Ătymologie
LâĂ©tymologie est la science qui a pour objet la recherche de l'origine des mots d'une langue donnĂ©e, et la reconstitution de l'ascendance de ces mots.
Elle sâappuie sur des lois de la phonĂ©tique historique et sur lâĂ©volution sĂ©mantique des termes envisagĂ©s.
Un étymon est un « mot attesté ou reconstitué qui sert de base à l'étymologie d'un terme donné »[1].
Ătymologie d'un mot
Ătymologie est un mot composĂ© et savant issu du grec ancien, áŒÏÏ ÎŒÎżÎ»ÎżÎłÎŻÎ± / etumologĂa, lui-mĂȘme formĂ© sur le mot du grec ancien áŒÏÏ ÎŒov / Ă©tumon, « vrai sens, sens Ă©tymologique », et sur la base -λογÎčα / -logia, dĂ©rivĂ©e de λÏÎłÎżÏ / lĂłgos, « discours, raison », qui sert Ă fournir les noms de disciplines. C'est donc, Ă l'origine, l'Ă©tude de la vraie signification d'un mot.
La dĂ©finition doit cependant ĂȘtre dĂ©passĂ©e : lâĂ©tymologie Ă©tudie sinon lâorigine, du moins un Ă©tat, le plus ancien possible, des mots. On considĂšre que les mots dâune langue peuvent, dâun point de vue diachronique, avoir principalement quatre origines :
- ce sont des mots hĂ©ritĂ©s dâun Ă©tat plus ancien de la mĂȘme langue ou dâune langue-mĂšre, mots qui ont donc subi un processus d'Ă©volution phonĂ©tique ; le terme ancien Ă lâorigine du mot nouveau est nommĂ© Ă©tymon.
Par exemple le Petit Robert donne les étymologies suivantes :- pour peuple : latin classique populus ; poblo (842) ; en ancien français, pueple, pople (XIe siÚcle) ; peuple (vers 1430)
- pour bĆuf : latin classique bos, bovis ; en ancien français, buef (XIe siĂšcle)
- pour alouette : ancien français aloue évolution du gaulois alauda ;
- ce sont des mots empruntés à une autre langue, qui sont donc adaptés au systÚme phonologique et graphique de la langue réceptrice ;
- ce sont des mots et des noms qui ont subi une longue et lente Ă©volution selon les lieux et les Ă©poques avec des rythmes et des modes plus ou moins soutenus. Un mot ou un nom en Ăle de France n'est pas un mot ou un nom en Pays Basque, en Provence, en Bretagne, en Alsace, ou encore au QuĂ©bec ;
- ce sont des crĂ©ations ou « nĂ©ologismes » (souvent formĂ©s Ă partir de racines grecques et latines pour les langues europĂ©ennes, parfois Ă partir de racines propres Ă la langue elle-mĂȘme, comme pour l'islandais).
Doublets populaires et savants
Quand, dans une langue, un mĂȘme Ă©tymon a Ă©tĂ© hĂ©ritĂ© et empruntĂ© ultĂ©rieurement, les deux mots obtenus sont nommĂ©s doublets lexicaux. On en trouve un grand nombre en français : la plupart des mots français proviennent en effet du latin ; certains se sont transmis depuis le latin vulgaire en se modifiant phonĂ©tiquement, ce sont les mots hĂ©ritĂ©s ; le mĂȘme Ă©tymon a parfois aussi Ă©tĂ© empruntĂ© postĂ©rieurement, dans le vocabulaire savant ; les deux mots issus du mĂȘme seul Ă©tymon latin mais ayant suivi deux voies diffĂ©rentes se nomment respectivement doublet populaire et doublet savant. Leurs sens sont gĂ©nĂ©ralement diffĂ©rents, le doublet savant gardant une acception plus proche du sens Ă©tymologique. Ainsi, le mot latin potionem donne potion dans la langue savante, mais poison dans la langue populaire.
Câest aussi le cas pour lâĂ©tymon fabrica(m) :
- le mot hĂ©ritĂ© du latin a donnĂ© forge en suivant lâĂ©volution phonĂ©tique naturelle au cours des siĂšcles ;
- le mot latin a été emprunté au XIVe siÚcle pour devenir le doublet savant fabrique.
Dâautres doublets importants, dans lâordre vulgaire / savant (Ă©tymon latin) : orteil / article (articulum), chose / cause (causam), frĂȘle / fragile (fragilem), froid / frigide (frigidum), moule / muscle (musculum), mĂ©tier / ministĂšre (ministerium), tĂŽle / table (tabulam), etc.
Il peut aussi arriver qu'un triplet existe comme pour chancre / cancre / cancer (latin cancer).
Il faut donc distinguer entre les mots hĂ©ritĂ©s de la langue-mĂšre quâest le latin, et ceux qui ont Ă©tĂ© empruntĂ©s.
Sources dâemprunts du français
La langue française sâest Ă©laborĂ©e lentement Ă partir dâun dialecte latin influencĂ© par la langue celtique prĂ©existante (substrat gaulois) puis plus encore par la langue de superstrat, le vieux bas francique. Câest sans doute vers lâĂ©poque de Charlemagne que les gens sâaperçoivent de cette Ă©volution : ils ne parlent plus le latin mais lâ« ancĂȘtre » du français. Mais il faudra attendre François Ier pour que cette langue supplante le latin comme langue Ă©crite et bien plus longtemps encore pour quâelle soit comprise et parlĂ©e dans toutes les rĂ©gions. Mis Ă part les influences qui ont pris part Ă sa genĂšse, la langue française a aussi empruntĂ© de nombreux mots Ă dâautres langues :
- au gaulois, supplanté par le latin mais qui a légué de nombreux mots dans la langue mais surtout dans la toponymie française ;
- au latin, majoritairement sous sa forme classique, phénomÚne qui se poursuit aujourd'hui ;
- au vieux bas francique qui a eu une influence plus que déterminante sur la naissance de la langue française ;
- au grec ancien via le latin, origine dite gréco-latine ;
- au grec ancien directement pour former des mots savants en philosophie, science, technique⊠; phénomÚne qui se poursuit de nos jours ;
- Ă lâanglais, Ă partir du XIXe siĂšcle, phĂ©nomĂšne qui s'amplifie actuellement ;
- Ă lâallemand aux XIXe et XXe siĂšcle essentiellement ;
- Ă lâhĂ©breu de maniĂšre rĂ©duite ;
- à l'espagnol et aux langues amérindiennes à partir du XVIe siÚcle ;
- aux langues indiennes (dâInde) de maniĂšre nĂ©gligeable ;
- Ă lâitalien Ă partir de la Renaissance ;
- au néerlandais à partir du XVIe siÚcle dans les domaines maritime et commercial ;
- Ă lâarabe, dans les domaines de lâastronomie, de la chimie, des mathĂ©matiques et du commerce ;
- Ă l'ancien scandinave dans le domaine notamment de la marine ancienne et de la navigation au Moyen Ăge ;
- à diverses langues régionales françaises, de maniÚre réduite.
Henriette Walter, dans lâAventure des mots français venus dâailleurs, relĂšve : « Ă titre indicatif, les emprunts linguistiques français sont bien rĂ©els : ainsi sur les 35 000 mots dâun dictionnaire de français courant, 4 200 sont de toute Ă©vidence empruntĂ©s Ă des langues Ă©trangĂšres », dont les deux principales (hormis le latin et le grec) sont lâanglais (25 %) et lâitalien (16,8 %).
Pour le dĂ©tail de ces emprunts, se reporter Ă lâarticle Emprunt lexical.
Du bon usage des dictionnaires
Les dictionnaires courants indiquent de maniĂšre occasionnelle (Petit Larousse, WiktionnaireâŠ) ou systĂ©matique (Petit Robert) lâĂ©tymologie des mots français. Ils le font dâune maniĂšre nĂ©cessairement trĂšs concise qui occasionne parfois des malentendus de la part des non-spĂ©cialistes.
Transcription des mots grecs
Les mots grecs sont généralement donnés en translittération.
En consĂ©quence, des mots comme aggelos, aggeion, egkephalos, larugx, ogkos (Ă©tymologie des mots ou Ă©lĂ©ments ange, angio-, encĂ©phale, larynx, onco-) doivent se lire angelos, angeion, enkephalos, larunx, onkos (ou plus prĂ©cisĂ©ment aĆgelos, etc.).
En effet, les alphabets grec et latin nâont pas de lettre propre pour la consonne Ć (comme le n de l'anglais pink). Celle-ci est Ă©crite en grec comme un g (Îł) dans tous les cas (câest-Ă -dire devant les lettres m, n et g, k, kh, x), tandis que le latin lâĂ©crit g devant m, n et lâĂ©crit n devant g, c, ch, x.
Dâautre part, les diphtongues du grec sont souvent altĂ©rĂ©es dans la prononciation scolaire des diffĂ©rents pays. Par exemple, eu (Î”Ï ) Ă©tait prononcĂ© en rĂ©alitĂ© Ă©ou (comme dans lâoccitan soulĂ©u « soleil »), d'oĂč en grec mĂ©diĂ©val et moderne Ăšv ou ef.a
DĂ©clinaison des noms grecs et latins
Les noms et adjectifs grecs et latins se dĂ©clinent, câest-Ă -dire que leur forme varie selon le cas (sujet, complĂ©ment, etc.), le genre (fĂ©minin, masculin, neutre), et le nombre (singulier, pluriel), et non seulement selon le genre, et le nombre, comme en français.
Le cas employĂ© pour citer un nom ou un adjectif est le nominatif. Mais le nominatif seul ne suffit pas pour savoir dĂ©cliner le mot. Câest pourquoi on doit donner aussi la forme du gĂ©nitif (qui correspond en français au complĂ©ment du nom). Exemple : grec odous (nominatif : « dent »), odontos (gĂ©nitif : « dâune dent », « de dent »). Lâindication du gĂ©nitif sert dâune part Ă indiquer Ă quel type de dĂ©clinaison appartient le mot, dâautre part Ă isoler le radical, qui, dans certains types de dĂ©clinaison, nâest pas reconnaissable au nominatif. Exemple : le nom de la « dent » : en grec, radical odont-, nominatif odous, gĂ©nitif odontos ; en latin, radical dent-, nominatif dens, gĂ©nitif dentis. Dans les dictionnaires français, le gĂ©nitif grec ou latin est indiquĂ© uniquement sâil est nĂ©cessaire dans cette seconde fonction, câest-Ă -dire si le radical n'est pas reconnaissable au nominatif. Exemple : grec odous, odontos (Ă©tymologie de parodonte, etc.), latin dens, dentis (Ă©tymologie de dent), mais pour des mots comme grec periplous, latin discipulus (Ă©tymologie de pĂ©riple, disciple) on ne donne pas le gĂ©nitif periplou, discipuli.
Autres exemples montrant que la forme du gĂ©nitif (et du reste de la dĂ©clinaison) n'est pas prĂ©dictible Ă partir de celle du nominatif (les formes sont citĂ©es dans cet ordre : nominatif, gĂ©nitif, signification) : grec pous, podos, pied ; bous, boos, bĆuf ; logos, logou, parole, discours ; algos, algous, douleur ; latin frons, frontis, front ; frons, frondis, feuillage ; palus, pali, pieu ; palus, paludis, marais ; salus, salutis, salut ; manus, manus, main.
Une faute frĂ©quente chez les non-initiĂ©s, lorsqu'ils citent lâĂ©tymologie dâun mot, consiste Ă citer seulement la seconde des deux formes (en croyant qu'il s'agit simplement de deux synonymes, et parce que câest la seconde forme â celle qui conserve le radical intact â qui ressemble le plus au mot français Ă expliquer). Non : câest la premiĂšre forme quâil faut citer de toute façon, et facultativement la seconde. Pour reprendre l'exemple ci-dessus, câest odous qui signifie « dent » en grec, ce nâest pas odontos, ce dernier nâĂ©tant quâune forme flĂ©chie.
Sens des mots
Le sens dâun mot dans la langue source nâest indiquĂ© que de façon sommaire (dans la notice Ă©tymologique dâun dictionnaire dâusage), et seulement lorsquâil diffĂšre du sens français.
Avant de se risquer Ă des commentaires philosophiques ou autres sur le changement de sens dâun mot, il est recommandĂ© de consulter un dictionnaire de la langue source pour le sens et lâusage exacts du mot source, ou/et un dictionnaire Ă©tymologique ou historique du français (voire de la langue source) pour connaĂźtre lâhistoire des significations. On lit parfois dans la presse ou la littĂ©rature des commentaires inspirĂ©s, par exemple, par lâĂ©tymologie du mot français travail (latin [tardif, rĂ©gional] *tripalium, instrument de torture) ou par la polysĂ©mie du mot latin persona (masque [de thĂ©Ăątre], personnage [de thĂ©Ăątre], personne), commentaires dont les auteurs ont visiblement « inventĂ© » un lien entre le sens initial et le sens final dâun mot sans connaĂźtre leur filiation rĂ©elle.
Références
- Informations lexicographiques et étymologiques de « étymon » dans le Trésor de la langue française informatisé, sur le site du Centre national de ressources textuelles et lexicales.
Voir aussi
Bibliographie
- Albert Dauzat, Jean Dubois et Henri Mitterand, Nouveau dictionnaire Ă©tymologique et historique, 2e Ă©d., Paris, Larousse, 1964 (1e Ă©d., 1938).
- Pierre Guiraud, LâĂtymologie, Paris, PUF, 1964.
- Alain Rey (sous la direction dâ), Dictionnaire historique de la langue française, 2e Ă©d., Paris, Le Robert, 1998.
- Claude Buridant, Lexique 14/ L'étymologie de l'antiquité à la renaissance, Presses universitaires du Septentrion, Lille, 1998 lire sur Google Livres
- Ghil'ad Zuckermann, Language Contact and Lexical Enrichment in Israeli Hebrew, Palgrave Macmillan, 2003 (ISBN 978-1403917232)
Articles connexes
- List of company name etymologies (en)
- Linguistique comparée
- Phonétique historique
- Emprunt lexical
- Doublet lexical
- Lexicalisation
- Radical (linguistique)
- Racines grecques
- Liste des patronymes devenus noms communs
- Ătymologie populaire
- Ătymographie
- Ătymologie des noms de famille quĂ©bĂ©cois et français
- Ătymologie des prĂ©noms amĂ©rindiens
- Liste de linguistes