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Gonzalo FernĂĄndez de la Mora

Gonzalo FernĂĄndez de la Mora y Mon (Barcelone, 1924 - Madrid, 2002) est un homme politique, diplomate, essayiste, journaliste, acadĂ©micien et philosophe politique espagnol, qui fut, dans les annĂ©es 1960, le principal idĂ©ologue de la technocratie et l’un des principaux reprĂ©sentants de la ligne « immobiliste » du rĂ©gime franquiste, avant de dĂ©velopper aprĂšs la mort de Franco une philosophie corporatiste Ă©litiste et rationaliste.

Gonzalo FernĂĄndez de la Mora
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Fonctions
Député
LĂ©gislature constituante d'Espagne
Circonscription Ă©lectorale de Pontevedra
-
Député aux Cortes franquistes
10th legislature of the Francoist Cortes (d)
-
Député aux Cortes franquistes
9th legislature of the Francoist Cortes (d)
-
Ministre des Travaux publics
Douziùme gouvernement de l'État espagnol (d)
Treiziùme gouvernement de l'État espagnol
9th legislature of the Francoist Cortes (d)
10th legislature of the Francoist Cortes (d)
-
Antonio Valdés Gonzålez-Roldån (en)
Biographie
Naissance
DĂ©cĂšs
(Ă  77 ans)
Madrid
Nationalité
Formation
Activités
Autres informations
Parti politique
Idéologie
Espagne franquiste (en), monarchisme, ultraconservatisme (en)
Membre de
Distinctions

SynthĂšse

AprĂšs des Ă©tudes universitaires en philosophie, suivies d’une formation de diplomate, et Ă  l’issue d’une pĂ©riode de militantisme monarchiste dans les annĂ©es 1940, FernĂĄndez de la Mora s’engagea dans la carriĂšre diplomatique (avec en particulier des missions en Allemagne et un poste Ă  la Direction gĂ©nĂ©rale des Relations culturelles auprĂšs du ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres), parallĂšlement Ă  une activitĂ© d’intellectuel, comme chroniqueur culturel au journal ABC, et comme membre du groupe monarchiste nĂ©otraditionaliste Arbor, oĂč il dĂ©fendait la ligne « collaborationniste » (c’est-Ă -dire plaidant pour une restauration monarchique dans le cadre de l’État franquiste), Ă  l’encontre des monarchistes d’opposition, dont notamment les membres du Conseil privĂ© du prĂ©tendant au trĂŽne Juan de BorbĂłn, qui jugeaient impossible une telle configuration, motif de la rupture de FernĂĄndez de la Mora avec ledit Conseil privĂ©.

En 1957, sur les instances de Laureano LĂłpez RodĂł et de Carrero Blanco, FernĂĄndez de la Mora apporta son concours Ă  l’élaboration de plusieurs lois dites fondamentales du franquisme, par quoi il peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme l’un des principaux architectes de l’armature constitutionnelle et lĂ©gale du rĂ©gime franquiste. NommĂ© Ă  la tĂȘte du ministĂšre des Travaux publics (1970-1974, c’est-Ă -dire durant la phase dite « technocratique » du franquisme), il dĂ©veloppa, dans le sillage de son prĂ©dĂ©cesseur, les infrastructures de communication du pays. AprĂšs la mort de Franco, de qui il restera un dĂ©fenseur Ă  outrance, il figura lors de la transition dĂ©mocratique parmi les fondateurs d’Alianza Popular (AP), parti censĂ© lutter pour le maintien des institutions franquistes, moyennant quelques ajustements, mais avec lequel il prit ses distances lorsqu’il Ă©tait devenu clair que la majoritĂ© du parti approuverait la constitution de 1978, Ă  laquelle il s’opposait catĂ©goriquement, car comportant une dĂ©rive « particratique » et compromettant l’unitĂ© du pays.

DĂ©pitĂ©, FernĂĄndez de la Mora tourna le dos Ă  la politique et se consacra Ă  la rĂ©flexion politique et Ă  l’écriture, rĂ©digeant plusieurs ouvrages de philosophie politique et un fort nombre d’essais, d’articles de revue (spĂ©cialement dans la revue RazĂłn Española, par lui fondĂ©e en 1983), de prĂ©faces, , etc., par quoi FernĂĄndez de la Mora figure comme l’un des plus vigoureux rĂ©novateurs idĂ©ologiques de la droite espagnole post-franquiste. Ces Ă©crits, dont en particulier Del Estado ideal al Estado de razĂłn (1972) et El Estado de obras (1976), font suite Ă  son livre le plus retentissant, El crepĂșsculo de las ideologĂ­as, paru en 1965, dans lequel il Ă©labora la thĂšse que les idĂ©ologies — qualifiĂ©es par lui de pseudo-pensĂ©es faisant appel Ă  l’émotivitĂ© des masses en vue de les mobiliser et servant de faux justificatif intellectuel Ă  la soif de pouvoir d’un groupe dirigeant — ont fait leur temps dans les sociĂ©tĂ©s dĂ©veloppĂ©es « post-industrielles » et doivent — dans le contexte d’une Ă©conomie du savoir, caractĂ©risĂ©e par un haut niveau de technicitĂ© (y compris dans les sciences sociales, dĂ©sormais mathĂ©matisĂ©es) — cĂ©der la place Ă  une administration technifiĂ©e, professionnelle, mĂ©ritocratique (c’est-Ă -dire mise entre les mains d’une Ă©lite experte en technique gestionnaire et en sciences sociales, sĂ©lectionnĂ©e sur critĂšres objectifs), et qui devra ĂȘtre jugĂ©e Ă  la stricte aune de ses rĂ©sultats pratiques obtenus au bĂ©nĂ©fice de la collectivitĂ© tout entiĂšre, en accord avec les prĂ©ceptes de la raison ; celle-ci, concept central de l’Ɠuvre et de la vie de l’auteur, comporte un aspect Ă©thique en ce qu’elle permet de rĂ©aliser le bien pour l’espĂšce humaine tout entiĂšre, ce qui pour FernĂĄndez de la Mora constitue le fondement de l’éthique.

Sur le plan politique, l’auteur oppose aux constructions idĂ©ologiques de l’« État idĂ©al » un « État de raison » (appelĂ© aussi « idĂ©ocratie » ou « État des Ɠuvres »), oĂč « l’État se constitue et se perfectionne pour rĂ©aliser l’ordre, la justice et le dĂ©veloppement », seule justification d’un rĂ©gime politique et Ă©talon d’évaluation fondamental (quantitatif et scientifique) des performances de tout État. À la reprĂ©sentation parlementaire particratique, faux-semblant de dĂ©mocratie, devra se substituer un systĂšme corporatiste, dĂ©passionnĂ©, et plus apte Ă  reflĂ©ter la constitution organique de la sociĂ©tĂ©. L’organicitĂ© naturelle de la sociĂ©tĂ© humaine s’appuie sur des mĂ©canismes organiques et des « corps intermĂ©diaires » prĂ©sents au sein de chaque nation (famille, Ă©ducation et transmission de valeurs, formation professionnelle, groupements territoriaux, et corps sociaux traditionnels autant que spontanĂ©s et naturels). La reprĂ©sentation politique corporative — « ayant son fondement dans les donnĂ©es empiriques » et dont l’auteur rappelle qu’elle a notamment eu pour avocats des krausistes de gauche — a pour avantage de faire droit Ă  la diversitĂ© des intĂ©rĂȘts individuels, d’objectiver les problĂšmes socio-Ă©conomiques, de faire entrer en jeu des techniciens des activitĂ©s sociales, de pourvoir le monde politique en techniciens et spĂ©cialistes, de permettre de dĂ©signer le plus capable, et surtout de technifier la politique et de dĂ©sidĂ©ologiser les conflits. Le dĂ©putĂ© corporatif, comme dĂ©lĂ©guĂ© de son « corps », agit au service d’intĂ©rĂȘts « objectifs » de groupe, est investi d’un mandat portant sur des intĂ©rĂȘts dĂ©personnalisĂ©s d’une corporation et dĂ©couplĂ© de la politique professionnelle. L’idĂ©ocratie est un rĂ©gime mĂ©ritocratique articulĂ© sur une conception Ă©litiste naturelle de la sociĂ©tĂ©, dont le principe discriminant est la capacitĂ© d’usage de la raison, capacitĂ© inĂ©galement distribuĂ©e et principal facteur aristocratisant chez les ĂȘtres humains. La sociĂ©tĂ© hiĂ©rarchique, argue l’auteur, est un fait historique de nature biologique et sociologique, et se configure elle-mĂȘme organiquement de l’intĂ©rieur. Cependant, Ă  l’opposĂ© de la technocratie, rĂ©duite Ă  une pure technique dĂ©connectĂ©e de l’éthique, l’idĂ©ocratie rejette toute tyrannie de la classe technique.

À partir du constat que le dĂ©veloppement Ă©conomique des sociĂ©tĂ©s occidentales n’aurait pas eu lieu sans l’intervention de l’État, FernĂĄndez de la Mora plaide pour que l’État agisse comme un acteur Ă©conomique, plaidoyer que vient cependant pondĂ©rer sa critique de la forme extrĂȘme de cet interventionnisme, Ă  savoir le capitalisme d'État des rĂ©gimes socialistes. Selon lui, c’est le rĂ©gime de Franco qui a su le mieux opĂ©rer la synthĂšse de l’étatisme et de l’anti-Ă©tatisme.

Biographie

Origines familiales

FernĂĄndez de la Mora vint au monde Ă  Barcelone[1], au sein d’une famille profondĂ©ment catholique et monarchiste, laquelle alla s’établir Ă  Madrid alors qu’il n’était ĂągĂ© que de deux ans. Il venait d’entamer ses Ă©tudes secondaires au Colegio del Pilar de Madrid lorsqu’éclata la Guerre civile, qui le surprit pendant qu’il se trouvait en vacances en Galice. C’est dans cette rĂ©gion qu’il acheva sa scolaritĂ© secondaire, nommĂ©ment au Colegio de Santiago ApĂłstol (actuel Colegio de San JerĂłnimo) de Saint-Jacques-de-Compostelle, c’est-Ă -dire chez les jĂ©suĂŻtes[2], par qui, Ă  en croire ses mĂ©moires, il fut initiĂ© Ă  la « construction idĂ©ale du futur » et imprĂ©gnĂ© de la nĂ©cessitĂ© de la « stricte discipline morale » dans la recherche intellectuelle et dans la vie[3] - [4]. Son pĂšre colonel occupait un poste au Corps juridique militaire et dĂ©tenait le titre (largement honorifique) de gentilhomme de la chambre du roi Alphonse XIII[2] - [note 1]. Sa mĂšre, d’origine galicienne, appartenait elle aussi Ă  une famille monarchiste et catholique. Parmi ses ancĂȘtres de la branche asturienne, on relĂšve des personnalitĂ©s politiques Ă©minentes, telles qu’Alejandro Mon (chef de gouvernement et ministre des Finances d’Isabelle II, sous l’étiquette du Parti modĂ©rĂ©) et Alejandro Pidal y Mon, chef de l’Union catholique et, parmi d’autres fonctions, ambassadeur d’Espagne auprĂšs du Saint-SiĂšge et ministre de l’Équipement dans le gouvernement de CĂĄnovas del Castillo[5] - [2].

Formation et jeunes années

Une fois terminĂ©e la Guerre civile, FernĂĄndez de la Mora, de nouveau domiciliĂ© Ă  Madrid, entreprit en 1940 des Ă©tudes de droit et de philosophie et lettres (en se spĂ©cialisant en philosophie pure) Ă  l’universitĂ© de Madrid, obtenant sa licence dans chacune de ces deux matiĂšres, avec mention excellent (premio extraordinario), en 1945. À l’universitĂ©, oĂč ses professeurs favoris Ă©taient Federico de Castro, Francisco Javier Conde, Juan ZaragĂŒeta, Leopoldo Eulogio Palacios et JosĂ© CamĂłn Aznar[2] - [6], il entra en contact avec les Jeunesses monarchistes, alors dirigĂ©es par JoaquĂ­n SatrĂșstegui, et avec les survivants d’AcciĂłn Española, et alla bientĂŽt se joindre aux cercles politiques et intellectuels militant pour la restauration de la monarchie traditionnelle[2]. À cette Ă©poque, le monarchisme Ă©tait la pierre angulaire de la pensĂ©e de FernĂĄndez de la Mora, Ă  un moment oĂč le nouvel État issu de la Guerre civile avait Ă  sa tĂȘte RamĂłn Serrano SĂșñer, adepte de l’idĂ©ologie fasciste et n’admettant aucun des mouvements politiques d’avant la guerre civile. Les Jeunesses monarchistes, qui sous l’implusion de JoaquĂ­n SatrĂșstegui jouissaient d’une certaine influence, se voyaient contrecarrĂ©es dans le milieu universitaire par la prĂ©pondĂ©rance du Sindicato Español Universitario (SEU, syndicat Ă©tudiant phalangiste officiel) — ce qui se traduisait par de frĂ©quents affrontements avec les Ă©tudiants phalangistes —, et par l’hostilitĂ© des autoritĂ©s franquistes envers les mouvements monarchistes[7].

En 1945, il prononça au logis de SatrĂșstegui une confĂ©rence ayant pour titre La soberanĂ­a y el Super-Estado (littĂ©r. la SouverainetĂ© et le Super-État), oĂč il se faisait l’avocat de l’unitĂ© europĂ©enne et du dĂ©passement de l’État-nation. Admirateur de JosĂ© Ortega y Gasset, il eut avec lui une entrevue, dont il sortit déçu ; nĂ©anmoins, il ne cessera de faire grand cas du philosophe, apprĂ©ciant en particulier l’élitisme de celui-ci, ainsi que son conservatisme et son aversion du socialisme et de la dĂ©mocratie. Il s’intĂ©ressa Ă©galement au personnage et Ă  l’Ɠuvre de Xavier Zubiri et frĂ©quenta ses cours privĂ©s de philosophie, oĂč il fut initiĂ© aux idĂ©es d’Auguste Comte et de la « nouvelle physique »[2].

Le militantisme de FernĂĄndez de la Mora au sein des CongrĂ©gations mariales de Madrid et en faveur de leur conception de la morale publique prit la forme de groupes de choc Ă  l’origine d’actions de vandalisme de rue. De mĂȘme, son adhĂ©sion aux Jeunesses monarchistes le conduisait Ă  prendre part Ă  des manifestations publiques interdites Ă  la gloire du roi[8], dont une lui vaudra un sĂ©jour de 72 heures dans une geĂŽle de la Direction gĂ©nĂ©rale de SĂ»retĂ© le ainsi qu’une amende de 25 000 pesetas au motif d’avoir distribuĂ© des tracts sur la Gran VĂ­a annonçant l’arrivĂ©e du roi Ă  Estoril et portant le mot de ralliement « le roi s’approche, vive le roi »[2].

Aussi, dĂšs ses annĂ©es de jeunesse, FernĂĄndez de la Mora avait-il nouĂ© des contacts avec plusieurs personnalitĂ©s du milieu monarchiste, tels que JosĂ© MarĂ­a PemĂĄn, JosĂ© Ignacio Escobar, JoaquĂ­n Calvo Sotelo, Juan JosĂ© LĂłpez Ibor, JosĂ© de Yanguas MessĂ­a et Torcuato Luca de Tena. À l’ñge de 20 ans, il publia son premier livre : Paradoja, qui fut louangĂ© par AzorĂ­n[9].

Le positionnement monarchiste de FernĂĄndez de la Mora ne devait jamais se dĂ©mentir tout au long du franquisme, Ă  telle enseigne qu’on le retrouve participant aux principales initiatives monarchistes, mĂȘme si certes il devait, lors de la transition politique, dĂ©savouer la figure de Juan Carlos, qu’il accusait d’ĂȘtre l’un des moteurs du changement de rĂ©gime politique[8]. Pourtant, le militantisme monarchiste de FernĂĄndez de la Mora n’est pas Ă  interprĂ©ter comme une attitude d’opposition au franquisme et ne met pas en cause sa fidĂ©litĂ© Ă  l’État espagnol. La monarchie prĂ©conisĂ©e par FernĂĄndez de la Mora, loin d’ĂȘtre un outil de contestation du rĂ©gime, Ă©tait la monarchie traditionnelle, thĂ©orisĂ©e par les membres d’AcciĂłn Española, et non celle dĂ©mocratique et libĂ©rale dont se faisaient les hĂ©rauts SatrĂșstegui et une partie des Jeunesses monarchistes[10].

AprĂšs avoir obtenu sa licence en philosophie pure, il s’inscrivit en 1946 Ă  l’École diplomatique, institution qu’il allait diriger quelques annĂ©es plus tard. Il fut Ă©galement membre attitrĂ© et bibliothĂ©caire de l’AcadĂ©mie royale des sciences morales et politiques[2], ainsi que membre de diffĂ©rentes acadĂ©mies Ă©trangĂšres : de GenĂšve, de New York, d’Argentine, du Venezuela, du Chili, etc.

CarriĂšre diplomatique

Le , Ă  l’ñge de 23 ans, FernĂĄndez de la Mora entra sur concours dans la carriĂšre diplomatique[3] et obtint d’ĂȘtre nommĂ© secrĂ©taire d’ambassade, avec affectation dans la zone Europe, en insistant d’ĂȘtre envoyĂ© en Allemagne fĂ©dĂ©rale dans le but d’y apprendre l’allemand[11].

En tant que diplomate, il remplit les fonctions de vice-consul d’Espagne Ă  Francfort-sur-l'Oder (1949), puis, aprĂšs que le personnel diplomatique espagnol eut Ă©tĂ© transfĂ©rĂ© Ă  Bonn, de chargĂ© d’affaires dans cette ville promue capitale de la nouvelle rĂ©publique (1949-1951)[12]. En Allemagne, il complĂ©ta sa formation philosophique en assistant aux cours de l’universitĂ© de Cologne, oĂč il eut le loisir d’étudier Husserl et Heidegger et oĂč il lia connaissance avec le constitutionaliste Carl Schmitt. Il suivit les enseignements de Curtius, de Benn et de Rothacker Ă  l’universitĂ© de Bonn, approfondit ses connaissances de Kant et se plongea dans la lecture de Max Weber[3] - [2]. Dans le mĂȘme temps, il s’impliqua dans une importante campagne visant Ă  redorer l’image de l’Espagne dans les universitĂ©s et dans la presse allemandes[13]. En , en raison de la santĂ© dĂ©clinante de son pĂšre, et quoique rĂ©cemment Ă©levĂ©, en fĂ©vrier de la mĂȘme annĂ©e, au poste de secrĂ©taire de deuxiĂšme classe Ă  l’ambassade de Bonn, FernĂĄndez de la Mora demanda et obtint son transfert Ă  Madrid, oĂč il entra en service Ă  la Direction gĂ©nĂ©rale des Relations culturelles auprĂšs du ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres[14].

Il reprĂ©senta l’Espagne aux AssemblĂ©es gĂ©nĂ©rales de l’UNESCO Ă  la Nouvelle-Delhi et Ă  Paris, et lors des confĂ©rences des ministres europĂ©ens de l’Éducation nationale Ă  Londres, Vienne, Strasbourg et Versailles[3]. Il exerça comme professeur Ă  l’École diplomatique et Ă  l’École des fonctionnaires internationaux de Madrid[15].

DĂ©signĂ© attachĂ© culturel Ă  l’ambassade d’Espagne Ă  AthĂšnes (1961-1962), il put y assister de prĂšs aux pourparlers visant Ă  rĂ©soudre l’incompatibilitĂ© religieuse, et Ă  rendre ainsi possible le mariage, du prince Juan Carlos, catholique, et de la princesse Sophie de GrĂšce, de religion orthodoxe[16].

Dans l’arùne intellectuelle : Arbor et ABC

Dans la dĂ©cennie 1950, l’activitĂ© de FernĂĄndez de la Mora allait s’intensifiant, dans le cadre de l’affrontement entre les deux fractions culturelles les plus marquantes du rĂ©gime franquiste, Ă  savoir, d’une part, quelques intellectuels issus du phalangisme (Pedro LaĂ­n Entralgo, Antonio Tovar, JosĂ© Luis LĂłpez Aranguren, Dionisio Ridruejo et d’autres) qui, Ă  la faveur de la relative ouverture engagĂ©e sous les auspices du ministre de l’Éducation nationale JoaquĂ­n Ruiz-GimĂ©nez, s’étaient mis Ă  Ă©voluer, certes chacun Ă  sa mesure, vers le libĂ©ralisme dĂ©mocratique, et d’autre part, les partisans de la tendance traditionnaliste, dont la plupart appartenaient Ă  l’Opus Dei et utilisaient, comme vĂ©hicule de leurs idĂ©es, des revues telles que Arbor et AtlĂĄntida, ou la maison d’édition Rialp. FernĂĄndez de la Mora, bien que n’appartenant pas Ă  l’Opus Dei, en adopta la ligne idĂ©ologique, aux cĂŽtĂ©s de figures comme Rafael Calvo Serer, Florentino PĂ©rez Embid, Vicente Marrero, Vicente RodrĂ­guez Casado et Antonio MillĂĄn Puelles[17].

En particulier, la revue culturelle Arbor, fondĂ©e en 1943 Ă  Barcelone par Rafael Calvo Serer, Raimundo PĂĄniker et RamĂłn Roquer, avec l’appui Ă©conomique du Consejo Superior de Investigaciones Scientifiques (le CSIC, oĂč FernĂĄndez de la Mora fut nommĂ© en 1952 vice-secrĂ©taire du dĂ©partement des Cultures modernes), et dont le premier numĂ©ro parut en , avait pour but de parvenir Ă  une synthĂšse et une unitĂ© intellectuelle des sciences politiques et sociales encadrĂ©e par une vision culturelle solide. La revue Ă©volua idĂ©ologiquement jusqu’à devenir, de façon marquĂ©e Ă  partir de 1948, et selon les vƓux de Calvo Serer, son principal animateur, le vecteur et support intellectuel d’un groupe monarchiste nĂ©otraditionaliste dĂ©sireux d’intervenir en un bloc uni dans la vie culturelle espagnole. L’équipe Ă©ditoriale de la revue, dont les articles prenaient une allure notablement plus doctrinale, ambitionnait d’influer sur la configuration politique et culturelle de l’Espagne telle qu’issue de la Guerre civile, c'est-Ă -dire imprĂ©gnĂ©e de la pensĂ©e contre-rĂ©volutionnaire chrĂ©tienne. FidĂšle aux idĂ©es de MenĂ©ndez Pelayo, le groupe Arbor estimait que la seule voie authentiquement espagnole Ă©tait l’identification entre hispanitĂ© et catholicisme ; la division et l’hĂ©tĂ©rodoxie avaient Ă©tĂ© fatales pour l’Espagne, comme l’atteste son histoire. La Guerre civile avait permis la victoire de la vision traditionnelle et marquĂ© la fin d’un conflit de plusieurs siĂšcles[14].

En face, le groupe des « phalangistes libĂ©raux », animĂ© par une volontĂ© de synthĂšse, prĂŽnait l’intĂ©gration nationale sous le concept supĂ©rieur d’hispanitĂ© et jugeait fondamental de rĂ©cupĂ©rer un certain nombre d’auteurs ayant idĂ©ologiquement appartenu au camp des vaincus de la Guerre civile et dont la pensĂ©e, quoique considĂ©rĂ©e pernicieuse par les nĂ©otraditionalistes d’Arbor, Ă©tait jugĂ©e pleinement compatible avec son projet de nouvelle Espagne[18]. L’unitĂ© nĂ©cessaire de la culture espagnole autour de la vision traditionnelle et catholique devait selon MenĂ©ndez Pelayo mettre un terme au complexe d'infĂ©rioritĂ© qui s’était emparĂ© des Espagnols au lendemain du traitĂ© de Westphalie de 1648 et les avait amenĂ©s Ă  Ă©prouver comme problĂ©matique leur ĂȘtre national. L’Espagne, redevenue fiĂšre d’elle-mĂȘme, doit exclure les hĂ©tĂ©rodoxies et rester fidĂšle Ă  son catholicisme organique. L’antinomie entre les deux groupes fut clairement exposĂ©e dans un article de Ridruejo de 1952, oĂč les reprĂ©sentants d’Arbor Ă©taient qualifiĂ©s d’« excluyentes » et le groupe phalangiste libĂ©ral de « comprensivo » (inclusif)[19].

FernĂĄndez de la Mora, en posant que le problĂšme de l’Espagne dĂ©rivait d’un facteur psychologique (le complexe d’infĂ©rioritĂ©) mais que les avancĂ©es Ă©conomiques du pays auguraient d’un futur prospĂšre, s’écartait de la stricte orthodoxie d’Arbor, selon laquelle la solution du problĂšme de l’Espagne rĂ©sidait en ce qu’elle assume son essence catholique, et non dans le progrĂšs matĂ©riel et Ă©conomique[19]. En dĂ©pit de ces disparitĂ©s, Arbor pouvait se flatter en 1953 de constituer un groupe de pression compact, dotĂ© d’une notable cohĂ©rence doctrinale parmi ses membres. Le groupe avait la haute main sur les revues Ateneo et La Actualidad Española, et plusieurs de ses membres avaient un grand poids dans les journaux ABC et Informaciones. Il Ă©ditait en outre une collection d’ouvrages, la Biblioteca de Pensamiento Actual (BPA) et Ă©tait bien implantĂ© au sein du CSIC[20]. La revue Ateneo, dont FernĂĄndez de la Mora Ă©tait cofondateur, rĂ©unissait des intellectuels monarchistes et traditionalistes autour d’un projet politique cohĂ©rent capable de figurer comme alternative tant au phalangisme qu’au catholicisme politique. Ses contributeurs, tout en dĂ©sirant prĂ©server la tradition, se faisaient les avocats de la modernisation des structures Ă©conomiques et administratives, sans mettre en pĂ©ril la stabilitĂ© du rĂ©gime nĂ© de la Guerre civile, et appelaient de leurs vƓux une entente entre Franco et Juan de BorbĂłn en vue d’une monarchie traditionnelle. Sur le plan culturel, il entendait bĂątir une « conscience nationale unitaire » dans les sens de MenĂ©ndez Pelayo, et sur le plan socio-Ă©conomique, concilier la modernisation capitaliste avec les principes catholico-traditionnels[2].

Il se trouve cependant qu’à ce moment le gouvernement, d’empreinte dĂ©mocrate chrĂ©tienne Ă  partir de 1951 et favorable au phalangisme de gauche, comprenait plusieurs ministres idĂ©ologiquement plus proches des « inclusifs », dont notoirement Ruiz-GimĂ©nez, par quoi la censure tendait Ă  cibler les membres du groupe, au point que Calvo Serer finit par renoncer et que le groupe cessa d’exister en tant que tel en 1956. Calvo Serer avait proposĂ© que le rĂŽle politique directeur revienne Ă  la « troisiĂšme force » incarnĂ©e par le groupe Arbor et appelĂ©e Ă  arbitrer entre phalangisme de droite et de gauche[21] ; mais dĂšs 1953, le projet politique et culturel qui se proposait de doter le rĂ©gime d’une armature idĂ©ologique, dans lequel Don Juan Ă©tait mis en avant comme hĂ©ritier lĂ©gitime de l’ordre instaurĂ© aprĂšs la Guerre civile, et dans lequel bon nombre d’intellectuels s’étaient investis, fut abandonnĂ©[22]. FernĂĄndez de la Mora, qui avait jouĂ© un rĂŽle de premier plan dans cette bataille culturelle, fut personnellement trĂšs affectĂ© par le rejet du projet nĂ©otraditionaliste d’Arbor[23]. Devant cet Ă©tat de fait, certains, prenant acte de l’impossibilitĂ© de concilier le projet monarchique avec le rĂ©gime en place, s’engagĂšrent dans l’opposition, d’autres, tel FernĂĄndez de la Mora, en dĂ©duisirent que la volontĂ© de Franco Ă©tait le seul facteur capable de restaurer la monarchie. En consĂ©quence, FernĂĄndez de la Mora emprunta la voie d’une plus grande intĂ©gration dans le rĂ©gime, sans pour autant renoncer Ă  ses affinitĂ©s monarchistes[24].

D’autre part, FernĂĄndez de la Mora devint un collaborateur constant du journal ABC, voire l’un de ses contributeurs les plus prolifiques, aprĂšs que son amitiĂ© avec Torcuato Luca de Tena, avec qui il avait nouĂ© connaissance pendant son service militaire, lui eut ouvert grandes les portes du journal. En effet, en , concomitamment avec la nomination de Torcuato Luca de Tena Ă  la tĂȘte d’ABC, FernĂĄndez de la Mora en fut dĂ©signĂ© chef de la section Collaborations, en vue d’imprimer un nouvel Ă©lan au journal, qui menaçait de s’ankyloser[25]. Entre 1953 et 1959, il y fut chargĂ© de la critique de livres, activitĂ© dont il allait plus tard rassembler les produits dans les sept volumes de sa sĂ©rie Pensamiento español (1964-1970)[15]. Ainsi placĂ©, malgrĂ© sa jeunesse, Ă  la direction doctrinale d’un des pĂ©riodiques espagnols les plus influents, FernĂĄndez de la Mora allait y rĂ©diger plusieurs dizaines d’éditoriaux, en mĂȘme temps qu’il remplissait ses fonctions au ministĂšre des Affaires extĂ©rieures. Cependant, l’étau de la censure franquiste allait se resserrant autour d’ABC, jusqu’au moment oĂč Torcuato Luca de Tena fut Ă©cartĂ© de la direction[26]. Si dans la foulĂ©e FernĂĄndez de la Mora prĂ©senta sa dĂ©mission comme chef des collaborations, ses contributions continueront nĂ©anmoins d’ĂȘtre rĂ©guliĂšres, et quelques billets publiĂ©s dans ce journal allaient plus tard ĂȘtre repris dans son ouvrage El crepĂșsculo de las ideologĂ­as. Avec l’arrivĂ©e en 1983 Ă  la tĂȘte du journal de Luis MarĂ­a AnsĂłn, qui avait autrefois optĂ© pour le monarchisme d’opposition au rĂ©gime de Franco, la relation de FernĂĄndez de la Mora avec ABC allait finir par s’interrompre[27].

Militant monarchiste

En 1956, FernĂĄndez de la Mora devint membre du Conseil privĂ© de Don Juan, en accord avec le dĂ©sir de celui-ci de privilĂ©gier dans ses cercles de collaborateurs la ligne traditionaliste[28]. Il prit alors Ă  tĂąche de rapprocher Don Juan du chef de l’État et de la branche carliste, et de persuader chacun de l’opportunitĂ© d’une « monarchie catholique, sociale, reprĂ©sentative, nationale et hĂ©rĂ©ditaire »[15] - [29]. DĂšs cette Ă©poque en effet, FernĂĄndez de la Mora avait acquis la conviction que la restauration de la monarchie ne pouvait se faire que par un rapprochement de Don Juan avec le Caudillo, la monarchie ne lui apparaissant pas en effet comme une solution de rechange au rĂ©gime, mais au contraire comme la continuation de l’Ɠuvre accomplie par Franco. L’on continua, au sein du Conseil, Ă  favoriser les Ă©lĂ©ments traditionalistes, jusqu’à rĂ©duire le groupe libĂ©ral dĂ©mocrate Ă  une minoritĂ©[30].

Le CongrĂšs du Mouvement europĂ©en rĂ©uni Ă  Munich en et dĂ©nigrĂ© par le rĂ©gime comme Concubinage de Munich, mit au grand jour la fracture au sein du monarchisme espagnol entre ceux qui restaient attachĂ©s au rĂ©gime de Franco et ceux qui avaient franchi le pas vers une opposition plus ouverte. FernĂĄndez de la Mora, qui continuait d’estimer que la monarchie, dans sa version traditionnelle, Ă©tait la meilleure voie pour poursuivre le travail de modernisation de l’État franquiste, Ă©crivit un article oĂč il critiquait la rĂ©union, en centrant ses attaques sur la personne de Madariaga[31].

Demeurant persuadĂ© que le retour de la monarchie ne pouvait avoir lieu que par la volontĂ© de Franco, et non sous l’effet du dynamisme propre de la Couronne, et constatant par ailleurs que Don Juan se profilait dĂ©sormais comme opposant au rĂ©gime sous des couleurs dĂ©mocrates et libĂ©rales, FernĂĄndez de la Mora prit la tĂȘte, aux cĂŽtĂ©s d’autres monarchistes de mĂȘme conviction, de la dĂ©nommĂ©e « opĂ©ration Prince » (operaciĂłn prĂ­ncipe) visant Ă  populariser la figure de Juan Carlos, qui ne montrait quant Ă  lui aucune faille dans son attitude, et Ă  favoriser ainsi sa dĂ©signation au titre de successeur de Franco. La nomination par ce dernier en 1969 de Juan Carlos pour son successeur signifia, aux yeux de FernĂĄndez de la Mora, la victoire des monarchistes de collaboration, dans les rangs desquels il se comptait lui-mĂȘme. (Il est vrai cependant que plusieurs annĂ©es plus tard, Ă  la suite de la transition dĂ©mocratique, FernĂĄndez de la Mora allait stigmatiser Juan Carlos comme l’un des principaux dĂ©manteleurs de l’État tel que dĂ©rivĂ© des Principes fondamentaux en lequel il avait gardĂ© une foi absolue.)[32]

Selon Fusi, « FernĂĄndez de la Mora, sous le pseudonyme de Diego RamĂ­rez, lançait de violentes diatribes contre l’aperturisme et la dĂ©mocratie »[33]. Il ne cessa de se montrer hostile Ă  la dĂ©mocratie libĂ©rale et dĂ©fendait, en lieu et place de celle-ci, la dĂ©nommĂ©e « dĂ©mocratie organique », qui « est plus authentique et qui chez nous a Ă©tĂ© plus efficace » (faisant allusion au rĂ©gime franquiste)[34]. En outre, dans son livre de mĂ©moires, il qualifia Franco de « gouvernant le plus honnĂȘte qu’a eu l’Espagne et le plus efficace, au moins depuis Philippe II »[35].

Légiste au service du régime franquiste

Au printemps 1957, au lendemain de la crise de 1956 et du remaniement gouvernemental de l’annĂ©e suivante qui avait scellĂ© le revirement radical de la politique Ă©conomique du rĂ©gime de Franco (aux dĂ©pens de la politique autarcique suivie jusque-lĂ ), Laureano LĂłpez RodĂł, qui, selon FernĂĄndez de la Mora, « Ă©tait dĂ©jĂ  alors l’éminence grise de Carrero Blanco », lui proposa, Ă  la demande de ce dernier[2], que (toujours selon FernĂĄndez de la Mora) « dans le secret le plus absolu, nous Ă©laborions les projets de loi pour des lois fondamentales propres Ă  complĂ©ter le systĂšme institutionnel, que les lois antĂ©rieures avaient dĂ©jĂ  commencĂ© Ă  mettre en place », et ce en prenant en compte la nouvelle orientation gouvernementale[17] - [36]. Cette collaboration se concrĂ©tisa dans la Loi sur les principes fondamentaux du Mouvement national, promulguĂ©e en 1958, et dans la Loi organique de l'État, conçue Ă  la mĂȘme Ă©poque, encore qu’elle n’ait pas, sur dĂ©cision de Franco, vu le jour avant 1966[37] - [38] - [39]. Le premier projet fixait en particulier deux choses fondamentales : d’une part, la mise en avant de la dignitĂ© de la personne et les restrictions imposĂ©es Ă  l’État propres Ă  Ă©loigner toute accusation de totalitarisme[40], et d’autre part, de par son titre VII, l’instauration, comme forme politique, de la monarchie traditionnelle, rĂ©alisant ainsi une synthĂšse entre phalangisme et traditionalisme ; enfin, tout en adoptant la doctrine sociale de l'Église, le projet garantissait la confessionnalitĂ© de l’État. L’unitĂ©, la catholicitĂ©, l’hispanitĂ©, la famille, l’armĂ©e, la commune et le syndicat vertical se trouvaient rĂ©affirmĂ©s comme bases du rĂ©gime[41] - [40] - [42]. Le nouveau corps doctrinal, crĂ©Ă© par ce texte somme toute assez anodin (mĂȘme s’il cite presque textuellement quelques phrases de JosĂ© Antonio), dotait le rĂ©gime d’autres fondements idĂ©ologiques et venait confirmer sa dĂ©fascisation[43]. Dans la seconde de ces deux lois fondamentales du rĂ©gime, l’influence de FernĂĄndez de la Mora s’était traduite surtout dans le mode de dĂ©signation du chef de gouvernement, Ă  savoir la procĂ©dure par laquelle le Conseil du royaume soumettrait au roi un trio de candidats[41] - [2] - [40] ; le texte sanctionnait la reprĂ©sentation organique populaire par le biais du Conseil du Royaume, fixait les compĂ©tences lĂ©gislatives des Cortes et celles exĂ©cutives du gouvernement, et introduisait la possibilitĂ© de recours pour inconstitutionnalitĂ© (contrafuero)[41]. AprĂšs que la bataille autour de la configuration dĂ©finitive de l’État eut ainsi Ă©tĂ© tranchĂ©e en faveur des monarchistes traditionnels, au rang desquels figuraient LĂłpez RodĂł autant que FernĂĄndez de la Mora, on s’attela Ă  doter le rĂ©gime d’une reprĂ©sentativitĂ© articulĂ©e sur une reprĂ©sentation organique, point de convergence entre traditionalistes et phalangistes et l’un des piliers de la pensĂ©e politique de FernĂĄndez de la Mora. Le premier projet, d’abord transmis Ă  Carrero Blanco en , fut prĂ©sentĂ© en , sous forme de synthĂšse, Ă  Franco, qui proclama la Loi des principes du Mouvement national en ; en revanche, ce ne sera pas avant 1966 que la Loi organique de l’État soit promulguĂ©e sur la base des travaux effectuĂ©s par LĂłpez RodĂł et FernĂĄndez de la Mora Ă  L’Escurial en 1957. FernĂĄndez de la Mora peut dĂšs lors ĂȘtre considĂ©rĂ© comme l’un des principaux architectes de la configuration constitutionnelle et lĂ©gale du rĂ©gime franquiste[44].

Le rĂ©gime de Franco s’employant dĂ©sormais Ă  fonder sa lĂ©gitimitĂ© sur la rĂ©ussite Ă©conomique, le remaniement gouvernemental de 1957 fut aussi l’occasion de permettre l’accession au pouvoir de personnalitĂ©s dites « technocrates », dont quelques-uns, liĂ©s Ă  l’Opus Dei (duquel FernĂĄndez de la Mora se sentait proche lui aussi), le sollicitĂšrent d’occuper des fonctions importantes, notamment un poste de sous-secrĂ©taire au ministĂšre du Commerce, alors dirigĂ© par Alberto Ullastres — offre que FernĂĄndez de la Mora dĂ©clina[36].

FernĂĄndez de la Mora intervint Ă  titre de dĂ©lĂ©guĂ© espagnol lors de deux AssemblĂ©es gĂ©nĂ©rales de l’UNESCO et lors d’un bon nombre de sessions du Conseil de coopĂ©ration culturelle du Conseil de l'Europe (1958-1969). En 1969, il quitta le Conseil privĂ© du comte de Barcelone en raison de l’orientation qui lui avait Ă©tĂ© imprimĂ©e par JosĂ© MarĂ­a de Areilza[2], et fut nommĂ© la mĂȘme annĂ©e, eu Ă©gard Ă  son statut de diplomate de carriĂšre, sous-secrĂ©taire Ă  la politique extĂ©rieure auprĂšs du ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres dirigĂ© alors par Gregorio LĂłpez Bravo, oĂč il dĂ©ploya un intense travail de diffusion culturelle de l’Espagne Ă  l’étranger[45], tout en s’approchant ainsi progressivement des hautes sphĂšres du pouvoir franquiste[2] - [46]. FernĂĄndez de la Mora prit Ă  tĂąche de professionnaliser ledit ministĂšre en obtenant que les collaborateurs appartiennent Ă  la carriĂšre diplomatique, au mĂ©pris des affiliations politiques[46]. En 1970, il fut promu au rang de ministre plĂ©nipotentiaire de premiĂšre classe dans le cadre de sa carriĂšre diplomatique[2] et intervint dans les nĂ©gociations prĂ©paratoires des traitĂ©s avec les États-Unis, qui allaient finalement ĂȘtre signĂ©s en 1971, quand FernĂĄndez de la Mora avait dĂ©jĂ  quittĂ© ses fonctions au ministĂšre. Il restait convaincu de la supĂ©rioritĂ© du gouvernement de Franco sur la plupart des gouvernements de l’histoire d’Espagne[46].

ParallĂšlement, FernĂĄndez de la Mora composait son ouvrage le plus connu, El crepĂșsculo de las ideologĂ­as, lĂ©gitimation indirecte du rĂ©gime de Franco, qui parut en 1965 et oĂč l’auteur proclamait l’obsolescence des idĂ©ologies en politique par suite de la technification et du dĂ©veloppement en cours dans une grande partie du monde[47]. « Les idĂ©ologies », peut-on y lire, « prolifĂšrent dans les sphĂšres culturelles modestes et dans les conjonctures Ă©conomiques critiques ; mais nous nous trouvons dans une Ăšre de fabuleux dĂ©veloppement matĂ©riel et culturel »[48].

Ministre des Travaux publics (1970-1974)

Son introduction dans les cercles technocrates du rĂ©gime et sa concomitante prise de distance vis-Ă -vis des groupes politiques adeptes du comte de Barcelone avaient prĂ©parĂ© le terrain Ă  sa nomination en par Franco, sur proposition de Carrero Blanco et en remplacement de Federico Silva Muñoz, au poste de ministre des Travaux publics, portefeuille qu’il accepta malgrĂ© quelques rĂ©ticences initiales et auquel il sera reconduit par Carrero Blanco en [2]. Le nouveau gouvernement issu du remaniement d’ se distinguait en premier lieu par le caractĂšre technique de ses membres, signe de la rationalisation de la politique espagnole, et en second lieu par ce commun dĂ©nominateur des ministres qu’était leur appui Ă  Juan Carlos, fraĂźchement nommĂ© hĂ©ritier et continuateur de l’État de Franco[49]. Il s’agissait d’un « gouvernement de concentration » (de fidĂ©litĂ©s, de familles et de techniciens), dĂ©fini comme « technocrate-monarchiste », et chargĂ© de prĂ©parer une instauration dynastique conformĂ©ment aux prescrits des Lois fondamentales[45].

Entre 1970 et 1974, c’est-Ă -dire dans la phase finale de la dictature franquiste, FernĂĄndez de la Mora s’employa Ă  complĂ©ter et Ă  amplifier la politique suivie par son prĂ©dĂ©cesseur, sous les espĂšces notamment de son Plan de Accesos a Galicia (visant Ă  dĂ©senclaver la Galice), le Plan de Autopistas (Plan d’autoroutes), puis de sa loi sur les Autoroutes, promulguĂ©e en . Sous son mandat, prĂšs de 500 km d’autoroutes (soit 60 % de celles existant alors en Espagne) furent ouvertes Ă  la circulation, et la compagnie ferroviaire Renfe rĂ©alisa en 1973 pour la premiĂšre fois un bilan comptable positif, grĂące Ă  une exploitation plus efficace (en particulier pour le transport de marchandises) de plusieurs lignes sous-utilisĂ©es[45] - [2] - [50]. Une soixantaine de barrages (dont quelques-uns de haute capacitĂ©) furent construits, dont notamment celui d’El Atazar, appelĂ© Ă  rĂ©soudre le problĂšme d’approvisionnement en eau de la ville de Madrid. Il s’appliqua Ă  amĂ©liorer l’équilibre hydraulique de l’Espagne, entre autres par l’achĂšvement du canal de dĂ©rivation Tajo-Segura projetĂ© en 1966 par le prĂ©cĂ©dent titulaire. En 1971, son ministĂšre Ă©labora un plan visant Ă  tripler le rĂ©seau mĂ©tropolitain de Madrid, pendant qu’à Barcelone un plan de mĂȘme finalitĂ© fut mis en Ɠuvre destinĂ© Ă  doubler le nombre de km du rĂ©seau. En 1972, il sut faire approuver son Plan de Puertos (Plan portuaire) prĂ©voyant la crĂ©ation de plusieurs grands centres maritimes, dont l’exposant le plus fameux est le superpuerto de Bilbao[50].

AprĂšs la mort de Carrero Blanco dans un attentat en 1974, FernĂĄndez de la Mora ne trouva plus place dans le nouveau gouvernement formĂ© par Carlos Arias et reprit alors le fil de sa carriĂšre diplomatique, se voyant confier en la charge de directeur de l’École diplomatique de Madrid, oĂč il entreprit durant son mandat de cinq ans plusieurs rĂ©formes substantielles[2] - [51]. Du reste, il se montra fort critique envers Arias Navarro, plus particuliĂšrement aprĂšs le discours de celui-ci du , lequel, en instaurant certaines pratiques « aperturistes » et Ă©cartant toute « politique technifiĂ©e et neutre », constituait l’amorce, aux yeux de FernĂĄndez de la Mora, de la liquidation de l’État organisĂ© selon les lois fondamentales[52]. DĂ©sormais, FernĂĄndez de la Mora rĂ©clamait un « rĂ©armement intellectuel de la Nation » face Ă  l’« actuelle bataille des concepts », en citant en exemple « la rĂ©surrection de 1936 » qui avait rendu « possible le rĂ©armement intellectuel » grĂące surtout aux disciples de MenĂ©ndez Pelayo. FernĂĄndez de la Mora pour sa part thĂ©orisa ce rĂ©armement sous la forme du concept politique d’« État centrĂ© sur les Ɠuvres » (Estado de obras, c’est-Ă -dire l’État comme institution neutre et technique) et d’une thĂ©orie philosophique de l’État, l’« État de raison », de concert avec la loi tendancielle fondamentale de dĂ©sidĂ©ologisation des sociĂ©tĂ©s techniquement et culturellement dĂ©veloppĂ©es[52].

D’autre part, il fut admis en 1972 comme membre de l’AcadĂ©mie royale des sciences morales et politiques, oĂč son discours d’entrĂ©e avait pour titre « Del Estado ideal al Estado de RazĂłn » (littĂ©r. De l’État idĂ©al Ă  l’État de raison)[45] - [53].

Transition démocratique

Le lendemain du décÚs de Franco, Fernåndez de la Mora publia sur la figure du Caudillo un article fort élogieux, avec notamment le passage suivant[35] :

« Dans le contexte de l’Histoire, Franco est l’homme d’État les plus important qu’a eu l’Espagne depuis le Roi prudent. Il reçut un pays appauvri et invertĂ©brĂ© et l’a transformĂ© en une grande puissance industrielle et en une Monarchie robustement institutionnalisĂ©e. Il reçut une nation Ă  trĂšs forte majoritĂ© prolĂ©taire et l’a transformĂ©e en une sociĂ©tĂ© de classes moyennes. Il Ă©radiqua l’analphabĂ©tisme et la faim, nos deux flĂ©aux centenaires. »

À la faveur du Statut des associations, promulguĂ© en , dans les derniĂšres annĂ©es du franquisme, FernĂĄndez de la Mora fonda l’Union nationale espagnole (UNE)[54], groupe oĂč l’hĂ©ritage doctrinal d’AcciĂłn Española se conjuguait avec le traditionalisme espagnol, dans l’objectif de prĂ©server la « continuitĂ© perfective de l’État du 18 juillet » [55], dans un cadre politique dont les Ă©lĂ©ments essentiels seraient : l’unitĂ© nationale avec rĂ©gionalisation administrative ; un syndicalisme unitaire ; une monarchie limitĂ©e ; le bicamĂ©risme ; le sĂ©paration des fonctions lĂ©gislative et exĂ©cutive ; la reprĂ©sentation organique ; le « rĂ©armement intellectuel » ; l’initiative privĂ©e avec action subsidiaire de l’État et planification Ă©conomique ; l’égalitĂ© absolue des chances ; la cogestion des entreprises ; la sĂ©curitĂ© sociale gĂ©nĂ©ralisĂ©e ; et la redistribution des responsabilitĂ©s[56].

L’UNE fut, Ă  son instigation, absorbĂ© en 1976 par l’Alliance populaire (AP), parti dont il occupera la vice-prĂ©sidence[57]. Cette mĂȘme annĂ©e 1976, aprĂšs le dĂ©cĂšs d’Antonio Iturmendi, il fut Ă©lu par cooptation procurateur (=dĂ©putĂ©) aux Cortes et nommĂ©, par dĂ©signation directe de Franco, membre du Conseil national du Mouvement[52] - [2] - [58]. Concernant l’avenir politique de l’Espagne, il rejetait rĂ©solument tout projet rupturiste, optant pour ce qu’il dĂ©nommait « la continuitĂ© perfective » du RĂ©gime[57]. Par la volontĂ© d’indĂ©pendance de FernĂĄndez de la Mora, l’UNE rechignera toujours Ă  se fondre intĂ©gralement dans l’AP et restera un parti fĂ©dĂ©rĂ©, Ă  la diffĂ©rence de cinq partis sur les sept composant la coalition[59].

Le processus de transition politique, s’il avait bien Ă©tĂ© mis en marche, n’en restait pas moins sous les rĂȘnes des factions les plus conservatrices de la classe politique espagnole. Arias, exerçant toujours comme prĂ©sident du gouvernement, nomma une commission chargĂ©e d’amorcer une voie modĂ©rĂ©e vers le changement, dont Manuel Fraga Ă©tait le principal inspirateur. FernĂĄndez de la Mora eut un rĂŽle important en ce qu’il prit part activement aux discussions du rapport de ladite commission, ses propositions d’amendements tendant Ă  empĂȘcher que le cadre de la Loi sur les associations ne soit outrepassĂ©, sous peine d’ouvrir les portes Ă  la particratie, et Ă  maintenir le syndicat unique afin de ne pas laisser prolifĂ©rer les organisations syndicales et professionnelles susceptibles de se muer ensuite en partis politiques. FernĂĄndez de la Mora manifestait ainsi sa prĂ©dilection pour un systĂšme de reprĂ©sentation organique et sa rĂ©pugnance au systĂšme de partis[60].

FernĂĄndez de la Mora, bien qu’ayant pris conscience que le changement Ă©tait inĂ©vitable, comptait cependant encore sur la fermetĂ© des forces armĂ©es face au processus de transition et prit Ă  tĂąche d’étayer idĂ©ologiquement les positions des fractions de l’armĂ©e les plus rĂ©tives au changement, tĂątant le pouls notamment de Gabriel Pita da Veiga, ministre de la Marine, et de Fernando de Santiago, vice-prĂ©sident du gouvernement, s’efforçant d’obtenir que ceux-ci prennent la tĂȘte d’une dĂ©monstration ouverte d’opposition de l’armĂ©e au changement politique lors de la rĂ©union qu’Adolfo SuĂĄrez avait convoquĂ©e pour le avec les hauts commandants militaires, mais au cours de laquelle l’armĂ©e se borna Ă  faire obstacle Ă  la lĂ©galisation du Parti communiste, faisant comprendre Ă  FernĂĄndez de la Mora que la transition Ă©tait imparable[61].

NĂ©anmoins, il ne cessa de plaider devant Adolfo SuĂĄrez pour la nĂ©cessitĂ© de prĂ©server, lors du processus de transition, la lĂ©gitimitĂ© et lĂ©galitĂ© du 18 juillet, ainsi que l’Estado de obras, qui avait permis le « plus grand progrĂšs de notre histoire » ; il signalait que « l’Espagne nĂ©e du se trouve aujourd’hui plus proche des niveaux moyens d’Europe occidentale qu’à aucun autre moment de son histoire contemporaine », si on Ă©value la situation selon les critĂšres qui « mesurent vĂ©ritablement l’efficacitĂ© d’une gestion de gouvernement, que sont l’ordre, la justice distributive, le respect de la libertĂ© individuelle et le revenu matĂ©riel et culturel par tĂȘte »[56] - [62].

Le , le gouvernement SuĂĄrez mit au point un projet de loi sur la rĂ©forme politique, qui fut remis au Conseil national du Mouvement pour discussion[2] - [63]. FernĂĄndez de la Mora rĂ©agit vivement contre le projet, qu’il estimait plus rupturiste encore que le prĂ©cĂ©dent. Il prĂ©senta plusieurs amendements, dont un tendant Ă  prĂ©server la reprĂ©sentation organique, Ă  l’instar du projet Fraga. Si certes ces amendements furent acceptĂ©s, le rapport d’évaluation n’était pas contraignant et le gouvernement le dĂ©daigna, donnant ainsi l’une des ultimes impulsions sur la voie de la dĂ©mocratie[56] - [63].

Aux premiĂšres Ă©lections dĂ©mocratiques de 1977, convoquĂ©es pour Ă©lire une assemblĂ©e qui d’aprĂšs FernĂĄndez de la Mora allait faire figure de Cortes constituantes de facto, Ă  dĂ©faut de l’ĂȘtre nominalement. FernĂĄndez de la Mora s’y prĂ©senta pour la province de Pontevedra, menant une campagne rendue difficile tant par les pĂ©nuries que par l’opposition des autoritĂ©s et de certains secteurs de la sociĂ©tĂ©[59]. Il sut se faire Ă©lire et siĂ©gea ensuite comme membre de la Junte de Galice antĂ©rieurement Ă  l’instauration des autonomies rĂ©gionales[2]. Il fut attachĂ© aux commissions des Finances et de la Constitution, au sein de laquelle il s’opposa Ă  la transition en cours, en particulier sur le chapitre des autonomies rĂ©gionales et des compĂ©tences dĂ©volues dĂ©sormais au chef de l’État, pendant que celles du roi tendaient Ă  se renforcer[59].

Il quitta l’AP et la direction de l’UNE aprĂšs que la majoritĂ© du parti eut dĂ©cidĂ©, conformĂ©ment Ă  la position de Fraga, d’apporter son soutien Ă  la Constitution de 1978, Ă  laquelle FernĂĄndez de la Mora vota nĂ©gativement[2], vu que, selon lui, « l’Espagne n’a pas besoin de constitution, Ă©tant en effet un État parfaitement constituĂ© »[64]. Parmi les causes de cette scission dĂ©finitive Ă  l’intĂ©rieur d’AP, FernĂĄndez de la Mora releva, outre le vote du groupe parlementaire pour la nouvelle constitution, Ă©galement le personnalisme de Fraga et ses Ɠillades en direction de la gauche[65].

En 1979, il fonda, aux cĂŽtĂ©s de Federico Silva Muñoz, le parti Droite dĂ©mocratique espagnole (Derecha DemocrĂĄtica Española), caractĂ©risĂ© par un fort penchant vers l’ultradroite, mais cette initiative se solda par un Ă©chec cuisant et fut la derniĂšre incursiĂłn de FernĂĄndez de la Mora dans la politique active. Il ne cessa ensuite de critiquer implacablement le processus de transition dĂ©mocratique espagnol, ce dont rend tĂ©moignage son ouvrage Los errores del cambio (1986, littĂ©r. les Erreurs du changement).

Retrait de la politique et activité intellectuelle

AprĂšs avoir dĂ©finitivement tournĂ© le dos Ă  l’arĂšne politique, FernĂĄndez de la Mora se voua Ă  la rĂ©flexion philosophique et Ă  l’histoire politique, ce qui prit corps en 1982 par un nouveau mouvement philosophique original, le raisonnalisme. Il fut ainsi Ă  l’origine d’une nouvelle interprĂ©tation et projection politique du conservatisme national sur la base de prĂ©supposĂ©s libĂ©raux et techniques[66]. Selon GonzĂĄlez Cuevas, FernĂĄndez de la Mora Ă©tait « en rĂ©alitĂ© le seul intellectuel de la droite espagnole capable de rĂ©flĂ©chir sur les fondements thĂ©oriques et Ă©pistĂ©mologiques d’un nouveau conservatisme, et qui tenta de donner des rĂ©ponses alternatives Ă  la nouvelle situation sociale et politique sans retomber dans les vieilles formules »[67].

Collaboration Ă  des revues culturelles

Avant son retrait, et parallĂšlement Ă  ses activitĂ©s politiques dans les coulisses du rĂ©gime et Ă  ses tĂąches diplomatiques, FernĂĄndez de la Mora avait Ă©tĂ© portĂ©, par ses liens avec le journal ABC, maintenus jusqu’en 1980, et avec son directeur d’alors, Torcuato Luca de Tena, Ă  dĂ©ployer un travail soutenu de recension et de critique de la production culturelle espagnole entre 1963 et 1969[68] - [2], travail dont il rĂ©unit les fruits dans un ensemble de sept volumes sous le titre gĂ©nĂ©rique de Pensamiento español (littĂ©r. PensĂ©e espagnole)[69] - [2]. Il fut cofondateur de l’AsociaciĂłn de Amigos de Maeztu, qui s’était donnĂ© pour tĂąche de diffuser les idĂ©es du penseur Ramiro de Maeztu, et Ă©crivait pour le compte des revues Reino et CĂ­rculo, ainsi que de la revue AtlĂĄntida, fondĂ©e en 1963 par Florentino PĂ©rez Embid[2].

En 1983, en retrait dĂ©sormais de la politique active, FernĂĄndez de la Mora FernĂĄndez de la Mora fonda, sur les instances de la Fondation Balmes, sa propre revue « de pensĂ©e » RazĂłn Española, de tendance conservatrice, qu’il allait diriger jusqu’à sa mort. Le propos de FernĂĄndez de la Mora Ă©tait de doter le conservatisme espagnol d’une rĂ©fĂ©rence doctrinale lui permettant d’intervenir dĂ»ment outillĂ© dans le dĂ©bat public. L’arme employĂ©e Ă©tait ici la raison (razĂłn), dont il jugeait qu’elle avait Ă©tĂ© instrumentalisĂ©e en Espagne par le progressisme, tandis que le conservatisme avait souvent eu recours Ă  des arguments clĂ©ricaux ou liĂ©s Ă  la religion, inopĂ©rants dans l’état actuel de la sociĂ©tĂ©. L’appel Ă  la raison devait fournir la nouvelle lĂ©gitimation au conservatisme politique[70]. La revue, pour laquelle FernĂĄndez de la Mora Ă©crivit une centaine d’éditoriaux[71], Ă©tait conçue comme porte-voix d’une tentative de rĂ©novation intellectuelle de l’humanisme conservateur[72] et allait notamment prendre la dĂ©fense de la figure et du gouvernement de Franco. La principale fonction de la revue pour FernĂĄndez de la Mora Ă©tait de mettre Ă  sa disposition une plate-forme pour y dĂ©ployer son enseignement raisonaliste[72] - [73], c’est-Ă -dire d’ĂȘtre au service d’un projet doctrinal regroupant ses rĂ©flexions politiques, sociologiques et organicistes antĂ©rieures sous le paradigme philosophique « raisonnaliste », nĂ©ologisme crĂ©Ă© et utilisĂ© par l’auteur en opposition au rationalisme abstrait, et comportant l’idĂ©e de la « raison » comme unique critĂšre propre Ă  libĂ©rer la pensĂ©e des mythes, jugements et passions Ă  l’heure de « discerner la vĂ©ritĂ© de la faussetĂ©, l’exact de l’inexact, le clair du confus, l’effectif de l’hypothĂ©tique, l’existant de l’illusoire, le factuel du dĂ©sirĂ© »[71] - [74]. FernĂĄndez de la Mora nĂ©gligera toutefois de s’atteler ensuite Ă  systĂ©matiser sous forme de volume la thĂ©orie originale ainsi Ă©bauchĂ©e[75].

La revue, qui paraĂźt encore (2023) Ă  un rythme bimestriel[76] et continue d’étoffer le legs intellectuel laissĂ© par FernĂĄndez de la Mora, a comptĂ© parmi ses collaborateurs Ángel Maestro, Dalmacio Negro PavĂłn, Juan Velarde Fuertes, Antonio MillĂĄn-Puelles, JosĂ© Luis Comellas, Luis SuĂĄrez FernĂĄndez, Ricardo de la Cierva, Armando Marchante, Francisco Puy, Esteban Pujals, Pedro Carlos GonzĂĄlez Cuevas, JesĂșs Neira, JosĂ© Javier Esparza, etc.

Ouvrages de librairie

DotĂ© d’une vaste culture et d’un large Ă©ventail de centres d’intĂ©rĂȘt, FernĂĄndez de la Mora Ă©tait un auteur prolifique et un orateur rĂ©putĂ©[77]. Il avait Ă  son nom 22 livres, 14 opuscules et 116 essais, et Ă©tait Ă  la tĂȘte d’une revue, RazĂłn Española[3]. À partir de 1983, ayant abandonnĂ© l’arĂšne politique aprĂšs s’ĂȘtre avisĂ© du cap pris par le cambio et avoir pris son parti d’une rĂ©alitĂ© Ă  prĂ©sent irrĂ©vocable, il se centra dorĂ©navant sur les lettres et sur l’étude. Ses quatre derniers ouvrages, abstraction faite peut-ĂȘtre de ses mĂ©moires, traitent autant de sujets politiques que philosophiques, anthropologiques ou Ă©thiques[78]. Auteur de deux romans (dont Paradoja, roman esthĂ©tisant[2] et tacitement autobiographique[9]), FernĂĄndez de la Mora faisait grand cas de la qualitĂ© stylistique de ses Ă©crits, rĂ©digeant dans un style Ă©purĂ©, cultivant la clartĂ© Ă©nonciative, et faisant montre Ă  l’occasion de dons d’aphoriste[79].

Les travaux d’essayiste de FernĂĄndez de la Mora se focalisent sur plusieurs thĂ©matiques, de nature philosophique et politique pour la plupart, dont : la dĂ©mocratie organique, la particratie, le traditionalisme, le conservatisme, la technocratie, les idĂ©ologies, le totalitarisme, le krausisme, le rĂ©gĂ©nĂ©rationnisme, le novecentismo, la crise de 1898, la philosophie allemande et espagnole, le soulĂšvement du 18 juillet, le franquisme, etc. Ses principaux ouvrages sont les suivants :

  • Ortega y el 98 (1961), premiĂšre grande Ɠuvre de critique intellectuelle de FernĂĄndez de la Mora. Si l’auteur proclame la totale supĂ©rioritĂ© de la pensĂ©e d’Ortega y Gasset sur celle des reprĂ©sentants de la gĂ©nĂ©ration de 1898, dont FernĂĄndez de la Mora critique au passage les mĂ©thodes et en regard desquels l’Ɠuvre d’Ortega figurerait comme « une vĂ©ritable avalanche de raison pure », il dĂ©tecte nĂ©anmoins dans cette Ɠuvre un certain esthĂ©ticisme, voire une certaine frivolitĂ©, qui nuit Ă  sa profondeur et en considĂ©ration de quoi FernĂĄndez de la Mora, rompant ainsi publiquement avec Ortega, l’écarte comme exemple de philosophe Ă  suivre et plaide pour d’autres modĂšles, en particulier celui de Xavier Zubiri, qui misent sur la rigueur et sur une analyse systĂ©matique au lieu de la posture littĂ©raire[15] - [2] - [80] - [81]. Le livre a Ă©tĂ© couronnĂ© par le Prix national de littĂ©rature[2].
  • Pensamiento Español. Recueil d’articles et de recensions, publiĂ© jusqu’en 1970 et atteignant sept volumes. Dans chacun de ces volumes, l’auteur a placĂ©, en guise de chapitre introductif, un certain nombre d’études, qui mis ensemble ont valeur de thĂ©orie complĂšte de critique littĂ©raire[82].
  • El crepĂșsculo de las ideologĂ­as (1965). Cet ouvrage, qui connut sept Ă©ditions en espagnol entre 1965 et 1973 et a Ă©tĂ© traduit en catalan, grec, portugais et italien[83] - [84], et qui est sans doute l’Ɠuvre la plus polĂ©mique, la plus commentĂ©e et la plus originale de l’auteur[2], donna lieu Ă  de vifs dĂ©bats dans les milieux intelectuels espagnols, au point que le livre fut qualifiĂ© de « polĂ©mique de l’annĂ©e »[84] - [85]. La thĂšse dĂ©fendue par l’auteur porte que les idĂ©ologies politiques traditionnelles — libĂ©ralisme, socialisme, marxisme, nationalisme, dĂ©mocratie chrĂ©tienne, etc. — sont Ă  prĂ©sent en fin de course aprĂšs avoir accompli leur mission historique[2] et que dans les pays Ă©conomiquement et culturellement dĂ©veloppĂ©s d’Occident elles sont en cours de substitution par des analyses strictement gestionnaires. AccusĂ© d’avoir plagiĂ© le livre The end of the ideology de Daniel Bell paru en 1961, FernĂĄndez de la Mora s’en est dĂ©fendu en signalant, outre l’antĂ©rioritĂ© de ses rĂ©flexions sur l’ouvrage de Bell, aussi le fait que Bell ne postulait pas la fin des idĂ©ologies, mais le remplacement des anciennes idĂ©ologies du XIXe siĂšcle par de nouvelles[86].
  • Del Estado ideal al Estado de razĂłn (1972). Ce livre, qui reprend son discours d’entrĂ©e Ă  la l’AcadĂ©mie royale des sciences morales et politiques, se veut le complĂ©ment et le parachĂšvement de sa thĂšse crĂ©pusculaire. Les constructions idĂ©ales a priori de l’État y sont critiquĂ©es et le caractĂšre purement instrumental de celui-ci est affirmĂ©. DĂ©nonçant les voies erronĂ©es empruntĂ©es par la science politique, FernĂĄndez de la Mora[87] pose les fondements thĂ©oriques d’une « politique technifiĂ©e et neutre », soumise Ă  des impĂ©ratifs moraux et fonctionnels et dĂ©tachĂ©s des rivalitĂ©s d’intĂ©rĂȘts de parti[88], et d’une Ă©valuation correcte de l’État. Les concepts d’anti-apriorisme, de l’instrumentalitĂ© de l’État et de son apprĂ©ciation Ă  l’aune de ses rĂ©sultats viennent ainsi complĂ©ter le cadre thĂ©orique tracĂ© en 1965[87].
  • La partitocracia (1976). FernĂĄndez de la Mora s’efforce de dĂ©mystifier la dĂ©mocratie de partis par une analyse sociologique de ces derniers. Aux yeux de l’auteur, et Ă  l’instar de Michels, Pareto ou Schumpeter, les partis politiques sont des organisations oligarchiques incarnant les opinions d’une minoritĂ© dirigeante en quĂȘte de pouvoir et instrumentalisĂ©es par celle-ci en vue de manƓuvrer les masses. L’instauration d’un tel rĂ©gime non seulement ne rend pas un État plus dĂ©mocratique, mais encore peut induire une corruption de la dĂ©mocratie[89] : « La particratie est une forme Ă©volutive de la dĂ©mocratie qui en annule les caractĂšres essentiels »[90].
  • El Estado de obras (littĂ©r. l’État des Ɠuvres, 1976). L’auteur prĂ©conise de dĂ©sidĂ©ologiser l’idĂ©e d’État et de substituer, comme pilier Ă©pistĂ©mologique, l’idĂ©ocratie Ă  l’idĂ©ologie, c’est-Ă -dire de fonder l’État sur les idĂ©es rigoureuses et exactes issues des sciences sociales et humaines, sur l’action d’une Ă©lite experte et sur une lĂ©gitimitĂ© politique dĂ©rivant non de la souverainetĂ© nationale ou populaire, ni de quelque utopie sociale, mais sur des idĂ©es nouvelles et des critĂšres d’efficacitĂ©, Ă  savoir la capacitĂ© de l’État technique Ă  garantir l’ordre, la justice et le dĂ©veloppement[56] - [91].
  • La envidia igualitaria (littĂ©r. l’Envie Ă©galitaire, 1984). L’égalitarisme, dĂ©signĂ© par l’auteur comme le principal postulat de la gauche, est mis en corrĂ©lation avec l’envie, autrement dit le principal postulat de la gauche politique est le fruit d’un vice participant de la dimension passionnelle de l’homme, selon la dichotomie passion/raison caractĂ©ristique de la conception qu’a de l’homme FernĂĄndez de la Mora. Il est affirmĂ© en outre, Ă  la suite de Hayek et d’Aron, que les aspirations Ă©galitaires engendrent une croissance excessive de l’État, susceptible de compromettre la libertĂ©. S’y expriment Ă©galement quelques points rĂ©currents de sa pensĂ©e, tels que l’élitisme ou le plaidoyer pour la mĂ©ritocratie[92]. « Au lieu de tabler sur une expansion de la supĂ©rioritĂ© intellectuelle Ă  travers un enseignement de qualitĂ© », Ă©crit-il, l’on diffuse « la haine propagandiste contre ce qui est supĂ©rieur, appelant Ă  rabaisser ce qui est supĂ©rieur et Ă  exiger par la force l’égalitĂ© ». L’instrumentalisation de l’envie, s’incarnant dans le binĂŽme particratie et Ă©galitarisme, est devenu, en tant que « slogan politique », le moteur des partis de gauche, au mĂ©pris des bases hiĂ©rarchiques nĂ©cessaires Ă  toute sociĂ©tĂ© nationale organisĂ©e efficace. FernĂĄndez de la Mora en nomme l’antidote, Ă  savoir l’émulation[93] - [94].
  • Los teĂłricos izquierdistas de la democracia orgĂĄnica (littĂ©r. les ThĂ©oriciens de gauche de la dĂ©mocratie organique, 1985). Dans cette Ă©tude historique, l’auteur passe en revue ceux qui ont Ă©tĂ© les principaux promoteurs de la dĂ©mocratie organique en Espagne, en particulier l’école krausiste[92].
  • Los errores del cambio (littĂ©r. les Erreurs du changement, 1986). FernĂĄndez de la Mora met en lumiĂšre les facteurs rĂ©els Ă  l’origine de la transition dĂ©mocratique, arguant, au rebours de l’opinion commune portant que c’est la sociĂ©tĂ© espagnole qui demandait la dĂ©mocratie, que le changement a Ă©tĂ© voulu et accompli d’en haut[95], dans l’objectif de dĂ©truire la droite. Ce « faux consensus » a entraĂźnĂ© « la dissolution de la conscience nationale, le gigantisme du secteur public et de la bureaucratie, la destruction du tissu industriel, l’énorme endettement, la colonisation Ă©trangĂšre, la paralysie de la justice et la dĂ©tĂ©rioration de l’État de droit »[96] - [97]. C’est la critique la plus ample et la plus Ă©laborĂ©e du systĂšme dĂ©mocratique espagnol, dans une perspective de pensĂ©e post-franquiste. Pour l’auteur, le cambio a amenĂ© Ă  la fois une crise socio-Ă©conomique, une crise d’État et une crise morale, par suite de l’affaiblissement du principe d’autoritĂ©. La rĂ©alitĂ© politique est dĂ©sormais dominĂ©e par les machiavĂ©lismes particratiques et par la politicaillerie, oĂč seuls comptent les intĂ©rĂȘts minoritaires des promoteurs, exĂ©cutants et suiveurs du changement[98] - [99].
  • FilĂłsofos españoles del siglo XX (littĂ©r. Philosophes espagnols du XXe siĂšcle, 1987). PrĂ©sentant un aperçu des figures qui aux yeux de l’auteur constituent les cimes de la pensĂ©e espagnole contemporaine, l’ouvrage se compose de monographies sur la philosophie d’Amor Ruibal, D’Ors, Ortega, Morente, Zubiri, avec un apartĂ© sur celle de MillĂĄn-Puelles. Le but du livre est d’élucider tel et tel point obscur dans la thĂ©orie de ces auteurs, l’intention premiĂšre restant cependant de revendiquer l’existence d’une philosophie espagnole[100] : « Je considĂšre non seulement comme faux, mais aussi comme pervers, de nier l’existence d’une mĂ©taphysique profonde dans l’Espagne des cent derniĂšres annĂ©es. Et il m’apparaĂźt pĂ©nible que l’on ait Ă  l’inverse tant Ă©levĂ© et trahi un grand poĂšte comme Unamuno, dont les cris Ă©motionnels et contradictoires ne permettent pas de l’inclure dans la nomenclature des philosophes »[101].
  • RĂ­o arriba. Memorias (littĂ©r. À contre-courant, 1995). Ces mĂ©moires de FernĂĄndez de la Mora, Ă©crites quand il Ă©tait ancien diplomate et ancien ministre, et couronnĂ©es de la 21e Ă©dition du prix Espejo de España, sont littĂ©raires et Ă©vocatrices plutĂŽt que proprement historiques, ce dont se ressent l’exactitude historique en quelques occasions[102].
  • El hombre en desazĂłn (littĂ©r. l’Homme en dĂ©sarroi, 1997). FernĂĄndez de la Mora veut par ce livre faire Ɠuvre de rĂ©alisme, en assumant le constat que l’homme est un ĂȘtre imparfait et que des choses innombrables sont hors de sa portĂ©e dans tous les domaines. Ayant ainsi dĂ©mystifiĂ© l’optimisme moderne, l’auteur met en garde que si l’homme ne se prĂȘte pas Ă  la catharsis telle qu’esquissĂ©e dans le livre, aprĂšs prise de conscience de sa nature d’ĂȘtre de finitude et d’imperfection, il risque de tomber dans toutes sortes de fictions et de dĂ©robades, faisait de lui un ĂȘtre maudit. Le livre dĂ©borde sur le plan Ă©thique en faveur d’une certaine retenue stoĂŻque[102].
  • Sobre la felicidad (littĂ©r. À propos du bonheur, 2001). Cet ultime ouvrage de FernĂĄndez de la Mora analyse le bonheur, qu’il dĂ©finit comme l’équilibre entre ce que l’on possĂšde et ce que l’on dĂ©sire. Le mieux en effet est la modĂ©ration, soit encore le stoĂŻcisme[102].

Vie privée

FernĂĄndez de la Mora avait Ă©pousĂ© Ă  Noia en 1950 Isabel Valera Uña, avec qui il eut quatre enfants[2] - [13]. Il a fait don des terrains oĂč se trouve actuellement la mairie de Poio (dans la province de Pontevedra, en Galice). Au cours de sa vie, il se vit dĂ©cerner 14 Grandes Croix, nationales et Ă©trangĂšres, dont en particulier la dĂ©coration espagnole de plus haut rang, l’ordre de Charles III. En reconnaissance de son Ɠuvre au ministĂšre des Travaux publics, il reçut une mĂ©daille d’or de douze provinces diffĂ©rentes.

Dans ses derniĂšres annĂ©es, et jusqu’à sa mort Ă  l’ñge de 77 ans, s’il se tenait Ă  l’écart des engagements publics, il poursuivit son activitĂ© intellectuelle par le biais de livres, d’articles, de cours et de confĂ©rences, et en dirigeant la revue RazĂłn Española. Il est mort victime d’un infarctus du myocarde Ă  son domicile de Madrid. Il avait auparavant fait don de sa prĂ©cieuse collection d’argenterie au musĂ©e de Pontevedra[2].

RĂ©compenses

Pensée

La pensĂ©e de FernĂĄndez de la Mora prĂ©sente dans l’ensemble des doctrines conservatrices espagnoles l’originalitĂ© d’avoir abandonnĂ© la positionnement contre-rĂ©volutionnaire traditionnel fondĂ© en particulier sur le catholicisme, et d’avoir prĂ©conisĂ© en lieu et place une vision nouvelle libĂ©rale conservatrice, centrĂ©e sur des arguments de dĂ©veloppement Ă©conomique et technique. Sa pensĂ©e est importante pour comprendre l’orientation du rĂ©gime franquiste des annĂ©es 1960 et suivantes[110].

Obsolescence des idéologies

Un Ă©lĂ©ment clef de la pensĂ©e politique de FernĂĄndez de la Mora est la critique des idĂ©ologies, qui doivent selon lui ĂȘtre rejetĂ©es pour raisons fonctionnelles autant que structurelles. Elles exaltent la passion et confĂšrent Ă  celle-ci, par un simulacre de rationalisation, une lĂ©gitimitĂ© politique[111].

Définition et caractéristiques des idéologies

FernĂĄndez de la Mora dĂ©finit l’idĂ©ologie comme « une [...] philosophie politique simplifiĂ©e et vulgarisĂ©e » et comme une « version populaire et pragmatique d’un systĂšme d’idĂ©es »[112]. La rectification la plus significative qu’il apporta ultĂ©rieurement Ă  cette dĂ©finition originelle est l’ajout du dramatisme ou pathĂ©tisme comme Ă©lĂ©ment consubstantiel des idĂ©ologies, que la rationalisation de l’histoire qu’il se propose d’accomplir devra Ă©liminer[113].

En dĂ©pit de leur apparence rationnelle, les idĂ©ologies comportent une forte charge pathĂ©tique, laquelle prĂ©sente deux dimensions, celle d’origine, en tant qu’elles figurent comme Ă©lĂ©ment rationalisant des desseins ou des pulsions Ă©motionnelles des idĂ©ologues, et une seconde, en rapport avec l’effet recherchĂ©, qui est de dĂ©clencher des rĂ©ponses passionnelles[114]. L’idĂ©ologue se signale principalement — et se diffĂ©rencie de l’intellectuel authentique — par sa grande soif de pouvoir ; ses apparences intellectuelles et ses productions culturelles sont toutes au service de la rĂ©alisation de ce seul but, et les idĂ©ologies ne sont autres que des crĂ©ations pseudo-intellectuelles conçues pour assouvir cette soif et dont le mode opĂ©ratoire est de projeter sous forme de schĂ©mas prĂ©tendument scientifiques les dĂ©sirs de leurs crĂ©ateurs[115]. L’apparence rationnelle agit comme Ă©lĂ©ment de lĂ©gitimation propre Ă  dissimuler la primautĂ© du pathĂ©tique dans les idĂ©ologies en mĂȘme temps que les vĂ©ritables desseins privĂ©s qui leur prĂ©sident[116].

Par cette immixtion de pathĂ©tisme, les idĂ©es se muent en idĂ©ologies, qui Ă  leur tour permettent d’instrumentaliser l’intelligence et de corrompre ainsi les intellectuels, lesquels se transforment en idĂ©ologues dĂšs lors qu’ils mettent leur travail intellectuel au service d’une volontĂ© politique irrationnelle, c’est-Ă -dire abdiquent, en faveur de la satisfaction de ce dĂ©sir, leur mission de recherche de la vĂ©ritĂ©. Aussi l’idĂ©ologue, crĂ©ateur d’idĂ©es, se trahit lui-mĂȘme en poursuivant une finalitĂ© appartenant au champ passionnel et au non-rationnel et Ă©trangĂšre Ă  la nature propre des idĂ©es[117] - [118]. La volontĂ© de pouvoir est irrationnelle en ceci Ă©galement qu’elle est capable de corrompre les mĂ©canismes techniques de la raison ; la subordination de la raison Ă  des intĂ©rĂȘts personnels libĂšre alors le potentiel de malignitĂ© de celle-ci[119] - [120].

Vu que les idĂ©ologies surgissent comme instrument politique en vue de mobiliser les masses, elles ne sauraient ĂȘtre des systĂšmes complexes d’idĂ©es, mais un ensemble de recettes simplistes portant sur la façon d’organiser la sociĂ©tĂ©[121]. Leur pouvoir Ă©motionnel reflĂšte leur fonction de persuasion et de mobilisation, comme instrument au service d’intĂ©rĂȘts de classe. Leurs effets et leur potentiel Ă©motif se canalisent par le biais de deux concepts : enthousiasme et tension. Leur habillage logique rĂ©pond au souci d’en occulter, sous l’apparence d’un Ă©noncĂ© scientifique, le caractĂšre manifestement Ă©motif. Les idĂ©ologies ne sont pas des systĂšmes d’idĂ©es cohĂ©rents et complexes, mais des schĂ©mas Ă©pistĂ©mologiquement dĂ©fectueux et composĂ©s non pas simplement d’idĂ©es « simplifiĂ©es » ou « Ă©lĂ©mentaires », mais souvent aussi de « pseudo-idĂ©es ». Le vernis de rationalitĂ© qui les recouvre les transforme en « sortilĂšges partidaires », et, partant, dĂ©termine leur condition de « mensonge politique ». Certaines Ă©lites, en quĂȘte de la satisfaction de dĂ©sirs personnels, exploitent les idĂ©ologies comme faux schĂ©mas pour pousser les masses Ă  l’action. La vulgaritĂ© des idĂ©ologies a cependant pour corollaire que la marche de l’histoire, qui s’accompagne d’une complexitĂ© croissante de l’existence et se confond pour l’auteur avec une rationalisation progressive, rend douteuse leur perpĂ©tuation ; ce que l’auteur envisage donc est une mort fonctionnelle des idĂ©ologies, sous l’effet de leur perte de pertinence sociale et de force de mobilisation[122] - [123].

Le fonctionnement des idĂ©ologies repose fondamentalement sur l’inoculation de passions dans les masses, pour servir l’objectif premier, qui est de susciter des rĂ©actions de mobilisation enthousiaste et d’adhĂ©sion Ă  l’idĂ©ologie concernĂ©e, processus oĂč l’effet pathĂ©tique est la condition de leur succĂšs. Le propre des idĂ©ologies consiste Ă  provoquer des polarisations teintĂ©es de violence. La mobilisation recherchĂ©e requiert une adhĂ©sion maximale, ce pourquoi elles cultivent une attitude extrĂ©miste et belliqueuse. « Elles ont leurs prophĂštes et leurs martyrs », indique l’auteur, « et elles sont le plus puissant moteur des tensions internationales les plus violentes et des conflits militaires »[124] - [125]. Leur maximalisme et intĂ©grisme induisent une incapacitĂ© d’entendement en proportion de leur vocation jusqu’au-boutiste et d’accomplissement absolu, et entretiennent la pugnacitĂ© vis-Ă -vis des positions adverses[126]. Le cĂŽtĂ© passionnĂ© et Ă©motionnel des idĂ©ologies abolit ce que leur fonction de tension aurait pu, comme accĂ©lĂ©rateur social, avoir de positif. Les intĂ©rĂȘts Ă  l’inverse, bien qu’agissant eux aussi comme facteurs de tension, le font dans une mesure relative et ont pour caractĂ©ristique de garder ouverte une possibilitĂ© de transiger ; les idĂ©ologies en revanche n’admettent pas les solutions de compromis en raison de leur maximalisme, qui n’est pas facteur de tension, mais d’hypertension, et par lĂ  de dysfonctionnement sociologique[127] - [128]. Les idĂ©ologies font figure de croyances, dont la caractĂ©ristique principale est qu’elles rĂ©clament une acceptation acritique ; cette sacralisation des idĂ©ologies aboutit, par leur caractĂšre de croyance et leur maximalisme, Ă  un systĂšme de consignes dogmatiques qui rĂ©serve au dissident et Ă  l’hĂ©tĂ©rodoxie le mĂȘme traitement que le font les religions[129] - [130].

Un peuple enthousiasmĂ©, rendu partial, ingĂ©nu, dogmatique, obsessif et Ă©lĂ©mentaire, qui s’est aliĂ©nĂ© les valeurs rationnelles, prĂ©sente dĂ©sormais trois caractĂ©ristiques. PremiĂšrement, ayant abdiquĂ© sa capacitĂ© critique, il est une proie facile pour la tyrannie. DeuxiĂšmement, l’enthousiasme, s’il est propice Ă  tout type de totalitarisme, se prĂȘte davantage au totalitarisme rĂ©volutionnaire, les rĂ©volutions ayant besoin de l’enthousiasme comme carburant. TroisiĂšmement enfin, l’enthousiasme s’obtient plus facilement lĂ  oĂč le dĂ©veloppement Ă©conomique est moindre, attendu qu’un peuple dĂ©veloppĂ© voit s’émousser sa capacitĂ© d’enthousiasme[131] - [132].

Par un certain nombre de particularitĂ©s, les idĂ©ologies se distinguent de tout systĂšme d’idĂ©es au vrai sens du terme et ne sauraient ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme un savoir philosophique ou thĂ©orique, mais, compte tenu de leur claire composante politique et de leur fonction de rĂ©gulation de la vie publique, reprĂ©sentent une pensĂ©e instrumentale, orientĂ©e vers l’action et subordonnĂ©e Ă  celle-ci[116]. Elles surgissent, pour y inciter Ă  l’action, dans les strates les plus basses de la sociĂ©tĂ©, et leur caractĂšre populaire tend Ă  dĂ©montrer leur finalitĂ© primairement militante, leurs ambitions thĂ©oriques n’étant que secondaires[133]. Pourtant, elles s’efforcent en mĂȘme temps de se maintenir dans un Ă©tat de non-rĂ©alisation au regard de l’idĂ©al qu’elles sont censĂ©es promouvoir, car elles ne renferment pas en soi de plan concret et Ă©laborĂ© pour atteindre ledit idĂ©al, et ne fournissent qu’une sĂ©rie de modalitĂ©s d’action qui ne sont qu’accidentellement en rapport avec le but mis en avant[134] - [135].

Les idĂ©ologies sont un ensemble de prĂ©supposĂ©s et de recettes acceptĂ©s de façon acritique, par quoi l’idĂ©ologie est Ă©trangĂšre Ă  la raison. DĂšs que, par une mise Ă  l’écart de la raison, ces prĂ©jugĂ©s collectifs se sont imposĂ©s, ils se projettent sur la rĂ©alitĂ© en la dĂ©formant, rendant la raison impuissante. Ce sont les idĂ©ologies qui ont empĂȘchĂ© que la sphĂšre de la politique se soit rationalisĂ©e et que soit instaurĂ© un authentique rĂšgne du logos dans le champ politique[136] - [137]. La nature de prĂ©jugĂ© des idĂ©ologies fait de leur acceptation un acte de la volontĂ© et, couplĂ©e Ă  cette volition (« volontarisme »), conduit Ă  une rupture des processus rationnels d’examen, ce qui Ă  son tour engendre des rĂ©actions potentiellement violentes de la part des promoteurs des idĂ©ologies[138].

Le rapport de l’idĂ©ologie Ă  l’opinion est formulĂ© par FernĂĄndez de la Mora de la façon suivante. L’opinion est une rĂ©ponse transitoire au vĂ©cu, et constitue en ce sens un cas d’irrationalitĂ© subjective de type thĂ©orique. Lorsque les opinions, qui sont choses Ă©minemment privĂ©es, se collectivisent et Ă©tendent leur emprise sur un grand nombre de personnes, elles se transforment en idĂ©ologies, et, perdant par lĂ  mĂȘme leur flexibilitĂ© et leur aptitude au changement, se dogmatisent — le propre des idĂ©ologies Ă©tant justement de n’ĂȘtre que des opinions sur le bien commun qui, devenues collectives, en deviennent comme des rĂ©actions militarisĂ©es[139] - [140] - [141].

Pour obtenir mobilisation et adhĂ©sion, une idĂ©ologie doit se dĂ©guiser en corps de doctrine rationnel, en systĂšme scientifique, propre Ă  occulter les Ă©lĂ©ments Ă©motifs et les intĂ©rĂȘts qui sous-tendent toute idĂ©ologie. La fonction des idĂ©ologies est fondamentalement d’ennoblir les passions individuelles ou de groupe qui s’y logent infailliblement, et de les camoufler par leur rationalitĂ© apparente[142] - [143]. À l’inverse de Marx, pour qui l’aspect rationnel de l’idĂ©ologie est purement instrumentale et ne constitue qu’un Ă©piphĂ©nomĂšne des conditions Ă©conomiques et matĂ©rielles, FernĂĄndez de la Mora pour sa part estime que le camouflage de la rĂ©alitĂ© sous un formalisme logique et une ostensible rationalitĂ© des assertions idĂ©ologiques peut ĂȘtre dĂ©libĂ©rĂ© mais aussi inconscient. D’autre part, pour FernĂĄndez de la Mora, il ne s’agit pas de travestir des rapports de classe, mais des passions individuelles, en leur donnant une apparence rationnelle pour se lĂ©gitimer ; l’échafaudage pseudo-rationnel ainsi Ă©rigĂ© a pour point d’origine une pulsion Ă©motionnelle qui, Ă©tant inavouable, appelle la raison Ă  son secours pour pouvoir se montrer[144]. En effet, la dynamique idĂ©ologique rĂ©sulte originellement, et antĂ©rieurement Ă  tout examen de la rĂ©alitĂ©[145], d’une prise de position Ă©motive, c’est-Ă -dire d’un dĂ©sir, d’une pulsion passionnelle dont l’assouvissement requiert le concours des masses. Pour se lĂ©gitimer auprĂšs de celles-ci, l’idĂ©ologie se dresse comme un corpus dogmatique et thĂ©orique destinĂ© Ă  occulter son caractĂšre intĂ©ressĂ© et Ă  la faire passer pour une aspiration universelle. Du reste, l’idĂ©ologie n’a guĂšre besoin d’un contenu thĂ©orique fort Ă©laborĂ©, Ă©tant donnĂ© qu’elle vise Ă  convaincre plutĂŽt qu’à persuader[146]. Il s’ensuit que les idĂ©ologies ont une incontestable composante d’imposture consciente, de dissimulation volontaire. L’idĂ©ologie est un outil avec lequel une Ă©lite s’évertue Ă  justifier certaines prĂ©tentions irrationnelles au pouvoir et Ă  s’acquĂ©rir, au moyen d’une thĂ©orisation fausse de la rĂ©alitĂ©, l’adhĂ©sion de la masse[147].

L’apparition de l’idĂ©ologue, et de l’idĂ©ologie comme outil politique, coĂŻncide avec l’irruption des masses dans la vie politique. Les idĂ©ologies font alors leur apparition comme schĂ©mas facilement comprĂ©hensibles pour le plus grand nombre, ce qui s’accompagne d’une dĂ©valuation Ă©pistĂ©mologique de ces idĂ©ologies, qui dĂšs lors, victimes de leur finalitĂ© et de leur caractĂšre de produit de consommation de masse, cessent d’ĂȘtre des systĂšmes complexes de pensĂ©e[148] - [149]. La mise en Ă©vidence du caractĂšre vulgarisateur et de masse des idĂ©ologies ne peut ĂȘtre dissociĂ©e de deux des thĂšses fondamentales et Ă©troitement liĂ©es entre elles de FernĂĄndez de la Mora. D’une part, son Ă©litisme, qui postule, Ă  partir d’une conception aristocratique de la raison, l’existence de certaines personnes capables d’étendre les conquĂȘtes de la raison et figurant comme les moteurs de l’histoire et comme les vĂ©ritables protagonistes du progrĂšs de l’humanitĂ©, au bĂ©nĂ©fice du reste de l’espĂšce. Cette conception a d’autre part pour corollaire l’anti-Ă©galitarisme de l’auteur, qui signale que l’idĂ©e Ă©galitariste, la chose « la plus invariable dans les idĂ©aux socialistes », est un prĂ©jugĂ© qui attente au fonctionnement le plus fondamental de la raison. Pour FernĂĄndez de la Mora, les idĂ©ologies sont fonctionnellement Ă©galitaires en ceci qu’elles Ă©tablissent un systĂšme de pensĂ©e prĂ©tendument valable pour l’ensemble de la collectivitĂ© sans prendre Ă©gard aux diffĂ©rences entre ses membres et que la simplicitĂ© de leurs postulats fait fi du caractĂšre hiĂ©rarchisant de la raison. Au surplus, les masses ont pour effet d’accentuer les diffĂ©rences dans la capacitĂ© d’exercice de la raison, davantage que l’existence des Ă©lites elles-mĂȘmes ; les masses en effet provoquent un surcroĂźt d’inĂ©galitĂ© en abdiquant leur usage de la raison, ce qui les rend plus accommodantes et plus promptes Ă  accepter les sentences d’individus apparaissant Ă  leurs yeux dignes de crĂ©dit[150] - [151] - [152].

Si la rationalisation est factuellement l’opposĂ© de l’idĂ©ologisation, et attendu que la rationalisation reprĂ©sente le progrĂšs, il est impĂ©rieux Ă©thiquement de contribuer Ă  la dĂ©sidĂ©ologisation[153] - [154]. NĂ©anmoins, selon FernĂĄndez de la Mora, les idĂ©ologies remplissent aussi, comme facteur de tension sociale, une fonction positive, et contribuent, grĂące Ă  la polarisation qui leur est propre et Ă  l’égal de cet autre important facteur de tension sociale, Ă  savoir les intĂ©rĂȘts, Ă  prĂ©venir la sclĂ©rose sociale et Ă  garantir la vitalitĂ© nĂ©cessaire Ă  la rĂ©alisation du progrĂšs[128]. Toutefois, le caractĂšre extrĂ©miste et intĂ©griste des idĂ©ologies, par quoi leur effet de tension se rĂ©vĂšle incompatible avec la paix sociale, annule cet avantage[155].

Taxinomie

FernĂĄndez de la Mora a dressĂ© plusieurs listes diffĂ©rentes Ă©numĂ©rant les idĂ©ologies concrĂštes encore en vogue au moment de rĂ©diger sa thĂšse (1965). Plus tard, se penchant plus particuliĂšrement sur celles ayant fait irruption dans le panorama politique de l’Espagne au lendemain de la mort de Franco, il n’en relĂšve plus que trois, auxquelles s’est entre-temps rĂ©duite la pluralitĂ© idĂ©ologique, nommĂ©ment : le libĂ©ralisme, le socialisme et le communisme, mais en laissant la porte ouverte Ă  d’autres[156] - [157]. Quand il lui arrive d’ajouter Ă  cette liste le fascisme[158] - [149], c’est toutefois sans le considĂ©rer comme une idĂ©ologie Ă  proprement parler : le fascisme n’est pas une doctrine unitaire, ni mĂȘme une doctrine pouvant prendre corps dans des circonstances historiques diffĂ©rentes ; il existe un État fasciste italien, mais il n’y a pas de fascisme comme genre socio-politique[159].

Socialisme et communisme ne sont pas analysĂ©s sĂ©parĂ©ment, mais considĂ©rĂ©s sous le mĂȘme prisme lorsque sont abordĂ©es les idĂ©ologies issues du marxisme[160]. En effet, tant le socialisme moderne que le communisme ont le marxisme pour support thĂ©orique et ne peuvent se comprendre que par rĂ©fĂ©rence Ă  cette thĂ©orisation, mĂȘme si les manifestations historiques du marxisme sont multiples. Pourtant, il y a dans le magma des « socialismes » existants une constante, l’égalitarisme[161] - [151]. L’auteur note qu’il y a dans le socialisme marxiste deux Ă©lĂ©ments, un qui l’apparente Ă  toute forme de socialisme, et un autre qui l’en diffĂ©rencie. L’élĂ©ment diffĂ©renciateur provient d’une certaine fracture idĂ©ologique qui s’est fait jour au sein du socialisme et a donnĂ© lieu Ă  des courants marxistes divergents. L’élĂ©ment unitaire rĂ©side dans les techniques Ă©conomico-administratives, Ă  savoir la nationalisation des moyens de production dans une Ă©conomie centralisĂ©e, qui est caractĂ©ristique des socialismes et est prĂŽnĂ©e comme outil pour atteindre l’idĂ©al Ă©galitaire[162] - [151].

Quant Ă  l’idĂ©ologie libĂ©rale, les idĂ©aux dont elle aspire Ă  ĂȘtre le hĂ©raut sont l’autodĂ©termination individuelle et le gouvernement du peuple par le peuple. Elle dĂ©fend la primautĂ© de l’individu sur la sociĂ©tĂ©[162] - [163]. Son incarnation historique est l’État libĂ©ral dĂ©mocratique, et ses axes idĂ©ologiques sont le pluralisme, le parlementarisme, le libĂ©ralisme Ă©conomique, la politisation, et la minimisation et collectivisation du pouvoir exĂ©cutif, ce qui comporte une certaine inversion du libĂ©ralisme[164]. Le libĂ©ralisme n’a de valeur pour FernĂĄndez de la Mora qu’en tant qu’il revendique cette valeur permanente qu’est l’Homme, c’est-Ă -dire dans la mesure oĂč il possĂšde une substance Ă©thique[165]. À l’inverse cependant, son caractĂšre d’a priori, son alliance avec la mĂ©thode dĂ©mocratique et la dogmatisation de ses idĂ©aux tendent Ă  l’invalider[166].

Société post-industrielle et caducité des idéologies

Selon l’auteur, l’État tend Ă  la dĂ©sidĂ©ologisation ou Ă  la rationalisation politique Ă  partir du dernier tiers du XXe siĂšcle, Ă  proportion qu’augmente le niveau de dĂ©veloppement des sociĂ©tĂ©s occidentales[167] - [168]. Tant du point de vue scientifique que fonctionnel, les idĂ©ologies ont de moins en moins cours et perdent de leur vigueur, et tout porte Ă  penser que les circonstances leur seront de plus en plus dĂ©favorables. La thĂšse de FernĂĄndez de la Mora, outre de se vouloir une analyse factuelle — les faits indiquant que les idĂ©ologies, de par leurs caractĂ©ristiques propres, se heurtent Ă  une rĂ©sistance aboutissant Ă  leur remplacement progressif —, prĂ©sente aussi une dimension normative en ce qu’elle invite le public Ă  accĂ©lĂ©rer ce processus d’attrition[169] - [170]. « Les peuples ne demandent plus d’idĂ©ologues, mais des experts », affirme l’auteur, et souhaite une riposte doctrinale et publique Ă  ceux qui font montre d’« obstination aveugle et s’opiniĂątrent non seulement Ă  ressusciter des panacĂ©es anachroniques, mais encore Ă  enfermer la collectivitĂ© politique de leurs compatriotes dans la crĂ©pusculaire dialectique des idĂ©ologies »[171] - [172]. FernĂĄndez de la Mora en veut pour preuve le fait que « l’Espagne prĂ©sente un degrĂ© d’idĂ©ologisation Ă©normĂ©ment infĂ©rieur Ă  ce qu’il Ă©tait il y a trente ans ; mais lĂ©gĂšrement supĂ©rieur Ă  celui qui devrait lui revenir compte tenu de son actuel dĂ©veloppement culturel et Ă©conomique ». Vu l’un et l’autre constat, « dĂ©noncer la dĂ©cadence des idĂ©ologies n’est pas une idĂ©ologie, mais une idĂ©e ; c’est, exactement, la description neutre d’un fait. Il ne part d’aucun prĂ©supposĂ© idĂ©ologique : socialisme, libĂ©ralisme et communisme me paraissent dans une Ă©gale mesure en dĂ©gĂ©nĂ©rescence »[173].

La « loi de dĂ©sidĂ©ologisation » (ley desideologizadora) dĂ©coule, selon FernĂĄndez de la Mora, de la constatation objective de ce que « les idĂ©ologies sont en crise ; le fascisme s’est Ă©clipsĂ©, le progressisme a vieilli, le socialisme et le conservatisme se sont rapprochĂ©s jusqu’à perdre bon nombre de leurs traits singuliers, et la grande dualitĂ© libĂ©ralisme-communisme est en train de perdre de sa pertinence ». Il relĂšve d’autre part que mĂȘme en Occident, « le mythe hautain de la libertĂ©, qui Ă©tait l’ingrĂ©dient de base de l’idĂ©ologie dominante, est en train de cĂ©der le pas Ă  une aspiration modeste et concrĂšte, qui est fondamentalement un intĂ©rĂȘt : le bien-ĂȘtre et la sĂ©curitĂ© sociale »[174]. Selon l’auteur, on assiste Ă  « un glissement vers des dimensions rĂ©alistes, vers des valeurs politiques modestes, concrĂštes et mesurables. Les idĂ©ologies, c’est-Ă -dire les pseudo-philosophies sociales avec leur cortĂšge de grands mots et de concepts de caricature, traversent une crise de dĂ©sintĂ©rĂȘt et de mĂ©fiance gĂ©nĂ©ralisĂ©s »[175] - [176].

Le crĂ©puscule des idĂ©ologies est vu comme un processus graduel, bien qu’irrĂ©versible. Les idĂ©ologies pĂ©riclitent, mais pour l’heure, leur fin dĂ©finitive est seulement un horizon qu’on ne fait qu’entrevoir. Il est patent toutefois que le processus en cours culminera avec la disparition totale des idĂ©ologies ou, du moins, leur relĂ©gation aux confins de la pathologie sociale[177] - [178].

L’Espagne de la dĂ©cennie 1960 vit un moment dĂ©cisif, par l’émergence de ce que l’auteur perçoit comme un nouveau type de sociĂ©tĂ©. Le processus crĂ©pusculaire se dĂ©roule dans un contexte social nouveau se caractĂ©risant notamment par un changement de modĂšle productif, une prĂ©dictibilitĂ© des phĂ©nomĂšnes sociaux et le renouvellement des structures administratives et politiques. Le crĂ©puscule des idĂ©ologies n’est autre qu’un corollaire politique d’un modĂšle social nouveau, d’un nouveau type de sociĂ©tĂ© dite post-industrielle, qui impose en un certain sens un nouveau modĂšle de rationalitĂ© et dont l’apparition s’inscrit dans un processus de rationalisation au diapason de la marche de l'histoire[179].

FernĂĄndez de la Mora s’applique Ă  dĂ©tailler les traits cardinaux de cette sociĂ©tĂ© post-industrielle. C’est, en premier lieu, l’émergence d’une Ă©conomie du savoir, entraĂźnant une nouvelle Ă©tape dans le processus de rationalisation, et la prĂ©Ă©minence de la recherche thĂ©orique sur l’activitĂ© purement productive, dont le corollaire est une revitalisation de la raison thĂ©orique, facteur de dissolution des idĂ©ologies[180]. En deuxiĂšme lieu, FernĂĄndez de la Mora mentionne la « technologie intellectuelle », avec six caractĂ©ristiques : 1) la production est pilotĂ©e et planifiĂ©e par une technostructure, et l’économie n’est donc plus soumise aux dictats de la demande ; 2) Ă  la souverainetĂ© du consommateur se substitue l’égide de la technostructure ; 3) la relation des grandes entreprises avec l’État se renforce, par suite de leur besoin d’une demande globale, d’une stabilitĂ© des prix, de spĂ©cialistes formĂ©s, etc. ; 4) l’objectif de l’économie a cessĂ© d’ĂȘtre la maximalisation des bĂ©nĂ©fices, vu que les technostructures sont intĂ©ressĂ©es davantage Ă  « l’expansion de l’entreprise et au raffinement technologique », d’oĂč le basculement d’une Ă©conomie vouĂ©e aux bĂ©nĂ©fices vers une Ă©conomie de l’innovation, mieux en rapport avec une sociĂ©tĂ© de l'information ; 5) la technostructure est plus attentive au bĂ©nĂ©fice de la communautĂ© dans son ensemble, du pays tout entier, et n’est infĂ©odĂ©e Ă  aucun parti ; 6) la technostructure peut prendre place dans une Ă©conomie socialiste autant que capitaliste. Le phĂ©nomĂšne de la technostructure comme classe dominante est le reflet de la « technologie intellectuelle » propre Ă  la sociĂ©tĂ© post-industrielle[181] - [172]. La sociĂ©tĂ© post-industrielle correspond aussi Ă  la transition d’une Ă©conomie de biens vers une Ă©conomie de service, processus interprĂ©tĂ© par FernĂĄndez de la Mora comme une « dignification des nĂ©cessitĂ©s », se traduisant par une expansion relative du secteur tertiaire aux dĂ©pens de l’industrie et de l’agriculture. Cette transition contribue Ă  la dĂ©cadence des idĂ©ologies en ce qu’elle induit une extension de la propriĂ©tĂ© et un rapprochement solidaire des groupes autour du concept d’intĂ©rĂȘt[182] - [183] - [184]. En rĂ©sumĂ©, la sociĂ©tĂ© post-industrielle est un Ă©lĂ©ment de premiĂšre importance dans la dissolution des idĂ©ologies, plus particuliĂšrement par la mise en avant et la revalorisation de l’intelligence, par le haut niveau de technicitĂ©, et par l’importance dĂ©croissante de concepts appartenant Ă  la sociĂ©tĂ© industrielle[185].

D’autre part, la sociĂ©tĂ© post-industrielle se caractĂ©rise aussi par une haute technicitĂ© des processus sociaux, qui rend trĂšs complexes l’analyse et le contrĂŽle du social, et rend caduques les schĂ©mas proposĂ©s par les idĂ©ologies, car devenus inexacts. Cette technification se traduit par la forte mathĂ©matisation des sciences sociales, consĂ©quence notamment de la volontĂ© de prĂ©dire et anticiper les tendances sociales Ă  l’aide de donnĂ©es statistiques. À l’inverse, les analyses idĂ©ologiques apparaissent par trop simplificatrices et ne satisfont pas Ă  la nĂ©cessitĂ© de rigueur et d’exactitude que requiert un environnement hautement technifiĂ©, oĂč les idĂ©ologies et leurs recettes rigides et simplistes se rĂ©vĂšlent inaptes Ă  prĂ©dire les nouvelles tendances, Ă  saisir une rĂ©alitĂ© complexe et hautement technifiĂ©e, et Ă  servir d’outils pour la prise de dĂ©cision[186].

Cependant, tient Ă  prĂ©ciser FernĂĄndez de la Mora, la critique des idĂ©ologies vise Ă  une dĂ©fense non pas des technocrates, « mais des experts, c’est-Ă -dire de ceux qui connaissent quelque chose Ă  ce dont ils s’occupent » ; ainsi technique et dĂ©veloppement figurent-ils comme les traits les plus accusĂ©s de notre temps, et comme les Ă©lĂ©ments destinĂ©s Ă  se substituer aux idĂ©ologies[173].

SymptÎmes du déclin des idéologies

FernĂĄndez de la Mora recense les signes qui tĂ©moignent de la perte d’impact des idĂ©ologies. Le premier est l’apathie politique, dĂ©fini par lui comme une indiffĂ©rence Ă  la lutte pour le pouvoir, c’est-Ă -dire au combat idĂ©ologique, attitude qui pour autant n’implique pas nĂ©cessairement un dĂ©sintĂ©rĂȘt Ă  l’égard du politique ou une abdication de toute la sociĂ©tĂ©, non plus qu’une suspension du jugement sur ce qu’est le bien commun ; cela indique que le dĂ©sintĂ©rĂȘt envers la dialectique idĂ©ologique porte les gens Ă  s’abstenir de participer aux Ă©lections[187] - [188]. Un autre signe de ce que les idĂ©ologies perdent de leur pouvoir de mobilisation, est la baisse des affiliations aux partis politiques et du militantisme de parti, en mĂȘme temps que d’autres organisations, tels que les syndicats et les associations de loisir, voient augmenter le nombre de leurs adhĂ©rents[189] - [190]. S’y ajoute la dĂ©cadence de la presse politique[191] - [188].

Par l’élĂ©vation gĂ©nĂ©rale du niveau culturel, les masses sont dĂ©sormais douĂ©es d’une plus grande capacitĂ© de critique, ne se contentent plus des condamnations et sanctions sommaires Ă©manant des idĂ©ologies, et rĂ©clament des argumentations rigoureuses, des projets techniques et des solutions pertinentes. La tension Ă©motionnelle dont vivent les idĂ©ologies en est, du point de vue social, rĂ©duite Ă  l’inocuitĂ©. L’enthousiasme, « amplificateur de l’émotivitĂ© », est remplacĂ© dans une mesure croissante par le consensus[189] - [192].

L’emprise de la technique gestionnaire au dĂ©triment des idĂ©ologies se traduit par une dĂ©shumanisation de l’État, autrement dit par la spĂ©cialisation de l’appareil d’État, par la distanciation, la dĂ©personnalisation de l’autoritĂ© politico-administrative, par la procĂ©duralitĂ© des rapports avec l’État, la mĂ©canisation des rĂ©ponses de l’État, et de lĂ  par la rupture des liens affectifs entre gouvernants et gouvernĂ©s[193].

Un autre symptĂŽme encore est ce que FernĂĄndez de la Mora appelle la « convergence des idĂ©ologies ». La perte de vigueur dogmatique des principales idĂ©ologies est propice Ă  ce que le socialisme et le libĂ©ralisme tendent vers une confluence, c’est-Ă -dire vers un point intermĂ©diaire oĂč, renonçant Ă  une part essentielle de leur projet idĂ©ologique, ils viennent se situer sur un plan notablemente plus rĂ©aliste[194] - [195]. Aussi les techniques Ă©conomiques et administratives du socialisme ont-elles pu s’imposer dans le monde entier, et des rĂ©gimes, censĂ©ment contraires au socialisme, se sont-ils appropriĂ© ces techniques, rĂ©ussissant en pratique Ă  les mettre en Ɠuvre de maniĂšre plus efficace[196] - [197], comme en tĂ©moigne l’exemple du SPD allemand lors du congrĂšs de Bad Godesberg[198] - [199]. Le socialisme renonce Ă  ses principaux dogmes, dont la propriĂ©tĂ© collective des moyens de production, et accepte l’économie de marchĂ©. En contrepartie, le libĂ©ralisme est amenĂ© Ă  abandonner quelques-uns de ses principes, dont le mythe de la libertĂ© et la reprĂ©sentation, tous deux rĂ©pudiĂ©s peu Ă  peu en faveur de la sĂ©curitĂ© et du contrĂŽle judiciaire (fiscalizaciĂłn) du pouvoir. La tendance actuelle, admise et pratiquĂ©e dans les pays libĂ©raux, pousse Ă  la juridicisation et Ă  la lĂ©gislation de toute activitĂ©, par quoi la libertĂ© individuelle subit un rĂ©trĂ©cissement progressif[200] - [201] et se mue en une « libertĂ© nĂ©gative », c’est-Ă -dire limitĂ©e par celle des autres citoyens[202] - [203].

Les dĂ©ficiences thĂ©oriques et pratiques de l’économie libĂ©rale la contraignent Ă  accepter une certaine intervention de l’État dans l’économie. Le nĂ©olibĂ©ralisme est, dans l’acception de FernĂĄndez de la Mora, une correction du libĂ©ralisme pur, par quoi a Ă©tĂ© acceptĂ©e, par une sorte de synthĂšse avec le socialisme, le contrĂŽle de l’État. On constate un changement de mentalitĂ© chez les masses, lesquelles optent pour la sĂ©curitĂ© aux dĂ©pens de la libertĂ©[204] - [205]. Il s’ensuit une relativisation de la distinction gauche / droite, qui s’est vue dĂ©pouillĂ©e de sa dimension idĂ©ologique, sans certes pour autant ĂȘtre dĂ©nuĂ©e dĂ©sormais de tout contenu objectif, dĂ©terminĂ© par la part d’étatisme retenu dans chacune des positions politiques[206] - [207]. « TrĂšs rĂ©cemment », note l’auteur en 1965, « les symptĂŽmes adverses se sont exacerbĂ©s et multipliĂ©s. L’un des plus frappants est la progressive substitution des idĂ©ologies par les plans techniques et Ă©conomiques dans les programmes de gouvernement »[208].

Caractérisation de la raison et raisonnalisme

FernĂĄndez de la Mora pose que « le propre de la raison est la vĂ©racitĂ© systĂ©matique et le rĂ©visionnisme permanent »[77] - [209] et appelle Ă  exiger des intellectuels qu’ils appliquent la raison pure, quel que soit leur domaine de connaissance. La politique, l’économie, la sociologie et l’administration doivent ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme des « sciences et non comme du dilettantisme »[210] - [211].

L’auteur fait le distinguo entre rationalisme (« racionalismo ») et raisonnalisme (« razonalismo »), nĂ©ologisme de son invention. Dans le rationalisme, la charge de la dĂ©couverte de la vĂ©ritĂ© incombe certes Ă  la raison, mais la rĂ©alitĂ© y reste, du moins dans une large mesure, marginalisĂ©e, car la raison rationaliste n’éprouve guĂšre le besoin de se rĂ©fĂ©rer Ă  la rĂ©alitĂ©, laquelle est dĂ©nuĂ©e de sens si ce n’est par sa relation Ă  un univers conceptuel. Pour le raisonnaliste au contraire, la voie vĂ©ritablement rationnelle suppose que la raison procĂšde selon un mouvement de va-et-vient du rĂ©el au conceptuel, en corrĂ©lant, par la dĂ©duction et l’induction, ces deux aspects entre eux. Dans la vision raisonnaliste, le rĂ©el garde la prĂ©Ă©minence sur le conceptuel et la raison se donne pour tĂąche d’explorer le monde rĂ©el, qui est donnĂ© a priori, et oĂč elle doit se plonger pour apporter au systĂšme conceptuel fondement et confrontation, ce pourquoi la raison demeure ancillaire envers l’univers ontologique ; elle ne saurait donc ĂȘtre crĂ©atrice de rĂ©alitĂ©, mais est constitutive de celle-ci. FernĂĄndez de la Mora dĂ©nonce l’anti-empirisme du rationalisme, pour lequel le vĂ©ritable centre d’intĂ©rĂȘt est la raison en elle-mĂȘme et pour qui le rĂ©el ne figure que comme horizon de projection d’entitĂ©s idĂ©elles. Pour autant, la raison raisonnaliste, ne poursuivant a priori aucun but pratique, n’est pas non plus une raison utilitaire ou instrumentale au service d’une praxis dĂ©terminĂ©e, au rebours de la raison idĂ©ologique oĂč la praticitĂ© prime. FernĂĄndez de la Mora ne mĂ©connaĂźt donc pas la valeur cognitive du rĂ©el, soulignant que la pensĂ©e ne se construit pas dans le solipsisme typique du rationalisme pur, mais que la connaissance est un processus de confrontation de la raison avec la rĂ©alitĂ©[212] - [213] ; inversement, si pour le raisonnalisme le niveau thĂ©orique reste central et la pratique un corollaire de celui-ci, et non son guide, cela n’entraĂźne pas pour autant une dĂ©rive abstraite, c’est-Ă -dire une dĂ©connexion d’avec le rĂ©el et d’avec les conditionnements de l’action pratique. Ce qui distingue le raisonnalisme de l’idĂ©ologisme est le fait que l’impulsion thĂ©orique est substantive et dĂ©terminante vis-Ă -vis de l’action. La raison possĂšde une certaine autonomie devant le rĂ©el ; une fois « affectĂ©e » par un contenu que lui a imposĂ© le rĂ©el, la raison opĂšre, jusqu’à un certain point, de façon autonome[214] - [215].

Le raisonnalisme part du constat que l’ĂȘtre humain hĂ©berge de grandes doses d’irrationalitĂ©, par suite d’un usage indu ou dĂ©fectueux de la raison. Cette irrationalitĂ© est une consĂ©quence nĂ©faste de la nĂ©cessitĂ© d’une connivence de la raison avec la volontĂ©, la raison ayant besoin, pour sa mise en marche, d’une pulsion prĂ©alable de la volontĂ© ; cette nĂ©cessitĂ© cependant « peut ĂȘtre orientĂ©e vers la tromperie et vers le sophisme ». La rationalitĂ© ne se trouve chez l’homme qu’en puissance et ne lui est pas donnĂ©e par hĂ©ritage gĂ©nĂ©tique, mais constitue une conquĂȘte personnelle : l’exercice de la raison requiert une dĂ©cision volontaire, davantage qu’une aptitude particuliĂšre initiale. Le raisonnalisme, quoique postulant la supĂ©rioritĂ© de la raison, admet une certaine prĂ©Ă©minence opĂ©rative de la volontĂ©[216] - [217] - [218]. Toutefois, la volontĂ©, qui use de la raison comme outil pour Ă©clairer telle zone ou tel objectif oĂč elle a fixĂ© son attention, peut diriger la raison vers des buts non rationnels, comme c’est le cas p. ex. des idĂ©ologies dans leur phase thĂ©orique et justificatrice[219].

Le mauvais usage de la raison, dans le but de justifier ses propres intĂ©rĂȘts et non pour rechercher la vĂ©ritĂ©, Ă©quivaut Ă  une entorse Ă  l’éthique. Il s’ensuit que l’éthique constitue un cadre nĂ©cessaire Ă  configurer une volontĂ© qui soit portĂ©e vers le bien et la vĂ©ritĂ© et Ă  faire barrage Ă  l’arbitraire d’une volition agissant comme mĂ©canisme aveugle d’action. La raison est, pour FernĂĄndez de la Mora, Ă©minemment Ă©thique[220] - [221].

Laisser toute licence Ă  une libertĂ© mal comprise et cĂ©lĂ©brĂ©e comme valeur suprĂȘme a fini par Ă©carter du champ de l’éthique toute rationalitĂ©, et par diluer toute dĂ©finition du bien, puisque, dĂšs lors que la libertĂ© fait l’objet d’une divinisation, du coup n’importe quelle position morale subjective se trouve lĂ©gitimĂ©e. La rationalitĂ© Ă©thique implique une dĂ©finition plus ou moins stable de ce qu’est le bien, qui s’impose par lĂ  comme un Ă©lĂ©ment coercitif pour l’individu[222]. Face Ă  la faiblesse normative d’une Ă©thique dĂ©liĂ©e de la raison, les prescriptions de celle-ci offrent Ă  l’inverse sĂ©curitĂ© et unitĂ©. À l’opposĂ© du libertarisme, la raison est impĂ©rative au sens oĂč elle dicte le bien et la certitude de maniĂšre univoque. Ce cĂŽtĂ© despotique de la raison fait Ă©cho au rĂ©alisme qui nous fait constater les Ă©troites limites de la libertĂ© d’action de l’homme. En rĂ©alitĂ©, c’est la raison qui procure la plus grande libertĂ©, par ceci que la libertĂ© est potentialisĂ©e dĂšs lors que nos actions sont mises en adĂ©quation avec les prescrits de la raison, ce qui nous permet non pas tant de choisir que de calculer les consĂ©quences de nos choix[223].

Le projet de la raison est un projet toujours inaccompli, sans que cela ne remette aucunement en cause sa validitĂ©[224] - [225]. Pour l’auteur, le rationalisme implique aussi, de façon gĂ©nĂ©rale, un agnosticisme religieux[226].

Connexité entre développement et prévalence de la raison

La conception de l’histoire comme un processus d’instauration progressive de la rationalitĂ©, c’est-Ă -dire d’expulsion hors de la sphĂšre publique de la dimension passionnelle de l’homme, est l’une des thĂšses clef de la pensĂ©e de FernĂĄndez de la Mora[227] - [211].

Le progrĂšs rationalisateur est, selon l’auteur, en lien Ă©troit avec le niveau de dĂ©veloppement d’une sociĂ©tĂ© donnĂ©e, d’oĂč il vient que les sociĂ©tĂ©s les plus avancĂ©es dĂ©ploient des politiques plus rationnelles, autrement dit plus dĂ©sidĂ©ologisĂ©es[228]. Le dĂ©veloppement Ă©conomique et la hausse du bien-ĂȘtre matĂ©riel s’accompagnent d’une baisse de la capacitĂ© d’enthousiasme social, ce dernier restant circonscrit aux sociĂ©tĂ©s dont la prospĂ©ritĂ© se situe aux niveaux les plus bas[229] - [230]. Le dĂ©veloppement Ă©conomique va de pair avec une Ă©lĂ©vation du niveau culturel des peuples et, corollairement, avec une mise Ă  l’écart progressive des idĂ©ologies[231] - [232]. Toute avancĂ©e d’une sociĂ©tĂ© se produit en premier lieu grĂące Ă  la capacitĂ© d’analyser rationnellement la rĂ©alitĂ© en vue de l’assujettir. Le progrĂšs Ă©conomique dĂ©rive du progrĂšs culturel, et le dĂ©veloppement n’est donc pas seulement Ă©conomique, mais est aussi la sublimation de ce qu’il y a de plus noble en l’homme, qui est la raison[233] - [234]. La grandeur de l’exercice de la raison rĂ©side dans la capacitĂ© de l’homme Ă  se dominer soi-mĂȘme et Ă  dominer le monde ambiant par le moyen de la science et de la technique[235] - [236].

Raison contre idéologie

Étant donnĂ© que les idĂ©ologies sont sources de rĂ©gression et de dysfonctionnement, concourir Ă  accĂ©lĂ©rer leur disparition est, pour FernĂĄndez de la Mora, un impĂ©ratif moral[237] - [238]. La recherche du bien de l’espĂšce humaine est pour l’auteur le fondement de l’éthique et le critĂšre fondamental de la moralitĂ© ; les normes de comportement doivent se rapporter, non au sujet seul, mais Ă  l’espĂšce en gĂ©nĂ©ral. Cette identification entre bien individuel et bien commun n’a nul besoin d’explication mĂ©taphysique laborieuse[239] - [240].

L’édition rĂ©visĂ©e et augmentĂ©e de El crepĂșsculo de las ideologĂ­as de 1968 introduit la notion de « nouvel idĂ©al » et souligne avec plus d’insistance encore la dimension Ă©thique de la dĂ©sidĂ©ologisation, qu’il est moralement requis de stimuler[241]. L’auteur ne doute pas du caractĂšre inexorable du processus de dĂ©sidĂ©ologisation, en dĂ©pit de la rĂ©sistance de diffĂ©rents facteurs, tels que l’inertie des usages, les partis idĂ©ologiques, les vieilles rhĂ©toriques, la politique comme luxe et passetemps, et autres dispositifs de freinage[242] - [243]. Ainsi la thĂšse crĂ©pusculaire de FernĂĄndez de la Mora comporte un pronostic social argumentĂ©, s’appuyant sur un systĂšme philosophique qui apprĂ©hende l’histoire selon un axe rationalisateur et dĂ©ploie une vision optimiste du progrĂšs humain[244].

Le concept de « crĂ©puscule idĂ©ologique » vient donc s’imbriquer dans une conception bien arrĂȘtĂ©e de la raison, mais le fait a posteriori, vu que cette conception Ă©tait Ă  peine Ă©bauchĂ©e Ă  la date de publication du CrĂ©puscule des idĂ©ologies (1965) et que ce n’est qu’aprĂšs la fondation de la revue RazĂłn Española que sa pensĂ©e philosophique n’a commencĂ© Ă  se structurer. Son rationalisme est fondamental pour comprendre — fĂ»t-ce aprĂšs coup — sa pensĂ©e politique. L’auteur considĂ©rait la raison comme le concept central de son Ɠuvre et de sa vie[245]. En quelque sorte, sa thĂ©orie politique peut ĂȘtre cataloguĂ©e comme un « rationalisme politique », la raison Ă©tant pour lui le principal pilier sur lequel bĂątir une vĂ©ritable thĂ©orie analytique de l’État et de la sociĂ©tĂ©[246]. Cette importante intuition politico-philosophique ne prendra pas corps avant que l’auteur ne se soit attelĂ© Ă  Ă©laborer son projet philosophique dans la dĂ©cennie 1980, lequel projet n’a malheureusement pas fait l’objet d’une mise en forme structurĂ©e et systĂ©matique sous les espĂšces d’un volume[247].

Dialectique de la raison et ambition d’une synthùse rationnelle totale

La raison ordonne le rĂ©el en l’intĂ©grant, par une action quasi-« chirurgicale », dans un systĂšme[248], avec pour but ultime d’absorber le rĂ©el tout entier, ou la connaissance que l’homme en a, dans un systĂšme cohĂ©rent au moyen duquel l’homme serait en mesure de rendre compte des relations que rĂ©gissent le rĂ©el. La finalitĂ© de la raison raisonnaliste, poussĂ©e jusqu’à ses consĂ©quences les plus radicales, est l’édification d’un systĂšme explicatif exhaustif des interrelations de la rĂ©alitĂ©[249]. Pourtant la pensĂ©e de FernĂĄndez de la Mora est Ă©loignĂ©e d’un tel maximalisme optimiste, vu que les capacitĂ©s de la raison, bien qu’incalculables, ne sont pas infinies et que la complexitĂ© insaisissable du rĂ©el rend impossibles la connaissance du rĂ©el dans sa totalitĂ© et la conception d’un systĂšme corrĂ©lationnel absolu[250] - [251]. S'y ajoutent le caractĂšre provisoire des instruments de la raison et le constat que celle-ci semble parfois subir des reculs, quand quelques-uns de ses postulats tenus pour certains peuvent par la suite se rĂ©vĂ©ler faux, soit par l’expĂ©rience, soit par l’apparition d’une explication corrĂ©lative plus largement englobante et plus rationnelle[252].

Les produits de la raison sont des lois stables qui tentent de rendre compte d’une rĂ©alitĂ© qui, en plus d’ĂȘtre complexe, apparaĂźt Ă©galement dynamique et changeante, ce pourquoi la raison ne se construit pas par une accumulation statique, mais par une adaptation dynamique au rĂ©el. Il y a un dĂ©calage irrĂ©ductible entre le dynamisme propre au rĂ©el et le caractĂšre statique des produits de la raison, lesquels doivent donc ĂȘtre soumis Ă  une rĂ©vision, Ă  une critique et Ă  une actualisation constantes. Le manque de capacitĂ© critique chez les individus renferme un risque Ă©levĂ© de dĂ©naturation de contenus initialement rationnels[253] - [254].

En consĂ©quence, la raison progresse dialectiquement, ce qui implique un dĂ©passement constant des produits intellectuels antĂ©rieurs ; toutefois, la dynamique de dĂ©passement n’est pas destructive et ce qui a Ă©tĂ© dĂ©passĂ© est destinĂ© Ă  se rĂ©intĂ©grer dans le systĂšme. Par cette dialectique, oĂč rien n’est acquis une fois pour toutes et oĂč chaque vĂ©ritĂ© doit continuellement ĂȘtre justifiĂ©e, la raison adopte une attitude polĂ©mique vis-Ă -vis de ses propres produits, ce qui lui permet de s’adapter progressivement Ă  la rĂ©alitĂ© et Ă  la survenue de nouveaux Ă©lĂ©ments[255] - [256] - [257]. Une propriĂ©tĂ© de la raison de FernĂĄndez de la Mora est d’insĂ©rer toute connaissance du monde dans son systĂšme sans que pour autant cela ne conduise Ă  un anĂ©antissement des savoirs existants. Mais inversement, la raison, dans son incessant effort de perfectionnement de soi, exige la rĂ©vision constante des savoirs logĂ©s dans son systĂšme[258]. La marche de cette dialectique peut intempestivement ĂȘtre suspendue chaque fois que la volontĂ© le dĂ©cide, d’oĂč il ressort que la volition (volontarisme) reprĂ©sente l’une des grandes menaces pour la raison[259] - [260].Ces limitations admises, il demeure que la raison s’élargit sans restriction, que son dĂ©ploiement est en croissance perpĂ©tuelle et que rien dans le rĂ©el n’est totalement hors de sa portĂ©e ; toutefois, si la raison embrasse tout, c’est en puissance seulement, selon un potentiel ne pouvant s’actualiser que partiellement[261].

Raison et langage

Pour agir, la raison a besoin de la mĂ©diation du langage. La pensĂ©e en effet s’articule linguistiquement en ceci que ses produits, les entitĂ©s idĂ©elles, doivent ĂȘtre Ă©nonçables au moyen de mots et de signes, d’oĂč la nĂ©cessitĂ© de disposer Ă  la fois d’un langage obĂ©issant aux lois de la logique et d’une pensĂ©e qui soit formulable au moyen de ce langage. Seul un langage capable de s’accorder structurellement avec le rĂ©el, c’est-Ă -dire dont les corrĂ©lations, Ă  l’instar de la rĂ©alitĂ© devant laquelle elle se prĂ©sente, soient logiques, rend possible la pensĂ©e[262] - [263].

Bien que le langage soit le grand outil de l’homme, vu qu’il fonde la communicabilitĂ© et, par lĂ , est la condition de possibilitĂ© de la dialectique et de la rĂ©vision permanente de la pensĂ©e, il prĂ©sente de grandes carences. À l’égal de la pensĂ©e, il fonctionne de maniĂšre approximative et assertoire ; Ă  l’égal de la raison, il ne parvient jamais Ă  s’ajuster totalement au rĂ©el et Ă  la pensĂ©e, et a besoin d’ĂȘtre Ă©purĂ© pour que sa capacitĂ© dĂ©notative soit la plus rigoureuse et la plus logique possible[264] - [265].

Raison et passion

Les dĂ©sirs, suppositions, croyances, sentiments et autres Ă©lĂ©ments irrationnels dont chaque ĂȘtre humain est habitĂ©, loin d’ĂȘtre d’importance marginale, jouent un rĂŽle fondamental chez l’homme, mais n’enlĂšvent rien Ă  la primautĂ© du logos sur le pathos[266]. L’information qu’apportent sentiments et Ă©motions est anarchique et rudimentaire et n’est guĂšre plus Ă©laborĂ©e, thĂ©oriquement ni pratiquement, que les mouvements d’attraction ou de rĂ©pulsion. La valeur substantive des Ă©motions rĂ©side dans leur action motrice et secondaire, au sens oĂč elles sont susceptibles de mettre en marche l’action de l’intelligence[267]. L’émotivitĂ© n’est pas pleinement contraire Ă  la raison, de mĂȘme que la raison n’est pas Ă©trangĂšre Ă  la recherche du bonheur[268] - [269].

Cependant, la raison dĂ©montre sa supĂ©rioritĂ© sur deux plans. Sur le plan cognitif, la raison non seulement formule des jugements d’adĂ©quation subjective de certaines passions, mais encore est capable de remonter jusqu’aux causes de cette adĂ©quation. Face au caractĂšre vague et informe de la connaissance obtenue par l’émotion se tient l’apprĂ©hension corrĂ©lationnelle et systĂ©matique que permet la raison. La raison montre aussi sa supĂ©rioritĂ© sur le plan de la recherche du bonheur. Sentiments et Ă©motions dirigent l’homme vers une vision du bonheur Ă©quivoque et malaisĂ©e Ă  circonscrire, inatteignable, et qui en cas de critĂšres de bonheur non rationnels laisse l’homme dans une situation de perpĂ©tuelle insatisfaction. Le bonheur se rĂ©alise quand le sujet rationnel perçoit une proportionnalitĂ© entre ce qu’il dĂ©sire et ce qu’il possĂšde, c’est-Ă -dire quand ce qu’il possĂšde correspond exactement Ă  ce qu’il veut. Le bonheur, qui garde un cĂŽtĂ© fictif, est mallĂ©able et tributaire d’une Ă©quation qui dĂ©pend du jugement du sujet[270] - [271]. Pour FernĂĄndez de la Mora, il est fondamental de moduler le dĂ©sir sur un calcul rĂ©aliste pour arriver Ă  une adĂ©quation entre ce que l’on dĂ©sire rationnellement et ce qui peut s’obtenir rĂ©ellement. Le propre de la raison est, dans ce domaine, de modĂ©rer les pulsions maximalistes de l’homme, qui le placent dans des situations irrĂ©elles, et de minimiser ainsi la discordance entre ce qui est possĂ©dĂ© et ce qui est dĂ©sirĂ© afin d’établir cet Ă©quilibre sur lequel le bonheur est basĂ©. La raison accomplit ici une fonction d’épuration des Ă©lĂ©ments irrationnels. La nature dĂ©raisonnable de l’homme, que FernĂĄndez de la Mora traduit par l’expression « homme en dĂ©sarroi » (hombre en desazĂłn), ne peut se brider que par la maĂźtrise de soi et par la purification rationnelle. En quelque sorte, la raison remplit une fonction cathartique en rendant les Ă©motions aptes Ă  servir les fins humaines et en aiguillant l’affectivitĂ© vers le bonheur. La raison permet au sujet de se construire une image cohĂ©rente de la rĂ©alitĂ© et de sa propre vie, au contraire de l’émotivitĂ©[272] - [273].

La raison humaine, produit de la nature, se dresse Ă  l’avant-garde de celle-ci, en tant qu’elle permet Ă  l’homme de se soustraire au fatalisme naturel. Par l’exercice de la raison, l’homme se hisse au-dessus des lois de la nature, s’adapte Ă  elles et Ă©largit le champ de ses possibilitĂ©s par une domination accrue sur le rĂ©el. La raison est centrale dans la nature de l’homme et, de ce point de vue, prĂ©sente une supĂ©rioritĂ© essentielle par rapport Ă  l’émotivitĂ©, qui n’est pas spĂ©cifiquement humaine. Fonctionner plus rationnellement, c’est potentialiser ce qui appartient en propre Ă  l’homme et donc se faire plus humain. Dans le jeu entre intelligence et volontĂ© — oĂč la volontĂ© a besoin, pour vouloir, de l’intelligence, tandis que la raison a besoin, pour penser, de la volontĂ© —, la raison dĂ©montre sa supĂ©rioritĂ© par la plus grande perfection de ses produits, Ă©tant capable en effet de produire des objets utiles, voire indispensables. C’est l’Ɠuvre de la raison que de permettre Ă  la volontĂ© d’élargir son horizon et de se transformer en un vouloir rĂ©alisable, ajustĂ© aux possibilitĂ©s rĂ©elles[274].

La supĂ©rioritĂ© de la raison sur les Ă©motions et sur la volontĂ© se fonde sur sa plus grande fonctionnalitĂ©. Les Ă©motions engendrent des comportements pouvant ĂȘtre dysfonctionnels, sinon prĂ©judiciables pour l’homme : en effet, la rĂ©ponse Ă©motive face aux sensations reçues est trĂšs disparate ; il y a un dĂ©sĂ©quilibre entre l’intensitĂ© des Ă©motions et l’information reçue ; les Ă©motions ont la capacitĂ© de tromper, au contraire de la raison, qui en est incapable ; l’émotion dĂ©gage une information trop simpliste Ă  partir d’une rĂ©alitĂ© en soi complexe ; les Ă©motions sont circonscrites Ă  une sphĂšre trĂšs partielle du rĂ©el et ne permettent pas au sujet de s’ouvrir sur des rĂ©alitĂ©s non-Ă©motionnelles. Le constat que l’histoire humaine n’est autre que l’adaptation croissante de tous les domaines Ă  la condition de rationalitĂ© met en Ă©vidence l’utilitĂ© supĂ©rieure de la raison[275].

Raison et Ă©lite

La raison est le principal facteur aristocratisant chez les ĂȘtres humains. La rationalitĂ©, l’emploi que chaque sujet fait de la raison, quel que soit le champ d’application concernĂ©, est un facteur de diffĂ©renciation entre les hommes tendant Ă  instaurer deux classes. La complexitĂ© croissante de l’existence contribue Ă  agrandir l’écart entre ceux qui cultivent la raison et les autres ; plus la vie quotidienne est rationalisĂ©e, plus la distance s’élargit entre la minoritĂ© et la masse, celle-ci devenant toujours plus dĂ©pendante de celle-lĂ [276]. Les sujets d’élite (egregios) sont ceux qui, pour s’ĂȘtre avisĂ© du caractĂšre provisoire des produits de la raison, ne cessent de s’interroger, y compris mĂȘme Ă  propos de ce qui est universellement tenu pour certain. Ainsi, c’est dans sa thĂ©orie de la raison que FernĂĄndez de la Mora trouve le principe fondateur de son Ă©litisme[277] - [225].

Les masses apparaissent peu enclines Ă  l’usage de la raison, ce qui tend Ă  augmenter le diffĂ©rentiel entre elles et les minoritĂ©s raisonnantes[278]. Le deuxiĂšme facteur d’élargissement de l’écart entre minoritĂ© et masses est l’accroissement de la quantitĂ© d’information, qui est dĂ» principalement aux moyens de communication et qui constitue autant un facteur facilitateur de l’usage de la raison, pour les minoritĂ©s ayant un accĂšs aisĂ© Ă  la raison, qu’un facteur entravant la raison, vu qu’il favorise le scepticisme et l’« irrationalitĂ© moyenne »[279]. Le troisiĂšme facteur d’aristocratisation rationnelle est le spĂ©cialisme, la parcellisation des savoirs, qui entraĂźne une cĂ©sure entre expert et le reste des individus. FernĂĄndez de la Mora pose que la spĂ©cialisation, cette « pseudo-barbarie », est nĂ©cessaire Ă  l’avancĂ©e de la science, en dĂ©pit de la barbarie individuelle qu’elle implique, laissant en effet le sujet dans l’ignorance d’un grand nombre de domaines de l’activitĂ© humaine[280].

L’individu qui choisit le parti de la raison et voue sa vie Ă  la cultiver, emprunte une voie pĂ©nible et ardue, en rupture avec l’inertie et le pragmatisme de la masse. La caractĂ©ristique des aristocraties, rappelle l’auteur, est d’avoir des idĂ©es, et leur vertu principale est le courage. Le dĂ©veloppement de la raison est conforme Ă  l’éthique, attendu que toute avancĂ©e de la raison est un bien pour l’espĂšce, raison pour laquelle la mise Ă  l’écart des meilleurs, en infraction du paradigme aristocratique, est immoral, car cela revient Ă  Ă©liminer ceux qui cultivent le principal instrument dont dispose l’humanitĂ© pour perfectionner et augmenter ses capacitĂ©s[281] - [282] - [283].

La masse fait montre d’un manque de volontĂ©, d’un certain dĂ©dain de la raison ou, Ă  tout le moins, d’une prĂ©fĂ©rence pour une vie dans le confort, doublĂ©e d’un certain mĂ©pris envers le travail de la minoritĂ© et la spĂ©culation pure[284] - [285]. L’attitude de la masse est le conformisme et la recherche de la facilitĂ©, tout Ă  l’inverse de la difficultĂ© inhĂ©rente Ă  l’exercice de la raison. La culture, prothĂšse adaptative de l’homme, est crĂ©Ă©e par quelques rares individus et non par la masse des hommes moyens qui en sont les consommateurs. La capacitĂ© crĂ©atrice de cette minoritĂ© raisonnante peut seule permettre d’accomplir la rationalisation de l’existence humaine. Que les masses, simples consommatrices de culture, s’effarouchent du dur exercice de la raison et du dĂ©vouement Ă  la crĂ©ation culturelle, et abdiquent leur condition d’ĂȘtre rationnel ne signifie pas que l’homme moyen puisse vivre sans les produits de la raison conçus par les Ă©lites. Il y a donc lieu de laisser aux minoritĂ©s raisonnantes le loisir d’exploiter la capacitĂ© crĂ©atrice de la raison[286] - [287] - [288] - [289].

Impératif moral et idéocratie

Au dĂ©part du dualisme pathos/logos, ou Ă©motivitĂ©/raison, et poursuivant l’Ɠuvre des principaux philosophes espagnols du XXe siĂšcle, FernĂĄndez de la Mora dĂ©finit « une thĂ©orie de la perfectibilitĂ© Ă©thique de l’ĂȘtre humain », qui pose que la dĂ©finition du bien et du mal ne dĂ©pend pas de la tradition ou de la rĂ©vĂ©lation, mais de l’analyse rationnelle, et que les actes politiques en particulier se jugent d’aprĂšs leur finalitĂ© qui est le bien-ĂȘtre de l’homme. L’éthique qui fonde le raisonnalisme de FernĂĄndez de la Mora est le stoĂŻcisme, encore que basĂ© non sur l’impassibilitĂ©, mais sur la maĂźtrise de soi[290] - [291] - [292]. La proposition raisonnaliste et idĂ©ocrate, loin d’ĂȘtre une tentative de soustraire Ă  la morale la pratique politique ou la vie humaine en gĂ©nĂ©ral, vise Ă  l’inverse Ă  revaloriser la thĂ©matique morale et de la rĂ©introduire dans la sphĂšre politique[293].

Aucune discipline technique n’est apte Ă  dĂ©finir les finalitĂ©s d’une communautĂ© politique, et l’idĂ©ocratie ne suppose pas la substitution de la technique Ă  l’idĂ©ologie, mais le remplacement de celle-ci par les idĂ©es, principalement par celles proposĂ©es par l’éthique et les sciences sociales[185] - [238]. L’idĂ©ocratie implique la soumission Ă  l’éthique, laquelle est, selon FernĂĄndez de la Mora, une discipline aussi universelle et aussi fixĂ©e que peut l’ĂȘtre la science physique. Les dĂ©saccords sur le contenu de l’éthique, comme science des finalitĂ©s, sont notablement moindres que dans les idĂ©ologies, et mĂȘme que dans nombre d’autres disciplines[294]. L’auteur nie que l’éthique puisse dĂ©pendre d’un choix de valeur qui conduirait Ă  une pluralitĂ© Ă©thique, mais, posant que l’éthique est une discipline objective oĂč la dĂ©termination du bien n’est sujette Ă  aucun relativisme, postule une Ă©thique unique : l’éthique du bien, oĂč celui-ci, et donc le systĂšme de normes dont il est le soubassement, peut se dĂ©terminer rationnellement. La libertĂ© morale ne consiste pas Ă  fixer crĂ©ativement les prescriptions morales, mais en la facultĂ© de leur donner suite ou non. Au non-relativisme de l’éthique et Ă  l’objectivitĂ© des prescriptions morales correspond la possibilitĂ© de les dĂ©terminer rationnellement, ce qui constitue la mission des experts en finalitĂ©s[295].

L’idĂ©ocratie, et la mise en avant des idĂ©es rigoureuses provenant des sciences, ne signifie pas une dĂ©shumanisation, mais au contraire une potentialisation de ce qu’il y a de plus humain en l’homme[235] - [236]. Quant Ă  l’aspect politique, il garde sa pertinence en idĂ©ocratie, Ă  deux Ă©gards : d’abord, avec la figure de l’expert en finalitĂ©s, ensuite, par la dimension polĂ©mique de la politique, qui fait droit Ă  l’irrationalitĂ©, l’auteur en effet ne souhaitant pas Ă©radiquer l’irrationalisme, dont le reprĂ©sentant dans la vie collective, le chef charismatique, et son antagoniste, seront maintenus, ce qui en somme donnera un certain droit de citĂ© Ă  la dimension irrationnelle de l’homme[296].

Aussi la raison est-elle substantiellement Ă©thique et l’éthique doit-elle, pour garder quelque validitĂ© dans sa recherche du bien, se faire rationnelle. Tout effort pour Ă©carter l’éthique du domaine de la raison contredit la rĂ©alitĂ© de la raison comme principal Ă©lĂ©ment potentiel apte Ă  faire naĂźtre un systĂšme de normes morales. L’élimination de la subjectivitĂ© arbitraire par l’exercice de la raison permet seul le calcul et la prescription rationnels, et non l’égoĂŻsme volitionnel. Par le biais du calcul rationnel, l’on peut parvenir Ă  des actions morales qui prennent en considĂ©ration non seulement la faisabilitĂ© physique, mais aussi l’ajustement au contexte social et moral dans lequel s’inscrit le sujet[297] - [298] - [299]. En outre, la raison est susceptible d’édicter des prĂ©ceptes moraux Ă  partir d’un dĂ©cryptage du rĂ©el, puisque des normes peuvent se dĂ©duire d’élĂ©ments purement factuels. Il s’agit de trouver un Ă©lĂ©ment ou principe factuel qui permette de fonder une lĂ©gitimitĂ© morale, convertible ensuite en rĂšgle d’action universelle, mission que le relativisme moral est inapte Ă  remplir[300].

Il est nĂ©cessaire de pouvoir se rapporter Ă  un principe rĂ©pondant aux prĂ©requis d’ĂȘtre stable, prĂ©lĂ©gal et matĂ©riel. Êtres humains et animaux ont ceci en commun que la prĂ©servation de l’espĂšce est la base de la normativitĂ© et fournit la rĂšgle fondamentale sur laquelle les prĂ©ceptes moraux viennent s’appuyer. C’est ainsi que, selon FernĂĄndez de la Mora, s’obtient une moralitĂ© objective, stable, matĂ©rielle et autonome, constituĂ©e de normes adossĂ©es non Ă  quoi que ce soit d’étranger ou d’extĂ©rieur Ă  l’homme, mais seulement Ă  sa nature intrinsĂšque spĂ©cifique. La lĂ©gitimitĂ© de cet impĂ©ratif moral dĂ©rive du principe que le bien de l’espĂšce coĂŻncide avec le bien de chaque individu[301] - [302] - [303]. La morale raisonnaliste Ă©carte tout concept moral non-pragmatique, c’est-Ă -dire que chaque action est jugĂ©e Ă  l’aune de son utilitĂ©[304].

Prémisses : élitisme et anti-égalitarisme

Anti-Ă©galitariste convaincu[305] - [306], FernĂĄndez de la Mora conçut une doctrine Ă©litiste fortement tributaire des thĂšses du politologue italien Gaetano Mosca, mais voyant aussi en Vilfredo Pareto, Italien Ă©galement, le « grand Ă©nonciateur de l’élitisme politique »[307] - [308]. Selon l’auteur, ce sont les Ă©lites qui pilotent les avancĂ©es de la sociĂ©tĂ© et c’est d’elles que dĂ©pend le progrĂšs social et culturel, que ce soit de tel groupe humain dĂ©terminĂ© ou de l’humanitĂ© en gĂ©nĂ©ral[284]. FernĂĄndez de la Mora affirme la nĂ©cessitĂ© de la hiĂ©rarchie, de l’organisation, de la technique et de la prĂ©sence d’élites dans toute communautĂ© politique, et souligne le « caractĂšre Ă©litiste » de tout systĂšme politique et de toute forme de gouvernement connus (y compris les dĂ©mocraties), oĂč le pouvoir politique repose invariablement entre les mains d’une minoritĂ© Ă©litaire[88] - [309].

La diffĂ©rence fondamentale entre la minoritĂ© Ă©lue et les masses est l’exigence Ă©thique et la discipline que l’élite s’impose Ă  elle-mĂȘme, et c’est par cette discipline et par cette auto-imposition de normes que la minoritĂ© s’auto-sĂ©lectionne puis s’érige en Ă©lite. L’individu ayant embrassĂ© l’impĂ©ratif moral de vouer courageusement sa vie Ă  la quĂȘte de la perfection, se dĂ©marque de la majoritĂ© indiffĂ©renciĂ©e et s’en va se joindre Ă  d’autres pour former la « minoritĂ© »[310]. Au concept d’auto-exigence fait face celui de vocation, qui est quelque chose de donnĂ© comme tel Ă  l’homme et reçu passivement, et devant quoi se prĂ©sentent seules deux options : la fidĂ©litĂ© ou la trahison, au contraire de l’auto-exigence, qui participe d’une obligation que le sujet s’impose Ă  lui-mĂȘme, sans nĂ©cessairement se rĂ©fĂ©rer Ă  quelque vocation[311]. À la relation entre masses et Ă©lites, constituĂ©e respectivement de docilitĂ© et d’exemplaritĂ©, rĂ©pondent les caractĂ©ristiques propres Ă  chaque groupe, la consommation et la crĂ©ation[312] - [313].

FernĂĄndez de la Mora considĂšre cependant que l’homme a droit Ă  certaines Ă©galitĂ©s de traitement, tant Ă©conomiques que sociales, de sorte Ă  rĂ©guler les inĂ©galitĂ©s naturelles, sans toutefois que le progrĂšs en soit entravĂ©. Il tient l’inĂ©galitĂ© pour naturelle chez l’homme, et argue que la transposition de l’inĂ©galitĂ© individuelle vers l’ensemble social donne naissance Ă  une hiĂ©rarchie, qu’il dĂ©finit comme l’organisation d’un rĂ©gime oĂč les meilleurs ou supĂ©rieurs occupent des places au-dessus des infĂ©rieurs ; du reste, tout systĂšme organique renferme des hiĂ©rarchies entrelacĂ©es[314]. La thĂšse de FernĂĄndez de la Mora implique non seulement une revalorisation de la hiĂ©rarchie, mais aussi l’acceptation par les masses de l’inĂ©galitĂ© et de la mise en place de certaines aristocraties ; en effet, pour que puissent surgir ces individus d’élite, il importe de pouvoir compter sur la collaboration des masses afin qu’elles accomplissent les fonctions biologiques et satisfassent aux nĂ©cessitĂ©s matĂ©rielles de base, sans quoi l’avĂšnement de la minoritĂ© ne serait pas possible. Ces deux aspects sont ordinairement dĂ©daignĂ©s par les idĂ©ologues, nonobstant que l’on vit dans une rĂ©alitĂ© et Ă  une Ă©poque Ă©minemment hiĂ©rarchisĂ©es[315].

Quant Ă  l’origine de l’inĂ©galitĂ©, FernĂĄndez de la Mora invoque en premier lieu la gĂ©nĂ©tique comme source des diffĂ©rences « en grande mesure immuables » des fonctions intellectuelles supĂ©rieures. Il n’est pas douteux selon l’auteur que la distribution du QI s’explique par l’hĂ©rĂ©ditĂ© gĂ©nĂ©tique, cause de tout un Ă©ventail d’inĂ©galitĂ©s et de l’existence d’individus intellectuellement privilĂ©giĂ©s[316] - [317]. L’auteur nomme ensuite l’hĂ©rĂ©ditĂ© « noĂ©tique », qui dĂ©termine la maniĂšre singuliĂšre de chacun d’approcher et d’apprĂ©hender le rĂ©el, maniĂšre au regard de laquelle certains individus se distinguent du reste de l’espĂšce. En troisiĂšme lieu, FernĂĄndez de la Mora postule une inĂ©galitĂ© qu’il dĂ©nomme « vitale », et qui concerne les voies et les objectifs qui aux yeux de chacun dĂ©finissent le bonheur. Il s’agit d’un prolongement de la radicale inĂ©galitĂ© gĂ©nĂ©tique, qui s’accentue au cours de la vie[318] - [319].

Les inĂ©galitĂ©s sociales se font jour dĂšs que les individus vivent en sociĂ©tĂ© et s’organisent entre eux. La vie en sociĂ©tĂ© donne lieu Ă  deux hiĂ©rarchisations : celle relative au savoir, l’acceptation d’un diffĂ©rentiel de connaissances et de la supĂ©rioritĂ© cognitive de certains individus entraĂźnant l’acceptation de leurs affirmations et conseils, et celle relative au pouvoir, lequel, comportant coercition et possibilitĂ© de dĂ©lĂ©gation, est exercĂ© Ă  divers degrĂ©s et dĂ©coule notamment de la spĂ©cialisation des fonctions, dans le meilleur des cas en vertu de l’aptitude[320] - [321]. Selon FernĂĄndez de la Mora, il n’est pas de sociĂ©tĂ© sans hiĂ©rarchie et sans sĂ©paration entre Ă©lites dirigeantes et masses gouvernĂ©es, ces derniĂšres Ă©tant incapables de jamais se gouverner elles-mĂȘmes, d’oĂč la nĂ©cessitĂ© d’une Ă©lite dirigeante. Le fait Ă©litaire ne se limite pas au champ politique mais s’étend Ă  l’ensemble des sphĂšres d’activitĂ©[322] - [323] - [324].

L’aristocratisme, ou l’autoritĂ© concĂ©dĂ©e Ă  l’élite, ne s’appuie pas seulement sur tel ou tel savoir socialement reconnu, mais sur le critĂšre objectif d’excellence dans l’usage de la raison[322]. Une sociĂ©tĂ© gouvernĂ©e par l’autoritĂ© de ceux qui savent, par les meilleurs, et non par la rhĂ©torique des politiciens dĂ©magogues, est un idĂ©al accessible, auquel tendent les sociĂ©tĂ©s les plus dĂ©veloppĂ©es[325] - [326].

Un autre facteur social mis en avant par FernĂĄndez de la Mora est le sentiment de l’envie (envidia), qui, dĂšs qu’il cesse d’ĂȘtre simplement passif, pousse Ă  l’action, dont le rĂ©sultat est un Ă©galitarisme qui s’efforce d’araser tout ce qui Ă©merge et d’aplanir la sociĂ©tĂ© dans la mĂ©diocritĂ©. Dans le domaine politique, l’envie collective — en particulier celle dĂ©finie comme « justice sociale », mais qui n’est rien autre, selon l’auteur, que de l’envie institutionalisĂ©e — est le sentiment le plus efficace pour amener les masses Ă  se retourner contre les Ă©lites, en concluant des alliances entre envieux en vue de la subversion, de la calomnie, de la dĂ©sinformation, de l’agression et de la destruction de l’autre. Cette envie collective est Ă  l’origine de la crise des Ă©lites, car affaiblissant dans leurs rangs l’esprit de dĂ©passement de soi, le dĂ©sir de perfectionnement intellectuel et moral, et dĂ©motivant les meilleurs[327].

Vision de l’État (formes, finalitĂ©s, raison d’État, limitations)

Au fil de ses Ă©crits, FernĂĄndez de la Mora s’est employĂ© Ă  dĂ©velopper une certaine idĂ©e de l’État, mais en ayant soin de ramener toujours la thĂ©orie de l’État Ă  un plan pratique ; il considĂšre en effet que l’histoire des sciences politiques est contaminĂ©e par un penchant spĂ©culatif, qui tend Ă  en faire une science thĂ©orique en marge de la rĂ©alitĂ©, au contraire de l’exercice de la raison, qui trouve sa justification dans ses effets pratiques. À l’utopisme de la science politique s’oppose le prudentialisme de FernĂĄndez de la Mora comme façon de se confronter aux circonstances et comme boussole pour l’action politique[328] - [329]. D’autre part, il n’a garde d’ontologiser l’idĂ©e d’État, c’est-Ă -dire Ă  faire de l’État une rĂ©alitĂ© indĂ©pendante de ses gĂ©niteurs humains. L’État n’est pas une fin en soi, mais un instrument appelĂ© Ă  satisfaire les besoins de l’homme et, Ă  ce titre, un artifice susceptible de modification, voire de remplacement. AffairĂ© Ă  dĂ©mythifier l’État, FernĂĄndez de la Mora dĂ©veloppe une conception dynamique de l’État en opposition Ă  une vision statique inapte Ă  rendre compte du changement et de la singularitĂ© de chaque communautĂ© politique[328]. Telle forme Ă©tatique ne doit pas ĂȘtre jugĂ©e d’aprĂšs son degrĂ© de congruence avec un modĂšle idĂ©al, mais d’aprĂšs l’accomplissement des objectifs pour lesquels il a Ă©tĂ© instituĂ©[330] - [331]. C’est donc a posteriori que l’évaluation de l’action d’un gouvernement, quel qu’il soit, devra se faire. Corollairement, on admettra une variabilitĂ© dans les ordonnancements possibles d’un État[332] - [333]. Ce qui doit dĂ©terminer les caractĂ©ristiques de l’État n’est ni la nature, ni une quelconque instance suprapersonnelle, mais seulement la volontĂ© des hommes regroupĂ©s en communautĂ©, Ă  dĂ©faut de quoi l’on risque de dĂ©boucher sur une substantialisation fausse et d’empĂȘcher une Ă©valuation pratique, c’est-Ă -dire au regard de son utilitĂ©, de chaque État[334] - [335]

Les finalitĂ©s de l’État sont : l’ordre (au premier chef), la justice et le dĂ©veloppement. L’ordre est indispensable pour tout dĂ©veloppement ultĂ©rieur, aussi l’État, s’il cherche Ă  accroĂźtre le patrimoine collectif et Ɠuvrer pour le bien commun, se doit-il de garantir un ordre qui permette de rĂ©aliser ce dessein. Le bien commun est ce qui limite tant l’action de l’État que l’autonomie de l’individu[336] - [337]. Cet ordre doit tendre Ă  devenir un ordre Ă©quitable, lequel ne se rĂ©duit pas simplement Ă  une distribution Ă©galitaire des richesses, mais doit aussi veiller, en conformitĂ© avec l’une des fonctions de base de toute forme de gouvernement, Ă  la hiĂ©rarchisation des membres de la sociĂ©tĂ©, oĂč les citoyens sont classĂ©s selon leurs mĂ©rites respectifs et en accord avec laquelle doit s’appliquer la justice distributive, non seulement sur le plan des biens matĂ©riels, mais Ă©galement des positions sociales[338].

L’identification de la meilleure forme d’État ne doit pas ĂȘtre subordonnĂ©e Ă  des considĂ©rations d’ordre moral, mais prendre Ă©gard Ă  sa capacitĂ© d’ajustement aux circonstances de nature historique, sociologique et d’organisation[334]. Le critĂšre technico-pratique apparaĂźt comme celui adĂ©quat pour dĂ©cider quelle est la forme politique appropriĂ©e. En fonction des circonstances historiques et sociales, telles formes politiques reprĂ©sentent une solution technique plus propice que d’autres pour stimuler le progrĂšs et Ɠuvrer au bien commun[339].

La raison d'État a pour origine l’émotivitĂ© liĂ©e Ă  la volontĂ© de pouvoir et de maintien de la toute-puissance de l’État, et procĂšde donc, selon l’auteur, d’une conception passionnelle et irrationnelle de l’État plutĂŽt que d’une doctrine raisonnĂ©e. Elle est cause de ce que les relations internationales sont marquĂ©es par le rapport de force, la violence et la guerre[340] - [341].

Le dĂ©veloppement Ă©conomique que connut l’Espagne dans les annĂ©es 1960 et 1970 grĂące Ă  l’intervention de l’État et aux Plans de dĂ©veloppement a conduit FernĂĄndez de la Mora Ă  se faire l’avocat d’un État stratĂšge techno-autoritaire dotĂ© d’une grande facultĂ© d’intervention. Il affirme que le gouvernement de Franco a fait faire Ă  l’Espagne un grand bond sur le plan de l’ordre public, du dĂ©veloppement Ă©conomique et de la justice[342]. AprĂšs la transition, et compte tenu des circonstances historiques, il passa Ă  prĂ©coniser une conception libĂ©rale de l’État, de façon apparemment contradictoire, mais pleinement cohĂ©rente avec le pragmatisme et le circonstancialisme de sa pensĂ©e politique[343] - [344].

FernĂĄndez de la Mora introduit une distinction entre autoridad (autoritĂ©) et podestad (± puissance publique). Cette derniĂšre incarne la dimension coercitive violente du pouvoir et reprĂ©sente une compĂ©tence confĂ©rĂ©e, c’est-Ă -dire reçue du peuple, mais dont la dynamique l’amĂšne Ă  croĂźtre de façon illimitĂ©e et qui doit donc ĂȘtre contenue dans des limites. Celui qui exerce la podestad perçoit qu’il la dĂ©tient par suite de dĂ©cisions non nĂ©cessairement justifiĂ©es, tandis que celui qui obĂ©it Ă  la podestad le fait par crainte, c’est-Ă -dire en raison de la capacitĂ© coercitive du pouvoir. À la podestad s’oppose la pacifique autoridad, qui est accordĂ©e Ă  un individu en vertu de ses qualitĂ©s rĂ©elles et socialement reconnues (au contraire de la podestad, dont la dĂ©tention peut ĂȘtre la suite d’un simple accident) et oĂč la violence ne joue aucun rĂŽle. L’autoritĂ©, dont l’attribution rĂ©pond Ă  une « stratĂ©gie rationnelle », n’a par consĂ©quent nul besoin de s’imposer par la force et, n’accomplissant pas de mandats, a pour vocation de prodiguer des conseils, sans volontĂ© ni tendance Ă  la domination, et vise Ă  la recherche du bien objectif, ce qui requiert de dĂ©terminer en quoi il consiste et de concevoir les moyens pour y parvenir, d’oĂč il vient que l’autoritĂ© prend ses racines dans la raison[345] - [346].

FernĂĄndez de la Mora fait en outre un distinguo entre d’une part la libertĂ© formelle, que l’État s’engage Ă  accorder au citoyen, c’est-Ă -dire s’abstient Ă  interfĂ©rer sur ce plan, et d’autre part la libertĂ© rĂ©elle, qui ne se situe pas sur le plan des possibilitĂ©s lĂ©gales mais des possibilitĂ©s effectives. Il y a libertĂ© rĂ©elle lorsque sont prĂ©sentes les conditions sociales et matĂ©rielles Ă  la realisation d’une action, ce qui nĂ©cessite non seulement la non-prohibition Ă©tatique, mais encore que l’État crĂ©e les conditions propres Ă  rendre possible l’exercice de la libertĂ© concernĂ©e ; c’est donc l’État qui, en stimulant le progrĂšs, peut seul assurer l’exercice effectif des libertĂ©s. En ce sens, la libertĂ© est une conquĂȘte Ă©tatique, et l’État que l’auteur appelle de ses vƓux en est un qui parvient Ă  instaurer un nombre acceptable de libertĂ©s[347] - [348]. On note ainsi chez FernĂĄndez de la Mora une tension entre d’une part un anti-Ă©tatisme opposĂ© Ă  la violence d’État, et d’autre part le constat que le concours de l’État est indispensable non seulement au maintien de l’ordre, mais aussi pour garantir une libertĂ© Ă  contenu rĂ©el. L’État est un mal nĂ©cessaire que le raisonaliste n’aspire nullement Ă  Ă©radiquer[349].

Technocratie, idéocratie et dépolitisation

La mĂ©thode scientifique doit, selon FernĂĄndez de la Mora, s’appliquer aussi Ă  la science politique — « pourquoi la politique ne devrait-elle pas tendre Ă  une situation analogue [aux sciences objectives], oĂč le critĂšre ne soit pas la fidĂ©litĂ© Ă  quelques prĂ©jugĂ©s, mais la cohĂ©rence logique et l’efficacitĂ© expĂ©rimentale ? », s’interroge-t-il — et considĂšre comme urgente la rationalisation de la politique, avec mise en avant du logos et fixation de critĂšres quantitatifs et neutres, afin d’atteindre le « niveau zĂ©ro d’émotivitĂ© » et de se placer dans « une perspective sinon neutre, du moins aseptisĂ©e et empirique »[350] - [351]. Il Ă©tait adepte d’une pensĂ©e politique « technique », non proprement technocratique, qui saurait conjuguer organicisme social, libĂ©ralisme Ă©conomique et nationalisme espagnol, et Ă  laquelle la revue RazĂłn Española allait servir de porte-voix, avec une vaste Ă©quipe de collaborateurs, couvrant tout l’éventail depuis le traditionalisme carliste et le phalangisme, jusqu’à la nouvelle droite libĂ©rale et les nationalistes modernes, en passant par d’anciens franquistes et la vieille droite conservatrice[93].

Pour FernĂĄndez de la Mora, la pensĂ©e politique moderne s’est faite rĂ©aliste et se doit dorĂ©navant d’ajuster ses rĂ©flexions Ă  la problĂ©matique spĂ©cifique de telle communautĂ© dĂ©terminĂ©e et d’abandonner les discussions sur le rĂ©gime optimal pour s’atteler Ă  mettre au point des solutions concrĂštes. Cette rationalisation de la politique a pour corollaire la spĂ©cialisation du savoir politique et des fonctions gouvernementales, et l’exclusion des non-spĂ©cialistes. L’examen des sujets relatifs au bien commun et Ă  la politique en gĂ©nĂ©ral doit ĂȘtre confiĂ© Ă  l’expert, hissĂ© par l’auteur au rang d’homme public type[352] - [353]. Le recrutement des experts aux postes de pouvoir doit s’opĂ©rer sur des critĂšres de nature technique et non sur l’aptitude Ă  mobiliser les masses, qui est la marque des idĂ©ologues. FernĂĄndez de la Mora signale aussi qu’a Ă©tĂ© dĂ©volu aux gouvernements un rĂŽle Ă©conomique accru, qui requiert des connaissances non intuitives mais rigoureuses en science Ă©conomique et en d’autres sciences auxiliaires. La technification de la politique entraĂźne la prioritĂ© donnĂ©e aux experts et aux techniciens dans l’activitĂ© gouvernementale[354] - [355].

L’auteur introduit le concept d’idĂ©ocratie, soit le gouvernement des idĂ©es, qui est Ă  l’opposĂ© du rĂ©gime idĂ©ologique, mais se distingue en mĂȘme temps de (et forme une alternative Ă ) l’école technocratique[356]. L’idĂ©ocratie est la doctrine de l’État post-idĂ©ologique, dĂ©sidĂ©ologisĂ©, oĂč ce sont dĂ©sormais les idĂ©es (des experts) qui rĂšgnent[357] - [358]. Cette superintellectualisation de la vie sociale, loin d’ĂȘtre une tantiĂšme idĂ©ologie nouvelle, est un anti-idĂ©ologisme oĂč prĂ©vaut le critĂšre de la rationalitĂ© des idĂ©es et dont les deux Ă©lĂ©ments centraux sont « la vĂ©ritĂ© et l’efficacitĂ© ». L’idĂ©ocratie est, soutient FernĂĄndez de la Mora, l’« État du futur »[359] - [360], appelĂ© Ă  prendre la forme institutionnelle de l’« Estado de obras » (l’État des Ɠuvres), oĂč la chose publique sera soumise Ă  traitement scientifique, sous la direction des experts, et qui ne sera pas Ă©valuĂ© Ă  l’aune de sa conformitĂ© Ă  des schĂ©mas idĂ©ologiques prĂ©Ă©tablis, mais Ă  l’aune de ses accomplissements (Ɠuvres) effectifs. L’Estado de obras nĂ©cessite donc un appareil technique et scientifique, capable d’analyse rationnelle et dont l’objectif est le bien-ĂȘtre commun[359] - [361].

S’attachant Ă  mettre en lumiĂšre ce qui distingue l’idĂ©ocratie de la technocratie, FernĂĄndez de la Mora dĂ©clare que le premier Ă©lĂ©ment du technocratisme est l’interventionnisme d’État dans le capitalisme, et ce en accord avec Keynes, qui estimait qu’on ne pouvait espĂ©rer remĂ©dier aux grands maux de l’économie (l’incertitude, le risque, l’ignorance de certains acteurs Ă©conomiques) que par une intervention modĂ©rĂ©e de l’État[362]. La technocratie prĂŽne elle aussi la rationalisation de l’État et l’abandon de la rhĂ©torique au profit des experts, et contient en germe le mĂ©rite comme critĂšre de sĂ©lection politique. Ces deux Ă©lĂ©ments — volontĂ© de rationaliser l’État et interventionnisme d’État comme correctif Ă  la doctrine classique — ont pu produire, selon FernĂĄndez de la Mora, quelques effets positifs[363] - [364]. En contrepartie, le technocratisme fait fausse route sur deux points fondamentaux, d’abord le totalitarisme, la technocratie mettant en effet trop l’accent sur le dĂ©veloppement Ă©conomique aux dĂ©pens des autres dimensions de l’homme, telle que la recherche de biens intangibles, notamment la libertĂ©[365], et ensuite l’apolitisme, le rĂšgne des ingĂ©nieurs impliquant une prioritĂ© absolue accordĂ©e aux moyens (la technique) en nĂ©gligeant la rĂ©flexion sur les finalitĂ©s de la politique, laquelle se retrouve rĂ©duite Ă  une pure technique dĂ©connectĂ©e de l’éthique. Aux yeux de FernĂĄndez de la Mora, la rationalisation de la politique entraĂźne certes la technification de plusieurs activitĂ©s, mais non de la politique tout entiĂšre[366] - [367]. L’idĂ©ocratie rejette toute tyrannie de la classe technique[366], et FernĂĄndez de la Mora insiste qu’il n’a garde de prĂ©coniser la dĂ©politisation, et que c’est Ă  une dĂ©sidĂ©ologisation qu’il entend que conduise la prĂ©sĂ©ance des experts[368] - [369].

FernĂĄndez de la Mora distingue entre experts en moyens, technocrate chargĂ© d’étudier les moyens techniques, et experts en finalitĂ©s, Ă  qui incombe de dĂ©cider de ce qui convient Ă  la sociĂ©tĂ©, c’est-Ă -dire qui fixent le sens des dĂ©cisions politiques. Le technocratisme fait son apparition quand le pouvoir reste aux mains des seuls experts en moyens et que l’action du gouvernement se fractionne parce que chaque expert agit selon les prescriptions de sa propre spĂ©cialitĂ©. FernĂĄndez de la Mora pose la nĂ©cessitĂ© que les techniciens soient sous la conduite de ceux — les experts en finalitĂ©s — qui ont une idĂ©e d’ensemble de l’État et une notion particuliĂšre du bien, et sont Ă  mĂȘme de maintenir la politique dans les limites de l’éthique[370] - [369]. Ces experts en finalitĂ©s et en Ă©thique sociale, soumis Ă  la rigueur scientifique tout autant que les experts en moyens, ne formulent pas leurs propositions de finalitĂ©s en fonction de leur propre systĂšme de prĂ©fĂ©rences Ă©motives. La diffĂ©rence avec l’idĂ©ologue rĂ©side en ceci que l’expert en finalitĂ©s appuie ses dĂ©cisions non sur une considĂ©ration de type volitionnel (« volontariste »), mais sur la discipline Ă  haut degrĂ© de rationalisation, de dĂ©veloppement et de rigueur qu’est devenue l’éthique sociale, en net contraste donc avec les recettes idĂ©ologiques[371] - [372]. Il s’agit d’un explorateur de la rĂ©alitĂ© Ă©thico-sociale qui propose telle finalitĂ© dĂ©terminĂ©e comme la plus appropriĂ©e pour une pĂ©riode et une communautĂ© donnĂ©es[373] - [374].

Il n’y a donc pas dans la pensĂ©e de FernĂĄndez de la Mora d’apolitisme, car la politique garde sa pertinence comme mode de dĂ©finition des finalitĂ©s de la communautĂ©, mais sa fonction se rĂ©duit Ă  polariser les intĂ©rĂȘts autour desquels se regroupent les diffĂ©rentes forces sociales. Elle agit comme catalyseur de prises de position sur la chose publique et sert de plate-forme aux antagonismes sociaux, oĂč cependant doit ĂȘtre Ă©vitĂ©e toute exacerbation conflictuelle, principal pĂ©ril des idĂ©ologies. Le maintien du politique est l’un des points cruciaux qui distinguent l’idĂ©ocratie de la technocratie, car pour l’auteur seuls certains aspects de l’activitĂ© politique auront Ă  ĂȘtre technifiĂ©s. On dĂ©bouche ainsi sur une structure triadique du pouvoir, composĂ©e de l’expert en moyens, de l’expert en finalitĂ©s, et du politique pur[375] - [374].

Étant un rĂ©gime mĂ©ritocratique fondĂ© sur une conception Ă©litiste, l’idĂ©ocratie apparaĂźt incompatible avec un systĂšme oĂč l’idĂ©e de « reprĂ©sentation » est centrale, et par consĂ©quent avec la dĂ©mocratie. Toutefois, l’incapacitĂ© des masses Ă  Ă©lire leurs gouvernants n’implique pas d’octroyer Ă  l’expert un pouvoir sans restriction. À la diffĂ©rence de la technocratie, qui n’admet aucune ingĂ©rence du non-technocrate dans les affaires gouvernementales et pour qui la masse n’est que force de travail et Ă©lĂ©ment d’un mĂ©canisme, l’idĂ©ocratie admet que la masse puisse elle aussi, par sa facultĂ© de contrĂŽler et d’intervenir dans l’action du gouvernement, participer Ă  la vie politique. Par cette capacitĂ© de sanction (« fiscalizaciĂłn ») du travail de l’expert — donnĂ©e fondamentale diffĂ©renciant la technocratie d’avec l’idĂ©ocratie — l’expert n’a pas de pouvoir absolu et sans entraves[376] - [377].

La technification de la gestion publique devra s’opĂ©rer Ă  diffĂ©rents niveaux. D’abord, elle sera confiĂ©e Ă  des techniciens spĂ©cialistes, ce qui fera disparaĂźtre le dilettantisme des gouvernants. Ensuite, il conviendra d’instituer un processus d’élection des gouvernants garantissant que les meilleurs et les plus capables arrivent aux postes de pouvoir[378] - [379]. Les rapports entre citoyen et État devront se bureaucratiser et se rĂ©glementer, et se dĂ©faire de leur caractĂšre personnel, afin d’éviter tout type d’arbitraire dans l’assignation des ressources ou des positions. Des mĂ©canismes techniques de sĂ©lection des membres de l’administration publique seront mis en place, dont en particulier le recrutement sur concours, procĂ©dure permettant de choisir les plus aptes selon des critĂšres objetifs[380] - [188] - [381].

Compte tenu que l’important dĂ©veloppement Ă©conomique des sociĂ©tĂ©s occidentales n’aurait pas eu lieu sans l’intervention de l’État, FernĂĄndez de la Mora plaide pour que l’État agisse comme un acteur Ă©conomique vital pour l’économie, plaidoyer que vient cependant pondĂ©rer sa critique de la forme extrĂȘme de cette interventionnisme, Ă  savoir le capitalisme d'État des rĂ©gimes socialistes, dont la non-viabilitĂ© a Ă©tĂ© dĂ©montrĂ©e par la chute de l’URSS et que l’auteur qualifie de pervers, voire de contraire Ă  la nature humaine. Selon l’auteur, deux risques majeurs sont attachĂ©s Ă  l’intervention de l’État dans l’économie : l’inefficacitĂ© et le clientĂ©lisme, qui vont au rebours de l’objectivisation et de la technification de l’économie[382] - [383]. D’autre part, la rationalisation accrue que le monopole d’État est supposĂ© pouvoir insuffler dans les processus Ă©conomiques manifestement toujours hasardeux est un faux argument, le marchĂ© n’étant pas un bouillon d’irrationalitĂ© mais un espace de rencontre multi-rationnel, oĂč se cĂŽtoient les projets et les calculs d’une multitude d’agents Ă©conomiques. L’intervention de l’État non seulement est inapte Ă  moraliser une entitĂ© impersonnelle comme le marchĂ©, mais encore est susceptible de dĂ©gĂ©nĂ©rer en modĂšles totalitaires. Le modĂšle Ă©tatiste a Ă©tĂ© dĂ©lĂ©gitimĂ© par les rĂ©ussites incontestables du capitalisme libĂ©ral, qui ont Ă©tĂ© jusqu’à faire disparaĂźtre le prolĂ©taire, sujet de la sollicitude des doctrines marxistes[384] - [385].

FernĂĄndez de la Mora tient que le rĂ©gime de Franco a su opĂ©rer la synthĂšse de l’étatisme et de l’anti-Ă©tatisme, en combinant concours de l’État, qui doit ĂȘtre actif mais d’importance subsidiaire, et dĂ©ploiement de l’initiative privĂ©e, qui porte la majeure partie du fardeau de l’économie. L’État intervient Ă  titre de vecteur de volontĂ© de progrĂšs et de dĂ©veloppement, et non pas tant sous la forme d’une intervention effective[386] - [387] - [388]. L’auteur prĂ©conise le rĂŽle de l’État dans les phases de sous-dĂ©veloppement, mais incline nettement en faveur de l’initiative privĂ©e dans le cas de sociĂ©tĂ©s dĂ©jĂ  dĂ©veloppĂ©es. NĂ©anmoins, et au contraire de l’utopie libĂ©rale, mĂȘme Ă  l’époque actuelle, l’auteur estime que la prĂ©sence de l’État doit se poursuivre comme garant de l’ordre indispensable au progrĂšs[389] - [390]. Il reproche au libĂ©ralisme ses liens trop marquĂ©s avec la dĂ©mocratie inorganique et particratique, et de proclamer des libertĂ©s uniquement formelles, alors que l’idĂ©ocratie tend vers l’instauration de libertĂ©s rĂ©elles, c’est-Ă -dire Ɠuvre pour la mise en place des circonstances rendant effectives lesdites libertĂ©s[391] - [392].

Inanité de la démocratie et perversité du systÚme de partis

Principal idĂ©ologue de la droite postfranquiste, FernĂĄndez de la Mora fut l’un des plus Ăąpres critiques de la transition dĂ©mocratique, fustigeant plus particuliĂšrement la particratie, les autonomies rĂ©gionales et la reconnaissance des nationalitĂ©s historiques, et dĂ©fendant Ă  l’opposĂ© le systĂšme corporatiste, le centralisme du rĂ©gime antĂ©rieur, et une politique libĂ©rale dans le domaine Ă©conomique. Il s’appliqua Ă  jeter les fondements thĂ©oriques et Ă©pistĂ©mologiques d’un nouveau conservatisme apte Ă  rĂ©pondre Ă  la nouvelle situation sociale et politique sans pour autant retomber dans les vieilles recettes du traditionalisme rĂ©actionnaire[393]. Appartenant Ă  la famille du « rĂ©alisme politique », il dĂ©veloppa une analyse thĂ©orique des dysfonctionnements des structures particratiques[394] - [395].

La dĂ©mocratie inorganique, en faisant appel au concept de « reprĂ©sentation », va au rebours de la structure Ă©litaire naturelle de toute sociĂ©tĂ©, qui est dotĂ©e d’une structure dyadique composĂ©e de gouvernants et de gouvernĂ©s, ou d’élites et de masses, et oĂč la minoritĂ© dirigeante ne peut pas ĂȘtre simplement une reprĂ©sentation de la masse. FernĂĄndez de la Mora dĂ©nonce dans le crĂ©do dĂ©mocratique une posture idĂ©ologique, la fiction reprĂ©sentative, l’invocation de la souverainetĂ© du peuple et la justification morale de la dĂ©mocratie n’étant que des Ă©lĂ©ments purement idĂ©ologiques[396]. D’accord avec James Burnham, il affirme que la formule dĂ©mocratique et le suffrage populaire ne sont pas synonymes de gouvernement du peuple par le peuple, mais en rĂ©alitĂ© un mĂ©canisme concret parmi d’autres de gouvernement par l’élite[397]. La dĂ©mocratie n’est donc pas lĂ©gitime Ă  s’imposer comme impĂ©ratif moral, sauf Ă  dĂ©finir le meilleur systĂšme pour choisir les meilleurs, les Ă©lites les plus compĂ©tentes[398].

FernĂĄndez de la Mora n’admet pas telle quelle la thĂšse de Michels, selon laquelle l’homme moyen issu de la masse est par nature un Ă©ternel incompĂ©tent politique, mais, plus optimiste, ne croit pas que l’ignorance soit un mal social incurable. Il estime impossible une « volontĂ© gĂ©nĂ©rale » unitaire, car l’unanimitĂ© des grandes collectivitĂ©s est inexistante, en raison des divisions et des volontĂ©s disparates, voire opposĂ©es, et mĂȘme la volontĂ© majoritaire ne saurait ĂȘtre assimilĂ©e Ă  la volontĂ© populaire. De surcroĂźt, la volontĂ© gĂ©nĂ©rale est de toute maniĂšre illusoire, car elle n’est ni autonome, ni unitaire, et elle doit cadrer dans une alternative fournie par la minoritĂ© dirigeante et assortie de donnĂ©es et d’arguments prĂ©fabriquĂ©s[399] - [400]. En dĂ©mocratie inorganique, les Ă©lites oligarchiques des partis font de l’électeur un « objet des dĂ©cisions politiques », professionnalisent la politique, se dĂ©lient du secteur social qu’elles sont censĂ©es reprĂ©senter et confisquent la vĂ©ritable fonction du parlement, qui est d’« arriver Ă  la vĂ©ritĂ© au moyen du dĂ©bat », mais oĂč les discussions ne sont que luttes Ă©goĂŻstes entre reprĂ©sentants des partis politiques, et oĂč la prise de parole est totalement inutile, attendu que les dĂ©cisions politiques ont dĂ©jĂ  Ă©tĂ© prises entre les dirigeants des partis bien avant que ne commencent les sessions parlementaires. Les Ă©lites de la particratie, par leur domination absolue sur la justice et les mĂ©dias, apparaissent de facto comme de purs dirigeants oligarchiques[401] - [402]. De tels procĂ©dĂ©s, rĂ©vĂ©lateurs d’une autocratie masquĂ©e, sont mis en Ɠuvre par tous les partis, y compris ceux dont le mode de fonctionnement est officiellement dĂ©mocratique. Cette tendance autocratique tend Ă  s’accentuer en proportion de la personnification du pouvoir, de la professionnalisation de la politique, de la bureaucratisation et subsĂ©quente technocratie oligarchique au sommet des partis, et Ă  cause de listes Ă©lectorales verrouillĂ©es[403] - [404].

Les partis politiques sont des machines Ă©lectorales devant garantir Ă  certains groupes leur maintien au pouvoir. L’oligarchisation des partis politiques est universelle et irrĂ©versible, et trouve son origine, selon FernĂĄndez de la Mora, dans la complexitĂ© de l’État moderne et dans les nouvelles responsabilitĂ©s que celui-ci assume dans des matiĂšres complexes, telle que l’économie. Si le rĂ©gime Ă©tablit l’élection populaire comme mode de dĂ©signation des gouvernants, le parti se voit contraint d’agir comme une machine Ă©lectorale et de tenter de reprĂ©senter des intĂ©rĂȘts plus ou moins gĂ©nĂ©raux. Tous les modes de scrutin sont des procĂ©dures manipulatrices, qui dĂ©naturent le vote. Pour FernĂĄndez de la Mora, les dĂ©putĂ©s Ă©lus ne reprĂ©sentent pas les Ă©lecteurs, mais eux-mĂȘmes, ou, Ă©ventuellement, les intĂ©rĂȘts d’une classe ou d’un groupe[405] - [406]. La particratie n’est tenue de se prĂ©senter devant l’électeur que pĂ©riodiquement, ce qui, selon FernĂĄndez de la Mora, l’apparente d’une certaine maniĂšre aux dictatures. Les partis, mis sur pied pour rendre souverain le peuple, se sont en fait substituĂ©s Ă  lui[407] - [90]. Les partis politiques ont confisquĂ© la dĂ©mocratie, se sont mis Ă  la considĂ©rer comme leur propriĂ©tĂ© et l’ont soustraite Ă  tout contrĂŽle par la sociĂ©tĂ©[408] - [409]. Selon l’auteur, l’organisation des partis est autoritaire, et la dĂ©nommĂ©e « volontĂ© populaire », c’est-Ă -dire la dĂ©mocratie elle-mĂȘme, est dirigĂ©e et dominĂ©e par cinq groupes de pression : les mĂ©dias, les intellectuels (au service du pouvoir), la bureaucratie syndicale, les fonctionnaires, et les appareils de parti[410] - [411].

Les caractéristiques fondamentales du systÚme particratique espagnol sont énumérées comme suit par Fernåndez de la Mora :

  • les dĂ©putĂ©s indĂ©pendants tendent Ă  disparaĂźtre, et aucun candidat n’a de chances d’ĂȘtre Ă©lu sans l’agrĂ©ment des comitĂ©s du parti, nĂ©cessaire pour figurer sur des listes Ă©lectorales verrouillĂ©es oĂč les candidats sont classĂ©s dans un ordre strict ;
  • les petits partis s’évanouissent progressivement, l’État favorisant, par ses subventions, les grand partis. On assiste au « gel bureaucratique » des Ă©lites reprĂ©sentatives, situation renforcĂ©e par les possibilitĂ©s quasi illimitĂ©es de pĂ©rennitĂ© et de cumul de postes pour les Ă©lites. Ces Ă©lites ont contribuĂ© Ă  consolider et gĂ©nĂ©raliser les vices les plus nĂ©fastes liĂ©s Ă  la professionnalisation politique ;
  • la dĂ©pĂ©rissement de la classe politique par suite de la dĂ©valuation de la majeure partie de l’élite gouvernementale au profit de quelques hautes figures, qui sont les dĂ©cideurs effectifs. Ceux qui alimentent les listes sont disciplinĂ©s et ordinairement mĂ©diocres, le parti choisissant ses candidats parmi les gens obscurs, dĂ©pourvus de rĂ©putation personnelle. L’accumulation de pouvoir entre les mains d’un nombre restreint de personnes donne lieu Ă  de nombreux abus ;
  • dĂ©possession de l’électorat, par quoi la souverainetĂ© ne rĂ©side plus dans le peuple mais est passĂ©e aux partis et Ă  l’oligarchie ;
  • instrumentalisation des parlementaires. Le dĂ©putĂ©, qui n’est dĂ©jĂ  plus un parlementaire, mais un porte-voix, vote comme on lui ordonne. La prĂ©pondĂ©rance du parti a Ă©tĂ© renforcĂ©e par deux puissants outils de domination et de discipline des parlementaires : leurs statuts et ceux des groupes parlementaires ;
  • dĂ©valuation politique de la chambre. Les dĂ©bats parlementaires ne font que reproduire ce qui a Ă©tĂ© convenu d’avance par les directions respectives des partis et par les groupes de pression qui les appuient, le parlement ne servant plus qu’à lĂ©gitimer formellement les accords conclus ailleurs et Ă  huis clos. Les lois de grande portĂ©e se nĂ©gocient dans les secrĂ©tariats des partis ou dans les offices des entreprises, en prenant Ă©gard aux intĂ©rĂȘts des groupes de pression qui soutiennent et financent le parti ;
  • confiscation de toute vie politique locale autonome par la mainmise des organes centraux des partis sur les instances politiques locales. Les conseillers municipaux sont tenus de se plier aux ordres de leurs chefs[412] - [413] - [409]. Quoique Ă©lus en vertu du suffrage universel, ils n’ont de compte Ă  rendre qu’à l’oligarchie du parti[414].

DĂ©mocratie organique et corporatisme

FernĂĄndez de la Mora Ă©tablit une typologie des systĂšmes reprĂ©sentatifs et distingue en premier lieu, selon que les reprĂ©sentĂ©s se prononcent comme membres d’un corps social intermĂ©diaire ou comme citoyen de l’État, deux grandes thĂ©ories de la reprĂ©sentation politique, celle individualiste (ou inorganique) et celle organique[415] - [416], dont il s’emploie Ă  Ă©laborer une thĂ©orie gĂ©nĂ©rale dans la revue RazĂłn Española. Son plaidoyer va en faveur du corporatisme, compris comme un mode spĂ©cifique de reprĂ©sentation politique ou d’intĂ©rĂȘts, en guise de solution de rechange au systĂšme politique actuel, et comme mode de « technification de la politique »[417]. Il proclame la nature organique de la sociĂ©tĂ© tout entiĂšre et le bon fonctionnement d’un systĂšme oĂč les intĂ©rĂȘts sont corporativement reprĂ©sentĂ©s, vision qui s’accorde avec son postulat de la dĂ©sidĂ©ologisation en cours des sociĂ©tĂ©s avancĂ©es et avec sa conception rationnelle de la politique[410].

L’auteur, analysant la rĂ©alitĂ© groupale de la sociĂ©tĂ© (biologique, professionnelle et territoriale), recense les mĂ©canismes organiques et « corps intermĂ©diaires » prĂ©sents au sein de chaque nation, Ă  savoir : la fondation d’une famille, l’éducation et la transmission de valeurs, la formation professionnelle, les groupements territoriaux (quartier, commune, terroir, province et Ă©chelon national), et les corps dont le fonctionnement spontanĂ© et naturel, en accord avec l’expĂ©rience de la tradition, assure un dĂ©veloppement futur et Ă©quilibrĂ© de toute l’organisation sociale[418]. À l’instar de Salvador de Madariaga, FernĂĄndez de la Mora rejette le suffrage universel direct, et prĂŽne un systĂšme oĂč les « conseils municipaux, Ă©lus par le peuple, jouissant d’une large autonomie, Ă©lisent Ă  leur tour les dĂ©putations provinciales, et celles-ci la chambre principale ou le sĂ©nat », soit une reprĂ©sentation politique indirecte et organique, « l’une des dĂ©couvertes les plus anciennes de notre Droit public traditionnel »[419] - [420].

FernĂĄndez de la Mora estime que la reprĂ©sentation politique corporative a pour avantage de reflĂ©ter la constitution organique de la sociĂ©tĂ© et la diversitĂ© des intĂ©rĂȘts individuels, d’objectiver les problĂšmes socio-Ă©conomiques, et surtout de technifier la politique[421]. Partant du constat que les individus se trouvent naturellement intĂ©grĂ©s dans des « corps sociaux s’échelonnant entre la famille et l’humanitĂ© en passant par la corporation professionnelle et l’État », l’auteur pose que la reprĂ©sentation politique doit ĂȘtre rĂ©gie par le modĂšle corporatif. Face Ă  la reprĂ©sentation des « intĂ©rĂȘts de l’oligarchie particratique », les corporations apportent une modalitĂ© ouverte et flexible, en remplacement ou en complĂ©ment du systĂšme parlementaire Ă  partis[422] - [423]. Le modĂšle idĂ©al de reprĂ©sentation corporative est fourni, selon FernĂĄndez de la Mora, par la dĂ©nommĂ©e « dĂ©mocratie organique », oĂč la technique corporatiste permet une reprĂ©sentation totale des « corps sociaux intermĂ©diaires » grĂące Ă  un systĂšme oĂč « les gouvernĂ©s ne votent pas comme de simples individus isolĂ©s, mais regroupĂ©s suivant la fonction sociale qu’ils exercent ». Au contraire de l’individualisme du vote inorganique, cette technique permet de reprĂ©senter politiquement les intĂ©rĂȘts dans leur totalitĂ©, et non pas partiellement, du citoyen par l’entremise de reprĂ©sentants de chaque sphĂšre sociale, de chaque corps intermĂ©diaire auquel le citoyen appartient ou participe ; ces corps sont la famille au sein de laquelle il est nĂ©, le quartier ou le voisinage oĂč il se socialise, le travail dont il vit et dont il apprend, la commune d’origine, et la nation qu’il sert[424] - [425].

FernĂĄndez de la Mora qualifie l’organicisme social de « thĂ©orie rationnelle ayant son fondement dans les donnĂ©es empiriques » et entreprend de mettre en lumiĂšre et d’expliquer cette rĂ©alitĂ© structurante qu’est, dans l’histoire des communautĂ©s humaines, « la sociĂ©tĂ© organique » et son mĂ©canisme d’application politique et sociale, la « technique corporative de reprĂ©sentation ». Ce « fait organiciste » nourrit une vision rationnelle et, en dĂ©finitive, libĂ©rale de la politique comme activitĂ© s’ajustant aux nĂ©cessitĂ©s et rĂ©alitĂ©s de la communautĂ© organique, et se dĂ©ployant par le biais d’organismes corporatifs et de recettes techniques, pour aboutir Ă  Ă©difier un État fonctionnel, corporativisĂ© et dĂ©sidĂ©ologisĂ©[426] - [427]. Son principe de dĂ©part est sa conviction que la sociĂ©tĂ© constitue une rĂ©alitĂ© qui « se structure et se dĂ©veloppe organiquement et n’est pas susceptible d’un brusque rĂ©ordonnement volontaire ». La rĂ©alitĂ© sociale « est quelque chose de donnĂ© et non le fruit d’un pacte que ses membres ont nĂ©gociĂ© librement ». La sociĂ©tĂ© hiĂ©rarchique est un fait historique de nature biologique et sociologique et se configure elle-mĂȘme organiquement de l’intĂ©rieur, et Ă©volue par un processus bien dĂ©fini dans ses diffĂ©rentes Ă©tapes, au grĂ© des crĂ©ations rationnelles progressives de l’élite politique et sociale[428] - [429] - [430].

Dans le cas de groupes fonctionnellement dĂ©finis, les intĂ©rĂȘts Ă  reprĂ©senter apparaissent plus stables et plus pĂ©rennes, et le reprĂ©sentant corporatif, comme dĂ©lĂ©guĂ© de son « corps », agit au service d’intĂ©rĂȘts « objectifs » de groupe, est investi d’un mandat portant sur des intĂ©rĂȘts dĂ©personnalisĂ©s d’une corporation dont il est membre, et dĂ©fend les intĂ©rĂȘts de ses compagnons de corporation et de terroir tout en les intĂ©grant au bien commun national. Cette forme de reprĂ©sentation, dĂ©couplĂ©e de la politique professionnelle, fait entrer en jeu des techniciens des activitĂ©s sociales, pourvoie la politique en techniciens et spĂ©cialistes, dĂ©signe le plus capable, permet la dĂ©sidĂ©ologisation des conflits (considĂ©rĂ©s dĂ©sormais dans leur rĂ©alitĂ© objective), diversifie la participation politique, et garantit la continuitĂ© opĂ©rationnelle du travail lĂ©gislatif (grĂące Ă  l’élimination ou la mise sous contrĂŽle des factions particratiques)[431] - [432] - [433].

De cet organicisme social, qui se prĂ©sente comme une thĂ©orie rationnelle, se dĂ©duit pour FernĂĄndez de la Mora un modĂšle constitutionnel, la dĂ©mocratie organique, se caractĂ©risant par le mode corporatif de reprĂ©sentation politique, qui n’est d’ailleurs pas incompatible avec le mode particratique. La reprĂ©sentation des intĂ©rĂȘts concrets de chaque citoyen doit s’effectuer Ă  travers les diffĂ©rents corps qui composent la communautĂ© politique[434]. Le dĂ©putĂ© corporatif ou organique peut ĂȘtre le dĂ©positaire d’instructions concrĂštes Ă©mises par le syndicat ou la corporation concernĂ©e, et est tenu d’agir en tant que titulaire d’un mandat spĂ©cial[435]. De cette façon, des individus incarnant des intĂ©rĂȘts variĂ©s mais concrets et spĂ©cifiques seraient envoyĂ©s dans les organes de concertation et portĂ©s aux postes exĂ©cutifs, et les opinions diffĂ©rentes seraient amenĂ©es Ă  se confronter afin de rĂ©aliser la finalitĂ© politique ou le bien commun[436] - [437]. En face par contre, la caractĂ©ristique de la particratie ou de la dĂ©mocratie inorganique, est que les partis rĂ©clament le monopole de la mĂ©diation et ne reconnaissent pas de capacitĂ© politique aux autres corps sociaux[415] - [438]. Le corporatisme, outil reprĂ©sentatif de la composition organique de la sociĂ©tĂ©, est pour l’auteur l’aboutissement du processus contemporain de technification de la politique, au diapason de sa conception instrumentale de l’État, et a trouvĂ© Ă  s’incarner dans les institutions franquistes, ou, idĂ©alement, dans son « Estado de obras », État qui trouve sa lĂ©gitimitĂ© dans ses vertus fonctionnelles[414] - [439].

Pour FernĂĄndez de la Mora, les caractĂ©ristiques de la reprĂ©sentation organique s’énumĂšrent comme suit :

  • le dĂ©putĂ© corporatif reprĂ©sente les intĂ©rĂȘts concrets des Ă©lecteurs, non la « volontĂ© gĂ©nĂ©rale » des dĂ©putĂ©s inorganiques ;
  • ces intĂ©rĂȘts sont stables, durables et peuvent ĂȘtre recensĂ©s ;
  • Ă©tant au service d’intĂ©rĂȘts prĂ©cis, le dĂ©putĂ© en devient un acteur susceptible de contrĂŽle ;
  • les intĂ©rĂȘts, pour ĂȘtre concrets, peuvent ĂȘtre analysĂ©s, dĂ©purĂ©s et constatĂ©s, et se prĂȘtent au compromis ;
  • le dĂ©putĂ© organique est tenu d’avoir Ă©gard aux intĂ©rĂȘts concrets de ses Ă©lecteurs ;
  • les dĂ©putĂ©s organiques ne sont pas soumis Ă  la discipline de parti, mais uniquement aux intĂ©rĂȘts pour lesquels ils ont Ă©tĂ© Ă©lus ;
  • les reprĂ©sentants corporatifs sont des professionnels issus de diffĂ©rents secteurs, qu’ils ont mandat de reprĂ©senter, Ă  la diffĂ©rence des inorganiques, qui sont des professionnels de la politique ;
  • pour dĂ©fendre ses intĂ©rĂȘts, chaque corporation, syndicat ou corps de mĂ©tier envoie le reprĂ©sentant le plus apte, le mieux prĂ©parĂ© et le plus intelligent. Dans le systĂšme inorganique, ceux jugĂ©s les plus aptes sont les mĂ©diocres et les dociles ;
  • la reprĂ©sentation corporative favorise la dĂ©politisation, attendu qu’on n’y parle pas de politique mais de problĂšmes concrets ;
  • dans la reprĂ©sentation corporative, le citoyen peut observer l’action du dĂ©putĂ©, le suivre, vu qu’il existe une communautĂ© d’intĂ©rĂȘts communs ;
  • les chambres corporatives sont plus techniques et plus stables. La reprĂ©sentation corporative est une rĂ©alitĂ© objective supĂ©rieure Ă  la dĂ©cision idĂ©ologique et aux volontĂ©s passagĂšres[440] - [433].

L’État, confrontĂ© Ă  des crises Ă©conomiques et des conflits du travail, est contraint de reconnaĂźtre les besoins et pressions de groupes extraparlementaires de nature diverse et directement liĂ©s aux racines de la problĂ©matique Ă  rĂ©soudre. Ce nonobstant, les dĂ©mocraties occidentales limitent la reprĂ©sentation Ă  des conseils Ă©conomiques professionnels Ă  vocation purement consultative, ou se bornent Ă  conclure des accords sectoriels entre État et associations professionnelles[441] - [442]. Le nĂ©o-corporatisme, version modernisĂ©e du corporatisme, « systĂšme idĂ©al » de reprĂ©sentation corporative, s’appuie sur des organismes lĂ©gislatifs et exĂ©cutifs, non Ă©lus au suffrage universel direct mais dĂ©signĂ©s, suivant une Ă©lection Ă©chelonnĂ©e, par les corps sociaux intermĂ©diaires. Dans la configuration d’un nouvel État libĂ©ral et technique tel que proposĂ© par FernĂĄndez de la Mora, « reflet de l’imbrication du corporatisme social avec le capitalisme dĂ©mocratique », le pouvoir politique admettrait la nĂ©cessitĂ© d’organes politiques extra-parlementaires dans la gestion et prise de dĂ©cision politiques pour certains domaines dĂ©terminĂ©s, lesquels organes corporatifs seraient particuliĂšrement qualifiĂ©s pour rĂ©soudre les problĂšmes de nature technique et professionnelle, afin de faciliter la conclusion d’accords intersectoriels urgents et de rationnaliser dans le mĂȘme temps l’intervention dĂ©mesurĂ©e de l’administration publique. L’optimisation de la production et la paix sociale ne sont possibles, selon l’auteur, qu’à travers des pactes entre secteurs socio-Ă©conomiques corporatisĂ©s, ce qui permettrait de briser le monopole des partis et de cĂ©der le pas Ă  des techniciens et professionnels qualifiĂ©s[443].

FernĂĄndez de la Mora s’attache Ă  dĂ©montrer historiquement l’existence, en dehors des idĂ©ologies, de sociĂ©tĂ©s constituĂ©es organiquement[167], s’attardant sur les thĂ©ories historiques du corporatisme europĂ©en et espagnol, comme autant de reflets d’une aspiration, commune aux traditionalistes et aux socialistes, Ă  obtenir une traduction politique fidĂšle de la sociĂ©tĂ© organique ; ces antĂ©cĂ©dents historiques viendraient accrĂ©diter ses propres conclusions sur les finalitĂ©s et sur les moyens, de prĂ©fĂ©rence techniques et neutres, de la chose politique[414] - [439]. D’autre part, ayant ainsi soulignĂ© le caractĂšre historique de l’organicisme social[426], il fait observer que l’État corporatif, loin d’ĂȘtre une crĂ©ature fasciste ou d’avoir une gĂ©nĂ©alogie totalitaire, avait Ă©tĂ© proposĂ© et prĂŽnĂ© par la gauche socialiste, plus particuliĂšrement par les krausistes de gauche, dont notamment JuliĂĄn Sanz del RĂ­o, NicolĂĄs SalmerĂłn, Francisco Giner de los Rios, entre autres. La dĂ©mocratie organique trouve ses racines dans l’idĂ©alisme allemand, chez Hegel, Fichte et surtout Krause, et a Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ© thĂ©oriquement par le krausiste Henri Ahrens, avant d’ĂȘtre ensuite dĂ©fendu par les krausistes espagnols[444] - [445] - [446]. La rĂ©habilitation de l’organicisme social entrepris par les krausistes et les points communs entre ces auteurs et les Ă©coles corporatistes permettent Ă  FernĂĄndez de la Mora d’affirmer le caractĂšre idĂ©ologiquement neutre et libĂ©ral du phĂ©nomĂšne corporatif, auquel il n’est donc pas possible d’assigner uniquement des origines autoritaires, totalitaires (fascistes) ou confessionnelles (catholiques), et qui « se rĂ©sume Ă  une interprĂ©tation de la sociĂ©tĂ© et Ă  un modĂšle de reprĂ©sentation politique »[447]. Il considĂšre que la renaissance du corporatisme, qui fut le systĂšme de reprĂ©sentation sous le rĂ©gime franquiste, est le point d’inflexion dans l’évolution de l’État libĂ©ral-dĂ©mocrate, rĂ©alise la convergence entre lĂ©galitĂ© et rĂ©alitĂ©, et restitue le droit Ă  la sociĂ©tĂ©. FernĂĄndez de la Mora plaide pour la restauration des Cortes franquistes[448], d’autant que le rĂ©gime de Franco a Ă©tĂ©, comme dĂ©mocratie organique, le systĂšme le plus apte Ă  apporter le dĂ©veloppement Ă©conomique[449]. Il met en relief le « rĂŽle manifeste et dĂ©cisif que les dĂ©nommĂ©s rĂ©gimes inorganiques ont fini par reconnaĂźtre Ă  la reprĂ©sentation organique pour rĂ©soudre quelques-uns des problĂšmes sociaux les plus graves », citant comme exemple le Conseil Ă©conomique en France, instituĂ© en vertu du Titre III, art. 25 de la Constitution de 1946[450] - [451].

SĂ©lection des Ă©lites

FernĂĄndez de la Mora estime que « l’homme que nous connaissons Ă  travers l’histoire n’est pas naturellement bon » et que par consĂ©quent « il a besoin d’une pression extĂ©rieure » ou d’une « menace de procĂ©dure judiciaire » (fiscalizaciĂłn) dont « les gouvernants ne sont pas exceptĂ©s » et qui peut prendre la forme « juridique, au travers d’un recours contentieux, et morale, par le biais de la presse et de l’opinion publique. Mais je crois que pour les hauts niveaux exĂ©cutifs, [ces formes] devront ĂȘtre complĂ©tĂ©es par la sanction pĂ©riodique du plĂ©biscite ». Il indique Ă  cet Ă©gard que « le vote est important, non pas pour se faire reprĂ©senter, mais pour contrĂŽler. À aucun expert, et moins encore Ă  ceux de la politique, il ne faut remettre un pouvoir absolu »[452] - [453].

Des Ă©lites dĂ©pendent le bien-ĂȘtre et le progrĂšs de la sociĂ©tĂ© entiĂšre, ce pourquoi il est nĂ©cessaire, voire vital, de mettre au point la meilleure mĂ©thode possible pour les choisir, ce que FernĂĄndez de la Mora appelle un « impĂ©ratif de sĂ©lection »[454] - [287], valable dans tous les domaines, mais d’une importance particuliĂšre quand il s’agit des Ă©lites politiques. Le mode de sĂ©lection dĂ©termine la composition de l’élite dirigeante et, par lĂ , l’avenir de la sociĂ©tĂ© ; rien toutefois ne garantit que celui qui est au pouvoir appartienne Ă  la minoritĂ© raisonnante, soit « aristocratique », Ă  moins de prĂ©voir une mĂ©thode adĂ©quate pour Ă©viter une sĂ©lection pervertie. Du reste, les dirigeants doivent, en premier lieu, ĂȘtre issus du corps social lui-mĂȘme. À l’époque oĂč Ă©crit l’auteur (1978), l’élite politique a Ă©tĂ©, affirme-t-il, dĂ©pouillĂ©e des deux principaux attributs de l’aristocratie, Ă  savoir : les idĂ©es et l’usage de la raison, et le courage[455] - [283], la recherche du pouvoir ayant pour effet de corrompre l’élĂ©ment aristocratique. En se mettant au service d’une cause politique dans le but d’obtenir le pouvoir, le raisonnant peut se dĂ©saristocratiser et se transformer en un « intellectuel conformiste » et en homme « hybride fait de chercheur et d’homme politique », et rĂ©pudier sa relation particuliĂšre avec les idĂ©es pour se plier aux consignes d’un parti. L’arĂšne politique, Ă©crit-il, est « toujours intellectuellement suspecte par son peu d’objectivitĂ© et sa propension constitutive Ă  la manipulation verbale et factuelle »[456] - [457]. À la capacitĂ© crĂ©atrice propre Ă  la minoritĂ© viennent alors se substituer conformisme et suivisme, et les raisonnements originels sont remplacĂ©s par des schĂ©mas conçus pour gagner la faveur de la masse[458] - [459]. DorĂ©navant, le message de l’homme politique est conformĂ© en fonction du public ciblĂ©, par quoi il abdique tant ses vertus intellectuelles (rigueur, examen critique des idĂ©es, mise en doute constante des postulats) que morales (courage, sincĂ©ritĂ©, dĂ©sintĂ©ressement)[456]. Cependant, l’intellectuel peut certes s’engager en politique, mais doit, pour Ă©viter la massification, prĂ©server sa rigueur et son originalitĂ©, et ne pas s’en rapporter aux idĂ©ologies[460].

Une sociĂ©tĂ© oĂč prime l’idĂ©ologisme a peu de chances de pouvoir se doter d’une Ă©lite dirigeante rĂ©ellement aristocratique, ce qui rend d’autant plus nĂ©cessaire l’impĂ©ratif de sĂ©lection, et de mettre en place un dispositif juridico-politique propre Ă  faciliter l’accĂšs au pouvoir des minoritĂ©s aristocratiques[461]. Dans la dĂ©mocratie inorganique, oĂč la constitution de l’élite dirigeante ne s’appuie pas sur une Ă©lection personnelle, mais dĂ©pend d’une Ă©lection populaire, oĂč donc l’élite ne s’autosĂ©lectionne pas sur la base de son aristocratisme mais se soumet Ă  l’évaluation par les masses, le risque est accru d’une discordance entre Ă©lite de fait et aristocratisme rĂ©el[398].

Estado de obras ou État de raison

FernĂĄndez de la Mora proclame la « technification de la politique », sous l’égide de la rationalisation apportĂ©e par les sciences sociales, d’oĂč il s’ensuit que le « vocable dĂ©cisif n’est pas reprĂ©sentation, mais efficacitĂ© »[462] - [463]. L’auteur pose que « les finalitĂ©s d’une communautĂ© politique sont fixes et permanentes, les moyens pour les atteindre sont problĂ©matiques et changeants » ; les formes du politique sont « infinies » et sont fonction des nĂ©cessitĂ©s humaines et des conjonctures temporaires, comme l’est aussi l’État, ce qui contredit les idĂ©ologies qui ontologisent l’État, jusqu’à l’idolĂątrer, et prĂŽnent un « État idĂ©al » sans connexion avec la rĂ©alitĂ©[464] - [91]. Dans son ouvrage Del Estado ideal al Estado de RazĂłn de 1972, l’auteur dĂ©mythifie l’« ontologisation de l’État », cet État qui, dans sa thĂ©orie empirique et fonctionnelle, n’est rien de plus qu’un « expĂ©dient politique instrumental » parmi d’autres. La politique a des finalitĂ©s et une utilitĂ© purement techniques et rationnels, au service de l’« ordre, de la justice et du dĂ©veloppement », finalitĂ©s nĂ©cessaires Ă  l’organisation de la sociĂ©tĂ©[465].

L’État, comme forme politique de la modernitĂ©, doit rĂ©cupĂ©rer son principe originel, qui est la neutralitĂ©, et se centrer sur ses fonctions instrumentales qui justifient son existence. Aux constructions idĂ©ologiques de l’« État idĂ©al », FernĂĄndez de la Mora oppose un « État de raison », oĂč « l’État se constitue et se perfectionne pour rĂ©aliser l’ordre, la justice et le dĂ©veloppement jusqu’au point oĂč le permettent les circonstances historiques »[466] - [467]. Cet « État rationnel » se constitue comme moyen raisonnĂ© au service de la finalitĂ© politique suprĂȘme, Ă  savoir le bien commun, « fin Ă©ternelle » des sociĂ©tĂ©s sur le plan moral et politique[464] - [91], but qui ne pourra se matĂ©rialiser que par une confrontation avec la rĂ©alitĂ© des faits[468] - [469].

La justification d’un rĂ©gime politique, pose FernĂĄndez de la Mora, rĂ©side donc dans sa capacitĂ© Ă  instaurer l’ordre, la justice et le dĂ©veloppement, et l’efficacitĂ© Ă  atteindre ces objectifs doit servir d’étalon d’évaluation fondamental de tout État. L’efficacitĂ© dont fait grand cas la technocratie est limitĂ©e Ă  la sphĂšre productive et Ă©conomique et se rapporte seulement Ă  une mise en valeur maximale des ressources. Si l’idĂ©ocratie attache pareillement un haut prix au progrĂšs Ă©conomique, les buts Ă©conomiques figurent en derniĂšre place dans l’énumĂ©ration des finalitĂ©s objectives de l’État, aprĂšs l’ordre et la justice. L’État de raison (synonyme d’idĂ©ocratie et d’État des Ɠuvres) se diffĂ©rence justement de l’État purement industriel, propre Ă  la technocratie, par le fait de ne pas se prĂ©occuper exclusivement des finalitĂ©s Ă©conomiques et de dĂ©veloppement[470] - [471] - [472].

Ainsi en vient-on Ă  l’« État technique », qui « ne ressemble pas peu Ă  ce que Comte appelait État positif, soit la forme qui correspond au progrĂšs scientifique ». Dans cette forme politique, lĂ©gitimĂ©e par les Ă©vĂ©nements historiques en cours, « la question de la reprĂ©sentation se pose en des termes diffĂ©rents : plutĂŽt que d’élire, ce qui importe est de surveiller et sanctionner ; plutĂŽt que se gouverner soi-mĂȘme, d’ĂȘtre bien gouvernĂ©s ; plutĂŽt que la souverainetĂ©, le bien-ĂȘtre ; plutĂŽt que l’intervention [de l’État], la rentabilitĂ© ; plutĂŽt que la libertĂ©, la sĂ©curitĂ© »[473] - [176]. L’État des Ɠuvres (« Estado de obras ») permet d’articuler organiquement et rationnellement la nation au moyen d’un systĂšme complet d’institutions reprĂ©sentatives de type corporatif, en rupture avec les voies particratiques de l’oligarchie au pouvoir, et dĂ»ment lĂ©gitimĂ© par les politiques fonctionnelles mises en oeuvre[474] - [475].

L’Estado de obras, indique FernĂĄndez de la Mora, « ne trouve pas sa justification dans la foi ou dans les paroles, mais dans les rĂ©sultats »[476] - [477]. « Contrairement Ă  ce qui prĂ©vaut », Ă©crit-il, « l’évaluation de l’État ne peut pas s’effectuer a priori, mais s’effectue a posteriori, Ă  raison de ses fruits, ou, ce qui revient au mĂȘme, de son efficacitĂ© rĂ©elle »[478] - [479]. L’évaluation des performances de l’État s’effectue par une approche quantitative et scientifique de la rĂ©alitĂ© sociopolitique, Ă  l’aide de diffĂ©rentes variables et en regard des rĂ©sultats obtenus par les pays les plus avancĂ©s — dĂ©marche chiffrĂ©e par quoi FernĂĄndez de la Mora concorde avec la technocratie. Toutefois, Ă  l’opposĂ© du technocratisme, l’auteur n’aborde pas le comportement social comme un mĂ©canisme d’exactitude mathĂ©matique et, niant que la vie sociopolitique puisse ĂȘtre organisĂ©e sur un moule technico-mathĂ©matique, prend Ă©gard Ă  l’existence de facteurs alĂ©atoires tels que la libertĂ© humaine, car l’absence de libertĂ© est une aliĂ©nation de l’homme et une vue erronĂ©e de la rĂ©alitĂ© humaine[480] - [367].

Un parangon d’État des Ɠuvres est le « rĂ©gime issu du 18 juillet », qui, affirme l’auteur en 1967, a rĂ©ussi Ă  « transformer l’infrastructure de l’Espagne et est en voie, grĂące Ă  une croissance exponentielle, de rĂ©aliser la prouesse de convertir une nation qui figurait parmi les plus pauvres d’Europe en un pays dĂ©veloppĂ© qui avance rapidement vers les avant-gardes Ă©conomiques de l’Occident »[481]. Le rĂ©gime franquiste dĂ©montrerait comment « Ă  l’État rhĂ©torique que nous avons connu a Ă©tĂ© substituĂ© un Estado de obras, et que l’europĂ©isme frĂ©nĂ©tique d’autrefois est en train d’ĂȘtre remplacĂ© par une europĂ©isation rĂ©elle »[474]. Ce « dĂ©veloppement » n’équivaut pas Ă  « une nouvelle idĂ©ologie », mais reprĂ©sente un « idĂ©al », attendu que « sa formulation ne s’inscrit pas dans un programme, mais dans un plan, car ce n’est ni une utopie, ni un mythe ; c’est un projet et une entreprise ». Les sociĂ©tĂ©s dĂ©sidĂ©ologisĂ©es ne sont pas dĂ©pourvues d’idĂ©al, au contraire ; aprĂšs l’évanouissement des recettes idĂ©ologiques, utopiques et contradictoires, l’idĂ©al de dĂ©veloppement a fait naĂźtre des projets rigoureux et viables, tĂ©moins d’un haut degrĂ© de rationalisation collective. Le remplacement du dilettante par l’expert, et du dĂ©magogue par le savant, est un pas en avant dans le processus de rationalisation et de spiritualisation du genre humain : « le dĂ©veloppement », dĂ©clare l’auteur, « n’est pas un matĂ©rialisme ; c’est l’humanisme de la raison »[482] - [483].

L’État de raison, la rationalisation et la dĂ©sidĂ©ologisation de la politique entraĂźne aussi une « minimisation de l’État », en contraste avec les grands maux engendrĂ©s par les États d’essence politique, que sont le gigantisme bureaucratique, le monopole des oligarchies de parti, la mĂ©diocritĂ© des gouvernants, et la primautĂ© des intĂ©rĂȘts de fraction sur l’intĂ©rĂȘt national. « Face au socialisme et au particratisme », proclame l’auteur en 1980, « qui Ă©tranglent le citoyen actuel, je pense que dans cette grave crise des formes politiques, la grande consigne est moins d’État et plus de sociĂ©tĂ© »[484] - [485].

DĂ©passement de l’État-nation et fin de l’État

Selon FernĂĄndez de la Mora, un certain nombre de phĂ©nomĂšnes sont en cours qui ont pour effet de saper la rigiditĂ© des frontiĂšres d’État et par lĂ  tendent Ă  disqualifier le concept de souverainetĂ© et de raison d’État comme Ă©lĂ©ments structurants des relations internationales ; ce sont : 1) la mondialisation des moyens de communication, crĂ©ant un flux continu d’information entre les diffĂ©rents États ; 2) la libre circulation transnationale des marchandises et des devises, qui, conjuguĂ©e Ă  la technique, a donnĂ© naissance Ă  un systĂšme Ă©conomique intĂ©grĂ© ; 3) l’action des multinationales, nullement gĂȘnĂ©es par les frontiĂšres d’État ; 4) la mise en place d’ordres juridiques supranationaux, telles que l’Union europĂ©enne, propices Ă  la constitution d’unitĂ©s juridiques supra-Ă©tatiques ; 5) les internationales de partis politiques[486] - [487]. Trois autres phĂ©nomĂšnes historico-politiques viennent confirmer le caractĂšre dĂ©sormais factice du concept de souverainetĂ© nationale, Ă  savoir : la restriction du droit de vĂ©to aux seules grandes puissances au Conseil de sĂ©curitĂ© des Nations unies, qui a entamĂ© la souverainetĂ© pour le reste des États ; la bipolaritĂ© de la Guerre froide, qui a rĂ©duit la souverainetĂ© Ă  deux États, l’Union soviĂ©tique et les États-Unis ; enfin, la chute du rĂ©gime soviĂ©tique, laissant les États-Unis comme seul État souverain restant, dans le rĂŽle d’arbitre des relations internationales[488] - [489].

Pour l’auteur, il y a lieu d’accĂ©lĂ©rer l’effacement du concept juridique de souverainetĂ© qui constitue en dĂ©finitive le socle de la raison d’État et se trouve Ă  l’origine des conflits et guerres : « pour interrompre cet Ă©ternel retour, il est nĂ©cessaire de dĂ©monter et d’annihiler la souverainetĂ© et la raison d’État, des effets lĂ©taux desquelles l’Histoire universelle forme la triste preuve »[341]. Si le remplacement de l’égoĂŻsme du prince (la raison dynastique : Ă©goĂŻsme individuel) par celui d’État (la raison d’État : Ă©goĂŻsme collectif) a signifiĂ© un pas en direction d’une rationalisation des relations internationales, il reste nĂ©cessaire de rationaliser plus avant encore en Ă©liminant tout Ă©goĂŻsme fauteur de conflits dans les relations internationales. Pour FernĂĄndez de la Mora donc, la disparition de concepts tels que souverainetĂ© et raison d’État, et la crise de la sacralitĂ© de l’État vont dans le sens de la rationalisation politique[490] - [341] - [491].

Il s’agira ensuite de remplacer la raison d’État par une raison autre, savoir : la raison d’HumanitĂ©, valant pour tous les individus de l’espĂšce humaine, et que sous-tendrait un ordre juridique englobant — en phase avec l’unitĂ© du genre humain, et en opposition Ă  l’artificialitĂ© des divisions Ă©tatiques — l’ensemble des hommes et s’efforçant de servir un authentique bien commun par-dessus les Ă©goĂŻsmes, que ceux-ci soient individuels ou nationaux. Cet ordre nouveau s’attacherait Ă  dissoudre l’État-nation moderne en faveur d’un super-État regroupant l’humanitĂ© entiĂšre sous son bouclier juridique. L’espĂšce humaine s’achemine d’une façon de plus en plus dĂ©terminĂ©e vers une organisation politique commune, au sein de laquelle les diffĂ©rences culturelles et nationales caractĂ©risant les États classiques se dilueraient au profit de ce que les hommes possĂšdent en commun. L’organisation politique de l’avenir sera, prĂ©dit l’auteur, un super-État unitaire mondial, une communautĂ© juridique qui, par rĂ©fĂ©rence Ă  un droit en commun, serait Ă  mĂȘme d’écarter toute possibilitĂ© de conflit[492] - [493] - [494].

En attendant, trois aspects distinguent le nouveau super-État europĂ©en de l’État moderne : d’avoir renoncĂ© Ă  la territorialitĂ© ; de se soumettre Ă  un ordre juridique qui, Ă  la suite de la dissolution du concept de souverainetĂ©, ne peut plus se concevoir dans le cadre Ă©tatique ; enfin, de ne plus laisser de place aux nationalismes par suite du processus de rationalisation et dans le contexte de la crise gĂ©nĂ©rale des idĂ©ologies. Du reste, la nationalitĂ© europĂ©enne est appelĂ©e Ă  revĂȘtir une signification juridique plutĂŽt que sociologique[495] - [496] - [497].

FernĂĄndez de la Mora Ă©met l'hypothĂšse que le nationalisme finira par ĂȘtre supplantĂ© par le cosmopolitisme[498], qui ne cesse de gagner des adeptes. Sous l’effet des unions transnationales, des institutions sont mises en place qui induisent un dĂ©passement des nationalismes[499]. Le nationalisme, non seulement porte une forte charge idĂ©ologique, mais est aussi « la derniĂšre tranchĂ©e des idĂ©ologues »[500], voire fait figure de justification de plusieurs idĂ©ologies. À l’égal des idĂ©ologies, il est la crĂ©ature d’une Ă©lite et sert, aprĂšs inculturation d’un Ă©goĂŻsme collectif, Ă  lĂ©gitimer ses intĂ©rĂȘts subreptices et ses ambitions de classe. Aucune nation jamais n’a Ă©tĂ© constituĂ©e et façonnĂ©e en dehors d’une Ă©lite, laquelle par la suite convertit le nationalisme culturel en un nationalisme politique. La nation culturelle est un Ă©lĂ©ment de socialisation et d’inclusion, dont l’aboutissement ultime sera la nation totale, mondiale, c’est-Ă -dire humaine. La transposition du nationalisme culturel en nationalisme politique, c’est-Ă -dire la conversion d’un fait culturel en rĂ©alitĂ© politique, rĂ©pond en revanche Ă  la volontĂ© d’instrumentaliser ces aspirations[501] - [502], en l’espĂšce par le truchement du principe des nationalitĂ©s, lequel porte qu’à chaque nation culturelle correspond un État. Ce principe, qui fait rĂ©fĂ©rence Ă  une rĂ©alitĂ© diffuse et artificielle, la nation, est exploitĂ© comme instrument juridique pour Ă©tayer les revendications de certaines Ă©lites, c’est-Ă -dire nourrit une idĂ©ologie[503] - [504]. Le caractĂšre idĂ©ologique et Ă©motif du nationalisme politique se dĂ©marque de la rationalitĂ© du projet cosmopolite. Le dĂ©passement des nationalismes par le cosmopolitisme Ă©quivaut Ă  une rationalisation de l’existence humaine et Ă  une victoire de la raison face Ă  l’émotivitĂ© idĂ©ologique[505] - [506]. Plus tard pourtant, FernĂĄndez de la Mora cessera de croire en la possibilitĂ© d’un cosmopolitisme intĂ©gral[507] - [508], et en viendra Ă  postuler l’avĂšnement d’une sĂ©rie de super-États capables d’unifier l’excessif plurivers, mais tout en mĂ©nageant une certaine pluralitĂ© d’espaces. La pensĂ©e de FernĂĄndez de la Mora ne prĂŽne donc plus une unitĂ© totale du monde incarnĂ©e dans un super-État ayant sous sa tutelle tous les citoyens de la terre[509] - [510].

FernĂĄndez de la Mora prĂ©dit la fin prochaine de l’État lui-mĂȘme, destinĂ© Ă  succomber, en raison de certains traits irrationnels, au processus de rationalisation[332]. Le cosmopolitisme croissant, les tensions centrifuges et centripĂštes dont il est victime, le dĂ©clin de la souverainetĂ© devenue fiction dans la plupart des cas, sont autant de signes de la dissolution de l’État, fait qui ne pourra que rĂ©duire la violence et les conflits entre les ĂȘtres humains et rĂ©duire le rĂŽle des Ă©motions dans la vie collective ; si l’auteur admet que l’organisation en États souverains a certes pu en leur temps reprĂ©senter une rationalisation de la violence spĂ©cifique, il incline dĂ©sormais Ă  structurer la vie en commun selon d’autres concepts et sous forme de structures politiques non Ă©tatiques, en accord avec une conception du bien commun affranchie de l’État-nation[511] - [512] - [513].

Monarchie et projet d’État pour l’Espagne

FernĂĄndez de la Mora marque clairement sa prĂ©fĂ©rence pour le rĂ©gime monarchique, sous l’influence dĂ©cisive de l’ouvrage de LĂłpez-Amo, El poder polĂ­tico y la libertad (sous-titrĂ© La monarquĂ­a de la reforma social), ainsi que des thĂ©ories de Lorenz von Stein, pour qui la monarchie est un rĂ©gime prĂ©fĂ©rable, parce qu’elle se place au-dessus des groupes sociaux en lutte et que le monarque, n’appartenant Ă  aucun de ces groupes, peut exercer un rĂŽle d’arbitre et de compensation[514] - [515]. « La monarchie me plaĂźt, car c’est une configuration constitutionnelle concrĂšte, qui, dans les circonstances actuelles, apparaĂźt la plus appropriĂ©e pour assurer le bien commun des Espagnols », dĂ©clare-t-il. La monarchie est apte Ă  rĂ©aliser la rationalisation de la politique, l’auteur soulignant toutefois l’« importance de la continuation du gouvernement personnel moyennant le plĂ©biscite comme formule dĂ©sidĂ©ologisĂ©e »[452]. Cependant, l’institution monarchique ne peut en soi garantir un fonctionnement politique optimal ; seule reste valable en tout Ă©tat de cause la nĂ©cessitĂ© d’évaluer tel État particulier sur des critĂšres instrumentaux et techniques[516] - [515].

Pour ce qui concerne l’Espagne, FernĂĄndez de la Mora estime que la monarchie convient mieux que la rĂ©publique, arguant que les deux expĂ©riences rĂ©publicaines historiques ont dĂ©montrĂ© que la rĂ©publique est un rĂ©gime incapable de maintenir l’ordre en Espagne[517] - [518] - [519]. Il construit son projet d’État pour l’Espagne selon six axes doctrinaux, Ă  savoir :

  • diffusion et mise au point du raisonnalisme comme construction philosophique et expĂ©rience de vie ;
  • revendication de l’expĂ©rience historique de l’Espagne de Franco, l’auteur rĂ©clamant la reconnaissance de ses rĂ©ussites au point de vue du dĂ©veloppement Ă©conomique, de l’intĂ©gration et de la convergence europĂ©ennes, et de ses avancĂ©es en matiĂšre de politique sociale et d’unitĂ© politique et culturelle de l’Espagne ;
  • critique de l’actuel rĂ©gime politique en raison de la reprĂ©sentativitĂ© dĂ©fectueuse de la particratie dominante et de l’Ɠuvre dislocatrice des nationalismes pĂ©riphĂ©riques ;
  • proposition d’alternatives politiques organicistes et humanistes comme garanties de meilleur fonctionnement et de meilleure reprĂ©sentativitĂ© ;
  • dĂ©fense du paradigme libĂ©ral-dĂ©mocrate face aux menaces de la gauche populiste, nationaliste et interventionniste ;
  • conception d’un nouveau type d’État pour le XXIe siĂšcle, caractĂ©risĂ© par la technification, la dĂ©politisation, la dĂ©centralisation, la libĂ©ralisation et la dĂ©mocratie directe[520].

Notion de progrùs et sens de l’histoire

FernĂĄndez de la Mora affirme que la raison est non seulement le produit de la nature, mais encore qu’elle en est le fer de lance, l’avant-garde de sa perfection et son instrument suprĂȘme. Les changements naturels sont des Ă©tapes conduites par la nature pour permettre l’apparition de son produit ultime, la raison. Les Ɠuvres de la raison sont donc celles de la nature, et dĂ©velopper l’exercice de la raison humaine Ă©quivaut Ă  perfectionner la nature[521] - [209].

La notion de progrĂšs est intimement liĂ©e Ă  la marche de la raison et Ă  la rationalisation. Pour FernĂĄndez de la Mora, le progrĂšs dĂ©pend du choix originel d’une valeur et de la structuration de l’existence humaine autour de celle-ci. Il y a aura progrĂšs ou rĂ©gression suivant qu’il y aura ou non avancĂ©e dans la rĂ©alisation et l’épuration de cette valeur. La question du but final de l’homme dĂ©termine le progrĂšs ou la rĂ©gression et juge l’histoire en cours soit comme l’accomplissement de la finalitĂ© qui est le propre de l’homme, soit au contraire comme une dĂ©viation par rapport Ă  elle. Le progrĂšs s’inscrit ainsi dans un cadre tĂ©lĂ©ologique dĂ©fini par le choix d’une valeur-matrice servant de critĂšre pour toute Ă©valuation ultĂ©rieure. Pour FernĂĄndez de la Mora, cet idĂ©al de valeur est la rationalitĂ© et son processus d’expansion la rationalisation, et c’est dans la mesure oĂč l’existence humaine chemine dans une direction rationalisatrice qu’il y a progrĂšs. L’auteur admet que rattacher la notion de progrĂšs au concept de raison et Ă  ses dĂ©rivĂ©s, rationalitĂ© et rationalisation, constitue un jugement de valeur[522] - [523].

L’histoire pour FernĂĄndez de la Mora n’est pas pure temporalitĂ©, mais une succession de changements et de progrĂšs rationnels dont l’homme est l’acteur. L’histoire, procĂ©dant de l’inachĂšvement de l’homme, est le processus d’autodomestication et de maĂźtrise des circonstances extĂ©rieures, et donc assimilable au processus de rationalisation[524] - [525] - [526]. L’histoire humaine est celle de l’extension de la raison vers des domaines de plus en plus larges de la rĂ©alitĂ© ; le moteur de l’histoire est donc la rationalisation. Au cours de ce processus d’adaptation, la raison accumule des produits rationnels, de nature culturelle et technique, qui d’une part permettent Ă  l’homme de perfectionner ses capacitĂ©s, et d’autre part rĂ©alise aussi une adaptation Ă  l’intĂ©rieur mĂȘme de l’homme, qui le rapproche d’un exercice « plus rationnel » de la raison, celle-ci non seulement Ă©purant les produits de l’homme, souvent appuyĂ©s davantage sur l’émotion que sur un ajustement Ă  l’ĂȘtre des choses, mais encore hissant son propre esprit Ă  des stades supĂ©rieurs d’humanitĂ© ; l’histoire se constitue donc en un passage du mythe au logos[527] - [528] - [529]. L’auteur avance les arguments suivants pour justifier le choix de la raison comme valeur-matrice : elle est le grand instrument de l’homme pour accroĂźtre sa capacitĂ© d’adaptation ; elle est Ă©thiquement supĂ©rieure en ce qu’elle permet de rĂ©aliser le bien pour l’espĂšce ; et le dĂ©veloppement de la raison est, du point de vue pragmatique, le meilleur moyen pour l’homme de s'ajuster Ă  son environnement de vie et de mieux le dominer[530] - [531].

La rationalisation se reflĂšte dans les relations de chaque individu avec diverses instances : d’abord avec sa propre intĂ©rioritĂ©, oĂč la rationalitĂ© prend la forme d’un processus d’autodomestication au moyen des produits de la raison ; ensuite, avec les circonstances qui l’entourent, oĂč interviennent les savoirs (la culture) et les moyens pour agir dans la rĂ©alitĂ© (la technique) ; enfin, avec les autres hommes, c’est-Ă -dire la dimension de la cohabitation ou de la politique, oĂč rationalisation signifie ordre et justice[532].

Dans la vision de FernĂĄndez de la Mora, la culture est le dĂ©positaire historique du processus de rationalisation, qui se traduit par une autodomestication croissante et une transformation de l’esprit par l’exercice de la raison[533]. La culture est le patrimoine accumulĂ© des connaissances et des produits que l’homme s’est acquis grĂące Ă  l’exercice de sa raison. Elle n’est pas quelque chose d’achevĂ©, mais s’élargit Ă  mesure que l’homme augmente, par l’exercice de la raison, le nombre de ses produits rationnels, qui viennent s’incorporer dans son fonds culturel[534]. Comme prĂ©cipitĂ© rationnel, la culture agit comme un facteur humanisant qui Ă©loigne l’homme de la condition sauvage ou naturelle[535] - [536]. Pour jauger les changements culturels, l’important est d’examiner si les nouvelles idĂ©es qui modifient la vision du monde et par lĂ  impriment une autre direction aux actions humaines, ont un contenu rationnel plus important que les antĂ©rieures. Le changement culturel progressiste, c’est-Ă -dire rationalisant, peut par la suite subir des rĂ©gressions, lorsqu’à certaines idĂ©es s’en substituent d’autres Ă  teneur rationnelle moindre, ce qui correspond Ă  un changement rĂ©gressif ou involutif[537] - [538] - [539].

Sur le plan politique, le sens de l’histoire, en tant que processus de rationalisation, implique notamment le dĂ©clin de la potestad (puissance publique) au profit de l’autoritĂ©, pour arriver Ă  une situation oĂč l’autoritĂ© est dorĂ©navant le fondement de la potestad, ce qui revient Ă  faire passer le « commandement aux capables », soit l’instauration d’une mĂ©ritocratie. La violence d’État, la potestad, demeure certes intacte, mais sa titularitĂ© dĂ©pendra de plus en plus de facteurs rationnels[540] - [541].

Une autre victime de la rationalisation et de la marche de l’histoire est le nationalisme politique, dont le caractĂšre idĂ©ologique et Ă©motif contraste avec la rationalitĂ© qui prĂ©side au projet cosmopolite. Le dĂ©passement des nationalismes par le cosmopolitisme signifie une victoire de la raison face Ă  l’émotivitĂ© idĂ©ologique et apporte un indice de plus de la rationalisation de l’existence humaine[505] - [506]. Dans le mĂȘme sens, les religions se sont retranchĂ©es dans l’intimitĂ© de la conscience individuelle et perdent de leur pertinence publique, et l’éthique dĂ©rivĂ©e d’un systĂšme religieux a cessĂ© de servir Ă  fonder dans le discours public tel ou tel positionnement[542] - [543]. Ce qui relĂšve de l’opinion ou qui est accidentel (les idĂ©ologies) tend Ă  disparaĂźtre ou se dĂ©valorise, pendant que la science et ses productions sont revalorisĂ©es[544].

La rationalisation croissante de l’existence humaine semble donc prĂ©supposer une tĂ©lĂ©ologie dont l’aboutissement serait l’avĂšnement de l’homme comme ĂȘtre pleinement rationnel, point d’arrivĂ©e du parcours historique. Pourtant, pour FernĂĄndez de la Mora, la nature du moteur de l’histoire n’autorise pas Ă  prophĂ©tiser un tel terme, compte tenu de l’irrĂ©ductibilitĂ© des conflits d’intĂ©rĂȘts et l’impossibilitĂ© d’assouvir jamais la capacitĂ© de dĂ©sir de l’homme sans qu’ensuite s’ouvrent fatalement de nouvelles possibilitĂ©s et qu’augmente le nombre des intĂ©rĂȘts en jeu[545] - [546]. D’autre part, la systĂ©matisation des connaissances sous l’égide de la science vient seulement de commencer et le terme n’en est pas prĂ©visible. La raison n’étant pas en mesure d’opĂ©rer une rationalisation pleine et entiĂšre de l’existence, une synthĂšse finale qui marquerait la fin de l'histoire n’est pas raisonnablement envisageable. La science, produit inachevĂ©, est toujours en mouvement. Par l’infinie complexitĂ© du rĂ©el ainsi que par la nĂ©cessitĂ© pour la raison de progresser dialectiquement, la science est un travail toujours rĂ©current qui, pratiquant la critique et la rĂ©vision permanentes, ne tient jamais ses produits pour achevĂ©s. En rĂ©alitĂ©, loin d’achever l’histoire ou de la ralentir, la science et la raison la font s'accĂ©lĂ©rer[547].

Pour FernĂĄndez de la Mora, ce qui se passe sous nos yeux est l’enfance de la raison, et rien, eu Ă©gard aux inconnues qui continuent d’assaillir l’ĂȘtre humain, ne permet de proclamer la fin de l’histoire. Il n’y a pas, contrairement Ă  ce que clame Fukuyama, de consensus fondamental sur l’idĂ©e de sociĂ©tĂ© et sur l’éthique, avec un État libĂ©ral dĂ©mocratique comme perspective prĂ©fĂ©rentielle universelle. Il reste un abĂźme entre d’une part les produits naturels et la libertĂ©, et d’autre part la nĂ©cessitĂ© de moralisation des produits d’une raison qui, pour s’ĂȘtre incarnĂ©e, se trouve sujette encore Ă  de fortes doses d’irrationalitĂ© ; l’histoire n’est autre que le terrain de confrontation de ces Ă©lĂ©ments. L’homme, de par sa nature de rationalitĂ© incarnĂ©e, peut s’approcher des stades rationnels et tendre vers une autorĂ©gulation de ses pulsions les plus Ă©lĂ©mentaires, mais ces pulsions ne seront jamais tout Ă  fait jugulables[548].

Religion et tradition

Sans nier la dimension indubitablement communautaire de la religion, FernĂĄndez de la Mora considĂšre que le religieux est fondamentalement une catĂ©gorie individuelle, juge fausse la prĂ©Ă©minence publique du religieux[549], et estime que ceux qui dĂ©fendent certains prĂ©ceptes Ă©thiques prescrits par une religion commettent l’erreur d’imaginer que ces prĂ©ceptes se rapportant au comportement individuel puissent jamais se convertir en une idĂ©ologie prenant appui sur une idĂ©e irrĂ©fragable du bien commun. Les idĂ©ologies qui font appel Ă  telle ou telle religion comme cadre structurant de leur programme politique perdent de vue que les religions sont neutres Ă  l’égard de la plupart des questions politiques[550]. L’auteur soutient la libertĂ© de conscience et la neutralitĂ© religieuse du pouvoir, et s’oppose Ă  tout traitement de faveur accordĂ© Ă  une religion sous la forme de la confessionalitĂ© de l’État[551] - [552]. La sĂ©paration des sphĂšres Ă©tatique et ecclĂ©siastique, point dĂ©terminant de la modernisation politique, ayant dĂ©terminĂ© la « [perte de] sens des idĂ©ologies qui en rĂ©fĂšrent au divin », l’auteur recommande la neutralitĂ© de l’État en matiĂšre de foi et fustige au passage l’opportunisme des dĂ©mocrates chrĂ©tiens sous le franquisme. Les idĂ©ologies confessionnelles, qu’elles soient progressistes ou traditionalistes, ne sont pas « les rĂ©sultantes, mais les parasites de la religion »[553] - [554]. En dĂ©pit de ses convictions religieuses (catholiques), la pensĂ©e politique de l’auteur n’apparaĂźt donc pas façonnĂ©e par la religion, et son agnosticisme politique le porte Ă  rejeter toute forme de confessionnalisme politique, sa conception rationnelle, laĂŻque et moderne de l’État Ă©tant incompatible avec quelque forme de clĂ©ricalisme politique ou juridique que ce soit[555].

La tradition en revanche garde, pour FernĂĄndez de la Mora, une certaine lĂ©gitimitĂ©, car elle est constituĂ©e d’un dĂ©pĂŽt d’accomplissements et d’us et coutumes rationnels ayant passĂ© le rigoureux examen du temps, lors mĂȘme que les progrĂšs dialectiques de la raison autorisent de la mettre entre parenthĂšses. La mĂ©thode conservatrice, juge l’auteur, consiste Ă  avancer sans dĂ©truire ce qui a prĂ©cĂ©dĂ©, mais Ă  l’amĂ©liorer, Ă  la diffĂ©rence de la mĂ©thode rĂ©volutionnaire qui jongle avec des entitĂ©s idĂ©ales qui sont davantage le produit d’un choix que d’un ajustement au rĂ©el, comme l’est la tradition[556] - [557] - [558]. Plus lĂ©gitime que le suffrage universel du systĂšme dĂ©mocratique, la tradition, hĂ©ritiĂšre de culture et de rationalitĂ©, reprĂ©sente le suffrage universel des gĂ©nĂ©rations passĂ©es, lequel « comme tous [les suffrages], n’est pas infaillible ; mais il a sur celui en cours actuellement les avantages de possĂ©der un corps Ă©lectoral beaucoup plus nombreux et, surtout, de comporter une longue chaĂźne de ratifications et de perfectionnements successifs »[559] - [560]. Cependant, il ne saurait ĂȘtre question d’un traditionalisme Ă  proprement parler chez FernĂĄndez de la Mora, attendu que chez lui la tradition est une rĂ©alitĂ© toujours dynamique et changeante[559].

Critique de la Transition démocratique

FernĂĄndez de la Mora argue que la dĂ©nommĂ©e transition politique n’était pas une exigence populaire, mais une dĂ©cision de la classe politique espagnole, appuyĂ©e par des puissances Ă©trangĂšres, dans le seul dessein d’affaiblir suffisamment l’État que pour coloniser Ă©conomiquement l’Espagne et mettre en marche un processus de dĂ©mantĂšlement industriel concomitamment Ă  l’intĂ©gration dans la CEE[561] - [562]. Les artisans de la transition avaient pour objectif de mettre Ă  bas l’État franquiste, qui avait Ă©tĂ©, dans l’opinion de l’auteur, un modĂšle de dĂ©veloppement Ă©conomique[563]. Le changement politique rĂ©alisĂ© en Espagne Ă  partir de 1975 fut Ă©bauchĂ© de l’intĂ©rieur du pays, par les soins de la Monarchie, Ă  laquelle l’auteur entend rappeler que son rĂ©tablissement est l’aboutissement d’un rĂ©gime s’appuyant sur l’autoritĂ© personnelle du gĂ©nĂ©ral Franco, encore que celui-ci ne l’ait pas restaurĂ©e dans le sens politique souhaitĂ© par les franquistes[564].

ParallĂšlement, les socialistes espagnols rĂ©ussirent Ă  insuffler un complexe d’infĂ©rioritĂ© dans les droites, conduisant Ă  une situation oĂč n’existent plus en Espagne que le centre, la gauche, et l’extrĂȘme gauche, et donc plus de droite, situation que l’auteur qualifie d’« hĂ©miplĂ©gie politique »[565] - [351]. En effet, une campagne injurieuse avait Ă©tĂ© lancĂ©e par le pouvoir en place par le biais des mĂ©dias de masse, campagne basĂ©e entre autres sur le slogan publicitaire portant en substance que « la droite est immobiliste », pour faire accroire que ceux parmi les anciens ministres de Franco, qui avaient ƓuvrĂ© pour le progrĂšs de l’Espagne, la faisant passer du sous-dĂ©veloppement agraire Ă  l’industrialisation, Ă©taient immobilistes[566] - [567].

En particulier, FernĂĄndez de la Mora est fort critique envers le titre VIII de la Constitution, l’État des autonomies, raison fondamentale de son vote contre ladite Constitution[563] et l’un des aspects qu’il critique le plus vivement, l’attribuant Ă  une falsification de la volontĂ© nationale[568] - [569]. Il fut l’un des premiers parlementaires Ă  critiquer, dĂšs l’étĂ© 1979, la gĂ©nĂ©ralisation du processus d’autonomie rĂ©gionale, pointant notamment que lors de la transition l’on veilla Ă  ne pas utiliser le concept de « Nation espagnole », pour lui substituer d’autres concepts tels que « État », « pays », etc. D’un État unitaire et national qu’elle Ă©tait avant le Cambio, l’Espagne est ainsi devenue, par les soins des constituants, un État plurinational, assemblage d’autonomies rĂ©gionales[570] - [571] - [572]. Ce projet d’État Ă  autonomies rĂ©gionales a provoquĂ© selon l’auteur une hausse des dĂ©penses publiques (par suite de la mise en place des entitĂ©s autonomes, avec des centaines de postes de ministre et de directeurs gĂ©nĂ©raux, et prĂšs de deux dizaines de parlements rĂ©gionaux, assortis d’un plĂ©thorique appareil administratif) et, au lieu de corriger les dĂ©sĂ©quilibres et les tensions rĂ©gionales, les a au contraire exacerbĂ©es lĂ  oĂč elles existaient Ă  peine et les a semĂ©es lĂ  oĂč elles Ă©taient inexistantes. DĂšs 1979, l’auteur affirmait que la conflictualitĂ© rĂ©gionale avait pris une ampleur sans prĂ©cĂ©dent dans le siĂšcle et que l’unitĂ© de l’Espagne s’en trouvait menacĂ©e, ce qui constitue une accusation des plus graves pour la droite post-franquiste. Il s’ensuit que sur ce chapitre de la dĂ©centralisation de l’État, FernĂĄndez de la Mora ne partageait pas l’opinion de son maĂźtre Ă  penser Ortega y Gasset[573] - [574] - [575].

Si l’on y ajoute cette autre caractĂ©ristique de la transition qu’est, selon l’auteur, la piĂštre qualitĂ© de la minoritĂ© dirigeante[566] - [569], l’ensemble du processus eut pour consĂ©quence qu’à partir de 1980 l’Espagne est en dĂ©crĂ©pitude et dans une crise constante. Il n’y a plus dĂ©sormais d’idĂ©al ou de destin communs, par quoi le pessimisme et le dĂ©sespoir se rĂ©pandent[576] - [409].

FernĂĄndez de la Mora idĂ©ologue parmi d’autres ?

À la parution d’El crepĂșsculo de las ideologĂ­as, FernĂĄndez de la Mora fut accusĂ© de n’ĂȘtre qu’un idĂ©ologue de plus et son ouvrage interprĂ©tĂ© sous un angle idĂ©ologique, soit comme une nouvelle lĂ©gitimation du rĂ©gime de Franco, soit comme l’apologie d’un courant politique particulier, la technocratie, certains auteurs taxant FernĂĄndez de la Mora d’« idĂ©ologue de la technocratie », soit encore comme un rĂ©quisitoire contre le traditionalisme politique et culturel, s’appuyant sur des thĂšses proches du positivisme et de philosophies antireligieuses. La plupart des attaques venaient des colonnes de la revue Cuadernos para el diĂĄlogo, oĂč pour certains contributeurs, le livre n’était que l’Ɠuvre d’un idĂ©ologue intĂ©griste, tandis que pour d’autres, il Ă©tait la bible de la technocratie, ou pire, du « despotisme Ă©clairĂ© »[577]. Tel commentateur considĂ©rait que l’ouvrage de FernĂĄndez de la Mora s’appuyait sur une posture Ă©motionnelle de plus, et tel autre estimait que l’auteur Ă©tait un « politicien enivrĂ© de logos », plus dangereux encore que ceux enivrĂ©s par le pathos, les idĂ©ologues[578]. Tel dĂ©tracteur tenait que la critique des idĂ©ologies par FernĂĄndez de la Mora Ă©tait guidĂ©e par une incontestable intention politique, et que le livre Ă©tait, en derniĂšre analyse, l’Ɠuvre d’un idĂ©ologue[579] - [580]. Pablo Lucas VerdĂș argumenta qu’une critique des idĂ©ologies politiques faite par un nĂ©o-conservateur Ă©tait tout sauf de la science et n’en respectait aucune des caractĂ©ristiques, Ă  savoir : objectivitĂ©, gĂ©nĂ©ralitĂ© et impartialitĂ©[581]. Plus tard, l’historien Juan Pablo Fusi affirma que les « immobilistes » (par opposition aux « aperturistes », qui s’efforçaient de rĂ©former le franquisme de l’intĂ©rieur dans les derniĂšres annĂ©es de celui-ci) avaient trouvĂ© « leur philosophe en la personne de Gonzalo FernĂĄndez de la Mora »[582] - [note 2].

Pour l’auteur lui-mĂȘme, cette accusation d’idĂ©ologisme est une pĂ©tition de principe portĂ©e par une vision « pan-idĂ©ologiste » inappropriĂ©e[583]. Sans doute El crepĂșsculo de las ideologĂ­as est-il Ă  considĂ©rer, non comme un ouvrage simplement de conjoncture, fruit de quelque opportunisme politique, mais comme le point de dĂ©part, ou mieux, comme une synthĂšse anticipĂ©e de la pensĂ©e de FernĂĄndez de la Mora en matiĂšre de chose publique[584]. L’Ɠuvre de FernĂĄndez de la Mora comporte une philosophie cohĂ©rente sous-tendant ses principales thĂšses, qui sont de portĂ©e authentiquement politique. FernĂĄndez de la Mora Ă©tait un philosophe politique Ă  part entiĂšre, avec un fort penchant pour d’autres disciplines telles que la sociologie politique[585].

D’autre part, la thĂ©orie crĂ©pusculaire en particulier est strictement diffĂ©rente des thĂšses dĂ©fendues par les principaux auteurs en lesquels on a voulu voir des prĂ©curseurs. La thĂšse de FernĂĄndez de la Mora, beaucoup plus radicale que celle de ses prĂ©dĂ©cesseurs, et son analyse du phĂ©nomĂšne idĂ©ologique se clĂŽture sur un pronostic oĂč les idĂ©ologies sont vouĂ©es Ă  disparaĂźtre totalement, tandis que les autres thĂšses soit clament la fin de quelques idĂ©ologies et l’émergence d’autres, soit annoncent la fin de certain type d’idĂ©ologies, mais sans qu’aucune de ces autres thĂšses ne prĂ©dise l’avĂšnement d’une sociĂ©tĂ© post-idĂ©ologique, ou tout au plus un relatif relĂąchement des tensions idĂ©ologiques[586].

Notes et références

Notes

  1. FernĂĄndez de la Mora Ă©crit dans ses mĂ©moires : « Mon pĂšre Ă©tait de trĂšs vieille extraction castillane. Le gĂ©nĂ©ral Primo de Rivera, peu avant de faire son pronunciamiento en 1923, le plaça Ă  Barcelone, au poste d’auditeur, et c’est Ă  lui qu’il revint d’ĂȘtre le principal rĂ©dacteur du communiquĂ© qui fut proclamĂ© en Catalogne » RĂ­o arriba (1995), p. 15.
  2. Fusi prĂ©cise : « El crepĂșsculo de las ideologĂ­as et sa proposition d’un « État des Ɠuvres » devinrent le manifeste doctrinal de la fraction technocratique immobiliste rĂ©solu Ă  ce que l’exercice des droits politiques reste rĂ©servĂ© Ă  un groupe rĂ©duit de gestionnaires. [...] FernĂĄndez de la Mora part de l’analyse de la substitution progressive des plans techniques et Ă©conomiques aux idĂ©ologies dans les programmes de gouvernement des pays occidentaux. [...] Face Ă  l’« idĂ©ologue retors », il propose un « autre type de politique », l’« expert », le « technique », dont le bagage intellectuel « n’est pas une idĂ©ologie, mais une science ». [...] L’État doit en dĂ©finitive ĂȘtre « jugĂ© » sur ses rĂ©alisations, sur ses « Ɠuvres ». [...] Il apparaĂźt Ă©vident que la critique de FernĂĄndez de la Mora contre les idĂ©ologies se ramĂšne plutĂŽt Ă  la condamnation de certaines idĂ©ologies. Il s’agit, simplement, d’une tentative d’adaptation idĂ©ologique du rĂ©gime franquiste [...] ». Cf. J. P. Fusi (2001), p. 783.

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  117. C. Goñi Apesteguía (2011), p. 130-131.
  118. La dialéctica (1983), p. 131.
  119. C. Goñi Apesteguía (2011), p. 131.
  120. RazĂłn y malicia (1998), p. 259.
  121. RazĂłn y prejuicio (1992), p. 4.
  122. C. Goñi Apesteguía (2011), p. 126-128.
  123. El Estado de obras (1976), p. 126.
  124. C. Goñi Apesteguía (2011), p. 132-133.
  125. El crepĂșsculo de las ideologĂ­as (1986), p. 63.
  126. C. Goñi Apesteguía (2011), p. 133.
  127. C. Goñi Apesteguía (2011), p. 134.
  128. El crepĂșsculo de las ideologĂ­as (1986), p. 74.
  129. C. Goñi Apesteguía (2011), p. 138-139.
  130. El crepĂșsculo de las ideologĂ­as (1986), p. 165 etss.
  131. C. Goñi Apesteguía (2011), p. 133-134.
  132. El crepĂșsculo de las ideologĂ­as (1986), p. 153-154.
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  135. El crepĂșsculo de las ideologĂ­as (1986), p. 61.
  136. C. Goñi Apesteguía (2011), p. 142.
  137. RazĂłn y razonadores (1999), p. 5.
  138. C. Goñi Apesteguía (2011), p. 143.
  139. C. Goñi Apesteguía (2011), p. 145.
  140. El crepĂșsculo de las ideologĂ­as (1986), p. 68.
  141. Sobre lo irracional (1984), p. 266.
  142. C. Goñi Apesteguía (2011), p. 148.
  143. Las ideologĂ­as sin futuro (1991), p. 262.
  144. C. Goñi Apesteguía (2011), p. 149.
  145. El crepĂșsculo de las ideologĂ­as (1986), p. 76.
  146. C. Goñi Apesteguía (2011), p. 150-151.
  147. C. Goñi Apesteguía (2011), p. 151.
  148. C. Goñi Apesteguía (2011), p. 151-152.
  149. El crepĂșsculo de las ideologĂ­as (1986), p. 141.
  150. C. Goñi Apesteguía (2011), p. 152-153.
  151. El crepĂșsculo de las ideologĂ­as (1986), p. 99.
  152. Aristocratismo de la razĂłn (1993), p. 258.
  153. C. Goñi Apesteguía (2011), p. 232.
  154. Voir la réplique de Fernåndez de la Mora dans la revue Cuadernos para el diålogo, numéro 25, octobre 1965, p. 22, sous le titre Las ideologías.
  155. C. Goñi Apesteguía (2011), p. 213.
  156. C. Goñi Apesteguía (2011), p. 219.
  157. El crepĂșsculo de las ideologĂ­as (1986), p. 37.
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  162. C. Goñi Apesteguía (2011), p. 224.
  163. El crepĂșsculo de las ideologĂ­as (1986), p. 109.
  164. El Estado de nuestro tiempo (1974).
  165. La democracia antiliberal (1982).
  166. C. Goñi Apesteguía (2011), p. 224-225.
  167. S. FernĂĄndez Riquelme (2008), p. 463.
  168. El proceso de desideologizaciĂłn polĂ­tica (2000), p. 446-448.
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  171. S. FernĂĄndez Riquelme (2008), p. 603-604.
  172. La convergencia de las ideologĂ­as (1974).
  173. S. FernĂĄndez Riquelme (2008), p. 604.
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  175. S. FernĂĄndez Riquelme (2008), p. 642.
  176. El futuro y las formas polĂ­ticas (1964), p. 1 & 3.
  177. C. Goñi Apesteguía (2011), p. 233.
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  183. El crepĂșsculo de las ideologĂ­as (1986), p. 180 etss.
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  196. C. Goñi Apesteguía (2011), p. 257.
  197. El socialismo, a la zaga (1959).
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  199. El socialismo se volatiliza (1959).
  200. C. Goñi Apesteguía (2011), p. 259-260.
  201. El crepĂșsculo de las ideologĂ­as (1986), p. 109-110.
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  208. El crepĂșsculo de las ideologĂ­as (1986), p. 45.
  209. RazĂłn versus reacciĂłn (1984), p. 259.
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  216. C. Goñi Apesteguía (2011), p. 499-501.
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  218. RazĂłn y falibilidad (2000), p. 130.
  219. C. Goñi Apesteguía (2011), p. 502.
  220. C. Goñi Apesteguía (2011), p. 503.
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  236. El crepĂșsculo de las ideologĂ­as (1986), p. 51.
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  248. El nudismo de la razĂłn (1997), p. 257.
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  251. RazĂłn y Logomaquia (1995), p. 3.
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  253. C. Goñi Apesteguía (2011), p. 535-536.
  254. RazĂłn y coherencia (2000), p. 129.
  255. C. Goñi Apesteguía (2011), p. 538-540.
  256. RazĂłn versus reacciĂłn (1984), p. 259-260.
  257. RazĂłn y conservaciĂłn (1984), p. 386.
  258. C. Goñi Apesteguía (2011), p. 541.
  259. C. Goñi Apesteguía (2011), p. 546.
  260. El hombre en desazĂłn (1997), p. 256.
  261. C. Goñi Apesteguía (2011), p. 538.
  262. C. Goñi Apesteguía (2011), p. 547.
  263. Razonar y escribir (1988), p. 5.
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  270. C. Goñi Apesteguía (2011), p. 514-515.
  271. Sobre la felicidad (2001), p. 110.
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  273. Sobre la felicidad (2001), p. 113 & 172.
  274. C. Goñi Apesteguía (2011), p. 519-520.
  275. C. Goñi Apesteguía (2011), p. 522-523.
  276. C. Goñi Apesteguía (2011), p. 190.
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  278. C. Goñi Apesteguía (2011), p. 190-191.
  279. C. Goñi Apesteguía (2011), p. 191.
  280. C. Goñi Apesteguía (2011), p. 192-193.
  281. C. Goñi Apesteguía (2011), p. 193.
  282. Los mansos (1965).
  283. Versatilidad (1977).
  284. C. Goñi Apesteguía (2011), p. 196.
  285. Maeztu, razĂłn de la victoria (1974).
  286. C. Goñi Apesteguía (2011), p. 194-195.
  287. La minorĂ­a es la clave (1980).
  288. Sobre lo irracional (1984), p. 271.
  289. La razĂłn creadora (1997), p. 258.
  290. S. FernĂĄndez Riquelme (2008), p. 613-614.
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  299. RazĂłn y Ă©tica (2000), p. 257-258.
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Articles, opuscules, prĂ©faces, chapitres d’ouvrage collectif, etc.

Parmi les 377 articles de revue ou de presse signĂ©s de FernĂĄndez de la Mora, les 14 opuscules, les 116 Ă©tudes parues dans diverses publications, les douze prĂ©faces, les 106 notes dans la revue RazĂłn Española, et les chapitres d’ouvrages collectifs — Ă©crits qui, dans leur derniĂšre Ă©dition en date, totalisent prĂšs de 10 000 pages imprimĂ©es — mĂ©ritent plus particuliĂšrement mention :

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