EspĂšce
Dans les sciences du vivant, lâespĂšce (du latin species, « type » ou « apparence ») est le taxon de base de la systĂ©matique. La dĂ©finition la plus communĂ©ment admise est celle du concept biologique [1] - [2] - [3] : une espĂšce est un ensemble d'individus qui peuvent effectivement ou potentiellement se reproduire entre eux et engendrer une descendance viable et fĂ©conde, dans des conditions naturelles, mais une publication de 1997 indique qu'il existe 22 concepts d'espĂšces (espĂšce biologique, morphologique, Ă©cologique, comportementaleâŠ) dans la littĂ©rature scientifique[4]. Ainsi, l'espĂšce est la plus grande unitĂ© de population au sein de laquelle le flux gĂ©nĂ©tique est possible et les individus d'une mĂȘme espĂšce sont donc gĂ©nĂ©tiquement isolĂ©s d'autres ensembles Ă©quivalents du point de vue reproductif.
Pourtant, le critĂšre dâinterfĂ©conditĂ© ne peut pas toujours ĂȘtre vĂ©rifiĂ© : c'est le cas pour les fossiles, les organismes asexuĂ©s ou pour des espĂšces rares ou difficiles Ă observer. Dâautres dĂ©finitions peuvent donc ĂȘtre utilisĂ©es[5] :
- espĂšce morphologique (morphospecies) : groupe d'individus dĂ©fini par des caractĂ©ristiques structurales (taille, formeâŠ) ;
- espĂšce phylogĂ©nĂ©tique : la plus petite lignĂ©e dâune population pouvant ĂȘtre dĂ©finie par une combinaison unique de caractĂšres diagnostiques ;
- espĂšce Ă©cologique : groupe dâorganismes partageant une mĂȘme niche Ă©cologique ;
- espĂšce phĂ©nĂ©tique : ensemble dâorganismes vivants se ressemblant (critĂšres de similitudes morphologiques, anatomiques, embryologiques, etc.) plus entre eux quâĂ dâautres ensembles Ă©quivalents.
Concept
L'espĂšce est un concept flou dont il existe une multitude de dĂ©finitions dans la littĂ©rature scientifique. Dans son sens le plus simple, le concept de l'espĂšce permet de distinguer les diffĂ©rents types d'organismes vivants. DiffĂ©rentes dĂ©finitions permettent d'identifier plus prĂ©cisĂ©ment les critĂšres distinctifs de l'espĂšce. LâĂ©volution est la diffĂ©rence morphologique et gĂ©nĂ©tique que lâon observe dâune gĂ©nĂ©ration Ă lâautre entre ascendants et descendants, qui ne sont jamais identiques sauf en cas de clonage, et ce sont aussi les changements dans lâeffectif, l'aire de rĂ©partition et les comportements dâun groupe d'individus vivants[6]. En outre, ce nom a pu changer en raison de nouvelles dĂ©couvertes, descriptions ou analyses : ainsi, un mĂȘme taxon peut avoir plusieurs dĂ©nominations successives et il arrive aussi que plusieurs espĂšces soient identifiĂ©es lĂ oĂč auparavant on n'en voyait qu'une, ou inversement, que l'on regroupe au sein d'une mĂȘme espĂšce plusieurs noms (et types) diffĂ©rents (par exemple larves et adultes, ou bien mĂąles et femelles).
Avec le temps, les conditions et indications Ă rĂ©unir pour dĂ©finir une espĂšce sont devenues plus nombreuses et strictes. MĂȘme si les citoyens et les pouvoirs publics n'en sont pas toujours conscients, la formation des spĂ©cialistes en classification (taxonomie) est essentielle pour la prĂ©cision et la rigueur des travaux scientifiques concernant la biodiversitĂ© (mais aussi la minĂ©ralogie, la gĂ©ologie et la palĂ©ontologie).
Concept biologique
La dĂ©finition la plus communĂ©ment citĂ©e est celle du concept biologique de l'espĂšce Ă©noncĂ© par Ernst Mayr (1942)[7] : « Les espĂšces sont des groupes de populations naturelles, effectivement ou potentiellement interfĂ©condes, qui sont gĂ©nĂ©tiquement isolĂ©es dâautres groupes similaires »[8]. Ă cette dĂ©finition, il a ensuite Ă©tĂ© rajoutĂ© que cette espĂšce doit pouvoir engendrer une progĂ©niture viable et fĂ©conde[9]. Ainsi, l'espĂšce est la plus grande unitĂ© de population au sein de laquelle le flux gĂ©nĂ©tique est possible dans des conditions naturelles, les individus d'une mĂȘme espĂšce Ă©tant gĂ©nĂ©tiquement isolĂ©s dâautres ensembles Ă©quivalents du point de vue reproductif[5]. Mais c'est probablement Georges Buffon qui fut le premier en 1749 Ă construire une dĂ©finition biologique de l'espĂšce en Ă©crivant : « On doit regarder comme la mĂȘme espĂšce celle qui, au moyen de la copulation, se perpĂ©tue et conserve la similitude de cette espĂšce, et comme des espĂšces diffĂ©rentes celles qui, par les mĂȘmes moyens, ne peuvent rien produire ensemble »[10].
Le concept biologique de l'espĂšce s'appuie donc entiĂšrement sur l'isolement reproductif (ou isolement gĂ©nĂ©tique), c'est-Ă -dire l'ensemble des facteurs biologiques (barriĂšres) qui empĂȘchent les membres de deux espĂšces distinctes d'engendrer une progĂ©niture viable et fĂ©conde. D'aprĂšs Theodosius Dobzhansky, il est possible de distinguer les barriĂšres intervenant avant l'accouplement ou la fĂ©condation (barriĂšres prĂ©copulatoires ou prĂ©zygotiques), et les barriĂšres intervenant aprĂšs (barriĂšres postcopulatoires ou postzygotiques)[11]. Les barriĂšres prĂ©zygotiques vont empĂȘcher la copulation entre deux individus d'espĂšces diffĂ©rentes, ou la fĂ©condation des ovules dans le cas oĂč l'accouplement a bien lieu. Si la fĂ©condation a lieu malgrĂ© tout, les barriĂšres postzygotiques vont empĂȘcher le zygote hybride de devenir un adulte viable et fĂ©cond. C'est cet isolement reproductif qui va empĂȘcher le pool gĂ©nĂ©tique de chaque espĂšce de s'Ă©changer librement avec les autres et ainsi d'induire la conservation de caractĂšres propres Ă chaque espĂšce[12].
Pour certaines espĂšces, l'isolement reproductif apparait de maniĂšre Ă©vidente (entre un animal et un vĂ©gĂ©tal par exemple) mais dans le cas d'espĂšces Ă©troitement apparentĂ©es, les barriĂšres sont beaucoup moins claires. Il est donc important de prĂ©ciser que la reproduction entre individus d'une mĂȘme espĂšce doit ĂȘtre possible en conditions naturelles et que la progĂ©niture doit ĂȘtre viable et fĂ©conde. Par exemple, le cheval et l'Ăąne sont deux espĂšces interfĂ©condes mais leurs hybrides (mulet, bardot) le sont rarement ; la progĂ©niture n'est pas fĂ©conde, il s'agit bien de deux espĂšces diffĂ©rentes[13]. De mĂȘme, certaines espĂšces peuvent ĂȘtre croisĂ©es artificiellement mais ne se reproduisent pas ensemble dans le milieu naturel.
NĂ©anmoins, le concept biologique de l'espĂšce possĂšde certaines limites. L'isolement reproductif ne peut pas ĂȘtre dĂ©terminĂ© dans le cas des fossiles et des organismes asexuĂ©s (par exemple, les bactĂ©ries). De plus, il est difficile d'Ă©tablir avec certitude la capacitĂ© d'un individu Ă s'accoupler avec d'autres types d'individus. Dans de nombreux groupes de vĂ©gĂ©taux (bouleau, chĂȘne, sauleâŠ), il existe beaucoup d'espĂšces qui se croisent librement dans la nature sans que les taxonomistes les considĂšrent comme une seule et mĂȘme espĂšce pour autant[12]. De nombreuses autres dĂ©finitions ont donc Ă©galement cours pour passer outre les limites du concept biologique de l'espĂšce.
Autres concepts
Le concept morphologique de l'espÚce est le concept le plus généralement utilisé en pratique. Il consiste à identifier une espÚce d'aprÚs ses caractéristiques structurales ou morphologiques distinctives[12]. L'avantage de ce concept est qu'il est applicable aussi bien chez les organismes sexués qu'asexués et ne nécessite pas de connaßtre l'ampleur du flux génétique. Néanmoins, l'inconvénient majeur de ce concept réside dans la subjectivité de sa définition de l'espÚce, qui peut aboutir à des désaccords quant aux critÚres retenus pour définir une espÚce[5].
Une autre dĂ©finition repose sur la notion de ressemblance (ou au contraire de degrĂ© de diffĂ©rence), concept encore trĂšs utilisĂ© en palĂ©ontologie, oĂč il nây a pas dâautre option. Certains auteurs utilisent mĂȘme ces deux principes pour dĂ©finir les espĂšces.
LâĂ©tude de lâADN permet de rechercher des ressemblances non visibles directement sur le plan physique (phĂ©notype). Mais le critĂšre quantitatif (nombre de gĂšnes identiques) masque le critĂšre qualitatif, par dĂ©finition non mesurable. Ainsi, la classification des OrchidĂ©es de type Ophrys fait ressortir un grand nombre dâespĂšces, visiblement diffĂ©rentes (donc du point de vue phĂ©notype) alors que leurs gĂ©notypes se sont rĂ©vĂ©lĂ©s trĂšs proches. Le critĂšre de ressemblance gĂ©nĂ©tique est utilisĂ© chez les bactĂ©ries (en plus des ressemblances phĂ©notypiques). On sĂ©pare les espĂšces de maniĂšre que la variation gĂ©nĂ©tique intraspĂ©cifique soit trĂšs infĂ©rieure Ă la variation interspĂ©cifique.
LâespĂšce biologique est aujourdâhui le plus souvent dĂ©finie comme une communautĂ© reproductive (interfĂ©conditĂ©) de populations. Si cette dĂ©finition se prĂȘte assez bien au rĂšgne animal, il est moins Ă©vident dans le rĂšgne vĂ©gĂ©tal, oĂč se produisent frĂ©quemment des hybridations. On associe souvent le double critĂšre de rĂ©union par interfĂ©conditĂ© et sĂ©paration par non-interfĂ©conditĂ©, pour assurer la perpĂ©tuation de lâespĂšce.
Il existe aussi le concept d'espÚce écologique, à relier à la notion de niche écologique. Une espÚce est censée occuper une niche écologique propre. Cela revient à associer une espÚce à des conditions de vie particuliÚre. Cette définition proposée par Hutchinson[14] et par Van Valen[15] souffre des problÚmes de recouvrement de niche (plusieurs espÚces dont les niches sont trÚs proches voire indiscernables).
Les espÚces déterminantes sont des espÚces retenues par certaines méthodes parce qu'elles sont remarquables pour la biodiversité ou menacées et jugées importantes dans l'écosystÚme (ou représentatives d'un habitat ou de l'état de l'écosystÚme) aux niveaux régional, national ou supranational pour élaborer certains zonages (habitats déterminants, trame verte et bleue, ZNIEFF modernisées, Natura 2000, etc.).
Problématiques
DĂ©finir l'espĂšce de maniĂšre absolue semble trĂšs difficile, voire impossible selon Darwin[16]. Plusieurs historiens affirment d'ailleurs que si Darwin sâĂ©tait arrĂȘtĂ© au problĂšme de la dĂ©finition de lâespĂšce, il nâaurait jamais publiĂ© son livre majeur De l'origine des espĂšces[17].
De maniĂšre simplificatrice, on peut ramener les diverses dĂ©finitions qui ont Ă©tĂ© proposĂ©es sous trois rubriques diffĂ©rentes : concept typologique ou essentialiste de l'espĂšce (ressemblance morphologique par rapport Ă des individus de rĂ©fĂ©rence ou type) qui a prĂ©valu pendant des siĂšcles ; concept nominaliste (ressemblance phĂ©nomĂ©nologique des espĂšces qui n'ont pas d'existence) ; concept biologique ou populationnel (descendance d'ancĂȘtres communs, liĂ©e au critĂšre d'interfĂ©conditĂ©) qui sâest imposĂ© aprĂšs lâavĂšnement de la gĂ©nĂ©tique mais suscite de nombreux problĂšmes au niveau de la classification scientifique des espĂšces[17]. Ce qui a conduit des chercheurs Ă proposer d'abandonner la nomenclature linnĂ©enne, de ne plus donner de noms aux diffĂ©rents rangs taxinomiques et d'Ă©liminer, entre autres, le mot espĂšce du vocabulaire de la taxinomie. Ils veulent introduire Ă la place le concept de LITU (Least-Inclusive Taxonomic Unit, unitĂ© taxonomique la moins inclusive (de)) qui reprĂ©senterait le plus petit taxon que lâon puisse identifier[18].
Une question mĂ©rite dâĂȘtre posĂ©e : la notion dâespĂšce constitue-t-elle une simple commoditĂ© de travail, ou possĂšde-t-elle au contraire une rĂ©alitĂ© indĂ©pendante de notre systĂšme de classification ? PossĂšde-t-elle une vĂ©ritable signification dans lâabsolu ? LâespĂšce est-elle une classe logique Ă laquelle des lois sont universellement applicables, ou a-t-elle la mĂȘme rĂ©alitĂ© quâun individu (par le lignage) ? Les rĂ©ponses Ă ces considĂ©rations relĂšvent de lâĂ©pistĂ©mologie et de la sĂ©mantique opĂ©rationnelle autant que de la biologie.
Le problĂšme se complique du fait que le critĂšre dâinterfĂ©conditĂ© prĂ©sente ou absente, n'est pas toujours applicable de façon tranchĂ©e : des populations A1 et A2, A2 et A3⊠An-1 et An peuvent ĂȘtre interfĂ©condes, alors que les populations A1 et An ne le sont pas. C'est le cas, par exemple, des populations de goĂ©lands rĂ©parties autour du globe (rapportĂ© par Konrad Lorenz). On parle alors dâespĂšce en anneau (cf. variation clinale). La notion dâespĂšce se dissout alors dans une sorte de flou.
LâinterfĂ©conditĂ© ne permet donc pas de dire quâil sâagit de mĂȘmes espĂšces tandis que la non-interfĂ©conditĂ© suffit Ă dire quâil sâagit dâespĂšces diffĂ©rentes. Cette non-interfĂ©conditĂ© doit ĂȘtre recherchĂ©e aussi et surtout dans les descendants : chevaux et Ăąnes sont interfĂ©conds mais leurs hybrides (mulet, bardot) le sont rarement. Les deux populations forment donc des espĂšces diffĂ©rentes.
De mĂȘme, certaines races de chiens (anciennement Canis familiaris) sâhybrident sans problĂšme â et ont une descendance fĂ©conde â avec des loups communs (Canis lupus), tandis que leur hybridation avec dâautres races de leur propre espĂšce Canis familiaris reste bien problĂ©matique - dans le cas par exemple dâune femelle Chihuahua et dâun mĂąle Saint-Bernard !
Cela sâexplique par deux faits : le chien domestique est trĂšs polymorphe et câest une sĂ©lection artificielle Ă partir de loups, ce dont il y a maintenant des preuves gĂ©nĂ©tiques. On le nomme donc dĂ©sormais Canis lupus familiaris, câest-Ă -dire comme sous-espĂšce du Loup, donc parfaitement interfĂ©cond avec lui⊠dans la limite de ce que permet physiquement lâutĂ©rus rĂ©cepteur.
Stricto sensu, le concept d'espÚce suppose une hypothÚse forte qui est la transitivité des interfécondations possibles ; en d'autres termes, on suppose que si X1 est interfécond avec X2, X2 avec X3, etc., X1 sera interfécond avec Xn quelle que soit la longueur de la chaßne. Konrad Lorenz signale que cette supposition n'est pas toujours vraie, en particulier chez des oiseaux marins entre continents. Il faut d'ailleurs bien que ce genre de discontinuité existe pour qu'un phénomÚne de spéciation commence à apparaßtre lui aussi.
Ăvolution de la notion
Les Ă©leveurs en avaient vraisemblablement une notion non formalisĂ©e depuis lâorigine mĂȘme de lâĂ©levage. Platon spĂ©culera que puisque lâon voit des chevaux et des vaches, mais jamais dâhybride des deux, il doit exister quelque part une « forme idĂ©ale » qui contraint un animal Ă ĂȘtre lâun ou lâautre. Aristote prĂ©fĂšrera pour sa part Ă©viter ces spĂ©culations et se contenter de rĂ©pertorier dans lâOrganon ce quâil observe. Albert le Grand sây essaiera Ă son tour plus tard.
Concept empirique, la notion dâespĂšce a Ă©voluĂ© avec le temps et son histoire a Ă©tĂ© marquĂ©e par la pensĂ©e de grands naturalistes comme LinnĂ©, Buffon, Lamarck et Darwin. Au XVIIIe siĂšcle, les espĂšces Ă©taient considĂ©rĂ©es comme le rĂ©sultat de la crĂ©ation divine et, Ă ce titre, Ă©taient considĂ©rĂ©es comme des rĂ©alitĂ©s objectives et immuables. Depuis lâavĂšnement de la thĂ©orie de lâĂ©volution, la notion dâespĂšce biologique a sensiblement Ă©voluĂ©, mais aucun consensus nâa pu ĂȘtre obtenu sur sa dĂ©finition.
- Dans un premier temps, on a considĂ©rĂ© les espĂšces comme des entitĂ©s fixes dĂ©finies par des critĂšres morphologiques. Cette conception typologique a trouvĂ© son apogĂ©e avec les travaux de LinnĂ© et lâĂ©tablissement de collections dâindividus « typiques » de lâespĂšce.
- Lamarck est le premier à avoir une conception nominaliste de l'espÚce : ce sont des groupes qui n'existent pas dans la nature, créés par les naturalistes pour les commodités de la classification.
- Selon Cuvier, une espĂšce peut ĂȘtre dĂ©finie comme la collection de tous les corps organisĂ©s nĂ©s les uns des autres ou de parents communs et de ceux qui leur ressemblent autant quâils ne se ressemblent entre eux.
- Cette conception a Ă©voluĂ© vers une espĂšce « taxinomique » pour laquelle lâanalyse mathĂ©matique dâun grand nombre de critĂšres suffirait Ă Ă©tablir un seuil Ă partir duquel on pourrait dire que deux individus appartiennent Ă des espĂšces diffĂ©rentes.
- Les insuffisances de cette mĂ©thode ont conduit Ă une autre approche qui est la notion dâespĂšce biologique fondĂ©e essentiellement sur les critĂšres dâinterfĂ©conditĂ© et dâisolement (Ernst Mayr, 1942), avec lĂ encore quelques difficultĂ©s pour diffĂ©rencier par exemple des espĂšces qui ne sont naturellement pas en contact, etc.
- Ceci a conduit Ă amender cette dĂ©finition de lâespĂšce en y incluant une composante Ă©cologique. Ă compter de 1963, Ernst Mayr dĂ©finit ainsi lâespĂšce comme une communautĂ© reproductive de populations, reproductivement isolĂ©e dâautres communautĂ©s et qui occupe une niche particuliĂšre dans la nature. Cette dĂ©finition opĂ©rationnelle de lâespĂšce nâest toutefois pas exempte de problĂšmes (par exemple, la reconnaissance des niches).
- Une grande partie de ces problĂšmes peut ĂȘtre Ă©vitĂ©e si lâon considĂšre lâhistoire des ĂȘtres vivants. LâĂ©volution est un processus historique et les espĂšces sont le rĂ©sultat de lâĂ©clatement dâespĂšces qui les ont prĂ©cĂ©dĂ©es (spĂ©ciation). Tous les critĂšres prĂ©cĂ©dents se doivent dâĂȘtre corrĂ©lĂ©s avec les relations gĂ©nĂ©alogiques.
- Mais Ă un temps t (l'actuel), trĂšs peu d'espĂšces sont engagĂ©es dans un processus de spĂ©ciation, et en grande majoritĂ©, les espĂšces se reconnaissent trĂšs bien, il y a trĂšs peu d'hybridations spĂ©cifiques, mĂȘme si le systĂ©maticien les confondâŠ
- Une espĂšce est donc un lignage simple qui possĂšde ses propres tendances Ă©volutives et son propre destin historique (dâaprĂšs Delforge P Guide des OrchidĂ©es dâEurope⊠Delachaux et NiestlĂ© 1994). La notion de « destin » ne possĂšde pas d'assise scientifique : âsa propre historiqueâ correspond mieux Ă ce qui est observĂ© comme Ă l'objet des recherches en cours. La notion de âlignage simpleâ doit aussi ĂȘtre nuancĂ©e car, comme on lâa vu, une certaine interfĂ©conditĂ© reste possible entre certaines espĂšces proches : il peut en rĂ©sulter des descendants fĂ©conds aux caractĂ©ristiques plus adaptĂ©es Ă leur milieu qui formeront peut-ĂȘtre avec le temps une espĂšce Ă part entiĂšre.
Spéciation et durée de vie des espÚces
La spĂ©ciation est le processus Ă©volutif par lequel de nouvelles espĂšces apparaissent. La spĂ©ciation est Ă l'origine de la diversitĂ© biologique et constitue donc le point essentiel de la thĂ©orie de l'Ă©volution. La spĂ©ciation peut suivre deux voies : l'anagĂ©nĂšse et la cladogĂ©nĂšse. LâanagĂ©nĂšse est une accumulation de changements graduels au cours du temps qui transforment une espĂšce ancestrale en une nouvelle espĂšce, cette voie modifie les caractĂ©ristiques d'une espĂšce mais ne permet pas d'augmenter le nombre d'espĂšces. La cladogĂ©nĂšse est la scission d'un patrimoine gĂ©nĂ©tique en au moins deux patrimoines distincts, ce processus est Ă l'origine de la diversitĂ© biologique car il permet d'augmenter le nombre d'espĂšces.
En se basant sur les intervalles couverts par les espÚces fossiles que l'on répertorie dans les sédiments bien datés, la durée de vie moyenne d'une espÚce est de 4 à 5 millions d'années environ. Certaines évoluent plus vite, tels les mammifÚres et les oiseaux qui ont une durée de vie moyenne de l'ordre d'un million d'années, d'autres moins vite tels les bivalves qui atteignent environ 10 millions d'années par espÚce[19]. L'extinction d'un genre se produit quant à elle en moyenne aprÚs 20 millions d'années d'existence[20].
Classification
En classification classique ou phylogĂ©nĂ©tique, lâespĂšce est le taxon de base de la systĂ©matique, dont le rang se trouve juste en dessous du genre.
Nomenclature scientifique
Dans la classification scientifique, une espĂšce vivante ou ayant vĂ©cu est dĂ©signĂ©e suivant les rĂšgles de la nomenclature binominale, Ă©tablie par Carl von LinnĂ© au cours du XVIIIe siĂšcle. Suivant cette classification, le nom d'une espĂšce est constituĂ©e d'un binom latin (on dit habituellement binĂŽme par erreur de traduction du terme anglais binomen et pas binomial) qui combine le nom du genre avec une Ă©pithĂšte spĂ©cifique. Autant que possible, le nom est suivi de la citation du nom de l'auteur, abrĂ©gĂ© (en botanique) ou complet (en zoologie), qui a le premier dĂ©crit l'espĂšce sous ce nom. Le nom de lâespĂšce est lâensemble du binom, et pas seulement lâĂ©pithĂšte spĂ©cifique, suivi du nom d'auteur et de la date.
Par exemple, les ĂȘtres humains appartiennent au genre Homo et Ă lâespĂšce Homo sapiens LinnĂ©, 1758.
Les noms scientifiques des espĂšces (en latin scientifique) sâĂ©crivent en italique[alpha 1]. Le genre prend une majuscule initiale tandis que l'Ă©pithĂšte spĂ©cifique reste entiĂšrement en minuscule.
Quand le genre est connu mais que l'espĂšce n'est pas dĂ©terminĂ©e, il est dâusage dâutiliser comme Ă©pithĂšte provisoire lâabrĂ©viation du latin species : « sp. », Ă la suite du nom du genre. Quand on veut dĂ©signer plusieurs espĂšces ou toutes les espĂšces d'un mĂȘme genre, c'est l'abrĂ©viation « spp. » (pour species pluralis) qui est ajoutĂ©e. De mĂȘme, « sous-espĂšce » est abrĂ©gĂ© en « ssp. » (pour sub-species) et « sspp. » au pluriel (pour sub-species pluralis). Ces abrĂ©viations sont toujours Ă©crites en caractĂšres romains.
La nomenclature binominale, ainsi que dâautres aspects formels de la nomenclature biologique, constitue le « systĂšme linnĂ©en ». Ce systĂšme de nomenclature permet de dĂ©finir un nom unique pour chaque espĂšce, valable dans le monde entier, contrairement Ă la nomenclature vernaculaire.
Sous-espĂšce
Au sein dâune espĂšce donnĂ©e, une sous-espĂšce consiste en un groupe dâindividus qui se trouvent isolĂ©s (pour des raisons gĂ©ographiques, Ă©cologiques, anatomiques ou organoleptiques) et qui Ă©voluent en dehors du courant gĂ©nĂ©tique de la sous-espĂšce nominative, de rĂ©fĂ©rence.
Au bout dâun certain temps, ces groupes dâindividus prennent des caractĂ©ristiques spĂ©cifiques qui les diffĂ©rencient l'une de l'autre. Ces caractĂšres peuvent ĂȘtre nouveaux (apparition Ă la suite d'une mutation par exemple), mais dĂ©pendent de la fixation de caractĂ©ristiques variables chez lâespĂšce de base.
Ces deux bergeronnettes mĂąles ont Ă©tĂ© dĂ©crites comme deux sous-espĂšces diffĂ©rentes dâune mĂȘme espĂšce, Bergeronnette grise :
- Bergeronnette grise,
Motacilla alba alba - Bergeronnette de Yarrell,
Motacilla alba yarrellii.
Des sous-espÚces différentes ont souvent la possibilité de se reproduire entre elles, car leurs différences ne sont pas (encore) suffisamment marquées pour constituer une barriÚre reproductive.
On peut sâinterroger sur la validitĂ© de la dĂ©finition dâune sous-espĂšce sachant que la dĂ©finition du terme espĂšce reste fluctuante et controversĂ©e. Il en est ici de mĂȘme et toutes les limites de la dĂ©finition dâune espĂšce sâappliquent Ă©galement pour celle dâune sous-espĂšce.
Recensement
Carl von LinnĂ© recensait au XVIIIe siĂšcle environ 6 000 espĂšces vĂ©gĂ©tales et 4 400 espĂšces animales diffĂ©rentes dans la dixiĂšme Ă©dition (1758) du Systema Naturae[21]. Depuis cette Ă©poque et jusqu'en 2014, prĂšs de 1,9 million d'espĂšces ont Ă©tĂ© dĂ©crites[22] mais aujourdâhui, personne ne peut dire avec prĂ©cision le nombre dâespĂšces existant sur la planĂšte[23] - [24]. DiffĂ©rentes estimations donnent un nombre total d'espĂšces variant entre Ă 3 Ă 100 millions. Un consensus rĂ©cent a proposĂ© un nombre prĂ©cis minimum de 8,7 millions dâespĂšces (Ă lâexception des bactĂ©ries, trop difficiles Ă estimer)[25]. On dĂ©crit actuellement entre 16 000 et 18 000 nouvelles espĂšces par an, dont 10 % sont issues du milieu marin[26].
Eucaryotes
Les eucaryotes sont les animaux, les champignons, les plantes, les protozoaires⊠Alors quâon estime qu'entre 5 ± 3 millions dâespĂšces vivantes sur la planĂšte Terre ont Ă©tĂ© dĂ©couvertes[27] (avec des extrapolations jusqu'Ă plus de 100 millions d'espĂšces Ă dĂ©couvrir[28]), seulement 1,5 Ă 1,8 million d'espĂšces ont Ă©tĂ© dĂ©crites scientifiquement (tĂ©moin des difficultĂ©s liĂ©es Ă la notion dâespĂšce, ce nombre lui-mĂȘme reste flou). Les espĂšces marines ne reprĂ©sentent que 13 % de l'ensemble des espĂšces dĂ©crites, soit environ 275 000, dont 93 000 pour les seuls Ă©cosystĂšmes coralliens[29].
La grande majoritĂ© des espĂšces non dĂ©crites sont des insectes (4 Ă 100 millions d'espĂšces suivant les estimations, qui vivraient principalement sur la canopĂ©e des forĂȘts tropicales[30]), des nĂ©mathelminthes (ou vers ronds : 500 000 Ă 1 000 000 d'espĂšces), et des eucaryotes unicellulaires : protozoaires ou protophytes, certains oomycĂštes, anciennement considĂ©rĂ©s comme des champignons, aujourdâhui classĂ©s dans les stramĂ©nopiles ou les myxomycĂštes (moisissures visqueuses maintenant classĂ©es dans plusieurs groupes de protistesâŠ).
Selon la liste rouge de l'UICN de 2006[31] et les donnĂ©es les plus rĂ©centes, les espĂšces vivantes dĂ©crites peuvent ĂȘtre rĂ©parties comme suit :
- 312 655 plantes, dont :
- 25 000 algues,
- 15 000 mousses,
- 13 025 fougĂšres,
- 980 gymnospermes,
- 199 350 dicotylédones,
- 59 300 monocotylédones ;
- 74 000 Ă 120 000 champignons, dont :
- 32 000 ascomycĂštes,
- 17 000 basidiomycĂštes ;
- 10 000 lichens ;
- 1 503 691 animaux :
- 30 000 protozoaires,
- 1 413 050 invertébrés, dont :
- 1 148 000 arthropodes, dont 1 000 000 insectes[32], 80 000 arachnides[33], 55 000 crustacés[34], 13 000 myriapodes,
- 115 850 mollusques[35] - [36], dont 100 000 gastéropodes[37], 15 000 bivalves[38], 850 céphalopodes[39],
- 80 000 vers ronds[40],
- 20 000 vers plats[41] (dont 75 % de parasites),
- 15 000 annélides[42],
- 10 000 cnidaires[43] - [44],
- 9 000 Ă©ponges[45] - [46],
- 7 000 Ă©chinodermes[47] - [48],
- 5 700 bryozoaires[49],
- 2 500 tuniciers[50],
- 60 641 vertébrés :
- 108 agnathes (lamproies et myxines),
- 900 poissons cartilagineux[51] (requins, raies et chimĂšres),
- 30 000 poissons osseux[51] - [52],
- 5 743 amphibiens[53],
- 8 240 reptiles,
- 10 234 oiseaux,
- 5 416 mammifĂšres.
Environ 16 000 nouvelles espÚces sont décrites chaque année, dont 1 600 espÚces marines[29] et prÚs de 2 000 espÚces de plantes à fleur (369 000 espÚces répertoriées en 2015)[54].
On estime quâenviron dix espĂšces disparaissent naturellement (câest-Ă -dire hors de lâintervention de lâespĂšce humaine) chaque annĂ©e[55], ou une sur 50 000 par siĂšcle[56]. Mais il en est qui disparaissent aussi du fait de lâhomme (voir dodo, diversitĂ© gĂ©nĂ©tiqueâŠ) : Edward Osborne Wilson en Ă©value le nombre Ă plusieurs milliers par an[57]. DâaprĂšs lâĂvaluation des Ă©cosystĂšmes pour le millĂ©naire de 2005, le taux de disparition des espĂšces depuis deux siĂšcles est dix Ă cent fois supĂ©rieur au rythme naturel[58] (hors grandes crises d'extinction), et sera encore multipliĂ© par dix d'ici 2050, soit 1 000 Ă 10 000 fois le rythme d'extinction naturel.
Procaryotes
Dans les deux autres grands groupes du vivant (les archées et les bactéries), la notion d'espÚce est sensiblement différente[59] - [60]. Le nombre total est encore moins bien connu que chez les eucaryotes, avec des estimations qui varient entre 600 000 et 6 milliards d'espÚces⊠contre seulement 7,300 espÚces de bactéries connues à l'heure actuelle[56] - [61].
Orthographe
Suivi ou précédé d'un adjectif, on écrit une espÚce bovine, une espÚce protégée, etc. Suivi d'un substantif, on écrit l'espÚce Mulot sylvestre ou l'espÚce Apodemus sylvaticus[62].
« Une espÚce de » est suivi d'un singulier ou d'un pluriel, selon que cette expression est prise dans le sens d'une approximation (sorte de) ou d'une population (groupe de). En français usuel, on écrit « Le bonobo est une espÚce de singe » (une sorte de singe) mais un biologiste écrira de préférence « Le Bonobo est une espÚce de primates » (un groupe de primates). En effet, en biologie, suivi d'un déterminant introduit par « de », on écrit une espÚce (ou une sous-espÚce) de mammifÚres, d'oiseaux, de reptiles ou bien des espÚces d'insectes[62]. Sous entendu, une « population à caractÚres stables » de mammifÚres, oiseaux, etc. Exemple : « Solanum juzepczukii est une espÚce de plantes herbacées et tubéreuses de la famille Solanaceae » ou « la floraison de chaque espÚce de plantes vivaces[63] ».
On utilise les abréviations « sp. » au singulier et « spp. » au pluriel, qui correspondent au mot latin species. Cette abréviation s'emploie souvent aprÚs le nom d'un genre, pour indiquer « espÚce non précisée », par exemple Russula sp. signifie « espÚce du genre Russule ».
Notes et références
Notes
- Les noms scientifiques des taxons de rang supérieur à l'espÚce s'écrivent aussi en italique, sauf pour les animaux (pour lesquels on utilise les caractÚres romains).
Références
- .
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- En revanche le cochon domestique et le sanglier, bien que morphologiquement diffĂ©rents, se reproduisent facilement dans la nature et leur descendance (« cochongliers ») est fĂ©conde : il s'agit donc de la mĂȘme espĂšce Sus scrofa, dont le porc n'est qu'une variĂ©tĂ©, Sus scrofa domesticus.
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- « Je viens juste de comparer entre elles des dĂ©finitions de lâespĂšce [âŠ], il est vraiment comique de voir Ă quel point peuvent ĂȘtre diverses les idĂ©es quâont en tĂȘte les naturalistes lorsquâils parlent de lââespĂšceâ; chez certains, la ressemblance est tout, et la descendance de parents communs compte pour peu de choses ; chez dâautres, la ressemblance ne compte pratiquement pour rien, et la crĂ©ation est lâidĂ©e dominante ; pour dâautres encore, la descendance est la notion-clĂ© ; chez certains, la stĂ©rilitĂ© est un test infaillible, tandis que chez dâautres, cela ne vaut pas un sou. Tout cela vient, je suppose, de ce que lâon essaie de dĂ©finir lâindĂ©finissable ». Extrait d'une lettre de Darwin adressĂ©e Ă Joseph Dalton Hooker le , trois ans avant la parution de son ouvrage majeur De l'origine des espĂšces. Cf. David Garon, Jean-Christophe GuĂ©guen, Jean-Philippe Rioult, BiodiversitĂ© et Ă©volution du monde vivant, EDP Sciences, , p. 40.
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- DĂ©finition de CNRTL.
- J.P. Cordier Plantes vivaces (Guide des végétaux), 2004. Lire le résumé.
Annexes
Articles connexes
- Sp.
- Spéciation
- Ăvolution (biologie)
- Complexe d'espÚces · Complexe d'espÚces cryptiques
- Conspécificité
- Race
- EspÚce domestiquée · EspÚce extirpée
- EspÚce vulnérable · EspÚce menacée· EspÚce en danger de disparition · EspÚce disparue
- EspÚce nouvelle · EspÚce invasive · EspÚce envahissante
- EspĂšce remarquable
- EspÚce déterminante
- EspÚce fondatrice · EspÚce paravent · EspÚce-ingénieur · EspÚce clé-de-voûte
- Effet ombrelle
- Population · Métapopulation
Liens externes
- Ressource relative Ă la recherche :
- Notices dans des dictionnaires ou encyclopédies généralistes :
- Wikispecies (répertoire du vivant)
- Doit-on abandonner le concept dâespĂšce ? par HervĂ© Le Guyader
- Ăvolution du vivant (DĂ©bat entre Bernard Brun, Jacques Ninio et JeanâFrançois GĂ©rard Ă tĂ©lĂ©charger[PDF]
- Spéciation et extinction chez les Hominines, leçons données au CollÚge de France par Jean-Jacques Hublin, site college-de-france.fr, consulté le 5 février 2022.
- « Comment naissent les espÚces ? », Le Pourquoi du comment : science, France Culture, 27 août 2022.