Compétition spermatique
Dans la nature, lâapparente extravagance des traits arborĂ©s par les mĂąles de certaines espĂšces, et leur sous-jacent impact sur leur survie, inspira Darwin[1] dans le dĂ©veloppement de la thĂ©orie de la sĂ©lection sexuelle. Un siĂšcle plus tard, les biologistes rĂ©alisĂšrent que la polyandrie et le stockage du sperme par certaines femelles pouvaient amener Ă une nouvelle forme de compĂ©tition mĂąle-mĂąle postcopulatoire. En effet, la compĂ©tition ne sâarrĂȘterait plus seulement Ă lâaccĂšs Ă lâaccouplement, mais continuerait Ă lâintĂ©rieur mĂȘme de la femelle[2].
C'est Geoff Parker, professeur de biologie Ă l'universitĂ© de Liverpool, qui en 1970 dĂ©veloppa une forme particuliĂšre de compĂ©tition postcopulatoire : la compĂ©tition spermatique[3], dĂ©finie par la compĂ©tition entre les Ă©jaculats de diffĂ©rents mĂąles pour la fertilisation dâun set donnĂ© dâovocytes Ă lâintĂ©rieur du tractus gĂ©nital de la femelle. Selon Parker, lâĂ©jaculat le plus abondant Ă©tait favorisĂ© et la femelle restait passive dans cette compĂ©tition[3] - [4]. Cependant, la passivitĂ© de la femelle fut plus tard remise en cause, et lâidĂ©e dâun choix cryptique par celle-ci reçut une attention thĂ©orique et empirique importante. Une coĂ©volution entre les mĂąles et les femelles engendrĂ©e par cette compĂ©tition spermatique semble alors apparaĂźtre avec les coĂ»ts que cela implique[5].
La compĂ©tition spermatique est aujourdâhui reconnue comme une force de sĂ©lection puissante expliquant certains traits morphologiques, physiologiques et comportementaux des mĂąles de certaines espĂšces[2]. RĂ©cemment, elle fut Ă©galement proposĂ©e comme un Ă©lĂ©ment aidant au phĂ©nomĂšne de spĂ©ciation[6].
Adaptations morphologiques engendrées par la compétition spermatique
Morphologie des testicules
En 1970, Parker remarqua que les mùles produisant le plus de sperme étaient avantagés par rapport à leurs concurrents dans un contexte de compétition spermatique. En effet, plus le sperme est abondant plus il tend à diluer le sperme des concurrents déjà présents, améliorant sa probabilité de fertilisation. Des études confirmÚrent que plus les testicules sont gros et plus ceux-ci peuvent fabriquer de spermatozoïdes, conférant alors un avantage certain dans la compétition[3].
Chez le singe
- Si lâon utilise une analyse comparative pour comparer le ratio [(masse des testicules)/(masse totale de lâanimal)] entre les chimpanzĂ©s et les gorilles, on sâaperçoit que les chimpanzĂ©s ont de plus gros testicules que les gorilles Ă masse Ă©quivalente. Ceci sâexplique par des diffĂ©rences de rĂ©gime de reproduction entre ces animaux. Les chimpanzĂ©s sont promiscuites et de ce fait, une femelle peut sâaccoupler avec diffĂ©rents partenaires, tandis que les gorilles sont polygynes et, par consĂ©quent, les femelles se reproduisent principalement avec un seul mĂąle[7] - [8].
- Une autre étude[9] menée chez le singe rhésus a mis en évidence que dans les populations promiscuites, les mùles ont tendance à avoir de plus gros testicules que dans des populations polygames ou monogames.
Chez le chat
Certaines espĂšces Ă©chappent Ă cette rĂšgle. Les chats, par exemple[10], peuvent, selon la distribution des ressources dans lâenvironnement, ĂȘtre promiscuites (beaucoup de ressources), monogames (intermĂ©diaire), ou polygynes (peu de ressources). On observe que les animaux polygynes ont des testicules plus gros que ce que lâon attendait en thĂ©orie. Lorsque les ressources sont rares dans le milieu, comme câest souvent le cas Ă la campagne, les chats mĂąles ont tendance Ă Ă©tablir un territoire regroupant les territoires de chasse de quelques femelles. On peut alors comparer ce territoire au harem des gorilles en ceci quâils dĂ©fendent ce territoire des intrusions dâautres mĂąles. Or, chez les chats, les testicules synthĂ©tisent la testostĂ©rone qui confĂšre aux mĂąles le comportement agressif. De ce fait, les testicules des chats polygynes sont plus gros que ce que lâon attend en thĂ©orie si lâon considĂšre que les testicules ne servent quâĂ produire du sperme.
Cet exemple alerte sur le fait quâil est important de rester prudent face Ă certaines donnĂ©es. La compĂ©tition spermatique nâĂ©tant pas forcĂ©ment la seule source de pression de sĂ©lection sur certains traits.
Morphologie du pénis
Les pĂ©nis prĂ©sentent une diversitĂ© de forme extraordinaire selon les espĂšces. Par exemple, chez les agrions, les mĂąles ont un pĂ©nis prĂ©sentant une petite brosse, le goupillon. Cette balayette racle le tractus gĂ©nital de la femelle avant dâĂ©jaculer, ce qui leur permet dâenlever le sperme provenant des prĂ©cĂ©dents accouplements de la femelle[11]. Par consĂ©quent, le mĂąle sâaccouplant en dernier avec la femelle sâassure la paternitĂ© de la quasi-totalitĂ© de ses Ćufs. Cette technique fait partie de la stratĂ©gie de "dĂ©placement du sperme". Chez lâHomme, on retrouve un systĂšme comparable qui consiste en un gland surdimensionnĂ© par rapport Ă la verge du pĂ©nis[12] - [13].
Stratégies des mùles face à la compétition spermatique
La compĂ©tition spermatique impose une pression sĂ©lective sur de nombreux caractĂšres chez les mĂąles. Le but Ă©tant de maximiser ses chances de fĂ©conder une femelle, la quantitĂ© de spermatozoĂŻdes, leurs formes et leurs physiologies sont dâune importance capitale. Par ailleurs, les comportements des mĂąles vis-Ă -vis des rivaux et de la femelle peuvent Ă©galement sâavĂ©rer efficaces afin de maximiser ses chances de fertilisation et/ou diminuer la compĂ©tition spermatique.
Morphologie et physiologie des spermatozoĂŻdes
- QuantitĂ© - Afin dâaugmenter la probabilitĂ© de fertiliser un set dâovule, la quantitĂ© de sperme dĂ©posĂ©e dans le tractus gĂ©nital de la femelle peut sâavĂ©rer cruciale. Deux stratĂ©gies sont envisageables : Ă©mettre beaucoup de spermatozoĂŻdes dans un seul Ă©jaculat, ou comme chez de nombreux oiseaux supposĂ©s monogames : copuler un grand nombre de fois. Si les spermatozoĂŻdes de diffĂ©rents mĂąles se retrouvent dans le mĂȘme tractus gĂ©nital, alors un grand nombre peut sâavĂ©rer un Ă©lĂ©ment avantageux par dilution des spermatozoĂŻdes adverses. Câest ainsi que lâon observe, chez les espĂšces ayant un fort taux dâaccouplement de la femelle et subissant donc forte compĂ©tition spermatique, une augmentation de la taille des testicules. Par ailleurs, il a Ă©tĂ© prouvĂ© que chez certaines espĂšces dâorthoptĂšres, scarabĂ©es, mouches, hymĂ©noptĂšres, lĂ©pidoptĂšres et poulets, les mĂąles Ă©jaculent davantage de sperme quand le risque de compĂ©tition est perçu comme Ă©levĂ© et vice versa[14].
- Taille â Les spermatozoĂŻdes montrent une incroyable variabilitĂ© de taille, allant de quelques dixiĂšmes de millimĂštres Ă 6 cm chez Drosophilia bifurca (environ 30 fois la taille de la mouche)[14]. Partageant pourtant une mĂȘme fonction : fertiliser les ovules, lâapparition dâune telle variabilitĂ© semble surprenante. Plusieurs Ă©tudes ont cependant montrĂ© que la compĂ©tition spermatique semblait favoriser une grande taille des spermatozoĂŻdes chez diffĂ©rents taxons[15]. Mais cette hypothĂšse reste fortement controversĂ©e et les raisons adaptatives chez chaque espĂšce peuvent fortement varier en fonction des conditions de compĂ©tition (morphologie du tractus, mode de fĂ©condation, etc.). Par exemple, chez les insectes, la taille des spermatozoĂŻdes est influencĂ©e par la taille des organes de stockage des femelles[15].
Cependant, des hypothÚses sont données pour expliquer ce gigantisme spermatique :
- une vitesse accrue avec la taille du spermatozoĂŻde, amĂ©liorant sa capacitĂ© Ă fertiliser lâovule en arrivant le premier[14] - [15].
- La grande taille du spermatozoĂŻde permettrait de bloquer le passage des autres spermatozoĂŻdes[14].
- Morphologie - Si lâon sâintĂ©resse Ă la morphologie des spermatozoĂŻdes dâun sperme homospermatique, on sâaperçoit quâil existe une forte proportion de spermatozoĂŻdes dĂ©formĂ©s par rapport Ă la forme classique (40 % chez lâHomme[16], 30 Ă 50 % chez le lion[17]). Ceci permet une vĂ©ritable rĂ©partition des tĂąches dans le tractus gĂ©nital femelle : ceux qui ont une forme normale vont attaquer en allant le plus rapidement possible vers lâovule, tandis que les anormaux qui ont une mobilitĂ© rĂ©duite vont dĂ©fendre en bloquant le sperme concurrent. Ces vĂ©ritables spermatozoĂŻdes kamikazes[18] vont former une ceinture de chastetĂ© empĂȘchant les spermatozoĂŻdes dâun autre mĂąle de fĂ©conder les Ćufs, on parle de bouchon spermatique. Il a ainsi Ă©tĂ© proposĂ© que ces spermatozoĂŻdes anormaux soient des spermatozoĂŻdes kamikazes qui se sacrifieraient en se fixant Ă lâacrosome de spermatozoĂŻdes Ă©trangers et limiteraient leurs dĂ©placements[18] - [19].
- Physiologie - Chez certaines espÚces, dont la drosophile, les mùles produisent un liquide séminal alcalin qui réduit la viabilité des autres spermatozoïdes. La toxicité est telle qu'elle peut réduire la viabilité des femelles dans certains cas. L'impact sur la durée de vie des femelles permet aux mùles produisant ces liquides séminaux particuliers de pouvoir s'approprier la paternité de la quasi totalité des ovocytes produits par une femelle au cours de sa vie. Ce caractÚre est donc sélectionné chez les mùles[20].
Adaptations comportementales
La compĂ©tition spermatique ne se traduit pas uniquement par des adaptations au niveau spermatique, mais aussi au niveau comportemental. De nombreuses stratĂ©gies ont Ă©tĂ© dĂ©crites, comme permettant aux mĂąles de diminuer la compĂ©tition spermatique avec ses rivaux, amĂ©liorant ainsi ses chances de fĂ©conder une femelle. Les mĂąles ayant pour but de sâassurer le plus haut taux de paternitĂ© possible, adoptent de nombreuses stratĂ©gies que lâon retrouve Ă tous stades dans la reproduction.
Comportements pré-copulatoires
Chez certaines espĂšces (comme pour les lĂ©zards e.g. lacerta vivipara) les mĂąles Ă©mergent avant les femelles et une compĂ©tition entre eux va avoir lieu pour accĂ©der aux femelles dans le but de sâaccoupler avec elles dĂšs quâelles Ă©mergent[5]. Chez les mammifĂšres les mĂąles sâadonnent Ă des combats intenses (Ă©lĂ©phants de mer) pour dĂ©fendre leur harem et ainsi sâassurer de la paternitĂ© des progĂ©nitures qui vont naĂźtre sur leurs territoires. Chez les oiseaux et les poissons, les mĂąles paradent devant les femelles afin dâacquĂ©rir lâautorisation de ces derniĂšres de se reproduire (exemple du paon). Cette compĂ©tition favorise l'apparition de traits ostentatoires exagĂ©rĂ©s pour plaire aux femelles ainsi que d'armes pour les combats.
Comportements pendant la copulation
Des copulations multiples permettent aux mĂąles dâaugmenter leurs chances de fĂ©conder un maximum dâovules, en augmentant la quantitĂ© de sperme transfĂ©rĂ© dans la femelle[21]. Lorsque la copulation commence, rien ne doit la perturber, sous peine de voir la descendance du mĂąle diminuer. Pour Ă©viter cela, les mĂąles ont amĂ©liorĂ© les systĂšmes dâaccrochages aux femelles: (dâaprĂšs Hungerford[22] 1954) chez les insectes, la modification des tarses des pattes permettent de mieux sâaccrocher Ă la femelle[5]. Chez les dytiques, les mĂąles ont des sortes de ventouses sur les tarses arriĂšre pour tenir plus efficacement sur la femelle[23].
Ils ont aussi adaptĂ© des stratĂ©gies contre le vol des femelles par des rivaux. Par ailleurs, une autre stratĂ©gie vise Ă sâaccoupler dans des zones oĂč la densitĂ© des concurrents est faible[5].
De plus pour Ă©viter que la femelle ne dilue le sperme dâun mĂąle, celui-ci peut prolonger la copulation (avec contact gĂ©nital) afin de permettre aux spermatozoĂŻdes dâavoir le temps de fĂ©conder les Ćufs[24]. Le mĂąle va donc faire office de bouchon copulatoire[5]. Chez le phasme Necroscia sparaxes le contact gĂ©nital peut durer jusquâĂ 79 jours[25].
De nombreuses espĂšces, notamment chez les insectes, offrent des prĂ©sents aux femelles : (sĂ©crĂ©tions glandulaires, proies, parties de leur corpsâŠ) dans le but de capter l'attention de la femelle pendant un temps suffisamment long pour quâelle ne copule pas avec dâautres rivaux[26].
Comportements post-copulatoires
Une des stratĂ©gies pour sâassurer que la femelle ne sâaccouple pas avec dâautres mĂąles est de rester simplement avec elle (sans le moindre contact) (dâaprĂšs Parker[3] 1970), ou rester en contact physique avec elle (sans contact gĂ©nital), comme l'agrion(dâaprĂšs Parker[27] 1970)[5].
Dâautres (blattes, criquets, et autres insectes) vont favoriser la mise en place de bouchon spermatique (appelĂ© aussi bouchon copulatoire), qui sont des structures placĂ©es par le mĂąle Ă l'intĂ©rieur du systĂšme reproducteur de la femelle Ă la fin de la copulation grĂące Ă des « glandes Ă ciment » particuliĂšrement volumineuses chez le ver acanthocĂ©phale[5].
Une autre stratĂ©gie consiste Ă Ă©mettre une substance empĂȘchant les accouplements suivants. Chez les moustiques, par exemple, les mĂąles produisent une substance grĂące Ă leur glande sexuelle secondaire qui inhibe la rĂ©ceptivitĂ© des femelles insĂ©minĂ©es. Ainsi, elle refusent la plupart des accouplements avec les autres mĂąles[28]. Une autre tactique est de rendre les femelles inattractives pour les autres mĂąles. Ce phĂ©nomĂšne est particuliĂšrement bien connu chez les papillons de nuit. En effet, les mĂąles dĂ©posent des anti-aphrodisiaques sur les femelles lors des accouplements[29].
Stratégies des femelles et choix cryptique
Le rĂŽle des femelles dans la compĂ©tition spermatique a longtemps Ă©tĂ© ignorĂ©[30]. En effet on pensait que les femelles nâavaient quâun rĂŽle passif dans la reproduction. Cependant, Thornhill et Eberhard Ă©mirent lâidĂ©e selon laquelle le lieu de compĂ©tition spermatique, i.e. le tractus gĂ©nital de la femelle, pouvait Ă©ventuellement donner la possibilitĂ© aux femelles dâagir sur la sĂ©lection du sperme. Ce phĂ©nomĂšne est appelĂ© « choix cryptique des femelles (en) » et dĂ©crit les processus prĂ© et/ou post copulatoires amenant la femelle Ă favoriser le sperme dâun mĂąle au dĂ©triment des autres[6]. Cependant, il reste difficile de mettre en Ă©vidence spĂ©cifiquement cette compĂ©tition et de la dissocier de la compĂ©tition spermatique des mĂąles.
Stratégies pré-copulatoires
Avant la copulation les mĂąles rivalisent dâingĂ©niositĂ© pour attirer les femelles (ornements, combats), cependant ce sont les femelles qui en gĂ©nĂ©ral choisissent avec quels mĂąles elles sâaccoupleront. Par ailleurs, les femelles peuvent favoriser certains mĂąles en sâaccouplant plusieurs fois avec[30] - [31].
Stratégies post-copulatoires
En dehors du comportement pré-copulatoire et de quelques cas particuliers, la compétition spermatique chez les femelles a lieu aprÚs la copulation et elle a lieu généralement dans les voies génitales de celles-ci[30].
- SĂ©lection des Ă©jaculats - Selon plusieurs Ă©tudes, les femelles semblent pouvoir agir sur la paternitĂ© des Ćufs en sĂ©lectionnant le sperme du mĂąle quâelles « prĂ©fĂšrent ». Les mĂ©canismes sous-jacents sont encore mal connus, mais quelques pistes sont donnĂ©es[32]. Les femelles peuvent avoir un contrĂŽle de la paternitĂ© en expulsant les Ă©jaculats des mĂąles[30]. Les spermathĂšques chez les insectes, auraient un grand rĂŽle dans la sĂ©lection des Ă©jaculats. En effet les femelles ayant un contrĂŽle sur la fermeture ou lâouverture de celles-ci, permettraient de favoriser les mĂąles de leur choix. Notamment chez Scathophaga stercoraria, les muscles de la spermathĂšque permettent de modifier le stockage du sperme[33].
- SĂ©lection des spermatozoĂŻdes - L'incompatibilitĂ© gĂ©nĂ©tique des spermatozoĂŻdes serait une forme de sĂ©lection des spermatozoĂŻdes par la femelle[30]. Par exemple on retrouve ce processus chez les plantes, entre un grain de pollen (mĂąle) et le stigmate (femelle) oĂč s'il y a incompatibilitĂ© gĂ©nĂ©tique entre ces deux composants, le tube pollinique qui permet au grain de pollen de fĂ©conder l'ovule ne se dĂ©veloppe pas[30] - [34]. Ce mĂ©canisme peut avoir plusieurs sources : la dominance ou la surdominance d'un gĂšne, des conflits inter ou intragĂ©nomiques, etc[30]. Ceci permettrait d'Ă©viter tout avortement (chez les mammifĂšres) ou perte des Ćufs (chez les insectes) et ainsi de minimiser les coĂ»ts de la fabrication des ovules[5]. Chez les Diplosoma[35], ascidies hermaphrodites coloniales marines, le sperme est directement relarguĂ© dans l'eau avant d'atteindre l'oviducte des femelles. Si le sperme est incompatible avec lâoviducte, il sera dĂ©truit par lâindividu femelle. La fĂ©condation ne pourra avoir lieu. Un autre mĂ©canisme existerait dans le rĂšgne animal : la sĂ©lection des spermatozoĂŻdes par les pronuclĂ©us femelles. En effet (dâaprĂšs CarrĂ©[36] 1991) chez BeroĂ« ovata appartenant Ă la famille des CnĂ©taires ou CtĂ©nophores, le choix spermatique dans la femelle peut s'observer directement (l'animal et les Ćufs Ă©tant transparents). Les scientifiques ont pu mettre en Ă©vidence que les spermatozoĂŻdes aprĂšs avoir pĂ©nĂ©trĂ© l'ovaire vont ĂȘtre choisis par les pronuclĂ©us femelles qui vont tourner autour avant de fusionner avec[30].
Ainsi de nombreux exemples tendent Ă prouver que les femelles ont un rĂŽle actif dans le choix de la paternitĂ© des Ćufs, mĂȘme si tout ne peut ĂȘtre affirmĂ© de façon catĂ©gorique. Car la diffĂ©rence compĂ©tition mĂąle-mĂąle et femelle-mĂąle reste floue. Les stratĂ©gies prĂ©-copulatoires sont moins controversĂ©es que les stratĂ©gies post-copulatoires car elles sont fondĂ©es sur des faits bien observables : le comportement des femelles.
Coût des stratégies et coévolution[5]
Si les stratĂ©gies dâassurance de la paternitĂ© augmentent le succĂšs reproducteur des mĂąles, elles ne sont pas exemptes de certains coĂ»ts pour les individus. Par exemple, lâextravagance de certains traits morphologiques chez les mĂąles peut aller Ă lâencontre de sa propre survie, en augmentant les risques de prĂ©dations et peut sâavĂ©rer coĂ»teuse en Ă©nergie. De mĂȘme, les combats, offrandes, et autres parades sont des stratĂ©gies hautement coĂ»teuses pour le mĂąle. Dâune maniĂšre gĂ©nĂ©rale, les stratĂ©gies dâassurance de la paternitĂ© consistant Ă garder la femelle aprĂšs lâaccouplement exercent chez le mĂąle les effets nĂ©gatifs suivants : perte de temps (rĂ©duction des opportunitĂ©s de rencontrer de nouvelles partenaires) ; risque de blessures lors des combats pour Ă©loigner les rivaux ; augmentation du risque de prĂ©dation en Ă©tant plus visible, moins attentif ou moins mobile. De plus, chez les espĂšces territoriales, les mĂąles doivent Ă©tablir un compromis entre la dĂ©fense de leur territoire et la protection de leurs spermatozoĂŻdes.
Mais au-delĂ du simple coĂ»t chez les mĂąles, les stratĂ©gies de compĂ©tition spermatique peuvent sâavĂ©rer Ă©galement coĂ»teuses pour les deux sexes. Un mĂ©canisme tel que les bouchons copulatoires, par exemple, prĂ©sente un dĂ©savantage pour la femelle, mais Ă©galement pour le mĂąle. En effet, la femelle ne pourra ĂȘtre insĂ©minĂ©e que par un seul mĂąle et aura dĂšs lors une descendance monopaternelle donc une diversitĂ© gĂ©nĂ©tique rĂ©duite avec Ă©galement le risque de ne pas avoir tous ses ovules fĂ©condĂ©s; Ă moins quâun second accouplement nâait lieu avant que le bouchon ne soit solidifiĂ©. Quant au mĂąle, il ne pourra plus sâaccoupler avec cette femelle. Par contre, il le pourra avec dâautres femelles, Ă condition quâelles soient vierges.
Les autres processus visant Ă empĂȘcher la femelle de se reproduire Ă nouveau (tels que les offrandes, la garde par le mĂąle ou les substances anti-aphrodisiaques qui lui sont dĂ©posĂ©es) la pĂ©nalisent de la mĂȘme façon que le bouchon copulatoire.
En bref, mĂąles et femelles se retrouvent dans un conflit dâintĂ©rĂȘt. Le mĂąle cherche Ă maximiser sa paternitĂ© en contraignant la femelle, et la femelle cherche Ă augmenter la diversitĂ© des spermes quâelle peut contenir afin de choisir le meilleur partenaire. Or une adaptation qui diminue la valeur adaptative dâun individu amĂšne Ă la coĂ©volution dâune contre adaptation. On se retrouve donc dans un cas typique de coĂ©volution des caractĂšres autour de cette compĂ©tition spermatique. Chez les femelles, la sĂ©lection sexuelle a entraĂźnĂ© lâĂ©volution de stratĂ©gies pour pallier les effets nĂ©gatifs des adaptations des mĂąles (rĂ©sistance physique Ă lâaccouplement, rejet du mĂąle, choix copulatoire, retrait du bouchon copulatoire, etc.). Ă lâĂ©chelle dâune espĂšce, les stratĂ©gies observĂ©es consistent donc en un compromis entre les stratĂ©gies adaptatives des mĂąles et des femelles, qui ne maximise pas le succĂšs reproducteur de chaque sexe mais qui optimise le succĂšs reproducteur global de lâespĂšce. Le compromis adoptĂ© dĂ©coule du rapport optimal entre les coĂ»ts et/ou les risques associĂ©s Ă ces stratĂ©gies encourus par les individus des deux sexes, et le (les) bĂ©nĂ©fice(s) rĂ©sultants pour la valeur adaptative de lâespĂšce. Une stratĂ©gie persistera donc dans une population si le bĂ©nĂ©fice quâelle confĂšre aux individus est, en moyenne, supĂ©rieur au bĂ©nĂ©fice associĂ© Ă dâautres stratĂ©gies alternatives.
Compétition spermatique et phénomÚne de spéciation
En 2009, Juan Martin-Coello et al., firent une Ă©tude afin de dĂ©terminer lâimpact de la compĂ©tition spermatique sur le phĂ©nomĂšne de spĂ©ciation chez les espĂšces trĂšs proches. Ils remarquĂšrent que quels que soient les croisements effectuĂ©s, les spermatozoĂŻdes intraspĂ©cifiques avaient toujours le meilleur taux de fertilisation. Cependant, dans le cas de croisements interspĂ©cifiques, les spermatozoĂŻdes issus de mĂąles dâune espĂšce ayant une forte compĂ©titivitĂ© spermatique sâavĂ©raient capables de fĂ©conder les ovules dâune femelle dâune autre espĂšce proche avec succĂšs. Alors quâun mĂąle dâune espĂšce Ă faible compĂ©titivitĂ© spermatique ne pouvait fĂ©conder les ovules dâune femelle dâune autre espĂšce quâavec peu de succĂšs.
Par ailleurs, ils firent une dĂ©couverte intĂ©ressante selon laquelle les femelles appartenant Ă une espĂšce possĂ©dant une forte compĂ©tition spermatique, dĂ©veloppaient des ovules « rĂ©sistants », autrement dit, plus difficiles Ă fĂ©conder. Il sâavĂšre donc que la compĂ©tition spermatique nâagit pas uniquement sur les caractĂ©ristiques et performances du sperme, mais Ă©galement sur celles de lâovule. Ceci donnant lieu Ă des asymĂ©tries entre les espĂšces proches parentes, diminuant les succĂšs de fĂ©condation dans le cas de croisements interspĂ©cifiques. Ce phĂ©nomĂšne peut donc avoir un rĂŽle intĂ©ressant de renforcement de la spĂ©ciation[6].
Controverse et débat
La compĂ©tition spermatique est un sujet suscitant un grand intĂ©rĂȘt et donc de nombreux dĂ©bats dans la communautĂ© scientifique. La difficultĂ© inhĂ©rente Ă la mesure de la compĂ©tition spermatique en fait un premier point de controverse. En effet, on lâestime trĂšs gĂ©nĂ©ralement part le calcul dâune valeur : le « P2 ». Il sâagit de la proportion de descendants du second mĂąle sâĂ©tant accouplĂ© avec une femelle. Cette valeur peut aller de 0 Ă 1. Si elle est Ă©gale Ă 1 alors le second mĂąle a eu 100 % de paternitĂ©, si elle est Ă©gale Ă 0, câest le premier mĂąle qui a 100 % de paternitĂ©. Si P2 est Ă©gal Ă 0.5 alors on estime que les deux Ă©jaculats ont Ă©tĂ© utilisĂ©s de la mĂȘme façon[14] - [37].
Mais ce calcul pose un problĂšme : comment dĂ©terminer si ces chiffres dĂ©coulent dâune compĂ©tition entre les spermatozoĂŻdes ou du choix de la femelle ? De nouvelles mĂ©thodes de marquages des spermatozoĂŻdes (par fluorescence par exemple) ont alors Ă©tĂ© mises en place, mais dont lâimpact sur les performances spermatiques doit ĂȘtre attentivement Ă©valuĂ©[6] - [14] - [37].
Par ailleurs, en ce qui concerne la taille des spermatozoĂŻdes et leur vitesse, il Ă©tait entendu quâune plus grande taille amenait Ă une plus grande vitesse et donc Ă une meilleure fertilitĂ©. Cependant, Stuart Humphries et al. ont rĂ©cemment remis en cause cette idĂ©e en utilisant des donnĂ©es de physique, arguant que les conditions in vivo nâĂ©taient pas Ă©quivalentes en termes de physique des fluides Ă celles que lâon trouve in vitro. Les effets parois entre autres, sont Ă prendre Ă compte dans les calculs. Ainsi, ils dĂ©clarent que lâaugmentation de la taille des spermatozoĂŻdes nâest pas forcĂ©ment liĂ©e Ă la compĂ©tition spermatique[38].
En bref, Ă cause de ces diverses controverses, il est possible que lâeffet de la compĂ©tition spermatique soit mal comprise ou sous-estimĂ©e. Mais de nouvelles Ă©tudes et mĂ©thodes sont en passe dâamĂ©liorer lâapproche de cette thĂ©orie.
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