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État-nation

Un État-nation est un type particulier d'État dans lequel les individus sont censés appartenir dans leur majorité à une même nation[1]. Il repose donc sur la coïncidence entre une notion d'ordre identitaire, l'appartenance à un groupe, la nation, et une notion d'ordre juridique, l'existence d'une forme de souveraineté et d'institutions politiques et administratives qui l'exercent, l'État. Sans cette coïncidence, on parlera plutôt d'un État multinational ou d'un Empire, deux modes d'organisation politique favorables à la coexistence de minorités ethniques[1].

Création d'un État-nation

Les spécialistes ont longtemps défini deux modèles de formation de l'État-nation, le français et l'allemand, mais cette perspective a été remise en cause au XXIème siècle ; elle est considérée comme eurocentrique, et réductrice[2].

Selon l'enseignement traditionnel, il y aurait deux modèles canoniques processus de création d'un État-nation[3]:

  • Dans certains pays (comme en France par exemple) la naissance de l'État a prĂ©cĂ©dĂ© celle de la Nation ; le sentiment nationaliste se dĂ©veloppe après la formation de l'Etat ;
  • Dans d'autres (celui de Allemagne et de l'Italie) le fait de se reconnaĂ®tre d'une mĂŞme nation, en particulier dans le cas d'une « nation ethnique » ou civique, et de manifester la volontĂ© de vivre ensemble, a prĂ©cĂ©dĂ© la naissance de l'État[4].

Dans les deux cas, il s'agit d'une lente création résultant de conjonction, sur la durée de plusieurs générations, de situations socio-économiques favorables et de prosélytismes politiques.

Exemple français

En France, l'État s'est construit progressivement, et à partir du Moyen Âge les rois de France ont étendu leur autorité sur un ensemble de plus en plus grand. Le développement du nationalisme s'est fait progressivement, et a clairement émergé au XVIIIe siècle (sans pour autant porter ce nom) dans la bourgeoisie, intellectuelle, commerçante et pré-industrielle, pour s'étendre progressivement à l'ensemble de la population (ou presque). La langue française est devenue la seule langue officielle après être devenue une langue véhiculaire d'imprimerie, stimulée par le fait qu'elle a été imposée dans les actes administratifs par l'ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539. Le nationalisme a été renforcé par le système politique démocratique, la création d'une école gratuite, laïque et obligatoire par Jules Ferry à la fin du XIXe siècle, l'instauration du service militaire, et entretenu par la création de divers symboles républicains, régulièrement mis en avant, comme le drapeau français, la Marianne et la Marseillaise.

Exemple allemand

L'histoire de l'Allemagne est considérée comme paradigmatique du deuxième cas de figure où la nation préexiste à l'Etat et finit par le créer[5].

La création de l'Etat-nation peut procéder par unification progressive, comme dans le cas de l'Allemagne et de l'Italie[6].

Elle peut aussi être le résultat de l'éclatement d'un Empire qui n'avait pas homogénéiser ses populations ; ainsi des Etats-nations sont nés de l'Empire austro-hongrois et de l'Empire ottoman[6].

Cas de dissociation entre État et nation

  • Une nation peut ne pas ĂŞtre dotĂ©e d'un État. En effet, certaines nations sans État disposent bien d'un territoire, d'une population, et d'un sentiment d'identitĂ© propre mais n'ont pas d'organisation politique pouvant assurer leur pleine souverainetĂ©, elles ne disposent, au mieux, que d'une autoritĂ© territoriale. On peut citer comme exemple la population quĂ©bĂ©coise qui est reconnue par le Canada comme nation au sein de l'État canadien, les populations berbères d'Afrique du nord ou la population catalane qui a actuellement le statut en Espagne de « communautĂ© historique » et qui s'est vu refuser le statut Ă  part entière de « nation » par le conseil constitutionnel espagnol.
  • Un État peut englober plusieurs nations. Ce fut le cas de l'Empire austro-hongrois, c'est aujourd'hui le cas du Royaume-Uni avec quatre nations constitutives : Anglais, Gallois, Écossais et Nord-Irlandais ; dans le Tournoi des Six Nations de rugby Ă  XV, les Britanniques d'Irlande du Nord et les Irlandais de la RĂ©publique d'Irlande jouent au sein d'une mĂŞme Ă©quipe sous l'Ă©gide d'une fĂ©dĂ©ration unique, l'IRFU).
  • Une nation peut englober plusieurs ethnies. C'est aujourd'hui le cas de la Turquie, qui n'admet sur son sol qu'une nation turque constituĂ©e par des ethnies diffĂ©rentes (Turcomans, Albanais, Arabes, Bosniaques, Kurdes, Lazes, Roms, etc.)[7]. Les autres revendications nationales telles que celles des Kurdes sont fortement combattues.
  • Un État peut englober plusieurs communautĂ©s linguistiques et culturelles. Selon Sylvain Kahn, la Suisse n'est pas un Etat-nation, parce que la multiplicitĂ© des langues et des cultures y est revendiquĂ©e[2]. La Suisse, formĂ©e par une fĂ©dĂ©ration de cantons, rĂ©unit des populations parlant quatre langues officielles. Toutefois, selon Thomas Riklin, la notion d'"entitĂ© nationale" peut s'appliquer Ă  la Suisse ; ces cantons partagent une identitĂ© nationale, une histoire nationale et un hĂ©ros national, Guillaume Tell, et leur unitĂ© a Ă©tĂ© renforcĂ©e par un choix politique Ă  la suite de la guerre du Sonderbund (1847) et de la constitution fĂ©dĂ©rale (1848), qui a mis fin Ă  l'ordre confĂ©dĂ©ral prĂ©cĂ©dent[8].
  • Un État peut ĂŞtre crĂ©Ă© sans vĂ©ritable base nationale, par exemple en tant que successeur d'une circonscription administrative d'un ancien empire colonial dĂ©mantelĂ©, mais avec la volontĂ© de constituer une nation unifiĂ©e dans le cadre de ses frontières. C'est par exemple le cas de certains États de l'Afrique contemporaine.

Critique de l'État-nation

  • La plupart des pays colonisĂ©s par les EuropĂ©ens se sont vu imposer le modèle de l'Etat-nation ; l'inadaptation de ce mode d'organisation Ă  nombre de pays asiatiques et africains a Ă©tĂ© soulignĂ©e[6] - [9]. Le dĂ©coupage du territoire de l'Etat-nation par les colonisateurs en fonction de leurs intĂ©rĂŞts propres, sans prise en compte des diffĂ©rents groupes concernĂ©s, a entraĂ®nĂ© un divorce entre la sociĂ©tĂ© et l'Etat[6]. De plus, l'Etat-nation est perçu par les sociĂ©tĂ©s anciennement colonisĂ©es comme une structure Ă©trangère, coloniale, de sorte qu'elles sont peu disposĂ©es Ă  y adhĂ©rer[6]. Selon Yves Person, les colonies françaises ont subi plus que les colonies britanniques des opĂ©rations d"homogĂ©nĂ©isation et d'unification, conformĂ©ment au modèle français de l'Etat-nation, alors que les Britanniques auraient davantage respectĂ© les rĂ©alitĂ©s sociales dans les pays colonisĂ©s, en particulier les langues de ces pays[6]. De manière gĂ©nĂ©rale, L'Etat-nation a eu des effets socialement destructeurs, dans la mesure oĂą il a rĂ©duit la sociĂ©tĂ© Ă  « une masse atomisĂ©e d'individus isolĂ©s » et rĂ©primĂ© les liens horizontaux[6].
  • Le modèle français de l'Etat-nation, qui suppose une politique volontariste d'unification, a Ă©tĂ© critiquĂ© parce qu'il a conduit Ă  la destruction de la diversitĂ© culturelle française ; la France Ă©tait avant le 19e siècle l'Etat oĂą la diversitĂ© linguistique Ă©tait la plus grande en Europe ; cet hĂ©ritage a Ă©tĂ© sacrifiĂ© sur l'autel de l'Etat-Nation[6].
  • La thĂ©orie de l'État-nation a Ă©tĂ© contestĂ©e, notamment par des fĂ©dĂ©ralistes europĂ©ens comme Mario Albertini[10]. La nation est selon cette critique une construction politique artificielle des partisans de l'État centralisĂ©. La nation justifie ainsi l'existence de l'État qui n'est plus associĂ© Ă  la personne du monarque mais Ă  une entitĂ© abstraite. L'État-nation serait donc une phase de l'Ă©volution politique et aurait vocation Ă  ĂŞtre dĂ©passĂ© en faveur de l'unitĂ© europĂ©enne.
  • La thĂ©orie de l'État-nation a Ă©galement Ă©tĂ© critiquĂ©e par certains marxistes. Pour eux, le sentiment identitaire ne se trouve pas au sein de la nation, mais au sein de l'HumanitĂ© tout entière (voir la phrase de Karl Marx : « Je suis un citoyen du Monde », paraphrasant le philosophe de la Grèce antique Diogène de Sinope ainsi que les philosophes stoĂŻciens)[4]. En attendant la disparition des États, la classe sociale dominĂ©e doit selon eux faire preuve de solidaritĂ© internationale permanente : par exemple le refus des guerres. De lĂ , un ouvrier français est, selon eux, plus proche d'un ouvrier de nationalitĂ© Ă©trangère, que d'un dirigeant français. C'est la « conscience de classe » (« Les travailleurs n'ont pas de patrie » - Manifeste communiste).

Exemples

Voici des exemples clairs d'États-nations :

  • Islande : bien que les habitants soient ethniquement apparentĂ©s Ă  d'autres groupes scandinaves, la culture et la langue nationales ne se trouvent qu'en Islande. Il n'y a pas de minoritĂ©s transfrontalières - le pays le plus proche est trop Ă©loignĂ©.
  • Japon : Le Japon est aussi traditionnellement considĂ©rĂ© comme un bon exemple d'État-nation, bien qu'il comprenne des minoritĂ©s de peuples RyĹ«kyĹ« ethniquement distincts, des CorĂ©ens, des Chinois, et sur l'Ă®le septentrionale d'HokkaidĹŤ, la minoritĂ© autochtone AĂŻnou ; voir aussi DĂ©mographie japonaise .
  • Portugal : bien qu'entourĂ©e d'autres terres et peuples, la nation portugaise occupe le mĂŞme territoire depuis près de 900 ans. Il y a longtemps, le Portugal s'est formĂ© Ă  partir de groupes de personnes qui Ă©taient auparavant sĂ©parĂ©s. Ils ont tous traversĂ© et se sont installĂ©s dans la rĂ©gion qui est devenue plus tard le Portugal. Il s'agit notamment des peuples ibĂ©riques indigènes, des Celtes, des anciens MĂ©diterranĂ©ens (Grecs, PhĂ©niciens, Romains), des peuples germaniques comme les Suèves et les Wisigoths, des envahisseurs berbères et arabes, et des Juifs.
  • France et Angleterre : l'État s'est organisĂ© autour de la nation, par l’action centralisatrice et unificatrice du pouvoir royal. Cette mĂŞme action du pouvoir royal a contribuĂ© de manière dĂ©cisive Ă  l’émergence de la nation et les guerres (Guerre de Cent ans, RĂ©volution française) ont soudĂ© les populations dans l’adversitĂ© et contribuĂ© de manière dĂ©cisive Ă  l’émergence de l’identitĂ© nationale de part et d’autre de la Manche[11].

Notes et références

  1. Les mots des sciences humaines, « État-nation », sur www.scienceshumaines.com (consulté le )
  2. KAHN Sylvain, « L'État-nation comme mythe territorial de la construction européenne », L’Espace géographique, 2014/3 (Tome 43), p. 240-250. DOI : 10.3917/eg.433.0240. URL : https://www.cairn.info/revue-espace-geographique-2014-3-page-240.htm
  3. Michel Pastoureau, Une histoire symbolique du Moyen Âge, Éditions du Seuil, coll. « Points », (ISBN 978-2-7578-4106-8), « Des armoiries aux drapeaux »
  4. pdf_3_Rappel_de_NOTIONS_1.pdf sur Académie de Besançon (12/2015)
  5. Des réserves peuvent être cependant émises concernant une création "naturelle" ou non volontariste de l'Etat : l’État allemand actuel résulte d'une politique unioniste volontariste de Bismarck qui a cherché, et réussi, à rassembler sous le drapeau de la Prusse une mosaïque d’États indépendants, aux langues germaniques, en vue d’accroître sa puissance militaire, politique et économique. Pour cela, il avait utilisé autant les intérêts économiques des bourgeoisies de ces États, leur besoin de protection militaire, que la propagande nationaliste, sentiment nouveau répandu chez les lettrés depuis le début du XIXe siècle. L'évolution de cet assemblage échappa ensuite à ses prévisions.
  6. Yves Person, « L'État-Nation et l'Afrique », Outre-Mers. Revue d'histoire, vol. 68, no 250,‎ , p. 274–282 (DOI 10.3406/outre.1981.2301, lire en ligne, consulté le )
  7. (tr) « Ethnicites en Turquie - Article « Nombre des Kurds dans la Turquie » », (consulté le )
  8. (de) Thomas Riklin, « Worin unterscheidet sich die schweizerische „Nation“ von der Französischen bzw. Deutschen „Nation“? » [archive du ], sur www.unifr.ch,
  9. Relire Yves Person. L’Etat-nation face à la libération des peuples africains, Textes réunis par Charles Becker, Roland Colin, Liliane Daronian et Claude-Hélène Perrot, Paris, IMAF - Présence Africaine, 2015
  10. L'État national (1960) http://www.taurillon.org/L-Etat-national-de-Mario-Albertini
  11. Frank Baron, « L’idée de Nation », sur Vie publique.fr, (consulté le )

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

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