Diversité linguistique
La diversité linguistique est la réalité de l'existence de langues diverses et multiples dans le monde depuis les origines de l'humanité. Une « langue vivante » est définie par SIL Ethnologue comme "une langue avec, au moins, une locuteur natif". Un chiffre exact des langues vivantes au monde varie entre 6.000 et 7.000, selon la définition utilisée pour « une langue ». La distinction entre une langue et une variété (ou un dialecte) est liée à cette question en particulier[1].
DiversitĂ© dans les Ătats
La diversitĂ© linguistique est une des caractĂ©ristiques des sociĂ©tĂ©s modernes, qui sont toutes multilingues, toutes façonnĂ©es par cette diversitĂ©, mĂȘme si la politique linguistique officielle refuse de prendre en compte cette diversitĂ©.
Cette diversité a deux causes principales :
- les Ătats-nations ont Ă©tĂ© crĂ©Ă©s par le regroupement (conquĂȘtes, annexions) de territoires contenant des groupes linguistiques diffĂ©rents ;
- ces mĂȘmes Ătats-nations reçoivent une immigration, et toute immigration diversifie le terrain linguistique de la sociĂ©tĂ© qui lâaccueille.
ProblÚmes posés par la diversité linguistique
Dans la Bible, selon le rĂ©cit de la tour de Babel, la diversitĂ© linguistique serait une malĂ©diction divine qui aurait ainsi empĂȘchĂ© l'Homme de coopĂ©rer pour construire une tour qui lui aurait permis d'atteindre les cieux.
Le multilinguisme peut entraßner des situations de diglossie, c'est-à -dire la maßtrise d'une langue comme moyen de ségrégation sociale. Un universitaire comme Louis-Jean Calvet évoque par exemple le risque de fracture linguistique, lorsque la pratique du « français des cités » devient excluante[2]. Cette vision est réfutée par Jean-Pierre Goudaillier pour qui ce problÚme ne touche qu'une minorité de jeunes en situation d'échec scolaire[3].
Solidité de la diversité
La diversitĂ© linguistique est caractĂ©risĂ©e partout par une certaine soliditĂ© : ainsi la France, ou plus exactement le territoire couvert par lâĂtat français aujourdâhui, est multilingue depuis bien avant la crĂ©ation de lâĂtat, et mĂȘme sâil y a, et aura, bien sĂ»r des Ă©volutions locales (disparition de certains parlers), cet Ă©tat de fait ne peut pas se modifier avant longtemps.
Ă lâĂ©chelon planĂ©taire, il semble quâil en soit de mĂȘme : si la diffĂ©rence linguistique change dâaspect, elle est une donnĂ©e historique fondamentale et, malgrĂ© la disparition des langues les plus faibles, la diversitĂ© nâest pas (ou pas encore) en voie de disparition.
Uniformisation linguistique et risques liés
Cependant, une majorité de langues sont appelées à disparaßtre dans les proches années, un grand nombre sont en train de disparaßtre ou ont déjà disparu, et la diversité est donc menacée (comme c'est le cas pour la biodiversité).
Facteurs liés à la disparition des langues
Ces disparitions seront le résultat de deux pratiques :
- de la politique linguistique des Ătats qui n'accordent pas les protections lĂ©gales ou constitutionnelles, comme dans le cas de la France ;
- des changements dans les modes de vie des populations de locuteurs sous l'effet des derniers développements du capitalisme et de l'universalisation de la société de consommation :
- sédentarisation de populations nomades en Afrique ;
- prédominance de la langue scolaire en Afrique ;
- destructions des milieux naturels (forĂȘts Ă©quatoriales en AmĂ©rique du Sud, en Afrique) ;
- disparition des paysans dans les pays occitans, en Bretagne, comme dans certaines minorités de Chine ;
- Ă©migration massive de populations minoritaires (indiens du Mexique vers la Californie).
Autre facteur envisageable
On peut également prévoir que le réchauffement climatique et la montée du niveau de la mer provoqueront, avec les migrations de populations, la fin de certaines cultures.
Effets de la perte de diversité linguistique sur la biodiversité
Plusieurs études suggÚrent que la disparition des langues présente des risques importants pour la conservation de la biodiversité. En effet, Les communautés locales et indigÚnes ont élaboré des systÚmes de classification complexes pour le monde naturel, qui reflÚtent une profonde compréhension de leur environnement local. Cette connaissance est intégrée dans les noms indigÚnes, traditions orales et taxinomies, et peut disparaßtre lorsqu'une communauté commence à parler une autre langue. Les experts en ethnobotanique et en ethnobiologie reconnaissent que les noms indigÚnes, les taxinomies issues du folklore et des traditions orales sont essentiels pour la récupération d'espÚces en danger et les activités de restauration écologique. à titre d'exemple, une étude réalisée au sein de la tribu Amuesha dans la branche supérieure de l'Amazone au Pérou, dont la langue est en danger, a conclu que la diminution du nombre de locuteurs et de sages détenteurs des savoirs traditionnels parmi les Amuesha se répercute défavorablement sur la diversité des espÚces agricoles cultivées[4].
Politique linguistique
Rares sont les politiques linguistiques tenant compte de cette diversitĂ©. Les Ătats cherchent souvent Ă rĂ©duire la diversitĂ©, ou Ă l'anĂ©antir, en refusant aux langues autres que celle de l'Ătat, la protection des lois ou de la constitution.
En France, la prise de conscience de la menace pesant sur les langues rĂ©gionales, du fait de l'exode rural, a conduit au dĂ©veloppement, dans les annĂ©es 1970, de mouvements rĂ©gionalistes attachĂ©s Ă leur dĂ©fense. L'Ătat a accordĂ© l'autorisation de l'enseignement des « langues et cultures rĂ©gionales » dans les Ă©coles (loi n° 75-620 du 11 juillet 1975 relative Ă l'Ă©ducation, loi n° 84-52 du 26 janvier 1984 sur l'enseignement supĂ©rieur, loi d'orientation n°89-486 du 10 juillet 1989 sur l'Ă©ducation, etc.), puis de l'enseignement bilingue et en langues rĂ©gionales. Cet enseignement des langues rĂ©gionales, qui ne concerne qu'une partie des Ă©tablissements scolaires, a connu un dĂ©veloppement certain[5]. Un conseil acadĂ©mique des langues rĂ©gionales a Ă©tĂ© crĂ©Ă© en 2001[6], mais il se rĂ©unit Ă la demande du rectorat, parfois donc moins d'une fois par an.
Quelques exemples de politiques linguistiques dans les pays voisins, dans des espaces le plus souvent autonomes :
- au Pays de Galles, le gallois est langue coofficielle ;
- de mĂȘme la langue catalane dans la gĂ©nĂ©ralitĂ© de Catalogne, les Ăźles BalĂ©ares et la CommunautĂ© valencienne ; l'aranais (variĂ©tĂ© de gascon des PyrĂ©nĂ©es) langue officielle en Val d'Aran depuis 1990 et dans l'ensemble de la Catalogne depuis 2006 ; la langue basque dans la communautĂ© autonome basque et le tiers nord de la communautĂ© forale de Navarre ;
- de mĂȘme le nĂ©erlandais dans la communautĂ© flamande et l'allemand dans la communautĂ© germanophone en Belgique ;
- de mĂȘme le français au Val d'Aoste (en Italie), en Suisse romande, en Belgique, au Luxembourg ;
- toutefois, le francoprovençal n'est pas plus officiel en Suisse qu'en France ;
- de mĂȘme le picard n'est pas plus officiel en Belgique qu'en France.
Vingt ans aprĂšs la DĂ©claration universelle des droits linguistiques (Barcelona, 6 juin 1996) le Protocole de Donostia (San Sebastian, 14 dĂ©cembre 2016) pose sur une base plus firme la question de la biodiversitĂ© linguistique.Des instances et forums internationaux pourront sâappuyer sur ce cadre pour rĂ©glementer leur engagement en faveur de la diversitĂ© des langues[7].
Actions pour la protection de la diversité linguistique en France
Un certain nombre d'actions sont entreprises pour protĂ©ger la diversitĂ© linguistique dans les rĂ©gions oĂč l'on pratique des langues dites minoritaires, d'autant que certaines langues (le basque et catalan) bĂ©nĂ©ficient d'un soutien considĂ©rable grĂące au statut qu'elles ont hors de l'Ătat français.
Enseignement
- Un enseignement bilingue en immersion dans les Ă©coles bretonnes de Diwan ou basques de Seaska, ou mĂȘme dans les classes bilingues de l'Ăducation nationale, quand l'administration ne s'y oppose pas (exemples donnĂ©s dans les articles les articles Classes bilingues (franco-bretonnes) de Bretagne et enseignement du breton).
Dans les médias
- Le fonctionnement de radios en langues bretonne, basque, ou occitane, malgré le refus des autorités de permettre leur développement, comme récemment en Bretagne.
- Le nombre d'heures annuelles de breton (1 h 30 par semaine en période "normale" depuis plus de 10 ans, 0 en période touristique) a été réduit l'an dernier à la télévision, en raison de la coupe du monde de football. Les émissions dominicales sont généralement supprimées en cas d'épreuves sportives importantes, comme lors des championnats mondiaux de natation en 2007.
- Le dĂ©veloppement des langues sur le net, oĂč l'opposition Ă©tatique est nulle, comme en tĂ©moigne la crĂ©ation des wikipĂ©dia en breton, basque, occitan, catalan. Des tentatives de dĂ©veloppement de tĂ©lĂ©vision sur le net ont vu le jour, avec les web-noz.
- La presse quotidienne existe en basque et catalan (Avui, El Punt, Gara), il n'y a, en breton et occitan, qu'hebdomadaires et mensuels : Ya, Bremañ, La Setmana.
Aspect juridique
La France refuse la reconnaissance constitutionnelle et légale aux langues autochtones réclamée en vain depuis des lustres.
DĂšs 1981, François Mitterrand, prĂ©sident de la RĂ©publique de 1981 Ă 1995, annonçait, deux mois avant son Ă©lection, Ă Lorient: Le temps est venu dâun statut des langues et cultures de France qui leur reconnaisse une existence rĂ©elle. Le temps est venu de leur ouvrir grandes les portes de lâĂ©cole, de la radio et de la tĂ©lĂ©vision permettant leur diffusion, de leur accorder toute la place quâelles mĂ©ritent dans la vie publique.
Aucun statut légal n'existe en 2007, sauf pour l'unique langue officielle.
Langues hors la loi et anticonstitutionnelles
Plusieurs projets de loi ont avorté dÚs 1981 (Le Pensec, Dollo, etc) de gauche comme de droite.
Plusieurs tentatives de mentionner les langues autres que le français dans la Constitution, dont celle du dĂ©putĂ© Marc Le Fur en dĂ©cembre 2006, ont toujours Ă©tĂ© rejetĂ©es, et aucune loi ne reconnait ou protĂšge la pratique des langues comme c'est le cas dans les Ătats voisins.
La France s'oppose
- à l'application de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires contre laquelle s'élÚvent les souverainistes et nationaux-républicains alors que la plupart des pays européens l'ont ratifiée, voir l'article en question.
- Ă la signature de l'article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
- Ă la signature de l'article 30 de la Convention internationale des droits de l'enfant[8].
Actions pour la protection de la diversité linguistique en Europe
Les élargissements successifs de l'Union européenne ont conduit à une grande diversité de langues dans l'Union européenne. En 2009, il y avait 23 langues officielles dans l'Union, ce qui accroßt les difficultés de communication dans les institutions européennes. Le budget consacré à la traduction des documents reste cependant en dessous de 1 % du budget global de l'Union européenne. En pratique, la langue anglaise tend à devenir la principale langue de travail des institutions européennes, et en particulier de la Commission européenne, devant le français, et loin devant l'allemand.
Dans le cadre de l'élargissement de 2004, l'Assemblée nationale française a adopté une résolution sur la diversité linguistique dans l'Union européenne. Elle vise notamment à éviter les publications d'appels d'offres et d'annonces de recrutement dans la seule langue anglaise (article 8) et rappelle que la promotion de la langue française suppose en premier lieu que les fonctionnaires français à l'étranger utilisent exclusivement leur propre langue, comme l'exige la circulaire du Premier ministre du 14 février 2003 relative à l'emploi de la langue française (article 11)[9].
Actions pour la protection de la diversité linguistique dans le monde
Dominique Wolton, chercheur en communication au CNRS, souligne l'importance de la prise en compte de la diversité linguistique, dans le contexte de la mondialisation. Les langues sont en effet à considérer comme des éléments essentiels pour l'identité des peuples[10]. La disparition de langues minoritaires, au profit de langues dominantes, comme l'anglais, pose donc un problÚme identitaire grave. Pire, il pourrait menacer la paix mondiale.
La Fondation Chirac a lancé en 2008 le programme Sorosoro pour la préservation de la diversité linguistique et la revitalisation des langues en danger. 3000 langues seraient aujourd'hui concernées. Le programme documente ces langues, par un réseau de fiches linguistiques et par de nombreuses vidéos disponibles en ligne. Faute de financements suffisants, Sorosoro a dû fermer en 2012.
Plusieurs ONG se sont dédiées à la protection de la diversité linguistique mondiale, comme Linguapax, Terralingua ou encore le réseau Maaya. Au niveau européen, les principales ONG (2015) sont le NPLD (Network to Promote Linguistic Diversity), ELEN (European Language Equality Network, anciennement EBLUL). Ces derniÚres visent spécifiquement à défendre les langues régionales et minoritaires de l'Union Européenne.
De nombreuses organisations et ONG défendent les langues en danger et mÚnent des projets de revitalisation linguistique. C'est le cas notamment du SIL International (Summer Institute for Linguistics), qui catalogue la plupart des langues du monde dans sa base de données Ethnologue ; la Foundation for Endangered Languages (Nicholas Ostler), ou encore le Projet Langues en danger, lancé initialement par Google puis repris conjointement par l'Université de Hawaï, l'Eastern Michigan University et le Conseil Culturel des PremiÚres Nations du Canada. Son but est de cartographier et de documenter l'ensemble des langues en danger du monde[11].
Notes et références
- (en) « The Problem of Language Identification », sur Ethnologue (consulté le )
- Banlieues, le ghetto des mots Anne Vidalie in l'Express du 22 janvier 2008
- Langue des cités, langue des costumes-cravates
- Langues en danger - Biodiversité et diversité linguistique - Conserver les langues indigÚnes, protéger la biodiversité sur le site de l'Unesco
- Voir l'enseignement des langues régionales dans l'académie de Bordeaux, dans l'académie de Montpellier, dans l'académie de Rennes, à Nice, ainsi que le rapport parlementaire sur la politique linguistique conduite au niveau national à propos des langues de France en 2002.
- Décret n°2001-733 du 31 juillet 2001 portant création d'un Conseil académique des langues régionales
- Protocole des Droits Linguistiques, Forum européen de la diversité linguistique, Donostia, 15-16 décembro 2016.
- Déclarations interprétatives et réserves
- Résolution sur la diversité linguistique dans l'Union européenne de l'Assemblée nationale du 6 janvier 2004
- Dominique Wolton, L'autre mondialisation, Flammarion, , 207 p., p. 101-102
- « A propos du projet Langues en danger », sur endangeredlanguages.com (consulté le )
Voir aussi
Articles connexes
- Année internationale des langues
- Diversité culturelle
- Politique linguistique
- Bilinguisme, Multilinguisme, Plurilinguisme
- Impérialisme linguistique
- Glottophobie
- Signalisation routiĂšre bilingue
- Journée européenne des langues
- Journée internationale de la langue maternelle
- Journée internationale de la traduction
- Journée mondiale de la poésie
- Langue internationale
Liens externes
- Pour un traité international sur la diversité linguistique. Conférence de novembre 2006 du directeur exécutif du Centre d'études et de recherches internationales de l'Université de Montréal, Jean-François Lisée.
- Texte de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires sur le site du Conseil de l'Europe.
- Philippe Wendling, « PolĂ©mique autour de la Charte des langues rĂ©gionales », L'Alsace,â (lire en ligne)
- Maaya, réseau mondial pour la diversité linguistique
- Mesurer la diversité linguistique sur Internet, sur le site de l'UNESCO
- Fondation Chirac, Programme Sorosoro pour la préservation de la diversité linguistique
- Dominique Wolton : L'autre mondialisation