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SĂ©lection sexuelle

La sélection sexuelle constitue l'un des deux mécanismes de la sélection naturelle, celui qui est lié à la « lutte pour la reproduction », distincte et complémentaire de la « lutte pour la survie » (ou sélection de survie). Cette théorie comprend deux mécanismes de base, la compétition intrasexuelle et la sélectivité intersexuelle.

La queue et la parade nuptiale du paon sont des produits de la sélection sexuelle. Leur fonction biologique est de séduire la femelle[1].

Proposée par Charles Darwin dÚs 1859, l'idée d'une sélection sexuelle a été rejetée pendant plus d'un siÚcle, victime des a priori des biologistes. Ce n'est que dans les années 1990 que ce domaine de recherche a pris son essor, la sélection sexuelle se révélant en réalité une pierre angulaire de la sélection naturelle.

Présentation générale

Exemple classique de dimorphisme sexuel : le cerf volant.

Le concept de sĂ©lection sexuelle dĂ©signe, dans la compĂ©tition entre les individus d'une mĂȘme espĂšce en vue de l'accouplement, l'Ă©volution de certains traits hĂ©rĂ©ditaires de façon indĂ©pendante des facteurs de survie propres (ex : le plumage de parade nuptial du paon est un phĂ©notype clairement dĂ©savantageux pour Ă©chapper aux prĂ©dateurs mais trĂšs avantageux dans la sĂ©duction d'une femelle). Cette compĂ©tition entre individus d'une mĂȘme espĂšce (compĂ©tition « intraspĂ©cifique ») exerce une pression de sĂ©lection diffĂ©rente sur les individus mĂąles et femelles d'une mĂȘme population (compĂ©tition « sexe-dĂ©pendante »).

En biologie Ă©volutive, la sĂ©lection naturelle correspond Ă  toute sĂ©lection d'une meilleure capacitĂ© de survie ou de se reproduire dans un contexte donnĂ© (Ă©cosystĂšme Ă  l'Ă©quilibre, Ă©cosystĂšme en crise, etc). Parler spĂ©cifiquement de « sĂ©lection sexuelle » permet de circonscrire un des aspects de l'Évolution : la capacitĂ© Ă  se reproduire. Cette sĂ©lection sexuelle fait principalement appel Ă  deux phĂ©nomĂšne moteurs : le choix du partenaire (sĂ©lection intersexuelle) et la compĂ©tition pour l'accĂšs aux membres du sexe opposĂ© (sĂ©lection intrasexuelle)[2]. Une troisiĂšme composante, la compĂ©tition spermatique[3], participe aussi de la sĂ©lection sexuelle une fois les accouplements effectuĂ©s (il s'agit de la compĂ©tition entre spermatozoĂŻdes de diffĂ©rents individus au sein d'une mĂȘme femelle). La sĂ©lection sexuelle est un mĂ©canisme complexe parallĂšle Ă  la sĂ©lection naturelle de survie (ou « sĂ©lection Ă©cologique »), qui peut parfois prendre le pas sur celle-ci (exemple de cas extrĂȘme : les Ă©phĂ©mĂšres adultes ont perdu toute capacitĂ© de survie au profit des fonctions copulatoires). La sĂ©lection naturelle est en toute rigueur une combinaison sinon un compromis de ces deux types de sĂ©lections (sexuelle et Ă©cologique).

Parmi les illustrations frappantes et étudiées du phénomÚne de la sélection sexuelle :

  • Le dimorphisme sexuel : les diffĂ©rences morphologiques entre mĂąles et femelles d'une mĂȘme espĂšce reposant sur des parties et organes autres que gĂ©nitaux. C'est notamment le cas avec le plumage nuptial des oiseaux de paradis ou encore du paon mĂąles (les plumes du dos formant la fameuse « queue » chatoyante associĂ© Ă  l'animal).
  • la variĂ©tĂ© de la faune des GalĂĄpagos, oĂč existaient peu de prĂ©dateurs ; en un tel cas, la sĂ©lection de reproduction prend le pas sur la sĂ©lection de survie et peut conduire Ă  l'Ă©mergence de nouvelles espĂšces par spĂ©ciation sympatrique
  • La diffĂ©rence d'espĂ©rance de vie : dans beaucoup d'espĂšces, les mĂąles ont une espĂ©rance de vie plus courte (ex : cas des hymĂ©noptĂšres) ou modifiĂ©e du fait des activitĂ©s liĂ©es Ă  la preproduction (ex : combats et quasi-jeĂ»ne chez les mĂąles cervidĂ©s Ă  la saison du brĂąme). L'inverse existe aussi (ex : les pieuvres femelles meurent rapidement aprĂšs Ă©closion de leurs Ɠufs).

Selon la théorie du handicap, parce qu'un trait est facteur de risque pour la survie, il fait parfois l'objet d'une sélection sexuelle : les individus survivant malgré ce handicap sont potentiellement de bons reproducteurs car possédant d'autres traits (plus favorables) pour compenser. Par exemple la couleur foncée de la crinÚre du lion mùle est un autre phénomÚne de sélection sexuelle par les femelles, bien qu'un tel mùle souffre d'autant plus de la chaleur.

Historique

Charles Darwin et L'Origine des espĂšces

Charles Darwin distingue la « sélection naturelle » conférant un avantage de survie, et la « sélection sexuelle » conférant un avantage reproductif.

En publiant L'Origine des espĂšces[4] (1859), Charles Darwin rĂ©volutionne ce qui n'Ă©tait alors que l'hypothĂšse de l'Ă©volution en proposant le mĂ©canisme de sĂ©lection naturelle fondĂ© sur la reproduction diffĂ©rentielle des individus en fonction de leur capacitĂ© Ă  survivre. Conscient de ce que l'aptitude Ă  la survie est insuffisante pour expliquer certaines variations, il y propose Ă©galement la sĂ©lection sexuelle comme mĂ©canisme complĂ©mentaire, arguant que la compĂ©tition entre individus pour la reproduction sexuĂ©e peut aussi ĂȘtre un facteur majeur d'Ă©volution de certains traits inexplicables dans le seul cadre de la sĂ©lection Ă©cologique, l'exemple le plus connu citĂ© par Darwin Ă©tant celui de la queue du paon :

« 
Et ceci me conduit Ă  dire quelques mots de ce que j'appelle la sĂ©lection sexuelle. Celle-ci dĂ©pend non pas d'une lutte pour la survie, mais d'une lutte entre mĂąles pour la possession des femelles ; et le rĂ©sultat en est non pas la mort du perdant, mais le fait qu'il aura aucun ou peu de descendants. » (L'Origine des espĂšces, Charles Darwin)

L'idĂ©e que les espĂšces peuvent Ă©voluer Ă©tait connue, avec les travaux de Lamarck, Geoffroy Saint-Hilaire ou Cuvier ; l'idĂ©e de sĂ©lection naturelle Ă©tait dans l'air, et Alfred Russel Wallace l'exprime dans son essai de 1858, un an avant Darwin ; mais l'idĂ©e d'une sĂ©lection sexuelle Ă©tait en revanche originale et rĂ©volutionnaire[5]. Pour Darwin, la « sĂ©lection sexuelle » se prĂ©sente comme une intermĂ©diaire entre la « sĂ©lection naturelle » aveugle et la « sĂ©lection artificielle » de l'Ă©leveur visant une qualitĂ© particuliĂšre de l'espĂšce domestique : la sĂ©lection sexuelle est une sĂ©lection intĂ©ressĂ©e, fondĂ©e sur un processus cognitif, mais qui ne vise que l'intĂ©rĂȘt reproductif du sĂ©lectionneur[1]. Mais alors que sĂ©lections naturelle ou artificielle peuvent s'appliquer Ă  n'importe quelles espĂšces, Darwin considĂšre que la sĂ©lection sexuelle ne peut s'opĂ©rer qu'Ă  travers l'action d'un systĂšme cognitif Ă©laborĂ©, ce qui la rapproche plus de la sĂ©lection artificielle de l'Ă©leveur que de la sĂ©lection naturelle imposĂ©e par les forces de la nature[5] :

« Si un éleveur arrive en peu de temps à créer une variété de poule naine belle et de port élégant, suivant ses propres critÚres de choix, je ne peux trouver de raison de mettre en doute que des oiseaux femelles, en sélectionnant sur des milliers de générations les mùles les plus beaux ou les plus mélodieux, sont susceptibles de produire un effet marquant. » (L'Origine des espÚces, Charles Darwin)

La Filiation de l'homme et la sélection liée au sexe

Chez l'Ă©peronnier chinquis, la tache blanche est toujours en haut de l'ocelle quand le mĂąle fait la roue.

Bien que la sĂ©lection sexuelle soit donc mentionnĂ©e dans L'Origine des espĂšces, elle n'est exposĂ©e qu'en trois pages, ne faisant mĂȘme pas l'objet d'un chapitre. Il y consacre par la suite tout un ouvrage, la Filiation de l'homme et la sĂ©lection liĂ©e au sexe[6] (1871).

Dans la Filiation de l'homme et la sĂ©lection liĂ©e au sexe, Darwin souligne par exemple que chez l'Ă©peronnier chinquis, la tache blanche est toujours en haut de l'ocelle quand le mĂąle fait la roue, et que la seule fonction possible de ce trait est la parade nuptiale ; ce qui dĂ©montre Ă  la fois que la sĂ©lection sexuelle peut produire des traits extrĂȘmement complexes, et que la femelle dispose d'une capacitĂ© cognitive capable d'en apprĂ©cier la rĂ©gularitĂ© et de sanctionner d'Ă©ventuelles imperfections. Mais il souligne Ă©galement qu'un tel « choix » n'implique pas nĂ©cessairement de conscience, et peut intervenir chez toute espĂšce animale disposant d'un systĂšme nerveux suffisamment discriminant, comme des crustacĂ©s ou des insectes[5].

« 
ces traits ornementaux ont Ă©tĂ© acquis indirectement par l'un ou l'autre sexe, modelĂ©s sous l'influence du dĂ©sir et de la jalousie, modelĂ©s par une certaine idĂ©e de la beautĂ© d'un son, d'une couleur ou d'une forme, et par l'exercice d'un choix ; et ces facultĂ©s de l'esprit dĂ©pendent manifestement du dĂ©veloppement du systĂšme cĂ©rĂ©bral. » (la Filiation de l'homme et la sĂ©lection liĂ©e au sexe, Charles Darwin)

Pour Darwin, la sélection sexuelle peut prendre deux formes : la compétition entre mùles, conduisant à une course aux armements, et la compétition pour attirer les femelles, conduisant à une course à l'ornementation. Ces compétitions ont pour conséquences d'accentuer le dimorphisme sexuel, et d'induire des divergences rapides entre espÚces[5].

Mais il ne sait pas expliquer pourquoi ce sont les mĂąles qui font leur parade et les femelles qui choisissent[5].

Une théorie rejetée

Expliquer l'Ă©volution des espĂšces non par la volontĂ© divine mais par la pression de la Nature Ă©tait une chose, mais prĂ©tendre remplacer la main du CrĂ©ateur par les pulsions lubriques de crĂ©atures aux cerveaux guĂšre plus gros que des pois Ă©tait dĂ©passer les bornes : ce n'Ă©tait plus de l'athĂ©isme, mais de la pornographie athĂ©e[5]. La thĂ©orie de la sĂ©lection se voit d'autant moins acceptĂ©e que Darwin la dĂ©veloppe dans un ouvrage, la Filiation de l'homme et la sĂ©lection liĂ©e au sexe, oĂč il dĂ©fend aussi l'idĂ©e que certains attributs humains sont des purs produits de la sĂ©lection sexuelle. Il cite ainsi des traits dimorphiques comme la barbe prĂ©sente chez les seuls individus mĂąles[7] ou la relativement faible pilositĂ© humaine comparĂ©e aux autres mammifĂšres[8] comme exemples de produits de la sĂ©lection sexuelle chez l'ĂȘtre humain.

La majoritĂ© des savants de l'Ă©poque refusait en effet de voir dans la sĂ©lection sexuelle autre chose qu'une forme de sĂ©lection de survie liĂ©e Ă  la compĂ©tition entre les mĂąles d'une espĂšce, refusant l'idĂ©e que le choix des femelles puisse exercer une quelconque pression Ă©volutive. Dans l'esprit de l'Ă©poque, s'il Ă©tait acceptable que des mĂąles puissent se disputer les faveurs d'une femelle, c'est naturellement la jeune femme qui se pare de brillants atours pour attirer l'attention des cĂ©libataires. L'idĂ©e que des mĂąles puissent ĂȘtre des produits acceptĂ©s ou rejetĂ©s par le choix des femmes Ă©tait impensable[5].

Dans l'Angleterre victorienne, Darwin eut beaucoup de difficultĂ©s Ă  dĂ©fendre cet aspect de sa thĂ©orie contre ses contemporains, comme face Ă  son collĂšgue Alfred Wallace qui Ă©tait pourtant simultanĂ©ment arrivĂ© Ă  une formulation analogue de la thĂ©orie de la sĂ©lection Ă©cologique. Pour Wallace, par exemple, les traits brillants et excessifs rĂ©sultent naturellement de l'exubĂ©rance de la vie elle-mĂȘme ; quand ils sont partagĂ©s entre mĂąles et femelles ils correspondent Ă  une fonction de reconnaissance mutuelle de l'espĂšce ; mais les femelles ont une pression sĂ©lective plus forte pour gagner un meilleur camouflage et protĂ©ger leur portĂ©e[5].

Les critiques de Wallace furent meurtriÚres, et jusque vers 1930, l'idée d'une sélection sexuelle n'a été considérée que comme une curiosité aberrante dans l'histoire de la sélection naturelle[5].

Ronald Fisher et l'indicateur d'adaptation

Le physicien et statisticien Ronald Fisher[9] contribue à renouveler la notion en appliquant des méthodes statistiques à la génétique des populations.

Fischer s'intĂ©resse Ă  la sĂ©lection sexuelle dĂšs 1915, dans une publication[10] oĂč il se demande ce qui conduit le choix des femelles Ă  ĂȘtre dĂ©terminĂ© par tel ou tel trait du mĂąle, ou plus exactement, quel peut ĂȘtre l'avantage sĂ©lectif pour elles de choisir tel ou tel ornement apparemment inutile, et donc, quelle peut ĂȘtre l'origine Ă©volutive d'une telle prĂ©fĂ©rence[5].

Il suppose alors que ces ornements ont pu ĂȘtre d'une maniĂšre ou d'une autre un indicateur de vitalitĂ©, de bonne santĂ©, et donc en fin de compte d'une bonne adaptation due aux gĂȘnes et hĂ©ritable. Dans ce cas, une prĂ©fĂ©rence de la femelle pour cet ornement lui confĂšre une descendance mieux adaptĂ©e que la moyenne, et donc un avantage reproductif, qui se traduit par plus de descendants de ce couple. De ce fait, cette meilleure adaptation du mĂąle et la prĂ©fĂ©rence associĂ©e de la femelle se rĂ©pandront dans la population, et deviennent des caractĂšres corrĂ©lĂ©s[5].

Ainsi, une préférence femelle pour un trait indicateur de bonne adaptation générale du mùle contribue à accélérer l'effet qu'aurait eu la sélection naturelle sur cette bonne adaptation, et a en fin de compte non seulement un effet sur la bonne adaptation, mais également sur la préférence de la femelle (et accentuera le trait chez le mùle)[5].

Cette idĂ©e d'un trait pouvant ĂȘtre un indicateur gĂ©nĂ©ral d'adaptation restera cependant nĂ©gligĂ©e jusque dans les annĂ©es 1960.

L'emballement fisherien

Dans son livre de 1930, The Genetical Theory of Natural Selection (la thĂ©orie gĂ©nĂ©tique de la sĂ©lection naturelle)[11], Fisher montre par exemple qu'un lĂ©ger biais dans la prĂ©fĂ©rence des femelles qui les ferait prĂ©fĂ©rer des mĂąles dotĂ©s de longues plumes Ă  des mĂąles dotĂ©s de plumes plus courtes peut conduire Ă  une situation Ă©volutive oĂč de gĂ©nĂ©ration en gĂ©nĂ©ration, le plumage des mĂąles augmente, car Ă  chaque gĂ©nĂ©ration les mĂąles ayant le meilleur succĂšs reproductif sont ceux qui ont les plumes les plus longues dans la population. Dans le mĂȘme temps, le biais de prĂ©fĂ©rence des femelles s'accentue : celles qui choisissent les mĂąles les plus reproductifs sont aussi celles dont les descendants seront les plus nombreux. Ainsi dans la dĂ©monstration de Fisher, un lĂ©ger biais dans la prĂ©fĂ©rence d'un sexe pour les attributs de l'autre sexe peut conduire Ă  une situation extrĂȘme jusqu'au point oĂč l'avantage reproductif est compensĂ© par le dĂ©savantage en termes de survie (risque d'ĂȘtre repĂ©rĂ© par un prĂ©dateur, par exemple).

« 
la grande taille du plumage du mĂąle, et la prĂ©fĂ©rence sexuelle de ce trait chez la femelle, doivent donc aller de pair ; et tant que ce processus n'est pas mis en Ă©chec par une contre-sĂ©lection drastique, ces biais progresseront d'une maniĂšre sans cesse accĂ©lĂ©rĂ©e. En l'absence d'une contre-sĂ©lection, il est facile de voir que la vitesse d'Ă©volution sera proportionnelle au dĂ©veloppement dĂ©jĂ  atteint, lequel augmentera donc de maniĂšre exponentielle avec le temps, ou suivant une progression gĂ©omĂ©trique » (Ronald Fisher, 1930).

Une théorie toujours refusée

Julian Huxley, farouche critique idéologue de la notion de sélection sexuelle.

Ces travaux de 1930 restĂšrent longtemps sans suite. La sĂ©lection sexuelle n'Ă©tait tout simplement pas de mise Ă  cette Ă©poque, non pas parce qu'elle ne dĂ©crivait pas correctement des faits (les Ă©lĂ©ments prĂ©sentĂ©s par Darwin dans la Filiation de l'homme n'ont jamais Ă©tĂ© sĂ©rieusement contestĂ©s), mais Ă  cause de facteurs internes Ă  la discipline biologique elle-mĂȘme, largement idĂ©ologiques : le manque d'outil mathĂ©matique permettant de la modĂ©liser, l'analyse des ornements sexuels comme jouant un simple rĂŽle d'identification de l'espĂšce, la nĂ©gation par principe de toute psychologie animale, une sĂ©lection naturelle vue comme orientĂ©e vers le bien de l'espĂšce, et une esthĂ©tique fonctionnelle considĂ©rant l'ornementation comme une marque de dĂ©cadence rĂ©actionnaire[5].

Les deux idĂ©es de Fisher, l'indicateur d'adaptation et l'emballement fisherien, ont en particulier Ă©tĂ© critiquĂ©s en 1938 en deux articles influents par le biologiste Julian Huxley, pour qui ces mĂ©canismes Ă©taient immoraux car contraire au bien de l'espĂšce[5]. Ces critiques destructrices furent renouvelĂ©es en 1942 dans son livre de rĂ©fĂ©rence Evolution: The Modern Synthesis (en), oĂč il prĂ©sente les ornements sexuels comme des dĂ©rives dĂ©cadentes et anti-progressistes, dans un discours marquĂ© par un idĂ©alisme socialiste, une pruderie puritaine, et une prĂ©occupation eugĂ©niste — un cocktail idĂ©ologique frĂ©quent chez les biologistes de cette Ă©poque[5].

Ce n'est qu'aprÚs la seconde édition du livre de Ronald Fisher, en 1958, que ces idées se répandront dans une nouvelle génération de biologistes mieux formés mathématiquement et moins conditionnés idéologiquement, comme Peter O'Donald. Cet aspect de la théorie darwinienne sera pleinement accepté comme un mécanisme à part entiÚre: l'emballement fisherien.

Au cours des années 1960, William Hamilton poursuivra les travaux de Fisher. Il contribuera par exemple à la théorie de la reine rouge expliquant l'avantage de la reproduction sexuée en ce qu'elle permet de résister de façon plus efficace aux parasites.

Maynard Smith et la robustesse génétique

À partir des annĂ©es 1970, John Maynard Smith, ingĂ©nieur aĂ©ronautique de formation, s'intĂ©resse Ă  la parade nuptiale de la mouche du vinaigre. Il constate que les mĂąles fortement consanguins ne sont pas acceptĂ©s par les femelles : les mouches femelles semblent sĂ©lectionner la robustesse gĂ©nĂ©tique de leur partenaire sexuel en fonction de la qualitĂ© de sa parade nuptiale[5].

Il réalise ainsi la premiÚre expérience scientifique démontrant la réalité de la sélection sexuelle.

L'expĂ©rience montre que la parade nuptiale sert d'indicateur globalisant de la robustesse gĂ©nĂ©tique du candidat partenaire. Dans la mesure oĂč la parade est un comportement complexe, elle dĂ©pend en effet du bon Ă©tat d'un grand nombre de gĂšnes. Dans les espĂšces sexuĂ©es, un dĂ©faut gĂ©nĂ©tique est le plus souvent rĂ©cessif, et masquĂ© par la bonne version du gĂšne sur l'autre chromosome. Mais chez les individus fortement consanguins, ces dĂ©fauts ne sont plus masquĂ©s, et la parade nuptiale prĂ©sente des anomalies perceptibles. La mouche femelle a donc un avantage sĂ©lectif Ă  rejeter les candidats prĂ©sentant de telles anomalies, parce que leur patrimoine gĂ©nĂ©tique s'Ă©carte trop de la normale et que les dĂ©fauts gĂ©nĂ©tiques en deviennent manifestes.

Amotz Zahavi

Un des problĂšmes posĂ©s par les ornements sexuels est d'expliquer en quoi les sĂ©lectionner peut ĂȘtre un avantage adaptatif pour la femelle. S'il ne s'agit que d'une prĂ©fĂ©rence arbitraire, restreindre son choix est un dĂ©savantage sĂ©lectif ; et si le trait se rĂ©pand nĂ©anmoins, il n'implique pas d'information particuliĂšre sur ce que sera l'adaptabilitĂ© des descendants qui le porteront — tous les mĂąles pourront en hĂ©riter, qu'ils soient ou non bien adaptĂ©s Ă  leur environnement.

L'idĂ©e d'Ă©volution dĂ©savantageuse sera poussĂ©e plus avant par Amotz Zahavi, qui explique, en 1975[12], par sa thĂ©orie du handicap, que le fait qu'un attribut soit un handicap — c'est-Ă -dire qu'il soit coĂ»teux Ă  produire — entraĂźne prĂ©cisĂ©ment qu'il soit prĂ©fĂ©rĂ© par les membres de l'autre sexe. En effet, dans ce cas, ce handicap est aussi un signal — dit « honnĂȘte » — faisant la preuve directe de la qualitĂ© de l'individu, puisque ce dernier est capable de survivre malgrĂ© ce handicap. Les individus mal adaptĂ©s, inversement, seront trop faibles pour produire le trait sĂ©lectif au mĂȘme niveau d'intensitĂ©.

Richard Dawkins popularise l'idée de sélection sexuelle dans Le GÚne égoïste .

Dans l'annĂ©e qui suivit l'article de Zahavi, Richard Dawkins en donne une prĂ©sentation Ă©logieuse dans son best-seller Le GĂšne Ă©goĂŻste (1976), dĂ©clenchant une controverse parmi les biologistes sur la place rĂ©elle de la sĂ©lection sexuelle. En 1980, Peter O'Donald publie son Genetic Models of Sexual Selection, dans lequel il rĂ©capitule vingt annĂ©es de recherches sur la modĂ©lisation mathĂ©matique de la sĂ©lection sexuelle. Ces controverses alimentĂšrent un double mouvement de recherche, Ă  la fois sur la modĂ©lisation mathĂ©matique du phĂ©nomĂšne, et vers des Ă©tudes de terrain sur les mĂ©canismes rĂ©els de choix des partenaires sexuels, rĂ©vĂ©lant toujours plus d'exemples oĂč la femelle dĂ©montre des prĂ©fĂ©rences dans le choix du mĂąle[5].

Il fallut une quinzaine d'années pour que cette théorie du handicap soit acceptée par les biologistes. Le handicap étant fondamentalement un indicateur de bonne adaptation, ce débat permit d'établir les fondements de la théorie moderne des indicateurs d'adaptation[13].

Enfin, en s'appuyant sur le rĂŽle du conflit sexuel dĂ©fini par William Rice, Locke Rowe et Göran Arnvist, Thierry LodĂ© rĂ©introduit la divergence d'intĂ©rĂȘt entre mĂąle et femelle comme une force fondamentale de la thĂ©orie Ă©volutive. MĂąles et femelles pratiquent une guerre des sexes, depuis la mante religieuse jusqu'au combat des otaries. Le conflit sexuel entraĂźne un processus de coĂ©volution antagoniste dans lequel un des sexes Ă©volue en dĂ©veloppant des traits manipulateurs, tandis que l'autre sexe (souvent les femelles) contre cette Ă©volution en manifestant des caractĂ©ristiques de rĂ©sistance. Ce phĂ©nomĂšne dĂ©termine ce que Thierry LodĂ© appelle « le tir Ă  la corde Ă©volutif ». C'est l'existence de la diversitĂ© des stratĂ©gies sexuelles et le conflit sexuel qui favorisent la spĂ©ciation.

Pression sélective induisant une sélection sexuelle

Sélection naturelle et dérive génétique

La bonne tenue du plumage est signe de bonne santé, et donc d'une bonne adaptation aux conditions du milieu, et donc d'une bonne valeur sélective potentielle. Donc, sélectionner les beaux plumages, et mettre en valeur son plumage, constituent deux avantages sélectifs.

La sĂ©lection naturelle de survie conduit Ă  Ă©liminer diffĂ©rentiellement les individus « les moins adaptĂ©s » — parce que ce sont les premiers Ă  mourir de faim ou de maladie, ou Ă  ĂȘtre la victime de prĂ©dateurs ou de parasites — et de ce fait, le succĂšs reproductif des individus moins performants est statistiquement moindre, parce que quand les temps sont durs, ce sont les premiers Ă  mourir avant d'avoir pu se reproduire.

Ces diffĂ©rences dans l'Ă©tat gĂ©nĂ©ral sont en partie dues au hasard de la vie, mais Ă©galement aux diffĂ©rences dans les formules gĂ©nĂ©tiques des individus. ConcrĂštement, les gĂ©notypes « moins performants » sont —par dĂ©finition, c'est une tautologie— ceux qui produisent toutes choses Ă©gales par ailleurs des individus moins bien adaptĂ©s Ă  leur environnement, ce qui se traduit physiquement dans le phĂ©notype, par des carences dans le dĂ©veloppement ou des insuffisances dans les performances. Il y a donc une corrĂ©lation entre le bon Ă©tat gĂ©nĂ©ral d'un individu et la bonne adaptation de son gĂ©notype ; et Ă  terme, la sĂ©lection naturelle de survie tend Ă  limiter le pool gĂ©nĂ©tique aux seules combinaisons de gĂšnes performantes.

Au voisinage d'un extremum, pour une fonction continue, un petit écart par rapport à la valeur optimale ne change pas fondamentalement le résultat.

Si la sĂ©lection naturelle tend Ă  favoriser l'uniformitĂ© d'une espĂšce, l'effet des mutations gĂ©nĂ©tiques est au contraire d'introduire des variations alĂ©atoires. On estime que chez l'homme, il se produit de une Ă  trois mutations par gĂ©nĂ©ration[13]. En principe, Ă  partir du moment oĂč le gĂ©notype s'Ă©carte de l'optimum, la variation aura presque toujours un effet non optimal —donc nuisible— sur le phĂ©notype. En pratique, les variations autour d'un optimum ne conduisent pas Ă  des variations trĂšs marquĂ©es (d'autant moins que ces mutations sont le plus souvent rĂ©cessives), si bien que la pression sĂ©lective sur ces variations est relativement faible, et l'effet rĂ©el des mutations gĂ©nĂ©tiques est d'entretenir une certaine variabilitĂ© dans les phĂ©notypes.

Mais si ces mutations s'accumulent, l'organisme produit s'éloignera de plus en plus de l'optimum. Plus un individu supporte de mutation, plus il est dégénéré, et moins il est adapté. La sélection naturelle se fait sentir sur l'accumulation de telles mutations, progressivement, et d'autant plus violemment qu'elles induisent un phénotype trop éloigné de l'optimum écologique de l'espÚce. L'enjeu est alors de supprimer les mutations non optimales au moins aussi rapidement qu'elles se produisent, de maniÚre à maintenir l'espÚce globalement proche de son optimum : plus l'élimination est rapide et efficace, et plus l'espÚce sera bien adaptée à son environnement[13].

Investissement parental

L'investissement parental est généralement plus important pour la femelle.

L'investissement parental joue un rĂŽle important dans la sĂ©lection sexuelle en raison de la taille des gamĂštes et des dĂ©penses Ă©nergĂ©tiques de la gestation. C’est la femelle qui, dans la plupart des cas, exerce la plus forte sĂ©lection sexuelle, ce qui peut ĂȘtre expliquĂ© par un plus grand investissement d'Ă©nergie nĂ©cessaire Ă  la production de ses gamĂštes.

En effet, les femelles produisent un petit nombre de gamĂštes de plus grande taille comparĂ©s Ă  ceux des mĂąles, alors que les mĂąles produisent un trĂšs grand nombre de gamĂštes mais d’une taille moindre (Trivers 1972)[14]. Dans la mesure oĂč la ressource rare est le gamĂšte femelle, il est logique que les mĂąles entrent en compĂ©tition pour se l'approprier ; et inversement, il est logique que la femelle puisse effectuer un choix sur les gamĂštes mĂąles qui seront retenus[15]. La sĂ©lection sexuelle est particuliĂšrement importante parmi de nombreux groupes de vertĂ©brĂ©s (oiseaux, mammifĂšres) chez qui la production de gamĂštes par la femelle est relativement restreinte — un Ɠuf est beaucoup plus coĂ»teux Ă  produire qu'un spermatozoĂŻde, et l'investissement d'une gestation est incomparablement plus coĂ»teux que celui d'un simple coĂŻt. L'accĂšs au partenaire sexuel est donc un facteur important de la diffĂ©rence de fĂ©conditĂ© entre les individus.

La thĂ©orie dĂ©crite par Trivers (1972) affirme que le sexe qui s’investit le plus dans les soins de la progĂ©niture (allaitement, nourriture, protection) est celui qui, au moment de l'accouplement, exercera une plus grande pression de sĂ©lection sexuelle sur le sexe opposĂ©. À l'inverse, le sexe qui s’investit le moins dans les soins parentaux doit avoir un investissement sexuel plus important et fera face Ă  une concurrence plus grande pour trouver un partenaire, tout en veillant Ă  se reproduire le plus possible afin d'assurer son succĂšs reproducteur.

Stratégies d'investissement

L'investissement reproductif d'une femelle sur un accouplement est souvent à la fois important et bien plus grand que celui du mùle : pour elle, le nombre de descendants possibles est assez limité, et dans un cycle reproductif, le nombre de partenaire sexuel impliqué se réduit souvent à un individu unique. Inversement, l'investissement reproductif du mùle est le plus souvent négligeable dans la production des gamÚtes, et se limite le plus souvent à la parade nuptiale.

Le faible investissement reproductif nĂ©cessaire au mĂąle implique que le nombre de ses descendants peut ĂȘtre trĂšs variable ; sa stratĂ©gie de reproduction naturelle est alors de prendre plus de risques pour pouvoir remporter des succĂšs plus importants — quantitĂ© plutĂŽt que qualitĂ©. La femelle a un nombre de descendants limitĂ© par son nombre de cycles reproductifs, et par la portĂ©e de chaque cycle, si bien que sa stratĂ©gie de reproduction est plutĂŽt d'optimiser la qualitĂ© de chaque portĂ©e[15].

La sélection sexuelle peut alors prendre deux modalités non exclusives[16] :

  • CompĂ©tition en vue d'ĂȘtre le plus attirant pour les membres du sexe opposĂ© (on parle de sĂ©lection intersexuelle).
  • CompĂ©tition entre individus du mĂȘme sexe pour s'arroger l'accĂšs aux partenaires sexuels (on parle de sĂ©lection intrasexuelle).

Dans la plupart des cas, du fait de cet investissement reproductif, c'est la femelle qui choisit son partenaire. On peut noter que le mĂąle peut tout autant avoir subi une pression sĂ©lective et ĂȘtre celui qui choisit son partenaire, dĂšs lors que son investissement reproductif devient important. C'est en particulier le cas, par exemple, de nombreuses espĂšces d'oiseaux nidicoles. Dans ce cas, inversement, les femelles seront Ă©galement en compĂ©tition pour obtenir les faveurs du mĂąle. Par la suite, sauf mention contraire, on supposera que la sĂ©lection est effectuĂ©e par la femelle, Ă©tant entendu que ce n'est pas une nĂ©cessitĂ©.

SĂ©lection sexuelle

Parade nuptiale collective du tĂ©tras des armoises. La femelle (centre) « fait son marchĂ© » sur une aire de parade et choisira le plus conforme Ă  ses espĂ©rances — le moins dĂ©gĂ©nĂ©rĂ©.

La reproduction représentant un investissement important pour la femelle, la pression sélective la pousse à protéger son investissement et à choisir le partenaire sexuel le mieux adapté à son environnement, de maniÚre à maximiser la probabilité de succÚs reproductif de sa propre descendance. Dans ce but, il lui faut identifier et choisir les individus dont le succÚs reproductif sera le plus probable.

Cette sĂ©lection sexuelle peut donc ĂȘtre Ă  l'Ɠuvre en permanence, mais elle ne fait en gĂ©nĂ©ral qu'anticiper et renforcer la sĂ©lection naturelle de survie, dans la mesure oĂč les individus qui seront probablement un jour les moins performants sur le plan de la survie (par eux-mĂȘmes, ou via leurs descendants) se voient refuser la possibilitĂ© de procrĂ©er, et ont donc un moindre succĂšs reproductif. LĂ  oĂč la sĂ©lection naturelle de survie Ă©liminera Ă  terme et statistiquement les moins adaptĂ©s, Ă  cause de leur potentiel de survie limitĂ©, la sĂ©lection sexuelle le fait de maniĂšre ciblĂ©e et plus rapidement, en limitant leur potentiel reproductif. Cette exclusion est rĂ©versible : si le mĂąle reproducteur disparaĂźt accidentellement, les candidats rejetĂ©s restent en lice pour assurer la continuitĂ© de l'espĂšce.

Résultant d'une pression sélective sur l'individu pour protéger son investissement reproductif, la sélection sexuelle a donc pour effet principal de maintenir le pool génétique de l'espÚce proche de l'optimum, encore plus fermement que ne le fait la sélection naturelle de survie[13].

La sélection sexuelle induit deux types d'avantages sélectifs : pour la femelle, la capacité d'identifier les candidats partenaires en bonne santé et harmonieusement développés ; et pour le mùle, la capacité à se mettre en valeur pour répondre à ces critÚres. Les génotypes « moins performants » sont ceux qui produisent, toutes choses égales par ailleurs, des individus moins bien adaptés à leur environnement, et le choix effectué par les femelles fait partie de l'environnement auquel le mùle doit s'adapter s'il veut assurer son succÚs reproductif[13]. La femelle choisit un mùle en fonction de certains traits (taille du corps, couleur, dominance, etc.) censés lui garantir un meilleur succÚs reproducteur et exerce une sélection sexuelle en ce sens[17] - [13].

Ces spécificités peuvent avoir des conséquences contre-intuitives.

Base génétique de la sélection sexuelle

P. Pundamilia (g) et P. Nyererei (d) sont biologiquement interféconds, mais leur préférence de couleur constitue une barriÚre comportementale à l'hybridation ; ils s'hybrident en revanche en lumiÚre monochromatique[20].

Au niveau gĂ©nĂ©tique, une espĂšce correspond Ă  un pool gĂ©nĂ©tique dont le brassage gĂ©nĂ©tique est assurĂ© par la reproduction sexuĂ©e. Au sein de ce pool, les allĂšles d'un mĂȘme gĂšne sont constamment crĂ©Ă©s par mutation gĂ©nĂ©tique, et le gĂšne dominant est ainsi toujours entourĂ© d'un nuage de petites variations. Ces allĂšles sont en compĂ©tition permanente, dans le sens oĂč ceux qui se traduisent en moyenne par un avantage sĂ©lectif auront tendance Ă  se rĂ©pandre dans la population et supplanter les autres (une des conditions de survie de l'espĂšce est que le taux de mutation doit ĂȘtre suffisamment faible pour que les allĂšles dĂ©favorables puissent ĂȘtre supplantĂ©s suffisamment rapidement par les allĂšles performants).

S'agissant des conditions aboutissant Ă  la sĂ©lection d'un partenaire sexuel, les petites variations dans la manifestation des allĂšles peuvent conduire d'un cĂŽtĂ© Ă  de petites variation du phĂ©notype des mĂąles, et de l'autre Ă  de petites variations comportementale dans ce que prĂ©fĂšrent les femelles. Pour un mĂąle prĂ©sentant une lĂ©gĂšre diffĂ©rence x1 sur le trait x, il pourra peut-ĂȘtre y avoir une femelle prĂ©sentant une prĂ©fĂ©rence pour cette mĂȘme variante x1 du trait x. Dans ce cas, le choix du partenaire conduira prĂ©fĂ©rentiellement Ă  apparier ces deux variantes. Leur descendance tendra Ă  porter Ă  la fois la diffĂ©rence du mĂąle sur le trait x1, et la prĂ©fĂ©rence des femelles pour cette mĂȘme variante ; ce couplage des deux traits tendant Ă  s'auto-entretenir dans une sous-population qui tend Ă  s'isoler Ă  travers son choix de partenaire.

Si l'une ou l'autre des variantes sur le phĂ©notype ou le comportement procure un avantage sĂ©lectif, la diffĂ©rence x1 Ă©tant le marqueur de cet avantage sĂ©lectif, cette sous-population tendra alors Ă  se rĂ©pandre. Inversement, si ces variantes diminuent l'avantage sĂ©lectif, la population qui les porte s'Ă©teindra d'elle-mĂȘme. Si la variation est neutre, la sĂ©paration peut nĂ©anmoins ĂȘtre stable, la sĂ©lection sexuelle Ă©tant alors le seul facteur comportemental prĂ©venant l'hybridation de deux sous-populations parfaitement interfĂ©conde par ailleurs.

Indicateurs de valeur sélective

Indicateurs de charge mutationnelle

Les variations d'un trait complexe somatique ou comportemental reflĂštent la charge mutationnelle du grand nombre de gĂšnes qui y contribuent.

Comme soulignĂ© prĂ©cĂ©demment, la sĂ©lection sexuelle a pour origine une pression sĂ©lective poussant Ă  choisir comme partenaire de copulation l'individu qui paraĂźt le mieux adaptĂ© —c'est-Ă -dire le moins dĂ©gĂ©nĂ©rĂ© par des mutations nĂ©fastes—, afin de maximiser la probabilitĂ© de succĂšs reproductif de sa propre descendance. GĂ©nĂ©ralement les mutations sont rĂ©cessives, mais la dominance de la version saine est souvent incomplĂšte, et la prĂ©sence d'une mutation peut transparaĂźtre dans de lĂ©gĂšres diffĂ©rences somatiques ou comportementales[13]. Un examen attentif de la conformitĂ© somatique et comportementale permet donc de se faire une opinion de la conformitĂ© du gĂ©notype Ă  son optimum. Mais un examen complet est complexe, et donc coĂ»teux.

De ce point de vue, des traits complexes (comme l'apparence de la queue du paon) et qui présentent des variations notables d'un individu à l'autre peuvent représenter une information synthétique, et beaucoup moins coûteuse à déterminer[13]. La complexité du trait signifie que son apparence dépend de l'interaction harmonieuse de nombreux gÚnes ; et par conséquent, le trait reflÚte d'autant plus d'information génétique qu'il est compliqué.

La « vulnérabilité aux mutations » d'un trait donné correspond à la proportion des mutations du génome qui auront un impact sur ce trait, c'est-à-dire, la proportion du génome (en longueur d'ADN codant quelque chose) impliquée dans l'expression d'un trait. Plus le trait est complexe, plus la proportion du génome impliquée sera grande, et plus la charge mutationnelle du trait sera représentative de la charge mutationnelle de l'ensemble du génome. Par exemple, certains généticiens estiment que la moitié des gÚnes humains interviennent dans le développement de son cerveau[13], ce qui signifierait qu'une mutation sur deux a un impact sur l'expression de l'esprit humain.

La pression sélective conduit alors à s'intéresser à de tels traits complexes et variables, qui deviennent alors des indicateurs de non-dégénérescence, ou de bonne adaptation de la formule génétique individuelle[13].

Sélection sexuelle sur un indicateur synthétique

En rÚgle générale :

  • la charge mutationnelle influe sur l'adaptation gĂ©nĂ©tique Ă  l'environnement,
  • cette adaptation influe sur le bon Ă©tat gĂ©nĂ©ral de l'individu,
  • le bon Ă©tat de l'individu influe sur ses indicateurs de valeur sĂ©lective,
  • et ces indicateurs influent sur le choix du partenaire sexuel.

Clairement, un trait prĂ©sentant une variabilitĂ© dĂ©pendant fortement de la charge mutationnelle n'est pas quelque chose qui peut ĂȘtre favorisĂ© par une sĂ©lection naturelle de survie ; mais c'est au contraire quelque chose dont l'Ă©mergence est favorisĂ©e par la sĂ©lection sexuelle, et ceci, d'autant plus facilement que le trait n'a pas par lui-mĂȘme de valeur adaptative de survie. De ce point de vue, un indicateur de non-dĂ©gĂ©nĂ©rescence portera plus facilement sur le comportement de parade sexuelle, qui peut ĂȘtre trĂšs complexe sans crĂ©er de handicap physique ; mais tout trait complexe et variable peut servir Ă  cet examen.

Alors que les traits gĂ©nĂ©tiquement simples sont prĂ©fĂ©rentiellement modelĂ©s par la sĂ©lection naturelle de survie, les traits complexes le sont donc prĂ©fĂ©rentiellement par la sĂ©lection sexuelle[13]. En rĂšgle gĂ©nĂ©rale, un tel indicateur paraĂźt sans fonction de survie, inutilement complexe et plutĂŽt coĂ»teux Ă  produire[13], et leur rĂ©alisation prĂ©sente une variabilitĂ© observable (pour le partenaire sexuel) dans la population. Le fait de dĂ©pendre de nombreux gĂšnes signifie que la dĂ©faillance de l'un d'eux n'entraĂźne pas un handicap significatif, susceptible d'ĂȘtre Ă©liminĂ© par la sĂ©lection naturelle de survie. Et sa variabilitĂ© implique qu'un Ă©cart gĂ©nĂ©tique peut ĂȘtre apprĂ©ciĂ© rapidement lors de la sĂ©lection du partenaire.

S'il suffisait de produire un indicateur conforme pour ĂȘtre sĂ©lectionnĂ© sexuellement, la sĂ©lection sexuelle aurait vite fait de rĂ©duire la variabilitĂ© de l'indicateur, le rendant alors inutile. Un bon indicateur ne peut ĂȘtre sĂ©lectionnĂ© que s'il est trĂšs difficile Ă  rendre parfait, soit parce que sa bonne expression dĂ©pend d'une grande fraction du gĂ©notype, ce qui le rend par consĂ©quent sensible aux mutations, soit parce que son Ă©laboration demande de l'Ă©nergie, et dĂ©pend donc du bon Ă©tat gĂ©nĂ©ral de l'individu.

Pour Amotz Zahavi, les traits correspondant Ă  un handicap sont les seuls ornements sexuels pouvant conduire Ă  une stabilitĂ© Ă©volutive, parce que ce sont les seuls qui apportent effectivement une information sur l'adaptation gĂ©nĂ©tique gĂ©nĂ©rale du candidat partenaire[13]. Mais dans ce cas, la sĂ©lection sexuelle ne limite alors pas ses consĂ©quences Ă  l'adaptation gĂ©nĂ©tique, mais se traduit par une pression sĂ©lective sur les indicateurs eux-mĂȘmes[13].

Signaux honnĂȘtes

Le brĂąme du cerf est un signal honnĂȘte : seul un mĂąle en bonne santĂ© peut brĂąmer fort et longtemps.

On dĂ©finit un signal honnĂȘte comme un caractĂšre — physique ou comportemental — dont la mise en place et le maintien nĂ©cessitent une importante allocation d'Ă©nergie. L'idĂ©e de « handicap » introduite par Amotz Zahavi n'est qu'une maniĂšre de parler de dĂ©pendance Ă  la condition physique de l'individu, elle-mĂȘme dĂ©pendante de sa bonne adaptation gĂ©nĂ©tique par rapport Ă  son Ă©cosystĂšme. Seuls les individus en bonne condition physique peuvent supporter le coĂ»t de production de tels signaux. Pour le choix des partenaires sexuels par les femelles, un signal honnĂȘte renseigne donc d'une façon fiable les femelles sur l'aptitude du mĂąle, qui ne peut pas « tricher » : c'est ce qu'on appelle la « thĂ©orie du handicap ». Ce processus permet d'expliquer le maintien au cours de l'Ă©volution de tels signaux handicapants, qui seraient contre-sĂ©lectionnĂ©s (car rĂ©duisant la fitness) s'ils n'Ă©taient pas intĂ©grĂ©s Ă  un processus de sĂ©lection sexuelle.

Pour qu'il corresponde Ă  un trait Ă©volutivement stable, un handicap honnĂȘte prĂ©sente une variabilitĂ© dans sa rĂ©alisation. En effet, s'il Ă©tait uniformĂ©ment atteint par toute la population, les individus les plus faibles n'y survivraient pas, et les individus les plus performants ne pourraient pas ĂȘtre distinguĂ©s de ceux qui sont simplement « suffisamment performants »[13].

Les signaux honnĂȘtes peuvent prendre n'importe quelle forme, du moment qu'ils reprĂ©sentent un coĂ»t pour celui qui les produit. Des couleurs vives augmentent le risque de prĂ©dation. Des chants complexes demandent de l'Ă©nergie et de la mĂ©moire. La parade nuptiale demande de l'Ă©nergie et du temps. Des dons alimentaires impliquent une privation pour le donneur. Un diamant reprĂ©sente deux mois de salaire. Dans tous les cas, ce qui caractĂ©rise un signal honnĂȘte, par opposition aux traits reprĂ©sentant une adaptation de survie, c'est le gaspillage apparent de ressources qu'ils reprĂ©sentent : dilapider des ressources serait un trait inadaptĂ© s'agissant de la « survie du plus apte », mais c'est prĂ©cisĂ©ment ce qui en fait un signal honnĂȘte, utilisable dans le cadre d'une sĂ©lection sexuelle[13].

Un gaspillage inutile de ressources est gĂ©nĂ©ralement le rĂ©sultat d'une sĂ©lection sexuelle Ă  l’Ɠuvre. Quelques exemples de signaux honnĂȘtes en lien avec la sĂ©lection sexuelle :

  • CaractĂšres physiques : chez les espĂšces du genre Pavo (les paons), plus les plumes de la queue sont longues, plus le mĂąle a du succĂšs, quand bien mĂȘme ces plumes handicapent fortement les dĂ©placements de l'animal, et en font donc une proie d'autant plus facile.
  • Ornements colorĂ©s : les processus mĂ©taboliques aboutissant Ă  la synthĂšse de pigments sont coĂ»teux Ă©nergĂ©tiquement. En particulier, les carotĂ©noĂŻdes, qui donnent des colorations orangĂ©es, sont Ă©galement impliquĂ©s dans la mise en Ɠuvre du systĂšme immunitaire. De vives colorations sont donc des signaux honnĂȘtes de la bonne santĂ© (absence de maladie ou de parasites) des individus les possĂ©dant. On peut aussi donner l'exemple des guppies (Poecilia reticulata) ou des plumes colorĂ©es chez les oiseaux.
  • Chants et cris : les cerfs (Cervus elaphus) se servent du brame dans la compĂ©tition entre mĂąles pour l'accĂšs aux femelles. Le brame utilisant les mĂȘmes muscles que ceux impliquĂ©s dans la charge pour le combat, il est un signal honnĂȘte de la capacitĂ© de combat des mĂąles.

Biais sensoriel de la sélection sexuelle

Les indicateurs intervenant dans la sélection sexuelle et dans la parade nuptiale (au sens large) constituent des signaux d'interprétation complexe, parce qu'ils peuvent aussi bien correspondre à une signalisation de coopération qu'à une signalisation de manipulation et tromperie[21].

  • Pour l'individu performant qui fait sa parade nuptiale devant une femelle a priori circonspecte, les deux individus ont intĂ©rĂȘt Ă  coopĂ©rer dans cette signalisation honnĂȘte, pour conclure en une copulation fructueuse pour les deux.
  • Mais pour le candidat moins performant, le filtre cognitif de la femelle circonspecte apparaĂźt plutĂŽt comme les dispositifs de sĂ©curitĂ© barrant l'accĂšs Ă  la valeur essentielle et prĂ©cieuse qu'est son systĂšme reproductif, qu'il faut neutraliser en montrant les « pattes blanches » et accomplissant les « passes secrĂštes » qui lui donneront accĂšs Ă  ce trĂ©sor. Dans ce cas, la signalisation est une signalisation fondamentalement Ă©goĂŻste, qui vise Ă  provoquer sur la cible un comportement favorable Ă  l'Ă©metteur, indĂ©pendamment de l'intĂ©rĂȘt de la femelle circonspecte.

La pression de sĂ©lection conduit Ă  ce que l'expression phĂ©notypique (physique et comportementale) du candidat mĂąle doit s'adapter d'une maniĂšre ou d'une autre Ă  ce que le systĂšme cognitif de la femelle est prĂȘt Ă  accepter de laisser passer comme candidat acceptable[22] - [23].

Les traits sur lesquels se fonde une sĂ©lection sexuelle tendent Ă  la fois Ă  ĂȘtre ornementaux et Ă  ĂȘtre de bons indicateurs de bon Ă©tat gĂ©nĂ©ral. En effet, si un trait a initialement fonctionnĂ© comme indicateur, la pression de sĂ©lection tendra Ă  le doter d'une ornementation complexe, qui sera d'autant plus efficace qu'elle exacerbera les prĂ©fĂ©rences sensorielles du partenaire cible. Inversement, un trait qui aurait Ă©tĂ© initialement un indicateur purement esthĂ©tique, capturĂ© dans un emballement fisherien, tendra Ă  acquĂ©rir par lui-mĂȘme une capacitĂ© Ă  reflĂ©ter un bon Ă©tat gĂ©nĂ©ral, parce que la production d'ornements complexes tend Ă  dĂ©pendre d'une grande part du gĂ©notype, et demande des ressources plus importantes[22].

Pression de sélection sur une collection d'indicateurs

Archibald Thorburn, TĂ©tras lyre sur une aire de lek.
Le paradoxe du lek : comment un trait unique, la parade nuptiale, peut-il ĂȘtre un indicateur pertinent de bon Ă©tat gĂ©nĂ©ral pour la sĂ©lection sexuelle ?

En théorie, la sélection sexuelle consiste pour la femelle à repérer le moins dégénéré des candidats possibles, en examinant la conformité de son phénotype (physique et comportemental) à ce que son propre systÚme cognitif lui présente comme le candidat idéal. Comme indiqué ci-dessus, l'examen sera donc d'autant plus révélateur qu'il portera sur des traits complexes.

Au départ, tout trait complexe peut théoriquement participer à une telle sélection sexuelle : étant complexe il a une certaine variabilité ; et étant le fruit d'une sélection naturelle il a un certain coût de production. Les individus les plus performants seront capables d'exhiber des traits pleinement développés, et la pression de sélection consistera, pour leur partenaire sexuel, à sélectionner les traits les plus épanouis. Cependant, l'examen d'une collection de traits serait une stratégie évolutive instable, parce qu'elle a un coût cognitif inutilement important.

Du moment qu'un trait est un indicateur correct, il est presque aussi efficace de fonder ses comparaisons sur ce trait comme critÚre prioritaire, des traits secondaires pouvant partager ensuite d'éventuels exÊquos[24]. Pour cette raison, la pression de sélection sur le systÚme cognitif de la femelle conduit à favoriser comme indicateur l'un ou l'autre des traits complexes, au détriment des autres[13]. Une telle sélection présente alors un avantage sélectif, parce qu'elle sélectionne (avec une bonne approximation) les individus les mieux adaptés, tout en exigeant un investissement moindre dans les capacités cognitives de l'examinateur.

Cette sélection visant un indicateur particulier met à son tour une double pression sélective sur la population choisie[25].

  • Par rapport Ă  la variabilitĂ© naturelle des diffĂ©rents traits potentiellement indicateur, les individus qui auront investi plus de ressource dans l'indicateur privilĂ©giĂ© retenu par l'examinateur seront eux-mĂȘmes favorisĂ©s, toutes choses Ă©gales par ailleurs. Le fait pour le systĂšme cognitif de la femelle de privilĂ©gier un trait particulier conduit donc, en rĂ©action, Ă  dĂ©velopper ce trait chez le mĂąle, ce qui initie un emballement fisherien lui faisant mobiliser de plus en plus de ressources, pour devenir toujours plus grand, plus complexe, plus mobilisateur et plus coĂ»teux.
  • L'indicateur ne se limite pas sur le plan du phĂ©notype Ă  mobiliser de plus en plus de ressources ; sa complexitĂ© croissante le conduit Ă©galement Ă  dĂ©pendre d'une part de plus en plus grande du gĂ©notype de l'individu. En effet, parmi les solutions possibles Ă  une complexitĂ© croissante du trait, la pression de sĂ©lection sur les prĂ©fĂ©rences cognitive conduira Ă  sĂ©lectionner les variantes qui dĂ©pendent d'une part croissante du gĂ©notype, parce que c'est un tel choix qui a posteriori donnera l'indicateur le plus reprĂ©sentatif, et maximisera donc le succĂšs reproductif.

Importance fondamentale de la sélection sexuelle

Lorsqu'elle est présente, dans les organismes capable de faire une discrimination entre partenaires potentiels, la sélection sexuelle apparaßt comme le moteur prédominant de la sélection naturelle, refoulant la sélection de survie à un simple rÎle de second plan, comme garde-fou contre les effets d'une sélection sexuelle poussant à des traits de plus en plus complexes et exacerbés.

Les ornements et parades nuptiaux sont en effet l'unique moyen pour un organisme de transmettre ses gĂšnes, en Ă©tant conforme aux prĂ©fĂ©rences sexuelles du sexe opposĂ©. La survie de l'individu n'a d'intĂ©rĂȘt pour l'espĂšce que si elle lui permet d'ĂȘtre sĂ©lectionnĂ© par un partenaire sexuel ; s'il n'a pas la capacitĂ© Ă  ĂȘtre ainsi sĂ©lectionnĂ©, il n'aura pas de descendance, et sa survie est indiffĂ©rente pour le futur de l'espĂšce[22].

Dans la mesure oĂč elle s'appuie sur des indicateurs de bonne adaptation, cette forme de sĂ©lection accĂ©lĂšre ce qu'aurait Ă©tĂ© la sĂ©lection naturelle de survie.

Traits modelés par une sélection sexuelle

Types de traits concernés

L'aigrette du gorfou doré est typiquement le résultat d'une sélection sexuelle, ici symétrique puisque présente chez les deux sexes.

Les traits qui peuvent faire l'objet d'une sélection sexuelle peuvent prendre n'importe quelle forme accessible au phénotype étendu.

De maniĂšre immĂ©diate, la sĂ©lection sexuelle peut modeler les traits anatomiques d'une espĂšce. Sa prĂ©sence est particuliĂšrement Ă©vidente dans le cas oĂč cette pression de sĂ©lection conduit Ă  un dimorphisme sexuel. Elle peut Ă©galement ĂȘtre Ă  l’Ɠuvre Ă  chaque fois que des traits non fonctionnels sont partagĂ©s par les deux sexes. De tels traits arbitraires pour ce qui est de la sĂ©lection de survie ont longtemps Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©s comme des signes de « reconnaissance mutuelle » au sein de l'espĂšce ; leur interprĂ©tation dans le contexte d'une sĂ©lection sexuelle est plus prĂ©cisĂ©ment qu'ils permettent (ou ont permis dans le passĂ© Ă©volutif de l'espĂšce) de reconnaĂźtre les individus non dĂ©gĂ©nĂ©rĂ©s de l'espĂšce[24].

La parade sexuelle constitue évidemment un trait comportemental faisant l'objet d'une sélection sexuelle, puisque c'est elle qui conduit au choix immédiat du partenaire reproductif. Cependant, la sélection sexuelle ne se limite pas nécessairement à la parade sexuelle proprement dite, mais peut englober l'ensemble du comportement animal. Ainsi, tous les comportements de dominance et de parentÚle chez les primates conditionnent quels seront les accouplements les plus fréquents, et sont donc de ce fait l'objet d'une pression de sélection sexuelle[24].

Un exemple extrĂȘme de phĂ©notype Ă©tendu est le comportement « artistique » des Ptilonorhynchidae (oiseaux jardiniers), dont les mĂąles construisent des Ɠuvres complexes attirant l'admiration des femelles : celles-ci ne sont pas attirĂ©es directement par le comportement du mĂąle, mais par la qualitĂ© de la production matĂ©rielle de ce comportement. Si l’Ɠuvre dĂ©montrĂ©e par le mĂąle est convaincante, elle servira de chambre nuptiale Ă  un accouplement bref, et la femelle s'en ira pour construire seule son propre nid et Ă©lever ses poussins en solitaire[26].

Pour Geoffrey Miller, ce dernier exemple illustre que la sĂ©lection sexuelle pourrait mĂȘme expliquer le tempĂ©rament artistique de l'homme. Il considĂšre, de mĂȘme, que la pression de sĂ©lection sexuelle peut expliquer le dĂ©veloppement d'un instinct d'altruisme, suivant le mĂȘme mĂ©canisme que celui observĂ© par Amotz Zahavi chez le CratĂ©rope Ă©caillĂ© (Turdoides squamiceps), l'altruisme s'analysant comme un trait comportemental, dont l'origine est irrĂ©ductible Ă  toute relation Ă©voquĂ©e pour l'Ă©volution de l'altruisme (rĂ©ciprocitĂ© ou nĂ©potisme), et dont l'affichage donne Ă  son porteur une sorte de « prestige social » pouvant faire l'objet d'une sĂ©lection sexuelle. Comme le souligne Miller, une telle origine ne signifie pas que les gens sont gĂ©nĂ©reux pour amĂ©liorer leur score reproductif : ils veulent ĂȘtre gĂ©nĂ©reux parce que ça satisfait en eux une tendance rĂ©elle, qui constitue leur motivation. Mais justifier un comportement objectif par une « tendance » subjective n'explique rien en termes d'Ă©volution. La question, en amont, est de savoir quelle pression sĂ©lective a pu ĂȘtre Ă  l'origine d'une telle tendance ; et de fait, ce comportement prĂ©sente de nombreux traits communs Ă  ceux ayant fait l'objet d'une sĂ©lection sexuelle — il est sans bĂ©nĂ©fice de survie, coĂ»teux, complexe, facilement observable et d'une grande variabilitĂ©[27]. De plus, le comportement attire l'attention et paraĂźt sĂ©duisant, ce qui donne Ă  son auteur un avantage sĂ©lectif s'agissant de se faire choisir comme partenaire sexuel.

Signes d'une sélection sexuelle active

La poitrine féminine humaine (par opposition à celle des chimpanzés) présente les traces d'une sélection sexuelle, ici effectuée par le mùle : se développant chez l'adulte, capturant l'attention du mùle, corrélée à un bon état général, et corrélée d'une génération à l'autre. De plus, il n'y a pas d'avantage adaptatif à concentrer les réserves de graisse sur la poitrine et les hanches, c'est au contraire plutÎt un handicap[1].

Les traits faisant l'objet d'une sélection sexuelle active tendent à présenter des caractÚres distinctifs[1] :

  • Dans la mesure oĂč c'est le plus souvent la femelle qui tend Ă  ĂȘtre regardante sur son choix de partenaire, les traits tendent Ă  ĂȘtre plus prĂ©sents ou accentuĂ©s chez le mĂąle.
  • Ayant pour principale cible de permettre le succĂšs d'une parade sexuelle, ils n'apportent pas de bĂ©nĂ©fice immĂ©diat Ă  la survie de l'individu, mais peuvent au contraire souvent lui ĂȘtre un handicap dans le reste de son existence.
  • La cible Ă©tant une rĂ©action subjective du partenaire potentiel, ils ne rĂ©pondent pas Ă  une nĂ©cessitĂ© fonctionnelle objective et paraissent arbitraire Ă  l'observateur extĂ©rieur.
  • Étant liĂ©s au succĂšs d'une parade sexuelle, ces traits sont souvent apparents chez l'adulte mais pas chez le juvĂ©nile ; et ces traits capturent l'attention du partenaire et lui paraissent sĂ©duisants.
  • Dans la mesure oĂč ces traits sont Ă  la fois des indicateurs de bonne santĂ© physique et de bonne santĂ© gĂ©nĂ©tique, ils prĂ©sentent une grande variance dans la population, ces diffĂ©rences dĂ©pendent du bon Ă©tat gĂ©nĂ©ral du patrimoine gĂ©nĂ©tique de l'individu, et sont corrĂ©lĂ©es d'une gĂ©nĂ©ration Ă  l'autre.
  • Dans la mesure oĂč le choix du partenaire sexuel repose sur une comparaison de performance, ces traits tendent Ă  ĂȘtre inĂ©galement rĂ©partis dans la population, Ă  ĂȘtre d'autant plus manifestes que l'individu est en bonne santĂ© gĂ©nĂ©rale, et Ă  ĂȘtre coĂ»teux et difficiles Ă  acquĂ©rir pour l'individu en mauvaise santĂ©.

Effet d'une pression de sélection

La sélection sexuelle conduit à des évolutions rapides, dans des directions arbitraires et imprévisibles ; différents sous-groupes isolés dans une population auront une évolution divergente. Les traits qui évoluent sous cette pression sélective n'apportent généralement pas de bénéfice à l'individu en termes d'aptitude à la survie dans son contexte écologique.

Au contraire, la sélection naturelle conférant un avantage de survie dans un contexte écologique donné stabilise les caractéristiques d'une espÚce tant que le contexte écologique est stable, en éliminant les individus qui s'écartent de l'optimum.

Signes d'une sélection de survie

Des traits optimisés par une sélection naturelle tendent à présenter des caractéristiques inverses[1] :

  • Ils ne prĂ©sentent plus de variation entre individus, ou du moins ne prĂ©sentent plus qu'une variation rĂ©siduelle alĂ©atoire, parce que les versions moins bien adaptĂ©es du pool gĂ©nĂ©tique auront Ă©tĂ© Ă©liminĂ©es au fil des gĂ©nĂ©rations.
  • Leur valeur d'Ă©quilibre rĂ©pond Ă  une fonction biologique apparente, le trait permet Ă  l'individu de bĂ©nĂ©ficier d'une meilleure adaptation Ă  son environnement, et un Ă©cart trop important par rapport Ă  cette valeur conduit Ă  un dĂ©triment sĂ©lectif.
  • Étant modelĂ©s par une fonction biologique objective, les traits adaptatifs font souvent l'objet d'une convergence Ă©volutive d'espĂšces non apparentĂ©es.
  • Les innovations conduisant Ă  un avantage sĂ©lectif important sont souvent Ă  l'origine d'une radiation Ă©volutive.

Dans ces comparaisons, il faut faire attention à ce qu'un trait peut avoir fait dans le passé l'objet d'une sélection sexuelle conduisant à un emballement fisherien, mais lorsqu'une contre-sélection se fait sentir, ces traits redeviennent modelés par la sélection naturelle. Ainsi la longueur de la queue du paon est à présent régulée à la fois par le détriment sélectif que représenterait une queue significativement plus longue et le détriment reproductif que représenterait une queue significativement plus courte ; la sélection sexuelle ne portant plus à présent que sur l'énergie dépensée à la parade nuptiale.

SĂ©duction cognitive

Une Ă©quipe de l’Institut de zoologie de l’AcadĂ©mie chinoise des sciences de PĂ©kin, a examinĂ© si les perruches avaient modifiĂ© leur prĂ©fĂ©rence pour les mĂąles aprĂšs avoir observĂ© la capacitĂ© d’un prĂ©tendant potentiel Ă  faire quelque chose d’intelligent que son rival ne pouvait accomplir. L'expĂ©rience montre que l’observation directe des aptitudes cognitives peut influer sur la prĂ©fĂ©rence du partenaire et, par consĂ©quent, que les aptitudes cognitives peuvent ĂȘtre choisies directement par le partenaire[28].

Conséquences évolutives d'une sélection sexuelle

Spéciation

Dard d'amour de formes variées chez les gastéropodes.

Francis Bacon, commentant l'apparente inutilitĂ© de la diversitĂ© des plantes et des animaux, y voyait « la simple fantaisie de la nature »[29]. Dans la grande majoritĂ© des cas, les traits distinctifs qui diffĂ©rencient une espĂšce d'une autre ne peuvent pas ĂȘtre rattachĂ©s Ă  un avantage sĂ©lectif de survie. Mais si l'Ă©volution n'est poussĂ©e que par l'avantage de survie qu'y trouvent les individus, pourquoi y a-t-il une telle variĂ©tĂ© de formes, mais finalement si peu d'innovation rĂ©elle?

En taxinomie, ce sont le plus souvent les ornements particuliers du mùle, et les détails de l'appareil génital mùle, qui permettent de différencier les espÚces au sein d'un genre donné. C'est une expérience courante de l'ornithologue, que la vue d'une femelle ne permet souvent que d'identifier le genre, l'observation du mùle permettant de préciser l'espÚce[22]. Dans le domaine botanique, ce sont plutÎt les détails de l'appareil génital femelle que sont les fleurs, qui fournissent les critÚres les plus discriminants.

Les micro-innovations qui caractĂ©risent une espĂšce sont souvent des traits que peuvent sĂ©lectionner une sĂ©lection sexuelle[22]. À un certain niveau, on peut y voir l'effet d'une sĂ©lection sexuelle effective, conduisant Ă  singulariser des traits phĂ©notypiques Ă  travers le choix d'un partenaire d'accouplement. Comme le souligne William Eberhard, l'appareil gĂ©nital mĂąle est souvent la premiĂšre chose Ă  diverger quand une espĂšce se sĂ©pare d'une autre[30], et ce n'est Ă©videmment pas une pression sĂ©lective de survie qui explique une telle focalisation sur le sexe, mais bien plutĂŽt une pression de sĂ©lection sexuelle.

Mais inversement, la sĂ©lection sexuelle est un mĂ©canisme trĂšs efficace pour induire une barriĂšre de sĂ©lection entre espĂšces sƓurs. Comme le soulignait le biologiste Hugh Paterson, les espĂšces sont avant tout un systĂšme consensuel de sĂ©lection de partenaire d'accouplement. Dans la mesure oĂč les taxinomistes cherchent Ă  distinguer les espĂšces, ils se retrouvent Ă  utiliser les mĂȘmes distinctions que celles suivies par les espĂšces elles-mĂȘmes : des diffĂ©rences dans les ornements sexuels, et dans les comportements des parades sexuelles[22].

Les traits modelĂ©s par une sĂ©lection sexuelle ne rĂ©pondent gĂ©nĂ©ralement pas Ă  une fonctionnalitĂ© de survie, et sont donc le plus souvent spĂ©cifiques Ă  une espĂšce particuliĂšre. Lorsqu'au contraire un trait prĂ©sente un avantage adaptatif, il est gĂ©nĂ©ralement Ă  l'origine d'une spĂ©ciation rayonnante oĂč la mĂȘme fonctionnalitĂ© nouvelle est appliquĂ©e Ă  des environnements Ă©cologiques variĂ©s ; dans ce cas il tend Ă  caractĂ©riser un genre plutĂŽt qu'une espĂšce[31].

Mais un trait initialement porté par la sélection sexuelle peut s'avérer a posteriori porteur d'un avantage adaptatif.

Amplification de traits adaptatifs

Quel peut ĂȘtre l'avantage adaptatif d'une proto-aile pour le Dakotaraptor ?

La sĂ©lection sexuelle est aussi responsable du dĂ©veloppement d'adaptations spĂ©cifiques. Un des problĂšmes auquel doit rĂ©pondre la thĂ©orie de la sĂ©lection naturelle est : comment des fonctionnalitĂ©s anatomiques innovantes peuvent-elles Ă©merger d'une succession de micro-changements quantitatifs? MĂȘme s'il est clair, pour un regard extĂ©rieur, que l'investissement initial nĂ©cessaire Ă  une proto-aile est de toute maniĂšre largement rĂ©tribuĂ© par le bĂ©nĂ©fice ultĂ©rieur que constitue le vol, justifier ainsi ces Ă©volutions serait de la tĂ©lĂ©ologie. La sĂ©lection naturelle ne travaille pas sur le long terme, chaque gĂ©nĂ©ration doit en principe recevoir « cash » le bĂ©nĂ©fice d'une Ă©volution, mĂȘme minime, si celle-ci doit ĂȘtre effectivement sĂ©lectionnĂ©e.

Autant des traits simples, comme la longueur du cou d'une girafe ou le camouflage parfait d'un phasme peuvent s'expliquer par une lente dérive réalisant un progrÚs continu sous une pression de sélection de direction constante, autant des traits complexes dépendant de l'interaction harmonieuses de nombreuses caractéristiques sont plus difficiles à expliquer[22]. Le problÚme était connu de Darwin, et a toujours été la principale objection à sa théorie : comment la sélection naturelle peut-elle par exemple favoriser le coût biologique d'une proto-aile, avant que celle-ci ne soit suffisamment grande et complexe pour constituer un avantage de survie? C'est un paradoxe sorite : à partir de quel point une sélection a priori quantitative peut-elle finalement conduire par accumulation à une évolution qualitative?

Au dĂ©but d'une Ă©volution, en effet, les changements impliquent un coĂ»t croissant, puisqu'ils Ă©loignent la population concernĂ©e de son Ă©quilibre Ă©cologique ; mais ils n'apportent pas systĂ©matiquement un bĂ©nĂ©fice net en termes de survie, parce qu'un dĂ©veloppement plus important est nĂ©cessaire pour qu'une fonctionnalitĂ© nouvelle puisse Ă©merger[22]. Cet effet de seuil apparent a pu ĂȘtre minimisĂ© par certains biologistes comme Richard Dawkins ou Manfred Eigen, pour lesquels ce n'est pas parce qu'un chemin Ă©volutif n'est pas imaginable avec nos connaissances qu'il n'existe pas ; mais l'obstacle reste rĂ©el pour ceux qui n'acceptent pas d'adhĂ©rer Ă  un tel acte de foi[22].

La sĂ©lection sexuelle est une rĂ©ponse possible Ă  ce paradoxe, dans la mesure oĂč elle peut prĂ©cisĂ©ment favoriser le dĂ©veloppement de traits complexes et relativement coĂ»teux, sans qu'ils aient par eux-mĂȘmes d'avantage en termes de survie de l'individu[22]. En effet, la sĂ©lection sexuelle a pour effet d'entraĂźner pour la population une marche alĂ©atoire parcourant l'espace des phĂ©notypes physiques et comportementaux, au cours de laquelle le long terme de la pression de sĂ©lection de survie est largement compensĂ©e par la pression immĂ©diate de la sĂ©lection sexuelle. Chaque sous-espĂšce invente sa propre variante, qui peut conduire Ă  des spĂ©ciations foisonnantes. Tant que la sĂ©lection sexuelle est active, elle pousse le trait Ă  croĂźtre en complexitĂ© et Ă  conserver sa variabilitĂ© ; puis lorsque le trait atteint une limite pratique, la sĂ©lection en rĂ©duit la variabilitĂ©, il cesse d'ĂȘtre un indicateur pertinent, et se fossilise dans le phĂ©notype de l'espĂšce, oĂč n'Ă©tant plus portĂ© par une sĂ©lection active il est alors susceptible de dĂ©gĂ©nĂ©rer et mĂȘme de disparaĂźtre.

Mais dans cette dĂ©marche alĂ©atoire, l'Ă©laboration de traits complexes peut parfois conduire, par sĂ©rendipitĂ©, Ă  offrir Ă  la population une capacitĂ© fonctionnelle nouvelle. Dans ce cas, la pression de sĂ©lection de survie prend le relai de la sĂ©lection sexuelle, et pousse l'Ă©volution dans une direction oĂč le trait complexe devient optimisĂ© pour sa nouvelle fonction et cesse d'ĂȘtre un indicateur cible de la sĂ©lection sexuelle.

L'Ă©volution de l'aile des oiseaux Ă  partir de leurs ancĂȘtres thĂ©ropodes est peut-ĂȘtre un bon exemple de ce relai entre sĂ©lection sexuelle et sĂ©lection de survie sur une fonctionnalitĂ© nouvelle. Un animal comme Protarchaeopteryx avait des ailes bien dĂ©veloppĂ©es, mais Ă  quoi servaient-elles? Son aile n'a pas l'asymĂ©trie nĂ©cessaire pour fournir une portance suffisante, et il ne prĂ©sente aucune trace du squelette allĂ©gĂ© nĂ©cessaire au vol. En revanche, une aile ornĂ©e de plumes constitue un Ă©cran particuliĂšrement lisible, au moyen duquel peuvent s'exprimer des variantes complexes Ă  souhait d'un phĂ©notype physique et comportemental. Cette fonction est encore prĂ©sente dans de nombreuses parades nuptiales chez les oiseaux. Dans ce cadre, il est facile d'imaginer que la parade nuptiale de certains ancĂȘtres a pu comporter des sauts en hauteur, le meilleur sauteur Ă©tant sĂ©lectionnĂ© pour son bon Ă©tat physique. Dans ce cas, la poussĂ©e supplĂ©mentaire que donne le coup d'aile a pu faire l'objet d'une sĂ©lection sexuelle, avant mĂȘme de pouvoir fournir un rĂ©el avantage sĂ©lectif de survie en matiĂšre de vol[22].

SĂ©lection sexuelle en situation monogame

Un investissement parental symétrique tend à conduire à la monogamie et à un faible dimorphisme sexuel.

La stratégie typiquement mùle de multiplier le nombre de ses « placements reproductifs » suppose qu'une copulation est relativement « gratuite » pour lui. Elle ne peut plus fonctionner lorsque chaque placement représente un « investissement reproductif » important. C'est en particulier le cas lorsque la parade nuptiale correspond à une longue période d'observation ou à la préparation d'un nid : en général, dans ce cas, le mùle n'a pas le temps ou les moyens, pendant la saison reproductrice, de renouveler l'activité qui lui aura été nécessaire pour convaincre une femelle de consentir à une copulation. Un investissement important du mùle lui impose une monogamie pratique, au moins pendant la saison de reproduction[24].

Lorsque l'investissement mĂąle sur une copulation devient comparable Ă  celui de la femelle, les deux partenaires subissent alors une pression de sĂ©lection comparable pour choisir le partenaire qui optimisera les chances de survie de leur descendance, pour ce cycle de reproduction. Dans cette situation, si la femelle continue Ă  choisir classiquement son partenaire en fonction des indicateurs de valeur sĂ©lective qu'elle perçoit, le mĂąle en fera autant, et n'acceptera de s'accoupler qu'avec une femelle prĂ©sentant elle-mĂȘme des indicateurs de valeur sĂ©lective performants. La sĂ©lection sexuelle tend alors Ă  ĂȘtre une sĂ©lection mutuelle et symĂ©trique.

Dans une population donnĂ©e, pour les individus prĂ©sentant les indicateurs les plus performants, la sĂ©lection sexuelle consiste alors simplement Ă  se reconnaĂźtre comme le couple idĂ©al, et Ă  s'apparier — et puis vivre heureux en ayant beaucoup d'enfants. La situation est plus complexe pour ceux dont les indicateurs sont moins performants : dans l'idĂ©al ils prĂ©fĂ©reraient avoir comme partenaire les plus performants, mais ceux-ci sont dĂ©jĂ  pris, ayant tendance Ă  s'appareiller avec leurs semblables ; il ne reste que du second choix. Pour assurer un minimum de succĂšs reproductif, le principe de rĂ©alitĂ© conduit alors Ă  s'apparier avec du second choix, faute de mieux. De proche en proche, la superposition d'un indicateur de valeur sĂ©lective avec une pratique monogamique conduit donc Ă  appareiller les couples : la reproduction se fait en pratique avec un partenaire de dont la valeur sĂ©lective est de rang semblable au sien[24].

L'effet global de cette sĂ©lection mutuelle est qu'elle maximalise la dispersion de la valeur sĂ©lective dans la gĂ©nĂ©ration suivante. Dans la mesure oĂč la performance est hĂ©ritable, les individus rĂ©alisant l'idĂ©al de l'espĂšce se reproduisent entre eux Ă  une extrĂ©mitĂ© de l'Ă©chelle, et ont une descendance optimale ; et les couples les plus dĂ©gĂ©nĂ©rĂ©s Ă  l'autre extrĂ©mitĂ© auront la pire descendance possible[24]. Dans la mesure oĂč l'indicateur est effectivement un indicateur d'adaptation, ce sont les descendants les plus dĂ©gĂ©nĂ©rĂ©s qui seront ensuite Ă©liminĂ©s prĂ©fĂ©rentiellement par la sĂ©lection naturelle de survie.

Ce mĂ©canisme d'appareillement des indicateurs de valeur sĂ©lective conduit toutes choses Ă©gales par ailleurs Ă  une pression de sĂ©lection similaire sur l'indicateur considĂ©rĂ©. Cet indicateur tendra donc Ă  se rĂ©aliser de la mĂȘme maniĂšre indĂ©pendamment du sexe, et donc Ă  ne pas prĂ©senter de dimorphisme sexuel[24].

La tendance Ă  la monogamie en prĂ©sence d'un investissement reproductif partagĂ© n'est pas absolue, dans la mesure oĂč indĂ©pendamment de toute activitĂ© coĂ»teuse de parade et de sĂ©duction mutuelle, la tendance biologique de base reste prĂ©sente, pour la femelle de se prĂȘter Ă  une copulation rapide avec le mĂąle le plus performant, et pour le mĂąle, d'accepter des passades sans lendemain lorsque l'opportunitĂ© s'en prĂ©sente. MĂȘme dans un contexte de monogamie apparente, des Ă©carts restent donc toujours possibles, dans la mesure oĂč ils ne compromettent pas la soliditĂ© nĂ©cessaire au couple : les Ă©tudes gĂ©nĂ©tiques d'espĂšces d'oiseaux supposĂ©es monogames montrent que la paternitĂ© rĂ©elle des poussins n'est souvent pas celle que laisserait supposer les couples formĂ©s[24].

SĂ©lection sexuelle et dimorphisme

Dimorphisme sexuel chez la sarcelle Ă  ailes vertes (Anas carolinensis).

La différence d'investissement parental entre mùles et femelles fait que le plus souvent, le mùle n'a aucune raison de refuser de copuler avec une femelle qui le choisirait, tandis que la femelle a un avantage sélectif à sélectionner le mùle qui paraßt le mieux adapté. De ce fait, la sélection sexuelle produit les différences de phénotype étendu, anatomiques et comportementales, que l'on voit entre sexes dans la plupart des espÚces : des mùles empressés et parés d'attributs sexuels extravagants, courtisant des femelles plus ternes[15].

Cependant, dans la plupart des cas, les traits sélectionnés chez le mùle par une sélection sexuelle faite par la femelle n'induisent pas nécessairement de différence entre mùle et femelle de l'espÚce, parce que ces traits sont a priori hérités aussi bien chez les descendants mùles que chez les femelles[15].

Le trait sĂ©lectionnĂ© par la femelle peut ĂȘtre un trait s'exprimant spĂ©cifiquement chez les mĂąles, comme une parade nuptiale, mais peut aussi bien s'exprimer chez les deux sexes, comme la longueur de la queue ou la couleur des pattes.

Toutefois, dans ce dernier cas, si le développement du trait conduit à un handicap de survie, l'expression de ce trait chez la femelle fera l'objet d'une sélection négative, parce que le trait n'est pas intéressant pour le choix du mùle et n'apporte donc pas d'avantage reproductif pour la femelle. Typiquement, cette pression sélective conduira à accrocher au gÚne un mécanisme faisant dépendre son expression de la présence d'hormones sexuelles, et inhibant son expression chez la femelle[15]. Cette dissymétrie dans l'expression du gÚne conduit alors seulement à un dimorphisme sexuel.

De nombreux traits, par exemple la taille, la couleur, une musculature puissante, peuvent ĂȘtre non seulement un avantage pour la collecte de nourriture tout en constituant aussi des attracteurs sexuels importants.

Ces traits, qui donnent un avantage Ă  un individu par rapport Ă  ses rivaux lors de la recherche d'un partenaire sexuel, sont appelĂ©s caractĂšres sexuels secondaires. Ils peuvent ĂȘtre de plusieurs types :

Les différences sexuelles directement liés à la reproduction et ne servant pas spécifiquement à la recherche d'un partenaire sont appelés caractÚres sexuels primaires.

SĂ©lection sexuelle chez l'ĂȘtre humain

Historique

DĂšs qu'il propose sa thĂ©orie de la sĂ©lection sexuelle en 1871, Charles Darwin envisage que celle-ci s'applique autant Ă  l'espĂšce humaine qu'aux autres espĂšces animales. Par exemple, la pilositĂ© particuliĂšre de notre espĂšce, quasi absente sur l'ensemble du corps mais trĂšs prĂ©sente sur la tĂȘte (barbe et cheveux), constituait pour Darwin un produit de la sĂ©lection sexuelle en l'absence d'avantage sĂ©lectif pour la survie. De mĂȘme expliquait-il l'origine des races humaines qui ne semblait pas ĂȘtre le rĂ©sultat de la sĂ©lection naturelle. La bipĂ©die, l'accroissement du cerveau, ont Ă©tĂ© aussi supposĂ©s provenir de la sĂ©lection sexuelle[32]. Il remarque Ă  ce propos qu'il est heureux que cette sĂ©lection n'a pas fait l'objet d'une Ă©volution vers le dimorphisme[15] :

« Il est vraiment heureux que la loi de l’égale transmission des caractĂšres aux deux sexes ait gĂ©nĂ©ralement prĂ©valu dans toute la classe des mammifĂšres ; autrement, il est probable que l’homme serait devenu aussi supĂ©rieur Ă  la femme par ses facultĂ©s mentales que le paon par son plumage dĂ©coratif relativement Ă  celui de la femelle. » (la Filiation de l'homme et la sĂ©lection liĂ©e au sexe, Charles Darwin)

Plus récemment, il a été suggéré que le pénis de l'homme, et notamment le gland, est le produit d'une compétition post-copulatoire entre les individus mùles : la forme de cet organe sexuel est telle qu'il agit comme un aspirateur qui élimine le sperme d'éventuels autres mùles qui l'auraient précédé[33].

Spécificités humaines

Toutefois, dans l'espÚce humaine, les mécanismes de la sélection sexuelle restent difficiles à mettre en évidence du fait des traditions culturelles qui régissent les comportements sexuels (séduction, rapport sexuel...), et des capacités intellectuelles individuelles qui se superposent aux conduites plus instinctives.

Les recherches menées sur le sujet ont donc étudié les phénomÚnes associés aux possibles formes de sélection sexuelle dans l'espÚce humaine sous deux angles principaux :

  • la psychologie interculturelle qui recherche dans les comportements sexuels des universaux indĂ©pendants des pratiques culturelles ;
  • la psychologie expĂ©rimentale, qui Ă©tudie l'influence de diffĂ©rents facteurs expĂ©rimentaux sur le choix effectuĂ© par les sujets interrogĂ©s sur leur prĂ©fĂ©rence concernant un partenaire sexuel.

Traits valorisés

Les travaux menés par le psychologue évolutionniste David Buss auprÚs de plusieurs dizaines de cultures différentes montrent que, dans l'espÚce humaine, certains traits sont universellement valorisés chez un partenaire sexuel : la gentillesse, l'intelligence, la bonne santé... Par ailleurs, certaines caractéristiques physiques sont jugées plus attirantes que d'autres, comme la symétrie du visage ou du corps. Mais outre ces facteurs communs aux deux sexes, la théorie de la sélection prédit des différences entre les hommes et les femmes quant à leurs préférences, en raison de la différence dans l'investissement parental entre les deux sexes.

En effet, dans la majoritĂ© des cultures, les hommes sont influencĂ©s par certains critĂšres morphologiques liĂ©s Ă  la fertilitĂ© des femmes, comme un jeune Ăąge, le volume des seins ou encore un faible rapport taille-hanche. À l'inverse, aux yeux des femmes, un partenaire est jugĂ© en moyenne plus attractif s'il est plus ĂągĂ© qu'elles-mĂȘmes ; comparativement aux hommes, les caractĂ©ristiques physiques sont moins importantes que celles liĂ©es au statut social[34].

Des travaux menĂ©s en laboratoire semblent aussi montrer que les humains sont aussi sensibles Ă  de multiples autres facteurs de façon plus ou moins explicite. Une sĂ©rie d'expĂ©riences ont ainsi mis en Ă©vidence que les ĂȘtres humains Ă©taient sensibles aux odeurs. Les femmes rapportent ĂȘtre de meilleure humeur aprĂšs avoir senti des stĂ©roĂŻdes produits par les glandes sudoripares des aisselles, telles qu'on peut les recueillir chez des hommes adultes. Sans les voir, les femmes prĂ©fĂšrent les odeurs des hommes dont la morphologie est symĂ©trique[35]. Le rĂŽle du baiser sur la bouche est aussi Ă©voquĂ© par Thierry LodĂ© comme favorisant une exploration du systĂšme immunitaire. Enfin, les odeurs semblent aussi utilisĂ©es (de façon implicite) pour favoriser la diversitĂ© gĂ©nĂ©tique : un individu juge plus agrĂ©able une odeur provenant d'une personne de sexe opposĂ© dont le systĂšme HLA prĂ©sente une plus grande dissemblance avec le sien[36].

Dimorphisme humain

Si le dimorphisme anatomique entre les deux sexes suggĂšre que la sĂ©lection sexuelle a un rĂŽle significatif dans l'Ă©volution des traits anatomiques et physiologiques de l'ĂȘtre humain, les consĂ©quences de celle-ci sur les comportements sexuels restent controversĂ©es. Les Ă©lĂ©ments les plus probants viennent des comparaisons trans-culturelles qui montrent que les consĂ©quences comportementales d'une forme de sĂ©lection sexuelle dans l'espĂšce humaine semblent bien universelles — ce qui n'exclut pas de nombreuses variations tant entre qu'Ă  l'intĂ©rieur mĂȘme de chaque tradition culturelle. Par contre, les mĂ©canismes neurocognitifs sous-jacents restent eux encore peu explorĂ©s.

Appareil génital

La sexualitĂ© humaine et la reproduction humaine se distinguent de celle des autres grands singes. La femme humaine n'a pas d'Ɠstrus visible, ce qui implique que le succĂšs reproductif du mĂąle repose non sur le succĂšs d'un coĂŻt ponctuel, mais sur une sĂ©quence de monogamie exclusive suffisamment prolongĂ©e[31].

De ce fait, le succĂšs reproductif du mĂąle suppose un investissement suffisant dans une relation particuliĂšre. MĂȘme si cet investissement est moindre que celui de la femelle, il est suffisant pour que la formation d'un couple raisonnablement stable justifie une pression de sĂ©lection de la part de l'homme choisissant sa compagne pour un certain temps[31].

Le mùle humain a un pénis long, flexible et épais, se distinguant des pénis de la taille d'un petit crayon et rigidifié par un baculum des autres grands singes[31] ; la copulation d'un couple humain est beaucoup plus variée et prolongée que celle de ses cousins [31] ; et la partenaire femelle heureusement stimulée peut atteindre un orgasme clitoridien inconnu de ses cousines[31] ; l'ensemble suggérant que pénis et clitoris ont co-évolué dans un effet de sélection sexuelle comme organe respectivement émetteur et récepteur d'une mesure de valeur sélective mesurée à la capacité à donner du plaisir sexuel[31].

RĂ©partition adipeuse chez les femmes

Initialement, la glande mammaire des femelles hominidĂ©s (et des mammifĂšres en gĂ©nĂ©ral) n'est gonflĂ©e par la lactation que pendant la grossesse et l'allaitement, et est peu manifeste le reste du temps. De ce fait, une « poitrine avantageuse » pour un grand singe dĂ©montre une situation d'infertilitĂ©, et pour ce qui est de l'attrait sexuel, fonctionne comme un signal nĂ©gatif sur le mĂąle (au contraire donc du signal positif qu'est l'Ɠstrus apparent). Or la grossesse et l'allaitement peuvent se prolonger trĂšs longtemps, d'autant plus qu'avec un rythme de maturation plus lent, le sevrage dĂ©finitif peut n'intervenir que vers trois ans, ce qui est un facteur naturel d'espacement des grossesses.

Avec une diffĂ©renciation croissante des rĂŽles entre mĂąles et femelles, ces derniĂšres ont intĂ©rĂȘt Ă  rechercher l'attachement permanent d'un mĂąle protecteur, afin de ne pas s'exposer Ă  la charge de devoir gĂ©rer sa progĂ©niture sans aide extĂ©rieure. De ce fait, favoriser un comportement sexuel opportuniste devient pour elles un dĂ©savantage sĂ©lectif[37]. Dans la lignĂ©e qui a conduit Ă  l'homme moderne, la pression Ă©cologique Ă©tant pour les femelles de favoriser une disponibilitĂ© sexuelle quasi-permanente, afin de maintenir le lien d'interdĂ©pendance avec le mĂąle, une pression de sĂ©lection favorise alors les femelles dont la poitrine est de taille sensiblement constante, plutĂŽt que de varier visiblement en fonction de la fertilitĂ©. SymĂ©triquement, et dans la mesure oĂč la poitrine ne devient apparente qu'avec la pubertĂ©, la mĂȘme pression de sĂ©lection va favoriser les mĂąles pour lesquels la poitrine fĂ©minine volumineuse devient un signal positif, parce que l'attrait spĂ©cifique d'une poitrine plate, qui dirigerait le dĂ©sir sexuel vers des copulations infertiles, ne constitue alors plus un avantage sĂ©lectif[38]

Selon le psychologue Geoffrey Miller dans son ouvrage The Mating Mind, une forte poitrine serait ainsi l'objet d'une sélection sexuelle (mais le signal négatif d'une telle poitrine peut continuer à se manifester comme atavisme). Cette poitrine importante n'est pas corrélée à une meilleure capacité de lactation, puisqu'elle est due à une accumulation de tissus adipeux au niveau du sein[31]. Elle présenterait tous les signes d'une sélection sexuelle effective (effectuée de maniÚre atypique par le mùle, puisque l'indicateur se développe chez la femelle). En revanche, l'indicateur constitue un bon indicateur de la valeur sélective, le volume des seins variant rapidement en fonction de l'état général de l'individu[31]. Il peut jouer un rÎle important lors de la parade sexuelle au sens large : les seins n'apparaissent qu'à la puberté, ils sont généralement considérés comme plaisants à regarder, et attirent d'autant plus le regard qu'ils oscillent pendant la marche[31].

La mĂȘme attirance de l'Ɠil pour les formes plutĂŽt rondes aurait selon lui conduit chez la femme Ă  une accumulation secondaire de graisse au niveau des fessiers et des cuisses[31], accentuant la bosse naturelle formĂ©e par le grand glutĂ©al, et soulignant la diffĂ©rence d'orientation dans l'attache de celui-ci, due Ă  la fois Ă  la diffĂ©rence anatomique du petit bassin entre l'homme et la femme, et au ratio taille / hanche plus faible chez celle-ci. Chez la femme, la ligne principale du relief converge de bas en haut, suivant un angle de l'ordre de 25 Ă  30° de la verticale ; et le geste des deux mains reproduisant un tel angle Ă  hauteur de hanches est gĂ©nĂ©ralement compris comme Ă©voquant une femme.

Les études psychologiques montrent que l'homme a une préférence pour les femmes au ratio taille / hanches plus faible, les jeunes femmes en début de fertilité ayant typiquement un ratio de 0,7, contre plutÎt 0,9 pour les hommes[31] selon une idée défendue par de nombreux psychologues évolutionnistes, mais fortement contestée[39] - [40] - [41] - [42]. Ce taux de 0,7 pour les femmes résulte d'une étude portant sur 14 hommes, soumis à des mesures par imagerie cérébrale, et à qui il était demandé de noter l'attractivité de photos de femmes avant et aprÚs chirurgie plastique, l'opération de chirurgie ayant conduit à amener ce ratio à 0,7 présupposé comme étant idéal[43].

Mais ces réserves de graisse fondent dans les corps féminins soumis à stress physique intense, comme chez les coureurs de fond, les ballerines ou les anorexiques, qui tendent à avoir moins de fesses et de poitrine, et souffrent souvent d'aménorrhée[31].

Exemples et interprétations de sélection sexuelle

Sélection pré- et post-copulatoire

MĂȘme si elle est moins visible, la sĂ©lection sexuelle peut se prolonger aprĂšs l'acte copulatoire. En effet, avant l'accouplement proprement dit, lors de la phase prĂ©-copulatoire, les individus sont en compĂ©tition pour accĂ©der au partenaire. Mais cette compĂ©tition ne cesse pas aprĂšs que l'acte sexuel a eu lieu. Ainsi, chez les vertĂ©brĂ©s, la femelle, qui est en gĂ©nĂ©ral le sexe qui produit le moins de gamĂštes et pour qui l'investissement parental est le plus Ă©levĂ©, peut chercher Ă  se reproduire avec d'autres mĂąles : c'est ce qu'on appelle la polyandrie. Dans ce cas, les spermatozoĂŻdes de ses diffĂ©rents partenaires sexuels se mĂȘleront dans son systĂšme reproducteur et entreront en compĂ©tition (intra-sexe) pour fĂ©conder le ou les ovule(s). D'un point de vue Ă©volutif, la femelle a donc intĂ©rĂȘt Ă  mettre en concurrence les gamĂštes de plusieurs partenaires afin de se reproduire avec le meilleur fĂ©condateur. DĂšs lors, il peut s'Ă©tablir une compĂ©tition inter-sexe par laquelle l'un des deux partenaires (en gĂ©nĂ©ral, le mĂąle) contraint la femelle Ă  ne pas avoir de relations sexuelles avec d'autres individus.

Le choix qu'exerce la femelle par l'intermédiaire d'une sélection sur les gamÚtes mùles a été baptisé « choix femelle cryptique ».

Signaux sexuellement sélectionnés et immunocompétence

La sĂ©lection sexuelle repose en partie sur l’existence de caractĂšres sexuels secondaires dont la production a un coĂ»t Ă©nergĂ©tique et physiologique : ils sont alors perçus comme des signaux honnĂȘtes de bonne qualitĂ© du mĂąle par la femelle.

La théorie du handicap d'immunocompétence définit le mécanisme général pour expliquer les coûts de ces caractÚres sexuels secondaires, en particulier celui des ornements. Elle stipule que les individus mùles portent des ornements aux dépens de leur propre résistance aux parasites et aux maladies. Ce compromis se présente comme une conséquence de la dualité des effets des androgÚnes sur ces caractÚres sexuels secondaires et la fonction immunitaire : un fort taux d'androgÚnes aura pour résultat des ornements plus développés, mais aussi une action immunosuppressive[44]. Mais il peut aussi se présenter en l'absence d'effets directs médiés par les hormones sexuelles.

La testostĂ©rone est une molĂ©cule androgĂšne qui a pour effet d’accroĂźtre les ornements, mais aussi de diminuer la capacitĂ© immunitaire de l’individu[45]. En conditions naturelles, les ornements qu’arborera un individu mĂąle seront d’autant plus importants que son immunocompĂ©tence sera Ă©levĂ©e, donc que son gĂ©nome sera adaptĂ© pour faire face aux parasites et/ou maladies ou que sa capacitĂ© Ă  trouver de la nourriture dans le milieu sera bonne [44]. Un mĂąle trĂšs immunocompĂ©tent pourra ainsi maintenir une concentration Ă©levĂ©e de testostĂ©rone et, malgrĂ© les effets immunosuppresseurs de cet androgĂšne, garder une bonne immunocompĂ©tence. Une femelle qui choisira un mĂąle portant ces signaux exagĂ©rĂ©s tĂ©moignant de sa qualitĂ© sera ainsi assurĂ©e de transmettre de bons gĂšnes Ă  sa descendance.

Mais la variation d’allocation des ressources n’est pas toujours liĂ©e Ă  l’effet d’un androgĂšne :

  • Des recherches menĂ©es chez le diamant mandarin[46] ont montrĂ© que les carotĂ©noĂŻdes qu’il prĂ©lĂšve dans son environnement amĂ©liorent Ă  la fois son immunocompĂ©tence et son caractĂšre sexuel secondaire, ici la couleur du bec. En accord avec la thĂ©orie du handicap d’immunocompĂ©tence, les mĂąles ayant une bonne immunocompĂ©tence allouent prĂ©fĂ©rentiellement les carotĂ©noĂŻdes Ă  la couleur de leur bec, et attirent donc plus les femelles.

Signaux sexuellement sélectionnés et parasitisme

L'existence d’une influence du parasitisme sur la sĂ©lection sexuelle a longtemps Ă©tĂ© discutĂ©e, mais il est dĂ©sormais admis qu'il existe une corrĂ©lation entre parasitisme et succĂšs reproducteur.

De nombreuses Ă©tudes ont menĂ© Ă  l’émergence des thĂ©ories suivantes :

  • En 1982, les travaux effectuĂ©s par William Hamilton et Marlene Zuk sur des passereaux d’AmĂ©rique du Nord et leurs parasites sanguins les amĂšnent Ă  Ă©mettre « l’hypothĂšse des bons gĂšnes »[47]. Ils proposent un modĂšle de sĂ©lection sexuelle dans lequel le choix du(des) partenaire(s) sexuel(s) par les femelles se fait via certains traits mĂąles jouant un rĂŽle de signal de leur rĂ©sistance aux parasites, tels que l’éclat ou le chant. L’expression de ces traits Ă©tant liĂ©e Ă  des gĂšnes de rĂ©sistance parasitaire, leur degrĂ© d’expression indiquerait l’hĂ©ritabilitĂ© de la rĂ©sistance des mĂąles au parasitisme. Choisir un partenaire possĂ©dant des « signaux honnĂȘtes » (voir la dĂ©finition dans le paragraphe « Historique ») indicateurs d’une certaine « qualitĂ© » permettrait donc aux femelles d’avoir des descendants jouissant eux aussi d’une rĂ©sistance Ă  l’infection par des parasites. Cela conduit Ă  la prĂ©diction que l’intensitĂ© de la charge parasitaire serait inversement corrĂ©lĂ©e au succĂšs reproducteur du mĂąle. Il est important de noter que la thĂ©orie de Hamilton et Zuk prĂ©sente certaines limites. Par exemple, elle ne permet pas d'expliquer les rĂ©sultats d'Ă©tudes dans lesquelles aucune relation entre la charge parasitaire du mĂąle et son succĂšs reproducteur n'a Ă©tĂ© trouvĂ©e[47].
  • En 1986, Gerald Borgia, reprenant les travaux de Hamilton et Zuk au travers d’une Ă©tude sur le Jardinier satinĂ© (Ptilonorhynchus violaceus) et de l’un de ses ectoparasites (le pou blanc Cuclotogaster sp.), les complĂšte en proposant la « thĂ©orie de l’évitement du parasitisme »[48]. Dans ce nouveau modĂšle, l’évitement d’une infection parasitaire est un bĂ©nĂ©fice potentiel direct pour les femelles. En effet, en Ă©vitant tout contact avec un mĂąle parasitĂ©, la femelle Ă©vite d’ĂȘtre elle-mĂȘme parasitĂ©e et, dans le cas oĂč le partenaire participerait Ă  l’élevage des petits, elle Ă©carte toute transmission possible de parasites vers ses descendants, et garantit par ailleurs de meilleurs soins parentaux (un mĂąle infestĂ© sera en moins bonne santĂ© et procurera donc de moins bons soins parentaux qu’un mĂąle non parasitĂ©). Ce modĂšle diffĂšre de celui de Hamilton et Zuk dans lequel le choix des femelles se fait en vue de l’acquisition de bons gĂšnes pour leur descendance (bĂ©nĂ©fices indirects pour les femelles). Mais il connaĂźt des limites ; par exemple il n’explique pas la corrĂ©lation nĂ©gative entre la virulence du parasite et le degrĂ© d’expression de certains caractĂšres mĂąles affectĂ©s par le parasitisme.
  • En 1995, David J. Able propose la « thĂ©orie de l’indicateur de contagion »[48]. Il dĂ©finit la notion de parasite « associativement transmissible » (« associatively transmissible »), qui correspond Ă  un parasite pouvant ĂȘtre transmis du mĂąle vers la femelle et/ou vers sa descendance par contact direct ou indirect. Il prĂ©dit que les caractĂšres mĂąles importants dans le choix des femelles indiqueraient l’éventuelle prĂ©sence d’un parasite « associativement transmissible ». De ce fait, l’intensitĂ© de l’infection engendrĂ©e par un tel parasite serait nĂ©gativement corrĂ©lĂ©e au succĂšs reproducteur du mĂąle et au degrĂ© de dĂ©veloppement de ses caractĂšres. À l’inverse, ces caractĂšres ne pourraient pas indiquer la prĂ©sence d’un parasite « non associativement transmissible ». Les mĂąles infectĂ©s par un tel parasite ne verraient donc pas leur succĂšs reproducteur se modifier. Contrairement Ă  l’hypothĂšse de Hamilton et Zuk, Able fait la distinction entre parasite « associativement transmissible » et « non associativement transmissible ». Il reprend la thĂ©orie de Borgia et ajoute qu’il y a bĂ©nĂ©fice direct pour les femelles lorsqu’elles Ă©vitent les mĂąles parasitĂ©s, mais uniquement si le parasite est « associativement transmissible ».

Il est toutefois important de garder Ă  l’esprit qu’aucune des thĂ©ories citĂ©es ci-avant ne permet de fournir une explication applicable et gĂ©nĂ©ralisable Ă  toutes les catĂ©gories de parasites et d'hĂŽtes. Leur diversitĂ©, ainsi que la diversitĂ© de leur environnement et des processus impliquĂ©s dans leurs interactions, sont en effet extrĂȘmement importantes.

De nombreuses Ă©tudes concernant l’influence du parasitisme sur des traits sexuellement sĂ©lectionnĂ©s ont Ă©tĂ© menĂ©es, certaines confortant une ou plusieurs des thĂ©ories dĂ©finies ci-dessus :

  • Une Ă©tude[49] a montrĂ© que chez les guppies (Poecilia reticulata) mĂąles, une infection par le parasite Gyrodactylus turbulliqui donnait lieu Ă  une diminution gĂ©nĂ©rale des trois paramĂštres caractĂ©risant leur motif de couleur en carotĂ©noĂŻdes : teinte, Ă©clat, valeur. Il a par ailleurs Ă©tĂ© dĂ©montrĂ© qu’aprĂšs le traitement, les femelles avaient une nette prĂ©fĂ©rence pour les mĂąles non infectĂ©s.
  • D’autres travaux[50], s’appuyant sur des Ă©tudes montrant que les chants complexes des oiseaux mĂąles sont prĂ©fĂ©rĂ©s des femelles, ont mis en Ă©vidence les consĂ©quences d’une infection par le parasite Plasmodium relictum (responsable du paludisme des oiseaux) sur la qualitĂ© et la complexitĂ© des chants de canaris (Serinus canaria) juvĂ©niles. Il rĂ©sulte de cette infection une diminution significative de l'hĂ©matocrite et de la taille du noyau HVC (High Vocal Centre) du cerveau, impliquĂ© dans le contrĂŽle du syrinx (organe de chant), ainsi qu’une rĂ©duction significative de la complexitĂ© et du rĂ©pertoire de chant. Cette Ă©tude suggĂšre que la complexitĂ© des chants aurait Ă©voluĂ© comme Ă©tant un indicateur honnĂȘte du statut parasitaire de l’oiseau.
  • Peu d’études ont Ă©tĂ© menĂ©es dans le domaine des signaux chimiques. On peut toutefois noter certains travaux sur des souris (Mus musculus) infectĂ©es par diffĂ©rents parasites tels qu'Eimeria vermiformis et Heligmosomoides polygyrus (en)[51]. Il a notamment Ă©tĂ© montrĂ© que les souris femelles peuvent discriminer de par leurs urines, les mĂąles parasitĂ©s et non parasitĂ©s. Par ailleurs, il a Ă©tĂ© observĂ© au cours de cette Ă©tude que l'urine des mĂąles infectĂ©s perd son attractivitĂ© et influence donc directement le choix des femelles en faveur de l'urine des mĂąles non infectĂ©s.
  • Chez les jardiniers satinĂ©s (Ptilonorhynchus violaceus), espĂšce hautement polygyne, la charge parasitaire en poux (Cuclotogaster sp.) n’est pas une cause majeure dans les variations du succĂšs reproducteur entre mĂąles. Cependant un niveau d’infection bas est indicateur des bonnes conditions de santĂ© des mĂąles. De plus, des mĂąles vigoureux rĂ©alisent un « berceau nuptial » de meilleure qualitĂ© ce qui, aux yeux des femelles, est un indicateur de la condition des mĂąles qui vont donc ĂȘtre prĂ©fĂ©rĂ©s[52].
  • Les demoiselles mĂąles de la sous-espĂšce Calopteryx splendens xanthostoma possĂšdent de larges taches mĂ©lanisĂ©es sur leurs ailes. La dĂ©position de la mĂ©lanine pour ce signal sexuel se fait via la cascade enzymatique de la phĂ©noloxidase, cascade qui assure Ă©galement la dĂ©fense contre leur endoparasite unicellulaire, une grĂ©garine. Il existe une corrĂ©lation positive entre l’hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© des taches et la charge parasitaire chez les mĂąles infectĂ©s par le grĂ©garine : les mĂąles possĂ©dant des taches alaires foncĂ©es et homogĂšnes rĂ©sistent mieux au parasitisme que les mĂąles avec des taches plus claires et plus hĂ©tĂ©rogĂšnes[53]. Cela suggĂšre que la distribution de la pigmentation sur les ailes des mĂąles est un signal honnĂȘte de leur rĂ©sistance au parasitisme, en accord avec la « thĂ©orie du handicap d’immunocompĂ©tence » (voir le paragraphe « Signaux sexuellement sĂ©lectionnĂ©s et immunocompĂ©tence »). De plus, ces mĂąles possĂ©dant un signal honnĂȘte sont prĂ©fĂ©rĂ©s des femelles. Si la rĂ©sistance au parasite est hĂ©ritable, ce choix sera indirectement bĂ©nĂ©fique pour les femelles (meilleure descendance) ; un rĂ©sultat qui confirme l’hypothĂšse des « bons gĂšnes » de Hamilton et Zuk.

Signaux sexuellement sélectionnés chez les femelles

Dans la majoritĂ© des cas, l’apparition des ornements et des caractĂšres sexuels secondaires dĂ©veloppĂ©s chez le mĂąle rĂ©sulte de la sĂ©lection sexuelle exercĂ©e par les femelles. Cependant des Ă©tudes rĂ©centes ont montrĂ© que chez certaines espĂšces, les mĂąles peuvent Ă©galement effectuer une sĂ©lection chez les femelles (sĂ©lection intersexuelle). Les femelles se retrouvent alors en compĂ©tition pour avoir accĂšs aux mĂąles, les attirer et se reproduire (sĂ©lection intra-sexuelle). Les espĂšces oĂč se produit ce phĂ©nomĂšne sont qualifiĂ©es d’espĂšces Ă  rĂŽle sexuel inversĂ©[54] - [55].

La sĂ©lection est rĂ©alisĂ©e par le mĂąle dans les cas oĂč le coĂ»t de la recherche de partenaires est faible et lorsque l’investissement parental et le coĂ»t de l’accouplement des mĂąles sont Ă©galement importants. De mĂȘme cette sĂ©lection est observĂ©e lorsque le sex-ratio est biaisĂ© en faveur des femelles et que le potentiel reproducteur de celles-ci varie[56].

Le choix des mĂąles est orientĂ© par les caractĂšres sexuels secondaires dĂ©veloppĂ©s par la femelle tels qu’un plumage/pelage trĂšs colorĂ©, des ornements Ă©laborĂ©s ou encore des armements. Ces signaux que la femelle exhibe sont des indicateurs de la qualitĂ© gĂ©nĂ©tique et phĂ©notypique ainsi que de son succĂšs de reproduction[57]. On observe certains de ces signaux chez diffĂ©rentes espĂšces.

  • Chez les fous Ă  pieds bleus (Sula nebouxii), espĂšce socialement monogame, l’intensitĂ© de la coloration des pieds donne une indication sur la qualitĂ© de la femelle. Selon l’intensitĂ©, la frĂ©quence des parades entre partenaires est affectĂ©e. Une coloration moins foncĂ©e est prĂ©fĂ©rĂ©e parce qu’elle montre que l’oiseau est en bonne condition. En effet, les femelles avec des pieds moins foncĂ©s pondent un plus grand nombre d’Ɠufs[57].
  • Dans le cas des gobies de lagune (Knipowitschia panizzae), la taille de la tache jaune est un indicateur de fĂ©conditĂ© et rĂ©vĂšle probablement d’autres indices qui n’ont pas encore Ă©tĂ© mis en Ă©vidence comme, la qualitĂ© des Ɠufs. Les mĂąles ont une prĂ©fĂ©rence pour des femelles possĂ©dant une tĂąche plus large au niveau du ventre[58].
  • Chez le coq domestique (Gallus gallus), il a Ă©tĂ© montrĂ© que la taille des crĂȘtes reflĂšte la fĂ©conditĂ© et la bonne santĂ© des femelles et influence le choix des mĂąles. Ils choisissent prĂ©fĂ©rentiellement les femelles possĂ©dant les crĂȘtes les plus larges, qui reçoivent une quantitĂ© de sperme plus importante[56].
  • La coloration grise de la queue chez les faucons crĂ©cerelles (Falco tinnunculus) semble ĂȘtre un indicateur de la qualitĂ© des femelles. Les plus grises paraissent avoir de meilleures capacitĂ©s Ă  obtenir un partenaire. La coloration favoriserait donc la sĂ©lection des femelles chez cette espĂšce. Cette coloration, induite par la mĂ©lanine, est plus prĂ©sente chez les femelles adultes, et il y a une corrĂ©lation entre ce trait et la taille des couvĂ©es[59]. La coloration du plumage pourrait ĂȘtre un signal que l’on retrouve Ă©galement chez d’autres espĂšces d’oiseaux, par exemple le gobemouche noir (Ficedula hypoleuca)[55] et le rollier d'Europe (Coracias garrulus)[60].
  • Un autre cas de sĂ©lection sexuelle par les mĂąles a Ă©tĂ© dĂ©montrĂ© chez l’araignĂ©e sauteuse (Phidippus clarus), une espĂšce Ă  rĂŽle sexuel partiellement inversĂ©. Les mĂąles P. clarus visitent et gardent plusieurs femelles pendant une pĂ©riode de plusieurs semaines prĂ©cĂ©dant la maturation des femelles ; ce systĂšme de garde prĂ©-copulatoire favorise la sĂ©lection sexuelle par les mĂąles. En effet, les mĂąles s’accouplent prĂ©fĂ©rentiellement avec des femelles de grande taille, utilisant la taille des tibias ainsi que des signaux associĂ©s Ă  la soie tissĂ©e par les femelles comme critĂšres de sĂ©lection[61].
  • Chez les siphonostomes (Syngnathus typhle), les femelles prĂ©sentent des rayures temporaires sur les flancs. On a montrĂ© que cet ornement attire les mĂąles et en mĂȘme temps fait fuir les autres femelles. En effet les mĂąles sont plus attirĂ©s par les femelles qui exhibent ce trait, car il est le signe d’une femelle plus compĂ©titive[62].

Cependant, il est facile d'interprĂ©ter la prĂ©sence des ornements comme le rĂ©sultat de la sĂ©lection sexuelle, mais ce n'est peut-ĂȘtre pas toujours le cas. Darwin (1871) pensait qu'Ă  l'exception des espĂšces Ă  rĂŽle sexuel inversĂ©, il Ă©tait peu probable qu'un mĂąle sĂ©lectionne une femelle. Il croyait qu'un ornement retrouvĂ© chez la femelle Ă©tait, chez la plupart des espĂšces, le rĂ©sultat d'une sĂ©lection de ce trait chez le mĂąle. En effet, dans ce cas, la femelle choisit de s’accoupler avec un mĂąle possĂ©dant un trait particulier, qui sera alors transmis aussi bien Ă  la descendance mĂąle qu’à la descendance femelle[63]. Cette idĂ©e paraĂźt aujourd’hui trop simpliste[63], mais l'hypothĂšse demeure : on l'appelle l'hypothĂšse de la corrĂ©lation gĂ©nĂ©tique[64]. De plus, il n’est pas toujours facile de distinguer l’importance relative de la sĂ©lection sexuelle par rapport Ă  la sĂ©lection naturelle. Par exemple, la longueur de la queue de l’hirondelle rustique (Hirundo rustica) n’étant apparemment pas aĂ©rodynamique, elle Ă©tait supposĂ©e rĂ©sulter de la sĂ©lection sexuelle, car elle reprĂ©sentait un inconvĂ©nient et induisait donc un coĂ»t pour l’individu en question. Mais une Ă©tude rĂ©cente a montrĂ© que cette queue Ă©tait en fait aĂ©rodynamique et donc naturellement sĂ©lectionnĂ©e dans une population Ă©tudiĂ©e. Cela remet donc en cause l'explication de la prĂ©sence de ce trait par la sĂ©lection sexuelle[65].

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