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Présupposition

En linguistique la prĂ©supposition (ou prĂ©supposĂ©) est un type d'infĂ©rence pragmatique, c'est-Ă -dire une information qu'on peut tirer d'un Ă©noncĂ©. Une personne prĂ©suppose une information lorsqu'elle tient une information pour acquise. Par exemple, dans la phrase "Mon amie a arrĂȘtĂ© de fumer", on prĂ©suppose que l'amie a fumĂ© par le passĂ©; cette information est tenue pour acquise et n'a pas besoin d'ĂȘtre explicitĂ©e.

Le linguiste Oswald Ducrot parle de « prĂ©supposĂ© Â» pour l’information tenue pour acquise (<mon amie fumait auparavant>) et de « posĂ© Â» pour l’assertion principale (<mon amie a arrĂȘtĂ© de fumer>), remise en cause ou niĂ©e par la forme interrogative ou la nĂ©gation.

En général, une présupposition devrait faire partie de ce qu'on appelle le savoir partagé énonciatif. Il s'agit de l'ensemble des phrases qui ont été dites et acceptées par les interlocuteurs dans la conversation. Cependant, il arrive qu'une personne présuppose une information qui n'était pas connue de son interlocuteur et que son interlocuteur l'accepte sans y attirer l'attention. On parle alors d'accommodation.

La propriété la plus saillante des présuppositions est qu'un présupposé est préservé lorsque la phrase dans laquelle il se trouve est niée, interrogée, ou mise sous certaines conditions.

Contexte: parmi les autres types d'inférences

Un signe peut ĂȘtre naturel ou non naturel. Un signe non naturel peut ĂȘtre linguisitique ou non linguistique. Un signe linguistique peut avoir un sens conversationnel ou conventionnel. La seule infĂ©rence au sens conversationnelle est l'implicature conversationnelle. Les infĂ©rences au sens conventionnel sont les assertions et les prĂ©suppositions. Il existe deux types d'assertions: l'implication et l'implicature conventionnelle.
Schéma représentant la hiérarchie des types d'inférences, en partant du signe.

Une infĂ©rence est le terme gĂ©nĂ©rique utilisĂ© pour parler de n'importe quelle information retirĂ©e d'un Ă©noncĂ©. Les infĂ©rences sont catĂ©gorisĂ©es selon leur type de sens, soit le sens conventionnel ou le sens conversationnel. Les prĂ©suppositions entrent sous la catĂ©gorie du sens conventionnel, oĂč elles sont Ă  distinguer des assertions, des implications et des implicatures conventionnelles.

Sens conventionnel

Il s'agit du sens primaire, donc de la signification d'une proposition indĂ©pendamment de son contexte d’énonciation. Le sens conventionnel est rĂ©gi par des conventions linguistiques (grammaticales, lexicales, etc.) et non par des Ă©lĂ©ments contextuels. C’est ce qui relĂšve gĂ©nĂ©ralement de la sĂ©mantique.

Le sens conventionnel est divisĂ© en deux types d'infĂ©rences, c'est-Ă -dire les assertions et les prĂ©suppositions. Les assertions elles-mĂȘmes se subdivisent en deux catĂ©gories, les implications et les implicatures conventionnelles.

Assertion

C’est le thĂšme central de la phrase, autrement dit le contenu principal affirmĂ© par le locuteur.

Implication

Cela fait partie du sens littéral d'un énoncé; en bref, il s'agit de ce qui est impliqué par les mots d'une phrase[1], au sens commun du terme. Par exemple, « Annabelle possÚde un labrador » implique qu'Annabelle a un chien.

Implicature conventionnelle

C'est l'infĂ©rence qui dĂ©coule logiquement d’un Ă©noncĂ© et qui n'est pas le point principal de la phrase. Par exemple, « J’ai arrĂȘtĂ© de prendre le bus » implicite que je me dĂ©place maintenant autrement qu’en bus.

Sens conversationnel

Le sens conversationnel d'une proposition est secondaire; il varie en fonction de son contexte Ă©nonciatif. Ce dernier renvoie aux Ă©lĂ©ments non linguistiques de l’énoncĂ©, comme le contexte dans lequel l’énoncĂ© est prononcĂ© ou l’intention du locuteur, qui se manifeste par le choix des mots, les gestes, les intonations, etc. C’est ce qui relĂšve gĂ©nĂ©ralement de la pragmatique.

Implicature conversationnelle

C’est le sens non littĂ©ral ou implicite d’un Ă©noncĂ©, ce qu'on peut dĂ©duire par rapport au contexte mais qui ne peut ĂȘtre liĂ© au sens des mots dans un phrase. Par exemple, « Il fait froid tout Ă  coup! » peut impliciter que le locuteur dĂ©sire que son interlocuteur ferme la fenĂȘtre s'il regarde tour Ă  tour la fenĂȘtre et l’interlocuteur avec insistance. Les infĂ©rences du sens conventionnel et du sens conversationnel fournissent alors ensemble le sens complet d’un Ă©noncĂ©.

DĂ©finition

La prĂ©supposition est un type d'infĂ©rence conventionnelle, qui se distingue de l'assertion, qui fait partie du savoir partagĂ© Ă©nonciatif et qui peut donner lieu Ă  l'accommodation. Une prĂ©supposition sĂ©mantique, dans une conversation, est une information qui n’est pas dite, mais que le locuteur considĂšre comme connue de la part de son interlocuteur, ce qui ne l’oblige pas Ă  la spĂ©cifier. Autrement dit, une prĂ©supposition est une proposition secondaire implicite. Pour qu'un Ă©noncĂ© soit vrai, ses prĂ©suppositions doivent l’ĂȘtre aussi[1].

La caractéristique la plus saillante des présuppositions est qu'elle résiste à la négation. La définition formelle est donc:

« P présuppose Q si et seulement (i) si P est vrai, Q est vrai et (ii) si P est faux, Q est vrai [1]. »

Savoir partagé énonciatif

La prĂ©supposition doit faire partie de ce qu'on appelle le savoir partagĂ© Ă©nonciatif (informations d’arriĂšre-plan ou background). Celui-ci se dĂ©finit comme l’ensemble de toutes les propositions dĂ©jĂ  Ă©noncĂ©es et acceptĂ©es par deux personnes (ou plus) dans une conversation.

Par exemple, l’énoncĂ© « Marie a vu le frĂšre d'AndrĂ© Ă  la pharmacie aujourd’hui » laisse entendre que le savoir partagĂ© Ă©nonciatif des deux individus qui discutent contient au moins les propositions Ă©noncĂ©es et acceptĂ©es suivantes : « AndrĂ© a au moins un frĂšre » et « Marie a dĂ©jĂ  vu le frĂšre d'AndrĂ© (ce qui lui permet de le reconnaitre) ».

Accommodation

Il arrive qu'une proposition ne fasse pas partie du savoir partagĂ©, mais que l’interlocuteur accepte tout de mĂȘme l’information sans la relever dans la conversation. On parlera alors d’accommodation.

Par exemple, dans l’énoncĂ© « Marie a vu ton frĂšre Ă  la pharmacie aujourd’hui », la prĂ©supposition accommodĂ©e serait « Marie est allĂ©e Ă  la pharmacie aujourd’hui ».

Une présupposition qui ne se trouve pas dans le savoir partagé et qu'un locuteur refuse d'accommoder provoque une réponse ressemblant à « Quoi? Je ne savais pas que... ».

Types de présuppositions

Il existe plusieurs types de présuppositions, qu'on peut distinguer par les déclencheurs, soit le mot ou le groupe de mots qui déclenchent la présupposition.

Article défini

L’article dĂ©fini prĂ©suppose l’existence et l’unicitĂ© (∃) de l’entitĂ© en question, c’est-Ă -dire le fait que l’individu est unique parmi les possibilitĂ©s, donc qu’il existe un seul rĂ©fĂ©rent possible.

Par exemple, « J’ai rencontrĂ© le garçon au restaurant hier » prĂ©suppose que j’ai rencontrĂ© un garçon en particulier et que c’est de ce garçon seulement que je parle, pas d’un autre.

Les déterminants possessifs et les noms propres entrent également dans cette catégorie[2].

Phrases clivées

Une phrase clivĂ©e se dĂ©finit par l’encadrement de son sujet par « c’est...qui ». Le clivage sert Ă  introduire une information nouvelle qui prĂ©cisera l’énoncĂ© et qu’on appellera focus.

Dans l'exemple « C’est Marie qui a brisĂ© le crayon », la prĂ©supposition est quelqu’un a brisĂ© le crayon et le focus, l’information nouvelle, est Marie.

Verbes factifs

Un verbe factif est un verbe qui présuppose la réalité de son complément. Dans cette catégorie, on retrouve des verbes comme regretter, se réjouir, réaliser, savoir, etc[2].

Par exemple, lorsqu'on dit : « Je regrette d’avoir mangĂ© le dernier chocolat », cela prĂ©suppose qu’on a effectivement mangĂ© le chocolat.

Verbes comprenant une phase préparatoire

Certains verbes prĂ©supposent une action par leur structure indĂ©pendamment de leur usage dans la phrase et de leur contexte d’énonciation. La prĂ©supposition se rattache alors au sujet de l’action qui est dĂ©signĂ©e par le verbe de la phrase.

Par exemple, « J’ai gagnĂ© la compĂ©tition de danse de mon Ă©cole » prĂ©suppose que j’ai dĂ» participer Ă  la compĂ©tition de danse de mon Ă©cole avant de la gagner.

Tests pour différencier les types d'inférences

Tous les Ă©noncĂ©s permettent la dĂ©duction d’un certain nombre d’infĂ©rences qui appartiennent Ă  diffĂ©rentes classes (implicatures conversationnelles, implications, implicatures conventionnelles et prĂ©suppositions). Pour diffĂ©rencier les classes, on doit d’abord dĂ©gager des infĂ©rences possibles pour un Ă©noncĂ©.

Prenons pour exemple l'Ă©noncĂ© « John, qui est intelligent, a arrĂȘtĂ© de fumer ».

Voici une liste non exhaustive des infĂ©rences qui peuvent ĂȘtre tirĂ©es de cet Ă©noncĂ©:

  1. John fumait.
  2. John est intelligent.
  3. John ne fume plus.
  4. Il existe un homme nommé John.
  5. La personne qui parle trouve que les personnes qui fument ne sont pas intelligentes.

Test 1: différencier les implicatures conversationnelles des assertions

Il faut ajouter l'infĂ©rence niĂ©e Ă  la suite de l'Ă©noncĂ© dont on teste les infĂ©rences. Si l’énoncĂ© modifiĂ© est sĂ©mantiquement contradictoire, l’infĂ©rence testĂ©e est une assertion. Si l'Ă©noncĂ© modifiĂ© n'est pas sĂ©mantiquement contradictoire, il s'agit d'une implicature conversationnelle.

Reprenons l’exemple de John le fumeur mentionnĂ© plus haut.

ÉnoncĂ© de base: John, qui est intelligent, a arrĂȘtĂ© de fumer.

ÉnoncĂ© modifiĂ©: John, qui est intelligent, a arrĂȘtĂ© de fumer + [infĂ©rence testĂ©e nĂ©gativisĂ©e].

  1. John, qui est intelligent, a arrĂȘtĂ© de fumer, mais il ne fumait pas. Contradictoire: assertion
  2. John, qui est intelligent, a arrĂȘtĂ© de fumer, mais il n’est pas intelligent. Contradictoire: assertion
  3. John, qui est intelligent, a arrĂȘtĂ© de fumer, mais il fume encore. Contradictoire: assertion
  4. John, qui est intelligent, a arrĂȘtĂ© de fumer, mais John n’existe pas. Contradictoire: assertion
  5. John, qui est intelligent, a arrĂȘtĂ© de fumer, mais je trouve que les personnes qui fument sont intelligentes. Non contradictoire: implicature conversationnelle

Nous avons ici quatre inférences qui sont des assertions. Le prochain test permet de distinguer deux sous-types d'assertions: les implications et les informations secondaires.

Test 2: différencier les implications et les informations secondaires

Il faut tourner l’énoncĂ© testĂ© Ă  la nĂ©gative (il en rĂ©sulte un Ă©noncĂ© modifiĂ©). Si une infĂ©rence de l’énoncĂ© de base reste valide dans l’énoncĂ© modifiĂ©, il s’agit d’une information secondaire. Si l’infĂ©rence de l’énoncĂ© de base ne survit pas dans l'Ă©noncĂ© modifiĂ©, c’est-Ă -dire si elle vient la contredire sĂ©mantiquement, il s’agit alors de l’implication, le point principal.

ÉnoncĂ© de base: John, qui est intelligent, a arrĂȘtĂ© de fumer.

ÉnoncĂ© modifiĂ© : John, qui est intelligent, n’a pas arrĂȘtĂ© de fumer.

  1. John fumait. Encore valide: information secondaire
  2. John est intelligent. Encore valide: information secondaire
  3. John ne fume plus. DĂ©sormais faux: implication
  4. Il existe un homme nommé John. Encore valide: information secondaire
  5. Implicature conversationnelle.

L’information « John ne fume plus » est donc le point principal, l’implication de l’énoncĂ© de base. Un dernier test permet de distinguer les diffĂ©rents types d'informations secondaires: les implicatures conventionnelles et les prĂ©suppositions.

Test 3: différencier les implicatures conventionnelles et les présuppositions

Il faut se demander « Est-ce une information dĂ©jĂ  connue ? » pour toutes les informations secondaires, c'est-Ă -dire toutes les infĂ©rences qui n'ont pas dĂ©jĂ  Ă©tĂ© classĂ©es comme des implicatures conversationnelles ou des implications. Si la rĂ©ponse est non, il s’agit d’une implicature conventionnelle. Si oui, il s’agit d’une prĂ©supposition.

  1. John fumait. Information déjà connue: présupposition
  2. John est intelligent. Information nouvelle: implicature conventionnelle
  3. Implication.
  4. Il existe un homme nommé John. Information déjà connue: présupposition
  5. Implicature conversationnelle

L'Ă©noncĂ© de base "John, qui est intelligent, a arrĂȘtĂ© de fumer" possĂšde donc deux prĂ©suppositions: "John fumait" et "Il existe un homme nommĂ© John".

Propriétés

NĂ©gation

La prĂ©supposition et l’implication peuvent ĂȘtre confondues. Toutefois, elles divergent en des points importants.

Le cas de la nĂ©gation montre bien le caractĂšre distinct de l’implication et de la prĂ©supposition. En fait, l’implication d’une phrase ayant une nĂ©gation descriptive peut ĂȘtre annulĂ©e, alors que ce n’est pas le cas pour la prĂ©supposition.

Prenons ainsi la phrase (1), niée en (2). La phrase (1) implique nécessairement (a), mais la phrase 2 non; au contraire, les deux phrases présupposent (b).

(1) J'ai mangé le dernier chocolat.
(2) Je n'ai pas mangé le dernier chocolat.
(a) J'ai mangé du chocolat.
(b) Il y avait effectivement du chocolat Ă  manger.

Le seul cas oĂč la prĂ©supposition peut ĂȘtre annulĂ©e est celui des phrases ayant une nĂ©gation dite mĂ©talinguistique, Ă  savoir une nĂ©gation qui a une portĂ©e plus large que la nĂ©gation descriptive. Contrairement Ă  la nĂ©gation descriptive, la nĂ©gation mĂ©talinguistique n’est pas vĂ©riconditionnelle, c’est-Ă -dire qu’elle ne procĂšde pas en fonction de conditions de vĂ©ritĂ©. Seule une phrase ayant une prĂ©supposition vraie peut ĂȘtre dite vraie ou fausse (voir aussi P. F. Strawson[3]).

Par exemple, la phrase « Le prĂ©sident du QuĂ©bec est honnĂȘte » contient une prĂ©supposition fausse (il n’y a pas de prĂ©sident du QuĂ©bec) et ne peut donc pas ĂȘtre Ă©valuĂ©e comme Ă©tant vraie ou fausse.

Interrogation

Il est intéressant de voir que la structure interrogative apporte de nouvelles informations sur les présuppositions. Par exemple, les phrases interrogatives suivantes ont une présupposition inhérente.

(1) Quand reviens-tu du concert ? Présupposition : Tu es allé à un concert.
(2) Pour quelle raison es-tu triste ? Présupposition : Tu es triste.

La prĂ©supposition doit ĂȘtre en correspondance avec la question, sinon la phrase est agrammaticale. La nouvelle information qui est apportĂ©e est appelĂ©e « focus-prĂ©supposition[1] ». La rĂ©ponse partage ainsi avec la question la mĂȘme prĂ©supposition.

Analyse de Russell

Bertrand Russell, mathĂ©maticien, philosophe, logicien (et mĂȘme Ă©crivain moraliste), s’est intĂ©ressĂ© Ă  la prĂ©supposition, apprĂ©hendĂ©e dans le cadre d’une analyse formelle. En se fondant sur des postulats issus du logicisme et de l’atomisme logique (doctrines philosophiques), Russell analyse la notion de prĂ©supposition par rapport Ă  l’existence et Ă  l’unicitĂ© du sujet de la phrase, semblable Ă  la prĂ©supposition de l’article dĂ©fini[4]. Le but gĂ©nĂ©ral de l’analyse logique de Russell est d’aller au-delĂ  du langage naturel, puisqu’il considĂšre que l’essence du langage, qui est logique, est cachĂ©e sous l’apparence trompeuse de la forme grammaticale des propositions.

Russell fonde son analyse sur les relations qui existent entre les Ă©lĂ©ments contenus dans une mĂȘme proposition. Il dĂ©compose celle-ci en ses constituants ultimes, qu’il nomme les atomes, et qu’il identifie en trois sortes d’élĂ©ments : le particulier (le groupe sujet grammatical), le prĂ©dicat (le groupe verbal grammatical) et le connecteur logique[5] (propositionnel), ce dernier exprimant le type de relation qui existe entre le particulier et le prĂ©dicat. Il ajoute un autre Ă©lĂ©ment contenu dans la proposition, le quantificateur, qui quantifie le particulier de deux façons : soit en le rendant universel (pour tous les particuliers) ou en le rendant existentiel (il existe au moins un particulier)[4]. Par l’application de l’analyse logique au langage, Russell parvient Ă  rĂ©soudre certaines propositions ambigĂŒes et problĂ©matiques soulevĂ©es antĂ©rieurement et auxquelles on n’avait apportĂ© que peu ou pas de rĂ©ponses satisfaisantes.

Russell analyse entre autres l'exemple de la proposition L’actuel roi de France est chauve, puisqu’elle donne l’impression de n’avoir aucune signification[4]. En fait, elle semble affirmer d’une entitĂ© qu’elle existe alors qu’elle n’existe pas. Autrement dit, le sujet de la phrase semble avoir une rĂ©fĂ©rence dans le monde rĂ©el alors que ce n'est pas le cas. La phrase prĂ©suppose donc qu’il existe actuellement un roi de France, ce qui est faux, puis affirme qu’il n’y en a qu’un seul et qu’il est chauve. ExprimĂ©e dans le langage naturel, cette phrase apparaĂźt problĂ©matique, car il est difficile de dĂ©terminer si elle a une signification ou non, et le cas Ă©chĂ©ant, de dĂ©terminer si la phrase est vraie ou fausse. Une autre partie de la difficultĂ© rĂ©side dans le fait que l’élĂ©ment est chauve, identifiĂ© comme le prĂ©dicat, semble ĂȘtre intĂ©grĂ© dans le sujet L’actuel roi de France[6].

En rĂ©duisant la phrase Ă  sa structure logique et Ă©lĂ©mentaire, l’analyse russellienne rĂ©sout en partie le problĂšme en montrant que l’existence prĂ©supposĂ©e est induite par l’apparence trompeuse du langage ordinaire. D’abord, on brise la relation d’implication qui existe entre le sujet et le prĂ©dicat, qui donne la fausse impression que le prĂ©dicat est chauve est un Ă©lĂ©ment interne Ă  la dĂ©finition du sujet L’actuel roi de France. La rupture de la relation entre le sujet et le prĂ©dicat est une consĂ©quence de la dĂ©composition logique de la proposition en ses atomes. Celle-ci peut alors s’exprimer sous la forme logique d’une fonction propositionnelle[7] f(x), oĂč f est une fonction prĂ©dicative qui exprime une propriĂ©tĂ© Ă  propos d’un objet x (le sujet de la phrase), et oĂč x est un argument qui dĂ©signe un objet x particulier. On introduit ensuite un quantificateur existentiel dans la fonction, qui quantifie l’argument x en lui attribuant une existence et qui permet consĂ©quemment de rĂ©soudre l’ambiguĂŻtĂ© de la prĂ©supposition d’existence du sujet de la phrase[4].

Notons que le quantificateur existentiel dĂ©finit une relation Ă  l’intĂ©rieur mĂȘme de la proposition et qu’il doit ĂȘtre appliquĂ© en premier lieu de l’analyse logique, car c’est prĂ©cisĂ©ment lui qui permet de passer d’une simple fonction sans rĂ©fĂ©rence et dĂ©nuĂ©e de sens, Ă  une proposition complĂšte (ayant un sens ou une signification). C’est que le quantificateur, en rendant effective la prĂ©supposition d’existence du sujet de la phrase, offre par la mĂȘme au sujet une rĂ©fĂ©rence dont il Ă©tait auparavant dĂ©pourvu. La phrase peut alors ĂȘtre analysĂ©e correctement, permettant ainsi d’attribuer une valeur de vĂ©ritĂ© Ă  la proposition.

L’analyse de la phrase devient donc possible et permet d’obtenir les termes suivants : (1) il existe un x et un seul, tel que (2) x est l’actuel roi de France, et (3) x a la propriĂ©tĂ© f, c’est-Ă -dire celle d’ĂȘtre chauve. Par conjonction de ces termes, on constate que la phrase L’actuel roi de France est chauve est fausse puisque (1) est faux, et ce, parce qu’il n’existe pas d’actuel roi de France. Autrement dit, le sujet de la phrase dont l’existence est prĂ©supposĂ©e par la description dĂ©finie n’a pas de rĂ©fĂ©rence rĂ©elle[4].

Dans d'autres domaines

Plus généralement, une présupposition est une hypothÚse de départ : « La recherche scientifique se fonde sur des présuppositions ». On peut aussi la définir comme une supposition préalable, une hypothÚse non confirmée.

En rhétorique

En rhĂ©torique, ce procĂ©dĂ© peut ĂȘtre une forme de manipulation plus ou moins subtile, surtout sous forme de question. Par exemple, la question « Avez-vous arrĂȘtĂ© de battre votre femme ? » prĂ©suppose que l'interlocuteur battait sa femme. La langue française ne prĂ©voit pas de rĂ©ponse simple dans le cas contraire. Si l'interlocuteur ne battait pas sa femme, ou encore s'il n'a pas de femme, les deux rĂ©ponses standard Ă  ce qui semble une question fermĂ©e, « oui » et « non », sont inappropriĂ©es :

  • « oui » implique qu'il a une femme et qu'il la battait ;
  • « non » implique qu'il a une femme, qu'il la battait et qu'il continue de le faire.

Ainsi, la simple formulation de la question exclut une partie des situations possibles, mettant l'interlocuteur dans une situation inconfortable. Le mot Mu est une rĂ©ponse appropriĂ©e Ă  ce type de question. De tradition japonaise, ce concept est aujourd'hui Ă©galement rĂ©pandu en occident, occupant mĂȘme une place centrale dans le livre Gödel, Escher, Bach : Les Brins d'une Guirlande Éternelle rĂ©compensĂ© d'un Pulitzer. Cette diffusion occidentale reste cependant relativement confidentielle, loin d'ĂȘtre une pratique populaire, la plupart des locuteurs en ignore l'existence.

Notes et références

  1. Sandrine Zufferey et Jacques Moeschler, Initiation Ă  l'Ă©tude du sens : sĂ©mantique et pragmatique, Auxerre, France, Éditions Sciences humaines, , 253 p. (ISBN 978-2-36106-032-9)
  2. (en) Rob A. van der Sandt, Linguistic Presupposition A2 : Wright, James D., Amsterdam, Elsevier, (ISBN 978-0-08-097087-5, lire en ligne), p. 190–192
  3. (en) Peter Frederick Strawson, « On Referring », Mind, no 235,‎ , p. 320-344
  4. (en) Russell, B., « On Denoting », Mind, no 14(56),‎ , p. 479-493
  5. Les connecteurs (ou opĂ©rateurs) logiques ont d’abord Ă©tĂ© Ă©tablis et utilisĂ©s par Frege. Ce dernier limite toutefois leur utilisation Ă  des opĂ©rations entre les propositions, et non entre les Ă©lĂ©ments qui composent la proposition, tel qu’effectuĂ© par Russell.
  6. La distinction entre le sujet et le prĂ©dicat d’une proposition est redevable aux principes de logique d’Aristote. Russell, Ă  la suite de Frege, dĂ©veloppe la logique dite classique, Ă©troitement liĂ©e Ă  l’analyse logique du langage. Russell parvient notamment Ă  rĂ©soudre certains problĂšmes adressĂ©s Ă  la logique aristotĂ©licienne, dont celui-ci.
  7. C’est Frege qui introduisit le premier la fonction d’argument aux propositions sous la forme d’une fonction à un argument ou fonction monadique f(x).

Annexes

Articles connexes

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