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Louis-Jean Calvet

Louis-Jean Calvet, né le à Bizerte en Tunisie, est un linguiste français.

Louis-Jean Calvet
Louis-Jean Calvet recevant le prix Ptolémée lors du FIG 2016.
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Biographie

Étudiant Ă  l'universitĂ© de Nice, oĂą il est l'Ă©lève de Pierre Guiraud, Louis-Jean Calvet est Ă©lu en 1964 au bureau national de l'Union nationale des Ă©tudiants de France. Il y est chargĂ© de l'information et exerce la fonction de rĂ©dacteur en chef du mensuel 21.27. Étudiant Ă  la Sorbonne avec AndrĂ© Martinet, il soutient une thèse de troisième cycle[1] (« Le système des sigles en français contemporain Â») puis un doctorat d'État[2] (« Langue, corps, sociĂ©tĂ© Â»). Calvet a tout d'abord Ă©tĂ© professeur Ă  l’universitĂ© Paris-Descartes (Paris V), puis Ă  l'universitĂ© Aix-Marseille I jusqu'en 2012.

Dès sa première publication (Linguistique et colonialisme, dans laquelle il lance le concept de glottophagie), il analyse les rapports entre le discours linguistique et le discours colonial sur les langues, puis les liens entre langue et pouvoir (La Guerre des langues, 1987) et le rôle linguistique de la ville (Les Voix de la ville, 1994). Il participe ainsi à la création d'une sociolinguistique française dont il est un des représentants les plus connus, traduit en une vingtaine de langues, invité dans de nombreuses universités aux quatre coins de la planète.

Directeur pendant plusieurs années de la collection Langages et Sociétés aux éditions Payot, il y publie Sylvain Auroux, André Chervel, Christian Cuxac, Tullio De Mauro, Ivan Fonagy, Pierre Guiraud, Nancy Huston, André Martinet, Morris Swadesh, Jean-Didier Urbain, Marina Yaguello, etc. Parallèlement à ses activités universitaires il fait du journalisme, participant en particulier à l'hebdomadaire Politique hebdo dans lequel il aborde les phénomènes culturels, en particulier la chanson, d'un point de vue sociologique et politique, et traite des minorités ethniques et linguistiques. Il a publié pendant plus de vingt ans, une chronique consacrée aux français populaires dans les différents pays de la Francophonie dans la revue Le Français dans le monde, organe de la Fédération internationale des professeurs de français. Le Sociolinguists Worlwide Award lui a été attribué en 2012 et il a reçu le prix Ptolémée 2016[3] du Forum International de Géographie ainsi que le prix Georges Dumézil de l'Académie française, en 2017[4], pour son ouvrage La Méditerranée, mer de nos langues.

Linguistique et entreprise coloniale

Son ouvrage Linguistique et colonialisme cherche à décrire l'utilisation passée et présente de la linguistique pour soutenir des systèmes idéologiques et de pouvoir dominants. Ce que Calvet tente de montrer est la façon dont l'étude des langues, au-delà de leur simple description, implique un certain point de vue sur les communautés linguistiques qui les parlent et sur les relations entre ces communautés.

Cette vision a été utilisée pour légitimer l'entreprise coloniale, tant dans sa préparation que dans son exécution : la langue de l'autre est dénigrée, infériorisée alors qu'évidemment celle du colonisateur est valorisée. Calvet étend la notion de colonialisme à la constitution de la France métropolitaine selon des mécanismes de nature coloniale, en l'occurrence l'expansion du royaume de France au détriment des cultures et langues régionales.

Calvet évoque l'impérialisme culturel de la France (p. 11) qui persiste au travers de certaines structures internationales comme la francophonie. Les moyens de lutte contre ces formes moins apparentes de colonialisme, pour le chercheur linguiste, résident dans un travail approfondi de description des langues locales.

Invention de la langue par les linguistes

Calvet utilise une mĂ©taphore pour rendre compte du phĂ©nomène de construction d'un objet « langue Â» dans son ouvrage Essais de linguistique, la langue est-elle une invention des linguistes ?[5]. Paul CĂ©zanne a reprĂ©sentĂ© la montagne Sainte-Victoire, près d'Aix-en-Provence, dans des dizaines de tableaux, mais il a choisi de ne la reprĂ©senter que d'un point de vue unique, c'est-Ă -dire une vue de l'ouest. La montagne Sainte-Victoire de CĂ©zanne, construite par CĂ©zanne, devient la montagne Sainte-Victoire. La rĂ©pĂ©tition du mĂŞme point de vue construit une nouvelle rĂ©alitĂ© (un simulacre au sens de Jean Baudrillard ?).

Si la montagne est remplacée par la langue et le peintre par le linguiste, nous avons la clé de la métaphore. Or, la montagne est un objet du paysage relativement saisissable par les sens, alors que la langue est une construction en cours, fuyante selon Calvet. Il ne délégitime pas telle ou telle approche mais souligne le caractère forcément limité de toute approche, d'autant plus que l'utilisation unique d'un point de vue aboutit à l'invisibilisation des limites.

Engagement du sociolinguiste et du chercheur

Louis-Jean Calvet est cosignataire d'un manifeste de 250 chercheurs publié dans Buscila-Infos (numéro 20 de ) et Le Monde de l'éducation () dans lequel le diagnostic posé sur la langue des populations en difficulté d'insertion est remis en question à la lumière des travaux des chercheurs en sociolinguistique. Le diagnostic qui est contesté est celui du déficit linguistique ou du handicap linguistique.

Langue des banlieues reflétant une fracture linguistique

Dans son article intitulĂ© « Les fractures linguistiques Â»[5], Calvet Ă©voque, d'une part, la position de certains chercheurs vis-Ă -vis de la langue des banlieues, oscillant entre le dĂ©nigrement d'une forme qui attire et la survalorisation du stigmatisĂ© et, d'autre part, explique la persistance de cette variĂ©tĂ© linguistique fruit de la rencontre du français et des langues des populations issues de l'immigration dans un contexte de stigmatisation. La particularitĂ© de cette variĂ©tĂ© linguistique est sa persistance plus grande dans le temps ; la normalisation que l'on constate dans la langue de la gĂ©nĂ©ration plus âgĂ©e n'a pas lieu. L'entrĂ©e des jeunes dans la vie active plus tardive — phĂ©nomène que l'on trouve aussi dans d'autres contextes — est accentuĂ©e en raison d'un chĂ´mage endĂ©mique et du recours Ă  des « petits boulots Â» ou d'autres expĂ©dients, fonctionnant comme une forme d'insertion sociale prĂ©caire.

Selon cet article, les adolescents devenus adultes maintiennent la variété linguistique qu'ils utilisaient dans leurs groupes de pairs pour communiquer avec leurs enfants. Ainsi, cette langue, au travers de la différenciation par rapport à la forme normée, se charge d'une forte valeur identitaire. La fracture se trouve non seulement dans une volonté de différenciation, mais témoigne aussi d'une fracture sociale de plus en plus visible et reconnue.

Calvet illustre le phénomène par la dévalorisation de la langue parlée dans les familles arabophones, qui n'est enseignée qu'anecdotiquement ou alors sous la forme d'une langue trop éloignée de la variété linguistique qu'ils connaissent.

Pistes d'action pour les linguistes

La remĂ©diation par une scolarisation dans la langue maternelle ne semble pas une solution dans le cas de la France mĂŞme si d'autres pays l'ont appliquĂ©e. Il s'agit par exemple de prendre en compte la situation de diglossie entre l'arabe standard et l'arabe dialectal, qui renvoie Ă  une situation d'insĂ©curitĂ© linguistique. L'arabe dialectal parlĂ© en Afrique du Nord est très Ă©loignĂ© de l'arabe standard, ce qui rend ces deux variĂ©tĂ©s linguistiques mutuellement non comprĂ©hensibles. L'enseignement de la variĂ©tĂ© dialectale pourrait ĂŞtre une piste mais, selon Calvet, il pourrait se heurter au « lobby des professeurs d'arabe Â» (p. 8). Ă€ cela s'ajoute aussi une connaissance peu satisfaisante de la forme dialectale. Calvet Ă©gratigne, au passage, le traitement français de l'immigration, mais pas uniquement, source de richesse inexploitĂ©e. De plus, les difficultĂ©s d'intĂ©gration en français ne sont pas favorisĂ©es par cette dichotomie qui ancre plus le stigmatisĂ© dans la langue d'origine et dans la culture affĂ©rente.

Selon Calvet, ce sont, entre autres, des actions de formation des enseignants en rapport avec le fonctionnement des langues dans des contextes de multilinguisme et avec la dynamique entre les formes vernaculaires et les formes plus standards.

Travaux

Selon Calvet, la langue est un fait social et la linguistique ne peut être que sociolinguistique. Il a proposé une approche écolinguistique[6], fondée en particulier sur la distinction entre approche numérique et approche analogique des situations. Dans ses récentes publications (1999, 2004, 2010), il aborde ainsi des questions concernant la linguistique dans son ensemble, et en particulier la théorie du signe, critiquant la vision que le Cours de linguistique générale en a donné à la lumière des théories de Jacques Lacan.

Collaborant avec l'Organisation internationale de la francophonie mais aussi avec les organisations lusophones et hispanophones, il travaille sur les politiques linguistiques dans le cadre d'une lutte pour la défense de la diversité linguistique, et a proposé la distinction entre la « politique » linguistique et la « politologie linguistique », la première étant le fait des décideurs politiques, la seconde le fait des linguistes. Plus récemment (en 2010, version actualisée en 2012), il a entrepris avec Alain Calvet, spécialiste de mathématiques et de statistiques, l'élaboration d'un « index des langues du monde »[7], un classement fondé sur le traitement statistique et l'analyse multifactorielle d'un certain nombre de facteurs discriminants.

En collaboration avec Jean Véronis, il a travaillé sur l'analyse du discours politique français, en particulier l'analyse de la campagne présidentielle (2006) et celle des discours du Président Sarkozy (2008).

Calvet s'intéresse par ailleurs à la chanson française. Il a publié plusieurs livres à ce sujet (biographies de Georges Brassens, Léo Ferré, Georges Moustaki, analyse sémiologique de la chanson), et a dirigé deux dossiers de Vibrations. Musiques, médias, société, la première revue scientifique française consacrée à l'analyse des musiques populaires.

Il est Ă©galement l'auteur d'une biographie de Roland Barthes et de deux romans.

Publications

  • 1969 : Dynamique des groupes et pĂ©dagogie, Bureau pour l'enseignement de la langue et de la civilisation françaises Ă  l'Ă©tranger
  • 1973 : Roland Barthes ; un regard politique sur le signe, Payot (Petite bibliothèque Payot)
  • 1974 : Linguistique et colonialisme, petit traitĂ© de glottophagie, Payot (Petite bibliothèque Payot) ; traduit en allemand (Die Sprachenfresser. Ein Versuch ĂĽber Linguistik und Kolonialismus, 1978)
  • 1975 : Pour et contre Saussure : vers une linguistique sociale, Payot (Petite bibliothèque Payot)
  • 1977 : Marxisme et linguistique. Marx, Engels, Lafargue, Staline, prĂ©cĂ©dĂ© de Sous les pavĂ©s de Staline la plage de Freud?, Paris, Payot, coll. Langages et sociĂ©tĂ©s
  • 1978 : Faut-il brĂ»ler Sardou ?, avec Jean-Claude Klein, Savelli
  • 1980 : Les Sigles, PUF (coll. « Que sais-je ? », no 1811)
  • 1981 : Les Langues vĂ©hiculaires, PUF (coll. « Que sais-je ? », no 1916)
  • 1984 : La Tradition orale, PUF (coll. « Que sais-je ? », no 2122)
  • 1985 : direction du dossier « Les musiques mĂ©tissĂ©es » de la revue Vibrations. Musiques, mĂ©dias, sociĂ©tĂ©
  • 1988 : direction du dossier « La scène » de la revue Vibrations. Musiques, mĂ©dias, sociĂ©tĂ©
  • 1990 : Roland Barthes, Flammarion
  • 1993 : La Sociolinguistique, PUF (coll. « Que sais-je ? », no 2731)
  • 1994 : L'Argot, PUF (coll. « Que sais-je ? », no 700)
  • 1994 : Les Voix de la ville, Introduction Ă  la sociolinguistique urbaine, Payot
  • 1996 : Les Politiques linguistiques, PUF (coll. « Que sais-je ? », no 3075)
  • 1996 : Histoire de l'Ă©criture, Plon
  • 1999 : Pour une Ă©cologie des langues du monde, Plon
  • 2003 : LĂ©o FerrĂ©, Flammarion
  • 2004 : Essais de linguistique, la langue est-elle une invention des linguistes ?, Plon
  • 2006 : 100 ans de chanson française, l'Archipel
  • 2006 : Combat pour l'ÉlysĂ©e, en collaboration avec Jean VĂ©ronis, Seuil
  • 2008 : Les Mots de Nicolas Sarkozy, en collaboration avec Jean VĂ©ronis, Seuil
  • 2010 : Le Jeu du signe, Seuil
  • 2010 : Le Français en Afrique, l'Archipel
  • 2011 : Il Ă©tait une fois 7000 langues, Fayard
  • 2013 : Chansons, la bande son de notre histoire, l'Archipel
  • 2013 : Les Confettis de Babel. DiversitĂ© linguistique et politique des langues, en collaboration avec Alain Calvet, Écriture
  • 2014 : Georges Moustaki, une vie, l'Archipel
  • 2016 : La MĂ©diterranĂ©e, mer de nos langues, CNRS Ă©ditions Prix PtolĂ©mĂ©e du Festival International de gĂ©ographie 2016 Prix Georges-DumĂ©zil de l’AcadĂ©mie française 2017
  • 2019 : My tailor is still rich, les glottotropies Ă  travers l'histoire de la mĂ©thode Assimil, CNRS Ă©ditions
  • 2021: EnquĂŞte sur le signe, du roman policier Ă  la police de la langue en passant par l'interprĂ©tation du signe linguistique, Le Bord de l'Eau Ă©diteur
  • 2022: Tant mieux si la route est longue, souvenirs de souvenirs, 1942-2022, Lambert-Lucas Ă©diteur

Notes et références

  1. SUDOC 023059702
  2. SUDOC 008227209
  3. « FIG – Louis-Jean Calvet et Patrick Leigh Fermor doubles lauréats du prix Ptolémée 2016. - Saint-Dié Info », (consulté le )
  4. « Prix Georges Dumézil | Académie française », sur www.academie-francaise.fr (consulté le )
  5. Cf. bibliographie.
  6. Louis-Jean Calvet, « Mondialisation, langues et politiques linguistiques » (lire la première partie « Le modèle gravitationnel »)
  7. Voir sur wikilf.culture.fr.

Annexes

Bibliographie

  • Auguste Moussirou-Mouyama, Claude Bourgeois (collaboration), Les BoĂ®tes noires de Louis-Jean Calvet, Écriture, Paris, 2008 (ISBN 9782909240794)
  • Sous la direction de MĂ©dĂ©ric Gasquet-Cyrus, Alain Giacomi, Yvonne Touchard, Daniel VĂ©ronique, Pour la (socio) linguistique - Pour Louis-Jean Calvet, Éditions L'Harmattan, Paris, 2010 (ISBN 9782296131620)
  • « Rencontre avec Louis-Jean Calvet : Le sens n'est pas dans le mot », propos recueillis par Nicolas Journet, Sciences Humaines, no 217, , p. 32-35
  • Louis-Jean Calvet, un linguiste parmi les siens, UniversitĂ© de la Manouba, Tunis, 2021

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Articles connexes

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