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Agrainage

L’agrainage (qui inclut la notion d'alimentation de diversion) est une pratique cynĂ©gĂ©tique consistant Ă  nourrir des animaux sauvages, dans leur environnement naturel (ex : forĂȘt) ou anthropisĂ© (champs, parcs...)[1]. Le mot « agrainage » est plutĂŽt rĂ©servĂ© aux sangliers, mais il est parfois utilisĂ© pour les cervidĂ©s ou les oiseaux chassables.

« Unimog » Ă©quipĂ© pour la dispersion de grains de maĂŻs pour agrainer les sangliers, dans la "ceinture verte" de Munich dans une forĂȘt domaniale (37,09 kmÂČ) qui est aussi une zone de dĂ©tente pour les Munichois (Forstenrieder Park) ; Contrairement Ă  l’agrainage Ă  but « cynĂ©gĂ©tique » pratiquĂ© Ă  poste fixe, l’agrainage dissuasif doit ĂȘtre rĂ©alisĂ© de maniĂšre diffuse et linĂ©aire, ce qui nĂ©cessite souvent un vĂ©hicule[2].
Petit hangar de stockage et silo Ă  grain (Wallonie, Belgique)
Zone d'agrainage et d'affouragement Ă  Klampenborg (cĂŽte nord de Copenhague) / Dyrehaven (Danemark)
Exemple d'agrainoir artisanal pour sangliers en lisiĂšre d'une parcelle de douglas (Pseudotsuga menziesii), Ă  Mardore (commune de Thizy-les-Bourgs, RhĂŽne, France)

Dans la plupart des rĂ©gions d'Europe, de fortes augmentations dĂ©mographiques sont constatĂ©es chez le sangliers et certains cervidĂ©s depuis quelques dĂ©cennies. L'agrainage abondamment pratiquĂ© dans les annĂ©es 1980/1990 y a contribuĂ©, en « suralimentant » une partie de la faune sauvage, en perturbant les Ă©quilibres Ă©cologique[3] et sylvocynĂ©gĂ©tique[4], tout en accroissant le risque et la rapiditĂ© d'une diffusion d'Ă©pidĂ©mies (dont d'Ă©ventuelles zoonoses ; on a rĂ©cemment montrĂ© aux États-Unis que la pierre Ă  sel et l'agrainage sont deux des causes probables d'une large diffusion du SARS-CoV-2 chez le Cerf de Virginie[5].

En termes de bilan global ou de coĂ»ts-avantages, depuis les annĂ©es 1990 au moins, le bilan avantages/inconvĂ©nients et les modalitĂ©s de l'agrainage, et son efficacitĂ© dissuasive dans un grand nombre de cas, sont de plus en plus discutĂ©s[6], notamment en raison de son coĂ»t, mais aussi pour des questions nutritionnelles, d'Ă©thique environnementales et Ă©cosystĂ©miques[7] ; en effet, il a plusieurs effets pervers dĂ©montrĂ©s sur les populations animales et sur leur santĂ©, autant que sur la forĂȘt (Ă©quilibre sylvocynĂ©gĂ©tique), sachant qu'il n'existe pas encore de mĂ©thode fiable pour Ă©valuer le point d'Ă©quilibre.
En France cette pratique est plus rĂ©glementĂ©e qu'autrefois, et son intĂ©rĂȘt discutĂ©, sauf lĂ  et quand on a fait la preuve de son utilitĂ©, et Ă  certaines conditions.

SĂ©mantique

Étymologiquement, il s'agit de mettre Ă  disposition du grain (blĂ©, orge, seigle, maĂŻs
), mais par extension, cette expression recouvre aussi une alimentation par d'autres types de nourriture.

EspĂšces cibles et espĂšces non-cibles

Au dĂ©but du XXIe siĂšcle, sauf une Ă©tude publiĂ©e par Hug en 2003 sur les pratiques illĂ©gales d'alimentation complĂ©mentaire utilisĂ©e pour la chasse dans certaines aires naturelles protĂ©gĂ©es [8], aucune Ă©tude n'avait portĂ© sur l'impact direct de l'alimentation complĂ©mentaire sur l'habitat naturel lui-mĂȘme, ni sur d'autres communautĂ©s d'animaux que les espĂšces-cibles. Les Ă©tudes montrent ensuite que ces effets existent et qu'ils ne sont pas nĂ©gligeables, au point de parfois rendre l'agrainage contre-productif,

EspĂšces cibles

L'agrainage vise dans la plupart des cas, avec plus ou moins de succĂšs, une ou plusieurs espĂšces cibles d'intĂ©rĂȘt cynĂ©gĂ©tique :

Dans certains cas particuliers et expĂ©rimentaux, d'autres espĂšces peuvent ĂȘtre ciblĂ©es par des aliments de diversion, avec par exemple :

  • l'Ă©cureuil Tamiasciurus hudsonicus qu'on a expĂ©rimentalement de 1889 Ă  1991, en Colombie-Britannique, complĂ©mentĂ© en graines de tournesol (fortement dispersĂ©es au sol et Ă  large Ă©chelle, d'abord Ă  la main, puis par avion), pour qu'il cesse d'Ă©corcer les pin Pinus contorta cultivĂ©s en monoculture intensive[9]. Le taux d'arbres Ă©corcĂ©s a diminuĂ© (passant de 57,5 % Ă  11,3 % de pins endommagĂ©s dans la zone expĂ©rimentale), et la population d'Ă©cureuils ne semble avoir Ă©tĂ© renforcĂ©e que temporairement (sur les 3 ans d'Ă©tude)[9] ;
  • des rapaces pour qu'ils attaquent moins de nids ou d'oisillons de Grand TĂ©tras[10] par exemple ;
  • l'ours noir qui en pĂ©riode de disette peut Ă©corcer les conifĂšres pour en manger l'aubier, ours qui s'est vu dans ce cas proposer des pellets en alternative Ă  l'aubier, ce qui a fonctionnĂ© jusqu'Ă  ce que les baies commençaient Ă  mĂ»rir[11]. Dans les contextes d'exploitation forestiĂšre, les coĂ»ts de cette alimentation alternative sont remboursĂ©s par de moindres dommages aux arbres[12].

EspĂšces non-cibles

Des caméras automatiques montrent que de nombreuses espÚces-non cibles profitent des agrainoirs (parfois concurrentes de l'espÚce-cible)[13]. A titre d'exemple, 14 espÚces de mammifÚres et 18 espÚces d'oiseux ont été filmées parmi 6 558 déclenchement de la caméra en 490 jours de surveillance d'agrainoirs destinés à alimenter le colin de Virginie et la caille (deux espÚces en déclin). Dans ce cas, les colins n'ont représenté que 7,3 % des visites, et les cailles 11,3 % [13]. 43,2 % des visiteurs de l'agrainons étaient des ratons laveurs (Procyon lotor, omnivore concurrent de la caille pour son alimentation et prédateur potentiel des nids de cailles et d'autres espÚces) ; et 32,5 % des visites étaient des oiseaux non-gibiers (le taux de fréquentation ne reflÚte pas la quantité d'aliments consommés, mais la grande majorité des aliments a ici été mangée par des espÚces non-ciblées, raton laveur principalement)[13].

Aliments utilisés

Ils varient selon l'espĂšce cible, avec notamment :

Pour des raisons de biosécurité, les déchets alimentaires sont maintenant dans la plupart des pays totalement interdits[14].

La nourriture peut ĂȘtre dĂ©posĂ©e au sol (concentrĂ©e, ce qui n'est pas recommandĂ©, ou dispersĂ©e) ; ou elle peut ĂȘtre rendue disponible via un distributeur, dit « agrainoir », plus ou moins sophistiquĂ© (en particulier quand l'agrainage cible une espĂšce particuliĂšre).

Les agrainoirs

Ils sont le plus souvent bricolés sur place avec des bidons de plastique issus de la récupération et des tÎles pour les protéger de la pluie.
Certains types d'agrainoirs (entourĂ©s d'une clĂŽture Ă©lectrique par exemple) peuvent assez efficacement empĂȘcher certaines espĂšces d'accĂ©der Ă  la nourriture au profit d'espĂšces ciblĂ©es.

Objectifs

L'agrainage a (ou a eu) plusieurs objectifs, complémentaires ou contradictoires :

Nourrir des animaux

Il peut s'agir d'aider des animaux menacĂ©s (Ă©ventuellement migrateurs de passage ou espĂšces chassables en forte rĂ©gression telles que la perdrix en Europe, ou le Colin de Virginie (Colinus virginianus) ou la caille Callipepla squamata aux États-Unis[15]). Il peut aussi s'agir, parfois massivement et Ă  grande Ă©chelle, de nourrir des espĂšces-gibier dĂ©jĂ  abondantes pour « augmenter leur densitĂ© »[16], leur poids corporel et/ou la qualitĂ© des trophĂ©es d'une (ou plusieurs) espĂšce(s)-cible(s)[17], parfois toute l'annĂ©e, dans des auges et souvent dans d'autres dispositifs d'agrainage, pour les fixer sur un site oĂč ils seront plus faciles Ă  chasser ou pour les nourrir dans un enclos de chasse oĂč ils manqueraient rapidement de nourriture dans cet apport artificiel.

AppĂąter

Cette pratique a Ă©tĂ© trĂšs utilisĂ©e pour le tir Ă  l'affut (parfois pour complĂ©ter d'autres modes de chasse devenus insuffisamment « efficaces », par exemple, Ă  cause d'un manque de chasseurs et/ou de rabatteurs, d'un contexte urbain ou Ă  risque d'accident de chasse dans une forĂȘt trĂšs frĂ©quentĂ©e), ou pour effectuer des tirs sĂ©lectifs.

Cette solution n'est pas durable, car une partie des chevreuils et sangliers apprennent vite à reconnaitre un site qui serait trop « dangereux » pour eux.

Dans une partie de l'Europe, l'appĂątage Ă  des fins de chasse rĂ©crĂ©ative a Ă©tĂ© interdit (ex : en France, sauf dĂ©rogation ou Belgique), mais il est autorisĂ© et trĂšs utilisĂ©, surtout pour le sanglier, en Allemagne, au Luxembourg (et en Alsace) oĂč des appĂąts sont dĂ©posĂ©s, une fois par jour ou tous les deux jours devant des pylĂŽnes ou postes de tir[18] - [19] - [20].
L'appùtage est localement trÚs utilisé par des "gestionnaires" de territoires de chasse pour maintenir le gibier dans leur territoire, en lui fournissant des appùts tout au long de l'année (ou plus souvent, pour des raisons de coût, peu avant l'ouverture de la chasse ou avant des battues (Kaberghs 2004). Ce type d'alimentation peut entraßner une concurrence entre les chasseurs occupant des zones de chasse adjacentes, entraßnant la distribution de grandes quantités de nourriture sur des périodes prolongées (Kaberghs 2004).
Exceptionnellement, des appĂąts sont utilisĂ©s pour piĂ©ger ou endormir des animaux ou les attirer lĂ  oĂč des flĂ©chettes narcotiques peuvent ĂȘtre plus facilement tirĂ©es (par exemple pour marquer un animal, l'Ă©quiper d'une balise, l'Ă©tudier, etc.). Il ne s'agit alors pas de tuer l'animal ;

  • agrainer pour attirer Ă  des fins d'observation et/ou de capture dans un corral ou une cage ou un autre type de piĂšge (pour des raisons de suivi scientifique par exemple)[21]. Le sanglier semble peu gĂȘnĂ© par l'Ă©clairage[21]. L'utilisation de somnifĂšres et de tĂ©lĂ©anesthĂ©sie est Ă©galement possible pour limiter les blessures et de stress pour l'animal.

Agrainage « de dissuasion » ou « de diversion »

Il concerne surtout le sanglier, qu'il s'agit alors de nourrir réguliÚrement en des points fixes et habituels, et de maniÚre diffuse pour qu'il passe du temps à trouver des aliments qu'il apprécie et évite d'aller manger (et « retourner » le sol) sur d'autres territoires (prairies permanentes, champs, vignobles[22]), au risque de contribuer à augmenter sa démographie et celle d'espÚces indésirables (rongeurs) si trop de nourriture est offerte.

Parfois, en forĂȘt privĂ©e ou publique, des cultures cynĂ©gĂ©tiques sont directement implantĂ©es dans des clairiĂšres crĂ©es en forĂȘt. Ainsi, il n'est pas nĂ©cessaire de distribuer la nourriture, mais le risque est cette fois d'habituer les animaux Ă  consommer du maĂŻs ou d'autres plantes appĂ©tentes qu'ils pourraient ensuite aller rechercher dans les zones agricoles. Il convient aussi d'utiliser un site propre (ex. : En forĂȘt de Verdun et dans d'autres forĂȘts de guerre de la zone rouge, de nombreuses billes de plomb toxique (shrapnells) et des obus non explosĂ©s, Ă  demi apparents ont Ă©tĂ© trouvĂ©s sur des sites d'agrainage) ;

AppĂąter pour vacciner

Ce cas est beaucoup plus rare, cette solution s'est montrĂ© extrĂȘmement efficace contre la rage chez le renard en Europe ;

Fournir du sel ou d'autres minéraux

Les pierres à sel sont souvent disposées en hauteur et les animaux lÚchent ensuite le sel solubilisé par la pluie[23] - [24].

L'objectif le plus citĂ© est la prĂ©vention des carences alimentaires[25] mais d'autre raison sont parfois citĂ©es, telle qu'empĂȘcher les animaux d'ingĂ©rer le sel de dĂ©neigement (qui est parfois un dĂ©chet salin, ou du chlorure de calcium toxique, et qui attirerait les animaux sur un axe oĂč il risque la collision avec un vĂ©hicule (roadkill)[26].

Le sel peut aussi servir Ă  attirer les animaux Ă  des fins de chasse (il s'agit alors d'une forme d'appĂąt, voir ci-dessus)[26].

Dans certaines rĂ©gions, la supplĂ©mentation en minĂ©raux vise Ă  amĂ©liorer la qualitĂ© des trophĂ©es de chasse, avec l'espoir d'amĂ©liorer la beautĂ© des bois des chevreuils et de cerfs [17]. Les pierres Ă  lĂ©cher peuvent ĂȘtre fabriquĂ©es avec des dĂ©chets d'abattoir riches en minĂ©raux (os, corne...), avec le risque de transmission de prions infectieux si le traitement thermique n'a pas Ă©tĂ© suffisant (ex : Chronic wasting disease quand les abattoirs traitaient sans prĂ©caution suffisante un grand nombre d'animaux potentiellement porteurs de la vache folle)[27]

Nourrissage d'urgence

Il s'agit alors de nourrir des animaux pour Ă©viter leur dĂ©tresse alimentaire ou la famine (par exemple en cas de froid exceptionnel ou de sĂ©cheresse ou aprĂšs un incendie de forĂȘt)[18] - [28]. Ce type de supplĂ©mentation doit ĂȘtre rĂ©flĂ©chi, car au sein des espĂšces sauvages, la famine est un facteur normal de sĂ©lection naturelle (quand une ressource alimentaire manque, la mortalitĂ© qu'elle induit Ă©quilibre les effets dĂ©mographique positif des annĂ©es d'abondance alimentaire, comme on l'a notamment montrĂ© en forĂȘt de BiaƂowieĆŒa, oĂč pour protĂ©ger le Bison dont l'effectif est encore trĂšs rĂ©duit en Europe et qui peut aussi Ă©corcer les arbres pour se nourrir, il bĂ©nĂ©ficie cependant d'une supplĂ©mentation alimentaire en hiver)[29].

Efficacité des agrainages de dissuasion ?

L'agrainage semble dissuasif quand il s'agit d'éloigner les animaux de routes, mais il ne s'est généralement pas montré efficace (voire il a été contre-productif) pour réellement protéger les nids d'oiseaux au sol (ou proches du sol) d'attaques de prédateurs[30] - [31] - [10]. Et malgré de nombreuses évaluations, on manque également de preuves concernant son effet dissuasif sur l'aboutissement de jeunes arbres par le cerf (et plus encore pour l'orignal). Selon le contexte on observe de grandes variations des dommages par broutage de tiges ou pousses supérieurs de jeunes arbres par les cervidés ; par exemple pour Alces alces, Capreolus capreolus, Cervus elaphus et Dama dama. Une étude sur les dégùts sur le pin sylvestre (Pinus sylvestris) a trouvé que la disponibilité en fourrage naturel alternatif expliquait mieux ces variations que la présence/absence d'un agrainage/affouragement (ensilage, offre de légumes-racines) supposé dissuasif[1]. La conservation ou restauration d'un fourrage naturel approprié est recommandée par les auteurs de cette étude. La création d'un tel « fourrage naturel » est également recommandée par rapport à l'alimentation complémentaire en raison des cobénéfices pour la biodiversité forestiÚre et les services écosystémiques[1].

Si l'agrainage vise Ă  maintenir le grand-gibier dans des bois afin qu'ils ne dĂ©gradent pas les cultures ou jardins pĂ©riphĂ©riques, il « nĂ©cessite d'Ă©viter les perturbations dans les bois concernĂ©s. Par consĂ©quent, la chasse aux stations d'alimentation serait contre-productive »[26]. À l'ONC, sur la base d'expĂ©rimentations, Vassant et al., dĂšs 1987 suggĂšrent que les stations d'alimentation devraient toujours ĂȘtre disposĂ©es Ă  plus de 500 m, et plus loin encore si possible, des limites des champs[32]. L'agrainage dissuasif pour le sanglier ne devrait en outre ĂȘtre pratiquĂ© que les annĂ©es sans glandĂ©es ni production de faines[33] - [34] - [35] car, comme le montrent les observations et analyses de contenus stomacaux les animaux prĂ©fĂšrent les glands et les faĂźnes aux cultures agricoles ou Ă  l'alimentation complĂ©mentaire[36]. Pour diverses raisons, il faut Ă©viter d'artificiellement fortement concentrer des individus ou groupes. Pour cela Putman & Staines (2004) proposent de disperser les mangeoires destinĂ©es aux cervidĂ©s, pas trop prĂšs les unes des autres. Le maĂŻs destinĂ© aux sangliers devrait ĂȘtre dispersĂ© en grain sur des surfaces minimales de 10 mx 200 m. Pour empĂȘcher les dominants de trop monopoliser un site d'alimentation, faire avancer le groupe quand il est rassasiĂ© et empĂȘcher les membres subordonnĂ©s du groupe de se nourrir plus tard dans les champs et de causer ainsi des dĂ©gĂąts importants. Vassant (1994)[32], Julien & al. (1988)[37] et Happ (2002)[19] recommandant aussi de disposer une partie de la nourriture derriĂšre une clĂŽture uniquement franchissable par de petits individus (qui pourront alors manger sans conflit avec les dominants). Briedermann (1986) recommande d'enterrer ou de couvrir la nourriture, ou de ne la rendre disponible que le soir (le sanglier mangeant essentiellement de nuit), ce qui expose cette nourriture aux rongeurs, mais limite les « pertes » dues aux oiseaux granivores qui ne nourrissent surtout de jour[32].

Alors que l'on pensait que la prĂ©dation du renard roux (Vulpes vulpes) sur les faons du chevreuil (Capreolus capreolus) pouvait expliquer une faible dĂ©mographie du chevreuil, une expĂ©rience cynĂ©gĂ©tique a consistĂ© Ă  offrir au renard une alimentation supplĂ©mentaire durant la courte et critique pĂ©riode de mise bas des chevreuils dans une zone oĂč des chevreuils radiomarquĂ©s vivaient Ă  proximitĂ© des taniĂšres de renard, et ce « Ă  une Ă©chelle de gestion rĂ©aliste (c'est-Ă -dire la taille d'un grande zone de chasse ; ∌65 km2) ». Les renards ont bien trouvĂ© et consommĂ© la nourriture fournie, mais les auteurs de l'Ă©tude n'ont « observĂ© aucune tendance Ă  l'augmentation du recrutement des chevreuils », concluant que l'alimentation supplĂ©mentaire des renards roux lors de la pĂ©riode de mise bas du chevreuil « n'est pas une solution Ă  ce problĂšme de gestion, du moins pas Ă  l'Ă©chelle de gestion choisie et avec les niveaux actuels de prĂ©dation par le renard roux »[38].

Pour réduire la prédation du Busard Saint-Martin (Circus cyaneus) sur les poussins de lagopÚde des saules (Lagopus lagopus scoticus au Royaume-Uni, Redpath et al. (2001) ont utilisé une alimentation de diversion constituée de rats morts et de poussins de coq. L'étude montre que cette prédation a été réduire de 86% de la part des busards Saint-Martin, mais la mortalité des poussins de tétras est restée élevée, probablement parce que d'autres prédateurs ont pris les poussins de tétras à la place[10]. De plus, il a été reconnu qu'une alimentation dissuasive, surtout si elle est effectuée toute l'année, pourrait augmenter le succÚs de reproduction ou la densité de population du prédateur, aggravant ainsi le problÚme au lieu de le réduire[39].

Effets pervers

Petite station d'agrainage distribuant de la nourriture (granulés) dont beaucoup restent au sol à disposition des rongeurs
Distributeur d'épis de maïs, dont une partie tombent au sol, disponible pour les rongeurs et d'autres espÚces non ciblées

Les auteurs d'une revue d'études internationale publiée en 2014, ont « trouvé des preuves claires que l'alimentation complémentaire améliorait la reproduction et la croissance de la population dans certaines conditions » mais ils n'ont trouvé que « des preuves limitées de l'efficacité de l'alimentation de diversion pour protéger les cultures, la foresterie et les habitats naturels, avec des effets positifs souvent compromis par l'augmentation de la densité d'ongulés »[6]. Selon ce travail, « des conflits sont apparus entre les acteurs qui bénéficient du nombre élevé d'ongulés et ceux qui en subissent les coûts. L'alimentation supplémentaire ou de diversion peut potentiellement atténuer les conflits tout en maintenant les rendements des récoltes, mais peut avoir des implications sur la conservation de la nature »[6]. Les scientifiques auteurs de ce bilan ont exhorté « les gestionnaires à prendre au sérieux les risques ainsi que les enjeux économiques et éthiques avant de décider de nourrir les ongulés »[6].

En effet, un agrainage s'il est excessif s'apparente Ă  un Ă©levage extensif et peut contribuer Ă  des surpopulations nuisibles des animaux cibles[40] - [41] (ou d'animaux « non ciblĂ©s » dans le cas des rongeurs et d'autres espĂšces opportunistes qui trouvent une nourriture facile sous les agrainoirs). Le constat est que les plans de chasse instaurĂ©s par les chasseurs dans les annĂ©es 1960/1970 en Europe et dans certains États d'AmĂ©rique du Nord, en plus des rĂ©introductions locales de gibier, associĂ©es Ă  des dizaines de milliers de points d'agrainage ont permis le dĂ©veloppement d'un important cheptel de cervidĂ©s et de sangliers, qui a mĂȘme largement dĂ©passĂ© les espĂ©rances des chasseurs et des sylviculteurs (qui tirent souvent un revenu secondaire mais important des baux de chasse). Cependant, cette population-gibier, qui a parfois des bases gĂ©nĂ©tiques appauvries, a de plus grandi au point de faire d'importants dĂ©gĂąts dans les cultures et dans les forĂȘts, posant des dĂ©sĂ©quilibres sylvocynĂ©gĂ©tiques, en devenant source de risques Ă©pidĂ©miologiques (par exemple, la peste porcine) et d'accidents de circulation (par Ă©vitement ou collisions sanglier-vĂ©hicule notamment), et les dĂ©gĂąts du gibier sont en forte augmentation en Europe, et notamment en France).

Bien que visant Ă  contribuer Ă  limiter les dĂ©gĂąts aux cultures, l’agrainage, s'il est pratiquĂ© trop abondamment, notamment prĂšs des lisiĂšres, peut en fait involontairement les exacerber via les pullulations de rongeurs, de sangliers et de chevreuils[26] ; il augmente aussi d'autres risques, comme les risques sanitaires[42]. En effet, toute tentative de sĂ©dentariser une population animale sauvage expose cette population Ă  un risque accru de parasitoses et de maladies infectieuses contagieuses, Ă©ventuellement transmissibles Ă  l'homme (zoonoses) : « la technique est efficace pour limiter les dĂ©gĂąts au moment des semis ou des rĂ©coltes, mais elle se transforme souvent en nourrissage Ă  l’annĂ©e, une dĂ©rive qui alimente le cycle prolifique de la reproduction »[42].

Ainsi, quand l'agrainage est trop et/ou mal pratiqué (apports concentrés en quelques points, dépÎts au sol, distributeurs non spécifiques), il a des effets involontaires, « généralement complexes, impliquant des changements dans la démographie, le comportement et la végétation avec des effets en cascade conséquents sur d'autres niveaux trophiques, ainsi que des risques exacerbés de transmission de maladies. L'augmentation de la densité d'ongulés est le principal moteur de ces effets involontaires, dont les conséquences ont tendance à augmenter avec la longévité de l'alimentation et à affecter un éventail de parties prenantes »[6].

Les conséquences indésirables les plus citées sont :

  • explosions dĂ©mographiques de sangliers et/ou cervidĂ©s[26] (et accroissement des dĂ©gĂąts du gibier et risques de collision associĂ©s) ;
  • altĂ©ration de comportements migratoires normaux (chez les ongulĂ©s)[43] ;
  • altĂ©ration des comportements alimentaires normaux et dĂ©gradation (par abroutissement et sur-pression de broutage) Ă  proximitĂ© des emplacements fixes d'agrainage/affouragement[1] - [44] - [45]. Depuis le milieu des annĂ©es 1990, au moins trois Ă©tudes ont montrĂ© que paradoxalement, l'offre en aliments riches en Ă©nergie peut conduire les cervidĂ©s Ă  accroĂźtre leur consommation de brout (abroutissement)[46] - [1] - [47] - [48] - [49]. « On ignore cependant si ces effets secondaires potentiels de l'agrainage sont dĂ©tectables Ă  des niveaux pertinents pour les amĂ©nagistes forestiers »[50].
  • effet de « compĂ©tition d’agrainage entre lots de chasse voisins »[51] ;
  • pillage par ces rongeurs d'une partie des aliments apportĂ©s ;
  • surpopulation de petits rongeurs (souris, campagnols, rats, mulots, lĂ©rots
) autour des points d'agrainage, avec renforcement du nombre d'individus et de leur promiscuitĂ©, ce qui en l'absence de prĂ©dation et de sĂ©lection naturelle par les prĂ©dateurs favorise ensuite d'une part une compĂ©tition pour les glands entre sangliers et petits mammifĂšres[52], et d'autre part l'apparition et la diffusion de certaines maladies transmissibles et de leurs vecteurs (tiques, puces, taons, moucherons et autres moustiques hĂ©matophages
), voire de maladies Ă©mergentes (la plupart Ă©tant de plus des zoonoses, c'est-Ă -dire transmissibles Ă  l'Homme et/ou inversement) ; La souris Ă  pattes blanches par exemple est en AmĂ©rique du Nord le principal rĂ©servoir forestier des borrĂ©lies responsables de la maladie de lyme, mais les souris sont Ă©galement porteuses potentielles de certains virus grippaux, d'un hantavirus dangereux (cf. fiĂšvre hĂ©morragique avec syndrome rĂ©nal) ou encore du SARS-CoV-2 responsables de la COVID-19, tout comme certains de leurs prĂ©dateurs dans ce dernier cas (ex : vison, chat)[53] ;
  • Effets potentiels de l'alimentation supplĂ©mentaire des cerfs sur la prĂ©dation des nids, citĂ©s par Cooper & Ginnett en 2000 (ex : L'agrainage du cerf de Virginie (Odocoileus virginianus) est de plus en plus populaire, notamment sur les terres privĂ©es, or cet agrainage profite aussi au ratons laveurs (Procyon lotor) et Ă  des granivores, mais aussi Ă  d'autres petits carnivores trĂšs attirĂ©s par les mangeoires de cerfs. Or ces animaux sont aussi des prĂ©dateurs potentiels d'oiseaux nichant au sol, pouvant eux-mĂȘmes ĂȘtre aussi attirĂ©s par les cĂ©rĂ©ales distribuĂ©es pour l'agrainage[54] ;
  • dĂ©gĂąts aux cultures, en effet, certains de ces rongeurs peuvent Ă  leur tour ĂȘtre responsables de dĂ©gĂąts aux cultures (campagnols notamment) ou de dĂ©prĂ©dations de graines ou racines de plants d'arbres. Ces problĂšmes sont exacerbĂ©s quand l'agrainage est associĂ© Ă  des campagnes de piĂ©geage des mustĂ©lidĂ©s ou Ă  une chasse ou dĂ©terrage des renards, car la disparition de ces prĂ©dateurs encourage aussi la pullulation et la diffusion de maladies vectorielles par les rongeurs et leurs parasites (Ă©chinococcose alvĂ©olaire, maladie de Lyme, ehrlichiose, babesiose, hantavirose, etc.).

L'une des deux grandes fonctions de l'agrainage est la prévention des dégùts du gibier[50].

Dans certaines rĂ©gions trĂšs pauvres en forĂȘt, des agrainoirs sont parfois installĂ©s en zone ouverte et dĂ©gagĂ©e :

  • c'est exposer les oiseaux qui s'y nourrissent Ă  leurs prĂ©dateurs ;
  • c'est risquer d'y favoriser les rongeurs qui peuvent ĂȘtre des dĂ©prĂ©dateurs pour les cultures avoisinantes.

Alternatives

La littĂ©rature cynĂ©gĂ©tique et scientifique citent notamment : les cultures cynĂ©gĂ©tiques intraforestiĂšres, des plantations d'arbres Ă  fruits et Ă  graines, la crĂ©ation ou le maintien de « prairies Ă  gibier » (fournissant un fourrage de plantes indigĂšnes fourrage et un abri pour les espĂšces en question (Briedermann 1986), de ronciers attrayants et de haute qualitĂ© tels (Rubus sp.) pour Ă©viter que les chevreuils n'endommagent les jeunes arbres (Moser et al. 2006) ou le fait de laisser des champs non rĂ©coltĂ©s oĂč les animaux peuvent aller se nourrir.

15 cultivées de maniÚre non intensive, sans engrais artificiels ni pesticides. Cependant, ce type d'alimentation consiste parfois malheureusement à planter des champs cultivés intensivement mais non récoltés de céréales, de maïs, de pommes de terre ou de Topinambur (Helianthus tuberosus) au milieu d'ßlots boisés.

LĂ©gislation et perspectives rĂšglementaires

Europe

A la fin du XXe siÚcle et jusque dans les années 2010, offrir aux cervidés et sangliers une alimentation complémentaire était légal et courant dans de nombreux pays européens, dont en Belgique, en France, en Allemagne, en Hongrie, au Luxembourg, aux Pays-Bas, en Pologne, en Espagne, en SuÚde et en Suisse[26].

France

Des arrĂȘtĂ©s prĂ©fectoraux rĂ©glementent l'agrainage et l'affouragement du gibier[55], et parfois l'interdisent [56].
L'ONF commence localement (via les rÚglements de baux de chasse) à interdire l'agrainage ponctuel et imposer de disperser le grain. ParallÚlement, l'ONF est plus exigeant sur la réalisation des plans de chasse.
À la suite notamment du « plan sanglier » engagĂ© en France en 2009, le CGEDD et le CGAAER (conseil gĂ©nĂ©ral de l'alimentation de l'agriculture et des espaces ruraux), interrogĂ©s sur ce point ont formulĂ©[57] en 2012 10 recommandations de rĂ©vision des politiques concernant ces dĂ©gĂąts [58], le CGEDD propose notamment de « prĂ©venir le dĂ©veloppement incontrĂŽlĂ© des dĂ©gĂąts : en interdisant l’agrainage sauf lorsqu’il est purement dissuasif et que sa nĂ©cessitĂ© a Ă©tĂ© dĂ©montrĂ©e (en ligne, infĂ©rieur Ă  des densitĂ©s maximales autorisĂ©es, effectuĂ© uniquement aux pĂ©riodes de sensibilitĂ© des cultures) »[57]. Ceci pourrait se faire en complĂ©tant l'article L425-5 du Code de l'environnement ou par une disposition rĂšglementaire Ă  crĂ©er[57].

Le nourrissage du grand-gibier (sauf l'agrainage dissuasif, Ă  certains moments Ă  certaines conditions, c'est-Ă -dire pour la protĂ©ger des cultures en pĂ©riode de sensibilitĂ© de celles-ci, hors saison de chasse) a Ă©tĂ© interdit en 2019 par la loi crĂ©ant l’Office français de la biodiversitĂ© (OFB)[59], en fonction de particularitĂ©s locales[60] ;

  • le nourrissage visant Ă  concentrer des sangliers sur un territoire est interdit ;
  • plus largement, l’agrainage du grand gibier est interdit (sauf dĂ©rogation administrative pour une agrainage dissuasif, au moment des semis des cultures dans les zones Ă  risques)[60] ;
  • l’affouragement du grand gibier est Ă©galement interdit (sauf, avec une dĂ©rogation administrative, en cas d’évĂšnements exceptionnels)[60] ;
  • seul l'agrainage du petit gibier est autorisĂ©, mais :
- uniquement en point fixe dans des dispositifs accessibles au petit gibier, et donc Ă  condition d'ĂȘtre munies d'un dispositif anti-sangliers (ex : clĂŽture Ă©lectrique) ;
- uniquement dans une zone définie par le plan départemental de gestion cynégétique du sanglier (ex : « points noirs sangliers »)[60] ;
  • dans certaines zones Ă  risque sanitaire, l'agrainage n'est en outre autorisĂ© que s'il est mis en Ɠuvre par des personnes ayant suivi une formation en biosĂ©curitĂ©[61].

En 2022, des présidents de sociétés de chasse ont été poursuivis et mis à l'amande (2000 euros) pour des agrainages illégaux. Les chasseurs distribuant de la nourriture risquent aussi une amende, et tous risque le retrait de permis de chasse en cas de récidive[62]

En Suisse et Allemagne, aprÚs avoir souvent recommandé l'agrainage, les autorités et conseillers cynégétiques ne le recommandent plus qu'avec prudence[63]. Il reste néanmoins trÚs pratiqué sur le terrain. En Wallonie, les les conditions de nourrissage du grand gibier ont été précisées en 2021 [64].

Voir aussi

Articles connexes

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  55. exemple d'arrĂȘtĂ©s prĂ©fectoraux
  56. exemple d'arrĂȘtĂ© interdisant l'agrainage, contestĂ© des chasseurs
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