AccueilđŸ‡«đŸ‡·Chercher

Les Bienveillantes

Les Bienveillantes est un roman de l’écrivain franco-amĂ©ricain[1] Jonathan Littell, Ă©crit en français, paru en . Il s’agit des mĂ©moires d’un personnage fictif, Maximilien Aue, qui a participĂ© aux massacres de masse nazis comme officier SS.

Les Bienveillantes
Auteur Jonathan Littell
Pays Drapeau de la France France
Genre Roman
Éditeur Gallimard
Collection Folio
Date de parution 2006
Nombre de pages 1 403
ISBN 978-2-07-035089-6

Le récit est divisé en sept parties qui évoquent la musique et les danses du XVIIIe siÚcle (toccata, allemande I et II, courante, sarabande, menuet en rondeaux, air, gigue) et suivent la chronologie macabre de la guerre sur le front de l'Est, de la Shoah par balles en 1941 aux camps d'extermination des Juifs en passant par la bataille de Stalingrad pour s'achever à la chute de Berlin en 1945.

Le titre Les Bienveillantes renvoie Ă  l’Orestie, d'Eschyle, dans laquelle les Érinyes, dĂ©esses vengeresses qui persĂ©cutaient les hommes coupables de parricide, se transforment finalement en EumĂ©nides apaisĂ©es. Dans cette rĂ©Ă©criture du mythe, on retrouve la proximitĂ© incestueuse de la sƓur, l'ami Thomas/Pylade qui lui sauve plusieurs fois la vie, mais aussi la figure mĂ©connue du pĂšre disparu et la rupture avec la mĂšre remariĂ©e qui sera mystĂ©rieusement assassinĂ©e avec son compagnon. Les Érinyes sont Ă©galement prĂ©sentes Ă  travers les deux policiers qui poursuivent le fils, soupçonnĂ© d’ĂȘtre le meurtrier : ils finiront par disparaĂźtre en laissant Max sans remords mais impuissant Ă  effacer le souvenir de ses actes passĂ©s.

Le livre a Ă©tĂ© un des principaux ouvrages de la rentrĂ©e littĂ©raire de 2006 en France ; il a obtenu le grand prix du roman de l'AcadĂ©mie française le et le prix Goncourt le . À la fin 2007, le roman avait Ă©tĂ© vendu Ă  plus de 700 000 exemplaires[2]. Le succĂšs s'est confirmĂ© avec la rĂ©Ă©dition du roman, revu par l'auteur, dans la collection « Folio » (no 4 685) en , et les Ă©ditions en langues Ă©trangĂšres se sont multipliĂ©es, parfois avec une grande rĂ©ussite comme en Allemagne[3], mais ont rencontrĂ© aussi des rĂ©ticences comme aux États-Unis[4].

Origine et genĂšse

Deux Érinyes ou Furies.

Il s’agit ici d’un « faux premier roman », l’auteur ayant dĂ©jĂ  publiĂ© Bad voltage – un roman de science-fiction – en 1989.

Le titre Les Bienveillantes renvoie Ă  une tragĂ©die d’Eschyle, Les EumĂ©nides. Les Érinyes Ă©taient des divinitĂ©s vengeresses qui persĂ©cutaient les hommes coupables de crimes, en particulier d'homicides contre un membre de sa famille. Oreste, obĂ©issant Ă  l'oracle de Delphes lui demandant de venger son pĂšre Agamemnon, tue en effet sa mĂšre Clytemnestre, et se voit poursuivi par les Érinyes ; mais la dĂ©esse AthĂ©na plaide en sa faveur et les Érinyes se changent, pour Oreste, en EumĂ©nides, c’est-Ă -dire en Bienveillantes.

InterrogĂ© sur ce qui l’a incitĂ© Ă  Ă©crire un roman sur le massacre des Juifs, Littell Ă©voque la photographie saisissante, dĂ©couverte en 1989, d’une partisane russe, ZoĂŻa KosmodemianskaĂŻa, pendue par les nazis. Plus tard, la dĂ©couverte du film Shoah de Claude Lanzmann et la lecture de plusieurs ouvrages, dont La Destruction des Juifs d'Europe de Raul Hilberg et Les Jours de notre mort de David Rousset, l’ont influencĂ© et ont donnĂ© une orientation plus prĂ©cise Ă  son projet.

Le parcours biographique de l’auteur – engagement humanitaire en Bosnie-HerzĂ©govine et en TchĂ©tchĂ©nie – se rĂ©vĂšle Ă©galement Ă©clairant.

L’auteur[5] reconnaĂźt que la portĂ©e de l’Ɠuvre dĂ©passe le seul gĂ©nocide des Juifs pour revĂȘtir une dimension plus universelle. Il rĂ©vĂšle que « ce qui [l]’intĂ©ressait, c’était la question des bourreaux, du meurtre d’État[6]. » Il prĂ©cise :

« j'aurais pu prendre des exemples plus rĂ©cents que j'ai vĂ©cus de prĂšs, au Congo, au Rwanda, en TchĂ©tchĂ©nie. Mais j'ai pris les nazis pour prendre un cas de figure oĂč le lecteur ne pourra pas se dĂ©fausser en prĂ©textant que “Ah ! ce sont des Noirs ou des Chinois”. Il fallait ancrer ce rĂ©cit chez des gens comme nous pour empĂȘcher le lecteur de prendre de la distance. »

Jonathan Littell[7] dĂ©clare avoir travaillĂ© cinq ans sur le roman. À des fins de documentation, il s’est rendu, entre autres, en Ukraine, dans le Caucase, Ă  Stalingrad, en Pologne (Lublin, Cracovie), en PomĂ©ranie. Il s’est Ă©galement plongĂ© prĂšs de deux ans durant dans les archives Ă©crites, sonores ou filmĂ©es de la Seconde Guerre mondiale et du gĂ©nocide, les actes des procĂšs, les organigrammes administratifs et militaires, les Ă©tudes historiques et interprĂ©tatives.

Littell n'est pas le premier qui a Ă©crit de cette façon sur l'Holocauste. Le critique littĂ©raire Gregor Dotzauer (de) a Ă©tabli que Primo Levi, dans ses rĂ©cits sur Auschwitz et dans ses essais, avait dĂ©jĂ  dĂ©peint les horreurs du national-socialisme du point de vue des criminels. De mĂȘme, dans le roman Le Nazi et le Barbier, paru en 1971 aux États-Unis et en 1977 en Allemagne, l'Ă©crivain juif allemand, Edgar Hilsenrath, en se servant du mode grotesque, a dĂ©crit l'Holocauste vu par les yeux des criminels. Le rapprochement avec La mort est mon mĂ©tier de Robert Merle ou Le Roi des aulnes de Michel Tournier a Ă©tĂ© Ă©galement souvent effectuĂ©, comme par Dominique Viart[8].

Résumé

Cet imposant roman de prĂšs de neuf cents pages (et mille quatre cents dans l'Ă©dition de poche) est constituĂ© par le rĂ©cit rĂ©trospectif Ă  la premiĂšre personne de Maximilian Aue qui, des dĂ©cennies plus tard, se penche sur une pĂ©riode cruciale de sa vie : sa participation aux massacres de masse en tant qu’officier SS, alors qu'il Ă©tait ĂągĂ© de vingt-cinq Ă  trente ans. Il assume, au-delĂ  du bien et du mal, son engagement nazi pour le peuple allemand conduit par le FĂŒhrer, en ayant d’ailleurs le plus souvent une position d’observateur – il Ă©crit des rapports aux autoritĂ©s supĂ©rieures de la SS – plutĂŽt que d’exĂ©cuteur, mĂȘme s’il lui arrive de tuer.

Le narrateur raconte – tout en effectuant de frĂ©quents retours en arriĂšre sur son enfance et sa jeunesse – ses annĂ©es de criminel de guerre, sans dĂ©sarroi moral, mĂȘme s’il semble somatiser, accumulant vomissements et diarrhĂ©es.

Le rĂ©cit des horreurs de la guerre nazie suit la chronologie des massacres sur le front de l’Est. Suivant le rythme des Ɠuvres au clavecin de Jean-Philippe Rameau, compositeur apprĂ©ciĂ© du narrateur, l’auteur a divisĂ© le roman en sept parties : aprĂšs une toccata introductive, se succĂšdent six danses du XVIIIe siĂšcle (allemande I et II, courante, sarabande, menuet en rondeaux, air, gigue) qui s’enchaĂźnent en une danse macabre cynique, un CrĂ©puscule des dieux que colorent le rouge des meurtres de masse et le noir de l’uniforme SS.

Une « action » des Einsatzgruppen contre les Juifs en Ukraine en 1942.
Ligne de front de la bataille de Stalingrad.
  • La premiĂšre partie est intitulĂ©e « Toccata » : elle constitue une sorte de prologue faustien et expose le projet du narrateur, ex-officier des Einsatzgruppen, et en tant que tel, responsable de crime contre l’humanitĂ©, de raconter son histoire. DĂ©nuĂ© de mauvaise conscience, il ne cherche pas Ă  se justifier ou Ă  rendre des comptes. Il insiste sur l’aspect ordinaire des bourreaux et soutient que ce destin peut ĂȘtre celui de tous ceux qu’il appelle, avec François Villon, ses « frĂšres humains ». Le lecteur apprend qu’il est, dans les annĂ©es soixante-dix, un industriel spĂ©cialisĂ© dans la production de dentelles quelque part dans le Nord de la France, peut-ĂȘtre Ă  Calais. Il a une vie rangĂ©e, est mariĂ©, a des jumeaux vis-Ă -vis desquels il n'exprime aucune affection.
  • Dans la seconde partie, « Allemande I et II » (p. 33–312), le lecteur suit Max Aue (le narrateur descripteur), membre des Einsatzgruppen, sur le front de l’Est en Ukraine, en CrimĂ©e et en dernier lieu dans le Caucase. Il dĂ©crit les massacres (dont le massacre de Babi Yar) Ă  ciel ouvert, des Juifs (La Shoah par balles) et des bolcheviques Ă  l’arriĂšre du front. Le chapitre s’achĂšve par son affectation Ă  Stalingrad. C'est une sanction de ses supĂ©rieurs (Ă  la suite d'une divergence d'opinions concernant l'appartenance ou non d'une tribu des montagnes caucasiennes au peuple juif) qui Ă©quivaut Ă  une condamnation Ă  mort (la ville Ă©tait assiĂ©gĂ©e par les Russes et sur le point de tomber).
  • La troisiĂšme partie, « Courante », est consacrĂ©e au siĂšge et Ă  la bataille de Stalingrad, dont Aue rĂ©chappe miraculeusement, bien qu’une balle lui ait traversĂ© la tĂȘte.
  • Dans la quatriĂšme partie, « Sarabande », Max Aue effectue sa convalescence sur l’üle de Usedom, Ă  Berlin et en France. La mĂšre et le beau-pĂšre du hĂ©ros sont assassinĂ©s lors de son sĂ©jour chez eux Ă  Antibes.
  • Le « Menuet en rondeaux » (p. 495–792) est le chapitre le plus long du roman. Max Aue, affectĂ© au ministĂšre de l'IntĂ©rieur du Reich dirigĂ© par Heinrich Himmler (de 1943 Ă  1945), joue un rĂŽle actif dans la gestion illusoire de la « capacitĂ© productive » du « rĂ©servoir humain » que constituent les prisonniers juifs. On entrevoit les rouages de la Solution finale avec sa bureaucratie (Himmler, Eichmann, Rudolf HĂ¶ĂŸâ€Š) et ses massacres de masse (camps d’Auschwitz, de BeĆ‚ĆŒec, etc.). La grande diffĂ©rence avec Eichmann est qu'alignĂ© sur les idĂ©es et les projets de Speer, Max dĂ©sire naĂŻvement faire travailler les prisonniers de guerre, ce qui exige que des rations alimentaires plus Ă©levĂ©es leur soient attribuĂ©es, ce qui contraste avec l’attitude prĂ©dominante des SS, qui les massacrent ou les laissent pĂ©rir. Jamais le narrateur ne semble souffrir moralement de la mort des prisonniers ; pour lui, il s’agit d’une faute, voire d'une erreur mais non d’un crime. Par ailleurs, deux vrais policiers, Clemens et Weser, chargĂ©s d’enquĂȘter sur le meurtre de la mĂšre du narrateur et de son compagnon, le soupçonnent trĂšs vite et ne cesseront de le poursuivre.
  • Le chapitre « Air » (p. 795–837) met en scĂšne le sĂ©jour de Max Aue dans la propriĂ©tĂ© de sa sƓur et de son beau-frĂšre, en PomĂ©ranie, dans une orgie solitaire « bataillienne » de nourriture, d’alcool et d’onanisme. C’est le chapitre le plus onirique du roman, oĂč se dĂ©voilent, de plus, les obsessions sexuelles de Max Aue.
  • Le dernier chapitre, « Gigue » (p. 841–894), relate la fuite devant l’avancĂ©e des SoviĂ©tiques et le sĂ©jour dans Berlin capitale assiĂ©gĂ©e. La fin du roman complĂšte le dĂ©but : Aue, muni des papiers d’un Français du Service du travail obligatoire (STO), pourra quitter Berlin pour la France, son bilinguisme le protĂ©geant du soupçon.

Personnages

Maximilian Aue, le narrateur


Insignes de col d'un SS-HauptsturmfĂŒhrer[N 1].

En allemand Aue signifie terre le long d'un cours d'eau.

Le magazine allemand Der Spiegel rapproche le nom Aue de celui de Maximilian Aub Mohrenwitz (1903 – 1972)[9]. Jonathan Littell s'est exprimĂ© en avril 2007 lors de son invitation Ă  l'École normale supĂ©rieure de Paris[10] : « Pourquoi ce nom de Max Aue pour mon personnage principal ? Je n’ai pas de rĂ©ponse. J’aime bien l’idĂ©e d’un nom sans consonne. Comme tout romancier, je dresse des listes, je collectionne des noms. Mais j’ignorais qu’il y en avait eu un qui fut critique d’art autrefois [Aub]. Je viens de recevoir une lettre d’une famille m’avisant que leur pĂšre s’appelle Maximilien Aue et qu’il est prof en AmĂ©rique, la lecture de mon livre les rend bizarres
 »

Sur le plan idéologique, le narrateur du roman est un nazi convaincu. Ce n'est pas un antisémite paranoïaque.

Pour ce qui est de sa vie privĂ©e, on sait que son pĂšre a disparu en 1921. Toutes les recherches pour le retrouver ont Ă©tĂ© vaines et sa mĂšre s’est remariĂ©e avec un Français, Aristide Moreau. Max a une sƓur jumelle pour laquelle il Ă©prouve des sentiments incestueux. Le narrateur est prĂ©sentĂ© comme un personnage cultivĂ©, parlant plusieurs langues – allemand Ă©videmment mais aussi français, grec et latin. DĂ©tail trĂšs important pour l’époque, Aue est homosexuel.

AprÚs une scolarité en France, il retourne en Allemagne faire des études de droit à Kiel, et quitte sa mÚre et son beau-pÚre avec lesquels il est en conflit.

Les personnalités historiques

Le roman abonde en personnages historiques avec lesquels le narrateur a des contacts plus ou moins Ă©troits, notamment les dignitaires importants du rĂ©gime, de la SS, des Einsatzgruppen et mĂȘme des milieux d’extrĂȘme droite française, Robert Brasillach, Lucien Rebatet, Pierre-Antoine Cousteau par exemple. Apparaissent ainsi Albert Speer, le ReichsfĂŒhrer Heinrich Himmler, Adolf Eichmann, le chef du RSHA Reinhard Heydrich puis Ernst Kaltenbrunner (successeur de Heydrich Ă  la tĂȘte du RSHA), le gouverneur gĂ©nĂ©ral de Pologne Hans Frank, les chefs de l’Einsatzgruppe D Walther Bierkamp, Otto Ohlendorf, le commandant du camp d’Auschwitz Rudolf HĂ¶ĂŸ, Odilo Globocnik, Paul Blobel, l’écrivain Ernst JĂŒnger, Josef Mengele et Adolf Hitler lui-mĂȘme.

Organigramme du RSHA en 1941.

La famille du narrateur

Una Aue / Frau von ÜxkĂŒll

La sƓur jumelle de Aue, objet de ses fantasmes incestueux, est mariĂ©e Ă  Von ÜxkĂŒll. Elle apparaĂźt peu dans le roman, mais est constamment prĂ©sente dans l’esprit d’Aue. Vis-Ă -vis de son frĂšre, elle a pris ses distances et essaie de le ramener Ă  la raison quant Ă  la nature de leurs relations.

Una et son mari ne partagent pas l’enthousiasme de Max pour le national-socialisme. Les violences et le massacre des Juifs leur font horreur. Elle ne partage pas non plus son aversion pour sa mĂšre et sa vĂ©nĂ©ration du pĂšre. Comme sa mĂšre, elle reproche au pĂšre de ne pas s’ĂȘtre occupĂ© de sa famille et le pense mort.

On ignore son sort Ă  la fin du roman.

Berndt von ÜxkĂŒll

Junker, aristocrate prussien de PomĂ©ranie, musicien qui a pris ses distances par rapport au rĂ©gime nazi (il a refusĂ© de prendre sa carte de membre du Parti et d’adhĂ©rer Ă  la Reichsmusikkammer, organisme auquel devaient adhĂ©rer les musiciens allemands pour exercer leur mĂ©tier pendant le TroisiĂšme Reich). Il apparaĂźt nĂ©anmoins comme un antisĂ©mite convaincu et un ancien membre des Freikorps.

Le nom du personnage fait peut-ĂȘtre rĂ©fĂ©rence Ă  Nikolaus von ÜxkĂŒll, rĂ©sistant anti-nazi qui incita son cĂ©lĂšbre neveu Claus Schenk von Stauffenberg Ă  rejoindre le mouvement de rĂ©sistance contre Hitler aprĂšs la campagne de Pologne en 1939.

On ignore aussi son sort Ă  la fin du roman.

HĂ©loĂŻse Aue (HĂ©loĂŻse Moreau)

La mĂšre de Max. Elle est assassinĂ©e le . L’auteur du meurtre n’est jamais rĂ©vĂ©lĂ© explicitement, mais eu Ă©gard aux soupçons des policiers, et au titre du roman, faisant rĂ©fĂ©rence au mythe d'Oreste, il est Ă©vident que le meurtrier est le narrateur lui-mĂȘme.

Aristide Moreau

Le beau-pĂšre de Max, que celui-ci dĂ©teste cordialement. Il semble entretenir des liens avec la RĂ©sistance, ou pour le moins ĂȘtre liĂ© Ă  des opĂ©rations clandestines. Il est assassinĂ© le avec la mĂšre de Max.

Les jumeaux (Tristan et Orlando)

Ils sont trĂšs vraisemblablement le fruit des amours incestueuses de Max et d'Una, mĂȘme si le narrateur semble l’ignorer. Max affirme que la Kripo a interrogĂ© sa sƓur au sujet des deux jumeaux et qu'Una a dĂ©clarĂ© les avoir confiĂ©s Ă  une institution privĂ©e, en Suisse (page 1182 de l'Ă©dition en poche).

Les autres personnages

Thomas Hauser

Thomas est le seul personnage accompagnant le narrateur dans quasiment tout le roman, du second chapitre Ă  la derniĂšre page. C’est l’ami fidĂšle que le narrateur connaĂźt depuis son entrĂ©e au SD Ă  la suite de son arrestation Ă  Berlin ; Aue prĂ©cise qu’il commence Ă  le tutoyer en 1938. Si Aue Ă©voque avec lui les problĂšmes relatifs Ă  sa carriĂšre, il ne va pas jusqu’à lui parler de ses « problĂšmes personnels » (homosexualitĂ©, relation intime avec sa sƓur).

C’est un sĂ©ducteur invĂ©tĂ©rĂ©, noceur et jouisseur – Ă  Berlin, il roule en coupĂ© cabriolet –, plein d’entrain et de vitalitĂ©.

Docteur en droit, il a passĂ© plusieurs annĂ©es en France au cours de ses Ă©tudes. Il fait carriĂšre, car il sait interprĂ©ter les ordres de ses supĂ©rieurs et fait preuve d’une grande habiletĂ© dans les relations humaines.

C’est lui qui fait redĂ©marrer la carriĂšre d’Aue en lui proposant d’entrer dans les Einsatzgruppen. Il sauve Aue Ă  plusieurs reprises : Ă  Stalingrad, en PomĂ©ranie, oĂč Aue se terre dans le domaine de sa sƓur et de son beau-frĂšre, et Ă  Berlin. Au sein du rĂ©gime nazi, il se sort de toutes les situations en intriguant. Son caractĂšre attrayant et la sympathie que le lecteur peut lui accorder contribuent Ă  camoufler le fait qu'il soit un vĂ©ritable antisĂ©mite et nazi convaincu.

Le roman se clĂŽt par le meurtre de Thomas par Max.

HélÚne Anders née Winnefeld

Aue rencontre cette jeune et belle veuve Ă  Berlin, Ă  la piscine oĂč il se rend parfois avec Thomas. Il la revoit ensuite par hasard dans le tramway.

Lorsqu'elle vient soigner Max lors de sa maladie, sa sollicitude maternelle le rĂ©vulse. Il se comporte alors de maniĂšre odieuse envers elle en lui rĂ©vĂ©lant toute l’horreur de la guerre et des massacres, auxquels le dĂ©funt mari d'HĂ©lĂšne et lui-mĂȘme ont participĂ©, alors qu'elle restait jusqu'alors dans une totale innocence. Aue ne prendra jamais l’initiative d’une relation physique avec HĂ©lĂšne ; au contraire, il fera tout son possible pour garder ses distances avec cette femme blonde et douce qui contraste physiquement avec sa sƓur.

Lorsque les bombardements deviennent insoutenables, HĂ©lĂšne se rĂ©fugie Ă  l’Ouest, dans sa famille, et lui envoie une lettre dans laquelle elle lui demande s’il a l’intention de l’épouser. Le roman refermĂ©, le lecteur ignore ce qu'HĂ©lĂšne devient. Toutefois, dans le corps du roman, l’auteur indique que ce n’est pas avec elle qu’il s’est mariĂ© aprĂšs la guerre, mais avec « une femme qui ne le mĂ©ritait pas ».

Le docteur Mandelbrod

Le docteur Mandelbrod joue un rĂŽle important dans le cheminement d’Aue au sein du mouvement national-socialiste mais Ă©galement dans sa carriĂšre. Il est pour ainsi dire une sorte de protecteur qui a des relations haut placĂ©es. C’est lui qui le pousse Ă  poursuivre ses Ă©tudes en 1934, c’est lui qui organise son inscription Ă  la SS. C’est grĂące Ă  lui qu’Aue obtient une affectation Ă  l’état-major personnel du ReichsfĂŒhrer Himmler.

Mandelbrod joue ce rĂŽle de protecteur en vertu de l’amitiĂ© et de l’estime qui le liait au pĂšre, dont il Ă©tait l’un des anciens directeurs, et au grand-pĂšre de Maximilien. C’est la seule personne qui parle Ă  Aue de son pĂšre en des termes Ă©logieux.

Le narrateur le dĂ©crit comme un homme obĂšse morbide ne se dĂ©plaçant plus qu’en fauteuil roulant, entourĂ© de chats et rĂ©pandant partout ses flatulences. Il est souvent accompagnĂ© de Leland, son associĂ© d’origine britannique. Il est Ă©galement entourĂ© de femmes officiers hiĂ©ratiques et fanatiques.

À la fin du roman, le docteur Mandelbrod se prĂ©pare Ă  passer du cĂŽtĂ© de l’ennemi en offrant ses services aux SoviĂ©tiques.

Les commissaires Weser et Clemens

Les commissaires Weser et Clemens apparaissent dans le dernier quart du roman. Ils sont chargĂ©s de l’enquĂȘte sur le meurtre de la mĂšre et du beau-pĂšre de Max Aue Ă  Antibes.

Ils n’ont de cesse ensuite de poursuivre Aue, lui posant des questions gĂȘnantes, puis lui prĂ©sentant des indices tendant Ă  corroborer sa culpabilitĂ©. Aue essaie de se dĂ©barrasser d’eux en demandant Ă  ses supĂ©rieurs de ne plus ĂȘtre importunĂ© par ces deux commissaires. Ceux-ci rĂ©apparaissent toutefois Ă  plusieurs reprises. Ils font valoir que la justice des hommes n’est pas la justice et qu’eux sont bien les seuls Ă  encore la servir. À la fin du roman, dans Berlin en ruine, ils poursuivent le hĂ©ros, arme au poing, tentant de l’éliminer. Aue ne doit sa survie qu’à l’intervention de Thomas.

Poursuivant le fils, soupçonnĂ© d’ĂȘtre le meurtrier de leur mĂšre, les personnages des deux policiers sont aussi une incarnation des Érinyes ou « Malveillantes » (cf. ci-dessus: Origine et GenĂšse).

Historiquement Johannes Clemens et Arno Weser Ă©taient les bourreaux spĂ©ciaux des Juifs de Dresde ; on les distinguait en gĂ©nĂ©ral l’un de l’autre comme le « cogneur » et le « cracheur »[11] : Jonathan Littell leur a empruntĂ© leurs noms. Peut-ĂȘtre aussi Littell a-t-il songĂ© au Major Grau (jouĂ© par Omar Sharif) dans le film La Nuit des gĂ©nĂ©raux d’Anatole Litvak qui s’obstine Ă  dĂ©masquer l’assassin de prostituĂ©es polonaises ?

Aspects formels

Le point de vue du narrateur et le style narratif

Le roman est Ă©crit Ă  la premiĂšre personne. On croit pouvoir comprendre de l’intĂ©rieur comment les nazis en sont arrivĂ©s au meurtre de masse politique[12].

Ce qui semble ĂȘtre un roman historique sur la Shoah, Ă©crit du point de vue du bourreau, reste inhabituel. Peu s’en offusquent aujourd’hui, mĂȘme si certains, tel Claude Lanzmann[13], font preuve d’une certaine rĂ©ticence. Cependant, Charlotte Lacoste dans son ouvrage SĂ©ductions du bourreau (PUF, 2010) dresse dans son livre un portrait rĂ©solument Ă  charge Ă  la fois de l'auteur et du narrateur.

Toutefois ce n’est pas une nouveautĂ© absolue comme le montre Dominique Viart[8], spĂ©cialiste de littĂ©rature contemporaine et professeur Ă  l’universitĂ© de Lille III. Selon lui, le point de vue du bourreau « est prĂ©parĂ© par d’autres textes qui l’explorent aussi, depuis La mort est mon mĂ©tier de Robert Merle (1952), Le Roi des Aulnes de Michel Tournier et par le (
) livre de Jean Hatzfeld, Une saison de machettes, paru en 2003 (sans parler des travaux de Jacques SĂ©melin dans Purifier et dĂ©truire, usages politiques des massacres et gĂ©nocides, Seuil, 2005). À ce titre, Les Bienveillantes bĂ©nĂ©ficient des « fictions critiques » que de nombreux Ă©crivains dĂ©veloppent depuis quelques annĂ©es, et par lesquelles ils entendent, Ă  leur façon, discuter du monde qui nous entoure et de l’Histoire dont nous hĂ©ritons en s’appuyant sur les moyens propres de la littĂ©rature. »

Cependant Viart souligne que si le lecteur est placĂ© dans le point de vue du bourreau, le mode de narration est classique : « Il place le lecteur dans la conscience du bourreau, mais sans perturber ses codes ni ses habitudes de lecture : rendu des dialogues, des discours, rĂ©cit globalement linĂ©aire, au passĂ© simple
 Il nous confronte Ă  une Ă©trangetĂ©, certes, mais exprimĂ©e de façon rassurante. Rien Ă  voir, par exemple, avec les livres autrement perturbants de Volodine, qui transforment parfois le lecteur en « bourreau » ou en « tortionnaire » par leur Ă©criture et leurs situations d’énonciation troublantes oĂč c’est nous, lecteurs, agacĂ©s de ne pas y voir clair, qui voulons Ă  tout prix savoir ce que tel personnage « a dans le ventre », quitte pour cela Ă  le torturer un peu. Une lecture dont on ne sort pas indemne ».

L’architecture du roman

Si l’on excepte la premiĂšre partie qui renseigne sur la situation du narrateur aprĂšs la guerre (annĂ©es soixante-dix) et sur les raisons pour lesquelles Aue rĂ©dige ses mĂ©moires, les autres chapitres se succĂšdent de façon strictement chronologique, Ă  l'exception des flash-backs.

En ce qui concerne l’architecture du roman, on peut constater que les chapitres sont d’une longueur trĂšs inĂ©gale : les deux parties les plus longues correspondent Ă  la campagne militaire sur le front de l’Est, en Ukraine et dans le Caucase (« Allemande I et II »), et au rĂŽle de Aue dans la gestion du personnel des camps de concentration.

Selon Étienne de Montety, critique au Figaro littĂ©raire, le titre des parties qui portent des noms de danse, agit « comme si l’auteur avait voulu signifier qu’il entendait imprimer Ă  son rĂ©cit divers rythmes tantĂŽt enjouĂ©s tantĂŽt intimes au grĂ© de son intrigue »[14]. Pour Alain Nicolas, critique Ă  L’HumanitĂ©, « la structure des chapitres, calquĂ©e sur celle d’une suite de Bach, ne laisse rien deviner du contenu, mais renvoie Ă  des thĂšmes, des atmosphĂšres que seule la lecture permet de dĂ©gager, et qu’elle Ă©claire aprĂšs coup, faisant apparaĂźtre un ordre qui s’impose une fois le chaos traversĂ© »[15].

L’esthĂ©tique du roman

L’opĂ©ration Fall Blau : avancĂ©es allemandes du au .

On a beaucoup soulignĂ© la qualitĂ© de la documentation du roman. La description de la guerre et notamment des massacres de Juifs est trĂšs crue : aucun dĂ©tail n’est Ă©pargnĂ© au lecteur. Le narrateur pose un regard froid, clinique sur les massacres. Pour Pierre Assouline dans son blog, ce regard est froid « mais sans la sĂ©cheresse d’un rapport », sans doute pour « bannir toute dimension poĂ©tique », laquelle ne serait pas appropriĂ©e au sujet.

Le critique de l’hebdomadaire allemand Die Zeit[16], Michael Mönninger, trouve que dans les scĂšnes de violence oĂč les crĂąnes Ă©clatent et les fragments osseux volent, Littell enfreint avec voluptĂ© l’interdiction pour l’historiographie de reprĂ©senter les plus grandes horreurs de façon distanciĂ©e. Ce faisant, il dĂ©veloppe une esthĂ©tisation de l’horreur, une poĂ©tique de la cruautĂ© qui, contrairement aux louanges faites par les critiques français, a plus Ă  voir avec le genre du film d’horreur qu’avec la cruditĂ© stendhalienne.

Le maréchal Paulus et son état-major, aprÚs leur reddition du .

Cependant, l’auteur ne dĂ©crit pas seulement des scĂšnes d’horreur, mais est attentif Ă  dĂ©crire aussi le ciel, la terre, l’aspect des villes et des campagnes traversĂ©es.

En fait, il s’agit d’un roman composite mĂȘlant les genres et les discours : on passe des considĂ©rations intellectuelles aux considĂ©rations les plus terre-Ă -terre oĂč sang et excrĂ©ments abondent. Comme l’indique JĂ©rĂŽme Garcin, « l’auteur a mis dans son rĂ©cit beaucoup de choses qu’il connaĂźt : de la philosophie, de l’histoire, de l’économie politique, de la sĂ©miologie, du pamphlet, du polar ; de la poĂ©sie aussi, quand le soldat extĂ©nuĂ© contemple le paysage ukrainien Ă©trangement calme, au soir d’une bataille. Son gai savoir sollicite la santĂ© du lecteur. »

La subjectivitĂ© du narrateur se rĂ©vĂšle dans ses rapports avec ses proches, sa mĂšre et sa sƓur notamment. Quant Ă  la sexualitĂ© du narrateur, elle est dĂ©crite de maniĂšre trĂšs crue.

Certaines parties se rĂ©vĂšlent oniriques, par exemple la fin du chapitre « Courante », qui correspond au coma d’Aue, blessĂ© Ă  Stalingrad. Il en va de mĂȘme pour le chapitre « Air » oĂč le narrateur fait part de ses obsessions.

Quelques Ă©lĂ©ments relĂšvent (volontairement) du grotesque : ainsi les commissaires Weser et Clemens, constamment Ă  ses trousses, font preuve d’une quasi ubiquitĂ©, rencontrant et traquant Aue mĂȘme dans les moments les plus absurdes. Autre dĂ©tail burlesque : Ă  la fin du roman, Aue pince le nez* du FĂŒhrer dans le FĂŒhrerbunker (*dans l'Ă©dition Folio revue, Aue mord le nez).

Les influences littéraires

Rudolf HĂ¶ĂŸ (1900-1947).

S’agissant du sujet du livre, la plupart des critiques rapprochent Les Bienveillantes de La mort est mon mĂ©tier de Robert Merle. Comme le rappelle Littell, il s’agit des mĂ©moires imaginaires de Rudolf HĂ¶ĂŸ (le commandant du camp d’Auschwitz), mais selon lui « il ne possĂ©dait pas assez de recul ».

Eschyle (buste).

Comme l’indiquent Le Point[17], le quotidien autrichien Die Presse[18] et Jonathan Littell lui-mĂȘme, le titre Les Bienveillantes Ă©voque L’Orestie d’Eschyle dans laquelle les Érinyes furieuses se transforment finalement en EumĂ©nides apaisĂ©es : la rĂ©Ă©criture du mythe introduit la proximitĂ© incestueuse de la sƓur, prĂ©nommĂ©e de façon rĂ©vĂ©latrice Una et qui reprĂ©sente l’image de la femme que Max ne pourra pas dĂ©passer ; son orientation sexuelle sera en effet une homosexualitĂ© dĂ©gradĂ©e. On retrouve aussi l’ami Thomas / Pylade qui lui sauve plusieurs fois la vie, la figure mĂ©connue du pĂšre disparu et la rupture avec la mĂšre remariĂ©e qui sera mystĂ©rieusement assassinĂ©e avec son compagnon. Les Érinyes sont Ă©galement prĂ©sentes Ă  travers les deux policiers qui poursuivent le fils, soupçonnĂ© d’ĂȘtre le meurtrier de la mĂšre : ils finiront par disparaĂźtre en laissant Max sans remords, mais impuissant Ă  faire disparaĂźtre le souvenir de ses actes passĂ©s. Outre Eschyle, Jonathan Littell reconnaĂźt sa dette Ă  d’autres tragiques grecs (Sophocle et son Electre, mais aussi Euripide, dont l’Oreste est rendu fou par les Érinyes). On sait par ailleurs que la rĂ©fĂ©rence Ă  l’AntiquitĂ© grecque est pour le nazi cultivĂ© un moyen de s’affranchir de l’apport du judĂ©o-christianisme Ă  la civilisation occidentale.

Le roman a Ă©tĂ© souvent comparĂ© Ă  de grandes Ɠuvres russes, notamment Ă  Vie et Destin de Vassili Grossman, roman-fresque, composĂ© dans les annĂ©es 1950, mettant en scĂšne le destin d'une famille russe autour de Stalingrad et de l'Union SoviĂ©tique sous le feu d'Hitler - Ă©popĂ©e souvent comparĂ©e Ă  celle de Guerre et Paix, un siĂšcle auparavant, qui prenait pour dĂ©cor l'invasion napolĂ©onienne de la Russie des Tsars et l'incendie de Moscou. Dans le quotidien suisse Le Temps, le spĂ©cialiste de la littĂ©rature russe Georges Nivat affirme que Littell « connaĂźt trĂšs bien la littĂ©rature russe, et semble jouer avec elle ; il joue Ă  lui faire Ă©cho, mais un Ă©cho ravageur. »

  • Il Ă©tablit un parallĂšle entre la scĂšne de la rencontre entre Aue et un officier russe et « la grande scĂšne de Grossman entre Mostovskoy et le chef du camp nazi oĂč il se retrouve prisonnier », ce que Littell a confirmĂ©[19].
  • Il compare le narrateur des Bienveillantes Ă  Stavroguine, le prince violeur et meurtrier de Matriocha, dans les DĂ©mons de DostoĂŻevski. (« Stavroguine aussi est impuissant, Stavroguine aussi est un sadique impubĂšre, Stavroguine aussi monte au grenier pour se pendre, quittant la gravitĂ© qui fait pencher les humains et surtout les femmes gravides vers la terre. Aue monte au grenier du superbe manoir pomĂ©ranien de son beau-frĂšre, et voit dans un dĂ©lire onirique sa sƓur-jumelle-Ă©pouse, avec qui il a forniquĂ© au sortir clandestin de leur enfance. »)
  • Il compare la fin du roman Ă  la fin du roman d’Alexandre SoljĂ©nitsyne, Le Pavillon des cancĂ©reux. Les deux romans s’achĂšvent au zoo. Toutefois dans « celui de Berlin en flammes, [
] les abris antiaĂ©riens sont des cloaques de merde et de cadavres, [
] l’hippopotame flotte dans un dĂ©luge de fin du monde, et, devenu gorille, Aue s’empare d’un barreau de cage pour fracasser son seul ami, Thomas, le boute-en-train SS qui l’a extrait de son delirium. »

S’agissant de TolstoĂŻ, Littell rĂ©fute toute comparaison entre Guerre et Paix et Les Bienveillantes. Dans son roman, il n’est question que de la guerre contrairement Ă  celui de son aĂźnĂ© oĂč il y a un va-et-vient entre les deux.

Motifs et thĂšmes

Un pĂšre disparu

Poméranie (1905).

En dehors de sa mĂšre et de sa sƓur, Aue ne voit pas sa famille, ou tout au moins il n’en dit rien. On sait que sa famille, installĂ©e en Alsace, Ă©tait originaire de PomĂ©ranie, que son oncle a servi d’agent Ă  Mandelbrod (p. 414) et que ses grands-parents maternels sont morts (p. 181). Aux pages 418-419, on Ă©voque aussi le grand-pĂšre et la grand-mĂšre paternels.

Le pĂšre du narrateur a disparu mystĂ©rieusement en 1921, sans plus donner aucun signe de vie. Le narrateur tend Ă  rendre responsable sa mĂšre de cette disparition. On ne lit que des tĂ©moignages de seconde main des diffĂ©rents protagonistes qui l’ont connu.

Le docteur Mandelbrod le dĂ©crit comme un homme courageux (« Ton pĂšre, par exemple, considĂ©rait que la difficultĂ© en elle-mĂȘme Ă©tait une raison de faire une chose, et de la faire Ă  la perfection. Ton grand-pĂšre Ă©tait de la mĂȘme trempe. »). En faisant de son pĂšre un hĂ©ros prĂ©curseur du national-socialisme, Mandelbrod renforce l’attachement d’Aue Ă  cette idĂ©ologie.

Aussi le tĂ©moignage discordant que livre von ÜxkĂŒll, lequel dĂ©crit son pĂšre – combattant en 1919 avec les corps francs allemands de Courlande (Lettonie) – comme « un homme sans foi, sans limites » qui « faisait crucifier des femmes violĂ©es aux arbres » et « jetait lui-mĂȘme des enfants dans les granges incendiĂ©es » (p. 807–808) ne peut que mettre Aue dans une rage folle.

Les rapports entre le narrateur et sa sƓur jumelle

Max Ă©prouve des sentiments incestueux envers sa sƓur jumelle, Una, l’« unique » femme aimĂ©e. Le narrateur Ă©voque des souvenirs de son adolescence, pĂ©riode de jeux amoureux troubles : « Elle monta sur moi mais dĂ©jĂ  un filet de sang lui coulait Ă  l’intĂ©rieur des cuisses [
] je voulais lui embrasser le sein, rond maintenant, mais cela ne l’intĂ©ressait pas » (p. 443).

Pendant huit ans, Aue ne verra pas sa sƓur et lui gardera rancune de son mariage, contractĂ© en 1938, qu’il considĂšre comme une vĂ©ritable trahison (« Elles vous parlent d’amour mais Ă  la premiĂšre occasion, la perspective d’un bon mariage bourgeois, hop, elles se roulent sur le dos et Ă©cartent les jambes. »).

Au moment des retrouvailles, Max reste prisonnier de ses souvenirs et de ses fantasmes incestueux, alors qu’Una a tirĂ© un trait sur le passĂ©. Maximilien se veut fidĂšle au passĂ© et lui rappelle des serments tenus pendant l’enfance alors que pour Una, ce n’était que des « jeux d’enfants ». « L’attachement obstinĂ© Ă  des promesses anciennes n’est pas une vertu », dit-elle.

Lorsque Aue rend visite Ă  sa mĂšre et Ă  son beau-pĂšre en 1943, des jumeaux vivent avec eux. On peut, comme la critique de LibĂ©ration Claire Devarrieux[20], penser qu'ils sont le fruit de ses amours incestueuses. Plusieurs indices semblent l’attester :

  • Ils sont nĂ©s en 1936, c’est-Ă -dire peu aprĂšs qu’Aue eut revu sa sƓur pour la derniĂšre fois.
  • Quand Aue annonce la mort de sa mĂšre et de son beau-pĂšre Ă  sa sƓur, celle-ci lui demande de prime abord si les jumeaux sont vivants.
  • Les jumeaux vivent chez les parents d’Una et de Max. Une raison plausible serait la volontĂ© d’éviter tout scandale au moment oĂč Una fait sa vie avec von ÜxkĂŒll.
  • À la fin du roman, les policiers Clemens et Weser affirment que les jumeaux sont les enfants de la sƓur de Max.
  • Aue aura des jumeaux avec son Ă©pouse (mĂȘme si d’un point de vue scientifique, la transmission de la gĂ©mellitĂ© s’opĂšre par la mĂšre. On doit nĂ©anmoins tenir compte qu'il pourrait y avoir eu des jumeaux dans la famille de la femme de Max, quoique le texte ne l'affirme pas, ni Max ne se soucie de le vĂ©rifier).

Le thÚme élargi du jumeau (du double, du miroir, de l'Autre symétrique) se retrouve tout au long du roman. On peut voir dans l'inceste une métaphore des théories raciales (rapports sexuels entre aryens).

Le parricide

Le narrateur Ă©prouve une aversion, voire une vĂ©ritable haine envers sa mĂšre. DĂ©jĂ  enfant, il s’était rĂ©vĂ©lĂ© allergique au sein maternel. « La haine dut venir plus tard, lorsqu’elle oublia son mari et sacrifia ses enfants pour Ă©pouser un Ă©tranger », prĂ©cise-t-il (p. 343). Plus tard, il lui tiendra rigueur, ainsi qu’à son beau-pĂšre, de l’avoir sĂ©parĂ© de sa sƓur Ă  la suite de leurs jeux incestueux et de l’avoir empĂȘchĂ© d’étudier les lettres et la philosophie.

Lorsque Aue, lors d’un congĂ© en , rend visite Ă  sa mĂšre et son beau-pĂšre Ă  Antibes, il n’a plus vu sa mĂšre depuis 1934, soit depuis neuf ans. Sa mĂšre lui fait comprendre qu’il se comporte de maniĂšre injuste en la rendant responsable du dĂ©part de son pĂšre. Elle essaie de lui montrer qu’elle a elle-mĂȘme Ă©tĂ© victime de cet abandon. Un matin, en se rĂ©veillant, Aue dĂ©couvre les corps sans vie de son beau-pĂšre et de sa mĂšre, lui massacrĂ© Ă  la hache, elle Ă©tranglĂ©e sur son lit. Les jumeaux s’enfuient en le voyant.

Plus tard dans le roman, deux commissaires de la Kriminalpolizei, Weser et Clemens, mĂšnent l’enquĂȘte et soupçonnent Aue d’ĂȘtre impliquĂ© dans le meurtre. La police française a en effet retrouvĂ© des vĂȘtements civils d’origine allemande maculĂ©s de sang dans la salle de bain, ce qui tend Ă  corroborer la culpabilitĂ© d’Aue. DĂšs lors, les deux commissaires n’auront de cesse de poursuivre Aue partout oĂč il ira, jusqu’à la demeure de sa sƓur en PomĂ©ranie.

Toujours est-il qu’Aue ne s’en souvient pas : « Dans mon angoisse, j’en venais Ă  croire que ces deux clowns avaient raison, que j’étais devenu fou et l’avais en effet assassinĂ©e. » (p. 759)

Cependant, mĂȘme si rien ne l’atteste dans le roman, compte tenu du caractĂšre « tourmentĂ© » voire maladif du narrateur, il est assez vraisemblable qu’il soit l’auteur du double meurtre.

L’homosexualitĂ©

Aue a un comportement homosexuel, ce qui ne va pas sans poser de problĂšmes pour un nazi qui veut faire carriĂšre. Il lui est reprochĂ© de ne pas s’ĂȘtre mariĂ©, par exemple par Himmler lors de leur entrevue (p. 497), et ne pas donner d’enfant au Reich.

En mĂȘme temps, c’est indirectement Ă  cause de son homosexualitĂ© qu’il devient membre du SD et plus tard impliquĂ© dans les crimes nazis. Ayant Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© par la police Ă  Berlin, Ă  la suite d'un meurtre commis, sur un lieu de rendez-vous homosexuel notoire, il n’a pas d’autre choix que d’accepter la « proposition » de Thomas (p. 75).

Si Littell a choisi un narrateur homosexuel, c’est prĂ©cisĂ©ment en vertu de cet aspect problĂ©matique de l’homosexualitĂ©. Selon Littell (Ă©mission du , France Inter), elle confĂšre Ă  son narrateur un recul, une luciditĂ© que n’a pas un brave pĂšre de famille comme Eichmann. Elle permet aussi d’expliquer la confession du narrateur, laquelle s’oppose au silence des bourreaux nazis.

Selon StĂ©phane Roussel[21], non seulement l'homosexualitĂ© crĂ©e cette distanciation dont parle Littell, mais elle est aussi un reflet de la crise que traverse l'Histoire ; homme troublĂ© dans un monde troublĂ©, Aue traverse les frontiĂšres gĂ©ographiques, Ă©thiques et sexuelles, souhaitant, plus que de se rapprocher de sa sƓur, ĂȘtre une femme, afin d'Ă©chapper, sur le mode du fantasme, Ă  la guerre, et laissant, dans une perspective de comprĂ©hension de l'Histoire et de l'histoire intime, finalement une grande place Ă  la fatalitĂ©, au fatum de la tragĂ©die antique.

À plusieurs occasions, Aue a des relations homosexuelles, notamment en CrimĂ©e ou Ă  Paris. Toutefois, il y a toujours de sa part dissociation entre amour physique et sentiment (Les types avec qui j’ai couchĂ©, je n’en ai jamais aimĂ© un seul, p. 29). AprĂšs l’acte, il renvoie assez brutalement son amant d’un soir.

Comme le prĂ©cise Claire Devarrieux[20], « ce garçon est un homosexuel qui a jurĂ© fidĂ©litĂ© Ă  sa sƓur jumelle, liĂ© Ă  elle par l’inceste. Puisqu’elle lui est interdite, il se met Ă  sa place, il se veut femme, ouvert au sexe des autres hommes sans les aimer. Tel est le regret de Max, il ne peut dire "je suis nu e, aimĂ© e, dĂ©sirĂ© e". »

Son homosexualitĂ© et son dĂ©sir d’ĂȘtre une femme s’expliquent, selon lui, par son amour pour sa sƓur (« Il est fort concevable qu’en rĂȘvant d’ĂȘtre une femme, en me rĂȘvant un corps de femme, je la cherchais encore, je voulais me rapprocher d’elle », p. 29). Un autre passage est Ă©clairant : « Je me suis souvent dit que la prostate, ce clitoris du pauvre, et la guerre sont les deux dons de Dieu Ă  l’homme pour le dĂ©dommager de ne pas ĂȘtre femme. » Par ailleurs, quand il a des relations sexuelles avec un jeune homme Ă  Paris, il cherche Ă  voir le visage de sa sƓur. Il semble d'ailleurs uniquement passif lors de ses relations sexuelles avec des hommes.

On peut constater toutefois qu’il n’est pas insensible au charme et Ă  la beautĂ© des femmes en dehors de sa sƓur, ce que son intĂ©rĂȘt pour HĂ©lĂšne semble attester. Il ne manifeste toutefois pas de dĂ©sir sexuel pour elles, comme le prouvent plusieurs scĂšnes du roman : sa relation avec HĂ©lĂšne reste platonique. Il refuse l’offre faite par l’accompagnatrice de Mandelbrod de passer la nuit avec lui ; par ailleurs, lors d’une soirĂ©e avec Thomas, il repousse brutalement une fille qui l’aguiche et ne consent Ă  monter avec une fille qu’en raison de la prĂ©sence de Thomas.

L’antisĂ©mitisme, un phĂ©nomĂšne ancien

Affiche antisĂ©mite, avec un SA en premier plan : « Allemands ! DĂ©fendez-vous ! N’achetez pas chez les Juifs ! », 1933.

Aue tente Ă  plusieurs reprises de relativiser la thĂ©orie selon laquelle le massacre des Juifs serait au cƓur de l’idĂ©ologie nazie.

Pour cela, il affirme que :

  • L’antisĂ©mitisme est un phĂ©nomĂšne trĂšs ancien, antĂ©rieur Ă  l’accusation de dĂ©icide profĂ©rĂ©e par certains chrĂ©tiens. Aue le fait remonter Ă  l’époque grecque : « Les premiers Ă©crits contre les Juifs, ceux des Grecs d’Alexandrie [
] ne les accusaient-ils pas d’ĂȘtre des asociaux, de violer les lois de l’hospitalitĂ©, fondement et principe majeur du monde antique, au nom de leurs interdits alimentaires, qui les empĂȘchaient d’aller manger chez les autres ou de les recevoir. » (p. 618)
  • Avant la PremiĂšre Guerre mondiale, l’antisĂ©mitisme Ă©tait plus virulent en France qu’en Allemagne.

La ressemblance entre Juifs et Allemands (aryens)

Une des raisons essentielles dĂ©veloppĂ©e dans le roman pour expliquer l’Holocauste est la trĂšs grande ressemblance, voire la symĂ©trie entre les Allemands (au sens d’Allemands aryens, pour les personnages du roman, le fait d’ĂȘtre juif et allemand s’excluant) et les Juifs. On ne tue finalement l’autre que parce qu’il incarne ce que l’on ne supporte pas dans son propre ĂȘtre. D’ailleurs, Turek, qui massacre les Juifs avec tant de sadisme, a pour le narrateur un physique typiquement Juif.

La sƓur du narrateur est d’avis qu’« en tuant les Juifs [les Allemands ont] voulu [se] tuer eux-mĂȘmes, tuer le Juif en [eux]. Tuer [
] le bourgeois pansu qui compte ses sous, qui court aprĂšs les honneurs et rĂȘve de pouvoir [
], tuer l’obĂ©issance, tuer la servitude du Knecht, tuer toutes ces belles vertus allemandes. » (p. 801–802)

Un des personnages du roman, le haut dignitaire nazi Mandelbrod – qui porte un nom juif – souligne que la ressemblance entre Juifs et Allemands est due Ă  un emprunt. Les Allemands ont en effet une dette envers les Juifs : « Toutes nos grandes idĂ©es viennent des Juifs. Nous devons avoir la luciditĂ© de le reconnaĂźtre » (p. 420). Parmi ces idĂ©es, on trouve l’idĂ©ologie völkisch (« La Terre comme promesse et comme accomplissement, la notion du peuple choisi entre tous, le concept de la puretĂ© du sang »). Or pour les nazis, il ne peut y avoir deux peuples Ă©lus.

La « Solution finale », moyen d’empĂȘcher tout retour en arriĂšre

Lors d’une discussion avec son ami Thomas (p. 137), Aue dĂ©veloppe la thĂšse selon laquelle le meurtre des Juifs ne sert Ă  rien. « C’est le gaspillage, la pure perte. C’est tout. Et donc ça ne peut avoir qu’un sens : celui d’un sacrifice dĂ©finitif, qui nous lie dĂ©finitivement, nous empĂȘche une fois pour toutes de revenir en arriĂšre. [
] Avec ça, on sort du monde du pari, plus de marche arriĂšre possible. L’Endsieg ou la mort. Toi et moi, nous tous, nous sommes liĂ©s maintenant, liĂ©s Ă  l’issue de cette guerre, par des actes commis en commun. »

L’idĂ©ologie völkisch comme cause de la Shoah

On trouve dans le roman quantitĂ© de conversations qui attestent d’une idĂ©ologie völkisch, reposant sur un darwinisme biologique et social.

Pour Mandelbrod, la prĂ©servation d’une race pure est impĂ©rative afin d’éviter toute dĂ©cadence du peuple allemand. Il cite Ă  cet Ă©gard l’exemple de la race mongole, qui a conquis le monde et s’est, selon lui, abĂątardie en prenant des Ă©pouses Ă©trangĂšres.

Peu de personnages osent s’affranchir de cette idĂ©ologie raciale. On peut citer l’exemple de von ÜxkĂŒll, qui bien qu’antisĂ©mite refuse tout lien entre gĂ©nie musical et gĂ©nie de la race, ou de Voss, linguiste avec lequel le narrateur se lie d’amitiĂ© dans le Caucase. Ce dernier critique les prĂ©tendues bases gĂ©nĂ©tiques sur lesquelles reposerait l’idĂ©ologie völkisch en qualifiant cette derniĂšre de « philosophie de vĂ©tĂ©rinaires » et en montrant son absence totale de scientificitĂ© (p. 280). Cette idĂ©e se trouve illustrĂ©e par les dĂ©bats aporĂ©tiques qui opposent les spĂ©cialistes nazis Ă  propos de la nĂ©cessitĂ© de l’élimination d’une tribu juive montagnarde : la dĂ©monstration par l’exemple vire Ă  l’absurde.

Le massacre des Juifs comme problÚme à résoudre

Récipients de Zyklon B exposés à Auschwitz.

On voit dans le roman que la prĂ©sence d'EuropĂ©ens juifs est pour les nazis un problĂšme Ă  rĂ©soudre. Cette approche est l'idĂ©e mĂȘme du roman de Littell, elle est au cƓur de l'originalitĂ© de son projet : le politique crĂ©e de toutes piĂšces le problĂšme qu'il entend rĂ©soudre, car le rĂ©gime nazi n'a eu de cesse de prĂ©tendre qu'il y avait un « problĂšme juif en Europe », « problĂšme » qui n'existait nullement. Et l'on ne comprend rien Ă  la pensĂ©e du personnage, si l'on ne se dit pas Ă  son instar que non seulement les nazis ne pensaient pas commettre un crime, mais s'attendaient mĂȘme aux fĂ©licitations des autres EuropĂ©ens d'avoir enfin rĂ©solu cette « question juive » qui empoisonnait selon eux la vie du continent. Aue rĂ©pĂšte Ă  de multiples reprises que nul n'a envie de faire ce « travail repoussant », mais qu'il est indispensable, qu'il faut qu'un « peuple fort s'y colle ». Les gĂ©nocidaires s'attellent Ă  ces tĂąches ingrates pour le bien de tous et s'attendent Ă  ĂȘtre remerciĂ©s d'avoir fait ce que personne n'osait entreprendre. La pensĂ©e de Hannah Arendt est donc modifiĂ©e, ce n'est pas la banalitĂ© qui explique le crime de masse, mais la conviction de ses auteurs d'accomplir une tĂąche, certes horrible, mais nĂ©cessaire Ă  leur sociĂ©tĂ©. VoilĂ  pourquoi le narrateur souligne que le gĂ©nocide s’accomplit la plupart du temps sans haine caractĂ©risĂ©e : « Cela lui Ă©tait indiffĂ©rent que l’on tue les Juifs parce qu’on les haĂŻssait ou parce qu’on voulait faire avancer sa carriĂšre ou mĂȘme dans certaines limites que l’on y prenne du plaisir » (p. 127).

Dans le roman sont présents tous les cas de figure :

  • le responsable nazi qui par obĂ©issance s’acquitte du meurtre des Juifs malgrĂ© une certaine rĂ©pugnance (Ohlendorf) ;
  • le planificateur bureaucrate qui ne s’occupe que de la tĂąche qui lui a Ă©tĂ© assignĂ©e (Adolf Eichmann), pour qui son objectif prime sur tout le reste, notamment lors du dĂ©bat Ă  la fin de la guerre sur l’utilisation des dĂ©tenus juifs Ă  des fins de production militaire ;
  • le militaire sadique qui prend plaisir Ă  tuer – ce qui provoquera d’ailleurs la colĂšre d’Aue – mais qui reste une exception ; c’est le cas d’Ott (p. 149) ou de Turek (p. 227). L'antisĂ©mite paranoĂŻaque LĂŒbbe considĂšre sa tĂąche hideuse « Écoutez, ce n'est pas parce que je mange de la viande que j'aimerais travailler dans un abattoir.» (p. 88)

Se pose Ă©galement la question des moyens pour arriver aux fins recherchĂ©es, l’élimination des Juifs.

Le meurtre de masse est problĂ©matique pour la plupart des soldats. On Ă©voque les milliers de soldats traumatisĂ©s par les meurtres, en particulier les meurtres de femmes et d’enfants qui ne peut que les renvoyer Ă  leur condition de pĂšre et de mari, qui deviennent fous, alcooliques ou brutaux et incontrĂŽlables. Ainsi dans le roman, un infirmier allemand, Greve, tue son supĂ©rieur, Ott, aprĂšs que celui-ci a fracassĂ© le crĂąne d’un bĂ©bĂ© que Greve venait de sauver de la mort (p. 149).

Le camion Saurer, dans lequel sont enfermĂ©s les Juifs en vue d’une mort par asphyxie, n’est une solution guĂšre plus satisfaisante.

Pour remĂ©dier Ă  cet Ă©tat de fait, la crĂ©ation de camps de concentration est un moyen de diluer la responsabilitĂ© des diffĂ©rents acteurs du gĂ©nocide, chacun pouvant arguer n’avoir fait que son travail - du conducteur du train au fabricant de gaz Zyklon B.

La banalitĂ© du mal, l’inhumain reste de l’humain

François Villon (v.1431-v.1463).

La question du mal est une question centrale du roman : le critique du Figaro, Étienne de Montety, voit en Aue « une figure faustienne du mal ». Pour lui, « le Mal a des teintes comme le couchant des soirs d’orage ». C’est lĂ  un des principaux effets de la dĂ©flagration Littell : rappeler au lecteur, Ă  son corps dĂ©fendant, que cette histoire funeste du nazisme fut une histoire d’hommes. Le livre s’ouvre d’ailleurs sur l’incipit villonnien de Ballade des pendus : « FrĂšres humains
 » (phrase qui constitue aussi une partie du titre d'un roman d'Albert Cohen, Ô vous, frĂšres humains). Comme le prĂ©cise le narrateur (p. 543), l’inhumain et donc le Mal restent de l’Humain. On peut tuer des Juifs et ĂȘtre un bon pĂšre de famille.

L’auteur, Jonathan Littell, n’est pas loin de partager l’opinion de son hĂ©ros. Pour lui, « la catĂ©gorie du mal est un rĂ©sultat, pas une cause. Il n’existe pas de gens mauvais en soi, mĂȘme votre Dutroux. Certes, ses actes sont mauvais, mais il n’est pas, lui, un Satan qui ferait le mal par plaisir. Ce qui est vrai pour le mal individuel l’est encore davantage pour le mal collectif quand le bourreau est entourĂ© de gens qui lui renvoient l’image que ce qu’il fait est bien. Toutes les collectivitĂ©s ont le pouvoir de faire le mal. La cĂ©lĂšbre expĂ©rience de Milgram, oĂč on demandait Ă  des gens d’appuyer sur un bouton qui pouvait pourtant entraĂźner des souffrances Ă  d’autres hommes, a bien montrĂ© que chacun peut faire le mal dans un certain contexte. »[6]

Aue lui-mĂȘme ne correspond en aucune façon au clichĂ© de la brute nazie sanguinaire. C’est un homme lettrĂ© qui, n’ayant pu Ă©tudier les lettres, a fait de brillantes Ă©tudes de droit. « Aue est un drĂŽle de SS qui prĂ©fĂšre citer Tertullien plutĂŽt que Rosenberg. Dans les villages de Russie, il parle grec Ă  ses victimes et, de passage Ă  Paris, se rend au Louvre pour contempler un Philippe de Champaigne », Ă©crit Montety. De mĂȘme, il lit Flaubert lors de sa fuite devant l’avancĂ©e des Russes, et apprĂ©cie la musique de Rameau.

NĂ©anmoins, Aue fait le choix du national-socialisme qui satisfait son besoin d’absolu, sa haine du bourgeois et lui permet de s’identifier au pĂšre absent.

Un mal commis par devoir

Dans le roman, les dignitaires nazis en arrivent Ă  organiser l’extermination des Juifs sans avoir au dĂ©part le moindre penchant criminel mais par loyautĂ© ou obĂ©issance vis-Ă -vis du rĂ©gime nazi. Ce sentiment de devoir implique de surmonter tout scrupule d’ordre moral, toute compassion ou humanitĂ© Ă©tant perçue comme une faiblesse, un sentimentalisme contraire aux valeurs viriles du nazisme. L’échelle des valeurs est inversĂ©e : le courage est pour le nazi de surmonter son humanitĂ©.

Ainsi, Max Aue n’approuve pas, Ă  titre personnel, l’Holocauste (« À la pensĂ©e de ce gĂąchis humain, j’étais envahi d’une rage immense, dĂ©mesurĂ©e », p. 126). Le massacre des Juifs lui semble « un malheur », mais il indique qu’au « malheur, il faut s’y confronter [
] fermer les yeux, ce n’est jamais une rĂ©ponse. »

Un autre exemple Ă©clairant est celui d’Ohlendorf, qui accomplit l’extermination des Juifs par pur sentiment de devoir. Celui-ci avoue n’ĂȘtre « ni un militaire, ni un policier » et que « ce travail de sbire ne ([lui] convient pas. Mais c’était un ordre et [il avait] dĂ» accepter. » (p. 211). Se confiant Ă  Aue, il avoue qu’il aurait prĂ©fĂ©rĂ© qu’on trouve une solution plus humaine. Le narrateur souligne qu’Ohlendorf (p. 212) interdit que l’on frappe ou tourmente les condamnĂ©s, exige que les exĂ©cutions soient menĂ©es selon la mĂ©thode militaire et que l’on contrĂŽle les vols et dĂ©tournements auxquels se livraient les soldats.

Le refus de la mauvaise conscience

En mĂȘme temps, il rejette d’un revers de main toute idĂ©e de morale, toute mauvaise conscience. Il reste prisonnier d’une idĂ©ologie völkisch et darwiniste sociale.

Il justifie ce rejet de la mauvaise conscience de plusieurs façons :

  • d’une part, « s’il Ă©tait nĂ© en France ou en AmĂ©rique, on l’aurait appelĂ© un pilier de sa communautĂ© et un patriote, mais il est nĂ© en Allemagne, c’est donc un criminel. » (p. 543) ;
  • d’autre part, il montre que d’autres peuples – les Britanniques et les Belges dans leurs colonies, les AmĂ©ricains vis-Ă -vis des Indiens d’AmĂ©rique, les Russes lors de la « dĂ©koulakisation » – ne se sont pas comportĂ©s moins brutalement ;
  • enfin, si l’Allemagne avait gagnĂ©, la question ne se poserait pas : le mal serait donc un jugement de valeur prononcĂ© par le vainqueur. Le narrateur se fait l’apĂŽtre du relativisme : tout est question de perspective, il n’y a pas d’instance absolue permettant de juger du bien ou du mal, « chaque peuple dĂ©finit sa vĂ©ritĂ© et sa justice. » (p. 154).

Ce raisonnement tend Ă  absoudre l’individu de sa responsabilitĂ© morale et Ă  envisager une responsabilitĂ© collective : « Si donc on souhaite juger les actions allemandes durant cette guerre, c’est Ă  toute l’Allemagne qu’il faut demander des comptes. » (p. 545)

Dans une autre perspective, Aue envisage une responsabilitĂ© qui ne repose plus sur l’intention de commettre le mal, mais sur l’accomplissement de ce mal, conception grecque de la morale : « Les Grecs faisaient une place au hasard dans les affaires des hommes, mais ils ne considĂ©raient en aucun cas que ce hasard diminuait leur responsabilitĂ© » (p. 545)

MalgrĂ© les atrocitĂ©s qu’il commet, Aue demeure un personnage intĂ©ressant pour le lecteur, car il reste capable d’une certaine humanitĂ© et se montre rĂ©tif Ă  la malhonnĂȘtetĂ© intellectuelle ou Ă  la cruautĂ© gratuite. Ainsi, il refuse de cautionner le massacre des Juifs des montagnes du Caucase, ce qui lui vaudra une affectation-sanction Ă  Stalingrad, et s’oppose Ă  Turek, lequel fait preuve de beaucoup de cruautĂ© envers les Juifs. Aue juge le comportement de ce dernier indigne.

Le crime, un mal auquel on s’habitue

On a l’impression que, s’agissant de tuer, c’est le premier meurtre qui est le plus difficile, et qu’ensuite on s’y habitue : assistant aux exĂ©cutions, Aue remarque qu’« il advenait que ce sentiment de scandale s’usait de lui-mĂȘme et on en prenait, en effet, l’habitude. » (p. 170) On peut mĂȘme finir par y trouver de la jouissance, comme le confirme le narrateur dans un entretien avec Wirths : « Wirths Ă©tait d’accord avec moi pour dire que mĂȘme les hommes qui au dĂ©but frappaient uniquement par obligation finissaient par y prendre goĂ»t. » (p. 573)

Dans les premiers temps, une question obsĂšde le narrateur : comment tuer peut-il ĂȘtre si facile, alors que mourir est si difficile ? Cependant, au fil du roman, Aue plonge dans l’abĂźme du mal et ses inhibitions face au meurtre semblent diminuer : en Ukraine, il se contentait d’achever la souffrance de Juifs agonisants ; lors de son sĂ©jour en France, il massacre [probablement] sa mĂšre et son beau-pĂšre sauvagement Ă  l’aide d’une hache et de ses mains nues. Pendant l’avancĂ©e des SoviĂ©tiques, il rencontre un joueur d’orgue dans une Ă©glise et l’exĂ©cute froidement, obsĂ©dĂ© par sa musique. À Berlin, en , il tue dans les toilettes d’un hĂŽtel un amant un peu empressĂ©. Le roman s’achĂšve sur le meurtre de Thomas, l’ami le plus loyal et le plus fidĂšle, qui l’a sauvĂ© par le passĂ©. La lĂ©sion cĂ©rĂ©brale du narrateur consĂ©cutive Ă  sa blessure sur le front de Stalingrad, pourrait ĂȘtre la cause de ses actes individuels de violence, notamment Ă  Antibes et Ă  Berlin. La violence exercĂ©e en temps de guerre finit par rejaillir dans le civil.

Cependant, le narrateur ne sort pas indemne de sa confrontation avec le mal. Il somatise, souffre de coliques, de vomissements, de diarrhĂ©es rĂ©currentes. Dans le roman, sang, excrĂ©ments, putrĂ©faction sont omniprĂ©sents. Aue confesse qu’il souffre encore de frĂ©quentes nausĂ©es qui ont commencĂ© au moment de la guerre : « C’est un vieux problĂšme, ça date de la guerre, ça a commencĂ© vers l’automne 1941 [
] Ă  Kiev. » Le contrecoup du massacre de Babi Yar ? De mĂȘme, les fantasmes sexuels et rĂȘves traumatisants prennent de plus en plus d’importance, jusqu’à culminer dans le chapitre « Air », et amĂšnent Ă  douter de la santĂ© mentale du narrateur.

Le destin criminel d’Aue et celui de l’Allemagne nazie

On peut s’interroger sur la gĂ©nĂ©alogie des crimes que vient Ă  commettre Aue. Il s’oppose Ă  sa mĂšre ou Ă  sa sƓur qui toutes deux rĂ©prouvent les actes perpĂ©trĂ©s Ă  l’encontre des Juifs. Par un brutal retour des choses, Una atteste Ă  la fin du roman de la brutalitĂ© et de la cruautĂ© dont a fait preuve leur propre pĂšre lors de la PremiĂšre Guerre mondiale.

On peut se demander si le mal n’est pas la consĂ©quence du malheur que l’on Ă©prouve : le narrateur se refuse Ă  toute Ă©motion, Ă  tout sentiment d’amour. Il refuse de se mettre Ă  la place des autres, de comprendre sa mĂšre et sa sƓur. Il semble prisonnier de sentiments de rĂ©pulsion et de rancune. Il dissocie sexualitĂ© et amour, dans la mesure oĂč il ne peut aimer une autre personne que sa sƓur, comme l’indique Marie-Laure Delorme dans Le Magazine littĂ©raire : « lui, privĂ© de son amour d’enfance ne s’est jamais risquĂ© hors de son destin. »

Par ailleurs, Aue indique au dĂ©but du roman que « depuis son enfance, [il est] hantĂ© par la passion de l’absolu et du dĂ©passement des limites. » (p. 95) Il opte pour une pensĂ©e radicale, le national-socialisme, par haine du « confort des lois bourgeoises » et de l’« assurance mĂ©diocre du contrat social ». Sa haine du bourgeois et sa haine du beau-pĂšre ne font qu’une. À un autre endroit du roman (p. 138), Aue qualifie son beau-pĂšre de « grand bourgeois français ».

On peut se livrer Ă  un parallĂšle entre le destin criminel de l’Allemagne nazie et le destin criminel de Max Aue. Marie-Laure Delorme souligne que « Maximilien Aue cherche, comme le peuple allemand, Ă  laver un passĂ© honteux pour construire un avenir radieux. Le meurtre collectif ou individuel, apparaĂźt comme une solution radicale. Et peu Ă  peu, dans les deux cas, la folie gagne. »

Le crime, refus de reconnaĂźtre l’humanitĂ© de l’autre

Un passage est Ă©clairant sur une motivation du crime de sang. Le personnage de Wirths souligne qu’on ne tue pas quelqu’un parce qu’on le considĂšrerait comme un animal. AprĂšs tout, « aucun de nos gardes ne traiterait un animal comme il traite les HĂ€ftlinge. [
] J’en suis arrivĂ© Ă  la conclusion que le garde SS ne devient pas violent ou sadique parce qu’il pense que le dĂ©tenu n’est pas un ĂȘtre humain ; au contraire, sa rage croĂźt et tourne au sadisme lorsqu’il s’aperçoit que le dĂ©tenu, loin d’ĂȘtre un sous-homme comme on le lui a appris, est justement, aprĂšs tout, un homme, comme lui au fond. »

Les événements historiques évoqués dans le roman

Les principaux Ă©vĂ©nements historiques de nature politique ou militaire entre 1941 et 1945 sont Ă©voquĂ©s dans le roman. On en voit Ă©galement les rĂ©percussions sur les populations : restrictions en eau chaude, consĂ©quences des bombardements, bandes d’enfants errants Ă  la fin de la guerre...

Sont notamment Ă©voquĂ©s la bataille de Stalingrad, l’avancĂ©e des troupes soviĂ©tiques, et l’attentat de juillet 1944 contre Hitler.

On perçoit Ă©galement l’évolution des rapports de force entre les diffĂ©rents dignitaires du rĂ©gime nazi Ă  travers les propos des diffĂ©rents personnages : ainsi, selon Thomas, aprĂšs Stalingrad, Göring est marginalisĂ© alors que Speer est l’étoile montante du rĂ©gime.

Les discussions entre responsables nazis informent Ă©galement sur le moral des combattants ou de la population.

Les tensions entre SS et Wehrmacht

Soldats allemands prisonniers de guerre, .

Des tensions existent entre la Wehrmacht et la SS ; cette opposition recouvre une opposition de classe sociale, les aristocrates étant présents essentiellement dans la Wehrmacht et non dans la SS.

Les aristocrates, le plus souvent des junkers, n’ont que mĂ©pris pour la SS et pour les nazis de maniĂšre gĂ©nĂ©rale. Le personnage le plus emblĂ©matique de cette attitude est von ÜxkĂŒll, le mari d’Una, qui Ă  la suite de l’exclusion de Schönberg de l’acadĂ©mie qualifie le gouvernement nazi de « gouvernement de gangsters et de prolĂ©taires aigris ». Lorsque Aue lui demande son soutien afin de pouvoir obtenir une affectation en France, von ÜxkĂŒll lui annonce que « [ses] amis de la Wehrmacht ne portent pas la SS dans leur cƓur ».

L’inverse est aussi vrai. Au mĂ©pris des aristocrates envers les nazis rĂ©pond le mĂ©pris des nazis convaincus pour les junkers. Ainsi, Blobel leur reproche d’ĂȘtre hypocrites et de laisser la sale besogne aux SS pour garder une prĂ©tendue virginitĂ© morale : « Et ça sera nos tĂȘtes qu’on servira Ă  la foule tandis que tous les Prusso-youtres comme von Manstein, tous les von Rundstedt et les von Brauchitsch et les von Kluge retourneront Ă  leurs von manoirs confortables et Ă©criront leurs von mĂ©moires, en se donnant des claques dans le dos les uns les autres pour avoir Ă©tĂ© des von soldats si dĂ©cents et honorables. » (p. 173)

Le cynisme au service du pouvoir

Dans un rĂ©gime autoritaire, la vĂ©ritĂ© compte moins que le souci de ne pas dĂ©plaire Ă  ses supĂ©rieurs. Aue l’apprend Ă  ses dĂ©pens. Aue est un national-socialiste convaincu. Il adhĂšre Ă  un projet qui s’adresse Ă  l’ensemble du peuple : « L’ordre social devait ĂȘtre arrangĂ© organiquement Ă  l’avantage de tous et pas seulement de quelques nantis. » (p. 463)

Aue pense ĂȘtre rĂ©compensĂ© en faisant preuve de luciditĂ©. Dans son rapport Ă  Heydrich en 1939, il note qu’en cas de guerre la France irait Ă  l’affrontement avec l’Allemagne. Or c’est Thomas, le cynique, le carriĂ©riste qui obtient un avancement. « Qu’est-ce qu’on s’en fout de ce qui se passera ? En quoi ça nous concerne, toi et moi ? Le ReichsfĂŒhrer ne veut qu’une chose : pouvoir rassurer le FĂŒhrer qu’il peut s’occuper de la Pologne comme il l’entend. » (p. 61)

S’il faut ĂȘtre soumis Ă  ses supĂ©rieurs, il ne faut pas toutefois trop s’encombrer de scrupules ; le principe de fonctionnement du systĂšme et donc du pouvoir tel que l’expose Thomas Ă  Aue est que les ordres restent volontairement flous : « C’est au destinataire de reconnaĂźtre les intentions du distributeur et d’agir en consĂ©quence. Celui qui agit ainsi est un excellent national-socialiste et on ne viendra jamais lui reprocher son excĂšs de zĂšle, mĂȘme s’il commet des erreurs ; les autres ce sont ceux qui comme le dit le FĂŒhrer, ont peur de sauter par-dessus leur propre ombre. » (p. 505)

Ainsi, le systĂšme favorise les personnalitĂ©s les plus cyniques et les plus amorales. Comme le remarque Ohlendorf, « le parti reste gangrenĂ© par trop d’élĂ©ments corrompus qui dĂ©fendent leurs intĂ©rĂȘts privĂ©s. » (p. 209). Il constate que « les gauleiters savent trĂšs bien interprĂ©ter ses ordres, les dĂ©former et puis proclamer qu’ils suivent sa volontĂ© pour en fait faire ce qu’ils veulent ».

Un bel exemple d’arriviste prĂȘt Ă  tout est celui de Woytinek, « qui nourrissait un vif ressentiment d’avoir ratĂ© le dĂ©but de la campagne et qui espĂ©rait que l’occasion se prĂ©senterait rapidement de se rattraper » (p. 165).

RĂ©ception du roman

La réception par les critiques

En France, le roman de Littell a fait l’objet d’éloges dithyrambiques, notamment dans TĂ©lĂ©rama, Le Nouvel Observateur, Le Monde. D’autres (Les Inrockuptibles, Politis) jugent plus sĂ©vĂšrement le roman. Plusieurs historiens (Peter Schöttler, Édouard Husson[22]) dĂ©plorent que le narrateur soit peu crĂ©dible et citent les erreurs d’interprĂ©tation commises Ă  leurs yeux par le romancier.

Le Canard enchaßné et Libération occupent une position intermédiaire dans le panorama de la critique.

On retrouve, en 2006, les mĂȘmes oppositions dans la presse germanophone entre critiques enthousiastes (Frankfurter Allgemeine Zeitung, Rheinischer Merkur) et critiques plus acerbes (Neue ZĂŒrcher Zeitung). L'Ă©dition traduite en allemand entraĂźne, en 2008, des critiques plus prĂ©cises.

Les critiques positives

  • La qualitĂ© de la documentation

Beaucoup s'accordent Ă  reconnaĂźtre la qualitĂ© du travail de documentation rĂ©alisĂ© par l'auteur. L’historien Jean Solchany[23] parle d’un « Ă©tonnant souci de documentation ». MĂȘme Claude Lanzmann[13], par ailleurs critique vis-Ă -vis de l'Ɠuvre, trouve « la documentation formidable » et loue « l’énorme travail qu’il a fourni ». Il atteste qu’il n'y a « pas une erreur » et que l'auteur fait preuve d'« une Ă©rudition sans faille ». Selon lui, Littell « a lu tous les travaux des historiens, les tĂ©moignages des agents de l’époque, les minutes des procĂšs. Il connaĂźt fort bien « Shoah », dont il dit que ce fut pour lui un Ă©vĂ©nement dĂ©clencheur. »

  • La maĂźtrise du style et une Ɠuvre crĂ©dible

Le style de l’Ɠuvre est Ă©galement l’objet de tous les Ă©loges. Pour JĂ©rĂŽme Garcin du Nouvel Observateur, « jamais, dans l’histoire rĂ©cente de la littĂ©rature française, un dĂ©butant n’avait fait preuve d’une telle ambition dans le propos, d’une telle maestria dans l’écriture, d’une telle mĂ©ticulositĂ© dans le dĂ©tail historique et d’une telle sĂ©rĂ©nitĂ© dans l’effroi. »

L’historien Jean Solchany[23] loue « la force d’un style qui concilie remarquablement cruditĂ© et classicisme ». Idem pour Nathalie Crom de TĂ©lĂ©rama qui trouve « le rĂ©sultat (
) saisissant ». Elle qualifie l’Ɠuvre de « fresque de grande ampleur oĂč sont convoquĂ©s des centaines de personnages rĂ©els ou fictifs, portĂ©e par une authentique puissance narrative ». Il se dĂ©gage, selon elle, « une force de conviction hors du commun, une sensation inouĂŻe de rĂ©alisme et de justesse ».

Pour Samuel Blumenfeld, dans Le Monde des livres, « l’époustouflante rĂ©ussite des Bienveillantes ne se trouve pas seulement dans la conduite d’un rĂ©cit couvrant l’intĂ©gralitĂ© du second conflit mondial, un souffle devenu trop rare dans le roman contemporain. Elle tient aussi dans l’abandon demandĂ© au lecteur, Ă  cette façon de l’amener Ă  rendre les armes aprĂšs 900 pages. Cette pulsion gĂ©nocidaire, rationalisĂ©e par un sens de l’organisation hors du commun, formulĂ©e avec autant de prĂ©cision par Max Aue, ne relĂšve plus seulement de la confidence. Elle devient un miroir qui nous est tendu puisque de ce « frĂšre humain » nous ne pourrons jamais Ă©carter la lointaine parentĂ©. Dans ces moments-lĂ , Jonathan Littell devient vraiment trĂšs grand. »

  • Un roman qui permet de mieux comprendre l’histoire

Pour le critique de TĂ©lĂ©rama, « c’est cette machine administrative effarante, cette logistique sophistiquĂ©e que l’on voit Ă  l’Ɠuvre, de l’intĂ©rieur, avec une prĂ©cision sidĂ©rante, dans Les Bienveillantes, Ă  travers les faits et gestes de Maximilien Aue. » Pour Medard Ritzenhofen du Rheinischer Merkur, Littell a rĂ©ussi sa tentative de faire de « la normalitĂ© du totalitarisme » un sujet littĂ©raire.

Pour les critiques de LibĂ©ration, Adrien Minard et MichaĂ«l Prazan, « il ne s’agit pas ici du rĂ©cit de l’historien, progressant au fil des preuves et des sources, mais de la traduction, de la mise Ă  disposition pour chacun, de ce travail qui demeure trop souvent circonscrit Ă  ses cercles autorisĂ©s. [
] On nous disait que l’extermination des Juifs Ă©tait un sujet rebattu. Littell nous rattrape par la nuque et nous plonge la tĂȘte dans l’horreur, dans ses mĂ©canismes les plus sordides en nous disant : Et ça ? Le saviez-vous ? Force est de rĂ©pondre que non, nous ne le savions pas. Et si nous le savions, nous ne l’avions pas envisagĂ© comme cela. »

RĂ©pondant aux critiques de l’historien Schöttler et de Claude Lanzmann, l’historien Jean Solchany pense que « le lecteur est "pris" dans une reconstitution de grande ampleur qui conduit Ă  apprĂ©hender, avec une prĂ©cision et une finesse qu’aucune Ɠuvre de fiction n’avait atteintes jusque-lĂ , la dĂ©termination meurtriĂšre du rĂ©gime nazi, la mobilisation de l’appareil bureaucratique et les diffĂ©rentes formes de la tuerie (fusillades massives orchestrĂ©es par les Einsatzgruppen, extermination par le travail, assassinats dans les chambres Ă  gaz, marches de la mort) ». Selon lui « qualifier, comme Claude Lanzmann[13], le livre de « simple dĂ©cor » et fustiger l’« indiffĂ©renciation de la logorrhĂ©e, Ă©quivalent verbal des diarrhĂ©es dont souffre Max Aue », ou l’assimiler, comme Peter Schöttler, Ă  une « certaine littĂ©rature de guerre et de gare », tĂ©moigne d’une Ă©troitesse de vue surprenante. »

Pour Jorge SemprĂșn « C’est une dĂ©marche assez courageuse et tellement rĂ©ussie qu’on est admiratif et bĂ©at d’admiration devant ce livre. Pour les gĂ©nĂ©rations des deux siĂšcles Ă  venir, la rĂ©fĂ©rence pour l’extermination des juifs en Europe ce sera le livre de Littell et ça ne sera pas les autres livres. »[24]

Pour la psychanalyste Julia Kristeva[25], « puisque Les Bienveillantes n’est pas un « roman historique » comme les autres, les critiques formulĂ©es par les historiens Ă  son endroit ratent leur cible. Car le narrateur, lui, s’approprie ces discours (jusqu’aux archives soviĂ©tiques et aux tĂ©moignages des victimes) pour les insĂ©rer dans sa psychopathologie. Les Bienveillantes n’est pas un ouvrage d’historien, pas plus qu’une analyse de la Shoah : c’est une fiction qui restitue l’univers d’un criminel. »

Le livre n'a pas de section bibliographique : pour les lecteurs qui connaissent l'histoire, les références sont enchùssées dans le texte et sont évidentes (R. Hilberg, C. Browning, H. Arendt et les nombreux autres). Pour Jonathan Littell, ce roman est un objet littéraire et il n'a pas jugé pertinent de lister les innombrables références des textes historiques et archivistiques qu'il a parcourus. Un site de références historique sera créé lors de la parution du roman en anglais.

  • Le souci Ă©thique

Plusieurs critiques soulignent que malgrĂ© le sujet du roman, l’auteur a su Ă©viter l’écueil du voyeurisme, de la fascination malsaine. Pour Nathalie Crom de TĂ©lĂ©rama, Littell fait preuve « d’un souci Ă©thique omniprĂ©sent ». À ses yeux, Jonathan Littell n’a pas choisi l’intenable position qui aurait consistĂ© Ă  donner une reprĂ©sentation romanesque du plus grand gĂ©nocide de l’Histoire. C’est en quelque sorte en marge de l’indicible qu’il se tient, tout en se tournant pourtant, sans lyrisme ni complaisance, du cĂŽtĂ© des bourreaux. JĂŒrg Altwegg de la Frankfurter Allgemeine Zeitung est du mĂȘme avis. Selon lui, « grĂące Ă  son Ă©rudition, grĂące Ă  sa conscience, celle d’un homme engagĂ© nĂ© aprĂšs la guerre et grĂące Ă  sa confiance toute rĂ©actionnaire dans les possibilitĂ©s de la littĂ©rature en deçà de toutes les avant-gardes, son rĂ©cit Ă©chappe Ă  l’écueil de la banalisation et de la trivialisation du mal par la littĂ©rature ». Selon le critique allemand, « Littell a intĂ©riorisĂ© et retranscrit la subtilitĂ© des thĂ©ories de Blanchot et la fascination envers le mal, tels qu’on peut les observer chez Sade et Jean Genet ».

Pour l’historien Solchany, « le livre ne dĂ©rĂ©alise pas (la Shoah), mais Jonathan Littell ne manifeste aucune fascination pour l’horreur, il la dĂ©peint au contraire de maniĂšre particuliĂšrement Ă©prouvante. Parce qu’elle autorise une libre gestion du temps d’exposition (900 pages !), et donc une organisation plus Ă©laborĂ©e du rĂ©cit, parce qu’elle parvient Ă  suggĂ©rer de façon plus directe la violence et la souffrance, la littĂ©rature dĂ©montre ici sa supĂ©rioritĂ© sur le cinĂ©ma. »

Un narrateur qui manque de crédibilité

Pour plusieurs critiques, le narrateur apparaßt historiquement peu crédible.

Tout d’abord du fait de l’accumulation de particularitĂ©s (homosexualitĂ©, bilinguisme, inceste) qui le caractĂ©risent. Pour le critique de la Neue ZĂŒrcher Zeitung, JĂŒrgen Ritte[26], « tout cela est un peu beaucoup pour une personne ». Dans LibĂ©ration, Florent Brayard[27] est d’avis que les « nazis Ă©taient moins bizarres, ils faisaient des enfants Ă  leur femme quand ils rentraient de permission, s’achetaient des natures mortes ou des paysages champĂȘtres, et la littĂ©rature n’était pas la premiĂšre de leurs prĂ©occupations ». Du coup, son hĂ©ros contredit les thĂšses de Christopher Browning sur les « hommes ordinaires ». Autre problĂšme soulignĂ© par la Frankfurter Rundschau et Claude Lanzmann, le narrateur est volubile, contrairement aux bourreaux nazis. Le narrateur affirme qu’il ne sait plus ce qu’est un souvenir, mais dĂ©taille ses souvenirs sur 900 pages. Or les bourreaux ne parlent pas mais cherchent Ă  refouler leurs souvenirs.
Par ailleurs, le narrateur semble stĂ©rĂ©otypĂ©, le nazi cultivĂ© ayant une prĂ©dilection constitue un clichĂ© Ă©culĂ© depuis Le Silence de la mer de Vercors. Il en va de mĂȘme pour le « stĂ©rĂ©otype du nazi homosexuel (
) connu Ă©galement dans la littĂ©rature populaire ».

Son parcours apparaĂźt aussi pour plusieurs critiques peu vraisemblable. Dans Politis, on souligne que « l’auteur n’hĂ©site pas Ă  entraĂźner son personnage sur tous les points chauds du Reich : le front russe, le massacre Ă  Kiev, la bataille de Stalingrad, Paris occupĂ©, l’évacuation d’Auschwitz, l’assaut sur Berlin
. Et le casting ne serait pas indigne d’une superproduction. Face Ă  Max Aue l’anonyme apparaissent Eichmann, Himmler, Rebatet, Brasillach, Hitler : des pointures ». Maximilien Aue est pour cette raison comparĂ© Ă  Forrest Gump.

Florent Brayard (LibĂ©ration) se demande si ce n’est pas le lecteur que Littell tire par le bout du nez quand Max Aue tire le nez d’Hitler.

Peter Schöttler, historien franco-allemand de l'IHTP, reproche dans Le Monde du au personnage romanesque son rapport parfaitement abstrait Ă  la langue et Ă  la culture allemande, voire Ă  la mentalitĂ© nazie. Tilman Krause[28] va plus loin jugeant que l’évocation de toute l’époque du troisiĂšme Reich manque totalement de rĂ©alitĂ©. Selon lui, « tout ce qui va au-delĂ  des grades, rangs et idĂ©ologĂšmes lui est complĂštement Ă©tranger » et Littell ne convainc pas dans les situations quotidiennes.

Certains critiques pensent que Maximilien Aue est trop français. Ainsi, pour Édouard Husson[22], le hĂ©ros du roman « est complĂštement invraisemblable ». Il « semble n’avoir jamais quittĂ© le Quartier Latin et il est peu probable que le SD de Himmler et Heydrich ait longtemps tolĂ©rĂ© dans ses rangs un agent aussi peu dĂ©terminĂ© Ă  mettre en Ɠuvre les politiques gĂ©nocidaires du Reich ». Pour Florent Brayard, le roman de Littell est un collage mais Ă  l’intĂ©rieur du champ littĂ©raire français. Il montre par exemple que Genet est l’un de ses inspirateurs.

Schöttler et Claude Lanzmann établissent un lien entre un personnage à leurs yeux pas assez incarné et sa psychologie hors normes.

Pour Schöttler, « la vie et le personnage central restent extrĂȘmement pĂąles et, en fin de compte, anhistoriques. Peut ĂȘtre est-ce pour cela que l’auteur insiste tellement sur ses appĂ©tits homosexuels et incestueux, dont il ne nous Ă©pargne pratiquement rien. »

Pour Claude Lanzmann, Littell tente d’humaniser le narrateur en le pourvoyant « d’une psychologie envahissante » (qu’il juge peu intĂ©ressante) en lui attribuant « nausĂ©es, vomissements, diarrhĂ©es fabuleuses, perversions sexuelles et rĂ©flexions mĂ©taphysiques ». « Il a littĂ©ralement chiĂ© son livre, Littell. Quelqu’un qui connaĂźt l’histoire n’apprend rien par ce livre et quelqu’un qui ne la connaĂźt pas n’apprend pas non plus, parce qu’il ne peut pas comprendre. »

Qu’aurait dĂ» faire l’auteur pour pallier ce manque ? Selon Schöttler, en tant qu’intellectuel SS, « l’auteur aurait dĂ» lui donner au moins quelques traits particuliers, par exemple concernant sa socialisation et ses souvenirs politiques, ses goĂ»ts littĂ©raires, philosophiques ou artistiques pour expliquer cette transgression radicale des normes culturelles en vigueur qu’impliquait sa participation aux massacres ».

L’auteur rĂ©pond Ă  toutes ces critiques dans un entretien au journal Le Monde. Il reconnaĂźt que Max Aue est un nazi hors norme, peu rĂ©aliste et pas forcĂ©ment crĂ©dible. Mais selon lui, « un nazi sociologiquement crĂ©dible n’aurait jamais pu s’exprimer comme (son) narrateur ». Pour lui, « Max Aue est un rayon X qui balaye, un scanner. (
) Il avoue ne pas rechercher la vraisemblance mais la vĂ©ritĂ© ». Or « la vĂ©ritĂ© romanesque est d’un autre ordre que la rĂ©alitĂ© historique ou sociologique ».

Le style
Marcel Proust (1871-1922).
James Joyce (1882-1941).

Le roman est également critiqué en raison de son style.

Le critique des Inrockuptibles, Sylvain Bourmeau juge l’esthĂ©tique du roman peu moderne ; il se demande comment on peut Ă©crire en 2006 de la mĂȘme façon qu’au XIXe siĂšcle comme si Proust, Joyce, Hammett, William Faulkner et Robbe-Grillet n’avaient jamais existĂ©. Selon lui, Littell Ă©crit un roman sur la Shoah comme si celle-ci avait eu lieu il y a un siĂšcle. Le critique de Politis partage cet avis et juge la langue d’un acadĂ©misme achevĂ© comme si l’indicible d’un rĂ©el qui excĂšde les limites de la raison pouvait trouver une forme dans un langage policĂ©. Il regrette que la voix de Max Aue n’ait pas Ă©tĂ© « contaminĂ©e par la dĂ©flagration du sens que porte son terrible rĂ©cit ». Selon lui, Littell « s’en est tenu Ă  la surface des choses » et « ne pĂ©nĂštre pas dans le tissu de l’horreur ».

Guy Konopnicki (Marianne, ) écrit que « le couper-coller fait ainsi une entrée fracassante en littérature ».

Le Canard enchaĂźnĂ© dĂ©plore « la faiblesse stylistique qui compromet souvent le plaisir de lire : les barbarismes succĂšdent aux facilitĂ©s d’un goĂ»t douteux ». Le critique cite un passage de l’Ɠuvre : « TrĂšs souvent dans la journĂ©e, ma tĂȘte se met Ă  rugir comme un four crĂ©matoire » (p. 14). Dans un autre article, il met en lumiĂšre l’utilisation de nombreux anglicismes[29].
RĂ©ponse de Littell dans Le Monde du : « Il y a des anglicismes dans mon roman ! Et comment ! Je suis un locuteur de deux langues et, forcĂ©ment, les langues se contaminent entre elles. Il y a un magnifique travail d’Albert Thibaudet qui montre, chez Flaubert, l’influence des provincialismes normands sur la langue littĂ©raire de l’auteur de Madame Bovary. C’était perçu au dĂ©part comme une faute, mais, Ă  partir de cela, Flaubert a produit des beautĂ©s. Chacun a ses particularitĂ©s linguistiques. Alain Mabanckou va avoir de trĂšs belles trouvailles qui viennent de la maniĂšre qu’ont les Africains de parler français. Ses formules peuvent sembler bizarres, dĂ©suĂštes, mais elles sont magnifiques. Il est intĂ©ressant, cette annĂ©e, que plusieurs prix littĂ©raires aient Ă©tĂ© dĂ©cernĂ©s Ă  des non-francophones. Nancy Huston est anglophone. Comme pour moi, le français n’est pas la langue natale de Mabanckou. En Grande-Bretagne, cela fait des annĂ©es que les plus grands Ă©crivains sont indiens, pakistanais, japonais. Et, grĂące Ă  eux, la langue s’enrichit. »

Pour Édouard Husson du quotidien Le Figaro, le passage oĂč Hitler est habillĂ© en rabbin (p. 434) est une insulte Ă  la mĂ©moire des victimes.

L’accumulation de termes techniques et de rĂ©fĂ©rences historiques peut aussi poser problĂšme. Selon le critique de Politis, la concentration de « ScharfĂŒhrer », « ObersturmfĂŒhrer » et « StandartenfĂŒhrer » participe d’un mĂȘme devoir de compilation que l’information systĂ©matique donnĂ©e sur le sort de tel personnage connu, comme si Jonathan Littell n’avait pu Ă©pargner Ă  son lecteur la moindre de ses fiches. On retrouve la mĂȘme rĂ©fĂ©rence Ă  des fiches bristol chez Edouard Husson[22] : « il y a l’autre face, celle de l’élĂšve besogneux. Comme historien du nazisme, je relĂšve page aprĂšs page des fiches de lecture plus ou moins visiblement accrochĂ©es les unes aux autres. »

Ce dernier critique compare le narrateur Ă  un khĂągneux (Ă©lĂšve de classe prĂ©paratoire littĂ©raire) qui ferait preuve d’un cĂŽtĂ© m’as-tu-vu et d’un goĂ»t pour les digressions philosophiques, « au risque de lasser le lecteur quand il doit subir Ă  longueur de page des dialogues sur le moi, le monde et l’absence de Dieu ».

Autre problÚme stylistique évoqué par Schöttler : les erreurs de langue. La plupart des termes germaniques présents dans le roman sont, selon lui, tordus ou fautifs.

Dans son « enquĂȘte sur le cas Jonathan Littell » (Les Malveillantes, SCALI, 2006), Paul-Éric Blanrue montre que les interrogations sur le fond (l’histoire et la morale) ne peuvent ĂȘtre dissociĂ©es de celles qui portent sur la forme du roman (les anglicismes prĂ©sents dans le livre, le rĂŽle jouĂ© dans une « rĂ©Ă©criture » par l’éditeur Richard Millet).

Les problÚmes éthiques posés par le roman

Deux thĂšmes se retrouvent dans nombre de critiques, d'une part le risque d’empathie vis-Ă -vis du narrateur, et d'autre part la possible complaisance de l’auteur vis-Ă -vis de la violence, une attraction malsaine pour le sujet (« fascination »).

Le fait que le narrateur soit un bourreau constitue un problĂšme aux yeux de nombreux critiques.

La question de l’identification du lecteur au narrateur ou tout au moins d’une certaine empathie vis-Ă -vis de lui est souvent abordĂ©e dans les critiques.

Pour Le Canard enchaĂźnĂ©, il est difficile pour le lecteur d’éprouver de l’empathie pour le hĂ©ros, condition pour que le roman fonctionne dans sa forme traditionnelle.

Pour Édouard Husson[22], le point de vue du narrateur, « celui d’un nihiliste post-moderne qui promĂšne son ennui le long des charniers causĂ©s par des nihilistes de l’ñge totalitaire, conduit Ă  relativiser la gravitĂ© du national-socialisme. L’idĂ©e selon laquelle tout homme peut devenir un bourreau sert en fait, sous la plume de Jonathan Littell Ă  relativiser les crimes du nazisme. L’identification du lecteur au narrateur que rĂ©clame le prologue doit conduire Ă  l’indulgence pour le narrateur. »

Le critique de l’HumanitĂ©, Alain Nicolas[15], partage la mĂȘme crainte : « le phĂ©nomĂšne d’identification propre au rĂ©cit, surtout Ă  la premiĂšre personne, ne risque-t-il pas, en fait, de la diluer dans une certaine banalisation du mal ? Comment interprĂ©ter le « Je suis comme vous » en quoi se rĂ©sume l’adresse de cet homme Ă  son lecteur ? Le malaise, Ă  l’évidence, naĂźt de ce questionnement, qui n’est pas, pour autant, spĂ©cifique Ă  ce livre. »

MĂȘme chose pour Bourmeau des Inrockuptibles qui trouve que la dĂ©cision de restituer le monologue d’un bourreau d’une telle longueur, sans laisser le moindre espace pour le lecteur et l’auteur n’est pas dĂ©fendable du point de vue Ă©thique.

Outre le problĂšme de l’identification du lecteur au narrateur, certains reprochent Ă  l’auteur une fascination malsaine pour le mal, le meurtre. Pour le critique des Inrockuptibles, l’auteur Ă©prouve une fascination morbide et malsaine pour son sujet. Le critique JĂŒrgen Ritte rĂ©sume son impression par les termes d’« arriĂšre-goĂ»t mauvais, de parfum d’obscĂ©nitĂ© »[26].

  • La vision de l’histoire

Plusieurs critiques, en gĂ©nĂ©ral des historiens, considĂšrent que la vision de l’histoire exposĂ©e dans « Les Bienveillantes » ne correspond pas Ă  la rĂ©alitĂ© et s'inscrit dans une philosophie de l'histoire archaĂŻque.

Selon l’historien Christian Ingrao[30], Littell n’a pas rĂ©ussi Ă  faire passer les sentiments de haine et d’angoisse qui poussent les SS Ă  passer Ă  l’acte et Ă  tuer. Selon lui, ces intellectuels nazis du service de renseignements SS, qui ont pris les armes, ont tuĂ© des femmes, des enfants sont passĂ©s Ă  l’acte par angoisse et par haine. « Mais la ferveur, l’utopie, dans laquelle l’extermination des Juifs est la condition sine qua non pour la germanisation des territoires occupĂ©s : ils pensent : "C’est eux ou nous" ; ils pensent aussi : "Il faut les tuer pour crĂ©er notre rĂȘve." Cette ferveur, qu’on sent dans les moments d’effondrement des stratĂ©gies de dĂ©fense, au cours des instructions et des procĂšs des responsables nazis, on ne la voit malheureusement jamais dans Les Bienveillantes. »

Selon, l’historien Édouard Husson (Le Figaro) :

  • les experts et technocrates n’ont pas pu modĂ©rer les « penseurs de l’extermination » type Heydrich ; on note au contraire l’afflux des plus brillants juristes, Ă©conomistes ou spĂ©cialistes de l’amĂ©nagement de la machine gĂ©nocidaire en 1941-1942 ;
  • Littell ne comprend pas bien le processus de dĂ©cision qui mĂšne au gĂ©nocide des juifs : il n’y a pas eu un seul FĂŒhrervernichtungsbefehl, mais une sĂ©rie de mots d’ordre successifs de radicalisation entre la mi-juillet et la mi- ;
  • ni Hitler, ni Himmler n’avaient besoin d’une Ă©minence grise inventĂ©e comme Mandelbrod pour mettre en Ɠuvre la Shoah.

Pour le politiste Josselin Bordat et l'Ă©crivain Antoine Vitkine[31], on trouve dans ce livre « de la mauvaise histoire ». Selon lui, « Littell vĂ©hicule la classique idĂ©e reçue selon laquelle les nazis ne croyaient pas Ă  leurs mythes ». Littell vĂ©hiculerait « une thĂšse fonctionnaliste nĂ©e plusieurs dizaines d’annĂ©es auparavant : la Shoah aurait Ă©tĂ© permise par une machine bureaucratique oĂč chacun neutralisait son jugement pour n’obĂ©ir qu’aux ordres (
). La Shoah s’expliquerait par ce que les sociologues appellent un effet d’émergence, sans que le facteur idĂ©ologique soit dĂ©cisif. Une thĂšse qui n’est plus dĂ©fendue par la plupart des historiens. »

Pour l'historien Florent Le Bot, « l’économie du texte de Littell relĂšve ce que François Hartog a dĂ©signĂ© sous le concept de prĂ©sentisme. Dans cette approche, il s’agit de ne retenir du passĂ© que ce qui a du sens au prĂ©sent, un passĂ© Ă  la mesure du prĂ©sent, tout en repoussant dans le mĂȘme mouvement un avenir s’avĂ©rant forcĂ©ment lourd de menaces. [...] Le dĂ©terminisme prĂ©sentiste ne retient d’un passĂ© vitrifiĂ© que le sombre et l’amer pour postuler l’éternelle et immuable malignitĂ© de l’Homme dont les fautes, les crimes et les pĂȘchĂ©s doivent s’expier durant un Ă©ternel prĂ©sent [...]. Ce prĂ©sentisme s’avĂšre finalement l’une des modalitĂ©s d’un certain confusionnisme ambiant s’agissant des questions de mĂ©moires, de commĂ©morations, de victimes et d’Histoire ».

Le recours au mythe

Le choix esthĂ©tique du recours au mythe est critiquĂ© par l’universitaire Dominique Viart[8] pour des raisons Ă©thiques. Selon lui, ce choix est gĂȘnant dans la mesure oĂč le mythe donne « une clef de lecture, une explication » de l’histoire. « Or le mythe, c’est le destin, auquel on n’échappe pas quand bien mĂȘme on le voudrait (voyez ƒdipe), c’est la fatalité  bref : on tue, certes, mais on n’y est pour rien. Le recours au mythe dĂ©shistoricise l’Histoire, il la dĂ©contextualise en la rendant atemporelle. Il empĂȘche ainsi que l’on puisse rĂ©flĂ©chir aux Ă©lĂ©ments sociaux, Ă©conomiques, politiques, culturels, intellectuels, individuels et collectifs
 qui ont rendu l’horreur possible. (
) on renonce Ă  interroger notre responsabilitĂ© dans ses Ă©vĂ©nements. »

La réception par le public

L’accueil du public est trĂšs favorable. Les Bienveillantes est en tĂȘte des ventes en France au mois de , ce qui ne manque pas de susciter intĂ©rĂȘt et curiositĂ© dans les autres pays. À la mi-, l’ouvrage s’est dĂ©jĂ  vendu Ă  plus de deux cent cinquante mille exemplaires, ce qui a eu pour consĂ©quence d’assĂ©cher le marchĂ© de la rentrĂ©e littĂ©raire : la lecture du roman Ă©tant longue et ardue, elle ne permet guĂšre aux lecteurs de lire d’autres romans dans le mĂȘme temps. En 2008, plus de 670 000 exemplaires de l'Ă©dition de base ont Ă©tĂ© vendus – en 2021 le chiffre communiquĂ© par les Ă©ditions Gallimard est de 618 000 exemplaires[32] –, plus de 12 000 de l'Ă©dition spĂ©ciale et plus de 90 000 de la version poche[33].

Prix littéraires

Le roman est retenu dans de nombreuses listes de prix littĂ©raires de l’automne 2006, notamment le prix Goncourt, le prix Renaudot et le prix Femina.

Le , le livre obtient le grand prix du roman de l'Académie française. Considéré parmi les favoris pour le prix Goncourt, le roman est récompensé le à la majorité dÚs le premier tour, fait rare, par sept voix contre une à Ouest de François Vallejo, une à Rendez-vous de Christine Angot, et une à Un désir fou de danser d'Elie Wiesel[34]. En , il est élu Meilleur livre de l'année 2006 par le magazine Lire.

Selon la rĂ©dactrice en chef de Livres Hebdo, Christine Ferrand, cela ne constitue pas en soi une surprise Ă©tant donnĂ© que « Les Bienveillantes (
) figure parmi les favoris depuis le mois d’aoĂ»t environ. Un buzz s’est crĂ©Ă© au cours de l’étĂ© dernier. Quelques critiques, qui avaient reçu ce roman au mois de juillet, ont fait fonctionner un bouche-Ă -oreille assez favorable, qui a conduit les Ă©diteurs Ă  prĂ©senter ce premier roman Ă  l’ensemble des sĂ©lections des prix littĂ©raires. »

Les Bienveillantes a cependant reçu un trophĂ©e parodique, la Bad Sex in Fiction Award Ă  sa traduction en anglais en 2009, en particulier Ă  cause d'un sexe fĂ©minin dĂ©crit comme « Un cyclope immobile dont l'Ɠil ne cille pas. », et d'un orgasme masculin dont la description est : « Un choc m'a vidĂ© la tĂȘte, comme une cuillĂšre qui raclerait l'intĂ©rieur de la coquille d'un Ɠuf »[35].

Les raisons du succĂšs

Le succĂšs de l’Ɠuvre suscite la curiositĂ© de nombreux critiques[36]. Dans un article paru dans Le Monde[37], Bertrand Le Gendre montre que ce succĂšs n’est pas le fruit du hasard mais constate un regain d’intĂ©rĂȘt pour les livres consacrĂ©s aux criminels nazis. Il y voit une volontĂ© de comprendre ce qui se passe dans le cerveau d’un criminel de guerre. Il date ce regain d’intĂ©rĂȘt de , pĂ©riode lors de laquelle est sorti le film La Chute. Il expose l’avis de Fabrice d'Almeida, directeur de l’Institut d’histoire du temps prĂ©sent (CNRS), lequel dĂ©cĂšle dans le succĂšs des Bienveillantes et les ouvrages de la mĂȘme veine une interrogation nouvelle, « ontologique », sur le mĂ©canisme d’adhĂ©sion Ă  la barbarie, sur la fascination qu’exerçait Hitler et sur le passage Ă  l’acte.

L’historien Denis Peschanski[30] se demande s’il « s’agit du temps long d’une fascination rĂ©currente pour la barbarie ? S’agit-il du temps long d’une passion française pour la Seconde Guerre mondiale ? Ou bien ce livre et son succĂšs sont-ils rĂ©vĂ©lateurs d’un changement de registre mĂ©moriel ? » Il constate un changement de paradigme : on passe du moment du rĂ©sistant (aprĂšs la guerre) Ă  l’ùre de la victime (annĂ©es 1980). Actuellement, il observe « depuis deux ou trois ans (
) d’un cĂŽtĂ© une concurrence des victimes, avec une multiplication des porteurs de mĂ©moire au nom de la victimisation, et, de l’autre, une certaine saturation de l’opinion. Ce qui fait qu’on peut se demander si le succĂšs de cet ouvrage, au-delĂ  de tout jugement sur sa qualitĂ© littĂ©raire, n’ouvre pas un autre registre mĂ©moriel. Entre-t-on dans l’ùre du bourreau ? Assiste-t-on Ă  une diversification des genres : on parle de la victime, mais aussi du bourreau, du spectateur ? Ou bien est-ce une clĂŽture sur une autre figure, la figure du bourreau ? »

Le journaliste Philippe Lançon[38] explique dans un article polĂ©mique le succĂšs des Bienveillantes par le fait que l’auteur donne au public ce qu’il souhaite avoir. Il se demande « quels sont les endroits les plus communs de la foule flattĂ©s par ce livre, en quoi cette foule est-elle inculte sur le sujet traitĂ©, quel appĂ©tit populaire rassasie-t-on avec l’histoire de ce SS (
) ». Selon lui, « la foule a faim. Pour 25 euros, le buffet aux horreurs lui est ouvert. Comme au Club MĂ©diterranĂ©e, il est illimitĂ©. DĂ©sormais, comprendre c’est manger. »

Le professeur de littĂ©rature Bruno Blanckeman[30] constate que resurgit la figure du monstre « que l’on montre dans sa proximitĂ© » mais s’explique mal le succĂšs des Bienveillantes. Thomas Wieder[39] dresse le mĂȘme constat pour les travaux des historiens : « le bourreau hante les travaux sur la guerre depuis une quinzaine d’annĂ©es ». Il cite en guise d’exemples les travaux de Lawrence Keeley, Denis Crouzet, Jean Hatzfeld, StĂ©phane Audoin-Rouzeau ou du cinĂ©aste Rithy Panh au Cambodge.

Selon Blanckeman, « il y a sans doute une attirance pour ces problĂ©matiques-lĂ , le monstre proche, une Histoire qu’on croyait canonique et qu’on traverse par le biais d’un destin unique. Il y a peut-ĂȘtre Ă©galement une lassitude vis-Ă -vis des Ɠuvres hyperminimalistes. »

Quant Ă  Jonathan Littell, il formule deux hypothĂšses auxquelles l’historien Pierre Nora et lui-mĂȘme sont parvenus :

  • une hypothĂšse historique : « le rapport qu’entretiennent les Français avec cette pĂ©riode de l’histoire » ;
  • une hypothĂšse littĂ©raire : « une demande forte pour des gros livres, plus romanesques, plus construits », que l’éditeur Gallimard a constatĂ©e depuis plusieurs annĂ©es.

La polĂ©mique autour des droits de l’Ɠuvre

Le roman a Ă©tĂ© soumis, selon les dires de l’auteur dans La Libre Belgique, Ă  quatre Ă©diteurs et c’est Gallimard qui a fait une offre principale. Jonathan Littell a recouru aux services de l’agent littĂ©raire Andrew NĂŒrnberg, pratique banale aux États-Unis mais peu courante dans le monde littĂ©raire français.

Parmi plusieurs Ă©diteurs, c’est Gallimard qui fut le plus rapide. Toutefois, Gallimard dispose des droits pour l’édition en français, mais pas pour les traductions.

Dans un article paru dans Le Monde[40], Florence Noiville souligne que l’auteur gagnera plus d’argent que l’éditeur. Elle y voit un prĂ©cĂ©dent qui, s’il venait Ă  se gĂ©nĂ©raliser, mettrait en pĂ©ril les maisons d’édition, en fragilisant leur dĂ©partement Ă©tranger.

Antoine Gallimard[41] a publiĂ© un droit de rĂ©ponse le , dans lequel il affirme que la situation des Bienveillantes est « spĂ©cifique et ne se prĂȘte guĂšre Ă  l’exemplaritĂ© », celui-ci ayant Ă©tĂ© Ă©crit par un auteur amĂ©ricain reprĂ©sentĂ© par un agent anglais. L’accord passĂ© avec lui est donc similaire Ă  celui passĂ© avec les Ă©crivains hispaniques ou anglo-saxons publiĂ©s en France.

Dans un entretien au Monde, Jonathan Littell affirme que, dans le monde littéraire, le recours à un agent est naturel. Selon lui, le systÚme français « permet de publier des livres qui ne le seraient pas ailleurs ». Mais « il a un coût » : si « toute la chaßne du livre vit du livre », les écrivains ne peuvent vivre de leur plume.

Utilisation au théùtre

Pendant le Festival d'Avignon le , le metteur en scÚne Krzysztof Warlikowski reprend des textes tirés des Bienveillantes (parmi d'autres d'Eschyle, d'Euripide, d'Hanna Krall et son personnage Apollonia Machczynska, ou de J. M. Coetzee avec Elizabeth Costello) lors de la création dans la Cour d'honneur du Palais des Papes de sa piÚce (A)pollonia qui recevra un excellent accueil critique[42].

Les Ă©ditions Ă©trangĂšres de l'Ɠuvre

  • Au BrĂ©sil : (es) Jonathan Littell (trad. AndrĂ© Telles), As Benevolentes [« Les Bienveillantes »], Rio de Janeiro, Objetiva, , 905 p. (ISBN 978-8-560-28123-7, OCLC 742184291).
  • En Espagne : Las BenĂ©volas, Ă©d. RBA, . 85 000 exemplaires vendus dĂ©but 2008[43].
  • En Catalogne : Les Benignes, Ă©d. Quaderns Crema, .
  • En Italie : Le Benevole, Supercoralli, Ă©d. Einaudi, , p. 956, (ISBN 8806187317). 60 000 exemplaires vendus dĂ©but 2008[43].
  • En Allemagne : Die Wohlgesinnten, le . 120 000 exemplaires imprimĂ©s pour la premiĂšre Ă©dition (Berlin Verlag)[43]. Traduit du français par Hainer Kober[44]. Critiques et observateurs du monde littĂ©raire en France et en Allemagne donnent leur point de vue sur le roman parmi lesquels Frank Schirrmacher, du Frankfurter Allgemeine Zeitung, l’éditeur Michel Friedmann, ancien porte-parole de la communautĂ© juive en Allemagne, mais aussi l’écrivain Éric-Emmanuel Schmitt, le cinĂ©aste Claude Lanzmann ou l’agent littĂ©raire britannique Andrew Nurnberg[45]. La critique de Burkhard Scherer, dans la Berliner Zeitung est fĂ©roce : « Quand un tambour du Ghana, un joueur de sitar indien et un pianiste danois jouent ensemble, on parle aujourd'hui de musique du monde - world music. Par analogie, Les Bienveillantes sont de la world littĂ©rature. Car Littell offre dans un seul ouvrage un porno, un roman policier, un film d'horreur, un witz plein d'imagination, une tragĂ©die, un roman trivial kitsch, un guide de randonnĂ©e, et une nouvelle monographie sur l'Holocauste »[46].
  • En IsraĂ«l : le roman est paru, en hĂ©breu, en , Ă©d. Kinneret Zmora Dvir. 10 000 exemplaires prĂ©vus[43]. Le titre en hĂ©breu est Notot hahesed "Ś Ś•Ś˜Ś•ŚȘ Ś”Ś—ŚĄŚ“". Une semaine aprĂšs sa parution, la rĂ©ception est positive. Un petit livre, paru en mĂȘme temps, s'appelle Polemus (PolĂ©mique en hĂ©breu) composĂ© de six chapitres: 1 - 2 Lettres de J.L Ă  ses traducteurs. 3 - Article de Claude Lanzmann. 4 - Article de J. Littell et P. Nora, traduit du DĂ©bat no 144, 5 - Article de Liran Razinsky 6 - Chapitre du traducteur Nir Ratzkovsky.
  • En Belgique et aux Pays-Bas : De Welwillenden, De Arbeiderspers, , p. 1200 (ISBN 978 90 295 6654 4) [Édition en nĂ©erlandais].
  • En RĂ©publique tchĂšque : LaskavĂ© bohyně, Ă©d. Odeon, , p. 868, (ISBN 978-80-207-1278-3).
  • En Finlande : HyvĂ€ntahtoiset, Ă©d. WSOY, 2008, p. 857, (ISBN 978-951-0-33098-2).
  • En GrĂšce : Î•Ï…ÎŒÎ”ÎœÎŻÎŽÎ”Ï‚, Ă©d. Livanis, 2008, p. 951, (ISBN 9789601416496).
  • En NorvĂšge : De velvillige, Ă©d. Gyldendal, , p. 910, (ISBN 9788702057515).
  • En SuĂšde : De vĂ€lvilliga, Ă©d. Brombergs, 2008, p. 911, (ISBN 9789173370134).
  • En Pologne : Ɓaskawe, Ă©d. Wydawnictwo Literackie, , p. 1044 (ISBN 9788308042458).
  • En Roumanie : Binevoitoarele, ed.RAO, 8.1.2009, p. 892, (ISBN 978-973-103-833-9), Traduit du français par Vasile Savin.
  • Aux États-Unis, au Canada, en Angleterre : The Kindly Ones, parution le . PubliĂ© par Harper Collins (USA) et Chatto & Windus (Angleterre). Les critiques se rĂ©partissent dĂ©jĂ  en deux camps : les pour et les contre[47].
  • En Hongrie : JĂłakaratĂșak, Ă©d. MagvetƑ, , p. 1192, (ISBN 9789631426588).
  • Au ViĂȘt Nam : Những káș» thiện tĂąm, Ă©d. NhĂŁ Nam, 2009.
  • En Bulgarie : ДoбрoжeĐ»aтeĐ»ĐœĐžŃ‚e, Ă©d. Colibri, 2009, p. 815, (ISBN 9789545296789). Traduit du français par Georges AnguĂ©lov.
  • En Russie : Đ‘Đ»Đ°ĐłĐŸĐČĐŸĐ»ĐžŃ‚Đ”Đ»ŃŒĐœĐžŃ†Ń‹, Ă©d. Ad Marginem, 2011, p. 800, (ISBN 978-5-91103-095-7). Traduit du français par I. Melnikova.

L'édition française en Folio

Le texte intĂ©gral a Ă©tĂ© trĂšs discrĂštement revu par Jonathan Littell : incorrections, fautes d'orthographe. Dans le chapitre Gigue, Max Aue mord le nez de Hitler. Le texte de l'Ă©dition blanche (p. 880–881) : « Avec un petit sourire sĂ©vĂšre je lui tendis la main et lui pinçai le nez entre deux doigts repliĂ©s, lui secouant doucement la tĂȘte, comme on fait Ă  un enfant qui s'est mal conduit » est remplacĂ© par « Alors je me penchai et mordis son nez bulbeux Ă  pleines dents, jusqu'au sang. » dans l'Ă©dition Folio (p. 1369)[48]. Il s'agit d'un retour au manuscrit original.

Notes et références

Notes

  1. Équivalent de capitaine en France.

Références

  1. « Jonathan Littell est devenu français »
  2. Les 20 événements de 2008 dans Le Figaro du 2 janvier 2008.
  3. « « Les Bienveillantes » à l'assaut de l'Allemagne le 23 février », sur Livres Hebdo (consulté le ).
  4. http://livres.fluctuat.net/blog/36473-les-bienveillantes-de-littell-trop-long-et-trop-cher-pour-les-anglo-saxons-.html.
  5. La bande Ă  Bonnot, France Inter, septembre 2006.
  6. Jonathan Littell, « Le phénomÚne Littell », entretien avec Guy Duplat, La Libre Belgique, 28 septembre 2006.
  7. Jonathan Littell, « Entretien avec "Le Monde" », Le Monde, 31 août 2006.
  8. Dominique Viart, « Les prix, sismographes de la vie littéraire », Libération, 9 novembre 2006.
  9. Romain Leick, « Giftige Blumen des Bösen », Der Spiegel, 13 novembre 2006
  10. Conférence exceptionnelle du 24 avril 2007, De l'abjection à la banalité de mal, ENS, http://www.diffusion.ens.fr/index.php?res=conf&idconf=1727
  11. Victor Klemperer, LTI, la langue du IIIe Reich, Pocket Agora 202, p. 37, Albin Michel, 1996
  12. JĂŒrg Altwegg, « Leute, jeder ist ein Deutscher », Frankfurter Allgemeine Zeitung, 11 septembre 2006
  13. Claude Lanzmann, « Claude Lanzmann juge les Bienveillantes », Le Nouvel Observateur, 21 septembre 2006
  14. Étienne de Montety, « L’Apocalypse selon Jonathan », Le Figaro littĂ©raire, 24 aoĂ»t 2006.
  15. Alain Nicolas, «La mort Ă©tait son mĂ©tier », L’HumanitĂ©, 7 septembre 2006.
  16. Michael Mönninger, «Die Banalisierung des Bösen », Die Zeit, 21 septembre 2006
  17. Michel Schneider, « », Le Point, 31 août septembre 2006
  18. Anne-Catherine Simon, « », Die Presse, 7 novembre 2006
  19. Cosmopoltaines, France Inter, entretien avec Jonathan Littell, France Inter, 12 novembre 2006
  20. Claire Devarrieux, «Nuit et bouillasse », Libération, 7 septembre 2006
  21. Stéphane Roussel, L'homosexualité dans les Bienveillantes, crise de l'identité, crise de l'Histoire, dans Les Bienveillantes de Jonathan Littell, Murielle Lucie Clément (dir.), Open Book Publishers, p. 155-170
  22. Édouard Husson, « Les Bienveillantes, un canular dĂ©placĂ© », Le Figaro, 8 novembre 2006.
  23. Jean Solchany, « Non, “Les bienveillantes” ne comportent nulle fascination pour la barbarie », Le Monde, 3 novembre 2006
  24. Murielle Lucie ClĂ©ment, Les Bienveillantes de Jonathan Littell, Études rĂ©unies par Murielle Lucie ClĂ©ment, Cambridge, OpenBook Publishers, , 352 p. (ISBN 978-1-906924-23-2, lire en ligne), p. 9
  25. Julia Kristeva : À propos des Bienveillantes (De l’abjection Ă  la banalitĂ© du mal). ConfĂ©rence organisĂ©e par le Centre Roland-Barthes, le 24 avril 2007, Ă  l’École normale supĂ©rieure. Le texte de cette confĂ©rence a Ă©tĂ© publiĂ© dans l’Infini, no 99 (Ă©tĂ© 2007)
  26. JĂŒrgen Ritte, «Die SS auf literarischem Erfolgskurs », Neue ZĂŒrcher Zeitung, 13 septembre 2006
  27. Florent Brayart, « Littell, pas si “bienveillant” », LibĂ©ration,
  28. Tilman Krause, «Nazikitsch hat seinen Preis », Die Welt, 6 novembre 2006
  29. Le Canard enchaßné, « Bienveillante Académie », 8 novembre 2006.
  30. Claire Devarrieux et Nathalie Levisalles, «Les bienveillantes roman à controverse », Libération, 7 novembre 2006
  31. Josselin Bordat, Antoine Vitkine «Un nazi bien trop subtil », Libération, 9 novembre 2006
  32. Nicolas Gary, « L'Amant de Duras n'est pas le prix Goncourt le plus vendu », ActuaLitté, 22 février 2021.
  33. Chiffres de ventes librairies/grandes surfaces en France, Panel Tite-Live, edistat.com.
  34. Du cÎté de chez Drouant : Le Goncourt de 2004 à 2011 émission de Pierre Assouline sur France Culture le 31 août 2013.
  35. Le prix Bad Sex Ă  Jonathan Littell : entre cyclope et gorgone
  36. Il a aussi suscitĂ© la curiositĂ© d'Ă©crivains, comme Marc-Édouard Nabe, qui a consacrĂ© un tract trĂšs lyrique Ă  l'explication du succĂšs de Littel au Goncourt (Et Littel niqua Angot, en diffusion libre sur le site de l'Ă©crivain).
  37. Bertrand Le Gendre, « Du cĂŽtĂ© des bourreaux” », Le Monde, 4 novembre 2006
  38. Philippe Lançon, « D’un malveillant », LibĂ©ration, 10 novembre 2006
  39. Thomas Wieder, "Christian Ingrao : les braconniers du grand reich", "Le Monde", 24 novembre 2006
  40. Florence Noiville, « Des “Bienveillantes” sonnantes et trĂ©buchantes », Le Monde, 28 octobre 2006 [lire en ligne]
  41. Antoine Gallimard, « Les Bienveillantes, une belle histoire », Le Monde, 9 novembre 2006 [lire en ligne]
  42. Warlikowski explore la tragédie humaine dans Le Monde du 7 novembre 2009
  43. L'Allemagne s'interroge sur les Bienveillantes dans Le Monde des livres du 14 février 2008.
  44. Le phénomÚne littéraire « Les Bienveillantes » arrive avec fracas en Allemagne, Tageblatt le 16 février 2008
  45. Documentaire de Hilka Sinning, jeudi 28 février 2008 sur ARTE
  46. Yves Petignat, Berlin, 27/02/2008, Le Temps.ch
  47. Complete Review
  48. Le Goncourt 2006 en poche

Annexes

Bibliographie

  • Alex Demeulenaere, « Narration et mĂ©moire. Lecture comparĂ©e de Les bienveillantes et de L’art français de la guerre », Études françaises, vol. 57, n° 2021, p. 65-80 (lire en ligne).
  • AndrĂ© Green, « Les Bienveillantes de Jonathan Littell », Revue française de psychanalyse, vol. 71,‎ , p. 907-910.
  • AurĂ©lie Barjonet, « Bienfaits de la nouvelle "littĂ©rature putride" ? Le cas des Particules Ă©lĂ©mentaires de Michel Houellebecq et des Bienveillantes de Jonathan Littell », Lendemains, no 132 (2008), p. 94-108.
  • (en) AurĂ©lie Barjonet (dir.) et Liran Razinsky (dir.), Writing the Holocaust Today: Critical Perspectives on Jonathan Littell's The Kindly Ones [« Écrire sur l'Holocauste aujourd'hui : perspectives critiques sur les Bienveillantes de Jonathan Littell »], Rodopi, (ISBN 978-90-420-3586-7).
  • Annick Jauer, « Ironie et gĂ©nocide dans Les Bienveillantes de Jonathan Littell », dans Claude PĂ©rez, JoĂ«lle Gleize et Michel Bertrand (dir.), HĂ©gĂ©monie de l’ironie ? Actes de Colloque, 2007.
  • Antoine Compagnon, « Nazisme, histoire et fĂ©erie : retour sur Les Bienveillantes », Critique, no 726 (2007), p. 881-896.
  • BenoĂźt Lechat, Albert MingelgrĂŒn, Hubert Roland, Bernard De Backer, « Jonathan Littell : de Degrelle aux Bienveillantes », La Revue nouvelle, juillet- / no 7-8 (dossier Jonathan Littell).
  • Cosmin Toma, « Les Bienveillantes et les limites de la littĂ©rature », Études françaises, vol. 49, no 1,‎ , p. 167-180 (lire en ligne).
  • Édouard Husson, Michel Terestchenko, Les Complaisantes. Jonathan Littell et l’écriture du mal, Ă©ditions François-Xavier de Guibert, Paris, 2007, 254 p. (ISBN 2755401524).
  • Emmanuel Bouju, « Un livre contre lui-mĂȘme. Sur l’exercice de la lecture engagĂ©e », ModernitĂ©s, no 26 (2008), p. 239-248.
  • Erich Wulff, « Jonathan Littells Les Bienveillantes : Ein Versuch kritischer EinfĂŒhlung in den Massenmord », Das Argument, no 270 (2007), p. 247-250.
  • Frank-Rutger Hausmann, « Voyage au bout de l’Holocauste. Bemerkungen zu Jonathan Littells Buch Les Bienveillantes », Lendemains, no 125 (2007), p. 162-168.
  • Frank Wilhelm, « À propos d'un roman primĂ© et controversĂ© », Forum fĂŒr Politik, Gesellschaft und Kultur in Luxemburg, no 266 (), p. 45-51.
  • François Meyronnis, De l’extermination considĂ©rĂ©e comme un des beaux-arts, Paris, Gallimard (Infini), 2007, 190 p.
  • Florent Le Bot, « L’effroi au fond de la forĂȘt. Sur un ChĂąteau en forĂȘt, les Bienveillantes et autres docufictions », in dossier « Raconter l’histoire », Le Banquet, no 25, aoĂ»t-, p. 91-100.
  • Guy Petitdemange, « Les Bienveillantes de Jonathan Littell », Étvdes, tome 405, no 12 (2006), p. 686-694.
  • Henri Dedet, « Les Bienveillantes mises en questions », Psychanalyse, vol. 1, no 11 (2008), p. 105-117.
  • Jacques Natanson, « C'est un scĂ©lĂ©rat qui parle... », Imaginaire & Inconscient, no 21 (2008), p. 73-83.
  • Jonathan Littell, Richard Millet, Pierre Nora, Florence Mercier-Leca, Georges Nivat, Daniel Bougnoux, « Les Bienveillantes de Jonathan Littell », Le DĂ©bat (ISSN 0246-2346), no 144, mars- (ISBN 9782070783908).
  • Jean Bessiere, Qu’est-il arrivĂ© aux Ă©crivains français ? D’Alain Robbe-Grillet Ă  Jonathan Littell, Loverval, Labor, 2007, 92 p.
  • Jean Solchany, « Les Bienveillantes ou l'histoire Ă  l'Ă©preuve de la fiction », Revue d'histoire moderne et contemporaine 2007-3 (no 54-3), pages 159 Ă  178 (ISBN 978-2-7011-4571-6).
  • Julia Kristeva, « À propos des Bienveillantes (de l’abjection Ă  la banalitĂ© du mal) », L’Infini, no 99 (Ă©tĂ© 2007), p. 22-35.
  • Klaus Theweleit, « On the German Reaction to Jonathan Littell's Les Bienveillantes », New German Critique, vol. 36, no 1 (2009), p. 21-34.
  • Liran Razinsky, « History, Excess and Testimony in Jonathan Littell’s Les Bienveillantes », French Forum, vol. 33, no 3 (automne 2008), p. 69-87.
  • Marc Lemonier, Les Bienveillantes dĂ©cryptĂ©es. Carnet de notes, Éditions Le PrĂ© aux clercs, 2007, 252 p. (ISBN 978-2842283087).
  • Murielle Lucie ClĂ©ment (dir.), Les Bienveillantes de Jonathan Littell, Cambridge, Open Book Publishers, 2010, 350 p.
  • Peter Kuon, « Spiel mit dem Feuer ? Mutmaßungen ĂŒber die GrĂŒnde des Verkaufserfolgs eines französischen Mega-Sellers : Les Bienveillantes von Jonathan Littell », Frankreich Jahrbuch (2007), p. 247-258.
  • Philippe Breton, « Nazisme : Une fascination dĂ©placĂ©e », Raison prĂ©sente, no 167.
  • Paul-Éric Blanrue, Les Malveillantes. EnquĂȘte sur le cas Jonathan Littell, Scali, Paris, 2006, 130 p. (ISBN 2-35012-105-4) [prĂ©sentation en ligne].
  • Pierre-Emmanuel Dauzat, Holocauste ordinaire. Histoires d’usurpation : extermination, littĂ©rature, thĂ©ologie, Bayard, Paris, 2007, 186 p. (ISBN 978-2-227-47721-6).
  • RĂ©gine Waintrater, « Les Bienveillantes, intimitĂ© forcĂ©e ou intimidation ? », dans Philippe Mesnard (dir.), « TĂ©moigner : entre histoire et mĂ©moire ». Revue pluridisciplinaire de la fondation Auschwitz / Getuigen : tussen geschiedenis en gedachtenis. Multidisciplinair tijdschrift van de Auschwitz Stichting, no 100 (2008), p. 53-60.
  • Richard J. Golsan, et Susan R. Suleiman, « Suite Française and Les Bienveillantes, Two Literary "Exceptions" : A Conversation », Contemporary French and Francophone Studies, vol. 12, no 3 (2008), p. 321-330.
  • Simon Liberati, « À propos des Bienveillantes », La Revue littĂ©raire, no 34/35, 2008.
  • Susan Rubin Suleiman, « When the Perpetrator Becomes a Reliable Witness of the Holocaust : On Jonathan Littell's Les Bienveillantes », New German Critique, vol. 36, (no) (2009), p. 1-19.
  • Tysebaert Évelyne, « Le corps du monde. À propos du livre de Jonathan Littell : Les Bienveillantes », Revue française de psychanalyse 4/2009 (Vol. 73) , p. 1069-1081.
  • Urs Urban, « Ceci n'est pas un Juif : dĂ©construction de l'imaginaire raciologique dans "Les Bienveillantes" de Jonathan Littell », dans L'imaginaire raciologique en France et en Russie, XIXe – XXe siĂšcles, Lyon, 2018, PUL, p. 180-192.

Articles connexes

Liens externes

Cet article est issu de wikipedia. Text licence: CC BY-SA 4.0, Des conditions supplĂ©mentaires peuvent s’appliquer aux fichiers multimĂ©dias.