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Service du travail obligatoire (France)

Le Service du travail obligatoire (STO) fut, durant l’occupation de la France par l’Allemagne nazie, la rĂ©quisition et le transfert vers l’Allemagne de centaines de milliers de travailleurs français contre leur grĂ©, afin de participer Ă  l’effort de guerre allemand que les revers militaires contraignaient Ă  ĂŞtre sans cesse grandissant (usines, agriculture, chemins de fer, etc.). Les personnes rĂ©quisitionnĂ©es dans le cadre du STO Ă©taient hĂ©bergĂ©es, accueillies dans des camps de travailleurs localisĂ©s sur le sol allemand. Il fut instaurĂ© par la loi du , faisant suite au relatif Ă©chec des politiques de volontariat et du système dit de Relève, qui aboutit Ă  la prĂ©sence en 1942, de 70 000 travailleurs venus de France en Allemagne, très en deçà des exigences de l'occupant[1].

L’Allemagne nazie imposa au gouvernement de Vichy la mise en place du STO, pour essayer de compenser le manque de main-d'œuvre dû à l’envoi d'un grand nombre de soldats allemands sur le front de l'Est, où la situation ne cessait de se dégrader. De fait, les travailleurs français sont les seuls d’Europe à avoir été requis par les lois de leur propre État et non par une ordonnance allemande. C'est une conséquence indirecte de la plus grande autonomie négociée par le gouvernement de Vichy comparativement aux autres pays occupés, qui ne disposaient plus de gouvernement propre.

L'exploitation de la main-d'Ĺ“uvre française par le Troisième Reich a concernĂ© des travailleurs obligatoires (les requis du STO), des travailleurs volontaires attirĂ©s par la rĂ©munĂ©ration ou « prĂ©levĂ©s » dans les entreprises dans le cadre de la Relève ainsi que les prisonniers de guerre. Un total de 600 000 Ă  650 000 travailleurs français fut acheminĂ© vers l'Allemagne entre et auquel s'ajoutait la partie des soldats prisonniers retenus de force dans le pays, dont le nombre initial s'Ă©levait Ă  1 850 000 hommes. Les travaux de recherche citent le chiffre de 1 500 000 Français — prisonniers, rĂ©quisitionnĂ©s du STO, volontaires — qui auraient travaillĂ© en Allemagne entre 1942 et 1945[2]. La France fut le troisième fournisseur de main-d'Ĺ“uvre forcĂ©e du Reich après l'Union des rĂ©publiques socialistes soviĂ©tiques (URSS) et la Pologne et fut le pays qui lui donna le plus d'ouvriers qualifiĂ©s.

Les requis ont fait partie jusque dans les années 1970 des « oubliés » de la Seconde Guerre mondiale, concurrencés sur le plan mémoriel par d'autres victimes de guerre, qui avaient été plus héroïques ou plus victimes qu'eux, notamment les prisonniers de guerre français, les déportés politiques et les victimes de la Shoah. Les premiers travaux de recherche sur la réquisition pour le travail ne sont lancés au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) que dans les années 1970 et ne se développeront que dans les années 1990. Les STO ont parfois dû faire face au reproche de n'avoir pas désobéi et d'être partis renforcer le potentiel de la main-d'œuvre du Troisième Reich.

Au moment de leur rapatriement en France, les requis tiennent à être considérés comme des déportés du travail mais la concurrence mémorielle explique qu'ils se voient interdire l'utilisation de cette dénomination. Après une longue bataille parlementaire et judiciaire, les associations d'anciens « requis du travail obligatoire » obtiennent, par décret du , la dénomination officielle de « victimes du travail forcé en Allemagne nazie » mais celle de « déportés du travail » leur est refusée le par la Cour de Cassation[3].

Historique

Dès l'automne 1940, des volontaires, au début majoritairement d'origine étrangère (notamment Russes, Polonais, Italiens) partent travailler en Allemagne. C'est aussi à l'automne 1940 que l'occupant procède à des rafles arbitraires de main-d'œuvre dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais, rattachés à Bruxelles.

La « Relève » (début 1942)

Affiche de propagande allemande pour inciter les Français à aller travailler en Allemagne (Musée de la Résistance en Bretagne).

Fritz Sauckel, surnommĂ© le « nĂ©grier de l'Europe », est chargĂ© le d'amener de la main-d'Ĺ“uvre de toute l'Europe par tous les moyens. Il s'intĂ©resse particulièrement Ă  la France. Sa nomination est Ă  peu près concomitante du retour au pouvoir de Pierre Laval. Jusqu'alors, moins de 100 000 travailleurs français volontaires sont partis travailler en Allemagne[4]. Le refus d'envoyer 150 000 ouvriers qualifiĂ©s a Ă©tĂ© l'une des causes de la chute de Darlan[5]. Au cours des annĂ©es 1942 et 1943, Sauckel use d'intimidation et de menaces pour remplir ces objectifs. Face Ă  lui, Laval, tour Ă  tour nĂ©gocie, temporise et obtempère, si bien que les relations entre les deux hommes sont tumultueuses, Sauckel louant Laval pour sa coopĂ©ration ou le condamnant pour son obstruction[6]. On appelle « actions Sauckel » les exigences de main-d'Ĺ“uvre formulĂ©es par Sauckel entre le printemps 1942 et le dĂ©but de 1944.

Le travail obligatoire est instituĂ© en Europe de l'Ouest par un Anordnung de Sauckel du [7]. Sauckel demande 250 000 travailleurs supplĂ©mentaires avant la fin du mois de juillet. Face Ă  cette exigence, Laval recourt Ă  sa mĂ©thode favorite qui consiste Ă  nĂ©gocier, gagner du temps et chercher des moyens d'Ă©changes. C'est ainsi qu'il en vient Ă  proposer le système de la Relève consistant Ă  libĂ©rer un prisonnier de guerre pour trois dĂ©parts en Allemagne de travailleurs libres ; cette relève est instituĂ©e et annoncĂ©e dans un discours du . Dans le mĂŞme discours, Laval proclame : « je souhaite la victoire de l'Allemagne »[4]. Dans une lettre envoyĂ©e le mĂŞme jour au ministre allemand des Affaires Ă©trangères, Ribbentrop, Laval place cette politique de la relève dans le cadre d'une participation de la France Ă  l’effort de guerre allemand contre le bolchevisme, au travers de l’envoi de travailleurs[5]. En tout, 200 000 travailleurs, dont 70 000 femmes vont travailler pour le Troisième Reich.

La conscription obligatoire (automne 1942)

Le manque de succès de cette mesure (17 000 volontaires seulement Ă  fin aoĂ»t) sonne le glas du volontariat. Le , une directive de Sauckel prĂ©cise qu'il faut dĂ©sormais recourir au recrutement forcĂ©[8]. Du point de vue de Sauckel, la Relève a Ă©tĂ© un Ă©chec puisque moins de 60 000 travailleurs français sont partis en Allemagne Ă  la fin du mois d'aoĂ»t. Il menace alors de recourir Ă  une ordonnance pour rĂ©quisitionner la main-d'Ĺ“uvre masculine et fĂ©minine, ordonnance qui ne peut s'appliquer qu'en zone occupĂ©e. Laval nĂ©gocie l'abandon de l'ordonnance allemande au profit d'une loi française concernant les deux zones[9]. Ceci conduit Ă  la loi française du qui introduit la conscription obligatoire pour tous les hommes de 18 Ă  50 ans et pour les femmes cĂ©libataires âgĂ©es de 21 Ă  35 ans[6]. Cette loi de coercition est Ă©videmment impopulaire et, au sein mĂŞme du gouvernement, quatre ministres auraient manifestĂ© leur opposition[10]. En , l'objectif de 250 000 hommes de la première action Sauckel est atteint[11].

Toutefois, la réquisition forcée d'ouvriers, gardés par des gendarmes jusqu'à leur embarquement en train, suscite de nombreuses réactions hostiles. Le éclate une grève aux ateliers SNCF d'Oullins, dans la banlieue lyonnaise, qui va s’étendre jusqu'au 17 dans le Rhône, à Saint-Étienne et Chambéry[12] - [13]. On écrit sur les trains « Laval assassin ! »[14].

A la suite de ces Ă©vĂ©nements, le gouvernement est forcĂ© de reculer en zone sud, si bien qu'au , seuls 2 500 ouvriers requis ont en tout et pour tout quittĂ© la zone sud[15].

Le service du travail obligatoire (1943-1944)

Départ des travailleurs français du STO pour l'Allemagne à la gare de Paris-Nord en 1943.
À Paris, l’armée d’occupation sélectionne les futurs travailleurs du STO.
Affiche de propagande : « Ils donnent leur sang. Donnez votre travail pour sauver l'Europe du Bolchévisme » (1943).

Après qu'Hitler eut ordonnĂ©, le , le versement dans l'armĂ©e de 300 000 ouvriers allemands, Sauckel exige, le , qu'en plus des 240 000 ouvriers dĂ©jĂ  partis en Allemagne, un nouveau contingent de 250 000 hommes soit expĂ©diĂ© d'ici la mi-mars[6]. Pour satisfaire cette deuxième « action Sauckel », le Pierre Laval, après avoir vainement nĂ©gociĂ©[16], instaure le Service obligatoire du travail (SOT) qui mobilise pour deux ans les jeunes gens « afin de rĂ©partir Ă©quitablement entre tous les Français les charges rĂ©sultant, selon les termes d'un communiquĂ© officiel, des besoins de l'Ă©conomie française » et en fait de l'Ă©conomie allemande[17]. L'abrĂ©viation maladroite SOT suscitant les railleries, elle est remplacĂ©e au bout d'une semaine par STO. Les prĂ©cĂ©dentes rĂ©quisitions, sous le rĂ©gime de la Relève, ne concernaient thĂ©oriquement que des ouvriers. Avec la mise en place du STO, le recrutement, de catĂ©goriel, se fait dĂ©sormais par classes d'âge entières. Les jeunes gens nĂ©s entre 1920 et 1922, c'est-Ă -dire ceux des classes « 1940 », « 1941 » et « 1942 » ont l'obligation de partir travailler en Allemagne (ou en France), s'agissant d'un substitut au service militaire. La jeunesse, dans son ensemble, devient la cible du STO[6]. La classe « 1942 » est la plus touchĂ©e et les exemptions ou sursis initialement promis aux agriculteurs ou aux Ă©tudiants disparaissent dès juin. ThĂ©oriquement, les jeunes femmes sont aussi concernĂ©es mais, par peur des rĂ©actions de la population et de l’Église, hormis quelques cas individuels, elles ne sont pas touchĂ©es par le STO. Parmi les requis de la deuxième « action Sauckel », on compte 24 000 jeunes hommes des chantiers de jeunesse, du dernier contingent de la classe « 1942 »[16]. Il est Ă  noter que des rĂ©sistants communistes autrichiens exilĂ©s en France ont utilisĂ© ce dispositif pour retourner rĂ©sister dans leur pays sous de fausses identitĂ©s françaises ce qui entraĂ®nera une forte rĂ©pression au cours du premier semestre 1944[18].

Le , au cours d'une rĂ©union de prières rĂ©unissant 4 000 jeunes, Ă  Roubaix, Ă©glise Saint-Martin, le cardinal LiĂ©nart, Ă©vĂŞque de Lille, exhorte les jeunes Ă  y aller (le Journal de Roubaix titre : « ce serait de la lâchetĂ© de ne pas obĂ©ir [...] ») ; une semaine plus tard, le cardinal expose sa pensĂ©e en trois points : l'occupant outrepasse ses droits, on peut donc dĂ©sobĂ©ir sans pĂ©chĂ© mais le devoir de charitĂ© — si je ne pars pas, un autre partira Ă  ma place — peut inciter Ă  partir[19].

Certaines victimes sont prises dans des rafles de la milice et de la Wehrmacht. Le Parti populaire français (PPF) de Jacques Doriot met quant à lui sur pied, en 1944, des Groupes d'Action pour la Justice Sociale chargés de traquer les réfractaires contre de l'argent et d'enlever la main-d'œuvre jusqu'en pleine rue.

Au total, 600 000 hommes partent entre et [20]. Laval aura mis l’inspection du travail, la police et la gendarmerie au service des prĂ©lèvements forcĂ©s de main-d’œuvre et de la traque des rĂ©fractaires au Service du travail obligatoire[15]. Ă€ la seconde action Sauckel succède une troisième : le , les Allemands prĂ©sentent de nouvelles demandes, il leur faut 120 000 ouvriers en mai et 100 000 autres en juin. Le , ils en exigent 500 000 supplĂ©mentaires[21]. Ces objectifs ne sont jamais atteints car des rĂ©fractaires de plus en plus nombreux Ă©chappent aux rĂ©quisitions et, finalement, ce sont les Allemands eux-mĂŞmes qui mettent un terme, de fait, aux demandes de Sauckel. Le , le ministre de l'Armement du Reich Albert Speer conclut un accord avec le ministre du Gouvernement Laval, Jean Bichelonne, soustrayant de nombreuses entreprises travaillant pour l'Allemagne Ă  la rĂ©quisition de Sauckel. Les hommes sont protĂ©gĂ©s mais l'Ă©conomie française dans son ensemble est intĂ©grĂ©e Ă  celle de l'Allemagne[20]. De façon formelle, Ă  cĂ´tĂ© de la nouvelle politique de Speer, Sauckel tente tant bien que mal de continuer la sienne de prĂ©lèvement de main-d'Ĺ“uvre vers l'Allemagne. Ainsi, une quatrième action Sauckel lancĂ©e en 1944 s'avère ĂŞtre un fiasco complet[22].

  • ArrĂŞtĂ© interdisant dans le cadre du STO les licenciements sauf autorisation administrative.
    Arrêté interdisant dans le cadre du STO les licenciements sauf autorisation administrative.
  • Coupure de presse rappelant les dispositions concrètes du STO.
    Coupure de presse rappelant les dispositions concrètes du STO.
  • Note du secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral Ă  la main-d'Ĺ“uvre relative Ă  l'organisation du travail fĂ©minin dans l'entreprise, 31 juillet 1944.
    Note du secrétaire général à la main-d'œuvre relative à l'organisation du travail féminin dans l'entreprise, .

Avec le tarissement des ressources humaines Ă  prĂ©lever, le dĂ©veloppement des maquis explique aussi la chute des dĂ©parts Ă  partir de l'Ă©tĂ© 1943, induisant le demi-succès de la troisième action Sauckel (de juin Ă  ) puis le fiasco de la quatrième en 1944. Ainsi, le STO provoque le dĂ©part dans la clandestinitĂ© de près de 200 000 rĂ©fractaires, dont environ un quart gagne les maquis en pleine formation. Le STO accentue la rupture de l'opinion avec le rĂ©gime de Vichy et constitue un apport considĂ©rable pour la RĂ©sistance mais il place aussi cette dernière devant une tâche inĂ©dite, d'une ampleur considĂ©rable : rĂ©soudre le manque d'argent, de vivres, d'armes, etc. pour des milliers de maquisards qui ont soudain affluĂ©[6]. Les rĂ©fractaires au STO forment Ă©galement une part significative mais difficilement quantifiable des quelque 25 000 Ă©vadĂ©s de France qui gagnent l'Espagne puis l'Afrique du Nord et s'engagent dans la France libre ou dans l'armĂ©e française de la LibĂ©ration. Robert Belot Ă©value Ă  51,6% la part des jeunes de 20 Ă  23 ans dans la population des Ă©vadĂ©s par l'Espagne en 1943 et ajoute que ce chiffre « est Ă  relativiser , car il ne suffit pas d'ĂŞtre de ces classes d'âge pour ĂŞtre ipso facto visĂ© par le STO »[23].

Plaque commémorant l'action d'un groupe de résistants menés par Léo Hamon en 1944, place de Fontenoy (Paris 7e).

La RĂ©sistance vole ou dĂ©truit de nombreux registres d'Ă©tat-civil, listes de recensement et fichiers du STO. Le , un commando du ComitĂ© d'action contre la dĂ©portation dirigĂ© par LĂ©o Hamon, incendie 200 000 fiches dans les locaux parisiens du Commissariat gĂ©nĂ©ral au STO[24].

Faute de filière, de place dans le maquis ou de désir de se battre, de nombreux réfractaires se limitent toutefois à se cacher à domicile ou à se faire embaucher dans des fermes isolées où ils servent de main-d'œuvre à des paysans complices. Après l'automne 1943, ils sont aussi nombreux à rejoindre un vaste secteur industriel protégé mis en place par l'occupant et travaillant exclusivement pour son propre compte. Enfin, une part non négligeable des jeunes Français concernés par le STO réussissent à passer à travers les mailles du filet en refusant le STO mais sans pour autant entrer dans la clandestinité ; ces derniers ont la chance d'être progressivement oubliés par l'administration de l'occupant.

Probablement sans connexion avec la politique du STO mais simplement parce qu'il est un dignitaire nazi circulant en voiture dans Paris, le délégué de Fritz Sauckel en France, le SS-Standartenführer (colonel) Julius Ritter, est abattu le par une équipe des Francs-tireurs et partisans - Main-d'œuvre immigrée (FTP-MOI][25] du groupe Manouchian[26]. Il est remplacé par le SS-Brigadeführer (général) Alfons Glatzel (de).

Récapitulation du nombre des travailleurs français en Allemagne

Ă€ la fin de 1944, alors que la France est presque entièrement libĂ©rĂ©e par les AlliĂ©s, environ deux millions de Français se trouvent encore en Allemagne et la plupart travaillent plus ou moins pour le Reich. Parmi eux, on dĂ©nombre un million de prisonniers de guerre. Une seconde catĂ©gorie de 200 000 hommes est formĂ©e des anciens prisonniers de guerre qui ont choisi le statut de « travailleur libre », soumis aux lois nazies. Ils ne sont alors plus protĂ©gĂ©s par les conventions internationales. La convention de Genève de 1929 prĂ©voit Ă  l'article 27 que les prisonniers de guerre, militaires du rang de 2e classe Ă  caporal-chef peuvent ĂŞtre mis au travail par la puissance dĂ©tentrice[27]. Par ailleurs, 600 000 travailleurs du STO forment la troisième catĂ©gorie. Quant aux travailleurs partis plus ou moins volontairement[28], ils sont environ 40 000. Ă€ cela, s'ajoute une autre catĂ©gorie de « travailleurs » pour l'Allemagne : les Alsaciens ou Mosellans, enrĂ´lĂ©s sous l'uniforme allemand dans le cadre du Reichsarbeitsdienst ou Service national du travail obligatoire pour les garçons et les filles entre 17 et 25 ans. Ă€ l'issue du service au RAD les garçons ont Ă©tĂ©, après aoĂ»t 1942, mobilisĂ©s dans l'armĂ©e allemande.

PrĂŞtres-ouvriers et action catholique clandestine dans le Reich

Le Saint-Siège demande au marĂ©chal PĂ©tain, par l'intermĂ©diaire de LĂ©on BĂ©rard, ambassadeur de France au Vatican, que les sĂ©minaristes français soient exemptĂ©s du STO or, ceci n'est pas souhaitĂ© par les Ă©vĂŞques français, qui entendent de la sorte ne pas dĂ©serter le terrain de la reconquĂŞte du monde ouvrier et ce monde ouvrier se trouve pour partie non nĂ©gligeable en Allemagne. Ainsi, 3 200 sĂ©minaristes partent en Allemagne dans le cadre du STO.

D'autre part, à compter de fin 1942, des négociations sont menées entre l'épiscopat français représenté par le cardinal Suhard et le Dr Brandt, qui traite de cette question pour les Allemands, pour officialiser la présence d'aumôniers parmi les déportés du STO. À la fin du mois de , le Dr Brandt oppose un refus définitif à la demande des évêques français mais ceux-ci ont déjà envisagé d'envoyer des prêtres en Allemagne, non pas avec le statut d'aumônier, mais avec celui d'ouvrier. Il s'agit là de la naissance du mouvement des prêtres ouvriers. Pionnier, l'abbé Adrien Bousquet arrive à Berlin le .

Ă€ la suite du père Bousquet, 25 prĂŞtres sĂ©lectionnĂ©s par le père Jean Rodhain, aumĂ´nier national des prisonniers de guerre et futur fondateur du Secours catholique, sont envoyĂ©s clandestinement dans le Reich. En plus de ces clandestins organisĂ©s, d'autres prĂŞtres sont requis sans que leur qualitĂ© de religieux soit dĂ©tectĂ©e. Certains partent de leur propre initiative, parfois contre l'avis de leur Ă©vĂŞque. Il y a Ă©galement 273 prĂŞtres prisonniers de guerre, transformĂ©s en « travailleurs libres ». Avec les 3 200 sĂ©minaristes et les militants de l'Action catholique partis, contraints ou volontaires, cela reprĂ©sente au total un ensemble de quelque 10 000 militants.

Pour les autorités allemandes, les travailleurs étrangers sont autorisés à assister aux offices allemands. Ils ne voient pas d'objection à ce que des ecclésiastiques étrangers soient employés comme travailleurs, à condition qu'ils s'abstiennent de toute activité spirituelle ou ecclésiastique. Cependant l'étau se resserre progressivement, toute activité religieuse auprès des travailleurs forcés devenant dangereuse pour les participants.

Le , Ernst Kaltenbrunner, chef de la sĂ©curitĂ© du Reich, adresse une note Ă  tous les fonctionnaires de la Gestapo. Il leur donne la consigne de rechercher tous les prĂŞtres et sĂ©minaristes dissimulĂ©s sous le statut de laĂŻcs, de les expulser ou de les emprisonner en cas de faute grave. Les responsables rĂ©gionaux des groupes clandestins de Jeunesse ouvrière chrĂ©tienne (JOC), seule organisation clandestine de soutien spirituel prĂ©sente sur le territoire allemand, sont arrĂŞtĂ©s et dĂ©portĂ©s. Les militants catholiques, encore actifs, doivent cesser toute activitĂ© catholique sous peine d'emprisonnement (voir Ă  ce sujet RĂ©sistances chrĂ©tiennes dans l'Allemagne nazie, Fernand Morin, compagnon de cellule de Marcel Callo, D. Morin, Ă©d. Karthala, 2014). L'un d'eux, Marcel Callo, fut bĂ©atifiĂ© par Jean-Paul II en 1987. Sur les 25 prĂŞtres clandestins envoyĂ©s en Allemagne, douze sont envoyĂ©s en camp de concentration, gĂ©nĂ©ralement Ă  Dachau.

Les groupes de la JOC continuent nĂ©anmoins leur action malgrĂ© la rĂ©pression. Un millier de groupes rĂ©partis dans 400 villes allemandes sont rĂ©partis en 70 fĂ©dĂ©rations. Des clans scouts se forment. Jacques Duquesne, en parlant d'eux, Ă©voque une version moderne de l'« Ă©glise des catacombes » : « Ils se confessent en pleine rue, communient dans les escaliers […] ».

Dispositions statutaires

Admise en Belgique, bien que le Parlement français ne se soit jamais prononcé définitivement sur la qualification à donner aux requis du STO, la dénomination officielle de « déporté du travail » est interdite aux associations de victimes du STO par la justice française en 1992, pour éviter la confusion avec la déportation vers la mort qui a été le sort réservé aux résistants et aux Juifs, principalement.

Selon la FĂ©dĂ©ration nationale des dĂ©portĂ©s et internĂ©s politiques (FNDIP), fondĂ©e en 1945 et devenue en 1946 la FĂ©dĂ©ration nationale des dĂ©portĂ©s et internĂ©s rĂ©sistants et patriotes (FNDIRP), 60 000 d'entre eux seraient morts en Allemagne et 15 000 auraient Ă©tĂ© fusillĂ©s, pendus ou dĂ©capitĂ©s pour « actes de rĂ©sistance ». Les historiens jugent aujourd'hui ces chiffres excessifs et estiment qu'entre 25 000 et 35 000 STO ont perdu la vie en Allemagne[29]. La majoritĂ© sont morts en raison de leur emploi dans des usines d'armement bombardĂ©es, souvent dans de mauvaises conditions et sous la surveillance frĂ©quente de la Gestapo, ce qui a occasionnĂ© un taux de mortalitĂ© supĂ©rieur Ă  celui des prisonniers de guerre. De 5 Ă  6 000 d'entre eux d'entre eux sont morts dans des camps de concentration, victimes de la rĂ©pression de la Gestapo. Au moins un millier est mort dans des camps d'Ă©ducation par le travail. Un certain nombre d'entre eux, mis Ă  la disposition d'artisans, de la Reichsbahn, de la Poste ou de l'administration, ou, plus rarement, de fermes, sont morts de maladies mal soignĂ©es ou d'accidents de travail.

Entreprises allemandes ayant utilisé de la main-d’œuvre du STO

Liste non exhaustive (par ordre alphabétique)

Constructions aéronautiques à Česká Kamenice

En 1943, après sa destruction par les Alliés à Berlin, une unité de construction aéronautique est déplacée à Česká Kamenice (République tchèque) dans les Sudètes (région annexée en 1938, précédemment tchécoslovaque).

Avec la complicité du gouvernement de Vichy, des jeunes gens, techniciens, tourneurs, sont interpellés dans leur propre famille ou sur leur lieu de travail, sinon convoqués, notamment chez Air-Équipement à Bois-Colombes (France) le ; avant leur départ pour Berlin, ou d'autres destinations comme Iéna, Leipzig, ils sont consignés à la caserne Mortier à Paris[note 1]. Les familles sont éventuellement informées par courrier dans le but de leur apporter des affaires pour y passer la nuit : tout dépend en fait de la bonne volonté du gendarme qui a procédé à l'interpellation.

Près de CeskĂ  Kamenice, les nazis ont amĂ©nagĂ© le site des mines et fait construire le camp de Rabstein par des dĂ©portĂ©s venant de plusieurs des 95 kommandos dĂ©pendant du camp de concentration, Ă  260 km, de FlossenbĂĽrg en Allemagne (lui-mĂŞme Ă  environ 100 km Ă  l'est de Nuremberg).

Le camp de Rabstein est situé dans un creux de vallon et les baraquements où logent les prisonniers sont souvent inondés. Les hommes insuffisamment vêtus souffrent de la faim, du froid et sont sujets à des rhumatismes.

Dans les caves humides et mal Ă©clairĂ©es, les conditions de travail des ouvriers sont particulièrement pĂ©nibles avec 12 heures de prĂ©sence quotidienne obligatoire.

Usine de peinture Ă  WĂĽnschendorf-sur-Elster

Douze heures de présence quotidienne sont également exigées dans l'entreprise allemande de peinture dirigée par M. Peters à Wünschendorf-sur-Elster, près d'Erfurt ; le climat y est continental et les températures vont de - 25° C en hiver à + 30° C en été. Les conditions de travail y sont déplorables notamment pour les « disciplinaires »[note 2], les logements dans des baraquements sont malsains et la sous-alimentation est chronique. Il ne faut pas être surpris en train de se nourrir clandestinement sous peine de brimades ; néanmoins les ouvriers, pour survivre, doivent s'organiser et parviennent à voler des céréales et légumes dans les champs.

Les prisonniers de Wünschendorf, entre autres, ont également été contraints de travailler pour les entreprises de Weida, et de procéder à la reconstruction de la gare de Leipzig, détruite par un bombardement allié le .

Personnalités françaises ex-STO

Liste non exhaustive (par ordre alphabétique)

Cas de Georges Marchais

Une controverse a entouré le passé de Georges Marchais, secrétaire général du Parti communiste français (PCF) de 1970 à 1994, accusé d'avoir été volontaire en Allemagne chez Messerschmitt ; en effet, il n'a pas été requis par le STO, contrairement à ses déclarations. Selon son biographe Thomas Hofnung[30], Marchais n'a jamais été ni volontaire ni requis du STO mais, en fait, aurait été muté en Allemagne par l'entreprise d'aviation qui l'employait en France en 1940. Cette entreprise (Voisin) fut tenue, après l'invasion allemande en , de travailler pour les autorités d'occupation, après avoir été réquisitionnée. Elle devint alors une quasi-filiale de Messerschmitt et assurait notamment l'entretien d'avions allemands qui lui étaient confiés pour réparation. En , Georges Marchais fut transféré en Allemagne, dans une usine du groupe Messerschmitt, près d'Augsbourg.

Selon Roger Codou[31], c'est plutôt chez AGO Flugzeugwerke, filiale aéronautique d'AEG, que le futur secrétaire général du PCF aurait été affecté. Georges Marchais déclara avoir fui l'Allemagne à la mi-1943, à l'occasion d'une permission qu'il avait obtenue, en alléguant la mort de sa fille (en fait, de sa nièce) et n'avoir après cette permission jamais rejoint l'usine d'Augsbourg, où il était affecté. Toutefois, il ne fut pas capable de prouver son séjour en France, en région parisienne ou ailleurs, entre sa permission de 1943 et la Libération.

Notes et références

Notes

  1. Située 141, boulevard Mortier, dans le 20e arrondissement.
  2. Ceux qui ont été considérés « réfractaires », à leur départ de France.

Références

  1. « Archives du service obligatoire du travail au ministère du travail (1943-1945) », sur FranceArchives (consulté le )
  2. Georges Kantin et Gilles Manceron, Les Échos de la mémoire : tabous et enseignement de la Seconde Guerre mondiale, Le Monde éditions, , p. 51.
  3. Raphaël Spina, Histoire du STO, Perrin, , p. 608.
  4. Jean-Paul Cointet, Pierre Laval, Fayard, 1993 (ISBN 9782213028415), p. 378-380.
  5. Fred Kupferman, Pierre Laval, Balland, 1987, 2e Ă©dition Tallandier, 2006, p. 383-388.
  6. H. Roderick Kedward, STO et Maquis, dans La France des années noires, tome 2, Seuil, 1993, p. 271-294.
  7. Robert Paxton, La France de Vichy, éditions du Seuil, collection de poche, 1997, p. 421-25, 1re édition française en 1972.
  8. Pierre Durand, Histoire de la Deuxième Guerre mondiale, éditions complexes, 1997, p. 356-360 Comme Paxton, Durand se réfère généralement à Edward L. Homze, Foreign Labour in Nazi Germany, Princeton, 1967.
  9. Cointet, p. 393-394.
  10. Robert Aron, Histoire de Vichy, 1940-1944, Fayard, 1954, p. 535.
  11. Jean-Pierre Azéma, De Munich à la Libération, 1938-1944, éditions du Seuil, 1979, p. 210-213.
  12. Raphaël Spina, Histoire du STO, Perrin, , 570 p., p. 97-99
  13. « Ateliers de chaudronnerie des ateliers SNCF d’Oullins (Rhône) », sur museedelaresistanceenligne.org (consulté le )
  14. Kupferman, p. 413-416.
  15. Raphaël Spina, Impacts du STO sur le travail des entreprises dans Actes du colloque Travailler dans les entreprises sous l'occupation, Christian Chevandier et Jean-Claude Daumas, Presses universitaires de Franche-Comté, 2007.
  16. Jean-Pierre Azéma et Olivier Wieviorka, Vichy, 1940-1944, Tempus Perrin, 2004, pp. 255-257, 1re édition 1997.
  17. Marc Olivier Baruch, Le régime de Vichy : 1940-1944, Tallandier, , p. 145.
  18. Cécile Denis, Continuités et divergences dans la presse clandestine de résistants allemands et autrichiens en France pendant la Seconde Guerre mondiale : KPD, KPÖ, Revolutionäre Kommunisten et trotskystes, (thèse de doctorat réalisée sous la direction d’Hélène Camarade, soutenue publiquement le 10 décembre 2018 à l’université Bordeaux-Montaigne) (lire en ligne)
  19. Jacques Duquesne, Les Catholiques français sous l'occupation, Fayard, 1986, p. 276-278, 1re édition 1966.
  20. Cointet, p. 433-434.
  21. Helga Elisabeth Bories-Sawala, Dans la gueule du loup : Les Français requis du travail en Allemagne, Presses univ. Septentrion, 2010, p. 68-70.
  22. Alan Milward, New Order and the French Economy, Oxford University Press, 1970, p. 160-165.
  23. Robert Belot 1998, p. 657-669.
  24. Raphaël Spina, Histoire du STO, Éditions Perrin, , 570 p., p. 163
  25. Une Ă©quipe des FTP-MOI (Marcel Rayman, Leo Kneler, Spartaco Fontano et Celestino Alfonso.
  26. Jean-Pierre Azéma, De Munich à la Libération, 1938-1944, éditions du Seuil, 1979, p. 255.
  27. https://www.icrc.org/applic/ihl/dih.nsf/Article.xsp?action=openDocument&documentId=ABB26BEE5860761DC12563BD002BCF6E.
  28. Jean-Claude Michon, « Cholet. Le destin tragique de Roger Normandin, mortellement poignardé au STO », sur ouest-france.fr, Le Courrier de l'Ouest, (consulté le )
  29. (Spina 2017, p. 88)
  30. Thomas Hofnung, Georges Marchais, l’inconnu du Parti communiste français.
  31. Cf. « Une lettre de M. Roger Codou Nouvelle polémique sur le passé de M. Georges Marchais », Le Monde,‎ (lire en ligne)

MĂ©moires

  • Jean Couasse, Les Dix. Dans la galère du S.T.O., Châteaudun, 1997.
  • Jean Pasquiers, Jeannot chez les nazis. Journal d'un DĂ©portĂ© du Travail 1943-45, bibliothèque d'Alexandrie Online.
  • Michel Laurain, Souvenirs 1922-1945, archives dĂ©partementales de l'Aude130 J 100

Études historiques

  • Patrice Arnaud, Les Travailleurs civils français en Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale : travail, vie quotidienne, accommodement, rĂ©sistance et rĂ©pression, thèse de doctorat, UniversitĂ© de Paris-I, 2006, 1 942 p.
  • Patrice Arnaud, Les STO. Histoire des Français requis en Allemagne nazie, Paris, CNRS Éditions, 2010, 592 p. RĂ©Ă©dition, collection Biblis. Paris, 2014. 797 p.
  • Robert Belot, Aux frontières de la libertĂ© : Vichy, Madrid, Alger, Londres : S'Ă©vader de France sous l'Occupation, Paris, Fayard, , 794 p. (ISBN 978-2-21359-175-9)
  • Helga Elisabeth Bories-Sawala, Dans la gueule du loup. Les Français requis du travail en Allemagne, Presses universitaires du Septentrion, avril 2010, 388 p., accompagnĂ© de documents et illustrations sur CD.
  • Jacques Evrard, La DĂ©portation des travailleurs français dans le IIIe Reich, Fayard, collection « Les grandes Ă©tudes contemporaines », Paris, 1972.
  • Camille Fauroux, Produire la guerre, produire le genre. Des Françaises au travail dans l'Allemagne nationale-socialiste, 1940-1945, Paris, Éditions de l'EHESS, , 306 p. (ISBN 978-2-7132-2860-5).
  • La Main-d'Ĺ“uvre française exploitĂ©e par le IIIe Reich, actes du colloque international de Caen, novembre 2001, Centre de Recherche d'Histoire quantitative, Caen, 2001, textes rassemblĂ©s par B. Garnier, Jean Quellien et Françoise Passera.
  • Christophe Chastanet, La Reconnaissance juridique des requis du STO, mĂ©moire de DEA, 2002, Limoges, 147 p.
  • Jacques Martin en collaboration avec Julie Maeck et Patrick Weber, Carnets de guerre, Casterman, 2009.
  • Françoise Berger, « L'exploitation de la main-d'Ĺ“uvre française dans l'industrie sidĂ©rurgique allemande pendant la Seconde Guerre mondiale », dans Revue d'histoire moderne et contemporaine, juillet-septembre 2003, [lire en ligne] sur le site HAL-SHS (Hyper Article en Ligne - Sciences de l'Homme et de la SociĂ©tĂ©).
  • RaphaĂ«l Spina, La France et les Français devant le service du travail obligatoire (1942-1945), 2012, thèse sous la direction d'Olivier Wieviorka, [lire en ligne] sur le site HAL-SHS (Hyper Article en Ligne - Sciences de l'Homme et de la SociĂ©tĂ©).
  • RaphaĂ«l Spina, Histoire du STO, Perrin, , 570 p. (lire en ligne).
  • Thomas Hofnung, Georges Marchais, l’inconnu du Parti communiste français, L'Archipel, Paris, 2001 (ISBN 2841873196). Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article
  • Dominique Morin, RĂ©sistances chrĂ©tiennes dans l'Allemagne nazie, Fernand Morin, compagnon de cellule de Marcel Callo, Ă©d. Karthala, 2014.
  • (de) Bernd Zielinski, Staatskollaboration. Vichy und der "Arbeitseinsatz" fĂĽr das Dritte Reich, Westfälisches Dampfboot, 1995.

Voir aussi

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