AccueilđŸ‡«đŸ‡·Chercher

Bön

Le terme bön (prononcer beun, tibĂ©tain : àœ–àœŒàœ“àŒ‹, Wylie : bon, dialecte de Lhassa API : pÊ°ĂžÌƒÌ€), dĂ©signe trois traditions religieuses tibĂ©taines distinctes, selon le tibĂ©tologue norvĂ©gien Per KvĂŠrne :

  • tout d'abord une religion tibĂ©taine prĂ©existant au bouddhisme et qui est supplantĂ©e par celui-ci aux VIIIe et IXe siĂšcles, lors de l'expansion de l'Empire tibĂ©tain fondĂ© par Songtsen Gampo, sous l'influence du NĂ©pal et de la Chine ayant le bouddhisme comme foi dominante. L'interdiction du bouddhisme par le dernier empereur, Langdarma (803 – 842) mĂšne au retour au bön comme religion d'État. Il sera assassinĂ© par un moine bouddhiste, ce qui marquera la fin de l'Empire ;
  • ensuite une religion syncrĂ©tique qui apparaĂźt au Tibet aux Xe et XIe siĂšcles, lors de l'Ère de la fragmentation, pendant laquelle diffĂ©rents seigneurs de la guerre se livrĂšrent bataille pour le contrĂŽle du territoire[1], Ă©poque oĂč le bouddhisme se propagea de nouveau Ă  partir de l'Inde pour devenir la foi dominante ;
  • enfin, le vaste corpus de croyances populaires, souvent mal dĂ©finies, dont la divination, qui ne sont pas d'origine bouddhique et sont communes aux adeptes du bön ou bönpos et aux bouddhistes[2].
Détail de la roue de la vie dans la tradition bön
MonastÚre bön de Khyungpori Tsedruk au Nord du Tibet
Pierre de mani-bön avec le mantra om ma tri mu ye sa le du

Jusqu'Ă  aujourd’hui le bön continue d'exister comme religion minoritaire.

L'opinion populaire occidentale, notamment dans les milieux de nouveaux convertis au bouddhisme tibĂ©tain — opinion qui n'est ni celle des religieux bönpos, ni celle des spĂ©cialistes universitaires du Tibet, mais qui est plus ou moins celle des lamas bouddhistes ignorant tout de la question — peut se rĂ©sumer ainsi. C'est de l’ensemble des pratiques mal documentĂ©es[n 1], constituant le premier bön (shes pa bcu gnyis), que se serait dĂ©gagĂ©e au XIe siĂšcle une religion structurĂ©e, le Bön Ă©ternel (yung drung bon), prĂ©sentant des similitudes avec le bouddhisme tibĂ©tain (particuliĂšrement Nyingmapa), qui a lui-mĂȘme beaucoup empruntĂ© au fond religieux local. En fait, rien, Ă  l'examen des documents anciens, ne permet d'Ă©tablir la moindre continuitĂ©, sinon dans l'emprunt de quelques termes, entre les cultes prĂ©-bouddhiques et le yundrung bön. Il serait prĂ©fĂ©rable d'abandonner complĂštement l'usage du terme « bön » Ă  propos de la religion prĂ©-bouddhique tibĂ©taine : ce terme ne figure pas en ce sens dans les manuscrits les plus anciens, oĂč « bönpo » n'est que le nom d'une certaine catĂ©gorie (parmi d'autres) de prĂȘtres de la religion royale, qui n'a pas vraiment de dĂ©nomination. Les pratiquants du yungdrung bön soutiennent pour leur part que son apparition dans le royaume occidental de Zhang Zhung prĂ©cĂšde celle du lamaĂŻsme au Tibet.

Il n'est peut-ĂȘtre pas trĂšs judicieux non plus d'appeler bön, ou d'associer au bön, les pratiques de la religion populaire tibĂ©taine, communes aux laĂŻcs des deux religions (bouddhisme et bön) et que personne au Tibet ne songe Ă  baptiser de ce nom.

À partir du XIVe siĂšcle, la branche dite nouveau bön (bon gsar) a poursuivi, Ă  la faveur de rĂ©vĂ©lations continuelles, l'Ă©volution de cette religion vers des formes qui paraissent de plus en plus proche de celle du bouddhisme nyingmapa — tout en prĂ©servant fidĂšlement le corpus canonique commun Ă  toute cette religion, entiĂšrement distinct du canon bouddhique, malgrĂ© le nom commun de bKa’ ’gyur.

DominĂ© pendant plusieurs siĂšcles par le lamaĂŻsme et parfois mĂȘme persĂ©cutĂ©, le Bön est un peu mieux connu internationalement depuis l’implantation hors du Tibet de communautĂ©s monastiques ayant fui l’invasion chinoise. Ses textes et traditions font l’objet de nombreuses recherches. Il a Ă©tĂ© reconnu comme cinquiĂšme tradition religieuse tibĂ©taine par le 14e dalaĂŻ-lama.

Origines

L’origine et la nature exactes des traditions du premier bön, au nombre de douze selon l’opinion commune, n’ont pas encore Ă©tĂ© Ă©tablies. On pense nĂ©anmoins en retrouver des traces dans les Ă©crits bönpo et certaines pratiques et croyances : oracles lhapa ou sungma (srung ma) rĂ©sidant dans les temples, rituels la-guk (bla ’gug) de rappel de l’ñme, Ă©tats altĂ©rĂ©s de conscience et guidage durant le bardo, pĂ©riode qui s’étend de la mort Ă  la renaissance. Certains se penchent Ă©galement sur ce qui est improprement appelĂ© le « chamanisme » contemporain chez les TibĂ©tains et les peuples voisins : mais il est clair qu'il n'y a pas grand-chose Ă  espĂ©rer d'une mĂ©thode qui confond ce qui est populaire avec ce qui est archaĂŻque et qui prĂ©suppose en outre une continuitĂ©, que rien ne garantit, entre les pratiques tibĂ©taines prĂ©-bouddhiques, quelles qu'elles aient pu ĂȘtre, et la religion Bön telle que nous la connaissons aujourd’hui.

En ce qui concerne le yungdrung bön, forme proche du bouddhisme tantrique apparue au XIe siĂšcle, une lĂ©gende dĂ©taillĂ©e relate sa transmission Ă  partir du maĂźtre (sTon pa) originel, Tonpa Shenrab Miwoche (en) (sTon-pa gShen rab mi bo che), qui aurait reçu l’enseignement parfait du dzogchen directement du bouddha primordial Kuntu Zangpo (Samantabhadra). Ses pratiquants croient qu’il fut rĂ©vĂ©lĂ© plusieurs milliers d’annĂ©es avant l'apparition du bouddhisme, et qu'il se dĂ©veloppa tout d’abord au royaume de Zhang Zhung dans l’ouest de l’actuel Tibet.

Cette datation n’est pas retenue par les historiens, mais le Tazig (rtag gigs), le pays oĂč Tonpa Shenrab aurait Ă©tĂ© un prince Ă©veillĂ© comme le Bouddha, est parfois identifiĂ© Ă  la Perse. Certains proposent donc que le bouddhisme serait tout d’abord parvenu au Tibet occidental indĂ©pendamment de Padmasambhava et des influences indienne et chinoise qui s'exerceront Ă  partir du VIIe siĂšcle.

Fondateur du yungdrung bön

Yungdrung Chagshing

Dans les temps anciens vivaient trois frĂšres, Dagpa, Selwa et Shepa, qui Ă©tudiaient les doctrines bön dans un paradis nommĂ© sipa yesang, sous l’égide du sage Bumtri Logi Chechen. Ils lui demandĂšrent comment aider le monde vivant, submergĂ© par la misĂšre, le chagrin et la souffrance ; il leur conseilla de devenir guides de l’humanitĂ© durant trois Ăšres successives. Ainsi, le plus vieux des frĂšres, Dagpa, acheva sa tĂąche dans le monde du passĂ© ; le second, Selwa, prit pour nom Shenrab et devint maĂźtre et guide du monde prĂ©sent ; le plus jeune, Shepa, viendra dans le prochain Ăąge.

Tonpa Shenrab descendit il y a 18 000 ans du ciel sidpa yesang (srid-pa ye-sangs) sous la forme d’un oiseau au plumage multicolore et s’incarna dans un prince nĂ© dans le palais Barpo Sogye, au sud du mont Yungdrung Gutseg. MariĂ© jeune et pĂšre de famille, Tonpa Shenrab renonça au monde Ă  31 ans pour vivre dans l’austĂ©ritĂ© et enseigner la doctrine. Durant la majeure partie de sa vie, ses efforts pour propager le bön furent entravĂ©s par le dĂ©mon Khyabpa Lagring, qu’il finit par convertir. C'est en le poursuivant pour rĂ©cupĂ©rer ses chevaux volĂ©s que Tonpa Shenrab arriva au Tibet oĂč ce fut sa seule visite. Il y laissa des instructions rituelles, mais jugea que le pays n’était pas encore prĂȘt Ă  recevoir tous les enseignements. Avant de partir, il prophĂ©tisa qu'ils apparaĂźtraient lorsque le Tibet serait mĂ»r. Il mourut Ă  82 ans.

Olmo Lungring comme origine spirituelle

Le bönpo soutient qu’il a pour origine la rĂ©gion mythique de l’Olmo Lungring, partie du Tazig ; situĂ©e Ă  l’ouest du Tibet, elle couvre un tiers du monde existant. « ol » symbolise ce qui n’est pas encore nĂ©, « mo » ce qui ne peut ĂȘtre diminuĂ©, « lung » le pays prophĂ©tique de Tonpa Shenrab, et « ring » la derniĂšre compassion. Sa reprĂ©sentation est un lotus Ă  huit pĂ©tales dans un ciel symbolisĂ© par une roue Ă  huit rayons. Au centre se dresse le mont Yungdrung Gutseg (pyramide des neuf svastikas). Yungdrung (Ă©ternel) dĂ©signe le svastika, symbole de la permanence et de l’indestructibilitĂ©. Les neuf svastikas empilĂ©s reprĂ©sentent les neuf voies du bön.

À la base du mont Yungdrung Gutseg jaillissent quatre riviĂšres coulant dans les quatre directions. La montagne est entourĂ©e de temples, villes et parcs. Au sud se trouve le palais Barpo Sogye, oĂč Tonpa Shenrab est nĂ©. À l’ouest et au nord se trouvent les palais oĂč vivent ses femmes et ses enfants, Ă  l’est un temple nommĂ© Shampo Lhatse, rĂ©servĂ© Ă  la priĂšre. L’ensemble des palais, riviĂšres et parcs autour du mont constitue la rĂ©gion intĂ©rieure (Nangling). La rĂ©gion intermĂ©diaire (Barling) est constituĂ©e de 12 citĂ©s dont 4 sont situĂ©es aux points cardinaux. La troisiĂšme rĂ©gion constitue le pays extĂ©rieur (Taling). Ces trois rĂ©gions sont encerclĂ©es par un ocĂ©an, puis par des montagnes enneigĂ©es. Avant sa visite au Tibet, Tonpa Shenrab tira une flĂšche et crĂ©a ainsi un passage Ă  travers les montagnes ; l’accĂšs Ă  l’Olmo Lungring se fait donc par le chemin dit de la flĂšche (Delam).

L’Olmo Lungring a Ă©tĂ© identifiĂ© Ă  diffĂ©rentes rĂ©gions selon les Ă©coles. Certains y voient le mont Kailash (Ti Se) avec les quatre grandes riviĂšres qui naissent de sa base et les quatre rĂ©gions qui l'entourent : la Chine Ă  l’est, l’Inde au sud, l’Orgyan Ă  l’ouest et le Hotan au nord. D’autres pensent que sa gĂ©ographie Ă©voque celle du Moyen-Orient et de la Perse Ă  l’époque de Cyrus le Grand. Pour un croyant bönpo, la question de l’identification gĂ©ographique passe aprĂšs sa signification symbolique, qui est clairement prĂ©valente, comme pour le mont Meru.

Textes sacrés

Page du Bardo Thodröl (la libération par l'écoute [dans l'état post-mortem])

On attribue trois Ă©crits Ă  Tonpa Shenrab. Le premier et le plus court est le Dodus (ModĂšle de l’Aphorisme), le second le Zermig (Les Yeux PercĂ©s) ; ils datent respectivement des Xe et XIe siĂšcles. Le troisiĂšme et plus important est le Zhiji (Le Glorieux), rĂ©vĂ©lĂ© par transmission spirituelle Ă  Loden Nyingpo au XIVe siĂšcle. Les doctrines de ces trois textes forment deux systĂšmes. Le premier, appelĂ©e Gozhi Dzonga, comprend cinq parties, les quatre portes et le trĂ©sor :

  • Chabkar « les eaux blanches » : contient les pratiques Ă©sotĂ©riques ou plus hautement tantriques.
  • Chabnag « les eaux noires » : rĂ©cits et rites variĂ©s, magie et rituels ordinaires (mort, funĂ©railles, maladie et offrandes) ; cette portion conserve beaucoup de traces du chamanisme ancien.
  • Pangul « le pays de Pan » : explique les rĂšgles monastiques et prĂ©sente les concepts philosophiques.
  • Ponse « le guide de la seigneurie » : contient les pratiques de la grande perfection (dzogchen), summum de l’enseignement dans le Nyingmapa Ă©galement.
  • Totog « le trĂ©sor » : compare les aspects essentiels des quatre portes.

Le second ensemble est appelé tegpa rimgui bon, (bön des neuf étapes successives) ou simplement les neuf voies du bön, groupées en quatre causes (gyuyi tegpa) et quatre résultats (drabui tegpa) suivis de la grande perfection (dzogchen). Cette division rappelle les neuf véhicules du nyingmapa. Les quatre premiÚres voies présentent le plus de différence avec le bouddhisme ; de nombreuses pratiques anciennes y sont préservées :

  1. La voie du shen de la prĂ©diction (chasen tegpa) dĂ©crit quatre voies diffĂ©rentes : prĂ©diction-sortilĂšge (mo), astrologie (tsi), rituels (to) et l’examen des causes (che).
  2. La voie du shen du monde visuel (nang shen tegpa) explique l’origine et la nature des dieux et des dĂ©mons vivant dans ce monde, les mĂ©thodes d’exorcisme et les diffĂ©rentes sortes d’offrandes.
  3. La voie du shen de l’illusion (trulshen tegpa) contient les rites pour se dĂ©barrasser des pouvoirs adverses.
  4. La voie du shen de l’existence (sishen tegpa) dĂ©crit l’état aprĂšs la mort (bardo) et la mĂ©thode pour guider les vivants vers la libĂ©ration finale ou une meilleure rĂ©incarnation.

Les cinq suivantes sont trĂšs similaires Ă  celles du nyingmapa :

  1. La voie des partisans Vertueux (genyen tegpa) guide ceux qui suivent les dix vertus et les dix perfections.
  2. La voie monacale (drangsgon tegpa) décrit les lois de la discipline monastique.
  3. La voie du son pur (akar tegpa) expose les hautes pratiques tantriques, la théorie de la réalisation au travers des cercles mystiques (mandalas) et les rituels de ces pratiques.
  4. La voie du shen vierge (yeshen yegpa) insiste sur la nĂ©cessitĂ© d’un bon maĂźtre, lieu et occasion pour les pratiques tantriques, et dĂ©crit en dĂ©tail la position des cercles mystiques avec des instructions pour la mĂ©ditation sur des dĂ©itĂ©s particuliĂšres.
  5. La voie suprĂȘme (lama legpa) : le plus haut accomplissement de la grande perfection (dzogchen).

Pratiques et panthéon

Pratiques

Le bön a une forte tradition monastique ; il existe nĂ©anmoins, comme chez les nyingmapa, un clergĂ© mariĂ© vivant au sein de la population. AppelĂ©s ngakpas, ils reçoivent un enseignement religieux assez similaire Ă  celui des moines et se consacrent plus particuliĂšrement aux services rituels (naissances, mariages, dĂ©cĂšs, exorcismes, guĂ©risons etc.), s’appuyant pour les guĂ©risons et exorcismes sur le pouvoir des tantras et les techniques de mĂ©ditation, et non la transe proprement dite comme les chamans (pawo ou lhapa). Les moines Ă©tudient Ă©galement l’astrologie et la mĂ©decine traditionnelle tibĂ©taine.

Comme dans les autres courants des religions tibĂ©taines, les mĂ©ditations bön s’aident de yidams, divinitĂ©s guides, et de leurs thangkas ou mandalas, ainsi que des sadhanas (sgrub thabs), textes en vers ou prose en dĂ©crivant les Ă©tapes. Parmi les Ă©coles de mĂ©ditation, deux sont plus spĂ©cifiques Ă  la religion bön :

  • Dzogchen (voie de la perfection), employĂ©e aussi chez les Nyingmapas ; il en existe quatre versions, la plus ancienne et importante Ă©tant la Tradition orale de Zhang Zhung (Zhang zhung snyan rgyud) couchĂ©e par Ă©crit au VIIIe siĂšcle par Gyerpung Nangzher Löpo, disciple de Tapihritsa.
  • Chod (coupure) vise Ă  trancher les liens avec l’égo. La pratique consistait autrefois Ă  se placer dans un environnement terrorisant pour effectuer la coupure sous l’effet de la peur. C’est aussi le nom d’une offrande symbolique du corps en nourriture aux ĂȘtres illuminĂ©s rĂ©alisĂ©e dans le mĂȘme but. Dans la religion populaire, le chod est une pratique par laquelle le chaman absorbe les influences nĂ©fastes dans son corps de transe qu’il laisse ensuite dĂ©vorer par les dĂ©mons.

Comme dans le nyingmapa, un certain nombre de textes sacrĂ©s bönpo sont des terma, trĂ©sors spirituels dissimulĂ©s par d’anciens maĂźtres et redĂ©couverts par les termons qui sont souvent des ngakpas ; ils sont alors considĂ©rĂ©s comme la rĂ©incarnation d’un des disciples du maĂźtre Ă  qui est attribuĂ© le texte. À cĂŽtĂ© des dĂ©couvertes matĂ©rielles (sa-gter), il existe des Ă©crits reconstituĂ©s par vision (dag-snang), audition (snyan-rgyud), ou inspiration (dgongs-gter).

Panthéon

Comme toutes les branches de la religion tibĂ©taine, le bön dispose d’un panthĂ©on impressionnant. Chaque cycle rituel a son ensemble de dĂ©itĂ©s, toutes thĂ©oriquement Ă©manations de l'unique tathagarbha. Elles sont classĂ©es selon deux principes.

L’un, plus spĂ©cifique au bön, distingue entre les divinitĂ©s « illuminĂ©es » et les « non-illuminĂ©es » ou dĂ©itĂ©s mondaines. L’autre classification distingue les formes divines paisibles (zhi-ba), courroucĂ©es (khro-bo) et fĂ©roces (phur-pa). D'autre part, lors des rituels "pratiques" (mariages, guĂ©risons etc.), les ngakpa peuvent aussi faire appel aux trois mondes (ciel lha, terre nyen, eaux souterraines lu) possĂ©dant chacun leurs divinitĂ©s.

Les bouddhas sont bien sĂ»r prĂ©sents, apparaissant parfois en groupe de mille. Comme toutes les branches du bouddhisme, le bön reconnait l’existence des bouddhas des trois Ăąges (passĂ©, prĂ©sent, futur). Il existe Ă©galement une multitude de divinitĂ©s mineures, dieux de la nature, dĂ©mons, etc.

Les quatre dĂ©itĂ©s paisibles principales, ou quatre ĂȘtres transcendants, sont :

  • Kuntu Zangpo (Kun-tu bzang-po –Samantabhadra), bouddha primordial ; il est bonku (bon-sku), Ă©quivalent du dharmakāya ;
  • Shenlha Odkar (gShen-lha 'od- dkar), "lumiĂšre blanche des prĂȘtres" ; il est zogku (rdzogs-sku), Ă©quivalent du sambhogakāya et rĂšgne sur les trois mondes ;.
  • Tönpa Shenrab est tulku (sprul-sku) ou tonpa, "professeur", Ă©quivalent au nirmāáč‡akāya ; il est maĂźtre de notre Ăąge ;
  • Satrig Ersang (Sa-trig er-sangs), encore appelĂ©e Jamma (Byams-ma), "mĂšre aimante", forme fĂ©minine ;

Les principales déités gardiennes (bKa-skyong) sont :

  • Sipa Gyalmo (Srid-pa'i Gyal-mo), gardienne des enseignements bönpo ;
  • MidĂŒ ou Midud Jampa Trago (Mi-bdud 'byams-pa khrag-mgo), gardien du monastĂšre de Menri ;
  • Tsengö Hurpa (bTsan-rgod hur-pa) ;

Histoire

MonastÚre bön de Narshi Gonpa à Ngawa, Sichuan.

Propagation au Zhang Zhung et au Tibet

Selon la tradition, les premiÚres écritures bön furent apportées au Zhang Zhung par six disciples de Mucho Demdrung, successeur de Tönpa Shenrab. Elles furent traduites en langue locale, puis en tibétain, langue dans laquelle est rédigé le canon bön tel que nous le connaissons actuellement.

Jusqu’au viie siĂšcle, Zhang Zhung fut un vaste empire situĂ© Ă  l’ouest des provinces Ü etiTsang du Tibet, s’étendant, semble-t-il, depuis Gilgit Ă  l’ouest au lac Namtso Ă  l’est, et d’Hotan au nord au Mustang au sud. Sa capitale Ă©tait Khyunglung Ngulkhar (Palais d’Argent de la vallĂ©e Garuda) ; on pense en avoir dĂ©couvert les ruines dans la haute vallĂ©e Sutlej, au sud-ouest du Mont Kailash (Himachal Pradesh). La langue Zhang Zhung est classĂ©e dans le groupe tibĂ©to-birman des langues sino-tibĂ©taines. La Culture de Zhang Zhung Ă©tait Ă©tablie parmi de trĂšs nombreuses tribus rĂ©parties du plateau himalayen aux steppes d’Asie centrale, confĂ©dĂ©ration dont le Tibet faisait partie.

Au VIIIe siĂšcle, le dernier empereur du Zhang Zhung, Ligmincha, fut assassinĂ© par le roi du Tibet Trisong Detsen. Le Zhang Zhung fut envahi, pĂ©riclita et finit par disparaĂźtre en tant qu’entitĂ© politique indĂ©pendante, mais sa culture philosophique et religieuse continua d’imprĂ©gner celle du Tibet. Certains imputent la chute de l’empire Zhang Zhung aux menĂ©es du Roi du Tibet Songtsen Gampo (605 ou 617–649) plutĂŽt qu’à celles de Trisong Detsen ([r. 755 Ă  797 ou 804]. C’est par exemple le cas des annales Tang, mais ce n’est pas ce que soutiennent les chroniques bön.

Selon les historiens du bön, le Zhang Zhung Ă©tait en rĂ©alitĂ© l’empire suzerain du royaume du Tibet, mais cette situation fut abolie aprĂšs l’assassinat de son empereur, Ligmincha — et Ă  la suite des invasions, des persĂ©cutions et du dĂ©clin qui s’ensuivirent. Du reste, la religion bön Ă©tait rĂ©pandue dans tout le Tibet, en tant que religion d’état et vernaculaire, jusqu’à l’introduction du bouddhisme indien. Trisong Detsen avait pourtant Ă©tĂ© un adepte bönpo fidĂšle jusqu’à ce qu’il commandite, sous l’influence de ministres dĂ©sireux de renverser l’ordre maintenu jusque lĂ  au sein de la culture tibĂ©taine par les prĂȘtres Shen, l’assassinat de son suzerain. S’il permit un temps que l’on s’en prenne Ă  la religion bön, il finit par l’interdire et contribuer Ă  en prĂ©server les traces, ainsi que l’y invita son amie de longue date, la dakini Chöza Bönmo, grande adepte rĂ©alisĂ©e du dzogchen — et ainsi qu’il y fut par ailleurs — dit-on — contraint par le puissant Nangzher Löpo, grand mage et disciple de Tapihritsa.

À vrai dire, les liens entre les diffĂ©rents protagonistes de cette histoire du VIIIe siĂšcle de notre Ăšre Ă©taient multiples et profonds. Il est par exemple connu que le grand lama Drenpa Namkha transmit le Ngedön Namkha TrĂŒldzö et le Yetri Thasel — importants cycles bön du Dzogchen — Ă  Chöza Bönmo, au grand traducteur Vairocana et Ă  Trisong Detsen — coreligionnaires bönpos.

Le maĂźtre Tapihrista, le roi Trisong Detsen, l’empereur Ligmincha, le grand Nangzher Löpo, Vairocana le traducteur, Dame Chöza Bönmo et ses consorts et maĂźtres spirituels : les fameux Gyerpung Drenpa Namkha et Gyerpung Lishu Takring Ă©taient contemporains les uns des autres et se connaissaient sans doute fort bien.

Suivant l’intĂ©rĂȘt croissant pour le bouddhisme, marquĂ© par la crĂ©ation du monastĂšre de Samye en 779 et son Ă©tablissement comme religion d’État Ă  la fin du viiie siĂšcle, le bön fit l’objet de persĂ©cutions et de tentatives d’éradication, pour des raisons plus souvent politiques que religieuses. NĂ©anmoins, ses adhĂ©rents, aussi bien dans la noblesse que dans le peuple, s’accrochĂšrent Ă  leurs convictions et il survĂ©cut, aidĂ© probablement par une crise de la royautĂ© tibĂ©taine en 842. Elle lui permit sans doute de se revigorer dans les rĂ©gions excentrĂ©es oĂč avaient fui au VIIIe siĂšcle, pĂ©riode particuliĂšrement difficile, beaucoup de bönpos et seconde persĂ©cution de la religion bön [la premiĂšre ayant eu lieu sous le rĂšgne du 8e roi du Tibet Drigum Tsenpo en - 683]. Ils auraient auparavant cachĂ© leurs Ă©critures afin de les conserver pour les gĂ©nĂ©rations futures. Drenpa Namkha, l’une des plus grandes personnalitĂ©s bönpo de cette Ă©poque, se convertit au bouddhisme dans le but de prĂ©server et de transmettre en secret les enseignements au risque de sa vie ; il devint donc — pour la bonne cause — disciple de Padmasambhava ; cependant que Lishu Takring choisit l’exil plutĂŽt que de se convertir. De nombreuses lignĂ©es familiales ou monastiques des quatre Ă©coles du bouddhisme tibĂ©tain conservent des liens anciens avec l’antique tradition bön ; et les lignĂ©es de transmission dites terma se cĂŽtoient de trĂšs prĂšs, Ă  Samye, au Tibet ou Ă  Paro Taktsang, au Bouthan, par exemple, lieux emblĂ©matiques pour les deux religions.

Du XIe siĂšcle Ă  nos jours

Fondateur du monastĂšre bön Triten NorbutsĂ© (NĂ©pal) et de Shenten Dargye Ling (France), grand Ă©rudit et maĂźtre dzogchen – Yongdzin Lopön Tenzin Namdak Rinpoche

Du VIIIe au XIe siĂšcle, nous ne savons quasiment rien du dĂ©veloppement du bön. Sa renaissance sous forme monastique commença aprĂšs la seconde transmission du bouddhisme tantrique au Tibet suivant la venue du moine bengali Atisha et d'un disciple de Naropa. Des textes bönpo importants apparurent, « dĂ©couverts » par Shenchen Luga (969-1035) en 1017, selon une tradition partagĂ©e par le nyingmapa qui veut que les textes sacrĂ©s soient des redĂ©couvertes d'Ă©crits cachĂ©s par des sages anciens. Shenchen Luga Ă©tait un descendant de Tonpa Shenrab, et sa famille est encore importante aujourd’hui au Tibet. Il eut un grand succĂšs et confia la continuation des trois diffĂ©rentes traditions Ă  trois de ses disciples. Le bön rĂ©Ă©mergea en systĂšme religieux fortement structurĂ©.

Les trois disciples de Shenchen Luga :

  • Au premier, Druchen Namkha Yungdrung, du clan Dru originaire de Drusha (Gilgit) au Tibet, fut confiĂ© l’enseignement de la cosmologie (Dzopu) et de la mĂ©taphysique (Gapa). Un de ses disciples fonda en 1072 le monastĂšre de Yeru Wensaka, qui devint un grand centre d’apprentissage jusqu’en 1386 oĂč il fut gravement endommagĂ© par une inondation, puis abandonnĂ©. Par la suite, sa famille continua de soutenir le bön jusqu’au dix-neuviĂšme siĂšcle, lorsque la rĂ©incarnation du Panchen-lama fut dĂ©couverte pour la deuxiĂšme fois parmi ses membres (second Panchen Lama, nĂ© en 1663, et cinquiĂšme, nĂ© en 1854).
  • Le second, Zhuye Legpo, fut chargĂ© de conserver les pratiques et enseignements du Dzogchen. Il fonda le monastĂšre de Kyikhar Rizhing. Les descendants actuels de la famille Zhu vivent en Inde.
  • Le troisiĂšme, Paton Palchog, prit la responsabilitĂ© des enseignements tantriques. Les membres de la famille Pa migrĂšrent du Tsang au Kham oĂč ils vivent aujourd’hui.

Par ailleurs, Menkhepa Palchen (nĂ© en 1052) du clan Meu fonda le monastĂšre Zangry, qui devint aussi un centre d’études philosophiques. Ainsi, du XIe au XIVe siĂšcle, la religion bön possĂ©dait quatre importants centres d’étude, tous dans la province de Tsang.

Malgré la rivalité avec les lignées bouddhiques, les contacts demeuraient ; un département était réservé aux moines bön dans les monastÚres gelugpa et sakyapa.

Au XIVe siĂšcle apparut la branche du nouveau bön, presque identique au lamaĂŻsme Ă  quelques spĂ©cificitĂ©s prĂšs, comme la dĂ©ambulation autour des chortens qui se fait dans le sens trigonomĂ©trique. Bien implantĂ©e dans les rĂ©gions orientales d’Amdo et de Kham, elle prĂ©sente certaines diffĂ©rences avec la branche originelle yungdrung bön, mais ses abbĂ©s reconnaissent comme tous les bönpo la primautĂ© du monastĂšre de Menri, fondĂ© en 1405 par le grand maĂźtre Nyamme Serab Gyaltsen (1356-1415), dialecticien disciple du lama RongtĂŽn.

Au XIXe siĂšcle, les contacts avec le bouddhisme se poursuivirent avec la participation de Shardza Tashi Gyaltsen (1859-1935) au mouvement RimĂ© et l’adoption de terma (textes sacrĂ©s « redĂ©couverts ») bönpo par Jamgon Kongtrul dans sa collection du rinchen gter-nidzod.

Le monastĂšre de Yungdrung Ling fut fondĂ© en 1834, suivi de prĂšs par celui de Kharna, tous deux sous la tutelle de Menri. Sous leur inspiration, beaucoup d’autres furent Ă©tablis dans tout le pays (exceptĂ© la rĂ©gion centrale de Ü, partie du Ü-Tsang historique), spĂ©cialement au Kyungpo, Kham, Amdo, Gyarong et Hor. Au dĂ©but du vingtiĂšme siĂšcle il y avait 330 monastĂšres bön au Tibet. Les deux principaux, Menri et Yungdrung Ling, furent dĂ©truits aprĂšs 1959. Il y aurait aujourd’hui 264 Ă©tablissements (monastĂšres, nonneries et ermitages). Les recensements effectuĂ©s par l’administration chinoise indiquent 10 % de pratiquants du bön chez les TibĂ©tains.

Le chef spirituel actuel est Menri Trizin RinpochĂ©, successeur de Lungtok Tenpai Nyima (1929-2017), 34e abbĂ© de Menri , rebĂąti Ă  Dolanji dans l’Himachal Pradesh, sur le territoire supposĂ© de l’ancien royaume de Zhang Zhung. En 2014, le bön a Ă©tĂ© reconnu comme cinquiĂšme tradition religieuse tibĂ©taine par le 14e DalaĂŻ lama[3].

En Europe, il existe un centre spirituel au chĂąteau de la Modtais Ă  Blou en Maine-et-Loire[4].

Notes et références

Notes

  1. « Originellement à base de chamanisme, ayant des traits communs avec le chamanisme sibérien », selon Jean Chevalier (dir.), Les religions : Origine et actualité : les croyants, les dieux, les doctrines, les hérésies, les Eglises, etc., Retz, (lire en ligne).

Références

  1. van Schaik et Galambos 2011, p. 4.
  2. Tibétains, 1959-1999, quarante ans de colonisation, Ouvrage collectif dirigé par Katia Buffetrille et Charles Ramble avec Robert Barnett, Georges Dreyfus, Samten G. Karmay, Per KvÊrne et Jigmé NamgyÚl; pages 58 à 63, Le bön, l'autre religion par Per KvÊrne. Ed Autrement, coll. Monde 1998 (ISBN 286260822X).
  3. (en) « Dalai Lama Recognizes the Bön », sur dorjeshugden.com, (consulté le )
  4. « Blou. 10 ans de spiritualité tibétaine au chùteau de la Modtais » AccÚs limité, sur Courrier de l'Ouest,

Voir aussi

Bibliographie

  • Jean-Luc Achard, Le docte et glorieux roi, Les Deux OcĂ©ans 15/09/2001 (ISBN 2-86681-106-2)
  • Shardza Tashi Gyaltsen - Lopon Tenzin Namdak (traducteur), Les sphĂšres du cƓur Kun Tu Bzangpo' Snying Tig – Enseignement Dzogchen de la tradition Bön, Les Deux OcĂ©ans 01/04/1999 (ISBN 2-86681-076-7)
  • Anne-Marie Blondeau, « Religions du Tibet », in Histoire des religions, t. III EncyclopĂ©die de la PlĂ©iade, Gallimard, 1976, notamment p. 234-247 sur la religion prĂ©-bouddhique, puis p. 304-316 sur le Bön Ă  proprement parler.
  • (en) Sam van Schaik et Imre Galambos, Manuscripts and Travellers : The Sino-Tibetan Documents of a Tenth-Century Buddhist Pilgrim, Walter de Gruyter, , 254 p. (ISBN 978-3-11-022565-5, prĂ©sentation en ligne)
  • Vitali Roberto, Dondup Lhagyal, Phuntso Tsering Sharyul, Tsering Tar, Charles Ramble et Marietta Kind, « A Survey of Bonpo Monuments and Temples in Tibet and the Himalaya. », Arts asiatiques, t. 59,‎ , p. 178-179 (lire en ligne)

Articles connexes

Liens externes

Cet article est issu de wikipedia. Text licence: CC BY-SA 4.0, Des conditions supplĂ©mentaires peuvent s’appliquer aux fichiers multimĂ©dias.