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Madame Edwarda

Madame Edwarda est un récit de Georges Bataille publié pour la première fois sous le pseudonyme de Pierre Angélique en 1941 aux Éditions du Solitaire (édition clandestine par Robert et Élisabeth Godet, sous la date volontairement fausse de 1937, et un nom d'éditeur inventé pour la circonstance). Il fut écrit entre septembre et , pendant la rédaction de L'Expérience intérieure, dont il est le corollaire. Il constitue l'un des premiers ouvrages clandestins parus aux heures sombres de l'Occupation.

Œuvres complètes Tome III Madame Edwarda
Auteur Georges Bataille
Pays Drapeau de la France France
Genre RĂ©cit Ă©rotique
Version originale
Langue Française
Éditeur Éditions du Solitaire
Date de parution 1941
Version française
Éditeur Gallimard
Lieu de parution Paris
Date de parution 1971

Éditions successives

  • 1941 : Éditions du Solitaire (Robert et Élisabeth Godet[1]), Ă©dition dite de 1937, sous le pseudonyme de Pierre AngĂ©lique, tirage limitĂ© Ă  45 exemplaires (sans doute l'Ă©dition originale la plus rare de Georges Bataille[2]).
  • 1945 : Éditions du Solitaire, Ă©dition dite de 1942, revue par l'auteur et enrichie de trente gravures signĂ©es par Jean Perdu (Jean Fautrier), tirage limitĂ© Ă  88 exemplaires.
  • 1956 : rĂ©Ă©dition sous le mĂŞme hĂ©tĂ©ronyme[3], chez Jean-Jacques Pauvert Ă©diteur, avec une prĂ©face de Georges Bataille, tirage limitĂ© Ă  1500 exemplaires.
  • 1965 : Éditions Georges Visat, sous le nom de Georges Bataille, avec douze cuivres gravĂ©s Ă  la pointe et au burin par Hans Bellmer, exĂ©cutĂ©s et tirĂ©s Ă  cinq exemplaires en 1955, initialement prĂ©vus pour l'Ă©dition chez Pauvert, tirage limitĂ© Ă  167 exemplaires.
  • 1971 : Éditions Gallimard, tome III des Ĺ’uvres complètes de Georges Bataille, Ă©tabli par ThadĂ©e Klossowski, comprenant Ă©galement Le Petit, L'ArchangĂ©lique, L'Impossible, La ScissiparitĂ©, L'AbbĂ© C., L'ĂŠtre indiffĂ©renciĂ© n'est rien, Le Bleu du ciel.
  • 2004 : Éditions Gallimard, Romans et rĂ©cits, prĂ©face de Denis Hollier, Ă©dition publiĂ©e sous la direction de Jean-François Louette, coll. « Bibliothèque de la PlĂ©iade ».

Le texte est prĂ©cĂ©dĂ© d’un faux titre : « Divinus Deus », qui tĂ©moigne du goĂ»t de Bataille pour les Ă©pithètes rhĂ©toriques et inscrit ce rĂ©cit dans une lecture très personnelle de la thĂ©ologie chrĂ©tienne. Madame Edwarda est ce « dieu divin Â» et l'accès Ă  la divinitĂ© est conditionnĂ© par le choix de la transgression des interdits. Le rĂ©cit devait figurer dans une tĂ©tralogie comprenant Ma Mère (posthume et inachevĂ©, Pauvert, 1966), Divinus Deus (jamais Ă©crit entièrement, mais insĂ©rĂ© dans Madame Edwarda), et Charlotte d'Ingerville dont seules quelques pages ont Ă©tĂ© rĂ©digĂ©es. Ces quatre titres auraient Ă©tĂ© signĂ©s du pseudonyme Pierre Angelici et auraient constituĂ© une sorte d'autobiographie romanesque ; mais seule Madame Edwarda est publiĂ©e de son vivant.

Le manuscrit original de Madame Edwarda fut dédié à Paul Éluard [4].

Ce récit a été illustré à deux reprises, en 1975 et 1998, par le peintre japonais Kuniyoshi Kaneko, qui a également illustré Histoire de l'œil, dans l'édition traduite en japonais par Kosaku Ikuta (Éditions Le Sabbat, Tokyo, 1998). Il faut également mentionner des illustrations par René Magritte, datant de 1946, pour une édition pirate du récit : une série de six dessins commandés par le libraire-éditeur Albert Van Loock appartenant aujourd'hui à des collectionneurs privés. Trois d'entre eux ont d'abord été reproduits par David Sylvester, dans le catalogue raisonné de René Magritte en 1992. Depuis, l'ensemble a été reproduit et présenté dans un article de Jan Ceuleers, « René Magritte illustrateur de Madame Edwarda », dans les Cahiers Bataille[5]. Une autre édition de luxe (tirage unique à 13 exemplaires numérotés) a été réalisée et imprimée par Thierry Bouchard, aux Éditions Liber Pater (s.d. , vers 1990), avec une reliure d'inspiration érotique de Nobuko Kiyomiya et quatre eaux-fortes originales en couleurs signées par Claude Faivre.

Par ailleurs, ce texte a également fortement inspiré le travail photographique de Élizabeth Prouvost, qui lui a consacré plusieurs expositions et trois livres de photographies[6].

Madame Edwarda est aussi le titre d'un court métrage britannique (adapté du récit de Bataille), réalisé par Alexandra Jasper et Eveline Rachow en 2010.

Présentation

L'action se déroule « dans les rues propices qui vont du carrefour Poissonnière à la rue Saint-Denis » (dont Bataille fréquentait souvent les bordels) et met en scène une prostituée de bordel, folle et obscène, qui se déclare être Dieu tandis qu'elle exhibe ses « guenilles ». Plus Madame Edwarda sera obscène plus elle sera divine. Bataille, pour qui l'érotisme est inséparable du sacrilège, semble évoquer un dieu des abîmes, de l'obscénité, de l'abomination, car pour lui, Dieu est l'impossible, un « dépassement de Dieu dans tous les sens ; dans le sens de l'être vulgaire, dans celui de l'horreur et de l'impureté ; à la fin, dans le sens de rien »[7].

Edwarda demande au narrateur de regarder ses « guenilles », son sexe béant : « Assise, elle maintenait haute une jambe écartée : pour mieux ouvrir la fente, elle achevait de tirer la peau des deux mains. Ainsi les “guenilles" d'Ewdarda me regardaient, velues et roses, pleines de vie comme une pieuvre répugnante. Je balbutiai doucement : - Pourquoi fais-tu cela ? - Tu vois, dit-elle, je suis DIEU... »[8]

Michel Surya commente en disant qu'Edwarda est « la plus tourmentĂ©e, la plus grimaçante - la plus bouleversĂ©e, aussi - des images qu'il [Bataille] va donner de Dieu Â» ; « la putain folle et belle, s'avouant nue, guenilleuse, Dieu, n'Ă©voquerait-elle pas l'organe mort du père entre les jambes molles et mortes ? Guenilles de femmes, dans un cas, mais d'une femme qui a pour nom un nom d'homme fĂ©minisĂ©, Édouard, un nom, on le verra bientĂ´t, d'homme mort dans Le Mort »[9].

La préface de 1956, signée Georges Bataille, précise, comme toujours avec les récits fictifs de l'auteur, les enjeux du texte, avec en exergue cet emprunt tronqué à la préface de la Phénoménologie de l'esprit de Hegel : « La mort est ce qu'il y a de plus terrible et maintenir l'œuvre de la mort est ce qui demande la plus grande force. » Ensuite, le récit s'ouvre par cette adresse au lecteur, aux allures d'« avertissement » : « Si tu as peur de tout, lis ce livre, mais d'abord, écoute-moi : si tu ris, c'est que tu as peur. Un livre , il te semble, est chose inerte. C'est possible. Et pourtant, si, comme il arrive, tu ne sais pas lire ? devrais-tu redouter... ? Es-tu seul ? as-tu froid ? sais-tu jusqu'à quel point l'homme est "toi-même" ? imbécile ? et nu ? ». Et il se conclut dans une sorte d'« immense alleluia, perdu dans le silence sans fin », selon les termes de Bataille : « DIEU, s'il "savait", serait un porc. »[10]

Comme tous les rĂ©cits de Bataille, exceptĂ© Le Mort, Madame Edwarda prĂ©sente un personnage-narrateur s'exprimant Ă  la première personne, lequel est, selon Philippe Sollers, Ă  la fois « tĂ©moin et chĹ“ur Â»[11] des excès du personnage fĂ©minin, rĂ©percutant sur la narration l'effet sidĂ©rant du spectacle auquel il assiste et prend part. Ce dispositif narratif donne au rĂ©cit une valeur de tĂ©moignage, sous le sceau de l'impossible, par des commentaires du narrateur qui mettent en doute sa possibilitĂ© mĂŞme, en raison de « cet excès qui Â», selon la formule de Maurice Blanchot, « vient avec le fĂ©minin Â»[12]. Ainsi dans Madame Edwarda : « (Il est dĂ©cevant [...] de jouer des mots, d'emprunter la lenteur des phrases. [...] je le sais dĂ©jĂ , mon effort est dĂ©sespĂ©rĂ© : l'Ă©clair qui m'Ă©blouit - et qui me foudroie - n'aura sans doute rendu aveugles que mes yeux [...] Ce livre a son secret, je dois le taire : il est plus loin que tous les mots) Â»[13].

En 1958, Marguerite Duras fera ce commentaire : « Edwarda restera suffisamment inintelligible des siècles durant, pour que toute une théologie soit faite à son propos »[14].

Bibliographie de référence

  • Boris Belay, « Le Secret du corps de Madame Edwarda (Bataille de la philosophie Ă  la limite de l'obscène », dans The Beast at Heaven's Gate: Georges Bataille and the Art of Transgression, textes rĂ©unis par Andrew Hussey, Amsterdam, New York, Rodopi, 2006, p. 13-21.
  • Maurice Blanchot, « Le RĂ©cit et le scandale », NNRF, no 43, , p. 148-150 ; Le Livre Ă  venir, Paris, Gallimard, 1959, p. 231-233 ; Après coup, Paris, Éditions de Minuit, 1983, p. 89-91.
  • Marguerite Duras, « Ă€ propos de Georges Bataille », La CiguĂ«, no 1, 1958, p. 32-33 ; Outside, Paris, Gallimard, "Folio", 1995, p. 34-35.
  • Lucette Finas, La Crue. Une lecture de Bataille : “Madame Edwarda”, Paris, Gallimard, 1972.
  • Brian T. Fitch, « Madame Edwarda, l'allĂ©gorie de l'Ă©criture », Monde Ă  l'envers, texte rĂ©versible. La fiction de Georges Bataille, Paris, Minard, 1989, p. 77-88.
  • (en) Cathy MacGregor : « The Eye of the Storm : Female Representation in Bataille's Madame Edwarda and Histoire de l'Ĺ“il », dans The Beast at Heaven's Gate: Georges Bataille and the Art of Transgression, textes rĂ©unis par Andrew Hussey, Amsterdam, New York, Rodopi, 2006, p. 101-110.
  • Gilles MaynĂ©, Pornographie, violence obscène, Ă©rotisme, Paris, Descartes et Cie, 2001.
  • Gilles MaynĂ©, Georges Bataille, l'Ă©rotisme et l'Ă©criture, Paris, Descartes et Cie, 2003, p. 121-153.
  • Marie-Magdeleine Lessana, « De Borel Ă  Blanchot, une joyeuse chance, Georges Bataille », prĂ©sentation de Histoire de l'Ĺ“il et Madame Edwarda (Ă©dition en fac-similĂ© des deux Ă©ditions illustrĂ©es par Fautrier et Bellmer), Paris, Pauvert, 2001.
  • Gilles Philippe, Notice sur le rĂ©cit dans Romans et rĂ©cits, prĂ©face de Denis Hollier, Ă©dition publiĂ©e sous la direction de Jean-François Louette, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la PlĂ©iade », 2004, p. 1115-1138.Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article
  • Michel Surya, Georges Bataille, la mort Ă  l'Ĺ“uvre, Paris, Gallimard, coll.« Tel », , 3e Ă©d., 704 p. (ISBN 978-2-07-013749-7).}Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’articleVoir en particulier le chapitre « Edwarda : les divines guenilles Â», et Ă©galement p. 184, 614, 642, 643.

Notes et références

  1. Cette nouvelle information quant au nom de l'Ă©diteur a Ă©tĂ© apportĂ©e par l'Ă©dition des romans et rĂ©cits dans la PlĂ©iade : « Contrairement Ă  l'hypothèse souvent retenue qui voit en Robert ChattĂ© (ou occasionnellement Jean Legrand) le premier Ă©diteur de Madame Edwarda, il est dĂ©sormais assurĂ© que le rĂ©cit a Ă©tĂ© Ă©ditĂ© par les soins de Robert et Élisabeth Godet », Romans et rĂ©cits, prĂ©face de Denis Hollier, Ă©dition publiĂ©e sous la direction de Jean-François Louette, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la PlĂ©iade », 2004, p. 1127 ; voir Ă©galement Maurice Imbert, « Robert J. Godet, Ă©diteur de Bataille, Michaux et Desnos Â», Histoires littĂ©raires, n° 3, 2000, p. 71-82.
  2. D'après le catalogue Georges Bataille établi par les librairies Jean-François Fourcade et Henri Vignes, Paris, 1996.
  3. À cette époque, il est notoire que l'auteur du récit n'est autre que celui de la nouvelle préface, mais Bataille préfère finalement garder le secret, ou « brouiller les cartes ». Pourtant, quelques mois plus tard, Marguerite Duras (dans « À propos de Georges Bataille », La Ciguë, n° 1, janvier 1958, p. 32-33), Jacques Lacan (« D'une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose », La Psychanalyse, n° 4, mars 1958, p. 50), ou encore Claude Mauriac (L'Allitérature contemporaine, Albin Michel, janvier 1958, p. 103) attribuent ouvertement le récit à Georges Bataille.
  4. Georges Bataille, Madame Edwarda, dans Œuvres complètes, tome III, Paris, Gallimard, 1971, notes, p. 491. Sur l'exemplaire de l'édition originale qu'il adressa à Éluard, Bataille écrivit : « Un livre est plutôt la chose de celui qui l’aime que de celui qui l’écrit...  »
  5. Cahiers Bataille, no 2, Éditions les Cahiers, 2014, p. 147-175.
  6. Élizabeth Prouvost, Edwarda, 33 photographies, Jean-Pierre Faur éditeur, 1995 ; L’Autre Edwarda, poème de Claude Louis-Combet, photographies d'Élizabeth Prouvost, livre d’artiste, éditions de La Sétérée, 2012.
  7. Georges Bataille, Œuvres complètes, tome III, Préface, p. 12.
  8. Madame Edwarda, dans Romans et récits, p. 330-331.
  9. Michel Surya, Georges Bataille, la mort Ă  l'Ĺ“uvre, Paris, Gallimard, coll. « Tel Â», 2012, p. 352 et 355.
  10. Madame Edwarda, dans Romans et récits, p. 339.
  11. Philippe Sollers, « De grandes irrĂ©gularitĂ©s de langage Â», Critique, no 195-196, aoĂ»t-septembre 1963, p. 799.
  12. Maurice Blanchot, La Communauté inavouable, Paris, Éditions de Minuit, 1983, p. 87.
  13. Madame Edwarda, dans Romans et récits, p. 336.
  14. La Ciguë, Georges Bataille, no 1, 1958, p. 35.
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