EspĂšce envahissante
Une espĂšce envahissante, espĂšce envahissante exogĂšne[2] ou espĂšce exotique envahissante (EEE)[3] - [4] ou encore espĂšce introduite envahissante[5] est une espĂšce vivante exotique (ou allochtone, non indigĂšne, exogĂšne ou Ă©trangĂšre), un nĂ©ozoaire s'il s'agit d'un animal, qui devient un agent de perturbation nuisible Ă la biodiversitĂ© autochtone des Ă©cosystĂšmes naturels ou semi-naturels parmi lesquels elle sâest Ă©tablie. Son explosion dĂ©mographique peut se traduire par une invasion biologique.
Le terme dâespĂšce invasive est un anglicisme rĂ©pandu qui a le mĂȘme sens, mais il est peu utilisĂ© dans les documents officiels en français[6] - [7]. L'espĂšce prolifĂ©rante est, quant Ă elle, une espĂšce qui prĂ©sente des pullulations dans une zone dĂ©terminĂ©e, ces prolifĂ©rations pouvant survenir pour des espĂšces autochtones ou allochtones (par exemple celles Ă l'origine de bloom algal ou bactĂ©rien).
De 2000 Ă 2017, les invasions biologiques ont continuĂ© Ă se dĂ©velopper[1], Ă cause du commerce international notamment[8]. Elles sont selon lâONU devenues la seconde cause de rĂ©gression de la biodiversitĂ©[8] (avec la pollution, la fragmentation Ă©cologique des Ă©cosystĂšmes et la surexploitation des espĂšces, des milieux et ressources naturelles).
« Le qualificatif d'espĂšce envahissante dĂ©signe une espĂšce, une sous-espĂšce ou une entitĂ© de niveau taxonomique infĂ©rieur prĂ©sente hors de son aire de rĂ©partition ou de son aire de dispersion potentielle (c'est-Ă -dire hors de la zone gĂ©ographique quâelle occupe naturellement ou peut occuper sans intervention humaine par introduction volontaire ou involontaire) et est applicable Ă toute partie dâun individu (gamĂšte ou propagule) susceptible de survivre et de se reproduire[9]. »
En réalité, il faudrait parler de population envahissante et non d'espÚce envahissante, et chez certaines espÚces, seules quelques sous-espÚces sont devenues envahissantes (ex. : Codium fragile ssp. tomentosoides, au sein des Codium). En Europe, on appelle parfois néophyte une espÚce apparue aprÚs la découverte de l'Amérique (ou à partir de 1500)[10].
La biodiversitĂ©, lorsqu'elle n'est pas perturbĂ©e est en soi un facteur de rĂ©silience et de limitation de l'invasivitĂ© de nombreuses espĂšces introduites[11] - [12]. L'artificialisation d'un milieu est facteur d'invasivitĂ© d'espĂšces qui ne le seraient pas ailleurs[13]. L'ONU, l'UICN[14] et les scientifiques estiment que parallĂšlement Ă la dĂ©gradation, fragmentation et disparition des habitats, lâintroduction d'espĂšces animales ou vĂ©gĂ©tales (voire de fonge) exogĂšnes et les dĂ©gĂąts liĂ©s Ă leur extension sont devenus l'une des causes majeures de rĂ©gression de la diversitĂ© biologique, dans le monde comme en France[15].
Apparition de la notion et définitions
La notion Ă©cologique d'espĂšce envahissante est rĂ©cente. Pour la comprendre, il faut savoir que les Ă©quilibres entre espĂšces au sein des Ă©cosystĂšmes, Ă Ă©chelle de temps humaine au moins, sont relativement bien Ă©tablis. Sans intervention humaine, les phĂ©nomĂšnes d'extension brutale de l'aire de rĂ©partition d'une espĂšce (dite envahissante) sont extrĂȘmement rares (voir chorologie). L'homme, depuis qu'il a dĂ©veloppĂ© la chasse, l'agriculture et l'Ă©levage, et plus encore depuis qu'il dispose de moyens techniques lui permettant d'ĂȘtre prĂ©sent et de se dĂ©placer rapidement sur tous les continents, est devenu le principal vecteur de dĂ©placements d'espĂšces, volontairement ou accidentellement. Certaines sont devenues envahissantes lorsque la chasse a fait disparaĂźtre leur prĂ©dateur ou lorsque l'homme leur a offert une alimentation facile ou de nouveaux milieux faciles Ă coloniser (par exemple pour le sanglier qui bĂ©nĂ©ficie de cultures et forĂȘts monospĂ©cifiques notamment ou encore de l'agrainage). Parfois, elles colonisent simplement l'aire de rĂ©partition et la niche Ă©cologique d'espĂšces que l'homme a fait disparaĂźtre ou a affaibli.
Beaucoup d'espÚces introduites l'ont été involontairement ; le ballastage et déballastage des navires de commerce, le transport par les coques de péniches et de navires par exemple, est un vecteur d'introduction d'espÚces qui a d'abord été ignoré, puis sous-estimé, et contre lequel peu de mesures sont prises. Certains comme Charles-François Boudouresque préfÚrent parler d'espÚces introduites pour marquer ce fait, mais toutes les espÚces introduites ne se naturalisent pas, ni ne produisent une invasion biologique. Certaines demeurent trÚs dépendantes des conditions artificielles provoquées par l'homme. La majorité des plantes exotiques sont stoppées par les changements de l'écosystÚme et par les interactions avec les populations indigÚnes.
Dans un environnement prĂ©sentant une forte biodiversitĂ©, les ressources sont rares, elles sont dĂ©jĂ utilisĂ©es par les populations indigĂšnes. En outre, une forte biodiversitĂ© induit la prĂ©sence dâun prĂ©dateur efficace pour Ă©radiquer la plante envahissante. En dâautre terme, une espĂšce Ă©trangĂšre a la possibilitĂ© dâenvahir un Ă©cosystĂšme pauvre en espĂšces si elle arrive sans maladies, parasites et/ou consommateurs (thĂ©orie d'allocation des ressources : hypothĂšse de l'accroissement de la compĂ©titivitĂ© des espĂšces non indigĂšnes (en)[16] versus hypothĂšse de libĂ©ration des ennemis (en) naturels[17]).
Les populations naturalisĂ©es Ă©chappent souvent au contrĂŽle humain, mais toutes ne deviennent pas envahissantes. Williamson (en) a dĂ©fini la rĂšgle des 3 x 10 (appelĂ©e aussi la « rĂšgle des 10 % »)[18] en 1996 (nombre de taxons invasifs dix fois infĂ©rieur au nombre de taxons naturalisĂ©s, lui-mĂȘme dix fois infĂ©rieur au nombre de taxons exotiques fugaces qui correspondent au dixiĂšme des espĂšces introduites[19] qu'environ une espĂšce introduite sur mille devient envahissante, c'est-Ă -dire induit un impact Ă©cologique (Cf. dĂ©finition) mais cette notion a tout d'abord Ă©tĂ© une notion anthropique parce ce sont les impacts Ă©conomiques ou sociaux sĂ©rieux que les humains ont remarquĂ© en premier lieu.
ĂlĂ©ments de dĂ©finition
Le terme de « plantes transformatrices » (de l'anglais transformers) désigne des plantes envahissantes causant des dommages avérés et importants sur le fonctionnement des écosystÚmes[20].
En Europe
Des définitions officielles ont été publiées en 2010 :
EspĂšce exotique
tout spĂ©cimen vivant d'une espĂšce, d'une sous-espĂšce ou d'un taxon de rang infĂ©rieur d'animaux, de vĂ©gĂ©taux, de champignons ou de micro-organismes introduit en dehors de son aire de rĂ©partition naturelle, y compris toute partie, gamĂšte, semence, Ćuf ou propagule de cette espĂšce, ainsi que tout hybride ou toute variĂ©tĂ© ou race susceptible de survivre et, ultĂ©rieurement, de se reproduire ;
EspĂšce exotique envahissante
une espÚce exotique dont l'introduction ou la propagation s'est révélée constituer une menace pour la biodiversité et les services écosystémiques associés, ou avoir des effets néfastes sur la biodiversité et lesdits services ;
EspÚce exotique envahissante préoccupante pour l'Union
une espÚce exotique envahissante dont les effets néfastes ont été jugés de nature à exiger une action concertée au niveau de l'Union en vertu de l'article 4, paragraphe 3 ;
EspĂšce exotique envahissante prĂ©occupante pour un Ătat membre
une espĂšce exotique envahissante autre que les espĂšces exotiques envahissantes prĂ©occupantes pour l'Union, pour laquelle un Ătat membre considĂšre, en s'appuyant sur des donnĂ©es scientifiques, que les effets nĂ©fastes de sa libĂ©ration et de sa propagation, mĂȘme s'ils ne sont pas pleinement dĂ©montrĂ©s, sont lourds de consĂ©quences pour son territoire, ou une partie de celui-ci, et requiĂšrent une action au niveau de l'Ătat membre concernĂ©.
Impacts des espĂšces envahissantes
Impacts sur la biodiversité
Les plantes envahissantes dĂ©jĂ prĂ©sentes peuvent dĂ©stabiliser le milieu et favoriser lâimplantation dâautres vĂ©gĂ©taux Ă©trangers. Au fur et Ă mesure que lâĂ©cosystĂšme se dĂ©grade Ă cause des invasions biologiques, la rĂ©ussite invasive des organismes suivants augmente.
Certaines plantes ou espĂšces (animal, champignon) introduites, devenues trĂšs invasives, ont des impacts considĂ©rables sur la biodiversitĂ©, soit par la concurrence qu'elles exercent pour l'espace oĂč elles croissent (ex : Caulerpa taxifolia en MĂ©diterranĂ©e, appelĂ©e algue tueuse par les mĂ©dias), soit indirectement par des substances Ă©cotoxiques ou inhibitrices qu'elles Ă©mettent pour d'autres espĂšces, ou simplement parce qu'elles ne sont pas consommables par les herbivores natifs ou d'autres animaux autochtones. Elles posent de graves problĂšmes de pollution gĂ©nĂ©tique, par hybridation avec des espĂšces parentes. Elles peuvent aussi ĂȘtre sources d'Ă©pidĂ©mies (zoonoses et parasitoses en particulier). Elles sont, selon l'Ă©valuation des Ă©cosystĂšmes pour le millĂ©naire (2005), la seconde cause de rĂ©gression de la biodiversitĂ© et elles ont causĂ© la moitiĂ© des disparitions identifiĂ©es depuis 400 ans, ce qui en fait une menace pour de nombreuses autres espĂšces et pour certains services Ă©cosystĂ©miques dans le contexte du changement global[21]. Usher estimait dĂ©jĂ en 1988 qu'aucune zone n'Ă©tait Ă©pargnĂ©e, sauf peut-ĂȘtre l'Antarctique[22]. Les zones humides, qui ont toujours Ă©tĂ© des couloirs de migration pour l'homme, et des couloirs de dispersion via les cours d'eau et les crues y sont trĂšs vulnĂ©rables (Moyle and Light, 1996 ; van der Velde et al., 2006). Elles ne couvrent plus que 6 % environ de la surface de la terre, mais on y trouve 24 % (8 sur 33) des plantes classĂ©es comme Ă©tant les plus envahissantes au monde (Zedler and Kercher, 2004).
Ă titre d'exemple, la renouĂ©e du Japon, envahisseuse des berges de cours d'eau et de certains talus d'infrastructure, fait significativement reculer la biodiversitĂ© lĂ oĂč elle s'Ă©tend en taches trĂšs monospĂ©cifiques. Il Ă©tait visible que sa progression se faisait toujours au dĂ©triment de la flore locale (herbacĂ©es notamment), mais une Ă©tude rĂ©cente a montrĂ© que la diversitĂ© en vertĂ©brĂ©s et surtout en invertĂ©brĂ©s en pĂątissent aussi : l'abondance totale des invertĂ©brĂ©s chute en moyenne dâenviron 40 % sur les cours d'eau inventoriĂ©s, tandis que le nombre de leurs groupes (taxons) chute lui de 20 Ă 30 %. Secondairement â comme d'autres plantes envahissantes â, la renouĂ©e fait reculer les populations dâamphibiens, reptiles, et oiseaux ainsi que de nombreux mammifĂšres des habitats ripicoles, car ces derniers dĂ©pendent directement ou indirectement des espĂšces herbacĂ©es autochtones et/ou des invertĂ©brĂ©s associĂ©s pour leur survie[23]. De plus, la renouĂ©e s'installe plus facilement sur des nĂ©o-sols et milieux dĂ©gradĂ©s, pauvres en biodiversitĂ©.
Selon Jacques Tassin[24], les invasions biologiques sont un peu facilement implicitement accusĂ©es « dâappauvrir les milieux naturels, alors qu'elles ne sont souvent que les rĂ©vĂ©latrices de dĂ©gradations liĂ©es Ă lâHomme ».
Impacts écoépidémiologiques
On sait que, de maniÚre générale, un nombre élevé d'espÚces natives (biodiversité) limite les risques de grandes épidémies[25] - [26].
Le risque de persistance d'une maladie varie néanmoins selon les relations prédateur-proie et de compétition entre espÚces[27]. Le nombre d'espÚces-hÎtes pour un pathogÚne ou parasite a également une importance[28].
Les espĂšces envahissantes prĂ©sentent des dynamiques de population trĂšs particuliĂšres, qui modifient parfois fortement la dynamique des agents pathogĂšnes enzootiques, en cassant les Ă©quilibres Ă©coĂ©pidĂ©miologiques en place[29]. Leur contribution Ă la diffusion de pathogĂšnes et de maladies Ă©mergentes pourrait avoir Ă©tĂ© sous-estimĂ©e, tant au sein de l'humanitĂ© (pour des maladies Ă©mergentes telles que le West Nile Virus par exemple[30] - [31]), que pour le monde sauvage[32]. Elles pourraient ainsi parfois accĂ©lĂ©rer, aggraver certaines zoonoses (ex. : l'Ă©cureuil gris invasif transporte un microbe qui tue l'Ă©cureuil roux). Elles peuvent aussi accroĂźtre certains risques Ă©pidĂ©miologiques pour l'humanitĂ©. Par exemple, la prĂ©valence des hantavirus augmente statistiquement nettement dans les zones oĂč la biodiversitĂ© des rongeurs est plus faible[33].
Selon les modĂšles thĂ©oriques, quand une espĂšce envahissante naĂŻve entre dans un systĂšme hĂŽte-parasite Ă©tabli, ce nouvel hĂŽte peut tantĂŽt rĂ©duire (« diluer ») ou augmenter (« spill-back ») la transmission des agents pathogĂšnes pour les espĂšces-hĂŽtes indigĂšnes. Les donnĂ©es empiriques sont assez rares, notamment concernant les agents pathogĂšnes des animaux. Ă titre d'exemple, le Buggy Creek virus (BCRV) (alphavirus transportĂ©s par des arthropodes et transmis via la piqĂ»re de Oeciacus vicarius) Ă l'hirondelle Ă front blanc (Petrochelidon pyrrhonota) dont la reproduction est coloniale) a Ă©tĂ© Ă©tudiĂ© de ce point de vue. Dans l'ouest du Nebraska, le moineau domestique (Passer domesticus) a envahi des falaises qui abritaient des colonies de reproduction d'hirondelles (il y a environ 40 ans)[34]. Ils ont Ă©tĂ© exposĂ©s au virus BCRV. Une Ă©tude a Ă©valuĂ© l'impact de cette exposition et comment l'ajout de moineaux domestiques Ă ce systĂšme hĂŽte-parasite a affectĂ© la prĂ©valence et l'amplification d'une lignĂ©e « aviaire » du virus BCRV. Les chercheurs ont constatĂ© que la prĂ©valence de l'infection chez les moineaux Ă©tait huit fois celle des hirondelles Ă front blanc. Et les hirondelles nichant dans une colonie mixte Ă©taient beaucoup moins susceptibles d'ĂȘtre infectĂ©es que les moineaux dans les colonies monospĂ©cifiques. Les moineaux infectĂ©s par le BCRV Ă©taient en outre infectĂ©s avec des titres (teneur des prĂ©lĂšvements en virus) plus Ă©levĂ©s que ceux des hirondelles Ă front blanc (et donc a priori plus contagieux ou diffusants)[34]. Le BCRV recherchĂ© chez les insectes sur le site a Ă©tĂ© positivement associĂ© Ă la prĂ©valence du virus chez les moineaux domestiques, mais non avec la prĂ©valence du virus chez les hirondelles « des falaises ».
Dans ce cas, l'introduction d'une espÚce-hÎte trÚs sensible au virus, a conduit à pérenniser l'épizootie. Les moineaux envahissants ont sans doute un certain avantage (dilution du risque) à se mélanger avec des hirondelles qui résistent mieux qu'eux au microbe, mais peuvent augmenter la probabilité que les hirondelles soient infectées[35].
Impacts Ă©conomiques
Dans le monde : rien que pour les dégùts induits par des insectes introduits et devenus envahissants, les coûts ont été évalués à au moins 70 milliards d'euros par an dans le monde[8].
La revue Nature publie le une Ă©tude du laboratoire « Ăcologie, SystĂ©matique et Ăvolution » (universitĂ© Paris-Saclay) sur le coĂ»t global, pour l'Ă©conomie mondiale, des espĂšces exotiques envahissantes, qui a mobilisĂ© une centaine d'experts de quarante pays. Elle Ă©value ce coĂ»t Ă 1 288 milliards $ sur cinquante ans (1970-2020) ; il augmente rapidement, doublant en six ans ; sur la seule annĂ©e 2017, il a reprĂ©sentĂ© prĂšs de 163 milliards $, montant du mĂȘme orde de grandeur que le coĂ»t des catastrophes naturelles de 2020 estimĂ© par l'assureur Swiss Re Ă 202 milliards $[36].
En Europe : chiffrer ces impacts dans leur ensemble semble impossible, mais de nombreuses Ă©tudes cherchent par espĂšce ou pour une activitĂ© humaine ou pour un territoire donnĂ© Ă commencer Ă les chiffrer. Selon les donnĂ©es rĂ©unies pour produire l'Ă©tude d'impact du rĂšglement europĂ©en de 2014 sur la prĂ©vention et la gestion de lâintroduction et de la propagation des espĂšces exotiques envahissantes[37] il y aurait vers 2010 plus de 1500 EEE repĂ©rĂ©es dans le territoire europĂ©en, et elles coĂ»teraient plus de 12 milliards dâeuros par an aux Ătats-membres[38].
En France : selon une Ă©tude (2015)[39] du CGDD, pour la pĂ©riode 2009-2013, d'aprĂšs les rĂ©sultats d'un questionnaire dâenquĂȘte faite auprĂšs des services de lâĂtat, des collectivitĂ©s, des Ă©tablissements publics, des gestionnaires dâespaces naturels, des chercheurs et d'entreprises concernĂ©es, croisĂ© avec une analyse bibliographique et des entretiens (faits en mĂ©tropole et en outre-mer), les EEE pour lesquelles des donnĂ©es suffisantes sont disponibles coĂ»teraient en moyenne 38 millions d'euros par an (dĂ©penses occasionnĂ©es + pertes/dĂ©gĂąts)[38]. Au vu du coĂ»t de gestion et des dĂ©gĂąts, les 11 espĂšces les plus citĂ©es par les personnes et collectivitĂ©s enquĂȘtĂ©es (correspondant Ă 58 % des dĂ©penses) Ă©taient : le moustique-tigre (en mĂ©tropole et en outre-mer), le cerf de Java et le cochon fĂ©ral en Nouvelle-CalĂ©donie, les jussies, les Ă©lodĂ©es, le ragondin et le rat musquĂ© en mĂ©tropole, le rat, le chat et la souris grise en outre-mer, et les renouĂ©es en mĂ©tropole[39]. L'Ă©tude prĂ©cise que « la plupart des EEE qui sont les plus coĂ»teuses aujourdâhui ont Ă©tĂ© introduites de façon volontaire, Ă lâexception notable du moustique-tigre, de lâambroisie, du frelon asiatique et de plusieurs champignons »[39] et pour plus de 600 espĂšces suivies en France, 11 % concentreraient prĂšs de 60 % des dĂ©penses (avec, parmi les espĂšces animales, le moustique-tigre en premiĂšre source de coĂ»ts, et, parmi les vĂ©gĂ©taux, la renouĂ©e du Japon)[8].
Impacts sur le fonctionnement des Ă©cosystĂšmes
Une espĂšce envahissante peut affecter le fonctionnement dâun Ă©cosystĂšme de bien des façons et Ă tous les niveaux. Elle est susceptible de modifier les facteurs biotiques et abiotiques du milieu, positivement, nĂ©gativement, les deux, ou nâavoir aucun effet. Ces effets Ă©tant contexte dĂ©pendants, il est difficile de gĂ©nĂ©raliser et donc nĂ©cessaire de sâappuyer sur des exemples.
Impacts sur les flux
Lâeffet le plus retrouvĂ© dans la littĂ©rature provient de lâimpact des espĂšces envahissantes sur le fonctionnement des cycles du carbone et de lâazote. Ehrenfeld (2010)[40] met en Ă©vidence que dans la grande majoritĂ© des Ă©tudes, les espĂšces envahissantes sont associĂ©es Ă une augmentation des rĂ©serves de carbone et dâazote dans les Ă©cosystĂšmes (il note cependant que cela est trĂšs dĂ©pendant du contexte, et quâil nâest pas toujours facile de faire des gĂ©nĂ©ralitĂ©s, notamment pour lâazote), que ce soit en milieu terrestre ou marin. Il illustre ainsi ses propos Ă travers diffĂ©rents exemples.
Le premier concerne l'accroissement des concentrations en nutriments dans lâenvironnement, notamment par excrĂ©tions. En environnements marins particuliĂšrement, les excrĂ©tions dâazote, sous forme liquide ou en tant que fĂšces, concentrent dâautant plus le milieu en ces Ă©lĂ©ments lorsqu'il sâagit dâespĂšces envahissantes.
Comme autre exemple, les fourmis peuvent avoir un effet similaire sur les écosystÚmes. En modifiant leur milieu, elles changent la répartition des nutriments dans le sol, en les concentrant au niveau des couches inférieures. De plus, la construction de la fourmiliÚre concentre les nutriments au sein de leur habitat, au détriment des autres organismes du sol.
En plus de modifier le sol en gĂ©nĂ©ral, les espĂšces envahissantes peuvent affecter la dĂ©composition de la litiĂšre, et donc modifier les cycles biogĂ©ochimiques, en Ă©liminant les dĂ©tritivores et dĂ©composeurs sây trouvant.
Ehrenfeld (2010)[40] soulĂšve Ă©galement un point important concernant la productivitĂ© dâun Ă©cosystĂšme : dans la grande majoritĂ© des cas dâinvasions, lâĂ©cosystĂšme aura une productivitĂ©, et donc une biomasse plus importante quâen lâabsence dâenvahisseur. Ainsi, les limites de la productivitĂ© dâun Ă©cosystĂšme semblent repoussĂ©es par la prĂ©sence dâespĂšce(s) envahissante(s).
La modification dans les flux peut gĂ©nĂ©rer des impacts Ă©cologiques se propageant tout le long du rĂ©seau trophique et dĂ©clenchant des cascades trophiques. La moule par exemple est une espĂšce qui modifie la dominance des voies Ă©nergĂ©tiques et le flux des nutriments dans les Ă©cosystĂšmes dâeau douce (lacs et les riviĂšres)[41]. Cette Ă©tude montre que la moule zĂ©brĂ©e (Dreissena polymorpha) et la moule quagga (D.rostriformis bugensis) sont responsables de lâaugmentation de la quantitĂ© de phosphore soluble dans lâhabitat, ce qui joue un rĂŽle dans la productivitĂ© dâespĂšces benthiques autotrophiques. Est Ă©galement associĂ©e une baisse de la biomasse du phytoplancton, du zooplancton et du zoobenthos profond. Au niveau du littoral benthique est observĂ©e une modification de la circulation dâĂ©nergie, ce qui a pour consĂ©quences lâamĂ©lioration de la clartĂ© de lâeau, la diminution de la biomasse de phytoplancton, une diminution du zoobenthos profond et une augmentation du phosphore soluble. Cela est bĂ©nĂ©fique pour un grand nombre de groupes associĂ©s avec un habitat littoral benthique (macrophytes, zoobenthos du littoral par exemple).
Ainsi, lâintroduction dâune espĂšce dans un Ă©cosystĂšme avec un rĂ©seau trophique complexe peut mener Ă des modifications importantes de la structure et de la fonction de tout lâĂ©cosystĂšme.
Les changements dans les flux de carbone peuvent Ă©galement concerner les Ă©missions de gaz Ă effet de serre, comme le montre lâĂ©tude de Gao (2017)[42]. Originaire du nord des Ătats-Unis, Spartina alterniflora a envahi les Ă©cosystĂšmes de mangroves de la riviĂšre Zhanjiang (Chine) en 1979 et modifie les flux de carbone de cet Ă©cosystĂšme. Les Ă©missions de mĂ©thane (CH4) y sont en effet 57 fois plus importantes comparĂ©es Ă des Ă©cosystĂšmes non envahis. Puisque le CH4 a un potentiel de rĂ©chauffement global bien supĂ©rieur Ă celui du dioxyde de carbone (CO2), lâeffet des Ă©missions totales de gaz Ă effet de serre est consĂ©quent. De plus, cette augmentation des Ă©missions de CH4 pourrait ĂȘtre la consĂ©quence du changement des communautĂ©s microbiennes dĂ©clenchĂ© par S.alterniflora, puisquâune augmentation de la biomasse microbienne a Ă©tĂ© observĂ©e aprĂšs lâinvasion de S.alterniflora.
Impacts sur les feux
En plus des flux, les feux sont des Ă©lĂ©ments importants dans les Ă©cosystĂšmes, et leur modification Ă la suite dâinvasions a souvent des consĂ©quences sur lâensemble de lâĂ©cosystĂšme[43] - [44] - [40].
Les plantes sont un Ă©lĂ©ment extrĂȘmement important pour les feux, puisquâelles servent de combustibles. Des espĂšces envahissantes ayant des propriĂ©tĂ©s physiques et chimiques diffĂ©rentes dâespĂšces natives sont ainsi susceptibles de changer les rĂ©gimes de feux (par exemple, une plante grasse possĂšde plus dâeau dans ses tissus, et une invasion par ce type de plante aura tendance Ă diminuer la frĂ©quence et lâintensitĂ© des feux).
Selon Brooks et al. (2004)[44], le rĂ©gime de feu est considĂ©rĂ© comme changĂ© lorsque lâon observe une altĂ©ration persistante dans le temps de celui-ci. Une rĂ©troaction positive se met alors en place entre les feux et lâespĂšce envahissante, permettant un renforcement des deux partis, et souvent une exclusion des espĂšces natives. Une fois ce cap passĂ©, il devient trĂšs difficile (et coĂ»teux), voire parfois mĂȘme impossible de restaurer les communautĂ©s prĂ©cĂ©demment existantes.
En plus du problĂšme de la restauration des communautĂ©s, le passage dâun feu peut diminuer les quantitĂ©s dâazote disponibles dans lâĂ©cosystĂšme. Ehrenfeld (2010)[40] prĂ©sente le cas de lâintroduction dâAndropogon sp. en Australie, qui a eu pour consĂ©quence un sol appauvri de 113 % en azote par rapport aux espĂšces endĂ©miques. TrĂšs combustible, Andropogon sp. intensifie la frĂ©quence de survenu des incendies, ce qui diminue drastiquement et durablement les rĂ©serves azotĂ©es. De plus, en milieu aride, il y a trop peu de pluie pour aider Ă restaurer le pool initial dâazote, de ce fait, 10 annĂ©es seraient nĂ©cessaires pour le restaurer.
Changement physique de lâhabitat
Un autre impact important dans les changements du fonctionnement des Ă©cosystĂšmes est le changement de la structure physique de lâhabitat. Ces impacts structuraux changent Ă©galement bien sĂ»r les flux, mais la modification physique de lâhabitat en elle-mĂȘme peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme un impact, selon Simberloff (2011)[43]. Plusieurs exemples sont ainsi identifiables dans la littĂ©rature.
Lâinvasion de la carpe commune (Cyprinus carpio) dans un grand nombre de lacs en AmĂ©rique du Nord, au XIXe siĂšcle (Bajer et al., 2016)[45] a causĂ© la modification de structure la physico-chimie de lâhabitat. En effet, la biomasse de carpe est inversement corrĂ©lĂ©e avec la couverture vĂ©gĂ©tale et la diversitĂ© des vĂ©gĂ©taux aquatiques, ce qui induit une baisse de la filtration du milieu par les plantes aquatiques et donc une augmentation des particules en suspension dans lâeau. Il est aussi observĂ© une augmentation de la turbiditĂ© de lâeau et donc une baisse de la pĂ©nĂ©tration de la lumiĂšre, qui a en gĂ©nĂ©ral un impact sur tous les niveaux trophiques de lâĂ©cosystĂšme.
Un second exemple est celui du Castor Nord-AmĂ©ricain (Castor canadensis). Il a Ă©tĂ© introduit en 1946 dans la rĂ©serve de la biosphĂšre du Cap Horn (CHBR) dans le sud du Chili[46]. Le castor est considĂ©rĂ© comme une espĂšce envahissante ingĂ©nieure dâĂ©cosystĂšme, son introduction a ainsi profondĂ©ment altĂ©rĂ© la structure physique des Ă©cosystĂšmes. Tout dâabord en augmentant la rĂ©tention de matiĂšre organique, mais aussi en changeant les communautĂ©s locales, en diminuant la diversitĂ© de macroinvertĂ©brĂ©s benthiques (tout en augmentant leur biomasse) et en augmentant lâabondance des espĂšces restantes. De plus, il y a une modification des groupes fonctionnels par une augmentation de biomasse des macroinvertĂ©brĂ©s prĂ©dateurs et chasseurs ainsi quâune diminution des broyeurs et filtreurs. Enfin, la modification de lâhabitat a augmentĂ© la production secondaire.
Le castor modifie donc fortement lâhabitat en changeant les ressources en nutriments, les liens trophiques et les ressources physiques de lâhabitat.
Tous ces changements peuvent ĂȘtre rĂ©pertoriĂ©s Ă Ă©chelle locale, comme le cas du castor[46] Ă lâĂ©chelle de sa riviĂšre, mais peuvent ĂȘtre dâune plus grande ampleur et concerner des surfaces bien plus importantes.
Un problĂšme trĂšs mĂ©diatisĂ© ces derniĂšres annĂ©es, prĂ©sentĂ© par Veiga et al (2018)[47], est le cas de lâinvasion de Sargassum muticum oĂč S. flavifolium est endĂ©mique. Les macroalgues comme celles-ci sont considĂ©rĂ©es comme espĂšces ingĂ©nieures, confĂ©rant habitats et ressources Ă une grande diversitĂ© dâespĂšces en plus de rĂ©guler les flux.
Il sâest avĂ©rĂ© que S. muticum renferme une biodiversitĂ© plus faible que S. flavifolium, notamment dĂ» au couvert moins important et plus Ă©pars comparĂ© Ă S. flavifolium. De plus, un nombre plus faible dâespĂšces endĂ©miques aux Sargasses natives a Ă©tĂ© observĂ©. En impactant la biodiversitĂ©, tout le rĂ©seau trophique, ici de haut niveau Ă forte production primaire, se retrouve affectĂ©, en modifiant surtout les top-prĂ©dateurs et les espĂšces intermĂ©diaires en recrutant plutĂŽt des gĂ©nĂ©ralistes.
Effet de latence
Des effets dits de latence (« lag ») quant Ă lâimpact dâune espĂšce envahissante sur un Ă©cosystĂšme sont Ă©galement Ă mentionner. Ce phĂ©nomĂšne peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme un dĂ©calage entre le moment de lâinvasion et le moment oĂč lâespĂšce envahissante affectera significativement lâĂ©cosystĂšme[43]. Simberloff (2011)[43] donne lâexemple de lâimpact de la fourmi Anoplolepis gracilipes sur les populations de crabes Gecarcoidea natalis, sur Christmas Island. La fourmi a envahi lâĂźle, mais nâa eu dâeffet sur les crabes que lors dâune seconde invasion, celles des hĂ©miptĂšres Coccus celatus et Tachardina aurantiaca (lâorigine de ces derniers nâest pas confirmĂ©e). La consĂ©quence a Ă©tĂ© la dĂ©cimation des populations de crabes, ainsi quâun changement dans la litiĂšre du sol, puisque des plantes auparavant contrĂŽlĂ©es par les populations de Gecarcoidea natalis ont pu se dĂ©velopper, permettant Ă©galement lâexpansion de lâescargot Africain gĂ©ant, Lissachatina fulica.
Impacts positifs
Il est important de prĂ©ciser que seuls les effets nĂ©gatifs imposĂ©s au fonctionnement dâun Ă©cosystĂšme ont Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©s jusquâĂ prĂ©sent. Or, S.muticulum, par exemple, peut Ă©galement avoir un impact positif (Veiga et al., 2018). En effet, S.muticulum montre une augmentation de sa biomasse en saison chaude. Ainsi, avec une surface plus importante, elle domine lâĂ©cosystĂšme et peut confĂ©rer un renforcement positif des liens trophiques ainsi amplifiĂ©s par rapport aux sargasses endĂ©miques.
Autre exemple, les Leucaena leucocephala (envahissants notamment en Nouvelle-Calédonie) permettent de fixer dans le sol jusqu'à 500 kilos d'azote par an et par hectare, ce qui contribue à enrichir les sols[48].
De ce fait, les espÚces envahissantes peuvent également intensifier un processus écosystémique ou devenir un élément de vie essentiel aux espÚces locales.
NĂ©anmoins, ces effets positifs ne sont pas toujours apparents, masquĂ©s par dâautres caractĂ©ristiques propres Ă lâespĂšce. Ils sont bien souvent mis Ă jour par le changement de lâĂ©cosystĂšme aprĂšs lâĂ©radication de lâespĂšce envahissante considĂ©rĂ©e. Cela fut le cas pour le Tamarix sp., espĂšce envahissante des USA implantĂ©e pour lâornementation et lâombre quâelle procure en zone aride. Cette Ă©tude de Bonanno (2016)[49] Ă©voque ce cas et explique que des campagnes dâĂ©radication ont Ă©tĂ© lancĂ©es, pensant que cet arbuste Ă©puisait les stocks en eau du sol. Cependant, il nâen consomme pas plus que les espĂšces locales. De plus, grĂące Ă sa rĂ©sistance plus importante aux sĂ©cheresses et au sel, il confĂšre un habitat durable pour la biodiversitĂ© locale et permet de prĂ©server le rĂ©seau trophique. ParticuliĂšrement, Empidonax traillii extimus, espĂšce indigĂšne et en danger, utilise cet arbuste pour nicher. Ainsi, Tamarix, malgrĂ© son caractĂšre non natif, a permis de remplir le rĂŽle dâautres espĂšces, rĂŽle optimisĂ© par sa grande rĂ©sistance aux contraintes abiotiques du milieu.
Les diverses Ă©tudes sur lâimpact des espĂšces envahissantes sur le fonctionnement des Ă©cosystĂšmes, dont celle dâEhrenfeld (2010)[40], sâentendent Ă dire quâil nây a pas de modĂšle gĂ©nĂ©ral dâaltĂ©ration de lâĂ©cosystĂšme. En effet, il a Ă©tĂ© montrĂ© diffĂ©rents mĂ©canismes et consĂ©quences associĂ©es. Cela dĂ©pend bien entendu du rĂšgne visĂ© ainsi que de lâĂ©cosystĂšme considĂ©rĂ©. Chaque environnement est indĂ©pendant et rĂ©agira dâune façon diffĂ©rente.
Par exemple, des diffĂ©rences sont observĂ©es entre les plantes et les animaux. Les plantes affectent le fonctionnement dâun Ă©cosystĂšme par la modification de lâallocation des ressources. Les animaux, quant Ă eux, influencent notamment le milieu envahi par voies trophiques, ces impacts pouvant aussi dĂ©pendre dâun comportement. Par la consommation de proies, le prĂ©dateur envahissant enclenche une cascade trophique et a un impact direct sur les mĂ©canismes de flux de nutriments. Un plus grand nombre de voies de transformation est utilisĂ© par les animaux envahissants par rapport aux plantes.
Nous ne savons aujourdâhui pas prĂ©dire lâĂ©volution de lâimpact dâune invasion. En effet, si la majoritĂ© des scientifiques sâaccordent Ă dire que celui-ci dĂ©cline avec le temps, cela nâest basĂ© que sur des preuves abstraites et peu fondĂ©es. Il est Ă©galement envisageable que lâimpact sâintensifie continuellement avec le temps, ou bien quâil se renforce sous certaines conditions[50].
Il est nĂ©cessaire de rappeler que les impacts dâespĂšces envahissantes sont trĂšs contexte dĂ©pendants, comme le souligne Bonanno (2010)[49] : « a change in host communities does not imply necessarily harm [âŠ] the functional roles of a species matter more than its origin ». Câest pour cela, quâaujourdâhui il existe trĂšs peu de cadre thĂ©orique afin de lutter efficacement contre les espĂšces envahissantes et leurs impacts sur les Ă©cosystĂšmes. Un des axes de recherches sur ce sujet est de rassembler un maximum dâinformations sur ces espĂšces envahissante (biologique, fonctionnels, Ă©volutives) et lâensemble de leurs impacts sur les Ă©cosystĂšmes. Le but Ă©tant de rĂ©aliser un cadre thĂ©orique pour lutter contre les espĂšces envahissantes avant quâelles ne modifient complĂštement lâĂ©cosystĂšme.
Nous tenons enfin Ă mentionner que de nombreux biais sont prĂ©sents parmi les Ă©tudes concernant les espĂšces envahissantes. Notamment, il y a aujourdâhui une tendance Ă ne publier que les Ă©tudes montrant le trĂšs fort impact dâune invasion sur un Ă©cosystĂšme, en oubliant de les nuancer par dâautres Ă©tudes montrant peu ou pas dâimpacts. Beaucoup dâĂ©tudes sont Ă©galement basĂ©es sur des cas particuliers, et il y a un manque de travaux basĂ©s Ă grandes Ă©chelles et trop peu de cas on en fait Ă©tĂ© Ă©tudiĂ©s[43] - [50] - [40].
Modes et sources de propagation
Jardins botaniques et espĂšces envahissantes
Selon une analyse des données disponibles relatives à 34 des 100 espÚces réputées les plus envahissantes du monde (selon l'UICN /Union internationale pour la conservation de la Nature), sur la base de cas documentés pour la période allant de 1800 au milieu des années 1900, les jardins botaniques seraient en partie responsables de la propagation de plus de 50 % des espÚces envahissantes. Pour 19 des 34 plantes étudiées, les points de départ des invasions ont trÚs probablement été des jardins botaniques[51].
En 2001, une sorte de code de bonnes pratiques visant Ă limiter le risque dâĂ©vasions accidentelles, dit DĂ©claration de Saint-Louis est crĂ©Ă©. Le Chicago Botanic Garden (CBG) remplace les espĂšces envahissantes par dâautres et a cessĂ© ses Ă©changes de graines avec dâautres jardins botaniques, mais la DĂ©claration de Saint-Louis nâĂ©tait signĂ©e, en 2010, que par 10 des 461 jardins botaniques des Ătats-Unis[52].
Introductions d'espĂšces
- le lapin en Australie, et sur plusieurs Ăźles : 24 lapins furent introduits en Australie en 1874 et se reproduisirent trĂšs rapidement[53]. Afin d'arrĂȘter les dĂ©gĂąts provoquĂ©s par ces millions d'animaux, les Australiens relĂąchĂšrent des renards, jusqu'ici absents de l'Ăźle-continent, qui s'attaquĂšrent aux marsupiaux[53].
- Caulerpa taxifolia en Méditerranée,
- la perche du Nil dans le lac Victoria,
- la grenouille taureau dans le Sud-Ouest de la France,
- l'Ă©crevisse de Louisiane en Europe,
- la truite fario (européenne) en Amérique du Nord,
- l'écureuil gris qui provoque une forte régression de l'écureuil roux au Royaume-Uni et en Italie,
- le cerisier tardif (Prunus serotina Ehrh) devenu envahissant en France par exemple en forĂȘt de CompiĂšgne,
- la petite fourmi de feu ou fourmi électrique (Wasmannia auropunctata), espÚce super-envahissante en Polynésie ou en Australie.
- plusieurs espĂšces de Prosopis sont devenues envahissantes dans plusieurs endroits du monde, dont Prosopis chilensis dans la Corne de l'Afrique oĂč il a Ă©tĂ© importĂ© du Chili pour freiner l'avancĂ©e du dĂ©sert[54]. Prosopis glandulosa est considĂ©rĂ©e par l'UICN comme une des cent espĂšces les plus envahissantes.
- la palourde asiatique qui envahit certains fleuves français, aux dépens de bivalves d'eau douce indigÚnes dont certaines moules d'eau douce,
- la jussie à grandes fleurs et la jussie rampante, des plantes aquatiques appartenant au genre Ludwigia commercialisées comme plantes d'ornement de bassin, colonisent de nombreux cours d'eau et étangs, aboutissant à leur fermeture progressive et leur assÚchement et, constituent une grave menace pour les milieux aquatiques de France et d'Europe,
- La Moule zébrée dans le fleuve Saint-Laurent et dans une grande partie de l'Europe,
- Sinanodonta woodiana, une moule d'eau douce géante venue de Chine, souvent sous forme de larves (glochidie)) attachées à des poissons (carpes, poissons rouges...) utilisés en pisciculture ou réutilisés pour le rempoissonnement,
- Les Plathelminthes terrestres envahissants en France, prédateurs de vers de terre, signalés seulement en 2013, mais déjà présents dans plusieurs départements[55] - [56] - [57] - [58] - [59] - [60] - [61] - [62] - [63] - [64].
Facteurs expliquant ou favorisant l'envahissement
Allélopathie
Beaucoup de plantes Ă©mettent autour d'elles dans l'air et/ou dans les sols des hormones ou molĂ©cules phytotoxiques pour d'autres espĂšces (phĂ©nomĂšne dit d'allĂ©lopathie). LĂ oĂč elles ont coĂ©voluĂ© avec les espĂšces de leur guilde Ă©cologique, cet effet est peu visible, mais hors de leur aire naturelle de rĂ©partition, elles peuvent devenir toxiques pour les autres plantes, ou fortement le inhiber.
On a notamment montré chez des invasives comme l'absinthe (hors de son aire naturelle) que l'ajout de charbon de bois activé au sol, inhibe ou supprime l'allélopathie racinaire[65].
Effet Janzen-Connell inversé
Une espÚce introduite peut devenir envahissante par l'effet Janzen-Connell inversé alors qu'elle était freinée par l'effet Janzen-Connell dans son environnement d'origine[66].
Travail des sols agricoles ou forestiers
Le travail mécanique et le désherbage chimique ont connu un succÚs croissant aprÚs la Seconde Guerre mondiale. Or, ces techniques favorisent fortement l'installation d'espÚces envahissantes. Par ailleurs, les engins colportent souvent les propagules, contribuant à l'expansion géographique des zones colonisées.
De nombreuses études ont montré que le labour, le scarifiage du sol par sillons (sous-solage), le déchaumage et le brûlage dirigé, ou brûlage en andains modifient ou suppriment la concurrence des espÚces autochtones, ce qui favorise l'installation d'espÚces pionniÚres exotiques ou d'espÚces localement devenues résistantes à ces traitements. Par exemple, une étude canadienne (avec des sites témoins) a montré sur 10 ans, les effets de la préparation mécanique de terrains forestiers sur la diversité spécifique et structurale du sous-bois. Dans tous les cas, la réponse de la communauté végétale se montre trÚs influencée par l'intensité du traitement de préparation du terrain. Ainsi, sur un site boréal dominé par les saules (Salix L. spp.), l'aulne vert crispé (Alnus crispa (Ait.) Pursh ssp. crispa) et le peuplier faux-tremble (Populus tremuloides Michx.), un travail léger du sol a peu d'effet sur la diversité spécifique mais les traitements plus intenses « ont augmenté de 10 à 16 fois l'abondance des espÚces exotiques (et seulement légÚrement la croissance de l'épinette blanche (Picea glauca (Moench) Voss) » plantée. Sur un autre site (subboréal et oligotrophe), la diversité spécifique a diminué d'autant plus que le sol avait été travaillé[67]. Le brûlage a des effets en partie comparables[68].
Mondialisation des transports
Les espĂšces envahissantes introduites avec les eaux de ballast ou sous les coques de navires sont de plus en plus nombreuses. Les trains, camions et voitures en transportent aussi. Et une Ă©tude[69] de 2007 de lâuniversitĂ© dâOxford a montrĂ© que dans des rĂ©gions au climat comparable, plus on s'approche d'une zone desservie par des lignes aĂ©riennes, plus on augmente le risque dâinvasion par des espĂšces Ă©trangĂšres animales, avec une « fenĂȘtre dâinvasion » en juin-aoĂ»t, a priori du fait du nombre de vols et de passagers qui augmente et de conditions climatiques favorables. 800 lignes aĂ©riennes ont Ă©tĂ© Ă©tudiĂ©es du au (soit 3 millions de vols environ).
Ăvolution rapide
La plupart des espĂšces envahissantes sont caractĂ©risĂ©es par une Ă©volution rapide, principalement dirigĂ©e par lâune des quatre forces Ă©volutives, la sĂ©lection naturelle. Cette Ă©volution rapide promeut lâadaptation des espĂšces aux diffĂ©rents environnements. De nombreuses espĂšces envahissantes subissent une Ă©volution rapide des traits dâhistoire de vie impliquĂ©s dans lâinvasion[70] - [71]. Ces traits impliquent gĂ©nĂ©ralement un fort taux de survie et de croissance, une tolĂ©rance aux changements environnementaux et une capacitĂ© Ă se dĂ©velopper dans des conditions environnementales variĂ©es, un temps de gĂ©nĂ©ration court, un fort investissement dans la reproduction, des Ćufs ou graines de petites tailles, une grande capacitĂ© de dispersion et une forte compĂ©titivitĂ©[71]. Les traits d'histoire de vie impliquĂ©s dans l'invasion semblent ĂȘtre mieux transmis Ă la descendance chez les populations envahissantes que chez les populations natives (meilleure hĂ©ritabilitĂ©). Cela a notamment Ă©tĂ© mis en Ă©vidence chez Phalaris canariensis[72].
Ces traits ont Ă©tĂ© observĂ©s chez les plantes et les animaux. Par exemple, les herbes vivaces itĂ©ropares allouent plus de ressources Ă la reproduction quâĂ la croissance vĂ©gĂ©tative[73]. De mĂȘme, plusieurs plantes introduites sur des petites Ăźles au Canada dispersant par le vent, produisent de plus petits pappus et des akĂšnes plus lourds. Cela favorise le dĂ©pĂŽt des graines sur lâĂźle plutĂŽt que dans lâeau[71]. On peut Ă©galement citer le cas du crapaud buffle introduit en Australie en 1935. Il a notamment dĂ©veloppĂ© de plus longues pattes arriĂšres ce qui lui a permis de coloniser rapidement une large partie du territoire[70] - [71].
Le processus dâinvasion passe par diffĂ©rents stades : la colonisation, lâĂ©tablissement et la dispersion. Les traits dâenvahissement sâexpriment de maniĂšre plus ou moins forte, et la direction de sĂ©lection dâun trait peut changer au cours du processus d'invasion[71]. Les adaptations Ă©volutives des populations introduites, qui apparaissent en rĂ©ponse aux variations de pressions de sĂ©lection, sont en grande partie permises par la plasticitĂ© phĂ©notypique. Par exemple, un panais sauvage introduit en AmĂ©rique du Nord en 1609 a cessĂ© de produire du furanocoumarine (substance chimique de rĂ©sistance aux herbivores), car les herbivores qui le consommaient nâĂ©taient pas prĂ©sents dans ce nouvel environnement. La plante a ainsi pu allouer plus dâĂ©nergie dans la reproduction et la dispersion. Mais en 1890, un herbivore a Ă©tĂ© introduit et il a Ă©tĂ© montrĂ© que la production de furanocoumarine Ă©tait supĂ©rieure chez lâespĂšce envahissante que chez les espĂšces natives. Le panais sauvage peut donc exprimer plus ou moins un trait en fonction des conditions environnementales (ici dĂ©fenses contre les herbivores)[71].
Le phĂ©nomĂšne de plasticitĂ© a lieu quand il y a suffisamment de variabilitĂ© gĂ©nĂ©tique dans les populations introduites[74]. La sĂ©lection des individus capables de plasticitĂ© va Ă©galement permettre aux espĂšces envahissantes de mieux rĂ©pondre aux changements globaux que les espĂšces natives. Les plantes, par exemple, prĂ©sentent une grande plasticitĂ© phĂ©notypique lors des premiers stades de lâinvasion ce qui leur permet de sâĂ©tendre rapidement[75].
Pressions de sélection
LâĂ©volution chez les espĂšces envahissantes est en grande partie due aux changements des pressions de sĂ©lection quâelles subissent. Par sĂ©lection naturelle, les traits favorisĂ©s ne seront pas nĂ©cessairement les mĂȘmes que ceux sĂ©lectionnĂ©s dans leur habitat dâorigine, pouvant conduire Ă des changements Ă©volutifs rapides.
Les pressions de sĂ©lection s'exerçant sur les espĂšces envahissantes sont de diffĂ©rente nature et nâont pas les mĂȘmes effets. PremiĂšrement, le stress environnemental dĂ» Ă lâarrivĂ©e dans un nouvel environnement peut favoriser lâapparition de modifications du gĂ©nome et du transcriptome chez les espĂšces introduites. Ces modifications peuvent ĂȘtre sĂ©lectionnĂ©es et se fixer dans la population. Cependant, il semblerait que ce processus ne soit pas le plus important dans lâĂ©volution rapide des espĂšces envahissantes[76].
Les pressions de sĂ©lection peuvent ĂȘtre abiotiques. Par exemple, Hypericum perforatum, introduite en AmĂ©rique du Nord dans les annĂ©es 1860, a vu sa morphologie Ă©voluer et ses traits dâhistoire de vie sâadapter aux diffĂ©rentes latitudes du continent. Lorsque l'on place des plantes adaptĂ©es au Nord dans la rĂ©gion Sud, les plantes installĂ©es dans le Sud rĂ©sistent mieux en comparaison. On observe lâeffet rĂ©ciproque en dĂ©plaçant des plantes du Sud dans la rĂ©gion Nord. Les populations de cette espĂšce sont donc adaptĂ©es aux conditions abiotiques que confĂšre la latitude[71].
Des pressions biotiques sâappliquent Ă©galement sur les espĂšces envahissantes. Elles sont particuliĂšrement importantes puisque les individus introduits doivent faire face Ă des espĂšces compĂ©titrices ou antagonistes avec lesquelles elles nâont pas coĂ©voluĂ©. Dans de nombreux cas, les pressions de sĂ©lection biotiques sont plus fortes que les pressions abiotiques. En effet, les espĂšces, en particulier vĂ©gĂ©tales, sont introduites dans un environnement avec des conditions climatiques et Ă©daphiques relativement similaires Ă ceux de leur aire dâorigine[74]. Les modifications de pression sont bĂ©nĂ©fiques aux espĂšces envahissantes sâil sâagit de la perte de compĂ©titeurs, pathogĂšnes et/ou prĂ©dateurs, lesquels imposent des pressions spĂ©cifiques.
Dans le cas des plantes, une pression dâherbivorie peut mener Ă lâĂ©volution de stratĂ©gies de dĂ©fense. La rĂ©duction de cette pression dans les populations introduites devrait donc conduire Ă la sĂ©lection des individus qui investissent peu dans les stratĂ©gies de dĂ©fense, ou des individus capables de modifier lâallocation de leurs ressources pour favoriser des traits dâinvasibilitĂ© par rapport au dĂ©veloppement dâune rĂ©sistance[74]. Câest le cas de Silene latifolia qui, Ă la suite de son introduction en Europe il y a 200 ans, a perdu des herbivores prĂ©sents en AmĂ©rique du Nord. Cela lui a permis dâallouer moins de ressources Ă ses dĂ©fenses et plus Ă la reproduction[71].
Une variation des relations peut Ă©galement mener Ă un changement rapide du cycle biologique des espĂšces, qui est soumis Ă une forte pression sĂ©lective. La prĂ©sence dâherbivores conduit parfois les plantes Ă privilĂ©gier la reproduction prĂ©coce et la monocarpie pour assurer une descendance. En lâabsence de consommateurs, on constate que les populations introduites semblent sâorienter vers la polycarpie qui peut alors devenir un avantage sĂ©lectif[74]. Ces changements se rĂ©percutent sur les interactions Ă©cologiques, donc sur la dynamique des populations[75].
La pression liĂ©e aux pathogĂšnes est aussi souvent moins forte dans les populations introduites. Les ressources attribuĂ©es Ă la rĂ©sistance aux pathogĂšnes peuvent Ă ce moment ĂȘtre allouĂ©es Ă la colonisation (reproduction, dispersion) et permettent Ă la population de devenir envahissante. Les pathogĂšnes des plantes sont souvent moins divers chez les populations introduites[74].
Il existe Ă©galement une sĂ©lection spatiale Ă lâĂ©chelle populationnelle. Dans une population envahissante, les phĂ©notypes diffĂšrent entre le front dâinvasion et les zones dĂ©jĂ colonisĂ©es. En effet, sur le front dâinvasion les individus sont soumis Ă moins de compĂ©tition intra-spĂ©cifique et suivent une Ă©volution progressive vers une dispersion croissante. Les phĂ©notypes sĂ©lectionnĂ©s sont alors ceux qui permettent une meilleure croissance dĂ©mographique pour des faibles densitĂ©s et qui dispersent le mieux. La reproduction de ces individus entre eux entraĂźne une Ă©volution rapide, qui permet aux espĂšces envahissantes de coloniser de plus en plus efficacement leurs nouveaux environnements[70]. Ce mĂ©canisme a permis aux crapauds buffles de doubler leur distance de dispersion pendant leur progression dans le Nord de lâAustralie[70].
Importance de la variabilité génétique
Lâinvasion biologique est gĂ©nĂ©ralement prĂ©cĂ©dĂ©e dâun effet fondateur ou dâun goulot dâĂ©tranglement gĂ©nĂ©tique, provoquant une forte rĂ©duction de la diversitĂ© gĂ©nĂ©tique. Lorsque cela arrive, les petites populations sont sujettes Ă une forte dĂ©rive gĂ©nĂ©tique et Ă des niveaux de consanguinitĂ© accrus[75]. Ces deux phĂ©nomĂšnes devraient, a priori, affaiblir la population et augmenter son risque dâextinction. Cependant, on observe que les espĂšces envahissantes sont capables de se rĂ©pandre aprĂšs leur introduction. Câest le cas par exemple de la plante Hypericum canariense (en) qui, aprĂšs avoir perdu 45 % de son hĂ©tĂ©rozygotie lors de son introduction en AmĂ©rique du Nord, a rĂ©ussi Ă prolifĂ©rer dans cette rĂ©gion[71] - [77]. Cela sâexplique par le fait que la perte de variabilitĂ© gĂ©nĂ©tique causĂ©e par lâisolement dâune population est compensĂ©e par plusieurs facteurs.
Pour commencer, la variabilitĂ© gĂ©nĂ©tique issue de lâĂ©pistasie et la variabilitĂ© additive permettent lâĂ©mergence de nouveaux gĂ©notypes, et donc de nouveaux traits phĂ©notypiques. La variabilitĂ© gĂ©nĂ©tique additive rĂ©sulte de la somme des effets relatifs des allĂšles sur un trait. Dans les populations dâorigine, on mesure des hauts niveaux de cette variabilitĂ© pour les traits liĂ©s Ă lâinvasion[78]. Il semblerait quâil y ait une accumulation de niveaux de variabilitĂ© additive pendant le temps de latence[78]. Cette phase correspondrait donc au temps nĂ©cessaire Ă lâadaptation Ă©volutive[74] et reflĂ©terait le degrĂ© de diffĂ©rence entre lâancien et le nouvel environnement[71].
La variabilitĂ© gĂ©nĂ©tique peut Ă©galement ĂȘtre assurĂ©e par lâhybridation ou par des rĂ©arrangements gĂ©nomiques lors de la reproduction. Ce phĂ©nomĂšne sera dâautant plus important sâil y a plusieurs Ă©vĂ©nements dâintroduction.
Une hypothĂšse donnĂ©e pour expliquer la rapiditĂ© de lâĂ©volution aprĂšs un effet fondateur, ou un goulot dâĂ©tranglement, est que les allĂšles favorables Ă lâinvasion sont dĂ©jĂ prĂ©sents dans le gĂ©nome des individus introduits. Ils sont donc immĂ©diatement disponibles lors du changement dâenvironnement. Cette explication est soutenue par le fait que ces allĂšles sont prĂ©sents dans des proportions plus importantes que des allĂšles neutres ou dĂ©lĂ©tĂšres[76].
Par ailleurs, il existe des exemples pour lesquels la perte de variabilitĂ© gĂ©nĂ©tique est favorable Ă la prolifĂ©ration. Lâun d'eux est la fourmi Linepithema humile chez qui une diminution de la diversitĂ© gĂ©nĂ©tique a rĂ©duit la compĂ©tition inter-colonies et a donc menĂ© Ă la formation de super-colonies[78] - [79].
Introductions multiples
Les introductions multiples apparaissent comme Ă©tant un phĂ©nomĂšne rĂ©pandu chez la plupart des espĂšces envahissantes. Un nombre Ă©levĂ© dâintroductions signifie que les individus introduits proviennent potentiellement de populations sources diffĂ©rentes. Cela conduit Ă la prĂ©sence dâune proportion plus importante du pool gĂ©nĂ©tique dâorigine dans le nouveau milieu, et donc Ă une diversitĂ© gĂ©nĂ©tique plus grande que dans le cas dâune introduction unique[80]. Câest un facteur essentiel qui contribue Ă la pĂ©rennitĂ© des populations introduites qui peuvent, Ă terme, devenir envahissantes.
Les phĂ©nomĂšnes dâintroductions rĂ©pĂ©tĂ©es permettent de rĂ©duire les consĂ©quences nĂ©fastes Ă lâĂ©tablissement dâune population que sont les effets fondateurs ou les goulots dâĂ©tranglement. Lâapport de nouveaux allĂšles par ces phĂ©nomĂšnes favorise les recombinaisons allĂ©liques et permet lâapparition de nouveaux gĂ©notypes et donc de nouveaux phĂ©notypes. Les populations introduites ont alors de meilleurs potentiels Ă©volutifs et sont donc susceptibles dâĂ©voluer plus rapidement que les populations natives.
Un exemple est la plante Phalaris arundinacea, dont les populations nord-amĂ©ricaines, issues dâintroductions successives et rĂ©pĂ©tĂ©es, sont envahissantes[72]. Elles possĂšdent une diversitĂ© gĂ©nĂ©tique plus importante que les populations europĂ©ennes dâorigine. 98,5 % de leurs gĂ©notypes sont absents dans la population dâorigine. Les nouvelles combinaisons allĂ©liques rĂ©sultent du remaniement des gĂ©notypes des populations introduites lors dâĂ©vĂ©nements diffĂ©rents. Ces nouveaux gĂ©notypes ont induit lâexpression de phĂ©notypes Ă fortes capacitĂ©s envahissantes (tallage, production foliaire et de biomasse, reproduction asexuĂ©e). Ils augmentent les potentialitĂ©s de croissance et de reproduction et induisent donc une augmentation directe de la valeur sĂ©lective. Ces phĂ©notypes sont associĂ©s Ă une plus grande hĂ©ritabilitĂ© et donc une meilleure rĂ©ponse Ă la sĂ©lection naturelle. Les populations introduites possĂšdent Ă©galement une plus forte plasticitĂ© phĂ©notypique[72].
Les introductions multiples favorisent donc une plus grande diversitĂ© gĂ©nĂ©tique au sein des populations non natives. Les effets de la sĂ©lection seront donc plus importants. Cela explique lâapparition rapide de gĂ©notypes exprimant de fortes capacitĂ©s de colonisation et une plasticitĂ© phĂ©notypique importante.
De nombreuses Ă©tudes dans la littĂ©rature montrent que les phĂ©nomĂšnes dâintroductions multiples sont communs chez les espĂšces envahissantes. Câest donc un point quâil est important de prendre en compte dans les politiques de gestion des espĂšces envahissantes. En effet, lâintroduction de nouveaux individus dans un environnement, mĂȘme si lâespĂšce y est dĂ©jĂ prĂ©sente, peut contribuer Ă un phĂ©nomĂšne dâinvasion[80].
Effets de l'hybridation
Les hybridations sont un facteur important dans lâĂ©volution rapide des espĂšces envahissantes. Câest le phĂ©nomĂšne Ă©volutif le plus citĂ© dans les modĂšles ISPS (Invasive Species Predictives Schemes)[71]. Lâhybridation peut se produire entre une espĂšce native et une espĂšce non native ou entre deux espĂšces non natives dâun mĂȘme lieu[73] - [72] - [76]. Elle favorise une augmentation de la variabilitĂ© gĂ©nĂ©tique. Ces croisements ont gĂ©nĂ©ralement lieu chez des vĂ©gĂ©taux. Par exemple, environ 7 % des espĂšces vĂ©gĂ©tales envahissantes dans les Ăźles britanniques ont subi des Ă©vĂ©nements dâhybridation[71]. Ils ne mĂšnent pas forcĂ©ment Ă de lâĂ©volution rapide ou Ă une augmentation de la valeur sĂ©lective pour lâespĂšce envahissante. Pour cela, lâhybride doit pouvoir engendrer une descendance viable[75].
Lâhybridation permet lâapparition rapide de nouveaux gĂ©notypes au sein de la population envahissante[75]. Il y a donc une plus grande probabilitĂ© quâapparaissent des gĂ©notypes favorables Ă de nouvelles conditions environnementales, permettant une adaptation de lâespĂšce au milieu dans lequel elle a Ă©tĂ© introduite. Cela favorise Ă©galement la perte dâallĂšles dĂ©lĂ©tĂšres[75] - [78]. La structure du paysage peut Ă©galement influencer la frĂ©quence des hybridations[73] - [75]. Dans le cas oĂč elle favorise lâinvasion, lâhybridation peut mener Ă lâhĂ©tĂ©rosis[76]. L'hybridation peut se faire par introgression permettant lâapparition de nouveaux traits potentiellement favorables les invasions[71] - [73] - [76].
Un exemple dâhybridation est lâhybride issu des espĂšces Spartina alterniflora (espĂšce envahissante) et Spartina foliosa (en) (espĂšce native) dans la baie de San Francisco. Lâhybride a un rythme important dâexpansion. Il possĂšde des traits transgressifs supĂ©rieurs Ă celui des traits parentaux notamment la production de pollen, la viabilitĂ© des graines ou la tolĂ©rance environnementale. Les hybrides sont fertiles, ils peuvent se reproduire entre eux ou avec les deux espĂšces parentes. Il sâagit dâun phĂ©nomĂšne de rĂ©trocroisement. Cette tendance menace lâespĂšce native Spartina foliosa (en)[75].
La stabilitĂ© de lâhybride est due Ă divers mĂ©canismes comme la polyploĂŻdie, la translocation ainsi que des mĂ©canismes de multiplication asexuĂ©e : agamospermie et croissance clonale[73]. On retrouve notamment dans les populations envahissantes, des niveaux de ploĂŻdie plus importants par rapport aux espĂšces non-envahissantes[76].
Surveillance
Des observatoires de la biodiversité ou des organismes comme les conservatoires botaniques[81], agences de l'eau[82], muséums, ONG et naturalistes surveillent de plus en plus l'apparition et la diffusion des espÚces envahissantes et informent les publics.
Dans les milieux aquatiques, on recherche l'ADN environnemental dans des prélÚvements d'eau ou de sédiments. Des chercheurs utilisent cette méthode pour détecter la présence de poissons (Carpe argentée), de mollusques (moules, Hydrobie des antipodes), de batraciens (Grenouille taureau), ainsi que diverses espÚces d'herbes (Elodea spp.)[83].
Les sciences participatives et citoyennes sont Ă©galement mobilisĂ©es, grĂące notamment au smartphone qui permet de contribuer aux inventaires, par exemple dans le cadre du projet Interreg[84] RINSE[85] via une application smartphone (« Th@s Invasive » ; gratuite, disponible en français ou en anglais, et facilement tĂ©lĂ©chargeable[86]) permettant Ă chacun de recenser et cartographier un grand nombre d'espĂšces exotiques envahissantes, en photographiant l'espĂšce en question (qui sera gĂ©o-rĂ©fĂ©rencĂ©e par le GPS du smartphone et envoyĂ© par le logiciel une fois confirmation faite par l'Ă©cocitoyen participant Ă cet inventaire gĂ©nĂ©ral et permanent qui vise Ă limiter les impacts nĂ©gatifs des espĂšces dites « envahissantes ». Mieux suivre l'extension gĂ©ographique de ces espĂšces permettra d'accĂ©lĂ©rer voire d'anticiper les rĂ©ponses, qui seront alors moins coĂ»teuses, et ainsi limiter certains des effets nĂ©gatifs de ces phĂ©nomĂšnes de pullulation. Ceci est possible grĂące Ă un travail prĂ©alable d'aide Ă l'identification interactive par clĂ© d'identification visuelle de plantes non-indigĂšnes. Il a notamment Ă©tĂ© fait dans lâĂ©cozone qui inclut l'Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique et le grand Nord-Ouest de la France[87], et il pourra servir Ă d'autres rĂ©gions et pays, oĂč ces espĂšces seraient rĂ©glementĂ©es, ou lĂ oĂč elles peuvent ĂȘtre recherchĂ©es par les douanes comme « contaminants d'exportations commerciales » (exemple : « contamination par des graines dans de la nourriture pour oiseaux, mauvaises herbes dans des bonsaĂŻs »[87]... Hormis pour les algues et mousses, ces clĂ©s interactives sont liĂ©es aux informations sur les espĂšces de la « Q-bank Invasive Plants database » (fiches descriptives et informatives, cartes d'aire de rĂ©partition mondiale, barcode molĂ©culaire quand il est disponible, etc., et ces informations sont disponibles depuis 2013 Ă l'adresse http://www.q-bank.eu/Plants/[87].
La dendrochronologie est depuis peu appliquée à certaines herbacées (vivaces)[88]. Elle peut aider à rétrospectivement mieux comprendre la dynamique d'une population d'espÚce envahissante et d'affiner des scénarios de progression future[88].
Exemples de taxons envahissants
- Homo sapiens peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une espĂšce envahissante du fait d'une dĂ©mographie incontrĂŽlĂ©e, d'impacts significatifs et nĂ©fastes sur l'environnement global (flore, faune, climatsâŠ) ;
- Wasmannia auropunctata, la petite fourmi folle qui a envahi la Nouvelle-Calédonie et Tahiti ;
- Le champignon Phytophthora infestans sur la culture de pomme de terre en Irlande provoquant la Grande Famine en 1845 ;
- Le phylloxéra Viteus vitifoliae sur les vignes européennes à la fin du XIXe siÚcle ;
- La méduse Mnemiopsis leidyi en mer Noire ayant considérablement affaibli les ressources halieutiques ;
- La moule zĂ©brĂ©e et la moule quagga[83] qui peuvent boucher des canalisations, gĂȘner la navigation et diminuer la biodiversitĂ© ;
- L'étoile de mer dévoreuse de corail (Acanthaster planci) est sujette à des « explosions de populations » qui ruinent les écosystÚmes coralliens, parmi les plus riches et les plus fragiles au monde ;
- La guĂȘpe commune Vespula vulgaris en Australie, en Nouvelle-ZĂ©lande et Ă HawaĂŻ ;
- Le frelon asiatique Vespa velutina en France notamment, prédateur d'abeilles et d'autres insectes pollinisateurs ;
- L'introduction du Rat noir Rattus rattus et du Rat gris Rattus norvegicus en Europe au Moyen Ăge ;
- La jacinthe d'eau, diminuant la vie aquatique, faute de lumiĂšre, dans les riviĂšres ou les lacs.
Dans un contexte oĂč les dĂ©placements humains sont toujours plus nombreux, l'impact climatique des activitĂ©s humaines toujours plus fort et la tentation de recours aux organismes gĂ©nĂ©tiquement modifiĂ©s toujours plus grande, le risque d'une augmentation des phĂ©nomĂšnes d'espĂšces envahissantes avec ses consĂ©quences sur la biodiversitĂ© est bien rĂ©el. Il a d'ailleurs commencĂ© Ă ĂȘtre pris en compte au cours de la confĂ©rence de Rio en 1992. Elles sont aujourdâhui la deuxiĂšme cause de rĂ©gression de la biodiversitĂ©.
En zones tropicales
Dans les zones tropicales, les Ăźles sont particuliĂšrement touchĂ©es et vulnĂ©rables. En , une « initiative sur les espĂšces exotiques envahissantes dans les collectivitĂ©s françaises dâoutre-mer » a Ă©tĂ© lancĂ©e par le ComitĂ© français de lâUICN et le MEDAD qui doit produire un rapport et Ă©tat des lieux complet sur la menace des invasions biologiques en France d'outre-mer, avec un rĂ©seau de plus de 100 experts et lâappui de 10 coordinateurs locaux.
Dans les forĂȘts tropicales, les coupes rases favorisent la diffusion d'espĂšces envahissantes telles que Lantana camara dans certaines parties de l'Afrique, d'autant plus que la trouĂ©e dans la canopĂ©e est vaste ou mise en connexion avec d'autres[89].
Aux Ătats-Unis
Sur les quelque 50 000 espĂšces (plantes et animaux) qui ont Ă©tĂ© introduites aux Ătats-Unis au cours des deux cents derniĂšres annĂ©es, 1 sur 7 environ est considĂ©rĂ©e comme envahissante[90].
En Europe
Depuis un peu plus d'un siĂšcle, de nombreuses espĂšces manifestent des comportements envahissants en Europe, dont beaucoup d'espĂšces aquatiques[91]. Ces espĂšces ont pourtant un coĂ»t Ă©levĂ© : les dĂ©gĂąts induits par ces espĂšces s'Ă©lĂšveraient Ă 12 milliards d'âŹ/an pour l'Europe[92]. En Italie, de 1995 Ă 2000, la dĂ©gradation des berges par le rat musquĂ© et les dĂ©gĂąts agricoles collatĂ©raux Ă©taient estimĂ©s Ă environ 11 M⏠(millions d'euros) en dĂ©pit d'un plan de lutte de 3 MâŹ) ; la Grande-Bretagne a dĂ» dĂ©penser environ 150 MâŹ/an, rien que pour la lutte contre 30 plantes exotiques envahissantes, alors qu'elle perdait 3,8 GâŹ/an (milliards d'euros par an) en rĂ©coltes perdues.
Début 2004, le Conseil de l'Europe publie une « Stratégie européenne relative aux espÚces exotiques envahissantes »[93] (dans le cadre de la Convention de Berne).
En 2007, un rĂšglement du Conseil de l'Europe traite des espĂšces envahissantes dans l'aquaculture[94].
En 2008, le projet europĂ©en DAISIE (Delivering Alien Invasive Species Inventories for Europe)[95] a Ă©valuĂ© pour 15 pays europĂ©ens, de 2005 Ă 2008, lâimportance des espĂšces exotiques Ă©tablies en Europe (animaux, vĂ©gĂ©taux, champignons), avec, pour la premiĂšre fois, une attention particuliĂšre portĂ©e aux invertĂ©brĂ©s terrestres et aux champignons (travail coordonnĂ© par l'INRA). Les chercheurs ont Ă©tĂ© surpris dâidentifier 1 517 espĂšces exotiques (insectes surtout, mais aussi acariens, vers, mollusques terrestres) dĂ©jĂ Ă©tablies en Europe. Cet inventaire nâest pas exhaustif, ces espĂšces Ă©tant souvent d'abord discrĂštes et plus difficiles Ă dĂ©tecter que les animaux et plantes supĂ©rieures.
Selon l'INRA, en moyenne 19 espĂšces dâinvertĂ©brĂ©s exotiques supplĂ©mentaires se sont introduites et ont dĂ©veloppĂ© des populations viables Ă envahissantes en Europe chaque annĂ©e pour la pĂ©riode 2000-2007. Câest presque le double du taux moyen mesurĂ© (10/an) en 1950 et 1975. Fin 2008, selon le Daisie ; sur environ 10 000 espĂšces exotiques recensĂ©es en Europe, 11 % auraient un impact Ă©cologique et 13 % un impact Ă©conomique. LâAsie est devenue le premier continent dâorigine, avant lâAmĂ©rique du Nord. Moins de 10 % de ces organismes auraient Ă©tĂ© dĂ©libĂ©rĂ©ment introduits (par exemple comme agents de lutte biologique ou NAC). La majoritĂ© serait arrivĂ©e avec des marchandises ou passagers involontairement « contaminĂ©s ».
Le commerce des plantes ornementales exotiques (sous toutes leurs formes) serait selon lâINRA une voie privilĂ©giĂ©e dâinvasion biologique. LâĂ©tude montre que les milieux riches en biodiversitĂ© et Ă haut taux de naturalitĂ© semblent plus Ă©pargnĂ©s par les invasions, alors que les milieux trĂšs anthropisĂ©s sont ceux qui accueillent la majoritĂ© des espĂšces exotiques (champs, parcs et jardins, habitations). Le rĂ©chauffement climatique semble avoir favorisĂ© lâimplantation croissante au moins dans lâEurope du Sud dâespĂšces dâorigine subtropicale ou tropicale.
Selon le projet DAISIE[96], la majoritĂ© de ces espĂšces Ă©tudiĂ©es (1341 espĂšces, soit 86 % du total) ont Ă©tĂ© introduites involontairement par les importations de marchandises et la circulation des vĂ©hicules ou des hommes. 218 espĂšces (soit 14 % au moment de l'Ă©tude) ont cependant Ă©tĂ© introduites tout Ă fait intentionnellement, dans la quasi-totalitĂ© des cas Ă des fins de lutte biologique et essentiellement pour l'horticulture et les cultures ornementales (468 espĂšces, soit 29 %), les Ă©vadĂ©es plus ou moins non intentionnelles (par exemple issues des serres (204 espĂšces, soit 13 %) suivent, devant les ravageurs des produits stockĂ©s (201 espĂšces, soit 12 %) et les « passagers clandestins » (95 espĂšces, soit 6 %), la forĂȘt et les ravageurs des cultures (90 et 70 espĂšces, respectivement 6 % et 4 %). Pour 431 espĂšces (soit 27 %), la voie d'introduction en Europe reste inconnue. La voie « sans aide », c'est-Ă -dire de dispersion spontanĂ©e d'une espĂšce exotique dans une nouvelle rĂ©gion, ou Ă partir d'une zone d'origine ou d'une zone oĂč elle a Ă©tĂ© rĂ©cemment introduite est probable pour certains arthropodes en Europe continentale, bien que n'Ă©tant pas prĂ©cisĂ©ment documentĂ©e dans les donnĂ©es. Les aspects spatio-temporels sont en cours d'Ă©tude, de mĂȘme que les vecteurs et implications pour la gestion des espĂšces exotiques. L'identification et l'alerte, ainsi que les moyens de fermer les « voies d'invasion » sont des Ă©lĂ©ments importants de toute stratĂ©gie visant Ă rĂ©duire la pression des propagules des arthropodes souvent de petite taille et involontairement transfĂ©rĂ©es. Cela exige une coordination et des responsabilitĂ©s claires pour tous les secteurs impliquĂ©s dans l'Ă©laboration de politiques et de toutes les parties prenantes associĂ©es.
Une base de données Daisie-europe-aliens[97] est librement consultable par le public.
Sur la base de 560 espÚces exotiques recensées dans le bassin méditerranéen, l'UICN a établi une « Liste noire des espÚces envahissantes dans le milieu marin » de Méditerranée, comprenant 15 poissons, 4 crustacés, 11 mollusques, 10 végétaux et de nombreux autres invertébrés[98].
EspÚces envahissantes et « effet Allee »
Les espĂšces envahissantes peuvent rĂ©guler leur croissance et sâĂ©tendre dans leur nouvel habitat en causant des perturbations dans leur communautĂ© biologique locale. Tous les taxons peuvent selon le contexte devenir une espĂšce envahissante[A 1].
Lâeffet Allee est dĂ©fini en Ă©cologie comme une relation positive entre tout composant de la fitness individuelle et lâeffectif (ou la densitĂ©) de conspĂ©cifiques[A 2].
Approche théorique
La plupart des envahissantes ont Ă©tĂ© introduites en faible effectif et en des lieux divers. Il a Ă©tĂ© dĂ©montrĂ© que les espĂšces sujettes Ă l'effet Allee ne pourront jamais sâĂ©tablir Ă moins dâĂȘtre introduites avec un effectif initial suffisamment grand (au moins supĂ©rieur au seuil de lâeffet Allee). Quand elles sont introduites en nombre lĂ©gĂšrement infĂ©rieur au seuil dâAllee, elles devraient pouvoir sâĂ©tablir grĂące Ă des effets de stochasticitĂ© dĂ©mographique. Mais pour les modĂšles dĂ©terministes, la population devrait sâĂ©teindre lorsque les effectifs se situent sous ce seuil[A 1].
Plusieurs phĂ©nomĂšnes propres aux invasions biologiques peuvent ĂȘtre dus Ă lâeffet Allee : Par exemple, le range pinning, soit la vitesse dâinvasion nulle, sâexplique par la seule existence dâun effet Allee dans le cadre dâun espace discret (espace divisĂ© en patchs), sans aucun gradient environnemental (conditions homogĂšnes du milieu) et pour des patchs Ă©quivalents dans leurs propriĂ©tĂ©s biotiques et abiotiques[A 3]. Ce mĂ©canisme sâexprime comme une fonction du taux de dispersion et du rapport entre seuil dâAllee et la capacitĂ© de charge des patchs. En espace continu homogĂšne, une vitesse d'invasion nulle ne peut exister que s'il existe un rapport exact d'1/2 entre la capacitĂ© de charge du milieu et le seuil d'Allee de la population[A 3]. Par ailleurs, plus lâeffet Allee est sĂ©vĂšre, plus la vitesse de la vague de dispersion sera lente[A 4].
Quelques exemples
Lâeffet Allee a Ă©tĂ© dĂ©tectĂ© chez certaines plantes envahissantes, par exemple chez la vigne adventice Vincetoxicum rossicum (AsclĂ©piadacĂ©e)[A 5] ou la spartine Ă feuilles alternes (Spartina alterniflora)[A 6], pour des insectes envahissants comme le bombyx disparate Lymantria dispar[A 7], ou encore des espĂšces envahissantes aquatiques comme la moule zĂ©brĂ©e Dreissena polymorpha[A 8].
Les preuves empiriques de lâeffet Allee chez les espĂšces envahissantes restent assez rares mais les exemples sâaccroissent[A 9].
Gestion
Le temps entre lâintroduction et l'Ă©tablissement d'une espĂšce envahissante (lag time) peut simplement dĂ©pendre de la combinaison entre lâeffet Allee et les processus de stochasticitĂ© de la population[A 1], ce qui devrait ĂȘtre pris en compte par les programmes de gestion d'espĂšces envahissantes. Un effet Allee non reconnu peut causer une estimation erronĂ©e des risques dâinvasion[A 9].
On ne peut jamais dire quâune espĂšce nâest pas envahissante parce que de petites introductions alĂ©atoires nâont pas conduit Ă une invasion ; rĂ©pĂ©tĂ©es dans le temps, ces petites introductions rĂ©parties alĂ©atoirement dans diffĂ©rents patchs peuvent finir par dĂ©passer la densitĂ© gĂ©ographique critique permettant alors Ă l'espĂšce de brutalement devenir pandĂ©mique[A 3]. Ainsi, lâinvasion dans un espace discret combinĂ© Ă un effet Allee se manifeste par une sĂ©rie dâĂ©vĂ©nements locaux et brusques[A 3]. Pour une espĂšce envahissante avec un fort effet Allee, lâĂ©radication est facilitĂ©e car il suffit de rĂ©duire la densitĂ© de la population sous le seuil dâAllee[A 7].
La prĂ©sence de lâeffet Allee permet d'utiliser un prĂ©dateur (ou compĂ©titeur) « spĂ©cialiste » de lâespĂšce plutĂŽt que « gĂ©nĂ©raliste » : les prĂ©dateurs gĂ©nĂ©ralistes peuvent ralentir ou arrĂȘter la dispersion de nâimporte quel envahissant, mais les prĂ©dateurs spĂ©cialistes ne peuvent affecter que les populations sujettes Ă un effet Allee et peuvent ralentir la dispersion dans le cas dâun effet Allee non critique et lâarrĂȘter dans le cas dâun effet critique[A 10].
La rĂ©ussite d'une stratĂ©gie de gestion dĂ©pend du type dâeffet Allee (fort et faible), mais aussi du budget affectĂ© au programme de gestion et Ă l'adĂ©quation de ses objectifs[A 6].
Aspects législatifs des mesures de luttes
Projet de nouvelle stratégie et réglementation européennes sur les espÚces exotiques envahissantes (2011-2014)
La Commission Européenne a lancé une consultation[99] en ligne (ouverte à tous) ; du au et prévoit une communication pour la fin 2008, qui devrait se traduire par des mesures européennes pour analyser et traiter ce problÚme.
La Commission europĂ©enne a prĂ©parĂ© de 2008 Ă 2013 une nouvelle stratĂ©gie[100], annoncĂ©e en 2008[101], avec une nouvelle proposition lĂ©gislative, soumise au Conseil et au Parlement le ; elle vise Ă prĂ©venir et gĂ©rer le danger induit par ces espĂšces. Elle a trois prioritĂ©s : la premiĂšre qui permettent des contrĂŽles visant Ă alerter en amont et Ă©viter l'introduction intentionnelle d'espĂšces prĂ©occupantes ; la seconde d'effectuer des mesures dâĂ©radication en cas d'Ă©mergence d'une « invasion biologique » et enfin la troisiĂšme d'effectuer des mesures d'attĂ©nuation des dommages quand l'espĂšce est dĂ©jĂ installĂ©e[102]. les Ătats-membres pourront alimenter la liste des espĂšces Ă considĂ©rer comme « envahissantes ».
Fin 2008, 14 Ătats membres n'avaient pas encore de stratĂ©gies ou de plans visant Ă rĂ©duire les impacts des espĂšces envahissantes (ni des gĂ©notypes allochtones), bien que certains aient Ă©voquĂ© ces espĂšces dans leur stratĂ©gie nationale en matiĂšre de biodiversitĂ©.
En 2010, selon les experts réunis au CongrÚs CongrÚs Neobiota 2010[103], le coût annuel des dégùts induits par ces espÚces pourrait atteindre, voire dépasser 12 milliards d'euros/an.
En 2014, un nouveau rÚglement européen « fixe des rÚgles visant à prévenir, à réduire au minimum et à atténuer les effets néfastes sur la biodiversité de l'introduction et de la propagation au sein de l'Union, qu'elles soient intentionnelles ou non intentionnelles, d'espÚces exotiques envahissantes »[104] ; il a été adopté le , et son article 4 prévoit une « Liste des espÚces exotiques envahissantes préoccupantes pour l'Union » à fixer au plus tard le (est jugée préoccupante pour l'Union « une espÚce exotique envahissante dont les effets néfastes ont été jugés de nature à exiger une action concertée au niveau de l'Union en vertu de l'article 4, paragraphe 3 » (du rÚglement)[104].
En 2015 le rÚglement no 1143/2014 entre en vigueur, permettant à l'Union européenne de mener une lutte renforcée et coordonnée. Il vise à limiter l'expansion des espÚces déjà introduites en Europe et d'éviter l'arrivée de nouvelles espÚces envahissantes.
En , la 1re liste europĂ©enne des espĂšces exotiques envahissantes[105] : elle recense 12 000 plantes, animaux, champignons ou micro-organismes installĂ©s sur le territoire europĂ©en sans en ĂȘtre originaires, 10 Ă 15 % environ Ă©tant devenues envahissantes[106], et regroupe 37 espĂšces, considĂ©rĂ©es comme causant le plus de dĂ©gĂąts ou comme des menaces Ă©mergentes graves pour la biodiversitĂ©, la santĂ© publique et l'Ă©conomie (plus de 12 milliards d'euros de dĂ©gĂąts par an selon la Commission EuropĂ©enne) et nĂ©cessitant des mesures de lutte dans les 27 Ătats-membres. Une mise Ă jour est en prĂ©paration[107]. Un rĂšglement comportant des restrictions d'utilisation, d'importation, de vente, d'alimentation et d'Ă©levage de ces espĂšces entre en vigueur 20 jours aprĂšs la publication de cette liste europĂ©enne[107].
En France
En France, un arrĂȘtĂ© ministĂ©riel du [108] interdit la commercialisation, lâutilisation et lâintroduction dans le milieu naturel de la jussie Ă grandes fleurs et de jussie rampante (deux plantes envahissantes), puis un arrĂȘtĂ© ministĂ©riel du vise diverses espĂšces rĂ©putĂ©es envahissantes et interdit lâintroduction de certaines espĂšces dans le milieu naturel mĂ©tropolitain[109]. Divers inventaires sont faits ou dĂ©jĂ publiĂ©s, qui seront Ă rĂ©guliĂšrement mettre Ă jour, notamment Ă l'Ă©chelle de bassins, les canaux[110] et cours d'eau, ainsi que les ports Ă©tant des axes d'introduction importants pour nombre d'envahissantes[111]. La France, y compris pour les phĂ©nomĂšnes de maladies Ă©mergentes, est une zone Ă haut risques, car trĂšs bien desservie par des aĂ©roports en lien avec le monde entier, traversĂ©e de nombreux axes de transport terrestres ou marins et par canaux, et « seul pays dâEurope Ă avoir une façade Ă la fois sur la Mer du Nord, la Manche, lâAtlantique et la MĂ©diterranĂ©e pour un total de 5 500 km de cĂŽtes »[111], avec des ports dâimportance internationale (de Bordeaux Ă Dunkerque, en passant par La Rochelle, Nantes, Brest, Cherbourg, Le Havre, Boulogne, Calais, etc.)[112]. Cette position de carrefour gĂ©ographique « multimodal » et son climat tempĂ©rĂ© sont trĂšs propices Ă l'introduction d'espĂšces et au risque d'envahissement.
En complĂ©ment de l'article l'article L. 411-3 du code de l'environnement, un projet de loi, prĂ©parĂ© en 2013 par le « ComitĂ© Parlementaire de Suivi du Risque Ambroisie » a Ă©tĂ© Ă©largi Ă d'autres espĂšces susceptibles de poser problĂšme, et annoncĂ© pour mi-2014. Il pourrait ĂȘtre examinĂ© en automne 2014 pour fixer un cadre juridique national de lutte contre des plantes envahissantes et indĂ©sirables pour des raisons sanitaires ou Ă©conomiques (orobanche). En 2016, pour l'association Stop ambroisie « Il faut Ă©tendre les pouvoirs de police des maires en leur donnant le droit d'intervenir sur les terrains privĂ©s pour se substituer aux propriĂ©taires qui ne font rien »[8].
En Suisse
Le , le Conseil fĂ©dĂ©ral a ouvert une consultation afin de rendre plus efficace la lutte contre les espĂšces envahissantes exotiques causant des dĂ©gĂąts, au moyen de modifications de la loi sur la protection de lâenvironnement (LPE)[113] - [114]. Les mesures ne seraient plus seulement appliquĂ©es dans les forĂȘts et zones agricoles, mais aussi chez les particuliers, selon le rapport explicatif[115].
Notes et références
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- D'aprĂšs l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN)
- Une espĂšce indigĂšne s'oppose Ă une espĂšce exotique. Une espĂšce indigĂšne est naturellement prĂ©sente alors quâune espĂšce exotique est introduite, volontairement ou non, sur le mĂȘme territoire. Le Conseil de l'Europe catĂ©gorise "exotique" une plante introduite Ă partir de 1500 aprĂšs J.-C.
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Articles connexes
- Cent espĂšces envahissantes parmi les plus nuisibles du monde
- Effet Allee
- ContrĂŽle des espĂšces envahissantes
- Global Invasive Species Database : base de données qui regroupe les espÚces envahissantes
- Insecte ravageur
- Invasion biologique
- Liste d'espĂšces envahissantes
- Liste d'espÚces classées parmi les plus envahissantes au XXIe siÚcle
- Liste des espÚces exotiques envahissantes préoccupantes pour l'Union européenne
- Liste d'espĂšces susceptibles d'ĂȘtre classĂ©es nuisibles en France
- Migration humaine#Migrations préhistoriques
- Extinction de la MĂ©gafaune australienne
- Extinction de l'HolocĂšne
- Plante envahissante
- DĂ©fi d'Honolulu
- MammifĂšres introduits sur les Ăźles de reproduction d'oiseaux marins
- Liste d'espĂšces envahissantes comestibles
Liens externes
- Notices dans des dictionnaires ou encyclopédies généralistes :
- « Faune invasive : pousse-toi de lĂ que je mây mette », La MĂ©thode scientifique, France Culture, .
- « Les invasions biologiques », La tĂȘte au carrĂ©, France-Inter, .
Généralités
- ISSG-GISD-IUCN
- (en+ja) Biodiversity Network Japan
Exemples de pays
- (en) GISD-ISSG-IUCN ci-dessus, pour la France
- (en) EspĂšces invasives en Belgique
- Site dédié aux espÚces envahissantes en Bretagne
- (fr+en) « Dangers liés au déplacement du bois de chauffage ; Ne déplacez pas de bois de chauffage », Agence canadienne d'inspection des aliments, Gouvernement du Canada, .