle que l’ñme par une simple rĂ©fĂ©rence Ă  une expĂ©rience de dormeur – ou alors, cette notion devrait prendre un sens identique dans toutes les sociĂ©tĂ©s, ce qui n’est pas le cas), ainsi que le caractĂšre imprĂ©cis du terme animisme (tous les Ă©lĂ©ments de la nature ne sont pas partout perçus comme ayant une Ăąme, attribuer un esprit ou une Ăąme Ă  un Ă©lĂ©ment n’est pas la mĂȘme chose, etc.).

Évolution vernaculaire du terme

À moins d'ĂȘtre redĂ©fini dans le champ de l'anthropologie, par exemple Ă  la maniĂšre de Philippe Descola, ou limitĂ© Ă  un processus psychique, par exemple dans la psychanalyse ou dans la conception piagĂ©tienne, l'objet « animisme » ne correspond Ă  aucune rĂ©alitĂ© religieuse se rĂ©clamant comme telle.

En dehors de quelques anthropologues qui reprennent ce terme dans leur analyse en lui donnant une signification prĂ©cise (tel Philippe Descola), le terme d’animisme n’est plus employĂ© que de maniĂšre trĂšs vague, pour finalement dĂ©signer toutes les religions qui ne sont pas universalistes (c’est-Ă -dire les religions de la conversion, telles le christianisme, l’islam) ou qui ne sont pas des religions de grands pays-civilisations (les religions chinoises, indiennes, etc.). Il est alors pris comme synonyme de « religion traditionnelle » (un terme qui ne signifie rien, en soi), ou d’autres termes Ă  l’usage tout aussi vague, tels que le chamanisme. En rĂ©alitĂ©, la difficultĂ© de dĂ©finir clairement ces termes et de circonscrire leurs pĂ©rimĂštres respectifs procĂšde essentiellement de leur Ă©loignement des modes de pensĂ©es des sociĂ©tĂ©s modernes, issus d'une reprĂ©sentation du monde radicalement diffĂ©rente, que Philippe Descola qualifie de naturaliste.

Introduit Ă  la fin du XIXe siĂšcle par l'anthropologue britannique Edward Burnett Tylor pour dĂ©signer les religions des sociĂ©tĂ©s qu'il nomme « primitives » (Primitive Culture, 1871), le concept a connu un indĂ©niable succĂšs jusque dans les premiĂšres dĂ©cennies du XXe siĂšcle, devenant « l'un des termes de rĂ©fĂ©rence majeurs de l'histoire de l'ethnologie religieuse »[8]. Cette ambitieuse tentative d'explication globale des croyances religieuses – une « doctrine de l'Ăąme » – a perdu une large part de sa validitĂ© aujourd'hui et les travaux contemporains s'en Ă©cartent, notamment ceux de l'anthropologue français Philippe Descola qui ne voit pas dans l'animisme une religion, mais plutĂŽt « une maniĂšre de concevoir le monde, et de l'organiser »[9].

Le terme lui-mĂȘme, souvent entachĂ© de connotations colonialistes[10], du moins perçues comme pĂ©joratives[11], est employĂ© avec circonspection, parfois remplacĂ© par des expressions telles que « croyances populaires », « croyances indigĂšnes », « religions traditionnelles ». Par dĂ©faut ou par commoditĂ©, il est dĂ©sormais utilisĂ© dans le langage courant ou dans les statistiques, comme un mot fourre-tout dĂ©signant gĂ©nĂ©ralement l'ensemble de ce qui, ne relevant pas des grandes religions thĂ©istes s'appuyant sur des textes sacrĂ©s (christianisme, islam, bouddhisme
), est transmis par des traditions orales[12].

Philippe Descola

Parmi les anthropologues contemporains, Philippe Descola, dans une vision globalisante voire universaliste, a redéfini l'animisme dans un ouvrage remarqué, Par-delà nature et culture (2005)[13]. Il se place pour cela dans la situation de l'Homme nu s'identifiant au monde suivant deux perspectives complémentaires : celle de son « intériorité » et celle de sa « physicalité » vis-à-vis des autres, humains et non humains.

L'animisme correspondrait Ă  la perception d'une identitĂ© commune des intĂ©rioritĂ©s des existants, humains et non humains, et Ă  celle d'une identitĂ© distincte entre leurs physicalitĂ©s. L'anthropologue dĂ©crit les trois autres « ontologies » qui suivent la perception d'une fusion ou d'une rupture entre intĂ©rioritĂ© et physicalitĂ©, et qu'il nomme totĂ©misme, analogisme et naturalisme ; les quatre modes (identitĂ©/rupture) * (intĂ©rioritĂ©/physicalitĂ©) rĂ©unis auraient une vocation universelle, tout en revĂȘtant diverses formes de cohabitation ou de dominance suivant les cultures (qu'elles soient archaĂŻques, traditionnelles ou modernes).

Ontologie

L'animisme repose sur cette affirmation : ressemblance des intĂ©rioritĂ©s et diffĂ©rence des physicalitĂ©s entre humains et non-humains (animaux, vĂ©gĂ©taux, esprits, objets). Les animaux, les plantes ont la mĂȘme Ăąme, intĂ©rioritĂ© (Ă©motions, conscience, dĂ©sirs, mĂ©moire, aptitude Ă  communiquer
) que les humains, ils ne s'en distinguent que par leurs corps et donc aussi par leurs mƓurs, l'Ă©thogramme, le mode de comportement spĂ©cialisĂ© (p. 187, 190). Il y a, comme dans le totĂ©misme, classification par prototype, c'est-Ă -dire Ă  partir du modĂšle le plus reprĂ©sentatif, qui est, dans l'animisme, l'humain (p. 333). « De mĂȘme que l'animisme est anthropogĂ©nique parce qu'il emprunte aux humains le minimum indispensable pour que des non-humains puissent ĂȘtre traitĂ©s comme des humains, le totĂ©misme est cosmogĂ©nique car il fait procĂ©der de groupes d'attributs cosmiques prĂ©existants Ă  la nature et Ă  la culture tout ce qui est nĂ©cessaire pour que l'on ne puisse jamais dĂ©mĂȘler les parts respectives de ces deux hypostases dans la vie des collectifs » (p. 368-369).

GĂ©ographie

L'animisme se rencontre « en Amazonie, dans l'aire arctique et circumpolaire ou dans les forĂȘts de l'Asie du Sud-Est » (p. 189), chez les PygmĂ©es, les Dogon de Tireli au Mali, en Nouvelle-CalĂ©donie.

Notions

MĂ©tamorphose : les ĂȘtres ont la capacitĂ© de mĂ©tamorphose, l'animal peut devenir homme et inversement (p. 192). Un chamane huaorani d'Amazonie peut devenir jaguar (p. 344). Perspectivisme : comme l'Ă©crit Eduardo Viveiros de Castro, « les animaux (prĂ©dateurs) et les esprits voient les humains comme des animaux (des proies), tandis que les animaux (le gibier) voient les humains comme des esprits ou comme des animaux (prĂ©dateurs) ».

Religion

L'animisme ne consiste pas en croyances, mais en l'expĂ©rience qu'il y a des esprits avec lesquels on peut entrer en communication, par des rĂȘves, par la parole


Sociabilité

« Relations permanentes sur le registre de l'amitiĂ©, de l'alliance de mariage, de dĂ©fĂ©rence vis-Ă -vis des anciens » (p. 346). Aussi, « sur tout son territoire on ne trouvera ni Ă©leveurs exclusifs, ni castes d'artisans spĂ©cialisĂ©s, ni culte des ancĂȘtres, ni lignages fonctionnant comme des personnes morales, ni dĂ©miurges crĂ©ateurs, ni goĂ»t pour les patrimoines matĂ©riels, ni obsession de l'hĂ©rĂ©ditĂ©, ni flĂšche du temps, ni filiations dĂ©mesurĂ©e, ni assemblĂ©es dĂ©libĂ©ratives » (p. 538).

ProblĂšmes

Comment rendre compte de la forme non humaine des non-humains ? Solution : la métamorphose (p. 416).

Des religions animistes ?

Statue du GĂ©nie de la Montagne dans le Haut-Tonkin (fin XIXe siĂšcle)

L’évocation d’une « religion animiste » est communĂ©ment entendue :

  • en gĂ©nĂ©ral pour dĂ©signer le culte qui serait vouĂ© aux pierres, au vent, au sable, Ă  l’eau, aux arbres, au feu
 par des peuples divers ;
  • en particulier pour dĂ©signer les religions noires-africaines originelles.

Une fois de plus, ce terme relĂšve du langage courant, il n’a pas de portĂ©e anthropologique. Il pĂȘche Ă  trois Ă©gards : d’abord parce qu’on peut mettre en doute que, pour leurs adeptes, ces Ă©lĂ©ments soient eux-mĂȘmes douĂ©s d’une Ăąme ; ensuite parce que les peuples concernĂ©s n’isolent pas la « religion » des autres aspects de leurs traditions[14] ; enfin parce qu’il recouvre d’innombrables cultures, trĂšs diffĂ©rentes les unes des autres.

Esprits, religions et animisme

Dans beaucoup de religions sinon toutes, les Ă©lĂ©ments naturels occupent une place importante. On peut citer la vĂ©nĂ©ration de fleuves, tel le Gange, dans l’hindouisme, ou la crue du Nil, divinisĂ©e sous le nom d’HĂąpy dans l’Égypte ancienne ; celle du feu auquel pouvait ĂȘtre assimilĂ© Vesta Ă  Rome ; celle du chĂȘne et du gui, sacrĂ©s chez les Celtes.

Les monothĂ©ismes abrahamiques s’appuient eux-mĂȘmes sur des Ă©lĂ©ments naturels, objets de cultes antĂ©rieurs : la fĂȘte de NoĂ«l est celle du solstice d’hiver (septentrional), celle de la Saint-Jean du solstice d’étĂ©, la fĂȘte de Pessa'h ou de PĂąques est attachĂ©e au calendrier lunaire, qui rythme Ă©galement la liturgie musulmane, dont le ramadan, etc.

Dans les religions amĂ©rindiennes, les divinitĂ©s sont associĂ©es Ă  des Ă©lĂ©ments naturels, avec une grande importance accordĂ©e au soleil, Ă  la lune, Ă  la pluie
 La MĂ©so-AmĂ©rique ne comptait pas moins de 4 dieux du maĂŻs : un pour le maĂŻs blanc, un pour le jaune, un pour le rouge, un pour le noir. Dans l’ùre inca, on pratiquait une offrande Ă  Pachamama, la Terre mĂšre.

Pour autant, aucune de ces religions ne rend un culte « aux pierres ou au vent ». Tous les peuples, depuis la prĂ©histoire, savent dĂ©pendre pour leur survie d’élĂ©ments naturels : la terre, le soleil, l’eau
 Mais ils ne les adorent pas eux-mĂȘmes, ils attribuent leur puissance Ă  des forces surnaturelles qui les commanderaient : ils les ont divinisĂ©s ou vĂ©nĂšrent les esprits ou les dieux qui les dirigent. S’il y a des Ă©lĂ©ments d’animisme dans la plupart des religions, il est jusqu’à preuve du contraire difficile d’exhiber des cas de religions essentiellement fondĂ©es sur le culte des Ă©lĂ©ments naturels eux-mĂȘmes. Dans l’exemple des Celtes, la sacralisation du chĂȘne et du gui n’implique pas qu’il leur ait Ă©tĂ© directement rendu un culte : aucune source sĂ©rieuse ne le mentionne. Ce n’est pas parce que l’hostie est sacrĂ©e que le pain azyme est l’objet d’un culte : Ă  travers elle, c’est le Christ qui est vĂ©nĂ©ré 

Certains lieux prĂ©sentant des caractĂšres physiques impressionnants ont marquĂ© tous les peuples qui les ont traversĂ©s. On en trouve un exemple frappant dans le nid d’aigle d’Erice (Sicile) : Élymes, PhĂ©niciens, Grecs, Romains, Arabes, chrĂ©tiens
 en ont tous fait un lieu de culte. Aucun d’eux ne vĂ©nĂ©rait le rocher d’Erice : ils Ă©taient convaincus que, perchĂ© au milieu du ciel, ce lieu Ă©tait Ă©lu, qu’il offrait une voie d’accĂšs privilĂ©giĂ©e Ă  leur(s) divinitĂ©(s).

L’interprĂ©tation « animiste » de religions « traditionnelles » comme celles de l’Afrique noire, repose sur une apprĂ©hension simpliste de cultes jugĂ©s « primitifs » et sur la conviction implicite de la supĂ©rioritĂ© des religions et des cultures des nouveaux venus. L’appellation d’animisme n’en reste pas moins et malheureusement gĂ©nĂ©ralisĂ©e.

À Mayotte par exemple, une petite Ăźle française situĂ©e dans le canal du Mozambique entre l'Afrique et Madagascar, religion et animisme cohabitent : en effet, Mayotte conserve une originalitĂ© culturelle liĂ©e aux diverses influences qui ont forgĂ© son identitĂ© qu'elles soient malgaches, africaines, europĂ©ennes ou arabes. Bien que 90 % de la population soit musulmane, se pratique sur l’üle des cultes animistes : Mayotte abrite des habitants que les statistiques ne prennent pas en compte, ce sont les esprits. Des esprits invisibles, puissants et qui, selon les croyants, peuvent possĂ©der le corps de l'homme. L’üle regorge de lieux sacrĂ©s et magiques, oĂč les gens viennent faire des offrandes, procĂšdent Ă  des rituels d'exorcismes pour chasser l'esprit du corps possĂ©dĂ©. Parmi ces lieux de culte, on peut citer la pointe Mahabou, l'endroit oĂč repose le sultan d'origine malgache, Adriansouly, qui vendit Mayotte Ă  la France. Cet endroit est considĂ©rĂ© comme Ă©tant un lieu de priĂšre pour les animistes, lieu oĂč l'on peut invoquer tous les esprits. On retrouve aussi la cascade de Soulou. La seule cascade de l’üle oĂč les habitants se rendent pour des bains rituels censĂ©s guĂ©rir le malade possĂ©dĂ©. Ce culte animiste est souvent remis en cause par la religion prĂ©dominante, l'islam. Mais la pratique de la religion Ă©tant modĂ©rĂ©e, animisme et religion cohabitent.

Animisme ou vitalisme ?

Les voyageurs et les colons europĂ©ens, observant des offrandes, des sacrifices et des rites devant des Ă©lĂ©ments naturels tels que le fleuve Saloum, la pierre d’Abeokuta, etc. en dĂ©duisaient que dans leur « pensĂ©e primitive » les Noir-Africains leur attribuaient une Ăąme, d’oĂč le terme d’animisme. La rĂ©alitĂ© est plutĂŽt inverse : le culte est rendu Ă  un esprit localisĂ© Ă  cet emplacement, parfois parce qu’il y est mort ou y est enterrĂ©, et oĂč un autel lui est en gĂ©nĂ©ral dressĂ©. Ces esprits sont ceux d’ancĂȘtres anonymes, d’ancĂȘtres ayant jouĂ© un rĂŽle historique, parfois d’ancĂȘtres divinisĂ©s, ils peuvent ĂȘtre recueillis ou hĂ©bergĂ©s en des animaux de la brousse, ĂȘtre d’une autre nature, comme les djinnĂ©s (inspirĂ©s des djinns arabes)
 Il est significatif que plusieurs langues d’Afrique de l’Ouest utilisent le terme dĂ©signant un esprit ancestral pour dĂ©signer Ă©galement un serpent (sĂ©rĂšre o fangool), un animal sauvage (wolof rab), un autel (mandinka jĂĄlaƋ, maninka boli, diola bĂ«cin)[15], etc.

On trouve un exemple du vĂ©ritable sens de l’« animisme » dans la pratique encore trĂšs vivante en Afrique noire, consistant Ă  rĂ©server les premiĂšres gouttes d’une boisson (surtout alcoolisĂ©e) ou les premiĂšres parcelles de nourriture Ă  la terre : ce n’est pas Ă  la nature que cette offrande est rendue, mais aux ancĂȘtres, dont le sĂ©jour est souterrain dans la vision africaine. Le mĂȘme rite est largement pratiquĂ© dans les rĂ©gions marquĂ©es par une forte prĂ©sence d’afrodescendants, comme la cĂŽte caraĂŻbe de Colombie. Au Laos, on trouve la mĂȘme pratique d'offrir Ă  la nature, la premiĂšre gorgĂ©e, dans le bouddhisme Theravada.

La persistance du souffle vital (contrairement au corps et Ă  la force vitale, Ă©phĂ©mĂšres) de l’ancĂȘtre et son retour dans un nouveau-nĂ© (rĂ©incarnation partielle) sont centraux dans cette vision du monde qui englobe religion, mythe, magie, pouvoir, mĂ©decine
 Elle a conduit certains auteurs, tel Louis-Vincent Thomas[16], Ă  dĂ©finir ces religions comme vitalistes plutĂŽt que comme animistes : elles sont avant tout des religions de la vie, dans lesquelles la force vitale occupe la place centrale, et la sexualitĂ© comme la fĂ©conditĂ© y ont une portĂ©e religieuse. Le dĂ©cĂšs d’enfants en bas Ăąge est attribuĂ© au renoncement de l’ancĂȘtre, déçu par la vie terrestre qu’il retrouve et dĂ©sireux de repartir au village des morts[17]. Le sens de l’anthropophagie[18] (symbolique, contrairement au cannibalisme) est l’appropriation de la force vitale (mais non du souffle vital, qui ne peut l'ĂȘtre) de l’autre : l’esprit ou le sorcier anthropophage prend possession de sa victime pour absorber sa force vitale et augmenter la sienne[19].

Le terme de vitalisme, qui vise Ă  restituer l’essence des religions africaines, ne fait pourtant pas l’unanimitĂ©, comme sont contestĂ©s tous ceux par lesquels on tente de remplacer celui d’animisme, soit parce qu’ils n’en rendent que partiellement compte (culte des ancĂȘtres
), soit parce qu’ils ne sont pas signifiants (religions traditionnelles
). Quant Ă  la tradition nĂ©gro-africaine, elle n’analyse pas la religion isolĂ©ment de la magie, du pouvoir, de la mĂ©decine
 et n’éprouve donc pas le besoin de la nommer en tant que telle.

Une autre approximation consiste Ă  opposer un animisme africain polythĂ©iste, puisque vĂ©nĂ©rant d’innombrables esprits, aux religions monothĂ©istes. En rĂ©alitĂ©, la plupart des religions africaines, sinon toutes, sont fondĂ©es sur la croyance en un Dieu suprĂȘme ou unique : Roog chez les SĂ©rĂšres, Amma chez les Dogons, Olodumare chez les Yoruba, etc. occupent cette position. Si le culte est rendu aux esprits, ancĂȘtres ou orishas, et non au maĂźtre de l’univers, c’est que celui-ci est inaccessible et qu’il convient d’amadouer les puissances « intermĂ©diaires » de l’au-delĂ  pour intercĂ©der auprĂšs de lui[20]. Cette situation n’est pas si diffĂ©rente de la dĂ©votion aux saints du catholicisme et a grandement facilitĂ© la syncrĂ©tisation entre saints et orishas ou saints et inquices dans les religions afro-amĂ©ricaines, comme le candomblĂ©.

Animisme, totémisme, chamanisme, shintoïsme

Il y a plus qu’une parentĂ© entre l’animisme et le totĂ©misme, le chamanisme ou le shintoĂŻsme : une interpĂ©nĂ©tration, tous comportant une part d’« animisme ».

Le totĂ©misme est prĂ©sent dans beaucoup de sociĂ©tĂ©s animistes ou chamaniques, dont il est un autre aspect de la vision du monde et de la culture. En Afrique de l’Ouest, chaque famille clanique a son animal totem, par exemple le lapin pour les Senn wolofs ou sĂ©rĂšres ; cet animal est considĂ©rĂ© comme un parent et ne peut ĂȘtre consommĂ© par les membres du clan. La mĂȘme interdiction existe en Australie ou en AmĂ©rique du Nord, oĂč Claude LĂ©vi-Strauss montre que le totĂ©misme repose sur une analogie entre un groupe humain et une espĂšce naturelle[21] : tel clan ou tel hameau s’apparente au raton laveur par son mode de vie. Cette parentĂ© existe parce que le totem est souvent assimilĂ© Ă  un ancĂȘtre.

L’animisme africain et les chamanismes de SibĂ©rie et des AmĂ©riques ont en commun la mĂ©diation entre les ĂȘtres humains avec des forces spirituelles (esprits de la nature, Ăąmes des animaux sauvages, ancĂȘtres
), gĂ©nĂ©ralement intercesseurs auprĂšs de la ou des divinitĂ©s. Dans les deux cas, des sacerdotes (chaman ou pajĂ© amĂ©rindiens, saltigui ou babalawo africains
) ont la connaissance Ă©sotĂ©rique leur permettant d’entrer en contact avec l’autre monde. Le sacerdote, Ă  l’aide de paroles rituelles et de plantes, voyage pour recueillir la volontĂ© des esprits et leur soumettre les besoins humains : il recommandera les offrandes et rites qui lui permettront d’apporter la guĂ©rison, la pluie, la fĂ©condité  L’intermĂ©diation use dans certains cas du support de la transe qui peut ĂȘtre celle du sacerdote ou du disciple.

L’animisme africain et le shintoĂŻsme japonais, d’ailleurs de lointaine origine chamanique, ont en commun le culte des ancĂȘtres, dont les pratiques rituelles et les offrandes peuvent ĂȘtre assez proches de celles pratiquĂ©es en Afrique ou dans les religions afro-amĂ©ricaines.

Autres religions animistes

Chaman en séance avec le feu. Cet élément a donné lieu à des cultes et est célébré et utilisé dans l'animisme (Kyzyl, région de Touva, Russie).

Ce qu’il est convenu d’appeler animisme est prĂ©sent dans d’autres civilisations. On peut citer de maniĂšre non exhaustive, avec souvent des caractĂšres relevant de l’animisme et du chamanisme, les traditions :

L'animisme enfantin

Emile Durkheim

Dans Les formes élémentaires de la vie religieuse, paru en 1912, Emile Durkheim interprétait ainsi la pensée de Edward Tylor concernant l'animisme[23] :

« Pour Tylor, cette extension de l'animisme Ă©tait due Ă  la mentalitĂ© particuliĂšre du primitif qui, comme un enfant, ne peut pas distinguer l'animĂ© de l'inanimĂ©. Puisque les premiers ĂȘtres dont l'enfant commence Ă  avoir une idĂ©e sont les hommes, c'est-Ă -dire lui-mĂȘme et ceux qui l'entourent, c'est sur ce modĂšle de la nature humaine qu'il tend Ă  tout penser. 
Maintenant, le primitif pense comme un enfant. Par consĂ©quent, il est Ă©galement enclin Ă  doter toutes les choses, mĂȘme inanimĂ©es, d'une nature analogue Ă  la sienne. »

Jean Piaget

Dans les annĂ©es 1920, Jean Piaget[24] utilise le mot Ă  propos de la psychologie du dĂ©veloppement chez l'enfant de 6 Ă  14 ans. « Animisme : tendance Ă  concevoir les choses comme Ă©tant vivantes et douĂ©es d'intention ». Par exemple, l'enfant dit que la chaise contre laquelle il se cogne est « mĂ©chante », il croit que sa poupĂ©e est vivante. « L’animisme est une forme primitive de causalitĂ© dans laquelle la rĂ©alitĂ© tout entiĂšre tend Ă  ĂȘtre conçue comme peuplĂ©e d’ĂȘtres animĂ©s, dotĂ©s d’un vouloir-ĂȘtre et d’un vouloir-faire plus ou moins conscient. Ainsi les nuages bougent parce qu’ils veulent bouger, comme le font les animaux lorsqu’ils se dĂ©placent. Pour la mentalitĂ© animiste, la cause premiĂšre des phĂ©nomĂšnes est considĂ©rĂ©e comme interne aux ĂȘtres qui y sont impliquĂ©s. L’animisme est tout Ă  la fois un biocentrisme et un psychocentrisme diffus, il tend Ă  identifier chaque ĂȘtre extĂ©rieur Ă  la notion spontanĂ©e que l’ĂȘtre humain se fait de lui-mĂȘme, comme source d’action sur la rĂ©alitĂ© extĂ©rieure[25] ».

Selon la thĂ©orie de Piaget, durant le « stade 1 », Ă  6-7 ans, l'enfant confond vie et activitĂ© : le Soleil est vivant, puisqu'il Ă©claire. Durant le « stade 2 », vers 7-8 ans, l'enfant, plus prĂ©cisĂ©ment, assimile vie et mouvement : la table n'est pas vivante car elle ne bouge pas, mais le Soleil, oui, car il bouge. Durant le « stade 3 », vers 9-10 ans, l'enfant tient la vie pour le mouvement propre : la mouche est vivante car elle se meut elle-mĂȘme, mais la bicyclette, non, car on la pousse. Enfin, durant le « stade 4 », vers 11-12 ans, l'enfant n'attribue la vie qu'aux plantes et aux animaux[26].

DÚs 1932, cette théorie est contestée, par exemple par Johnson et Josey qui déclarent n'observer rien de tel[27].

Animisme, écologie et spiritualité

Le code moral de l'animisme est basĂ© sur un sens sophistiquĂ© de la durabilitĂ©. Il s'agit de maintenir le statu quo environnemental et de se conformer aux souhaits de l'esprit de la terre, qui pourrait ĂȘtre mĂ©taphoriquement la terre elle-mĂȘme[28].

Graham Harvey, maĂźtre de confĂ©rences en Ă©tudes religieuses Ă  l'Open University au Royaume-Uni et auteur du livre publiĂ© en 2005 Animism, Respecting the living world, a estimĂ© que la vision de l'animisme sur l'identitĂ© de la personne reprĂ©sentait un dĂ©fi radical aux perspectives dominantes de la modernitĂ©, car elle accorde « l'intelligence, la rationalitĂ©, la conscience, la volontĂ©, l'agence, l'intentionnalitĂ©, le langage et le dĂ©sir » aux non-humains. De mĂȘme, elle remet en question la conception de l'unicitĂ© humaine qui prĂ©vaut Ă  la fois dans les religions abrahamiques et le rationalisme occidental[28].

Les animaux

L'animisme implique la croyance que « tous les ĂȘtres vivants ont une Ăąme » et donc une prĂ©occupation centrale de la pensĂ©e animiste concerne la maniĂšre dont les animaux peuvent ĂȘtre mangĂ©s ou utilisĂ©s d'une autre maniĂšre pour les besoins de subsistance des humains. Les actions des animaux non humains sont considĂ©rĂ©es comme « intentionnelles, planifiĂ©es et pourvues d'un but » et sont considĂ©rĂ©es comme des personnes parce qu'elles sont Ă  la fois vivantes et communiquent avec les autres[28].

Dans les visions animistes du monde, les animaux non humains sont considérés comme participant à des systÚmes et des cérémonies de parenté avec les humains, tout en ayant leurs propres systÚmes et cérémonies de parenté. Harvey a cité un exemple de compréhension animiste du comportement animal qui s'est produit lors d'un powwow tenu par les Mi'kmaq de Conne River en 1996 ; un aigle a survolé la cérémonie, en tournant au-dessus du groupe de tambours central. Les participants assemblés ont crié kitpu (« aigle »), pour souhaiter la bienvenue à l'oiseau et exprimer leur plaisir devant sa beauté, et ils ont plus tard exprimé l'opinion que les actions de l'aigle reflétaient son approbation de l'événement et le retour des Mi'kmaq aux pratiques spirituelles traditionnelles[28].

Cette relation aux animaux entraĂźne une conception particuliĂšre de la chasse :

« La chasse n'est pas du tout pratiquĂ©e dans un esprit agressif, et n'est certainement pas un « sport de sang » ou motivĂ© par des tendances sadomasochistes
 [elle n'est pas non plus] une guerre contre les animaux, mais plutĂŽt une occupation presque sacrĂ©e
 Le pouvoir rituel se manifeste dans le gibier qu'ils chassent, et gĂ©nĂ©ralement les chasseurs-cueilleurs considĂšrent les animaux comme des Ă©gaux spirituels qui, dans un sens important, se laissent tuer si le chasseur est dans la bonne condition mentale et spirituelle[29]. »

Les éléments

Diverses cultures animistes considĂšrent Ă©galement les pierres comme des personnes. En discutant des travaux ethnographiques menĂ©s chez les OjibwĂ©s, Harvey a notĂ© que leur sociĂ©tĂ© considĂ©rait gĂ©nĂ©ralement les pierres comme inanimĂ©es, Ă  deux exceptions prĂšs : les pierres des Bell Rocks et celles qui se trouvent sous les arbres frappĂ©s par la foudre, qui Ă©taient censĂ©es ĂȘtre devenues des Thunderers. Les OjibwĂ©s concevaient le temps comme un Ă©lĂ©ment de la personnalitĂ©, les tempĂȘtes Ă©tant conçues comme des personnes appelĂ©es Thunderers dont les sons transmettraient des communications et qui se livreraient Ă  des conflits saisonniers pour les lacs et les forĂȘts, jetant des Ă©clairs sur les monstres des lacs. Le vent, de mĂȘme, peut ĂȘtre conçu comme une personne dans la pensĂ©e animiste[28].

L'importance du lieu est également un élément récurrent de l'animisme, certains lieux étant compris comme des personnes à part entiÚre[28].

De mĂȘme, la relation aux Ă©lĂ©ments comme des personnes entraĂźne des relations diffĂ©rentes entre ĂȘtres humains et matĂ©riaux :

La coupe et la sculpture du bois ou de la pierre entraĂźnent autant de pertes de vie que la coupe et la sculpture des os. Les os peuvent provenir d'ĂȘtres dont la matiĂšre (os, chair, sang, etc.) ressemble davantage Ă  la nĂŽtre, mais la diffĂ©rence entre nous et les arbres ou les rochers ne diminue en rien le fait que les couper revient Ă  les agresser. L'enlĂšvement de la vie devient inĂ©vitablement Ă©vident. La sculpture et les arts dĂ©coratifs fleurissent chez les Maoris, mais loin d'essayer d'Ă©viter une conscience de la violence commise, cette conscience est centrale et gĂ©nĂ©ratrice[29].

Les esprits

L'animisme peut également impliquer l'établissement de relations avec des entités spirituelles non corporelles[28]. Ceux-ci impliquent une relation avec des personnes autres-que-humaines sans que celles-ci ne relÚvent systématiquement d'une transcendance :

« Il est peut-ĂȘtre nĂ©cessaire de notifier avec force que dans la discussion qui suit, les termes « personne » et « personne autre qu'une personne humaine » ne sont pas destinĂ©s Ă  remplacer des mots comme « esprit » ou « divinitĂ© ». Ils ne font pas rĂ©fĂ©rence Ă  des ĂȘtres « plus grands que l'homme » ou « surnaturels », Ă  moins que cela ne soit spĂ©cifiĂ© d'une autre maniĂšre. Les animistes peuvent reconnaĂźtre l'existence et mĂȘme la prĂ©sence de divinitĂ©s ou de personnes dĂ©sincarnĂ©es (si c'est ce que signifie le mot « esprit »), mais leur statut de personne est un fait plus gĂ©nĂ©ral[29]. »

Le « nouvel animisme » et l'anthropologie postmoderne

Graham Harvey, dans une veine néo-païenne et écologique, parle du « nouvel animisme ». Avec ce terme, Harvey décrit l'approche des anthropologues qui sont conscients que leurs concepts contrastent avec les hypothÚses des premiers anthropologues[4].

Une critique des approches modernes en anthropologie

Ces approches, d'aprÚs l'anthropologue Nurit Bird-David visent à éviter l'hypothÚse moderniste selon laquelle l'environnement consiste en un monde physique distinct du monde des humains, ainsi que la conception moderniste de personne composée de maniÚre dualiste d'un corps et d'une ùme[23] .

Le « nouvel animisme » a Ă©mergĂ© en grande partie des publications de l'anthropologue Irving Hallowell qui ont Ă©tĂ© produites sur la base de ses recherches ethnographiques parmi les communautĂ©s Ojibwe du Canada au milieu du XXe siĂšcle. Pour les Ojibwe dĂ©couverts par Hallowell, l'identitĂ© personnelle ne nĂ©cessitait pas une ressemblance humaine, mais plutĂŽt que les humains soient perçus comme d'autres personnes, ce qui inclut par exemple les peuples des rochers et les peuples des ours. Pour les Ojibwe, ces personnes Ă©taient des ĂȘtres dotĂ©s de volontĂ© propre qui acquĂ©raient un sens et un pouvoir par leurs interactions avec les autres ; en interagissant respectueusement avec les autres, ils apprenaient eux-mĂȘmes Ă  « agir comme une personne ». L'approche de Hallowell pour comprendre la personnalitĂ© des Ojibwe diffĂšre grandement des concepts anthropologiques antĂ©rieurs de l'animisme. Il soulignela nĂ©cessitĂ© de remettre en question les perspectives modernistes et occidentales de ce qu'est une personne en entrant en dialogue avec diffĂ©rentes visions du monde[28].

L'approche de Hallowell a influencé le travail de Nurit Bird-David, qui a produit un article[23] réévaluant l'idée d'animisme en 1999[28].

Nurit Bird-David soutient que les idées positivistes sur la signification de la « nature », de la « vie » et de la « personne » ont mal orienté les tentatives antérieures de comprendre les concepts locaux. Les théoriciens classiques auraient attribué leurs propres idées modernistes du soi aux « peuples primitifs »[23] .

Elle explique que l'animisme est une « épistémologie relationnelle » plutÎt qu'un échec du raisonnement primitif. En d'autres termes, l'identité du soi chez les animistes est fondée sur leurs relations avec les autres, plutÎt que sur des caractéristiques distinctives du soi. Au lieu de se concentrer sur le moi moderniste et essentialisé (« individuals »), les personnes sont considérées comme des faisceaux de relations sociales (« dividuals »), dont certaines incluent des « superpersonnes » (c'est-à-dire des non-humains)[23] .

Comme Bird-David, Tim Ingold soutient que les animistes ne se considÚrent pas comme séparés de leur environnement[30] :

« Les chasseurs-cueilleurs n'abordent pas, en rĂšgle gĂ©nĂ©rale, leur environnement comme un monde extĂ©rieur de nature qui doit ĂȘtre saisi intellectuellement
 En effet, la sĂ©paration de l'esprit et de la nature n'a pas sa place dans leur pensĂ©e et leur pratique. »

Rane Willerslev prolonge l'argument en notant que les animistes rejettent ce dualisme cartĂ©sien et que le moi animiste s'identifie au monde, « se sentant Ă  la fois Ă  l'intĂ©rieur et Ă  l'extĂ©rieur de celui-ci, de sorte que les deux glissent sans cesse l'un vers l'autre dans un circuit fermĂ© ». Le chasseur animiste est donc conscient d'ĂȘtre un chasseur humain, mais, par mimĂ©tisme, il est capable d'adopter le point de vue, les sens et les sensibilitĂ©s de sa proie, de ne faire qu'un avec elle[31].

Graham Harvey souligne également la différence radicale entre les systÚmes de connaissance occidentaux modernes et ceux des peuples dits animistes :

« Les ontologies et Ă©pistĂ©mologies animistes ont Ă©tĂ© vues sous un mauvais jour par rapport aux dualitĂ©s dĂ©terminantes de la philosophie et de la science modernistes (combinĂ©es sous le terme de « rationalisme »). Ceux-lĂ  semblent provenir et ĂȘtre renforcĂ©s par une expĂ©rience relationnelle, incarnĂ©e, subjective, particuliĂšre, localisĂ©e, traditionnelle et sensuelle plutĂŽt que par une rĂ©flexion impartiale, intellectuelle, objective, universalisĂ©e, globale, progressive et rationnelle. En cĂ©lĂ©brant ce que des personnes particuliĂšres - des groupes et des participants Ă  des groupes - vivent dans des lieux particuliers en s'engageant dans des relations spĂ©cifiques, les animismes semblent aller Ă  l'encontre des systĂšmes de connaissances cartĂ©siens et occidentaux[29]. »

Relation des peuples animistes au surnaturel

Selon Graham Harvey, professeur en Ă©tudes religieuses Ă  l'Open University, l'animisme ne reprĂ©sente pas une forme de religion particuliĂšre mais plutĂŽt un point de vue gĂ©nĂ©ral et une maniĂšre de concevoir les relations aux ĂȘtres vivants. La perception d'entitĂ©s autres-que-humaines n'implique en effet ni que celles-ci ne pensent ou n'agissent comme des humains vivants, ni que celles-ci soient des divinitĂ©s ; de ce fait la notion d'esprit en animisme est certainement Ă©loignĂ©e des conceptions modernes du surnaturel[29].

Les sociĂ©tĂ©s dites animistes peuvent par exemple disposer d'un culte des ancĂȘtres, cependant si la mort peut transformer radicalement les ĂȘtres humains qui deviennent des ancĂȘtres, ce n'est lĂ  qu'une autre dĂ©monstration des processus qui peuvent ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme propres Ă  la vie[29].

D'autre part,

« Puisque les signes indiquant la « personnalitĂ© » reconnue par les animistes comprennent gĂ©nĂ©ralement le pouvoir de transformation, la mort peut ĂȘtre perçue comme une grande transformation plutĂŽt que comme une cessation dĂ©finitive. Certainement, par exemple, la chose la moins intĂ©ressante concernant les ancĂȘtres est bien qu'il soient morts[29]. »

Les relations avec ces personnes autres entraĂźnent par la suite des formes de ritualisation et l'intervention de pratiques magiques ou chamaniques :

« Le maintien et le dĂ©veloppement de la communautĂ© humaine au sein de la communautĂ© de vie Ă©largie - de personnes dont certaines seulement sont humaines - exige d'Ă©normes efforts pour Ă©tablir, sauvegarder, rĂ©parer, stabiliser et amĂ©liorer les relations menacĂ©es par divers actes quotidiens de violence intime. Autrement dit, les besoins nutritionnels ordinaires agressent la communautĂ© de vie et exigent une action vigoureuse pour prĂ©venir la mise en danger rĂ©ciproque des communautĂ©s humaines. Cela pourrait Ă©galement ĂȘtre vrai pour les communautĂ©s autres que humaines et les rĂ©sultats de leurs besoins nutritionnels, et pourrait donc constituer une raison pour leur Ă©laboration parallĂšle d'un mode d'ĂȘtre culturel, etc. et leur emploi de chamans (autres que humains). Cependant, bien que le respect de toute vie soit important, il existe des agresseurs prĂ©dateurs, des ennemis et surtout des personnes dotĂ©es de capacitĂ©s « magiques », qui sont loin d'ĂȘtre les bienvenus et qui doivent ĂȘtre traitĂ©s d'une maniĂšre ou d'une autre. Ces faits quotidiens de violence et d'intimitĂ© mettent Ă  l'Ă©preuve les limites de la vie humaine aux cĂŽtĂ©s des autres. Leur solution est l'emploi de chamans[29]. »

L'animisme en philosophie

Ogura Kizo, professeur d'études des civilisations à l'université de Kyoto considÚre la philosophie originelle de Confucius (particuliÚrement dans les Analectes) comme typique d'une pensée animiste[32].

Cette pensĂ©e est dĂ©crite comme appartenant Ă  la « troisiĂšme vie », qui diffĂšre de la « premiĂšre vie », physique et biologique, ainsi que de la « deuxiĂšme vie », conçue comme Ă©tant celle prĂŽnĂ©e par les chamanes et TaoĂŻstes de l'Ă©poque (Ă  savoir une vision de l'homme spirituel comme maĂźtre de la Terre et du Ciel), ainsi que par l'un des continuateurs cĂ©lĂšbres de Confucius, Mencius, a qui est attribuĂ©e une pensĂ©e de type spiritualiste, prĂŽnant que tous les objets dans le monde seraient faits de « matiĂšre spirituelle » ou qi (æ°Ł)[32].

La premiĂšre vie La deuxiĂšme vie La troisiĂšme vie
Nature, essence Physique, biologique Religieuse, spirituelle Conscience, reconnaissance de l'entre-deux
Locus Individuelle, corps humain Universelle Intersubjective (humain-humain et nature-humain)
Mode d'existence Visible et tangible dans ce monde Transcendante, transpersonnelle Accidentelle, allusive, apparition
Domaine Besoin et désirs humains Tout Contingence
Type de contenu Substantielle Vérité absolue Esthétique, sensuelle

Selon lui, l'exemple du shintoĂŻsme japonais montre que le facteur dĂ©terminant afin d'employer le terme d'animisme n'est pas la transcendance mĂȘme du Ciel. Si de nombreux membres d'une communautĂ© humaine, que ce soit un village ou un pays, perçoivent une indication de vie ou d'anima dans une pierre, celle-ci peut ĂȘtre appelĂ©e kami, non pas parce que le caractĂšre pieux de la pierre descend du Ciel, mais parce que les gens reconnaissent son caractĂšre kami au motif qu'ils partagent certains sentiments subjectifs mais communs[32].

Une lecture attentive de la littérature confucéenne indique que la notion de ren (仁) a des liens logiques profonds avec la vie de « l'entre-deux », et au sein des entités sociales : de ce fait, l'animisme originel propre à la pensée confucéenne se serait perdu, car il indiquerait une incompatibilité avec le panthéisme, le spiritualisme et le chamanisme[32].

Selon les Ă©tudes anthropologiques de Takako Yamada, il est cependant erronĂ© de penser l'animisme comme une croyance dans les esprits fondĂ©e sur un systĂšme philosophique ou phĂ©nomĂ©nologique. De ce fait, des Ă©tudes portant sur les AĂŻnu, les Ladhaki et les Sakha montrent le caractĂšre insĂ©parable de l'animisme et du chamanisme, le premier reprĂ©sentant l'idĂ©e et l’interprĂ©tation de l’ensemble des phĂ©nomĂšnes spirituels dans une culture, le second un dispositif de mise en scĂšne visant Ă  distribuer l'Ă©nergie de ces phĂ©nomĂšnes dans la vie de tous les jours[33].

Bibliographie

  • Robert AssĂ©o, Jean-Louis Baldacci, Bernard Chervet (et al.), L'animisme parmi nous, Presses universitaires de France, Paris, 2009, 219 p. (ISBN 978-2-13-056899-5) (actes d'un colloque rĂ©unissant des anthropologues et des psychanalystes autour du thĂšme de l'animisme, les 29 et au MusĂ©e du quai Branly, Paris)
  • Denis Bon, L'animisme : l'Ăąme du monde et le culte des esprits, De Vecchi, Paris, 2002, 140 p. (ISBN 978-2-7328-3356-9)
  • J. E. Chancerel, Recherches sur la pensĂ©e biologique de Stahl, 1934.
  • Philippe Descola, Par-delĂ  nature et culture, Gallimard, « BibliothĂšque des sciences humaines », Paris, 2005. (ISBN 978-2-07-077263-6)
  • (en) Graham Harvey, Animism : respecting the living world, Columbia University Press, New York, 2006, 248 p. (ISBN 978-0-231-13701-0) (br.)
  • Lothar KĂ€ser, Animisme. Introduction Ă  la conception du monde et de l’homme dans les sociĂ©tĂ©s axĂ©es sur la tradition orale, Excelsis, Charols, 2010. (ISBN 978-2-7550-0115-0)
  • GĂ©za RĂłheim, L'animisme, la magie et le roi divin (prĂ©f. de Tobie Nathan), Payot, Paris, 2000 (Ă©d. en anglais, 1930), 458 p. (ISBN 978-2-228-89292-6)
  • Edward Tylor, La civilisation primitive (Primitive Culture, 1871, traduit de l'anglais sur la deuxiĂšme Ă©dition par Pauline Brunet et Edmond Barbier), C. Reinwald et Ce, Paris, 1876-78, 2 vol. (XVI-584, VIII-597 p.)

Notes et références

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  4. (en) Katherine Swancutt, « Animism », Cambridge Encyclopedia of Anthropology,‎ (lire en ligne, consultĂ© le )
  5. Georg Ernst Stahl, ƒuvres mĂ©dico-philosophiques et pratiques, trad. et comm. T. Blondin, 1859-1864, 5 vol. parus. T. III et t. IV : Vraie thĂ©orie mĂ©dicale, 1863, [lire en ligne].
  6. « L’animisme est la croyance que les ĂȘtres naturels ont des forces spirituelles qui les habitent et qui leur donnent une puissance surhumaine » E. B. Tylor, Primitive Culture, 1903, I, p. 427 ;& 1924 [orig. 1871] Primitive Culture. 2 vols. 7th ed. New York: Brentano's.
  7. « L’animisme est le fondement de la religion, depuis celle des sauvages jusqu’à celle des civilisĂ©s » Edward Tylor, Primitive Culture, 1903, I, p. 426
  8. « Animisme », article de G. Le Moal dans Dictionnaire de l'ethnologie et de l'anthropologie, sous la direction de Michel Izard et Pierre Bonte, Presses universitaires de France, Paris, 4e éd. coll. « Quadrige. Dicos poche », 2007, p. 72-73 (ISBN 978-2-13-055999-3)
  9. « L'animisme est-il une religion ? », loc. cit.
  10. Comme dans ce rĂ©cit de ce missionnaire, ThĂ©ophile Burnier, Âmes primitives : contribution Ă  l'Ă©tude du sentiment religieux chez les paĂŻens animistes, 1922.
  11. « Jusqu'ici le concept d'animisme a une connotation pĂ©jorative. Peu de gens sont capables de s'affirmer animistes » (Chindji Kouleu, NĂ©gritude, philosophie et mondialisation, Éditions CLE, YaoundĂ©, 2001, p. 91).
  12. « Philippe Descola, anthropologue : L'animisme est-il une religion ? », propos recueillis par Nicolas Journet, Les Grands Dossiers des Sciences humaines, no 4, décembre 2006/janvier-février 2007, p. 36-39.
  13. Philippe Descola, Par-delĂ  nature et culture, Gallimard, 2005.
  14. Nicolas Journet, « L'animisme est-il une religion ? Entretien avec Philippe Descola », sur Sciences Humaines (consulté le ).
  15. Dominique Sarr, L’ombre des Guelwaars, Paris, L’Harmattan, , p.301
  16. Louis-Vincent Thomas, Cinq essais sur la mort africaine, Dakar, Université de Dakar, , p. 7 sqq.
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  31. (en) Ogura Kizo, Confucianisms for a Changing World Cultural Order, Roger T. Ames et Peter D. Hershock (lire en ligne), Animism and Spiritualism: The Two Origins of Life in Confucianism (chapitre)
  32. (en) Takako Yamada, An anthropology of animism and shamanism /, Akadémiai Kiadó, (ISBN 978-963-05-7683-3, lire en ligne)

Voir aussi

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