Romanisation (histoire)
La romanisation est un concept historique qui dĂ©signe un processus dâacculturation et/ou assimilation par lâadoption de la langue latine et de la culture romaine dans lâaire dâinfluence de l'Empire romain.
L'architecture et l'urbanisme romain, mais aussi lâintĂ©gration Ă lâarmĂ©e romaine ou lâadoption des cultes romains â en particulier les cultes impĂ©riaux â en apparaissent comme les vecteurs. La municipalisation y participe Ă©galement. Lâhistoriographie de la Rome antique a interrogĂ© cette notion pour comprendre quelles pouvaient ĂȘtre sa validitĂ© et sa profondeur selon les rĂ©gions et les milieux sociaux observĂ©s.
Enjeu sémantique
Par confusion avec la romanisation en liturgie, câest-Ă -dire avec la transformation des rites liturgiques de certaines Ă©glises chrĂ©tiennes pour quâils soient plus conformes au rite romain, on a aussi parlĂ© de « romanisation » Ă propos de lâEmpire latin de Constantinople, Ătat fondĂ© sur le territoire de lâEmpire byzantin Ă la suite de la quatriĂšme croisade et de la chute de Constantinople aux mains des « Latins ». Mais lâemploi de ce terme dans ce contexte est impropre pour deux raisons :
- la langue latine nâest pas sortie des chancelleries de lâĂtat « latin » de Constantinople et des autres Ătats dits « latins » dâOrient et ne sâest pas Ă©tendue aux populations soumises ;
- Ă cette Ă©poque et politiquement, lâ« Empire romain », identifiĂ© et perçu comme tel par tous (mĂȘme si sa langue usuelle Ă©tait le grec) Ă©tait bien celui que lâOccident nomme « byzantin » depuis 1557 (Hieronymus Wolf), mais qui ne sâest jamais appelĂ© ainsi durant sa longue existence (mais Imperium Romanorum, en grec ÎαÏÎčλΔία ῏ÏÎŒÎ±ÎŻÏÎœ / BasileĂa RhĂŽmaĂĂŽn), tandis que lâĂtat dit « latin » de Constantinople ne sâidentifiait pas ainsi mais Ă©tait perçu et identifiĂ© comme un « Empire franc » et non romain (Imperium Francorum, en grec ÎαÏÎčλΔία ÏÏΏγγÏÎœ / BasileĂa frĂĄngĂŽn). L'enjeu de ces joutes sĂ©mantiques entre historiens ultĂ©rieurs, est de dĂ©nier aux Grecs « byzantins » la position dâhĂ©ritiers de lâEmpire romain, pour la transfĂ©rer aux Ătats successeurs de Charlemagne, Ă la papautĂ© et aux Ătats fondĂ©s par les croisĂ©s[2].
Enjeu historiographique
La romanisation a fait lâobjet de dĂ©bats entre historiens. Ainsi, pour Yvon ThĂ©bert, la GrĂšce nâ« hellĂ©nise » pas, Rome ne « romanise » pas, mais « lâĂ©volution des cultures est avant tout un processus interne aux rĂ©gions concernĂ©es »[3].
Concernant lâAfrique romaine, les thĂšses historiques les plus rĂ©centes suggĂšrent que le processus de romanisation a Ă©tĂ© un ensemble de valeurs et de faits culturels non pas imposĂ©s, mais adoptĂ©s et intĂ©grĂ©s volontairement par une partie des populations de lâEmpire romain et de ses confins[4].
Concernant l'Europe centrale et les Balkans, les nationalismes des Ă©tats modernes[5] soit exaltent, soit nient la romanisation des populations antiques selon que le pays actuel est de langue romane ou non[6]. Les Ă©tudes linguistiques, elles, aboutissent Ă identifier des idiomes romans qui ont disparu comme le roman de Pannonie (issu de la romanisation des Celtes de cette rĂ©gion et disparu au IXe siĂšcle)[7] ou le dalmate (issu de la romanisation des Illyriens et disparu au XIXe siĂšcle), et des idiomes romans qui ont Ă©voluĂ© et se sont diversifiĂ©s comme le roman des Balkans (issu de la romanisation des Thraces et des Daces devenus Thraco-Romains, Ă lâorigine des quatre langues romanes orientales actuelles)[8].
La romanisation de ces rĂ©gions est lâobjet de controverses dĂšs que la carte palĂ©olinguistique des territoires oĂč elle sâest produite ne coĂŻncide pas avec les frontiĂšres modernes. Lâhistoriographie austro-hongroise et russe la situe exclusivement au sud du Danube, dans les Balkans, afin de confĂ©rer aux roumanophones vivant au nord du Danube (actuelles Roumanie et Moldavie) le rĂŽle dâ« immigrants tardifs » dans les territoires quâils revendiquĂšrent lors de leur renaissance culturelle[9]. En revanche, lâhistoriographie des Ătats balkaniques comptant des minoritĂ©s romanophones rĂ©fute lâidĂ©e que la romanisation a pu se produire dans les Balkans, et considĂšre que ces minoritĂ©s romanophones y sont, lĂ aussi, des « immigrantes tardives » venues du nord du Danube. En somme, sâil y a eu romanisation (puisque les langues romanes orientales existent) « câest ailleurs que de nĂŽtre cĂŽtĂ© »[10], paradoxe que certains ouvrages historiques grand-public rĂ©sument ainsi : « Au XIe siĂšcle, immigration des Valaques, vassaux des Mongols, prĂšs des frontiĂšres hongroises »[11] et que le polĂ©miste Vladimir Jirinovski a Ă©voquĂ© Ă Sofia en 1994 par la formule : « les Roumains sont des colons italiens venus sur les nefs gĂ©noises qui se sont mĂȘlĂ©s aux Tziganes danubiens pour envahir des terres appartenant lĂ©gitimement Ă la Bulgarie, Ă la Hongrie et Ă la Russie »[12].
Notes et références
- D'aprÚs Olivier Buchsenschutz, Patrick Le Roux, Denis Rousset et Jean-Baptiste Yon, « La romanisation », in Revue des Annales n° 2, pp. 287-383, 2004
- Georg Ostrogorsky, Histoire de l'Ătat byzantin, Payot, 1998 (978-2-228-90206-9).
- « Royaumes numides et hellénisme », p. 30 cité par Igor Moullier, « Les dynamiques de la colonisation romaine », in : Afrique et histoire, 2005
- Marcel Bénabou, « Les Romains ont-ils conquis l'Afrique ? », dans les Annales d'Histoire et Sciences Sociales n° 1, vol.33, 1978, p. 83-88.
- Jean-Simon Legascon : « L'Europe face au défi nationaliste dans les Balkans » in : Guerres mondiales et conflits contemporains no 217, janvier 2005, Presses universitaires de France.
- Dimitri Kitsikis, La Montée du national-bolchevisme dans les Balkans, ed. Avatar, Paris 2008.
- AnnamĂĄria FacsĂĄdy du Aquincumi MĂșzeum de Budapest : « La reprĂ©sentation de la femme sur les stĂšles funĂ©raires romaines du musĂ©e dâAquincum » in : Romains de Hongrie, compte-rendu du Xe colloque international sur lâart provincial romain (Arles et Aix-en-Provence), Lyon 2001, p.10,
- Marius Sala, dir., (ro) Enciclopedia limbilor romanice (« EncyclopĂ©die des langues romanes »), Bucarest, Ed. ÈtiinÈificÄ Èi EnciclopedicÄ, 1989, (ISBN 973-29-0043-1), p. 158, p. 275).
- Neagu Djuvara, Les pays roumains entre Orient et Occident : les Principautés danubiennes au début du XIXe siÚcle, Publications Orientalistes de France, 1989.
- Claude Karnoouh, Lâinvention du peuple, chroniques de la Roumanie, Paris, ArcantĂšre, 1990.
- Atlas historique Perrin-France-Loisirs 1990, (ISBN 2-7242-3596-7), page 201.
- DĂ©claration de Sofia en 1994 .
Voir aussi
Bibliographie
- Assimilation et rĂ©sistance Ă la culture grĂ©co-romaine dans le monde ancien, Travaux du VIe CongrĂšs international d'Ătudes classiques (Madrid, ), Bucarest-Paris, 1976.
- Marcel Bénabou, La résistance africaine à la romanisation, Maspero, Paris, 1976.
- Jean-Michel David, La Romanisation de l'Italie, Paris, Flammarion, coll. « Champs » (no 381), (1re éd. 1994), 260 p. (ISBN 978-2-08-081381-7)
- Philippe Leveau, « La situation coloniale de l'Afrique romaine », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 1978, v.33, no 1, p. 89-92.
- Meriem SebaĂź, « La romanisation en Afrique, retour sur un dĂ©bat. La rĂ©sistance africaine : une approche libĂ©ratrice ? », Afrique & histoire - Revue internationale dâhistoire de lâAfrique, no 3, , p. 39-56.
- Yvon Thébert, « Romanisation et déromanisation en Afrique : histoire décolonisée ou histoire inversée ? », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 1978, v.33, no 1, p. 64-82.
- Les thermes romains dâAfrique du Nord et leur contexte mĂ©diterranĂ©en. Ătudes dâhistoire et dâArchĂ©ologie, BibliothĂšque de l'Ăcole française de Rome (BEFAR), vol. 315, Rome, 2003.
- « La romanisation » (articles de Patrick Le Roux, Jean-Baptiste Yon, Olivier Buchsenschutz, Denis Rousset), Annales. Histoire, sciences sociales, 2004, no 2, p. 287-383.
Articles connexes
Liens externes
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