Grande Roumanie historique
La Grande Roumanie (România Mare) est le nom informel donné au territoire du royaume de Roumanie dans les années séparant la Première Guerre mondiale et la Seconde Guerre mondiale.
(ro) România Mare
1918–1940
Devise | en latin : Nihil sine Deo (« Rien sans Dieu ») |
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Hymne | Trăiască Regele |
1913 | annexion de la Dobroudja du Sud |
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1918 | union au Vieux Royaume de la Bessarabie, de la Bucovine, de la Transylvanie, du Maramureș, de la Crișana et du Banat |
1920 | ratification des traités reconnaissant ces rattachements |
1940 | démembrement au profit de l'URSS, de la Hongrie et de la Bulgarie. |
Définitions
Le territoire de 295 049 km2 de la « Grande Roumanie » est la plus grande extension qu'ait connu le pays durant son histoire, à l'issue d'un processus d'unification politique et territoriale comparable à l'unité allemande ou à l'unité italienne, commencé en 1859 par l'union des principautés danubiennes et achevé le grâce à l'effondrement des Empires austro-hongrois et russe.
La « Grande Roumanie » est, en Roumanie, considérée comme l'aboutissement d'un processus d'émancipation des roumanophones en tant que groupe social et linguistique, numériquement majoritaire sur ce territoire, mais socialement dominé et en grande partie soumis au servage : l'hymne officiel de la Roumanie est Deșteaptă-te, române! (« Éveille-toi, Roumain! »).
En revanche les États voisins, héritiers des Empires austro-hongrois et russe (respectivement la Hongrie et l'URSS) ou bien lésés par l'agrandissement de la Roumanie (Ukraine occidentale, Bulgarie) considèrent comme une « occupation impérialiste » l'extension de l'État roumain sur ses nouveaux territoires, dont ils revendiquèrent la restitution par le biais d'une « révision » des traités de paix des années 1918-1920 (« révisionnisme »).
Connotations actuelles
La Roumanie a perdu des territoires après 1945 et la Roumanie compte 237 499 km2, soit 57 550 km2 de moins que la « Grande Roumanie » : de ce fait, ce terme est aujourd'hui affecté d'une connotation irrédentiste en Roumanie et unioniste en république de Moldavie. À ce titre il est opposé à la connotation « realpolitik » qui admet les frontières actuelles et l'existence de deux États à majorité roumanophone (dont l'un, la Moldavie, a un gouvernement anti-unioniste).
Il est utilisé avec sa connotation irrédentiste par les partis d'extrême droite comme le Parti de la Grande Roumanie (PRM) et la Nouvelle Droite (ND) formés par d'anciens apparatchiks communistes devenus nationalistes.
Les enseignants, les chercheurs, les politiques et plus particulièrement les géographes et les historiens roumains, préfèrent utiliser pour la Roumanie des années 1918-1940 la formule politiquement correcte de « România întregită », donnant en français une expression approximativement équivalente à « Roumanie unitaire » ou « complète » (littéralement întregită signifié « complétée »). La « Roumanie complète » est plus petite que la « Grande Roumanie » car elle n'inclut pas la Dobroudja du Sud (appelée en Roumanie Cadrilater : « Quadrilatère »). Cette région, majoritairement peuplée de Turcs et de Bulgares, n'a pas rejoint la Roumanie de son plein gré et à l'issue d'un vote, comme les autres régions historiques de ce pays (principautés danubiennes, Bessarabie, Bucovine et Transylvanie, à majorité roumaine), mais a été envahie à l'issue d'une campagne militaire voulue en 1913 par l'état-major, contre l'avis du Parlement, au détriment d'un pays jusque-là ami (Roumains et Bulgares avaient lutté ensemble pour leur indépendance lors de la guerre russo-turque de 1877-1878).
Constitution de la « Grande Roumanie »
Le processus débuta par l'union en 1859, sous les auspices du Traité de Paris, des principautés roumaines de Valachie et de Moldavie occidentale (la Moldavie septentrionale ayant été annexée par l'Autriche en 1775 et nommée Bucovine, tandis que l'orientale avait été annexée par la Russie en 1812 et nommée Bessarabie). Cette première union forma ce qu'on a appelé en Roumanie le « Vieux Royaume », bien qu'initialement il se soit agi d'une principauté encore vassale de l'Empire ottoman (1859-1878) puis indépendante (1878) avant d'être érigée en royaume (1881), avec un territoire de 120 732 km2. Celui-ci est augmenté en 1913 (à l'issue de la deuxième guerre balkanique) des 7 412 km2 de la Dobroudja du Sud prise à la Bulgarie.
En Bessarabie la République démocratique moldave (44 422 km2) a proclamé son indépendance vis-à-vis de la Russie le par un vote de son « Soviet du Pays » (Sfatul Țării, à majorité menchévique), puis voté son union à la Roumanie le . La Bucovine vota son union le par un vote de son Conseil provincial. Enfin, en Transylvanie, une Proclamation de l'Union fut votée par les députés des Roumains de Transylvanie, du Maramureș, de la Crișanie et du Banat à Alba Iulia le (aujourd'hui fête nationale). Ainsi, fin 1918, grâce à l'effondrement de l'Empire russe et à la défaite des empires centraux à la fin de la Première Guerre mondiale, le royaume de Roumanie atteint 295 049 km2 : il est alors appelé « Grande Roumanie »[1]. Lors de chacun de ces votes, des voix représentant les minorités s'opposèrent à l'union du territoire concerné avec la Roumanie, mais elles étaient minoritaires.
L'union de la Bucovine et de la Bessarabie avec la Roumanie fut ratifiée à l'occasion de la Conférence de la Paix qui a abouti au traité de Versailles en 1919. Mais l'URSS ne reconnut pas ces traités et revendiqua la Bessarabie durant tout l'entre-deux-guerres. La Bucovine, ancienne terre de la Couronne d'Autriche (Kronland) incluse dans la Cisleithanie, a vu sa décision reconnue par la ratification du traité de Saint-Germain.
L'union de la Transylvanie, du Maramureș, de la Crișanie et du Banat avec le Vieux Royaume fut ratifiée par le traité de Trianon en 1920 qui reconnut la souveraineté de la Roumanie sur ces régions et confirma la frontière entre la nouvelle Hongrie indépendante et la Roumanie, tracée en 1919 par la commission internationale où le géographe français Emmanuel de Martonne joua un rôle essentiel.
Population
Le territoire de la « Grande Roumanie » est aujourd'hui partagé entre la Roumanie (80 %), la Moldavie (11 %), l'Ukraine (6 %) et la Bulgarie (3 %). Il comprend par ordre d'importance (de l'époque) les villes de Bucarest, Chișinău, Constanța, Bălți, Cluj, Iași, Galați, Cernăuți, Sibiu, Timișoara, Brașov, Craiova, Ploiești, Arad, Pitești, Oradea, Tulcea, Bacău, Brăila, Silistra, Cetatea Albă, Suceava, Reni, Balcic…
Sur cet ancien territoire, la population se compose au XXIe siècle (recensements roumains, moldaves et ukrainiens) de Roumains/moldaves roumanophones (70,5 %), Magyars (7,5 %), Russes et Lipovènes (4,3 %), Ukrainiens, Ruthènes et Houtsoules (3,2 %), Roms (2,5 %), Allemands (2,1 %), Bulgares (2 %), Gagaouzes (2 %), Carashovènes, Croates et Serbes (1,6 %), Juifs (1 %), Turcs et Tatars (1 %), Grecs (0,5 %), Slovaques et Tchèques (0,3 %), Polonais (0,2 %), et autres (Arméniens, Albanais, Aroumains... ensemble 1,3 %).
Démantèlement
La « Grande Roumanie » dure presque 22 ans. Le les Alliés garantissent ses frontières, mais le la France s'effondre et la Grande-Bretagne reste seule en lice, en position difficile. Une semaine plus tard l'URSS, alors liée à l'Allemagne nazie par le pacte Hitler-Staline, intime à la Roumanie un ultimatum de 48 heures pour évacuer les territoires de l'ex-République démocratique moldave et la moitié nord de la Bucovine, soit 50 135 km2 peuplés de 3 150 793 personnes (15 % du territoire et 16 % de la population roumaine) que l'Armée rouge envahit et occupe à partir du , l'ambassadeur allemand à Bucarest, Manfred von Killinger, ayant « vivement conseillé » au gouvernement roumain de céder. Deux mois après, le « diktat de Vienne » enjoint à la Roumanie de céder, le , la moitié nord de la Transylvanie à la Hongrie horthyste, soit 43 492 km2 peuplés de 2 603 589 personnes (14 % du territoire et 13 % de la population, dont 40 % sont, dans ce territoire, magyars). Enfin, les accords de Craiova signés le , restituent la Dobroudja du Sud à la Bulgarie, soit 7 412 km2 peuplés de 407 352 personnes (2,5 % du territoire et 2 % de la population)[2]. La Roumanie ne retrouvera jamais son territoire d'avant la Seconde Guerre mondiale, dont l'étendue n'a pu atteindre 295 049 km2 qu'en raison de l'effondrement, initialement imprévisible, de deux empires engagés dans des camps opposés durant la Première Guerre mondiale : l'Autriche-Hongrie et la Russie[3].
Atlas
- Les trois principautés roumaines sous Michel le Brave
- Une carte idéale de la Roumanie longtemps avant son unification (1855).
- En bleu les territoires habités par des Roumains avant l'union territoriale de 1918.
- Idem, en 1856, en violet.
- Les aspirations irrédentistes dans les Balkans en 1912, dont la « Grande Roumanie ».
- Évolution des frontières de la Roumanie depuis 1881 - le Vieux Royaume est en violet, les territoires gagnés par la « Grande Roumanie » en orange (perdus en 1945) et rose (conservés en 1945).
- Le royaume de Roumanie de à juin 1940.
- Les régions historiques de la « Grande Roumanie » en 1918.
- Les 70 départements du royaume de Roumanie en 1939.
- Taux d'alphabétisation en 1930 : les zones les mieux alphabétisées correspondent à celles où les minorités étaient les plus nombreuses ou localement majoritaires ; la Bessarabie, russe jusqu'en 1917, avait le taux d'alphabétisation le plus bas, sauf chez les Allemands (également les mieux alphabétisés dans le Banat et en Transylvanie).
- La Roumanie depuis 1945 avec en vert clair les territoires perdus.
- Évolution des territoires roumains des origines à nos jours.
- La « Roumanie unitaire » (România întregită) souhaitée par le mouvement unioniste actuel.
Références
- Pierre Renouvin, La Crise européenne et la Première Guerre mondiale, p. 532.
- Nicolette Frank, La Roumanie dans l’engrenage, éd. Elsevier-Sequoia, Paris 1977.
- Traian Sandu, Histoire de la Roumanie, éd. Perrin, Paris 2008, p. 265.