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Histoire du programme nucléaire militaire de la France

L'histoire du programme nucléaire militaire de la France relate le cheminement qui a conduit la France à développer un programme nucléaire militaire aprÚs la seconde guerre mondiale. La mise en place de la Force de dissuasion nucléaire française repose sur un programme d'essais nucléaires français qui débute le et prend fin le .

En 2012, la Force ocĂ©anique stratĂ©gique comprend quatre sous-marins nuclĂ©aires lanceurs d’engins Ă©quipĂ©s de missiles mer-sol balistiques stratĂ©giques. Les Forces aĂ©riennes stratĂ©giques utilisent les missiles Air-sol moyenne portĂ©e amĂ©liorĂ© dotĂ©s de tĂȘtes nuclĂ©aires aĂ©roportĂ©es sous des avions Dassault Mirage 2000 Ă  la base aĂ©rienne 125 Istres-Le TubĂ©. Ce missile est Ă©galement utilisĂ© avec les avions Dassault Rafale Ă  la base aĂ©rienne 113 Saint-Dizier-Robinson et ceux embarquĂ©s sur le porte-avions Charles de Gaulle.

L'aventure scientifique de l'atome (1895-1945)

Les origines (1895-1903)

Pierre et Marie Curie dans leur laboratoire, vers 1900.

La recherche scientifique internationale dans le domaine de l'atome naĂźt avec la dĂ©couverte des rayons X par le physicien allemand Wilhelm Röntgen le , Ă  Wurtzbourg, Ă  la suite de l'observation d'une Ă©trange lueur blafarde provenant d’un Ă©cran luminescent posĂ©, par hasard, sur une table situĂ©e Ă  distance d'un tube de Crookes. Il comprit rapidement qu'il s'agissait d'un nouveau rayonnement issu des collisions des Ă©lectrons avec les atomes de l’électrode positive (la cathode) quand on fait passer un courant Ă©lectrique dans un tube cathodique[1] - [2]. En France, aprĂšs la prĂ©sentation Ă  l'AcadĂ©mie des sciences par Henri PoincarĂ© dĂ©but de 1896 de la dĂ©couverte des rayons X faite par Röntgen, Henri Becquerel, dĂ©cide d'Ă©tudier la relation entre la luminescence de certains matĂ©riaux et l'Ă©mission de ces mystĂ©rieux rayons X[3]. Faisant des expĂ©riences en 1896 pour trouver l'origine de cette luminescence, il constate par hasard que des sels d'uranium Ă©mettent spontanĂ©ment un rayonnement, qu'ils aient ou non Ă©tĂ© exposĂ©s Ă  la lumiĂšre. Il les baptisera dans un premier temps rayons uraniques[4].

Pierre et Marie Curie vont tenter Ă  partir de 1896 de trouver une explication au phĂ©nomĂšne dĂ©couvert par Wilhelm Röntgen et Ă  ces rayons uraniques. Ils vont traiter des centaines de kilos de minerai d'uranium par concassage puis dissolution dans de l'acide. En 1898, Marie Curie dĂ©couvre que le thorium possĂšde les mĂȘmes propriĂ©tĂ©s de rayonnement que l'uranium. Puis les deux physiciens isolent un premier Ă©lĂ©ment, qui recevra le nom de polonium, en hommage Ă  la patrie de Marie, puis un second encore plus actif : le radium. Ces dĂ©couvertes leur vaudront le prix Nobel de physique en 1903, en mĂȘme temps qu’Henri Becquerel[4].

En 1903, Ernest Rutherford apporte une explication à la présence de ces nouveaux éléments et à leur liens entre eux. Il émet l'hypothÚse que les éléments radioactifs réunis autour de l'uranium et du thorium sont liés entre eux, l'élément le plus lourd perdant de sa substance par désintégration pour donner naissance à un autre élément et ainsi de suite[4].

La structure interne de l'atome (1903-1932)

En 1910, Rutherford fournit une premiÚre représentation de la structure interne de l'atome : un noyau chargé positivement autour duquel gravitent des charges négatives. Mais c'est Niels Bohr qui parviendra à expliquer en 1913 que les électrons ne s'effondrent pas sur le noyau par attraction et restent à un niveau donné, en utilisant la théorie quantique de Max Planck[5].

IrÚne, fille de Marie Curie, et Frédéric Joliot-Curie observent que le bombardement du béryllium peuvent donner lieu à la projection de protons, en sus de l'émission de radioactivité. L'Anglais James Chadwick apportera une explication décisive en 1932 en découvrant l'existence de neutrons dans l'atome, des particules non chargées aux cÎtés des protons[6].

Découverte de l'énergie nucléaire (1932-1939)

SeptiĂšme CongrĂšs Solvay de physique en 1933. Sont prĂ©sents, entre autres, les Ă©poux Joliot-Curie, Marie Curie, Francis Perrin, Paul Langevin et Émile Henriot.

Ce sont les travaux de IrĂšne et FrĂ©dĂ©ric Joliot Curie qui vont vraiment donner naissance Ă  la physique nuclĂ©aire. Fin 1933, en bombardant une feuille d'aluminium par une source de polonium, ils mettent en Ă©vidence la production de phosphore 30 radioactif, isotope du phosphore 30 naturel. Ils en dĂ©duisent qu'il est possible de fabriquer par irradiation des Ă©lĂ©ments ayant les mĂȘmes propriĂ©tĂ©s que les Ă©lĂ©ments naturels mais qui sont Ă©galement radioactifs. DĂšs le dĂ©but ils voient toutes les applications qu'il est possible d'en tirer, notamment dans le domaine mĂ©dical, avec le traçage par des Ă©lĂ©ments radioactifs. Ils obtiennent le prix Nobel pour cette dĂ©couverte en 1935[6].

La réaction en chaßne

En 1934, l'Italien Enrico Fermi, constate que les neutrons ralentis (par un trajet dans la paraffine par exemple) ont une efficacité beaucoup plus grande que les neutrons ordinaires. Des matériaux ralentisseurs, «modérateurs», comme l'eau lourde, seront donc à prévoir dans les futures installations[7].

IrÚne Curie et Frédéric Joliot dans leur laboratoire en 1935.

De nombreux laboratoires de recherche européens bombardent des noyaux pour en analyser les effets. Il revient à Lise Meitner et Otto Frisch, deux Allemands exilés en SuÚde, de trouver en une explication capitale de l'énergie nucléaire avec le phénomÚne de la fission nucléaire.

En , Niels Bohr met en évidence le fait que, sur les deux isotopes contenus dans l'uranium naturel: 238U et 235U, seul l'uranium 235 est «fissile». Il est de surcroßt beaucoup plus rare que l'uranium 238, car il ne représente que 0,72 % de l'uranium extrait dans une mine.

Enfin en , quatre français, Frédéric Joliot-Curie, Hans Halban, Lew Kowarski et Francis Perrin publient dans la revue Nature, peu de temps avant leurs concurrents américains, un article fondamental pour la suite des événements démontrant que la fission du noyau de l'uranium s'accompagne de l'émission de 3,5 neutrons (le chiffre exact sera de 2,4) qui peuvent à leur tour fragmenter d'autres noyaux et ainsi de suite, par un phénomÚne de « réaction en chaßne »[7].

Les trois brevets français

Frédéric Joliot, Hans Halban et Lew Kowarski au laboratoire en 1933.

Début , les quatre français déposent trois brevets: les deux premiers traitent de la production d'énergie à partir d'uranium et le troisiÚme, secret, du perfectionnement des charges explosives[8] - [9]. Ces trois chercheurs étaient alors employés par le CollÚge de France au sein d'une équipe dirigée par Frédéric Joliot. Joliot, convaincu de l'importance future des applications civiles et militaires de l'énergie atomique rencontre Raoul Dautry, ministre de l'armement, au début de l'automne 1939. Ce dernier le soutint totalement, en premier lieu pour les développements d'explosifs et, en second lieu, pour la production d'énergie[9].

DĂšs , les expĂ©riences sur la libĂ©ration d’énergie par rĂ©action en chaĂźne commencent au laboratoire du CollĂšge de France et se poursuivent Ă  Ivry-sur-Seine au Laboratoire de SynthĂšse Atomique (fondĂ© sous le Front Populaire sous l'Ă©gide de la Caisse nationale pour la recherche scientifique qui avait acquis les laboratoires AmpĂšre de la Compagnie gĂ©nĂ©rale Ă©lectro-cĂ©ramique)[10] - [11]. Pour asseoir ses brevets, Joliot tisse un rĂ©seau industriel autour de lui, notamment par un accord entre le CNRS et l'Union MiniĂšre du Haut Katanga, dĂ©tentrice de l'uranium du Congo belge[12].

À l'automne 1939, l’équipe Joliot se rend compte que la France n'aurait pas les moyens d'enrichir l'uranium naturel en son isotope fissile (235U) et s'oriente vers l'utilisation de l'eau lourde[13]. En , sur demande du CollĂšge de France, Raoul Dautry envoie donc Jacques Allier en mission secrĂšte en NorvĂšge pour rĂ©cupĂ©rer le stock entier de 200 litres d'eau lourde de la sociĂ©tĂ© Norsk Hydro (Ă  capital en partie français), stock que l'Allemagne convoitait aussi[9].

Suspension des recherches en France (1940-1945)

Les chercheurs du laboratoire de Montréal en 1944, dont les français Hans Halban, Pierre Auger et Bertrand Goldschmidt.

L'invasion de la France par l'Allemagne en contraint Ă  l'arrĂȘt des travaux. DĂ©but juin le laboratoire est dĂ©mĂ©nagĂ© en toute hĂąte de Paris Ă  Clermont-Ferrand mais la guerre est dĂ©jĂ  perdue[14]. Le , tandis que le gĂ©nĂ©ral de Gaulle lance son fameux appel Ă  la radio de Londres, Hans Halban et Lew Kowarski embarquent Ă  Bordeaux pour le Royaume-Uni, accompagnĂ©s du stock d'eau lourde. Le stock d'uranium est cachĂ© au Maroc et en France[15]. Joliot ne part pas, il reste en France auprĂšs de sa femme malade[16], retrouve son poste au CollĂšge de France mais refuse de collaborer puis entrera officiellement dans la rĂ©sistance en 1943[17].

Les membres exilés du CollÚge de France livrent les secrets français aux Alliés mais sont exclus du programme nucléaire américain pour des raisons économiques (les trois brevets) et politiques (méfiance envers de Gaulle et Joliot)[18]. Isolés au laboratoire Cavendish de Cambridge puis au laboratoire de Montréal à partir de la fin de l'année 1942, ils contribuent aux travaux réalisés par une équipe anglo-canadienne[9]. Travaux qui seront déterminants pour la reprise des recherches françaises dans ce domaine.

Sous la direction de Louis Rapkine, un bureau scientifique auprĂšs de la DĂ©lĂ©gation de la France libre est installĂ© Ă  New York peu aprĂšs l'entrĂ©e en guerre des États-Unis en . C'est par ce biais que des savants français en exil, comme Pierre Auger, Jules GuĂ©ron et Bertrand Goldschmidt, sont intĂ©grĂ©s, non aux Ă©quipes amĂ©ricaines elles-mĂȘmes car ils refusent d'en prendre la nationalitĂ©, mais au projet anglo-canadien dirigĂ© par Halban[19].

La France libre est écartée

Le , les États-Unis et le Royaume-Uni concluent les accords de QuĂ©bec, fusionnant leurs programmes nuclĂ©aires respectifs (Tube Alloys et Manhattan) et prĂ©cisant la non-divulgation de leurs travaux. Ils savent que la France et l'URSS ne tarderont pas Ă  rattraper leurs retards en la matiĂšre mais ne souhaitent pas leur faciliter la tĂąche. À ce propos, Winston Churchill dĂ©clare : « En toutes circonstances, notre politique doit ĂȘtre de garder l'affaire, autant que nous pouvons la contrĂŽler, entre les mains amĂ©ricaines et britanniques et de laisser les Français et les Russes faire ce qu'ils peuvent. »[20] Dans cette perspective, ils signent, le , un accord avec le gouvernement belge en exil Ă  Londres, rĂ©servant la production congolaise d'uranium aux anglo-saxons, rendant caduc l'accord privĂ© de 1939 avec le CNRS[21].

Le , dans une arriĂšre-salle du consulat d’Ottawa, GuĂ©ron, Auger et Goldschmidt informent le gĂ©nĂ©ral De Gaulle du programme nuclĂ©aire amĂ©ricain et des perspectives ouvertes par la fission[22]. Cette information confirme ce que le gĂ©nĂ©ral avait dĂ©jĂ  appris Ă  Londres[23] - [24]. SitĂŽt Paris libĂ©rĂ©, en , un premier groupe de savants français, dont Auger, revient de MontrĂ©al contre l'avis des AmĂ©ricains. Les Britanniques laissent faire car ils doivent composer avec De Gaulle, qui pourrait exiger le partage des secrets atomiques ou se rapprocher des Russes[25]. Ils choisissent alors de manipuler Joliot, qui a l'oreille du gĂ©nĂ©ral, en exagĂ©rant les difficultĂ©s liĂ©es Ă  la fabrication de la bombe tout en lui assurant qu'ils allaient coopĂ©rer[26]. En , les villes dans lesquelles s'Ă©taient repliĂ©s les atomistes allemands tombent aux mains de la 1re armĂ©e française mais les hommes de l'opĂ©ration Alsos perquisitionnent les laboratoires, dont la pile atomique d'Haigerloch, capturent les scientifiques du Reich et ne laissent rien derriĂšre eux si ce n'est quelques techniciens[27].

ÉcartĂ© par les Anglo-saxons, dĂ©possĂ©dĂ© de sources d'uranium et avec de maigres prises de guerre, le programme nuclĂ©aire français allait devoir se faire indĂ©pendamment[28], d'autant plus que le ministre de l'Armement, Charles Tillon, Ă©tait un membre du Parti communiste français[29].

La genĂšse d’un programme nuclĂ©aire militaire (1945-1958)

Position de la France Ă  la sortie de la seconde guerre mondiale (1945-1949)

« Quant Ă  la bombe atomique, nous avons le temps. Je ne suis pas convaincu que l’on ait Ă  employer des bombes atomiques Ă  trĂšs bref dĂ©lai dans ce monde. »

— Charles de Gaulle, octobre 1945.

DÚs , Raoul Dautry (alors ministre de la reconstruction et de l'urbanisme du Gouvernement provisoire) informe le général de Gaulle (alors président du Gouvernement provisoire) que le nucléaire bénéficierait à la reconstruction ainsi qu'à la Défense nationale[28]. Les progrÚs réalisés par la recherche américaine dans le domaine sont révélés au grand public par les bombardements atomiques d'Hiroshima et Nagasaki les 6 et . Le , de Gaulle charge Raoul Dautry et Frédéric Joliot de proposer une organisation de l'industrie française du nucléaire capable de mobiliser les énergies pour construire la bombe[30].

Le , le Commissariat Ă  l'Ă©nergie atomique (CEA) est crĂ©Ă© par l'ordonnance 45-2563. Cet organisme, dĂ©pendant directement du prĂ©sident du Conseil, a vocation Ă  poursuivre les recherches scientifiques et techniques en vue de l’utilisation de l’énergie nuclĂ©aire dans divers domaines de l’industrie, de la science et de la dĂ©fense[31] - [32]. Les deux premiĂšres personnalitĂ©s Ă  se partager la responsabilitĂ© de la direction de cet organisme sont Joliot, en qualitĂ© de haut-commissaire pour les questions scientifiques et techniques, et Dautry, en tant qu’administrateur gĂ©nĂ©ral[33].

Toutefois, l'importance attribuĂ©e au nuclĂ©aire militaire en 1945 ne doit pas ĂȘtre sur-estimĂ©e car la reconstruction du pays primait, « je suis ministre de la reconstruction, pas de la destruction » dira Dautry[34]. Dans ce contexte, et sous l'influence de Joliot (pacifiste et adhĂ©rent au Parti communiste), l'opposition Ă  l'utilisation militaire de l'atome se rĂ©pand au sein du CEA. Si dans l'euphorie de la victoire AlliĂ©e ce dernier dĂ©clarait « je vous la ferai, mon gĂ©nĂ©ral, votre bombe »[35], il change rapidement d'avis et, devenu haut-commissaire du CEA, souhaite que la France adopte une position opposĂ©e au nuclĂ©aire militaire (interdiction de la fabrication d'armes atomiques et interdiction au niveau mondial). Cette position politique est affirmĂ©e le par l'ambassadeur Alexandre Parodi devant la premiĂšre commission de l'Ă©nergie atomique de l'ONU[28]. Elle sera aussi la position officielle de la QuatriĂšme RĂ©publique, lui permettant de dissimuler sa faiblesse et ses secrets[36].

Le , la direction des études et fabrications d'armement crée le laboratoire de recherches balistiques et aérodynamiques (LRBA) à Vernon, sur un ancien site industriel de fabrication d'obus, initié par Edgar Brandt, et nationalisé en 1936.

Zoé, la premiÚre pile atomique française (1948)

Plaque commémorative sur le site de stockage des combustibles de Zoé, la premiÚre pile atomique française

Le fort de ChĂątillon, sur la commune de Fontenay-aux-Roses, est affectĂ© au CEA le et c’est sur cet emplacement que la premiĂšre pile atomique française ZoĂ© fonctionne pour la premiĂšre fois (« diverge ») le [33]. Cette pile utilise un combustible d’oxyde d’uranium naturel modĂ©rĂ© Ă  l’eau lourde. Elle ne dĂ©gage presque pas d’énergie, quelques kilowatts Ă  peine, mais elle va permettre l’étude des rĂ©actions nuclĂ©aires et la production de radioĂ©lĂ©ments pour la recherche et l’industrie[37].

Les opĂ©rations de raffinage du minerai d'uranium venant d'Afrique sont rĂ©alisĂ©es dans une enclave de la Poudrerie du Bouchet, Ă  proximitĂ© de Ballancourt-sur-Essonne. Le chimiste Bertrand Goldschmidt et son Ă©quipe y isolent les quatre premiers milligrammes de plutonium français le . L’évĂ©nement est considĂ©rable car les combustibles irradiĂ©s, retirĂ©s de la Pile ZoĂ©, peuvent dĂšs lors ĂȘtre traitĂ©s et le plutonium en ĂȘtre extrait, une Ă©tape essentielle pour la constitution de la premiĂšre bombe atomique[38].

En 1949 commence la construction des bùtiments du centre de Saclay. En 1952, un accélérateur de particules est mis en service et la seconde pile à eau lourde (EL2) diverge. Elle est destinée aux expériences de physique et de métallurgie ainsi qu'à la production des radioéléments artificiels[38] - [39].

La fin de la position pacifiste (1950-1954)

Le dĂ©veloppement de la guerre froide d'une maniĂšre gĂ©nĂ©rale, et l'explosion de la premiĂšre bombe nuclĂ©aire soviĂ©tique en 1949 en particulier, amena la France Ă  ne plus conserver la position pacifiste du CEA, telle qu'affirmĂ©e par FrĂ©dĂ©ric Joliot. Ce dernier, aprĂšs des dĂ©clarations publiques favorables Ă  l'Union soviĂ©tique, fut forcĂ© de dĂ©missionner du CEA le sous prĂ©texte qu'il avait lancĂ© l’appel de Stockholm[40]. Le Gouvernement français en profite pour rappeler que le Commissariat avait aussi pour vocation la DĂ©fense nationale[28].

La question de l'armement atomique de la France n'est cependant toujours pas posĂ©e officiellement. Le premier plan quinquennal de l'Ă©nergie nuclĂ©aire, prĂ©parĂ© par FĂ©lix Gaillard (alors secrĂ©taire d'Ă©tat Ă  la prĂ©sidence du Conseil du Gouvernement Pinay) et votĂ© Ă  l’AssemblĂ©e nationale en , vise un dĂ©veloppement du nuclĂ©aire sur le long terme. En matiĂšre de production Ă©lectrique, le plan a pour objectif essentiel de trouver un remĂšde au dĂ©ficit Ă©nergĂ©tique français. FĂ©lix Gaillard sera nommĂ© ultĂ©rieurement, le , prĂ©sident de la Commission de coordination de l'Ă©nergie atomique[41]. Le Parti communiste proposa un amendement visant Ă  interdire Ă  la France la fabrication d'armes atomiques, mais les dĂ©putĂ©s le rejetĂšrent massivement. MĂȘme certains opposants Ă  l'emploi militaire du nuclĂ©aire (tel le socialiste Jules Moch) votĂšrent contre cet amendement au motif qu'il ne fallait pas s'interdire unilatĂ©ralement cette possibilitĂ©[42].

Construction du site nucléaire de Marcoule

Le CEA n'ayant pas alors les moyens techniques et financiers d'enrichir l'uranium naturel en son isotope fissile (235U), il ne pourrait pas dĂ©velopper de rĂ©acteurs Ă  eau pressurisĂ©e (REP) ni fabriquer d'armes nuclĂ©aires l'employant. La France, comme le Royaume-Uni avant elle, s'oriente donc vers la technologie des piles atomiques au graphite qui engendrera la filiĂšre des rĂ©acteurs uranium naturel graphite gaz (UNGG)[28]. Il s'agit d'un type de rĂ©acteurs utilisant l'uranium naturel comme combustible, le graphite comme modĂ©rateur de neutrons et le gaz carbonique comme fluide caloporteur vers les turbines et pour le refroidissement du cƓur. Outre de l'Ă©lectricitĂ©, ces rĂ©acteurs produiront, pour un coĂ»t annoncĂ© trois fois infĂ©rieur Ă  celui de l'uranium hautement enrichi[43], du plutonium en assez grande quantitĂ© pour permettre par la suite un programme militaire ou un programme civil de rĂ©acteurs surgĂ©nĂ©rateurs[44] - [45].

Vue du site nucléaire de Marcoule. Les réacteurs G2 et G3 sont à droite de l'image.

Le plan Gaillard prĂ©voit la construction de deux rĂ©acteurs, dont les travaux commenceront en 1955, complĂ©tĂ©s plus tard par un troisiĂšme. Le premier rĂ©acteur (G1) divergera le [46] sur le Site nuclĂ©aire de Marcoule. Refroidi par air, il s’agit encore d’un Ă©quipement prototype de puissance limitĂ©e (40 MWt) qui produit moins d’énergie Ă©lectrique qu'il n'en consomme. Les deux suivants, G2 en 1958 et G3 en 1959, sont plus puissants (150 MWt) et constitueront la tĂȘte de sĂ©rie de la filiĂšre UNGG[45].

Face aux besoins nouveaux en combustible, de nouvelles mines d'uranium sont ouvertes en VendĂ©e sur le site de Fleuriais, Ă  Mortagne-sur-SĂšvre [47], et dans le Forez[48] en plus de celles du Limousin, dĂ©jĂ  en exploitation[49] - [50]. Fin 1956, la production de minerai s'Ă©lĂšvera Ă  175 tonnes en uranium contenu[45].

Des facteurs multiples mĂšnent Ă  la bombe

« Ah si j’avais eu la bombe, je n’aurais pas eu toutes ces couleuvres Ă  avaler... »

— Propos de Pierre MendĂšs France, nĂ©gociant la paix en Indochine, rapportĂ©s par Yves Rocard.

Si le plan quinquennal de 1952 ouvrit la voie à la bombe nucléaire française, la décision de sa fabrication ne fut pas prise alors. En fait, l'utilisation du nucléaire à des fins militaires ne sera prise par la France qu'en 1954, sur la base[42] :

  • de la dĂ©faite de DiĂȘn BiĂȘn Phu. Face Ă  l'encerclement des troupes françaises Ă  DiĂȘn BiĂȘn Phu, en , le ComitĂ© de DĂ©fense restreint demanda aux États-Unis l'utilisation de l'arme atomique, demande que la Maison Blanche ignora. Il apparut ainsi que l'alliance militaire avec les États-Unis ne pouvait garantir totalement les intĂ©rĂȘts français ;
  • du traitĂ© concernant la CommunautĂ© europĂ©enne de dĂ©fense (CED) et qui interdisait aux États membres d'entreprendre un programme nuclĂ©aire militaire indĂ©pendant. Ce traitĂ©, bien que rejetĂ© par le parlement français en aoĂ»t 1954 aprĂšs quatre ans de dĂ©bats, mit en avant la nĂ©cessitĂ© de prendre une dĂ©cision ;
  • d'un changement de stratĂ©gie de l'OTAN, en faveur de reprĂ©sailles massives et prĂ©coces par l'emploi de l'arme atomique. Dans ce contexte, les chefs d'Ă©tat-major des armĂ©es françaises se prononcĂšrent en pour un armement atomique national intĂ©grĂ© Ă  l'OTAN.

En parallĂšle, Ă  partir de , le gĂ©nĂ©ral Paul Ély mit en avant auprĂšs de RenĂ© Pleven (ministre de la DĂ©fense) l'importance de l'arme nuclĂ©aire pour la puissance exercĂ©e par une nation au niveau mondial. Il se basait sur l'avis des chefs d'Ă©tat-major, sur les capacitĂ©s du CEA et sur les ressources en plutonium dĂ©veloppĂ©es par le plan quinquennal de 1952[51]. Le gĂ©nĂ©ral Ely prĂ©conisa que[51] :

  • du personnel militaire soit associĂ© au CEA ;
  • le budget du CEA soit augmentĂ© et placĂ© sous contrĂŽle de la DĂ©fense nationale ;
  • un comitĂ© militaire spĂ©cial interarmĂ©es soit crĂ©Ă©.

Il faut ajouter à ces éléments l'explosion de la premiÚre bombe nucléaire britannique, le , qui avait remis en cause le leadership de la France en Europe.

Des débuts secrets à la décision de faire des essais (1954-1958)

C'est en fait le gouvernement de Pierre MendĂšs France qui se prononça en faveur du dĂ©veloppement d'un programme nuclĂ©aire militaire français aprĂšs le rejet de la CED par l'AssemblĂ©e nationale française le . MendĂšs-France, alors prĂ©sident du Conseil, avait des avantages politiques Ă  lancer une premiĂšre tranche de travaux menant Ă  un tel programme, sachant que la dĂ©cision finale de construire une bombe atomique serait prise plus tard[51]. Le de la mĂȘme annĂ©e, il signe un dĂ©cret secret crĂ©ant la Commission SupĂ©rieure des Applications Militaires de l’Énergie Atomique (CSMEA). Le , il signe un autre dĂ©cret secret, crĂ©ant le ComitĂ© des Explosifs NuclĂ©aires (CNE)[51]. Au contraire du CNE, la CSMEA n’eut jamais Ă  se rĂ©unir. Le CNE, comme le CEA, dĂ©pendait Ă©troitement du prĂ©sident du Conseil.

Le , le CNE remis à Pierre MendÚs-France un projet de programme atomique militaire qui intégrait[51] :

  • la rĂ©alisation de deux rĂ©acteurs nuclĂ©aires de type G2 pour produire 70 Ă  80 kg/an de plutonium ;
  • la crĂ©ation du Bureau d'Études GĂ©nĂ©rales (BEG) pour mettre sur pied et gĂ©rer les Ă©quipes scientifiques et techniques ;
  • la crĂ©ation d'un centre d'essais pour mettre au point les dispositifs de mesure Ă  utiliser lors des essais rĂ©els ;
  • la crĂ©ation d'un centre d'essais au Sahara, le Centre d'expĂ©rimentations militaires des oasis ;
  • la crĂ©ation d'un rĂ©seau de dĂ©tection permanent des essais ;
  • l'Ă©tude de la sĂ©paration isotopique.

Le , Pierre MendÚs-France convoqua une réunion d'experts. Les conclusions, longtemps débattues, apparaissent avoir été[51] :

  • le lancement secret d'un programme de fabrication d'armes nuclĂ©aires ;
  • le lancement d'un programme de sous-marins nuclĂ©aires ;
  • le projet d'une dĂ©cision soumise au conseil des ministres.

Cette derniÚre décision ne fut jamais soumise à cause de la chute du Cabinet MendÚs-France quelques semaines plus tard.

Le rĂŽle de Pierre MendĂšs France

Dans les annĂ©es 1970, Pierre MendĂšs France nia son rĂŽle dans le lancement du programme atomique nuclĂ©aire : ce n'Ă©tait qu'un pas vers la bombe atomique et, s'il avait poursuivi sa fonction de prĂ©sident du Conseil, il aurait pu dĂ©cider librement dans les annĂ©es suivantes pour ou contre la fabrication effective de la bombe atomique[51]. Selon Pierre MendĂšs-France, la dĂ©cision de Ă©tait uniquement politique : la France entendait faire pression sur l'URSS et les États-Unis pour qu'ils renoncent aux essais, tout en gardant la possibilitĂ© Ă  la France, en cas de poursuite des essais, de mettre en Ɠuvre son propre programme nuclĂ©aire militaire.

Pierre MendĂšs-France a toutefois ouvert la voie au programme nuclĂ©aire militaire français Ă  la fin de l'annĂ©e 1954, mĂȘme s'il s'agissait en premier lieu d'une arme diplomatique pour de futures nĂ©gociations. Il semble aussi que ses dĂ©clarations des annĂ©es 1970 soient liĂ©es Ă  des fins de politique intĂ©rieure, son Ă©lectorat et ses militants Ă©tant pacifistes[51].

Le CEA est organisé pour la bombe

Le BEG, ancĂȘtre de la Direction des applications militaires (DAM), est crĂ©Ă© au sein du CEA le [52]. Le , le gĂ©nĂ©ral Albert Buchalet en prend la direction et reçoit l'ordre oral de fabriquer la bombe, puis le un protocole secret est signĂ© entre les ArmĂ©es et le CEA qui est reconnu comme maĂźtre d’Ɠuvre en matiĂšre d'armement atomique[53] - [54]. Le ministre chargĂ© de l'Énergie atomique Gaston Palewski fait porter le budget quinquennal du CEA de 40 Ă  100 milliards de francs, inscrivant le programme militaire nuclĂ©aire français dans la durĂ©e[55].

Le , le CEA intĂšgre les spĂ©cialistes du Service des poudres de l'ArmĂ©e dans un centre consacrĂ© Ă  la dĂ©tonique au fort de Vaujours[56]. Depuis la fin de l'annĂ©e 1954, le CEA disposait d'un terrain 30 hectares Ă  BruyĂšres-le-ChĂątel (prĂšs d’Arpajon), financĂ© par des fonds du Service de Documentation ExtĂ©rieure et de Contre-Espionnage (SDECE). En , il accueille le nouveau centre d'Ă©tudes nuclĂ©aires du BEG, la premiĂšre Ă©quipe scientifique arrivant en [51]. À partir de 1957, des annexes de ces deux centres seront construits Ă  Valduc, en Bourgogne, et Ă  Moronvilliers, en Champagne, pour mener des Ă©tudes de neutronique et de criticitĂ© sur le plutonium loin de Paris[57] - [54].

Le programme étant sous la direction du CEA, et malgré leurs résistances, les militaires ne purent que reconnaßtre le leadership du CEA[51]. Ainsi, ce n'est qu'en 1958, sous contrainte du général de Gaulle, que les ingénieurs de la section atomique de la direction des études et fabrications d'armement (DEFA) intégrÚrent le BEG. Ce sont eux qui trouveront la solution de l'amorçage neutronique qui sera utilisé dans l'essai atomique de février 1960[51].

« Des études sur les explosifs nucléaires ont été amorcées et seront poursuivies. »

— Guy Mollet, devant l'AssemblĂ©e nationale, le 11 juillet 1956.

Lors de la crise du canal de Suez, l'URSS est la premiĂšre nation Ă  utiliser diplomatiquement le chantage atomique, le marĂ©chal russe NikolaĂŻ Boulganine menaçant Paris et Londres d'intervenir avec des fusĂ©es intercontinentales Ă  tĂȘte nuclĂ©aire si les deux pays ne mettent pas fin Ă  leur expĂ©dition. Aussi, Ă  la fin de 1956, Guy Mollet dĂ©cide d'accĂ©lĂ©rer le programme nuclĂ©aire français et de le dĂ©velopper en dehors des États-Unis[58].

Un pas important est franchi avec la décision ministérielle du de Félix Gaillard prescrivant de préparer une premiÚre série d'explosions nucléaires expérimentales qui doivent intervenir au cours du premier trimestre 1960 au Sahara algérien[59] - [60]. Cette décision fut confirmée, dÚs son retour au gouvernement, par le général de Gaulle[51].

Un protocole conclu entre les ministÚres des finances et de la défense le prévoit la construction par le CEA d'une usine d'enrichissement de l'uranium. La programmation de cette usine est officialisée en , par le vote parlementaire du second plan quinquennal de l'énergie atomique. Les travaux de l'usine militaire de Pierrelatte débuteront en 1960 et le premier lingot d'uranium faiblement enrichi sera obtenu en [51].

Officialisation du programme nucléaire militaire (1958)

Ce n'est qu'en 1958 que le programme nuclĂ©aire militaire français fut officialisĂ© par le gĂ©nĂ©ral de Gaulle. Avant 1958, les prĂ©sidents du Conseil (Pierre MendĂšs France, Edgar Faure et Guy Mollet) tenaient un double-discours qui ne doit pas minimiser les dĂ©cisions prises entre-temps. Ainsi, en 1955, le programme nuclĂ©aire français fut dotĂ© d'un budget spĂ©cifique, l'inscrivant dans la durĂ©e[51]. Le , de Gaulle prĂ©vient le secrĂ©taire d'État amĂ©ricain John Foster Dulles : « Tout s'organise en fonction de la force atomique. Cette force, vous l'avez [
] Nous sommes trĂšs en retard sur vous [
] Une chose est certaine : nous aurons l'arme atomique »[61].

De la QuatriĂšme Ă  la CinquiĂšme RĂ©publique

Si le succĂšs du programme nuclĂ©aire militaire français eut lieu sous la CinquiĂšme RĂ©publique, c'est bien sous la QuatriĂšme, et de maniĂšre secrĂšte, qu'il commença. Sous la IVe RĂ©publique, l'arme nuclĂ©aire française Ă©tait vue, par les responsables politiques français, comme intĂ©grĂ©e Ă  l'OTAN. Sous la Ve RĂ©publique, l'arme nuclĂ©aire sera la garante de l’indĂ©pendance nationale vis-Ă -vis de l'OTAN. Cependant, la volontĂ© de retrait des instances militaires intĂ©grĂ©es de l'organisation, notifiĂ©e au prĂ©sident amĂ©ricain Johnson en 1965, aura pour objectif de renforcer la place de la France et non de couper les liens avec ses alliĂ©s, ni de disloquer l'alliance[51]. Pour de Gaulle : « Les armements nuclĂ©aires amĂ©ricains demeurent la garantie essentielle de la paix mondiale. [...] Mais il reste que la puissance nuclĂ©aire amĂ©ricaine ne rĂ©pond pas nĂ©cessairement et immĂ©diatement Ă  toutes les Ă©ventualitĂ©s concernant l'Europe et la France »[62].

Le programme d'essais nucléaires (1959-1996)

Le Président Charles de Gaulle assistant à l'essai Bételgeuse le 11 septembre 1966 (derriÚre lui Pierre Messmer et Alain Peyrefitte)

Les essais aériens à Reggane

« Jamais je n’ai senti plus qu’en ce moment que notre pays avait vraiment surmontĂ© la dĂ©faite de 1940 et qu’il avait l’avenir pour lui. »

— FĂ©lix Gaillard, Ă  propos de Gerboise bleue, le 13 fĂ©vrier 1960.

Le premier essai nuclĂ©aire français, Gerboise bleue, est effectuĂ© le sur le champ de tir crĂ©Ă© Ă  Reggane, plus prĂ©cisĂ©ment Ă  une cinquantaine de kilomĂštres au sud-ouest, Ă  Hamoudia, au centre du Sahara algĂ©rien, Ă  600 kilomĂštres au sud de Bechar[63]. Deux autres tirs (Gerboise blanche et Gerboise rouge) sont effectuĂ©s la mĂȘme annĂ©e.

Le rapport annuel du CEA de 1960 montre l'existence d'une zone contaminĂ©e de 150 km de long environ.

À la suite immĂ©diate du putsch des gĂ©nĂ©raux () (ou « putsch d'Alger »), le gouvernement français ordonne la dĂ©tonation du (Gerboise verte) afin que l'engin nuclĂ©aire ne puisse tomber dans les mains des gĂ©nĂ©raux putschistes[64].

Les essais en galerie au Hoggar

La France doit abandonner les essais aĂ©riens Ă  la faveur d'essais souterrains, moins polluants. Le site choisi, In Ecker (Sahara algĂ©rien), se trouve au sud de Reggane et Ă  environ 150 km au nord de Tamanrasset. Les tirs sont rĂ©alisĂ©s en galerie, celles-ci Ă©tant creusĂ©es horizontalement dans un massif granitique du Hoggar, le Tan Afella. Ces galeries se terminaient en colimaçon pour casser le souffle des explosions et Ă©taient refermĂ©es par une dalle de bĂ©ton. Elles devaient permettre un bon confinement de la radioactivitĂ©.

Le , la France réalise son premier essai nucléaire souterrain. Mais le , lors du deuxiÚme essai souterrain, un nuage radioactif s'échappe de la galerie de tir. C'est l'accident de Béryl (du nom de code de l'essai).

De novembre 1961 Ă  fĂ©vrier 1966, treize tirs en galerie sont effectuĂ©s dont quatre ne sont pas totalement contenus ou confinĂ©s (BĂ©ryl, AmĂ©thyste, Rubis, Jade), malgrĂ© cela, ce systĂšme donne satisfaction. Cependant, les Accords d'Évian ayant prĂ©vu que la France devrait abandonner ses expĂ©riences au Sahara, l'État français se met Ă  la recherche d'un autre site.

Le centre d'expérimentation du Pacifique (1966-1996)

Vue des bunker protégeant l'instrumentation sur l'atoll de Moruroa par un satellite de reconnaissance américain KH-7 (26 mai 1967).

Les essais aériens

Le a lieu le premier essai nucléaire aérien sur l'atoll de Moruroa en Polynésie française.

Deux ans plus tard, le , a lieu le premier essai d'une bombe H sur l'atoll de Fangataufa du nom de code Opération Canopus.

Au total, 46 essais nucléaires aériens sont réalisés en Polynésie, faisant intervenir plusieurs techniques :

  • les essais sur barges ;
  • les essais sous ballons captifs ;
  • les largages Ă  partir d'avions qui permettent de reproduire les conditions rĂ©elles de façon assez proche ;
  • les essais de sĂ©curitĂ© afin de vĂ©rifier que les bombes n'explosent pas tant qu'elles ne sont pas amorcĂ©es. En principe, ces essais ne provoquent pas d'explosion.

Le nuage radioactif consécutif à l'essai « centaure » touche effectivement Tahiti, le . Des précipitations de forte intensité, conjuguées aux effets du relief, conduisent à des dépÎts au sol, hétérogÚnes en termes d'activités surfaciques : à Hitia'a sur le plateau de Taravao, et au sud de Teahupoo.

Le retour aux essais souterrains

De 1975 à 1996, la France réalise 146 essais souterrains en Polynésie : dans les sous-sols et sous les lagons des atolls de Moruroa et Fangataufa.

Le est signĂ© le TraitĂ© de Rarotonga (Îles Cook), dĂ©clarant le Pacifique Sud zone dĂ©nuclĂ©arisĂ©e. La France ne s’y associe pas. Le est lancĂ© le dernier essai français dans le Pacifique avant le moratoire d’un an dĂ©cidĂ© par le prĂ©sident François Mitterrand le , par la suite renouvelĂ©.

Le le président Jacques Chirac rompt le moratoire et ordonne la réalisation d'une derniÚre campagne d'essais nucléaires dans le Pacifique. Cette ultime campagne a pour but de compléter les données scientifiques et techniques pour passer définitivement à la simulation.

Ces essais nucléaires, au nombre de six, prennent fin par un dernier essai le à Fangataufa[65].

Le développement de la force de dissuasion (1960- )

La Une du no 64 du bulletin Échos Sud-Aviation de , avec photo d'un prototype d'un corps de rentrĂ©e d'un MSBS M1.

Le gĂ©nĂ©ral de Gaulle dĂ©finit les moyens d'une dissuasion française autonome le lors d'une confĂ©rence Ă  l'École militaire. L’indĂ©pendance militaire du pays repose selon lui sur « une force de frappe susceptible de se dĂ©ployer Ă  tout moment et n'importe oĂč. Il va de soi qu'Ă  la base de cette force sera un armement atomique »[66]. La doctrine encadrant la mise en Ɠuvre de ces moyens n'est alors pas encore clairement dĂ©finie[67].

En 1959 est crĂ©Ă©e la SociĂ©tĂ© d'Ă©tude et de rĂ©alisation d'engins balistiques (SEREB), le mandataire de l'État et maĂźtre d'Ɠuvre des futurs systĂšmes d'armes de la Force nuclĂ©aire stratĂ©gique (FNS). Un an plus tard, la SEREB collabore avec les sociĂ©tĂ©s Nord-Aviation et Sud-Aviation et Ă©tablit les programmes des « Études balistiques de base » (EBB), dits des « Pierres PrĂ©cieuses ». Ils sont destinĂ©s Ă  acquĂ©rir les technologies nĂ©cessaires Ă  la rĂ©alisation de la FNS. C'est aussi en 1959 que le premier bombardier Mirage IV, construit par Dassault, est prĂ©sentĂ© en vol au gĂ©nĂ©ral de Gaulle lors du salon du Bourget, Ă  peine trois annĂ©es aprĂšs la signature du projet.

Le premier essai nucléaire français, dans le Sahara algérien, est suivi en 1961 par l'essai en vol de la fusée AGATE, premiÚre de la série des « Pierres précieuses », au Centre d'essais d'engins spéciaux à Colomb-Béchar en Algérie française.

Stratégie du faible au fort

Si ces armes nouvelles sous commandement strictement français garantissaient une autonomie stratĂ©gique elles n’étaient pas suffisantes car la France, n'ayant pas les moyens d'Ă©galer l'Union SoviĂ©tique en termes d'armement nuclĂ©aires et conventionnels, devait toujours se reposer sur le soutien amĂ©ricain pour garantir sa sĂ©curitĂ©[68]. Dans cette perspective les armes nuclĂ©aires françaises auraient pu servir de « dĂ©tonateur Â» aux armes amĂ©ricaines en cas de conflit, obligeant un prĂ©sident amĂ©ricain rĂ©ticent Ă  aider ses alliĂ©s. Dans le cadre d'un commandement occidental intĂ©grĂ©, les États-Unis auraient Ă©tĂ© ainsi forcĂ©s de consulter les français pour toute prise de dĂ©cision, affirmant le statut de grande puissance de la France voulu par de Gaulle[69]. Ce statut impliquait cependant que le pays se dote d'un arsenal nuclĂ©aire aussi variĂ© que celui des deux grands; comme le formula Jacques Chirac :« Nous ne voulons laisser Ă  personnes le monopole de telle ou telle catĂ©gorie d'armes Â»[70]. Mais le coĂ»t d'une telle entreprise nĂ©cessitait une doctrine d'emploi compatible avec les moyens nationaux.

La doctrine française de reprĂ©sailles nuclĂ©aires immĂ©diates et totales, inspirĂ©e de la doctrine de reprĂ©sailles massives (massive retaliation), est dĂ©finie en 1963[67]. Cette doctrine de « suffisance Â», en trois points, s'oppose Ă  la doctrine amĂ©ricaine de riposte graduĂ©e (flexible response) adoptĂ©e par l'administration Kennedy :

  • dĂšs 1961, il est demandĂ© aux futures Force aĂ©riennes stratĂ©giques (FAS) d'ĂȘtre en mesure « d’infliger Ă  l’URSS une rĂ©duction notable, c’est-Ă -dire environ 50 %, de sa fonction Ă©conomique Â» ;
  • dans la foulĂ©e, la prioritĂ© est donnĂ©e Ă  la stratĂ©gie « anti-citĂ©s Â», liĂ©e Ă  l'idĂ©e de la dissuasion « du faible au fort Â», rĂ©putĂ©e ĂȘtre « la plus dissuasive et la moins coĂ»teuse pour une puissance moyenne comme la France Â». Cette stratĂ©gie se refuse Ă  limiter les destructions aux moyens offensifs adverses (stratĂ©gie « anti-forces Â»), ceci entraĂźnant hypothĂ©tiquement une guerre nuclĂ©aire contre la France mĂ©tropolitaine Ă  laquelle celle-ci ne peut survivre ;
  • la FAS doit ĂȘtre capable d'exercer les dommages en toutes circonstances, y compris de rĂ©torsion « en second Â» et ne nĂ©cessite pas pour elle de disposer de moyens d’alerte avancĂ©e, type AWACS ou BMEWS, en particulier parce que l'adversaire majeur (l'Union SoviĂ©tique) est clairement identifiĂ©[71].

Les Mirage IV (1964)

Un Mirage IV A de l'escadron de bombardement EB 1/91 "Gascogne" basé a la base aérienne 118 Mont-de-Marsan, 1986.

L'année 1964 marque le début de la dissuasion nucléaire française permanente. En effet, le , les Forces aériennes stratégiques sont créées. En février, le premier Mirage IV et le premier avion ravitailleur C-135F arrivent dans les forces. En octobre, la premiÚre prise d'alerte par un Mirage IV, armé de la bombe AN-11, et un avion ravitailleur C-135F a lieu sur base aérienne de Mont-de-Marsan (Landes). Le trio arme nucléaire (AN-11), avion vecteur (Mirage IV) et avion de projection (ravitailleur) est alors opérationnel.

Au printemps 1966, avec 9 escadrons de Mirage IV, l'ensemble de la 1re composante de la force de dissuasion est réalisée. En 1973, 60 Mirage IV répartis sur neuf bases sont en alerte[72].

La triade nucléaire (1971)

Le Redoutable, 1er sous-marin nucléaire lanceur d'engins français.

En 1963, le gouvernement français opte pour la réalisation de deux nouveaux systÚmes d'armes stratégiques, terrestre et naval, en complément des Mirages IV :

La premiÚre unité opérationnelle de 9 missiles S2 de la Base aérienne 200 Apt-Saint-Christol sur le plateau d'Albion est mise en service le , la seconde le [73].

Le , entre en service le premier sous-marin nucléaire lanceur d'engins (SNLE): Le Redoutable. Il est suivi par cinq autres, mis en service entre 1973 et 1985.

Les armes nucléaires tactiques (1972)

Le dĂ©ploiement d'armes nuclĂ©aires tactiques françaises vient combler le vide laissĂ© dans l'Ă©quipement de l'ArmĂ©e de terre par le retrait en 1966 des missiles amĂ©ricains Honest John mais pousse Ă  la stratĂ©gie nationale du tout ou rien. Leur rĂŽle prĂ©cis ne sera dĂ©fini que sous la prĂ©sidence de François Mitterrand. Ces armes tactiques seront alors nommĂ©es "prĂ©-stratĂ©giques" car elles auraient Ă©tĂ© utilisĂ©es comme ultime avertissement Ă  l'ennemi, en cas d'invasion inarrĂȘtable par des moyens conventionnels, avant les frappes stratĂ©giques[74].

En , deux escadrons de Mirage IIIE de la 4e escadre de chasse de la Force aĂ©rienne tactique (FATac) se voient confier la mission nuclĂ©aire tactique avec l’arrivĂ©e de la bombe AN- 52[75]. Le , deux escadrons de SEPECAT Jaguar de la 7e escadre de chasse sont dĂ©clarĂ©s officiellement nuclĂ©aires tactiques. Ils seront rejoints dans cette mission par un troisiĂšme escadron le . Un escadron abandonnera ce rĂŽle Ă  partir du suivi par les 2 derniers le [76].

Le , le premier des cinq régiments de missiles Pluton entrent en service dans l'armée de terre française.

Le , le porte-avions Clemenceau reçoit, Ă  la suite d'une IPER, la qualification nuclĂ©aire et un local spĂ©cial pour l'embarquement de quatre ou cinq armes nuclĂ©aires AN-52 pouvant ĂȘtre utilisĂ© par les Super-Étendard de la Marine nationale y est amĂ©nagĂ©[77]. Entre 1980 et 1981, c'est le Foch qui est Ă  son tour amĂ©nagĂ© dans cette fonction pour une prise opĂ©rationnelle de service le [78] - [79].

La troisiÚme force nucléaire mondiale (1980)

Un missile S3 au musée du Bourget.

Durant les années 1980, la Force de frappe atteint son maximum avec plus de 500 ogives nucléaires réparties de la maniÚre suivante :

Le Bulletin of the Atomic Scientists estime un pic de 540 ogives en 1992, soit un total de 1 260 armes construites depuis 1964[82]

RĂ©duction et modernisation de l'arsenal (depuis 1991)

La réduction de l'arsenal nucléaire français commence à partir de 1988 avec le remplacement des cinq escadrons de Mirage III et Jaguar par trois escadrons de Mirage 2000N[83]. Le , le Président de la République, François Mitterrand, annonce le retrait anticipé des missiles Pluton dont les derniers sont désactivés le . Son remplaçant, HadÚs, est cependant autorisé mais en nombre réduit.

Le , le président Mitterrand annonce la mise en place d'un moratoire sur les essais nucléaires, mais le , son successeur nouvellement élu, Jacques Chirac, déclare que huit essais nucléaires auront lieu de septembre 1995 à janvier 1996. Ces derniers ont pour but de récolter assez de données scientifiques pour simuler les futurs essais. Une vague de contestation internationale a lieu. Le , dans un communiqué, la présidence annonce, aprÚs le sixiÚme essai (le 27 janvier sur l'atoll de Fangataufa en Polynésie) sur les huit prévus à l'origine, que la France met fin aux essais nucléaires. Avec ce dernier tir, ce sont 210 explosions qui furent réalisées par la France depuis l'acquisition de l'arme atomique en 1960. AprÚs la fin de cette derniÚre campagne de tests, la France signe le Traité d'interdiction complÚte des essais nucléaires (TICE) le 24 septembre et démantÚle ses installations de tests dans le Pacifique. Le Parlement ratifiera le TICE le , engageant ainsi la France à ne plus jamais réaliser d'essais nucléaires.

En 1996, la composante sol-sol de la triade nucléaire est abandonnée avec la désactivation des 18 silos de missiles du plateau d'Albion dans le Vaucluse[84] et des 30 missiles de la Force HadÚs stockés en Meurthe-et-Moselle. Les composantes mer-sol et air-sol sont conservées mais avec un nombre de vecteurs réduit. Dans le cadre d'une stratégie nouvelle de stricte suffisance, les Mirage IV quittent le rÎle stratégique et le nombre de SNLE passe de six à quatre avec la mise en service de la classe Le Triomphant. Le président Nicolas Sarkozy poursuit cette politique en dissolvant l'un des trois escadrons de Mirage 2000N.

Au dĂ©but du XXIe siĂšcle, la France a presque rĂ©duit de moitiĂ© son arsenal mais poursuit la modernisation de ses vecteurs et effecteurs nuclĂ©aire. Les tests grandeur nature des engins n’étant plus possibles, la fiabilitĂ© des ogives nuclĂ©aires est assurĂ©e par des tirs froids dans le cadre du programme Simulation de modĂ©lisation des explosions.

Collaborations avec d'autres pays

Collaboration avec l'Allemagne fédérale et l'Italie

En 1955, la France initia une coopĂ©ration avec la RĂ©publique fĂ©dĂ©rale d'Allemagne pour la construction d'une usine d'enrichissement d'uranium. Lors de la confĂ©rence de Messine (), un Ă©largissement Ă  l'Ă©chelle europĂ©en fut aussi envisagĂ© par la France. Dans une tentative de faire Ă©chouer ce projet, les États-Unis proposĂšrent de fournir aux pays europĂ©ens quelques kilos d'uranium enrichi Ă  tarif prĂ©fĂ©rentiel. La France tenta d'Ă©largir cette coopĂ©ration Ă  l'Italie (accord tri-partite du )[51]. Chaque pays avait son propre objectif :

  • l'Allemagne fĂ©dĂ©rale cherchait Ă  acquĂ©rir un armement nuclĂ©aire national. Si, selon les Accords de Paris (1955), la RFA ne pouvait produire des armes nuclĂ©aires (mais aussi bactĂ©riologiques et chimiques) sur son territoire, il ne lui Ă©tait pas interdit d'en possĂ©der, Ă  condition qu'elles soient produites Ă  l'Ă©tranger. De plus, les accords de Paris n'interdisaient pas Ă  la RFA les recherches dans ce domaine[51]. D'ailleurs, elle possĂ©dait un ministre chargĂ© des questions atomiques : Franz Josef Strauß, partisan de l'armement nuclĂ©aire de la RFA et futur ministre de la DĂ©fense ;
  • l'Italie visait la construction d'un armement nuclĂ©aire europĂ©en, afin de rĂ©-Ă©quilibrer les forces au sein de l'OTAN[51] ;
  • la France voulait qu'une usine d'enrichissement soit construite Ă  l'Ă©chelle europĂ©enne afin de rĂ©aliser des Ă©conomies financiĂšres. PoussĂ©e par Jacques Chaban-Delmas (alors ministre de la DĂ©fense), cette collaboration devait aussi permettre de diminuer la dĂ©pendance vis-Ă -vis des États-Unis. Elle avait aussi peut-ĂȘtre pour objectif de mettre fin aux accords anglo-amĂ©ricains[51].

Cette collaboration fut interrompue en par l'arrivée au pouvoir du général de Gaulle[51].

Collaboration avec Israël

En 1955, le premier ministre israĂ©lien David Ben Gourion manifeste sa volontĂ© de doter l'État israĂ©lien de l'arme atomique. L'objectif israĂ©lien est d'obtenir, au travers de l'arme atomique, une garantie d'existence et de survie de la part des États-Unis[51]. La constitution du gouvernement socialiste Mollet en lui permet d'envisager une collaboration avec la France. Guy Mollet, mu par son idĂ©al socialiste, Ă©tait trĂšs enclin Ă  aider Ă  la survie d'IsraĂ«l. Les armes conventionnelles fournies par la France n'auraient pas suffi Ă  IsraĂ«l pour faire face indĂ©finiment aux pays arabes[51]. Le , Pierre Guillaumat et Francis Perrin rencontrent le professeur Ernst David Bergmann (en) (responsable du programme atomique militaire israĂ©lien) et Shimon Peres (reprĂ©sentant le ministre de la dĂ©fense - et premier ministre - Ben Gourion) afin de parler de la construction d'un rĂ©acteur de recherche dans le dĂ©sert du NĂ©guev[51].

La coopĂ©ration entre la France et IsraĂ«l s'accentua avec l'arrivĂ©e Ă  la prĂ©sidence du Conseil de Maurice BourgĂšs-Maunoury en . À la mi-1957, un accord fut conclu pour la construction en IsraĂ«l d'un rĂ©acteur nuclĂ©aire Ă©quivalent Ă  la pile G1 de Marcoule (production de 10 Ă  15 kg de plutonium par an). Les travaux dĂ©butent six mois plus tard Ă  Dimona[51]. Comme la coopĂ©ration franco-italo-germanique, cette collaboration est interrompue par l'arrivĂ©e au pouvoir du gĂ©nĂ©ral de Gaulle qui, en 1961, dĂ©cide de faire cesser toute aide française concernant l’usine de sĂ©paration du plutonium et de terminer la construction du rĂ©acteur de Dimona[85].

Collaboration avec l'Afrique du Sud

À partir de 1963, un accord entre la France et l'Afrique du Sud[86] permet Ă  la France de s'approvisionner en uranium « libre d'emploi Â», contournant l'embargo de fait imposĂ© par les États-Unis.

Collaboration avec le Royaume-Uni

Contrairement au Royaume-Uni et Ă  la Chine, qui passĂšrent du stade nuclĂ©aire au stade thermonuclĂ©aire en cinq et trois ans respectivement, la France met plus de huit ans (1960-1968) pour faire de mĂȘme[87]. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette lenteur particuliĂšre[88] :

  • un certain isolement des scientifiques français vis-Ă -vis de leurs alliĂ©s au dĂ©but des annĂ©es 1960, rĂ©sultat de l'isolement diplomatique de la politique gaullienne ;
  • le refus de la jeune Ă©lite scientifique française de travailler au service de l'armement nuclĂ©aire alors mĂȘme que la rĂ©alisation de la bombe H nĂ©cessitait des recherches fondamentales bien plus poussĂ©es que pour la bombe A ;
  • une lutte d'influence entre les directeurs des antennes de la Direction des Applications Militaires du CEA alliĂ©e Ă  une organisation verticale, inadaptĂ©e Ă  la complexitĂ© d'un engin thermonuclĂ©aire.

Quand finalement, en , la solution à la fusion nucléaire est trouvée par le jeune ingénieur Michel Carayol, elle n'est pas retenue[89].

La bombe H contre l’accĂšs au marchĂ© commun

Le , lors de la visite de Pierre Messmer à Londres, le ministre de la défense britannique lui offre de coopérer en matiÚre nucléaire et de reformer l'OTAN en échange d'un accÚs au marché commun européen, ce que de Gaulle refuse[90].

En , la Grande-Bretagne rĂ©itĂšre son offre, et, embarras thermonuclĂ©aire français oblige, elle est acceptĂ©e. Ainsi, Londres livre les secrets de la bombe H par l’intermĂ©diaire du physicien William Cook qui, rĂ©pondant aux questions des savants français, confirme que la solution proposĂ©e par Carayol est la bonne[91].

Traités de Londres

Le , un accord de coopĂ©ration en matiĂšre de dĂ©fense et de sĂ©curitĂ© entre la France et le Royaume-Uni est signĂ© dans le cadre des traitĂ©s de Londres. Celui-ci prĂ©voit une installation commune Ă  Valduc (France) oĂč sera « modĂ©lisĂ©e la performance des tĂȘtes nuclĂ©aire et des Ă©quipements associĂ©s, afin d’en assurer la viabilitĂ©, la sĂ©curitĂ© et la sĂ»retĂ© Ă  long terme ». Un centre de dĂ©veloppement technologique commun Ă  Aldermaston (Royaume-Uni) soutiendra ce projet[92].

Collaboration avec les États-Unis

À la suite de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis cherchent Ă  empĂȘcher la prolifĂ©ration nuclĂ©aire. Ils tentent d'abord, en vain, de troquer leur aide technique contre une coordination aussi Ă©troite que possible pour l'emploi Ă©ventuel de la bombe, puis favorisent quelque peu le programme français lorsque la crĂ©dibilitĂ© de leur parapluie nuclĂ©aire est mise Ă  mal avec le lancement du premier missile balistique intercontinental soviĂ©tique et du Spoutnik en 1957[93]. Ils rĂ©alisent par la suite que l'engagement du programme nuclĂ©aire français est inexorable et inflĂ©chissent leur politique Ă  partir de 1973[86] pour favoriser son dĂ©veloppement, bien que l'Atomic Energy Act (en) interdise officiellement le transfert de technologies militaires[51].

Années 1950

Dans les annĂ©es 1950, les États-Unis essaient de dissuader la France de construire une bombe atomique. NĂ©anmoins, l'administration Eisenhower fournit une assistance technique, avec diffĂ©rents niveaux de dĂ©veloppement, dans quatre domaines :

  • information ouverte,

« Le rapport Smyth, publié le par le gouvernement américain, est une bonne source d'information pour les Français. Ce rapport montre comment les Américains avaient fait pour réussir à construire leurs bombes atomiques[51]. Les « conférences des Nations Unies sur les utilisations pacifistes de l'énergie atomique »[94] apportent aussi des informations utilisables. La premiÚre conférence () s'accompagne, cÎté américain, de la déclassification de nombreux documents fournissant des informations théoriques. La seconde conférence () fournit des informations plus pratiques, en particulier sur la notion de masse critique[51] »

  • visite du champ de tir atomique du Nevada,

« DÚs , le colonel Pierre Marie Gallois visite le Site d'essais d'armes atomique du Nevada (NTS). En , le général Charles Ailleret (commandant interarmées des armes spéciales) y effectue une autre visite. Cela permet de comprendre l'organisation de tels essais et de valider l'organisation envisagée pour le site d'essais du Sahara[51] »

  • appareils de mesure ultra-rapide,

« En , grĂące aux bonnes relations entre les prĂ©sidents FĂ©lix Gaillard et Eisenhower, le gĂ©nĂ©ral Ailleret, le colonel Buchalet et le professeur Yves Rocard (CEA) se rendent au NTS dans le cadre de la mission Aurore. Si une partie de la mission est consacrĂ©e Ă  des rĂ©unions cherchant apparemment Ă  dissuader la France de construire une bombe atomique, des rĂ©unions techniques permettent toutefois Ă  la dĂ©lĂ©gation française d'en apprendre plus sur les appareils de diagnostic de l'explosion. Et finalement, des appareils Ă©lectroniques de mesure ultra-rapide sont ramenĂ©s en France, oĂč ils faisaient dĂ©faut[51] - [95] »

  • uranium enrichi,

« Le , Pierre Guillaumat (administrateur gĂ©nĂ©ral du CEA) rencontre l'amiral Elliott B. Strauss au sujet de la livraison d'uranium enrichi pour construire un rĂ©acteur nuclĂ©aire de sous-marin. L'amiral Strauss cherche Ă  dissuader le CEA de construire sa propre usine d'enrichissement de l'uranium et les États-Unis s'engagent Ă  fournir le combustible mais pas pour un sous-marin directement. La coopĂ©ration dans ce domaine demeura donc trĂšs limitĂ©e[51]. Le , les AmĂ©ricains fournissent bien l'uranium enrichi, ce qui permettra au prototype de rĂ©acteur naval français (PAT), construit au centre de Cadarache pour respecter les termes du contrat, de diverger en . »

Années 1960

Le site nucléaire de Marcoule, photographié par un satellite de reconnaissance américain KH-7 (11 juin 1967).

Les annĂ©es 1960 sont celles de la prĂ©sidence de Charles de Gaulle. Le prĂ©sident De Gaulle veut garantir la totale indĂ©pendance de la France en matiĂšre nuclĂ©aire. Bien que pragmatiquement attachĂ© Ă  l'alliance militaire occidentale, il s'en distancie au fur et Ă  mesure que s’organise la Force de frappe. DĂšs , les armes nuclĂ©aires tactiques amĂ©ricaines sont Ă©vacuĂ©es du territoire national. Cette politique n’empĂȘche pas une collaboration continue avec les États-Unis car pour Washington c'est un moyen supplĂ©mentaire de surveillance du programme français[Note 1] et pour Paris l'occasion d’économiser du temps et de l'argent. Ce n'est qu'en que les relations franco-amĂ©ricaines tombent au plus bas, quand De Gaulle retire la France du commandement intĂ©grĂ© de l'OTAN.

Armement nucléaire américain au service de l'OTAN

Durant la premiĂšre moitiĂ© des annĂ©es 1960, les forces françaises en Allemagne (FFA) ont l'occasion de s'exercer au maniement d'armes nuclĂ©aires avec des armes tactiques amĂ©ricaines sous doubles clefs dans le cadre de l'OTAN. Les divisions mĂ©canisĂ©es modĂšle 59 ont chacune deux batteries de deux missiles Honest John Ă  partir de , soit 20 lanceurs au total (1965) en service jusque 1966[96]; les 520 et 521e Brigade d’Engins des FFA dans le Bade-Wurtemberg dĂ©ploient huit batteries de missile sol-air Nike-Hercules de 1960 Ă  1966[97] et les avions F-100 Super Sabre de la 11e escadre de chasse basĂ©s Ă  Bremgarten et Lahr-Hugsweier, emportent des bombes tactiques Mk-28 entre 1963 et 1964[98] - [99].

Armement américain au service de la France

Alors mĂȘme que le secrĂ©taire Ă  la DĂ©fense, Robert McNamara, est opposĂ© au dĂ©veloppement de forces nuclĂ©aires indĂ©pendantes au sein de l'OTAN, l'administration Kennedy autorise, en , la vente de douze C-135F Stratotanker aux forces aĂ©riennes stratĂ©giques françaises en dĂ©veloppement. L'avion de Boeing, indispensable Ă  la mission des Mirages IV, permet Ă  la France de rĂ©aliser des Ă©conomies substantielles en lui Ă©vitant d'avoir Ă  dĂ©velopper son propre avion ravitailleur[Note 2] - [100].

L'achat de matĂ©riel amĂ©ricain permet aussi aux ingĂ©nieurs français de progresser plus vite en l’étudiant. Dans le domaine de la guerre Ă©lectronique, les Ă©changes entre US Air Force et armĂ©e de l'Air sont particuliĂšrement fructueux des deux cĂŽtĂ©s de l'Atlantique[101].

Années 1970

« La prĂ©sentation politique de l’indĂ©pendance de la dissuasion nuclĂ©aire française [...] serait ternie par la dĂ©couverte que nous bĂ©nĂ©ficions d’un soutien technique amĂ©ricain ! »

— ValĂ©ry Giscard d’Estaing, dans ses mĂ©moires[102].

Généralités

Élu en 1969, l'amĂ©lioration des relations avec la France devient l'un des objectifs de la politique Ă©trangĂšre du prĂ©sident Richard Nixon. Son administration inverse ainsi la politique amĂ©ricaine d'opposition au programme nuclĂ©aire français[103].

En consĂ©quence, au dĂ©but des annĂ©es 1970, les États-Unis prennent l'initiative de discussion avec la France sur le nuclĂ©aire militaire. Ces discussions sont aussi un moyen pour les AmĂ©ricains d'en apprendre plus sur l'arsenal nuclĂ©aire français. De plus, l'amĂ©lioration de la force nuclĂ©aire française renforcerait la position stratĂ©gique des États-Unis face Ă  l'Union soviĂ©tique[103]. En plus d'ĂȘtre supposĂ©ment gardĂ©es secrĂštes au niveau international, ces discussions, puis l'aide apportĂ©e, se font sans en informer ni le CongrĂšs amĂ©ricain, ni le DĂ©partement d'État. En effet, l'Atomic Energy Act (en) interdit alors le transfert de technologies des armes nuclĂ©aires. Toutefois, les AmĂ©ricains tiennent les Britanniques informĂ©s des dĂ©veloppements français.

Finalement, cette aide, bien que limitée, permet des économies de temps et d'argent au programme nucléaire militaire français. Elle se poursuit sous l'administration Ford, et reste inconnue du public jusqu'en 1989, lorsque Richard Ullman publie son article « The Covert French Connection » dans la revue « Foreign Policy »[103].

Le , un archiviste des National Security Archives, William Blurr, conjointement avec le Nuclear Proliferation International History Project, publie un rapport confirmant dans ses grandes lignes l'article publié vingt ans plus tÎt par Ullman. Ce rapport, issu de documents déclassifiés, montre que la coopération américano-française était plus précoce encore que ce qu'affirmait l'article d'Ullman[104].

DĂ©roulement

La visite de Georges Pompidou Ă  Washington en [105] - [106] marque le redĂ©marrage des relations franco-amĂ©ricaines. Pompidou avoue la faiblesse stratĂ©gique de la France et la possibilitĂ© que les missiles nuclĂ©aires français ne soient pas capables d'atteindre leurs cibles. Si Pompidou ne demande pas directement d'aide amĂ©ricaine, il fait remarquer que le « comitĂ© franco-amĂ©ricain pour les Ă©changes technologiques » est au point mort. Nixon reconnaĂźt que la « question nuclĂ©aire » pourrait faire le sujet de discussions sur la coopĂ©ration. À la suite, le secrĂ©taire de la DĂ©fense Melvin Laird suggĂšre de fournir Ă  la France des informations sur l'amĂ©lioration de la sĂ»retĂ© des missiles et sur les matĂ©riaux pour la phase de rentrĂ©e atmosphĂ©rique. Il reste plus modĂ©rĂ© sur le transfert de la technologie de navigation astronomique[103].

Missiles M45 et M51 dans des coques de SNLE (type Redoutable, à gauche) et de SNLE-NG (type Triomphant, au milieu), Trident II américain à droite

En , l'Assistant Secretary of Defense for Research and Engineering John S. Foster, Jr. effectue un voyage à Paris pour y rencontrer le délégué général pour l'armement au ministÚre des Armées Jean Blancard. Une liste des demandes françaises est soumise. Elle porte sur le développement de missiles terrestres et sous-marins, tel que les techniques de fabrication, la fiabilité des moteurs à propergol solide ou les matériaux résistants aux effets atomiques pour les véhicules de rentrée atmosphérique. Foster fait clairement savoir qu'il n'y aura pas d'aide sur la technologie de navigation astronomique, mais possiblement sur le guidage inertiel des missiles sous-marins[103].

La Maison-Blanche prend presque une annĂ©e pour statuer sur la demande française car elle souhaitait tout d'abord passer en revue la politique d'aide militaire Ă  la France. La rĂ©ponse ne peut pas ĂȘtre nĂ©gative car ce sont les États-Unis qui avaient pris l'initiative des pourparlers sur les missiles de 1970. Aussi, en , Nixon approuve un programme d'aide minimum : les États-Unis assisteront la France pour l'amĂ©lioration des systĂšmes existants mais pas pour le dĂ©veloppement de nouveaux systĂšmes. Cette rĂ©ponse est transmise par le dĂ©partement d'État et le ministĂšre de la DĂ©fense en [103].

Une dĂ©lĂ©gation menĂ©e par Foster mĂšne une seconde visite en France en . Les discussions portent alors sur les moyens pour Washington d'aider le programme de missiles nuclĂ©aires français. Les Français demandent de l'assistance sur l'amĂ©lioration de la sĂ»retĂ© et de l'opĂ©rationnalitĂ© au travers d'un appui sur des problĂšmes techniques allant de la propulsion aux connecteurs Ă©lectriques. Une rĂšgle de fonctionnement est arrĂȘtĂ©e : les Français feront parvenir des descriptions de leurs problĂšmes techniques et les AmĂ©ricains les conseilleront. La dĂ©lĂ©gation amĂ©ricaine est conduite Ă  Bordeaux pour visiter les installations de production de missiles et voir les missiles eux-mĂȘmes. Les Français sont apparemment satisfaits des Ă©changes techniques autorisĂ©s par Nixon en 1971[103].

En , le ministre de la DĂ©fense Michel DebrĂ© effectue une visite officielle aux États-Unis. Alors que la presse spĂ©cule sur l'Ă©ventualitĂ© de discussions sur la coopĂ©ration nuclĂ©aire, DebrĂ© nie, et, Ă  l'Ă©poque, aucune information sur ces discussions ne paraĂźt dans la presse. Lors d'une rĂ©union avec Henry Kissinger, DebrĂ© demande la fourniture de renseignements sur les missiles antibalistiques de l'URSS. Kissinger y est favorable, mais considĂ©rant que l'administration puisse s'y opposer, suggĂšre que l'ambassadeur français ne formule pas de demande officielle. Les fonctionnaires du dĂ©partement d'État sont tenus Ă  l'Ă©cart des discussions de DebrĂ© avec la Maison-Blanche et le Pentagone. Ils apprennent cependant qu'une nouvelle liste de demandes a Ă©tĂ© transmise Ă  Foster et que ces demandes portent sur des sujets trĂšs sensibles (miniaturisation des tĂȘtes nuclĂ©aires, mode d'utilisation des sous-marins nuclĂ©aires lanceur d'engins, etc.)[103].

AprÚs la visite de Debré, les Français continuent à demander plus d'informations. En , suivant les conseils de Melvin Laird, Richard Nixon autorise le transfert d'informations sur :

Foster suggÚre de fournir aussi des informations sur les systÚmes d'alerte précoce afin de renforcer le caractÚre dissuasif de la force nucléaire française[103].

Les présidents Nixon (gauche) et Pompidou (droite) lors du sommet en Islande

À la fin , lors d'une rencontre en Islande entre Kissinger, Nixon et Pompidou, ce dernier demande que les discussions, jusqu'alors limitĂ©es Ă  la technologie des missiles, soient Ă©tendues aux technologies des armes nuclĂ©aires[107]. En consĂ©quence, le nouveau ministre des ArmĂ©es Robert Galley se rend aux États-Unis pour des discussions secrĂštes avec Kissinger et le nouveau secrĂ©taire de la DĂ©fense James Schlesinger. Galley explique Ă  Kissinger que la France souhaite des informations sur :

  • la pĂ©nĂ©tration des missiles, y compris le durcissement des vĂ©hicules de rentrĂ©e, l'aide Ă  la pĂ©nĂ©tration et les missiles Ă  ogives multiples pour les sous-marins ;
  • la taille et la masse des dĂ©tonateurs accĂ©lĂ©rĂ©s ;
  • la rĂ©alisation d'essais souterrains aux États-Unis.

Il s'agit alors pour les Français de développer une nouvelle génération de missiles[103].

Afin d'Ă©viter d'avoir Ă  demander l'autorisation du CongrĂšs amĂ©ricain (et ainsi contourner l'Atomic Energy Act (en)), Kissinger et Galley s'accordent pour que les États-Unis s'en tiennent Ă  du « conseil par la nĂ©gative » (sans que l'on sache qui propose ce type d'accord), c'est-Ă -dire que les AmĂ©ricains se contenteront de critiquer les idĂ©es soumises par les Français. Ces discussions se poursuivirent pendant quatre ans. Elles doivent rester secrĂštes afin de ne pas compliquer les relations entre les États-Unis et ses autres alliĂ©s qui pourraient alors demander le mĂȘme traitement. Ni le dĂ©partement d'État, ni le CongrĂšs n'en auront connaissance[103].

Les tĂȘtes multiples d'un missile amĂ©ricain Minuteman.

Un missile balistique peut porter plusieurs ogives permettant de frapper des objectifs diffĂ©rents dans une mĂȘme zone. Si Kissinger est conscient des limites du programme français et de l'intĂ©rĂȘt que la France peut jouer en termes de dissuasion, il dĂ©cide cependant de modĂ©rer le transfert des informations afin de donner l'impression aux Français que les discussions avec Galley avancent. Toutefois, au dĂ©but de l'annĂ©e 1975, les Français s'inquiĂštent de la lenteur du retour d'informations. Les amĂ©ricains rĂ©pondent qu'il n'y a rien d'anormal et qu'il s'agit simplement d'une l'analyse dĂ©taillĂ©e de leurs demandes. Certaines demandes sont de toute façon difficile Ă  satisfaire, telle l'utilisation du site du Nevada pour des essais souterrains. Sur ce point, Ă  la mi-1975, le prĂ©sident Ford demande tout de mĂȘme d'Ă©tudier les possibilitĂ©s d'aider les Français Ă  conduire des essais souterrains. Il autorise aussi un programme d'assistance qui comprend :

  • l'amĂ©lioration de la sĂ©curitĂ©, de l'opĂ©rationnalitĂ© et de la diminution de la vulnĂ©rabilitĂ© nuclĂ©aire des missiles stratĂ©giques ;
  • le durcissement des missiles et des vĂ©hicules de rentrĂ©es ;
  • les vĂ©hicules de rentrĂ©es Ă  tĂȘtes multiples (Ă  condition qu'ils visent une mĂȘme cible) ;
  • les connaissances fondamentales sur le comportement des matĂ©riaux liĂ©s Ă  la conception des armes nuclĂ©aires.

Ford interdit toutefois la divulgation d'informations sensibles et l'utilisation du site du Nevada pour y exposer les matériaux des véhicules de rentrée[103].

Le flux d'informations continue Ă  rester limitĂ©. Quelques mois plus tard, le prĂ©sident ValĂ©ry Giscard d'Estaing s'en inquiĂšte auprĂšs de Ford et Kissinger. Kissinger l'explique par les rĂ©ticences du Pentagone et du CongrĂšs. Ce dernier verrait d'un mauvais Ɠil que la Maison-Blanche autorise l'exportation d'ordinateurs performants. Si la dĂ©cision sur les ordinateurs doit attendre plusieurs mois, l'assistance est effective sur les technologies des essais souterrains, les vĂ©hicules de rentrĂ©e Ă  tĂȘtes multiples et la vulnĂ©rabilitĂ© des sous-marins[103].

Depuis les années 1980

Les coopĂ©rations des annĂ©es 1980 et 1990 restent encore trĂšs peu connues, tout comme le contenu de l'accord de coopĂ©ration nuclĂ©aire entre la France et les États-Unis dĂ©cidĂ© par Jacques Chirac et Bill Clinton en 1996[103].

Notes et références

Notes

  1. Le 15 Juillet 1965, un RF-101 Voodoo basé en France survole l'usine militaire de Pierrelatte. De 1966 à 1968, des C-135 basés à Hawaï recueillent des échantillons des essais nucléaires dans le Pacifique.
  2. Si la France n'avait pas eu accÚs aux avions ravitailleurs américains elle aurait pu adapter la Caravelle ou construire un bombardier stratégique à plus long rayon d'action, deux solutions cependant trÚs coûteuses.

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