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Promiscuité sexuelle

La promiscuité sexuelle est le « comportement sexuel caractérisé par le fait d'avoir des activités sexuelles avec plusieurs partenaires, simultanément ou successivement. »[1]

Dans le rĂšgne animal, la promiscuitĂ© sexuelle au sens strict est caractĂ©ristique de certaines espĂšces (Bonobo) ou le rĂ©sultat de l'adaptation d'individus d'une espĂšce en cas de nĂ©cessitĂ© (Renard roux). Elle peut prendre la forme plus exclusive de la polygynandrie (Grive de Bicknell). D'autres espĂšces se montrent gĂ©nĂ©ralement monogames (Loup gris commun). La polygynie (Gorille), et la polyandrie, plus rare (Jacana noir), peuvent Ă©galement ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme des formes de promiscuitĂ© sexuelle, au sens large[2].

Chez l’ĂȘtre humain, l'aprĂ©ciation de la promiscuitĂ© sexuelle varie selon les cultures, tout comme sa prĂ©valence et son acceptation sociale, mais le terme est en lui-mĂȘme connotĂ© comme pĂ©joratif ou transgressif : le TLFi la dĂ©finit comme le « rapprochement sexuel de personnes contraire Ă  un code moral ou une loi »[3].

La perception de la promiscuitĂ© sexuelle n'est en outre pas la mĂȘme selon le genre et le statut civil de la personne : le fĂ©minisme souligne l'existence d'un double standard, la promiscuitĂ© chez la femme Ă©tant vue de façon pĂ©jorative alors qu'elle peut ĂȘtre vue chez l’homme sous un jour positif ou nĂ©gatif[4]. Un exemple de promiscuitĂ© est le coup d'un soir, dont la frĂ©quence est parfois utilisĂ©e comme indicateur de promiscuitĂ©[5].

La promiscuitĂ© peut ĂȘtre opposĂ©e Ă  la fidĂ©litĂ© conjugale (exclusivitĂ© sexuelle), Ă  la chastetĂ© (catĂ©gorie morale), Ă  l’abstinence sexuelle (abstention dĂ©libĂ©rĂ©e) ou Ă  l'asexualitĂ© (dĂ©sintĂ©rĂȘt pour le sexe).

Chez l’animal

Thierry LodĂ© relĂšve que la promiscuitĂ© sexuelle, ou son absence, selon les espĂšces, est paradoxalement indĂ©pendante du mode de reproduction : accouplement (cas gĂ©nĂ©ral des mammifĂšres, des oiseaux, des insectes...) ou fĂ©condation externe (cas gĂ©nĂ©ral des poissons) : « Des poissons Ă  fĂ©condation externe rĂ©vĂšlent des mƓurs monogames alors que nombre de singes vivent une forte polygynie. »[6]

Accouplement de bonobos
Accouplement de bonobos

Le succÚs de la promiscuité sexuelle provient de ce qu'elle augmente généralement les chances de reproduction : l'individu ayant plusieurs, voire de nombreux partenaires ayant plus de chances de trouver les « bons gÚnes ». Le modÚle de couple monogame fonctionne toutefois trÚs bien chez la plupart des oiseaux : à condition que les « bons gÚnes » et le « bon parent » de l'autre sexe soient trouvés, le partage des tùches pour élever les petits améliorent leurs chances de survie[6].

Durant le ou les vols nuptiaux des insectes eusociaux (abeilles, fourmis, termites...), la reine attire plus ou moins sélectivement les mùles par ses phéromones et engrange leurs spermatozoïdes dans une spermathÚque qu'elle exploitera pendant des années[7].

La promiscuité sexuelle dans les espÚces animales peut n'avoir pas pour seule fin la reproduction. Chez les Chimpanzés et les Bonobos, la fréquence élevée des copulations a un rÎle plus social que reproductif. Dans les contextes différents de l'organisation patriarcale chez les Chimpanzés et matriarcale chez les Bonobos, les femelles utilisent les rapports sexuels pour désamorcer les conflits, avec les mùles dans le premier cas, avec les mùles ou entre femelles dans le second, ce qui est également pour elles un moyen d'ascension sociale[8].

Les punaises des lits, dont le mĂąle peut copuler 200 fois par jour, s'Ă©cartent elles aussi des stricts besoins reproductifs : perçant avec son pĂ©nis la cuticule de l'abdomen de sa partenaire, le mĂąle ne s'encombre pas du fait de savoir s'il a affaire Ă  sa femelle ou non, et peut s'attaquer Ă  d'autres mĂąles ou d'autres espĂšces. Cet Ă©clectisme peut tout de mĂȘme avoir un intĂ©rĂȘt sĂ©lectif, lorsque l'insĂ©mination d'un autre mĂąle a pour rĂ©sultat que celui-ci insĂ©mine deux souches de gĂšnes diffĂ©rentes dans la femelle lors d'une copulation[9].

La polygamie des bernaches du Canada : ici un mĂąle, deux femelles et leurs neuf oisons.
La polygamie des bernaches du Canada : ici un mĂąle, deux femelles et leurs neuf oisons.

Dans les espĂšces oĂč les femelles s'accouplent avec plusieurs mĂąles, la sĂ©lection qu'elles opĂšrent et la compĂ©tition observĂ©e entre les mĂąles se double d'une compĂ©tition spermatique, chaque mĂąle dĂ©veloppant une stratĂ©gie propre Ă  l'espĂšce pour Ă©liminer les spermatozoĂŻdes concurrents. On peut citer le cas des drosophiles produisant un liquide sĂ©minal toxique pour les autres spermatozoĂŻdes[10], ou celui d'Homo, dont les mouvements rĂ©pĂ©tĂ©s lors de la copulation ont pour rĂŽle biologique de nettoyer le vagin de la femelle d'Ă©ventuels spermatozoĂŻdes concurrents[11] ; la douleur non pathologique ressentie aprĂšs l'Ă©jaculation Ă©vite au mĂąle de prolonger ces mouvements et de nettoyer ses propres spermatozoĂŻdes. Les femelles sont Ă©galement actives dans la compĂ©tition entre les spermatozoĂŻdes. La poule Ă©jecte le sperme des coqs d'un statut social insuffisant, et il semble que la femme qui Ă©prouve un orgasme entre une minute avant et 45 minutes aprĂšs l'Ă©jaculation d'un partenaire augmente la rĂ©tention de son sperme, favorisant la fĂ©condation par celui-ci[12]. Qui a dit que le plaisir fĂ©minin n'Ă©tait pas utile Ă  la reproduction ?

Chez l’ĂȘtre humain

ScĂšne d'orgie de Paul Avril (vers 1910)
ScĂšne d'orgie de Paul Avril (vers 1910)

La promiscuitĂ© sexuelle recouvre chez l’humain des rĂ©alitĂ©s multiples : elle peut concerner des relations successives ou simultanĂ©es ; ĂȘtre socialement prohibĂ©e, tolĂ©rĂ©e ou intĂ©grĂ©e dans la norme ; ĂȘtre lĂ©galement pĂ©nalisĂ©e, ignorĂ©e ou reconnue ; ĂȘtre une pratique prĂ©nuptiale, postnuptiale, anuptiale ou extraconjugale ; concerner les hommes, les femmes ou les deux sexes ; relever de l’hĂ©tĂ©rosexualitĂ©, de l’homosexualitĂ©, de la bisexualitĂ© ou de la pansexualitĂ© ; s'exprimer par des relations de couple ou dans une sexualitĂ© de groupe ; ĂȘtre vĂ©nale ou non ; ĂȘtre compulsive ou non ; et mĂȘme, reposer sur le consentement mutuel ou le viol, impliquer ou non des esclaves
 C’est donc une notion profondĂ©ment ambiguĂ« en l’absence de prĂ©cision de sa portĂ©e.

Les sociétés traditionnelles

Le terme de promiscuitĂ© revĂȘt en principe un sens prĂ©cis en anthropologie : « relations sexuelles soumises, chez les peuples primitifs, Ă  des rĂšgles impĂ©ratives », selon le TLFi[3], qui cite LĂ©vi-Strauss : « La maison des hommes Bororo est ouverte aux hommes mariĂ©s, celle des SherentĂ© est rĂ©servĂ©e aux cĂ©libataires; c'est un lieu de promiscuitĂ© sexuelle chez les Bororo, la chastetĂ© y est impĂ©rative chez les SherentĂ©. »[13]

Il n'est pas de sociĂ©tĂ© qui ne dĂ©finisse de rĂšgles d'union et de tabous sexuels. Bronislaw Malinowski croyait pouvoir dĂ©crire la vie sexuelle des Trobriandais comme totalement libre (mĂȘme s'il nuance parfois son propos) : « Nous avons affaire Ă  une sociĂ©tĂ© sans rĂ©pression, une sociĂ©tĂ© dans laquelle le sexe comme tel n’est assujetti Ă  aucune restriction. »[14] Quel que soit l'apport fondamental du travail ethnographique de Malinowski, cette libertĂ©, si large soit-elle par rapport aux cultures occidentales, paraĂźt avec le recul bien plus relative[15].

Malinowski aux ßles Trobriand en 1918 : une société sans répression ni restrictions ?

Mais les rÚgles régissant la sexualité et les tabous diffÚrent profondément selon les sociétés. Chez les Guayakis étudiés par Pierre Clastres, les différentes tribus se retrouvent ainsi rituellement chaque année, occasion d'établir librement des relations entre les hommes et les femmes de groupes différents, que ce soit entre jeunes gens, prélude à d'éventuels mariages, ou pour des relations extraconjugales sans lendemain[16].

Certaines sociétés font entrer la promiscuité dans leurs rÚgles de conduite, comme autrefois les AborigÚnes d'Australie : l'initiation des femmes comportait leur viol par leurs initiateurs, avec lesquels elles étaient en position d'inceste, avec lesquels elles n'auraient donc plus jamais de relations ; et, lorsqu'un groupe social recevait un message remis par des messagÚres, les hommes de ce groupe devaient manifester leur accord en les possédant, sous peine d'offense au groupe émetteur[17].

Tout comme les rĂšgles matrimoniales et tout comme les rĂšgles dĂ©finissant la portĂ©e de l'inceste, ces rĂšgles peuvent ĂȘtre Ă  l'opposĂ© des unes des autres dans des sociĂ©tĂ©s pourtant trĂšs proches. Certaines ethnies, Mongos africains, Yanomamis amazoniens... laissent les filles sexuellement libres avant le mariage. Leur grossesse est mĂȘme acceptĂ©e par certaines : elle ne met pas en pĂ©ril la transmission d’un patrimoine. Pour les Lobis, la jeune fille enceinte dĂ©montre ainsi sa fĂ©conditĂ© et se trouve pour cela mĂȘme recherchĂ©e. Dans d'autres peuples, comme les Peuls wodaabe, c’est au contraire la femme mariĂ©e qui est sexuellement libre et pas la jeune fille : le souci de l’homme n’est plus le patrimoine Ă  transmettre, il est d’assurer ses vieux jours par sa progĂ©niture, et le mari et l'amant s'arrachent l'enfant dont la paternitĂ© est incertaine[18].

Une des formes prises par la promiscuitĂ© est l’hospitalitĂ© sexuelle : chez les Mandingues ou les Bassaris, la politesse voulait qu'on mette Ă  la disposition de son hĂŽte une esclave ou une femme de sa famille... Ă  charge de revanche. Au XIXe siĂšcle encore, donc bien aprĂšs l’arrivĂ©e de l’islam, les BĂ©douins du sud de la pĂ©ninsule arabique pratiquaient une hospitalitĂ© sexuelle trĂšs codifiĂ©e : cette offre ne pouvait s’adresser qu’à un hĂŽte de « sang pur », supposait l'accord de l'intĂ©ressĂ©e pour une fille de la famille, ne pouvait concerner une fille vierge. « L’hĂŽte avait en outre l’obligation de satisfaire sa partenaire, ce qui lui valait les honneurs le lendemain, mais s’il y avait manquĂ©, son manteau Ă©tait amputĂ© d’une piĂšce et il Ă©tait chassĂ©. »[18]

On ne saurait enfin oublier que la polygynie est une forme historiquement et encore répandue de la promiscuité sexuelle, comme, plus anecdotiquement, la polyandrie, que celles-ci soient institutionnalisées, tolérées ou pratiquées de fait bien que prohibées. C'est aussi le cas d'une institution propre aux Bashileles du Congo : les femmes collectives, mariées à un kumbu, une classe d'ùge. Le kumbu enlÚve sa fiancée, qui doit recevoir durant un an ou deux chacun de ses maris, sans les choisir, mais ceux-ci la traitent en princesse ; à ce terme, l'épouse choisit au cours d'une cérémonie les deux ou trois maris qu'elle veut conserver, mais voit son statut dégradé à celui de ménagÚre[19].

On peut faire plusieurs remarques gĂ©nĂ©rales sur la promiscuitĂ© sexuelle telle qu'interdite ou admise selon la sociĂ©tĂ©. D'abord, si chacune d'elles a des rĂšgles, ces rĂšgles y sont, plus ou moins souvent, transgressĂ©es dans toutes. Ensuite, la sexualitĂ© n'y est jamais indĂ©pendante du contexte social. ChargĂ©e d'Ă©motion et de sentiment, elle doit aussi ĂȘtre comprise en relation avec les rĂšgles sociales et les motivations Ă©conomiques. Enfin, le rĂŽle de l'homme et de la femme n'y est jamais symĂ©trique : au moins jusqu'Ă  nos jours, dans toutes les sociĂ©tĂ©s humaines, les rĂšgles rĂ©gissant le sexe reflĂštent la valence diffĂ©rentielle des sexes mise Ă  nu par Françoise HĂ©ritier — ou, selon le vocabulaire de Pierre Bourdieu, la domination masculine[20].

Amour courtois et libertinage

L’Occident chrĂ©tien instaure peu Ă  peu des morales rigides, jusqu’au XIXe siĂšcle. Les trois figures majeures de la femme sont Ève, tentatrice et pĂ©cheresse, Marie, sainte et vierge « avant, pendant et aprĂšs l’accouchement » et Marie Madeleine, prostituĂ©e rachetĂ©e par l’aveu de ses pĂ©chĂ©s. La chastetĂ© et la virginitĂ© sont Ă©rigĂ©es en modĂšles plus que jamais auparavant. Le sexe n’est admis que dans le mariage, l’acte de chair est une souillure identifiĂ©e au pĂ©chĂ© originel, ce qui est sans rapport avec le texte de la GenĂšse[21]. La fornicatio carnalis (mĂȘme dans le mariage), la dĂ©bauche, le stupre sont l’Ɠuvre du diable. Le plaisir sexuel n’est l’objet que d’une tolĂ©rance, encore ne l’est-il pour les rigoristes qu’à des fins de procrĂ©ation et que chez l’homme. Le simple coupable du pĂ©chĂ© d’adultĂšre peut se voir raser la tĂȘte, traĂźnĂ© et fouettĂ© en public ; il est mĂȘme passible de mort, l’époux est en droit de tuer la femme et l'amant pris sur le fait[22].

Ce moralisme inhĂ©rent au christianisme – comme au judaĂŻsme et Ă  l’islam –, objet de transgressions Ă  toutes les Ă©poques, s’est vu contestĂ© Ă  son apogĂ©e de façon plus assumĂ©e par au moins deux courants.

L’amour courtois fleurit au XIIe siĂšcle. Il ne peut ĂȘtre considĂ©rĂ© en soi comme une expression de la promiscuitĂ© sexuelle : les amants vivent une relation exclusive — hors relations platoniques. AndrĂ© le Chapelain rĂ©dige alors (en latin) les 31 articles du Code d’amour de cette relation, et le 3e stipule que « personne ne peut se donner Ă  deux amours ». Le 7e prescrit mĂȘme « Ă  l’un des amants, pour la mort de l’autre, une viduitĂ© de deux annĂ©es ». Mais cette exclusivitĂ© ne concerne que l’amour courtois : les amants sont souvent par ailleurs mariĂ©s et pour certains pĂšre ou mĂšre de famille. Le Code assĂšne dĂšs son premier article que « L’allĂ©gation de mariage n’est pas excuse lĂ©gitime contre l’amour » : on ne peut se refuser Ă  son amant ou amante sous prĂ©texte de mariage[23]. Le plus cĂ©lĂšbre jugement des Cours d’amour, dans lesquelles des femmes de la noblesse d’alors traitaient des affaires de « droit courtois », va plus loin. À la question : « Le vĂ©ritable amour peut-il exister entre des Ă©poux ? » qui lui Ă©tait soumise, la cour de Marie de Champagne rĂ©pond catĂ©goriquement par la nĂ©gative[24]. Le mariage est ainsi rĂ©duit Ă  son rĂŽle d’institution sociale en vue de la procrĂ©ation, il laisse le champ libre Ă  l’amour courtois quant Ă  la passion charnelle et amoureuse[25]. La seule promiscuitĂ© sexuelle que prĂ©sente l’amour courtois est donc la division du sexe en deux domaines sĂ©parĂ©s : sexe social reproducteur d’un cĂŽtĂ©, sexe passionnel de l’autre. De cette division, peu ou prou prĂ©sente dans toutes les sociĂ©tĂ©s — elle fera florĂšs au XIXe siĂšcle puritain —, l’amour courtois fait une norme et la reconnaĂźt aux femmes autant qu’aux hommes, jusqu’à inverser parfois les statuts traditionnels de domination et de dĂ©pendance[25].

Au XVIe, au XVIIe, mais plus encore au XVIIIe siĂšcle, les rĂšgles de la religion et de la morale chrĂ©tiennes sont contestĂ©es par un nouveau mouvement : les libertins. C’est surtout au dĂ©part un courant de pensĂ©e : les « affranchis » (c’est le sens Ă©tymologique de libertin) sont des libres penseurs, qui s’affranchissent de la doctrine religieuse et se montrent critiques Ă  l’égard des jugements et prĂ©ceptes conventionnels, prĂ©parant puis accompagnant le siĂšcle des LumiĂšres. Mais de plus en plus, Ă  cĂŽtĂ© de ce libertinage Ă©rudit, qui triomphe au XVIIe siĂšcle[26] se dĂ©veloppe un libertinage de mƓurs, dominant au XVIIIe[27] : plus ou moins liĂ© Ă  la dissidence philosophique, celui-ci se traduit par la transgression morale. Le libertinage devient synonyme de licence sexuelle. Celle-ci se fait le mode de vie d'une partie de la noblesse, et le roman libertin est un genre Ă  part entiĂšre. Certains font de la quĂȘte amoureuse un jeu subtil et Ă©lĂ©gant, comme chez Choderlos de Laclos[28], d’autres dĂ©crivent l’activitĂ© sexuelle en termes crus et salaces, comme chez Gervaise de Latouche[29]. Tous traitent de l’amour et d’une sexualitĂ© ouverte de façon grivoise, sans s’arrĂȘter aux conventions morales et aux tabous. Les pratiques sexuelles et les Ɠuvres du marquis de Sade, qui garde l’esprit frondeur du libertinage Ă©rudit, mais chez qui le sexe est moins fait de plaisir que de violence et de cruautĂ©, en sont un aboutissement, pour ne pas dire une sortie de route[30].

Le cas de la prostitution

Si elle n’est sĂ»rement pas le plus vieux mĂ©tier du monde — les clercs (sans doute chamanes) l’ont prĂ©cĂ©dĂ©e[31] - [32] —, elle traverse toutes les sociĂ©tĂ©s humaines depuis au moins le NĂ©olithique.

Elle a Ă©tĂ© devancĂ©e par le cadeau nuptial de nombreuses sociĂ©tĂ©s animales, et il est possible que les premiers Homos l'aient utilisĂ©. Le cadeau nuptial est encore largement pratiquĂ© dans nombre de sociĂ©tĂ©s marquĂ©es par la tradition, mĂȘme urbaines. En Afrique, par exemple, il est partie intĂ©grante de la cour faite Ă  une femme, dont on imagine difficilement pouvoir se passer. L’homme est au pouvoir, et notamment au pouvoir Ă©conomique : le cadeau en est l’expression naturelle pour l’un comme pour l’autre. Mais il relĂšve de la sĂ©duction, pas de la prostitution, et il est indĂ©pendant d'une Ă©ventuelle promiscuitĂ© sexuelle. Un pas est franchi lorsque le ou les cadeaux deviennent le motif premier de l’établissement d’un rapport sexuel ; un second lorsqu’il est fait de ce type de relations un mĂ©tier : une activitĂ© rĂ©guliĂšre offrant des moyens de subsistance. Mais entre toutes ces situations, il y a continuum, et non de solution de continuitĂ©.

Les dictionnaires dĂ©finissent la prostitution comme le « fait de livrer son corps aux plaisirs sexuels d'autrui pour de l'argent et d'en faire mĂ©tier »[33] : la prostitution est un cas particulier de promiscuitĂ© sexuelle. On peut juger cette dĂ©finition rĂ©ductrice, et l’étendre Ă  toutes les relations sexuelles Ă©tablies pour un intĂ©rĂȘt matĂ©riel, mĂȘme implicitement, jusqu’à certaines relations matrimoniales, qui ne comportent pas en elles-mĂȘmes une telle promiscuitĂ©. L’islam pratique le mut'a, comme le trĂšs rigoriste Iran sous le nom de sigheh : un mariage temporaire, trĂšs aisĂ© Ă  obtenir, pouvant durer d’une heure Ă  99 ans, les hommes pouvant cumuler plusieurs sigheh. Il permet aux couples non mariĂ©s de rĂ©server une chambre d’hĂŽtel et son usage principal est une prostitution qui ne dit pas son nom[34].

La prostitution est dans beaucoup de sociĂ©tĂ©s couverte d’opprobre, ce qui n’empĂȘche pas certaines de l’institutionnaliser : prostitution sacrĂ©e, bordels militaires, etc. Celles qui la condamnent ne le font pas toutes pour les mĂȘmes raisons. Chez les HĂ©breux, la prostitution Ă©tait thĂ©oriquement prohibĂ©e[alpha 1], mais un homme ayant autoritĂ© sur une femme pouvait la cĂ©der moyennant finance, ce qui n’était pas considĂ©rĂ© comme de la prostitution : elle Ă©tait son bien et ne pouvait disposer d’elle-mĂȘme Ă  sa place[alpha 2].

Si la tendance est aux politiques abolitionnistes, les États modernes traitent la prostitution selon des rĂšgles profondĂ©ment diffĂ©rentes : certains la pĂ©nalisent, d’autres l’ignorent, d’autres l’autorisent en la rĂ©glementant, plus rĂ©cemment, d’autres encore ne poursuivent pas les prostituĂ©es ou prostituĂ©s, mais leurs clients.

La prostitution a manifestement beaucoup rĂ©gressĂ© dans l’histoire de l’Occident. TrĂšs rĂ©pandue au Moyen Âge, dans le prostibulum officiel, les Ă©tuves (thĂ©oriquement bains publics), les petits bordelages privĂ©s, Ă  la porte des Ă©glises et jusque dans les cimetiĂšres[35] ; elle connaĂźt un certain rejet au XVIe siĂšcle[35] ; elle est sous une forme ou sous une autre ĂȘtre particuliĂšrement dĂ©veloppĂ©e au XIXe siĂšcle avec les courtisanes, les demi-mondaines, les cocottes, les lieux de socialisation que sont les maisons closes ; mais semble de moins en moins prĂ©sente depuis quelques dĂ©cades. C’est aussi parce qu’elle prend des formes moins visibles : la tapineuse et la dame de maison font place Ă  l’escort-girl sur internet[36]. Cette rĂ©gression semble surtout se produire aux pĂ©riodes de libĂ©ralisation des mƓurs. De quoi est-elle l’effet : de la libertĂ© sexuelle, de l’affirmation du fĂ©minisme, des condamnations morales ou des politiques rĂ©pressives ? Les diffĂ©rentes formes de promiscuitĂ© sexuelle seraient-elles les parties prenantes d'un jeu Ă  somme nulle ?

Les sociétés modernes

En grande partie hĂ©ritiĂšres, ou sous l'influence, d'une culture occidentale marquĂ©e par le christianisme (et au-delĂ  par le judaĂŻsme)[37], pour lesquels la sexualitĂ© nÂŽĂ©tait licite que dans le cadre du mariage voire, pour certains, que strictement limitĂ©e Ă  la fonction procrĂ©atrice, les sociĂ©tĂ©s modernes tendent peu, mais largement, Ă  sÂŽaffranchir de cet encadrement. L'union libre, la relation ouverte, le mĂ©nage Ă  trois, le polyamour sont de moins en moins une transgression et de plus en plus intĂ©grĂ©s au mode de vie commun, mĂȘme si la libertĂ© sexuelle des femmes est loin d'ĂȘtre acquise[38]. Ce libĂ©ralisme ne concerne plus seulement les relations hĂ©tĂ©rosexuelles, il s'Ă©tend aux relations homosexuelles. Les interdits que sont la pĂ©dophilie et l'inceste (sous-entendu impliquant un ou une mineur) y sont en revanche prohibĂ©s plus rigoureusement, dans l'opinion comme dans les lois. La libĂ©ralisation des mƓurs s'accompagne d'une moindre tolĂ©rance — tolĂ©rance zĂ©ro —, pour des gestes ou relations non librement dĂ©cidĂ©s, notamment par les femmes, ce qui est loin d'avoir toujours Ă©tĂ© le cas[39].

Les précurseurs

À l'Ăšre industrielle, le mariage traditionnel est contestĂ© par des penseurs socialistes ou utopistes, renouant avec la libertĂ© dĂ©fendue par Platon quant au sexe, sinon Ă  la reproduction[40] : si Marx et Engels jugent en 1848 que c'est le monde bourgeois qui pratique, de fait et hypocritement, la communautĂ© des femmes, et que celle-ci s'Ă©teindra avec le socialisme[41], Charles Fourier prĂŽne dĂšs 1808 pour son PhalanstĂšre la libĂ©ralisation des relations amoureuses, considĂ©rant que « la fidĂ©litĂ© perpĂ©tuelle en amour est contraire Ă  la nature humaine »[42]. La reconnaissance des mariages de groupe (en) n'est pas que thĂ©orique, elle trouve son expression dans des communautĂ©s telles que la communautĂ© d'Oneida inspirĂ©e par Fourier et fondĂ©e par le prĂ©dicateur John Humphrey Noyes dans l'État de New-York : les relations sexuelles y sont libres Ă  l'intĂ©rieur de la communautĂ©, les jeunes filles y sont Ă©duquĂ©es sexuellement par les membres les plus anciens, la reproduction y est rĂ©servĂ©e Ă  des gĂ©nitrices et gĂ©niteurs sĂ©lectionnĂ©s et les hommes doivent retenir leur Ă©jaculaton le reste du temps. Cette communautĂ© fonctionnera de 1848 Ă  1881, date Ă  laquelle elle prit fin, minĂ©e par les dissenssions internes et la propension de Noyes Ă  se comporter en gourou, y compris sexuellement[43].

La libéralisation des relations sexuelles se poursuit au XXe siÚcle, mais ne prend vraiment son ampleur à partir de 1950 avec la révolution sexuelle. Celle-ci est facilitée par la légalisation de la contraception (1967 en France) et de l'avortement (1974 en France) et sera une composante importante des mouvements de mai 1968.

Prévalence

Le nombre de partenaires sexuels rencontrés peut varier largement d'une personne à l'autre comme d'une société à l'autre.

Le supplice des adultĂšres, de Jules-ArsĂšne Garnier (1876)
Le supplice des adultĂšres, de Jules-ArsĂšne Garnier (1876)

Une Ă©tude de 2008 rĂ©vĂšle que les Finlandais rapportent avoir eu le plus de partenaires sexuels au monde, et que les Britanniques en ont le plus pour les grands pays occidentaux[44] - [45] - [46]. Cette place pourrait s'expliquer parce que les Britanniques accepteraient plus facilement d'une femme qu'elle ait des partenaires sexuels diffĂ©rents, et pas seulement d'un homme comme dans d'autres cultures. Une Ă©tude britannique de 2014 affirme que Liverpool est la ville oĂč la promiscuitĂ© sexuelle est la plus rĂ©pandue[47]. Ce mouvement s’accompagne d’un affaiblissement de la religion, d’une plus grande autonomie financiĂšre des femmes et d’une culture populaire trĂšs sexualisĂ©e[44] - [45] - [46].

Une Ă©tude de 1998 a relevĂ© une forte corrĂ©lation entre la consommation d'alcool et le fait d'avoir plusieurs partenaires sexuels aux États-Unis[48]. De mĂȘme pour l'usage de drogues[49].

Catherine II de Russie, par Johann-Baptist von Lampi (1792)
Catherine II de Russie, par Johann-Baptist von Lampi (1792). L'impératrice était connue pour son appétit sexuel et ses nombreux amants.

Une étude de 1993 a montré que chez les individus dont les premiers rapports sexuels avaient eu lieu avant l'ùge de 13 ans, les chances de déclarer trois partenaires sexuels ou plus étaient neuf fois plus élevées que ceux dont le premier rapport sexuel avait eu lieu à l'ùge de 15 ou 16 ans ; les Noirs avaient quatre fois plus de chances que les blancs non hispaniques de déclarer trois partenaires sexuels ou plus ; les hommes avaient quatre fois plus de chances que les femmes de déclarer trois partenaires sexuels ou plus[49].

D'aprĂšs une autre Ă©tude menĂ©e aux États-Unis, environ 29 % des hommes et 9 % des femmes rapportent avoir eu plus de quinze partenaires sexuels ; 46 % des hommes et 13 % des femmes noir(e)s ont dĂ©clarĂ© avoir eu quinze partenaires ou plus au cours de leur vie, soit plus que les autres groupes raciaux ou ethniques[50]. L'Ă©tude rapporte Ă©galement que 25 % des femmes et 17 % des hommes dĂ©clarent ne pas avoir eu plus d'un partenaire de l'autre sexe au cours de leur vie, et 4 % dĂ©clarent ne jamais avoir eu de relations sexuelles[50]. Seize pour cent des adultes ont leur premier rapport sexuel avant l'Ăąge de 15 ans, tandis que 15 % s'abstiennent jusqu'Ă  au moins 21 ans. La proportion d'adultes ayant eu leur premier rapport sexuel avant 15 ans est la plus Ă©levĂ©e chez les Noirs non hispaniques (28 %), contre 14 % chez les Mexicains-AmĂ©ricains et les Blancs non hispaniques[50]. Six pour cent des Noirs s'abstiennent de relations sexuelles jusqu'Ă  l'Ăąge de 21 ans ou plus, soit moins que les Mexicains amĂ©ricains (17 %) ou les Blancs non hispaniques (15 %)[50].

Promiscuité masculine et féminine

L'Ă©cart que ces chiffres montrent entre le nombre de partenaires qu'auraient les femmes et les hommes est troublant.

Aux États-Unis, selon une enquĂȘte nationale de 2007, le nombre mĂ©dian de partenaires sexuels qu'ont eu des personnes de l'autre sexe est de sept dans les dĂ©clarations des hommes et de quatre dans celles des femmes[50]. Les chiffres portant sur les relations hĂ©tĂ©rosexuelles prĂ©sentent presque partout un tel dĂ©sĂ©quilibre, souvent le double de partenaires pour les hommes : ainsi, en Grande-Bretagne, les rĂ©sultats nationaux repris dans une Ă©tude de 2018 donnent une moyenne de 14,14 partenaires sexuelles dĂ©clarĂ©es par les hommes, les femmes en dĂ©clarant 7,12[51]. AprĂȘs une enquĂȘte menĂ©e en rĂ©gion RhĂŽne-Alpes en 1989, le sociologue Hugues Lagrange indique que les hommes dĂ©clarent en moyenne 1,42 fois plus de partenaires que les femmes[52].

Cette diffĂ©rence est contre-intuitive : dans une population hĂ©tĂ©rosexuelle aux effectifs par sexe proches, le nombre moyen de partenaires des hommes et celui des femmes devrait ĂȘtre identique[51], « tout lien entre une femme et un homme reliant un homme Ă  une femme »[52]. Elle peut s’expliquer principalement par :

  • des biais dĂ©claratifs : du fait du double standard, les femmes tendent Ă  minorer le nombre de leurs partenaires et les hommes Ă  les majorer[51] - [52] ;
  • des biais sĂ©lectifs : des Ă©chantillons peuvent structurellement manquer de reprĂ©sentativitĂ© ; ainsi les prostituĂ©es, au nombre de partenaires trĂšs Ă©levĂ© mais proportionnellement peu nombreuses, ont-elles statistiquement peu de chance de faire partie des Ă©chantillons, alors que les hommes les incluent dans leurs partenaires[52] ;
  • un biais analytique : les moyennes gomment, entre autres, l’impact des diffĂ©rences d’ñges entre partenaires. Or si les hommes ont des relations avec des femmes plus jeunes qu’eux et inversement, ceux-ci peuvent, paradoxalement, avoir plus de partenaires qu’elles. C’est mĂȘme le principe sur lequel repose les sociĂ©tĂ©s polygynes — Hugues Lagrange s'Ă©tonne lui-mĂȘme de cette similitude[52]. En prenant de l’ñge, les hommes polygames Ă©pousent des femmes de plus en jeunes qu’eux. Contrairement Ă  une justification courante avancĂ©es par les polygames, le nombre d’hommes et de femmes en Ăąge matrimonial est voisin ; les hommes ont de une Ă  quatre Ă©pouses, les femmes un seul mari, et pourtant il n'y a pas ou peu d’hommes mĂ»rs cĂ©libataires. La polygynie n’est possible que parce que les femmes arrivent plus jeunes sur le marchĂ© du mariage et que les hommes ne prennent d’autres Ă©pouses qu’en mĂ»rissant, comme le dĂ©montre Philippe Antoine[53] - [alpha 3]. La relation Ă©pouse↔époux est bien identique Ă  la relation partenaire-femme↔partenaire-homme : tout lien entre une Ă©pouse et un Ă©poux relie bien un Ă©poux Ă  une Ă©pouse. Or, dans les sociĂ©tĂ©s modernes, les hommes continuent Ă  ĂȘtre statistiquement plus ĂągĂ©s que leurs partenaires femmes. En France par exemple, si l’ñge des hommes au mariage est passĂ© de 32,6 ans en 1996 Ă  39,2 en 2020, l’écart avec l’ñge de leur femme n’a pour sa part presque pas bougĂ© : 2,6 ans en 1996 et 2,5 ans en 2020[54]. Des diffĂ©rences de ce type pourraient-elles expliquer une partie de l’écart gĂ©nĂ©ralement constatĂ© entre le nombre de partenaires des hommes et celui des femmes ?

Incidemment, la distribution du nombre de partenaires chez les femmes est toujours relativement étroite, sa variance est faible, et la grande majorité des femmes ont un nombre de partenaires proche de la moyenne. Chez les hommes, cette distribution est beaucoup plus large : beaucoup d'hommes ont peu de partenaires sexuelles, beaucoup d'autres ont de nombreuses partenaires, soit plus que la plupart des femmes[55].

Enfin, des expĂ©riences menĂ©es aux États-Unis en 1978 et 1982 ont confirmĂ© que l'acceptabilitĂ© de la promiscuitĂ© sexuelle est largement moindre chez les femmes que les hommes : la grande majoritĂ© des hommes Ă©tait prĂȘte Ă  une relation sexuelle avec une femme inconnue « de beautĂ© moyenne » leur faisant une proposition ; aucune femme de l’étude ne l’acceptait de la part d’un homme « de beautĂ© moyenne ». Les hommes Ă©taient gĂ©nĂ©ralement Ă  l’aise avec la question, tandis que les femmes se montraient choquĂ©es et dĂ©goĂ»tĂ©es[56].

Promiscuité sexuelle et santé

Les questions relevant des prĂ©ceptes moraux, Ă©thiques ou religieux, celles de la prophylaxie et celles de la contraception sont toutes lĂ©gitimes, elles ne doivent pas ĂȘtre mĂȘlĂ©es ni confondues.

Avec les nuances apportĂ©es ci-dessous, ce n’est pas la promiscuitĂ© qui est cause de risque sanitaire, mais l’absence de protection — plus prĂ©cisĂ©ment : de prĂ©servatif — dont les effets sont Ă©videmment en raison proportionnelle du nombre de partenaires. Une Ă©tude menĂ©e de 2006 dans 59 pays Ă©tablit que les variations rĂ©gionales de la santĂ© sexuelle et reproductive n’ont pas de lien avec les comportements sexuels, mais avec les taux d'utilisation des prĂ©servatifs[57]. Or, selon l’enquĂȘte comportementale nationale aux États-Unis sur le SIDA, en 1993, environ un quart des hommes et des femmes ayant plusieurs partenaires sexuels utilisaient toujours un prĂ©servatif, un quart les utilisaient parfois et prĂšs de la moitiĂ© n'en utilisaient jamais[58].

D’autres recherches prĂ©cisent ces conclusions : les ruptures de prĂ©servatifs, notamment pour mĂ©susage, et leur indisponibilitĂ© au moment d’une relation sont une cause des infections sexuellement transmissibles (MST), en particulier dans le cas de relations multiples[59]. Une Ă©tude conduite en 1993 sur des Ă©tudiantes du Michigan conclut que celles-ci courraient beaucoup plus de risques d’infection sexuelle si elles avaient eu plus de cinq partenaires durant les 3,5 annĂ©es prĂ©cĂ©dentes ou si elles avaient eu leur premier rapport avant 15 ans. Le risque Ă©tait 2,2 fois plus Ă©levĂ© pour celles qui n’utilisaient qu’occasionnellement un condom par rapport Ă  celles qui l’utilisaient toujours ; mais 1,5 fois plus Ă©levĂ© pour celles qui prenaient la pilule par rapport Ă  celles qui ne la prenaient pas[60]. Ceci confirme que le condom est adaptĂ© Ă  des relations multiples ou occasionnelles, les autres mĂ©thodes contraceptives aux relations stables. Le nombre de partenaires sexuels masculins au cours de la vie est un facteur de risque majeur de l'infection de la femme par le papillomavirus humain selon une Ă©tude suĂ©doise de 1994. Celle-ci relĂšve que l’usage d’une « mĂ©thode barriĂšre » (barrier method), mais sans prĂ©ciser laquelle, rĂ©duit de 24,5 Ă  14,9 % l’infection par le papillomavirus, donc sans l’empĂȘcher totalement[61]. En 1989, le mathĂ©maticien Bennett Eisenberg calcule que le risque statistique (sans prendre en compte l'usage ou non de prĂ©servatifs) d'ĂȘtre infectĂ© par le SIDA est croissant dans les situations suivantes : 1. Relation monogame avec un partenaire non infectĂ© ; 2. Relation monogame avec un partenaire « choisi au hasard » ; 3. Relation avec plus d'un partenaire, « choisis au hasard » ; 4. Relations avec plusieurs partenaires, « choisis au hasard » ; 5. Relation monogame avec un partenaire infectĂ©[62]. Mais tous ces travaux datent de 25 Ă  30 ans, et nĂ©cessiteraient une actualisation.

Le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, publiĂ© par l’Association amĂ©ricaine de psychiatrie, classait en 1952 le « nomadisme sexuel » parmi les troubles pathologiques, parmi d’autres pratiques alors considĂ©rĂ©es comme dĂ©viantes. Les Ă©ditions ultĂ©rieures supprimeront ces mentions
 En revanche, l'hypersexualitĂ©, recherche compulsive de promiscuitĂ©, est un symptĂŽme commun de plusieurs affections psychologiques dont le trouble de la personnalitĂ© borderline, le trouble de la personnalitĂ© histrionique, le narcissisme et le trouble de la personnalitĂ© antisociale, mais ces affections restent rares dans l’ensemble de la population des personnes ayant des relations sexuelles variĂ©es et frĂ©quentes[63].

Au-delĂ  des diffĂ©rentes pathologies qui peuvent ĂȘtre impliquĂ©es par la sexualitĂ©, ne faut-il pas d’avoir une approche globale de la santĂ© en matiĂšre sexuelle ? C’est l’enjeu de la mĂ©decine sexuelle et de la sexologie[64]. Le sexe met en jeu des personnes, pas des organes. Une relation sexuelle ne peut ĂȘtre saine sans respect de son partenaire et sans respect de son libre choix : ceci implique non seulement la prĂ©vention des pathologies, mais aussi la prĂ©vention des grossesses non dĂ©sirĂ©es, celle des risques pour l'embryon et le fƓtus Ă©ventuels, et la prise en compte de l’impact durable sur la santĂ© psychique, voire mentale, des partenaires. Quelles qu’en soient les orientations et les pratiques, le sexe peut ĂȘtre l’activitĂ© la plus joyeuse et Ă©panouissante qui soit, mais aussi ĂȘtre vĂ©cu comme une souillure et destructeur[65].

Dans la culture

Le sexe et les relations amoureuses étant omniprésents dans les arts et la littérature, les thÚmes de la promiscuité, du libertinage, de la séductrice, du séducteur
 y sont naturellement largement présents. Ils y sont traités sous les angles les plus variés : s'ils se recouvrent en grande partie, la promiscuité n'est ni un sous-ensemble ni un sur-ensemble de l'érotisme. Quelques exemples majeurs :

  • Les Dialogues des courtisanes, de Lucien de Samosate (IIe siĂšcle), rĂ©Ă©d. ArlĂ©a, 2011 : les courtisanes de l'Ă©poque y parlent de leur vie, de leurs Ă©motions, de leurs dĂ©ceptions ;
  • Le mythe de don Juan, inspirĂ© du don Juan Tenorio rĂ©el, mentionnĂ© dans les chroniques de SĂ©ville (Las CrĂłnicas de Sevilla, texte perdu voire incertain) au XVIIe siĂšcle[66], immortalisĂ© par la piĂšce L'Abuseur de SĂ©ville (El burlador de Sevilla y convidado de piedra) de Tirso de Molina (1630)[67] et repris dans d’innombrables Ɠuvres (MoliĂšre, Mozart, Baudelaire, Losey
) : don Juan use des femmes de façon Ă©hontĂ©e, mais est rattrapĂ© par la statue du Commandeur ;
  • Les Contes et nouvelles en vers, de Jean de la Fontaine (3 tomes en 1665, 1666 et 1671), rĂ©Ă©d. Classiques Garnier, 1985 : ces contes grivois, inspirĂ©s d'Ɠuvres françaises et italiennes du XVe siĂšcle et du XVIe siĂšcle, tournent souvent autour des ruses de l'infidĂ©litĂ© ;
  • Giacomo Casanova, par Francesco Narici (1760)
    Giacomo Casanova, par Francesco Narici (1760)
    Les Liaisons dangereuses, roman de Pierre Choderlos de Laclos (1782), rĂ©Ă©d. Livre de poche, 1975 : Valmont fait de la conquĂȘte amoureuse un jeu cruel, mais est pris au piĂšge de la derniĂšre ;
  • L'Histoire de ma vie (souvent appelĂ© Ă  tort MĂ©moires), rĂ©cit autobiographique de Giacomo Casanova, Ă©crit entre 1789 et 1798, rĂ©Ă©d. intĂ©grale en 3 tomes, La PlĂ©iade, Gallimard, 2015, ou Bouquins, Robert Laffont, 2018 : ce document majeur sur la sociĂ©tĂ© europĂ©enne du XVIIIe siĂšcle fait une large place Ă  la vertigineuse vie amoureuse de l’auteur ;
  • Ma vie secrĂšte (My secret life), rĂ©cit autobiographique anonyme (fin du XIXe siĂšcle), rĂ©Ă©d. intĂ©grale en 5 tomes, La Musardine, 1996 Ă  2009 : la vie sexuelle dĂ©bridĂ©e d’un gentleman de l’ùre victorienne contĂ©e par le menu, jusque dans ses aspects sordides ;
  • Madame Edwarda, rĂ©cit de Georges Bataille, Ă©ditions du Solitaire (1941), rĂ©Ă©d. dans Romans et rĂ©cits, la PlĂ©iade, Gallimard, 2004 : plus encore que dans d’autres livres, Bataille y dĂ©livre une vision de l’érotisme et de la promiscuitĂ© mystique et tragique ; Edwarda est « la plus tourmentĂ©e, la plus grimaçante - la plus bouleversĂ©e, aussi – des images qu'il va donner de Dieu »[68] ;
  • À la recherche de Mister Goodbar (Looking for Mr. Goodbar), film de Richard Brooks (1977), d'aprĂšs le roman Ă©ponyme de Judith Rossner (Simon & Schuster, 1975) : le livre et le film sont inspirĂ©s par la vie de Roseann Quinn (en), institutrice en quĂȘte dĂ©sespĂ©rĂ©e d'aventures dans les bars de New York et assassinĂ©e en 1973 ;
  • Dans Les Nerfs Ă  vif de Martin Scorsese (1991) le repris de justice, Max Cady, veut se venger de son avocat Sam Bowden, qui a encouragĂ© une condamnation, pour viol et meurtre aggravĂ© sur mineure, Ă  quatorze ans de prison et l'abandon par sa famille, en dissimulant des preuves documentĂ©es selon lesquelles la victime vivait dans la promiscuitĂ© sexuelle.
  • La Vie sexuelle de Catherine M., rĂ©cit autobiographique de Catherine Millet, Seuil (2001 : l'auteure y conte ses expĂ©riences tant avec des partenaires anonymes qu'avec des relations connues ;
  • Les Animaux amoureux, film de Laurent Charbonnier (2007), DVD TF1 en 2008 : s'il traite indiffĂ©remment de la promiscuitĂ© et de la monogamie animales, ce documentaire offre un large panorama des comportements amoureux selon les espĂšces ;
  • Dans le jardin de l'ogre, roman de LeĂŻla Slimani, Gallimard (2016) : AdĂšle, nymphomane et tourmentĂ©e, souffre et se cherche ;...

Voir aussi

Notes et références

Notes

  1. L’histoire de Juda et de sa belle-fille Tamar montre qu’elle Ă©tait pratiquĂ©e et codifiĂ©e : « Juda l’aperçut et la prit pour une prostituĂ©e, puisqu’elle avait couvert son visage. » (GenĂšse 38, 15)
  2. Thomas d’Aquin suit cette mĂȘme logique Ă  propos de la luxure : « Thomas Ă©crit dans l’article 1 que le type du pĂ©chĂ© de luxure change en fonction de qui dĂ©pend la femme qui est impliquĂ©e, et donc de l’homme qui est offensĂ© par ce pĂ©chĂ©. Si la femme dĂ©pend de son pĂšre, alors il s’agit d’un stupre et si elle dĂ©pend d’un mari alors il s’agit d’un adultĂšre. Dans l’article 6, il montre que le stupre offense le pĂšre qui a la charge de garder sa fille. » Isolde Cambournac, La masculinitĂ© et la fĂ©minitĂ© Ă  la lumiĂšre de l’anthropologie de Thomas d’Aquin, ThĂšse de doctorat en thĂ©ologie, UniversitĂ© de Fribourg (Suisse), 2018, p. 59
  3. Le nombre moyen d'Ă©pouses d'un polygame augmente avec l'Ăąge, il est compris entre 1,02 et 1,50 (ibidem).

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