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Cannibalisme

Le cannibalisme est une pratique qui consiste à consommer, complètement ou partiellement, un individu de sa propre espèce. L'expression s'applique à la fois aux animaux qui dévorent des membres de leur groupe, cannibalisme animal, et aux êtres humains qui consomment de la chair humaine, cannibalisme et/ou anthropophagie.

Cannibalisme au Brésil en 1557 décrit par Hans Staden.
Exemple de comportement de cannibalisme occasionnellement observé chez certaines larves de coccinelle Harmonia axyridis manquant de nourriture ou présentes en densité inhabituelle.

Le mot

Étymologie

Le substantif[1] - [2] - [3] « cannibale » est un emprunt[1] - [2] - [4], par l'intermédiaire de l'italien cannibale[5] et du latin[2], à l'espagnol[1] caníbal[6] qui provient du mot caniba ou cariba utilisé par les Taïnos que Christophe Colomb a rencontrés lors de son premier séjour sur Hispaniola. Il désignait alors, selon le journal de bord de Christophe Colomb[7], les redoutables populations de l'est de l'île qui combattaient les autres peuples indigènes et mangeaient leurs victimes. En débarquant à la Guadeloupe en novembre 1493, Christophe Colomb et son équipage ont découvert des ossements humains qu'ils ont alors attribués aux mêmes peuples Cariba, Caniba, devenus Caribales ou Canibales[8]. Les Caniba de Christophe Colomb sont, dans son imaginaire, des sujets du grand Khan. « La confusion de ce nom générique et la racine canis (chien) ont assimilé les mangeurs d'hommes aux mythiques cynocéphales qui peuplaient l'imagerie médiévale »[9]. Le mot caraïbe est alors employé pour désigner les autochtones des Petites Antilles mais aussi les anthropophages du Nouveau Monde, avant de se répandre en Europe et de prendre la forme « cannibale » dans le sens de « sauvage » mangeur d'homme, l'horreur se cristallisant sur ce terme alors que celui d'anthropophagie était déjà utilisé[10]. En 1572, Montaigne y consacre une partie du premier livre (I, 31) de ses Essais, et Shakespeare s'en inspire en 1611 pour créer le personnage maléfique de Caliban dans sa comédie La Tempête.

Sens premier

Le cannibalisme, lorsqu'il concerne la consommation de viande humaine par des humains, est également appelé « anthropophagie », du grec anthropos (homme) et phagein (manger). Les deux termes peuvent s'utiliser indifféremment, mais les spécialistes distinguent parfois les deux expressions selon l'origine de la pratique (cannibalisme étant réservé aux peuples « sauvages »), selon ses modalités (le cannibalisme comporterait plus souvent un aspect rituel), ou encore selon la finalité de cette pratique (on emploierait de préférence l'un des termes s'il est question de survie, quand il s'agit de s'approprier les qualités de la victime, ou encore quand l'objectif consiste à effrayer les ennemis, etc.

On distingue l’endocannibalisme, qui consiste à manger les membres de son groupe humain, et l’exocannibalisme, qui consiste à manger des membres d'un autre groupe humain.

Le sens de cannibalisme a été élargi. Alors que le terme anthropophagie désigne le fait pour un être humain de manger d'autres êtres humains, le terme cannibalisme désigne également le fait pour un animal de consommer d'autres membres de son espèce.

Sens dérivés

Le verbe « cannibaliser » est parfois utilisé dans des sens connexes :

  • en marketing : la « cannibalisation des ventes » dĂ©signe le fait qu'un nouveau produit se dĂ©veloppe au dĂ©triment d'un ou de plusieurs produits (de la mĂŞme marque ou de la concurrence), dĂ©jĂ  bien implantĂ©s sur le marchĂ© ;
  • en mĂ©canique ou en Ă©lectronique, en particulier dans l'armĂ©e, le cannibalisme consiste Ă  prĂ©lever des pièces d'un ou plusieurs appareils (en gĂ©nĂ©ral hors d'usage) afin de constituer ou rĂ©parer un appareil en Ă©tat de fonctionnement ;
  • dans le langage familier « cannibaliser » peut signifier s'approprier le travail, les ressources ou les idĂ©es d'autrui.

Histoire

Les premières traces de cannibalisme remontent Ă  la prĂ©histoire. De nos jours, le premier animal dont les traces archĂ©ologiques laissent supposer qu'il pratiquait occasionnellement le cannibalisme serait le dinosaure carnivore Majungasaurus, qui vivait il y a environ -70 millions d'annĂ©es, sur le site de Mahajanga, Ă  Madagascar. Chez l'humain, le site le plus ancien actuellement connu est Atapuerca, en Espagne, vieux de 800 000 ans[11]. On a trouvĂ© en 1994, 11 ossements humains (enfants, femmes, hommes) avec des marques de dĂ©capitation, des stries de boucherie et des fractures anthropiques (notamment sur des os Ă  moelle) opĂ©rĂ©es par des outils en pierre, le tout mĂŞlĂ© Ă  des restes d'animaux (bisons, cerfs, moutons sauvages).

La Bible considère le cannibalisme comme une malédiction (Lévitique 26 verset 29[12], 2 Rois 6 verset 28). Paul VI a absous le cannibalisme de survie, pratiqué par les survivants du Vol 571 Fuerza Aérea Uruguaya[13].

Au XIXe siècle, le Ratu Udre Udre, un chef cannibale d'un peuple fidjien vivant dans le nord de l'île de Viti Levu, s'est fait connaître par sa cruauté. Selon les chiffres, le bilan de ses victimes s'élèverait de 872 à 999 personnes[14], même si des chiffres inférieurs ont été avancés[15].

Les premiers vrais travaux scientifiques sur le cannibalisme sont menés dans les années 1970 et 1980 par des chercheurs comme Laurel R. Fox[16] et Gary Allan Polis qui montrent que cette pratique est répandue dans la nature et qu'elle est liée à des phénomènes complètement naturels (par exemple certains chimpanzés, le sanglier, le lion et l'ours, sont souvent placentophages et teknophages, la dévoration étant précédée d'un infanticide), s'expliquant notamment par la sélection sexuelle et des conditions environnementales difficiles (manque de nourriture, compétition[17]).

Ethnologie

Le cannibalisme est étudié, chez les ethnologues et anthropologues[18], tantôt dans le cadre d'une culture précise, d'une société spécifique (Hélène Clastres pour les Tupinamba, Marcel Detienne pour la Grèce)[19], tantôt comme phénomène universel (E. Sagan, H. Harris)[20].

Le cas le plus célèbre est sans doute celui des Tupinamba du Brésil, étudiés au XVIe siècle[21].

Représentations artistiques

Au théâtre

Au cinéma

Bibliographie

  • Gonzalez Alaña Ian, Cadavres exquis. Au cĹ“ur du cannibalisme, Fage Editions, , 96 p. (ISBN 9782849756232)
  • Mondher Kilani, Du goĂ»t de soi. Fragments d'un discours cannibale, Le Seuil, (lire en ligne)
  • Angelica Montanari, Cannibales. Histoire de l'anthropophagie en Occident, ArkhĂŞ, 2018.
  • Pierre-Antoine Bernheim et Guy Stravidès, Cannibales !, Plon, 1992.
  • Martin Monestier, Cannibales, histoire et bizarreries de l'anthropophagie hier et aujourd'hui, Le cherche midi, 2000, 264 pages.
  • Zheng Yi, Stèles rouges : du totalitarisme au cannibalisme, Ă©d. Bleu de Chine, 1999 (ISBN 2-910884-13-9), [document consultable et tĂ©lĂ©chargeable en ligne].
  • Ladan Niayesh, Aux frontières de l’humain : figures du cannibalisme dans le théâtre anglais de la Renaissance, Éditions HonorĂ© Champion, 2009.
  • Julien Picquart, Notre dĂ©sir cannibale, La Musardine, 2011.
  • (en) Jennifer Brown, Cannibalism in Literature and Film, Houndsmills, Palgrave Macmillan, , XI-258 p. (ISBN 978-0-230-36051-8 et 978-1-349-34784-1, lire en ligne).
  • Gab Stael, Human Food, thrillers, Editions Elixyria, 2019
  • Georges Guille-Escuret, « Le syndrome MicromĂ©gas », Techniques & Culture, 2008, mis en ligne le 31 dĂ©cembre 2010, consultĂ© le 18 octobre 2019. [lire en ligne].

Notes et références

  1. « Cannibale », dans le Dictionnaire de l'Académie française, sur Centre national de ressources textuelles et lexicales [consulté le ].
  2. Informations lexicographiques et étymologiques de « cannibale » dans le Trésor de la langue française informatisé, sur le site du Centre national de ressources textuelles et lexicales [consulté le ].
  3. Entrée « cannibale » des Dictionnaires de français [en ligne], sur le site des éditions Larousse [consulté le ].
  4. EntrĂ©e « cannibale », dans Alain Rey (dir.), Marianne Tomi, Tristan HordĂ© et Chantal Tanet, Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Dictionnaires Le Robert, (rĂ©impr. janvier 2011), 4e Ă©d. (1re Ă©d. fĂ©vrier 1993), 1 vol., XIX-2614, 29 cm (ISBN 978-2-84902-646-5 et 978-2-84902-997-8, OCLC 757427895, BNF 42302246, SUDOC 147764122, lire en ligne) [consultĂ© le ].
  5. Entrée « cannibale » du Dictionnaire bilingue français – italien [en ligne], sur le site des éditions Larousse [consulté le ].
  6. Entrée « cannibale » du Dictionnaire bilingue français – espagnol [en ligne], sur le site des éditions Larousse [consulté le ].
  7. Christophe Colomb, La Découverte de l’Amérique. Journal de bord, 1492-1493, Paris : Maspero (La Découverte), 1979, p. 94
  8. Simone Dreyfus-Gamelon, « Et Christophe Colomb vint… », Ethnies, no 14, 1993, p. 94–105.
  9. Jean-Paul Duviols, Le miroir du nouveau monde: images primitives de l'Amérique, Presses Paris Sorbonne, 2006, p. 8
  10. Abdelhakim Charif, Frédéric Duhart, Yannick Le Pape, Anthropologie historique du corps, L'Harmattan, 2006, p. 190
  11. José Maria Bermúdez de Castro, National Geographic, août 2010.
  12. « Si, malgré cela, vous ne m'écoutez point et si vous me résistez, je vous résisterai aussi avec fureur et je vous châtierai sept fois plus pour vos péchés. Vous mangerez la chair de vos fils, et vous mangerez la chair de vos filles. Je détruirai vos hauts lieux, j'abattrai vos statues consacrées au soleil, je mettrai vos cadavres sur les cadavres de vos idoles, et mon âme vous aura en horreur. Je réduirai vos villes en déserts, je ravagerai vos sanctuaires, et je ne respirerai plus l'odeur agréable de vos parfums. Je dévasterai le pays, et vos ennemis qui l'habiteront en seront stupéfaits. Je vous disperserai parmi les nations et je tirerai l'épée après vous. Votre pays sera dévasté, et vos villes seront désertes. » (le texte peut varier selon les traductions de la bible)
  13. Alexandre Bassette, « Le cannibalisme «de survie» existe toujours », sur lefigaro.fr, .
  14. Daniel Pardon, « Udre Udre, l’homme qui en mangea 872 autres ! », sur Tahiti infos,
  15. « 99 pleasures of the flesh », Ottawa Journal,‎ (lire en ligne, consulté le )
  16. Ce zoologue recense des cas de cannibalismes dans de nombreux groupes d'animaux : protozoaires, planaires, rotifères, copépodes, centipèdes, acariens, araignées, insectes, poissons, anoures, serpents, oiseaux et mammifères. Cf (en) Laurel R. Fox, « Cannibalism in Natural Populations », Annual Review of Ecology and Systematics, vol. 6,‎ , p. 87-106 (DOI 10.1146/annurev.es.06.110175.000511).
  17. (en) G. Polis, « The evolution and dynamics of intraspecific predation », Annual Review of Ecology and Systematics, vol. 12,‎ , p. 225–251 (DOI 10.1146/annurev.es.12.110181.001301).
  18. Pierre Bonte et Michel Izard, Dictionnaire de l'ethnologie et de l'anthropologie, PUF, 1991, p. 124.
  19. Hélène Clastres, « Les beaux-frères ennemis. À propos du cannibalisme tupinamba », Nouvelle revue de psychanalyse, no 6, 1972, p. 71-82 lire en ligne. Marcel Detienne, « Entre bêtes et dieux », Nouvelle revue de psychanalyse, no 6 : « Destins du cannibalisme », 1972, p. 231-246.
  20. H. Harris, Cannibales et monarques. Essai sur l'origine des cultures (1972), trad., Flammarion, 1979. E. Sagan, Cannibalism: Human Agression and Cultural Form, New York, Harper and Row, 1974.
  21. André Thevet,Les Singularités de la France Antarctique (1557), édition annotée par Frank Lestringant, éd. Chandeigne, 1997. Jean de Léry, Histoire d'un voyage faict en la terre du Brésil (1578), coll. « Les classiques de poche », 1994.

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