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Uranium naturel graphite gaz

La filière des réacteurs nucléaires à l'uranium naturel graphite gaz (UNGG) est une technologie de réacteur refroidi au gaz, maintenant obsolète et en cours de démantèlement, développée en France dans les années 1950.

Ces centrales ont été utilisées pour produire du plutonium, pour la fabrication d'armement atomique, et de l'électricité.

Technologie

La filière UNGG regroupe les réacteurs nucléaires ayant pour caractéristiques communes :

Le design des UNGG fut continuellement amélioré et aucune unité, sauf G2 et G3, n'était identique à une autre.

Caractéristiques générales des réacteurs nucléaires UNGG français.
Site nucléaire Marcoule[1] Chinon Saint-Laurent-des-Eaux Bugey
RĂ©acteur G1 G2 G3 EDF1 EDF2 EDF3 EDF4 EDF5 Bugey-1
Dates Divergence 1956 1958 1959 1963 1965 1966 1969 1971 1972
ArrĂŞt 1968 1980 1984 1973 1985 1990 1990 1992 1994
Puissance thermique (MWt) 46 260 300 850 1580 1650 1700 1920
Puissance brute (MWe) 5 43 80 230 480 500 530 555
Puissance nette (MWe) 2 39 40 70 180 360 390 465 540
Facteur de charge (%) 74
Coût du kWh (c francs)[2] 22.52 8.79 7 8.32 7.54

RĂ©acteur

Schéma d'un réacteur de la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux (EDF4/5).

Le cœur d'un réacteur UNGG est un bloc modérateur formé d'un empilement de briques hexagonales de graphite de qualité nucléaire, percé de canaux dans lesquels sont introduits cartouches de combustibles et barres de contrôle. L'orientation des canaux de combustible, d'abord horizontale sur les réacteurs plutonigènes (G1, G2 et G3), est devenue verticale avec les réacteurs électrogènes subséquents. À la périphérie du bloc modérateur, des briques de graphite servent de réflecteur pour limiter les pertes de neutrons. Dans les réacteurs des centrales de Saint-Laurent-des-Eaux et du Bugey, des tubes de graphite de support séparent le cœur des échangeurs de chaleur situés immédiatement en dessous et permettent de limiter l'activation neutronique de ces derniers[3]. Chaque canal de combustible est surmonté de thermomètres, débitmètres et d'un système de détection de rupture de gaine (DRG) qui fonctionne en révélant la présence de produits de fission dans le gaz caloporteur[4].

Le cœur du réacteur est enfermé dans un caisson en béton précontraint de plusieurs mètres d'épaisseur, qui peut contenir soit tout le circuit de CO2 et son échangeur de chaleur (cas des réacteurs de Saint-Laurent-des-Eaux et du Bugey), soit uniquement le cœur du réacteur. Dans ce second cas, le circuit de CO2 sortait du caisson pour traverser un générateur de vapeur situé à proximité immédiate du cœur (Chinon) ou à l’extérieur du bâtiment réacteur (Marcoule).

Le fluide caloporteur, circulant entre les cartouches de combustible et le graphite, est sous une pression allant de la pression atmosphĂ©rique pour G1 Ă  42 bars pour Chinon-1. Une pression plus Ă©levĂ©e permet de diminuer le dĂ©bit de gaz pour une mĂŞme quantitĂ© de chaleur extraite et donc rĂ©duit d'autant la puissance des soufflantes nĂ©cessaires pour le faire circuler[5]. Le sens d’écoulement du gaz, longitudinal dans les piles de Marcoule, est orientĂ© du bas vers le haut dans les rĂ©acteurs de Chinon pour profiter de la convection naturelle, et du haut vers le bas dans les rĂ©acteurs de Saint-Laurent-des-Eaux et Bugey car leurs Ă©changeurs de chaleur sont situĂ©s immĂ©diatement en dessous du cĹ“ur[3]. Cette dernière disposition, outre sa sĂ©curitĂ© accrue, permet la simplification du coĂ»teux système de manutention du combustible qui est mieux refroidi et ne risque pas de laisser « s'envoler » les cartouches dans un flux de gaz ascendant[6] - [7].

Caractéristiques du cœur des réacteurs nucléaires UNGG français
Site nucléaire Marcoule Chinon[8] Saint-Laurent-des-Eaux Bugey
Coeur G1 G2 G3 EDF1 EDF2 EDF3 EDF4 EDF5 Bugey-1
Orientation Horizontale Verticale
Longueur (m) 9,05 10,02 8,4 10,2
Diamètre (m) 9,53d 9,5 12,2 16
Masse de graphite (t) 1200 1300 1120 1650 2350 2572 2440 2039
Nombre de canaux 1200 1148 1977 852
Température du gaz (°C) 230 400 360 390 410 430 470 450
Pression du gaz (bar)[9] 1 15 25 27 29 43

d : Le cœur a la forme d'un prisme.

Combustible

section d'une cartouche de combustible
Section d'une cartouche de combustible annulaire INCA de la centrale du Bugey.

Le combustible des UNGG est un alliage d'uranium naturel mĂ©tallique et de molybdène (1,1 %) gainĂ© d'un alliage de magnĂ©sium et de zirconium (0,6 %). Avec l’optimisation des rĂ©acteurs, la forme des cartouches de combustible a changĂ©. D'un barreau de 26 centimètres de long pour 3,1 cm de diamètre (G2 et G3), elle est devenue un tube rempli d’hĂ©lium de 56 cm de long, de diamètre croissant avec la puissance des rĂ©acteurs, et enfin un anneau de 9,5 cm de diamètre (Bugey-1) refroidi extĂ©rieurement et intĂ©rieurement. Pour augmenter encore l’efficacitĂ© des Ă©changes thermiques, ces diffĂ©rentes formes Ă©taient toutes munies d'ailettes configurĂ©es en chevrons. Pour augmenter les rendements de fission, elles furent insĂ©rĂ©es dans un tube, ou chemise, de graphite Ă  partir d'EDF2. Des cartouches de combustible tubulaire Ă  âme de graphite furent aussi testĂ©es sur les rĂ©acteurs de Saint-Laurent-des-Eaux[3].

Sur tous les UNGG sauf EDF1, le rechargement du combustible pouvait se faire en marche. Sur les réacteurs de Marcoule, une machine de chargement se connectait hermétiquement à un canal pour y pousser une barre de combustible neuve. La barre usagée correspondante, à l'autre extrémité du canal, tombait le long d'un toboggan dans une piscine où elle refroidissait plusieurs semaines avant d'être envoyée pour retraitement[10].

Caractéristiques du combustible des réacteurs nucléaires UNGG français[3]
Site nucléaire Marcoule Chinon Saint-Laurent-des-Eaux Bugey
Combustible G1 G2 G3 EDF1 EDF2 EDF3 EDF4 EDF5 Bugey-1
Format Barreau Tube fermé aux extrémités Anneau
Diamètre (cm) 3,1 3,5 4 4,3 9,5
Longueur (cm) 26 56 56
Alliage Sicral U-Mo 0,5 % U-Mo % Sicral

Avantages

Inconvénients

  • Pas de structure secondaire de confinement ;
  • Au-delĂ  d'une certaine puissance (> 600 MWe), le rĂ©acteur devient instable et donc difficile Ă  contrĂ´ler. Le cĹ“ur se divise en diffĂ©rentes zones au comportement neutronique indĂ©pendant ;
  • Le CO2 Ă  haute pression et haute tempĂ©rature (> 360 °C) est corrosif pour l'acier et le graphite, accĂ©lĂ©rant l'usure du rĂ©acteur ;
  • Le combustible ne peut ĂŞtre stockĂ© pendant de longues durĂ©es en piscines car son gainage ne rĂ©siste pas Ă  l'eau. Il doit donc ĂŞtre rapidement retraitĂ© ;
  • La faible teneur en isotope fissile de l'uranium naturel conduit Ă  des taux de combustion modestes (< 6 000 MWj/t[11]), ce qui nĂ©cessite un renouvellement frĂ©quent du combustible, et donc un dispositif de retraitement important ;
  • Les circuits de refroidissement sont volumineux car la capacitĂ© de transport de la chaleur (capacitĂ© thermique) dĂ©pend de la densitĂ© de la matière et, Ă  volume Ă©gal, un gaz transporte beaucoup moins de chaleur qu'un liquide. Le rĂ©acteur Bugey-1, d'une puissance presque huit fois supĂ©rieure Ă  EDF1, dĂ©montre que cette augmentation est obtenue avec un cĹ“ur Ă  peine plus volumineux (2 039 tonnes de graphite contre 1 120 t), mais, cĂ´tĂ© structures de refroidissement, le volume nĂ©cessaire croit très rapidement. Chinon A3 atteint ainsi une puissance difficile Ă  dĂ©passer en raison de la taille des tuyauteries de refroidissement, donc des bâtiments qui les contiennent. Pour extraire davantage de puissance, il faut abandonner le refroidissement par un gaz pour passer au refroidissement par un liquide. Ce sera la filière « REP » des rĂ©acteurs Ă  eau pressurisĂ©e, dont un dĂ©monstrateur a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ© Ă  Chooz (dans les Ardennes). Toutefois les rĂ©acteurs REP ne sont pas capables de fonctionner avec de l'uranium naturel et nĂ©cessitent de l'uranium enrichi, qui doit ĂŞtre achetĂ© aux États-Unis, seul pays a en possĂ©der. Il faudra donc attendre la crĂ©ation d'une filière d'enrichissement de l'uranium en France (installĂ©e Ă  Pierrelatte) pour lancer la gĂ©nĂ©ration des rĂ©acteurs REP.

Histoire

La filière française des UNGG a été développée conjointement par le CEA et EDF après la Seconde Guerre mondiale, jusqu’à son abandon en 1969 au profit de la filière des réacteurs à eau légère pressurisée (REP) développée ensuite sous licence américaine Westinghouse. Dans les années 1950 et 1960, dix réacteurs nucléaires UNGG furent construits, dont un en Espagne.

Le choix du graphite plutôt que l'eau lourde comme modérateur, alors que les piles construites jusqu'alors (Zoé, EL2) employaient ce liquide, est avant tout un choix économique. En effet, depuis 1950, du graphite suffisamment pur était produit par le CEA en collaboration avec Pechiney pour un coût bien inférieur à celui de l'eau lourde[12]. Une raison politique motiva aussi ce choix car, beaucoup de ceux qui avaient travaillé sur les piles à eau lourde étant communistes et opposés à la fabrication de la bombe, choisir la filière graphite permettait de les exclure du programme industriel du CEA[13].

G1, G2, G3 : du plutonium et de l'électricité

Le , le premier plan quinquennal de l'Ă©nergie nuclĂ©aire est votĂ© Ă  l’AssemblĂ©e nationale. Le CEA se voit attribuer un budget de 37,7 milliards de francs pour construire deux piles au graphite et une usine d'extraction du plutonium. Le plutonium produit, bien qu'Ă©tant de qualitĂ© militaire, Ă©tait prĂ©sentĂ© comme le combustible de l'avenir, garant de l’indĂ©pendance Ă©nergĂ©tique du pays, qu'utiliserait la prochaine gĂ©nĂ©ration de rĂ©acteurs surgĂ©nĂ©rateurs[14].

Une Direction industrielle est crĂ©Ă©e au sein du CEA pour superviser la construction des piles plutonigènes. Le rĂ©acteur G1, très inspirĂ© de la pile amĂ©ricaine de Brookhaven que les scientifiques du Commissariat avaient visitĂ©e, diverge le après un an et demi de travaux[15]. L'ajout d'un système de rĂ©cupĂ©ration de l'Ă©nergie thermique du rĂ©acteur, actionnant un groupe turboalternateur de MW, ne fut proposĂ© que durant la dernière phase de son design par EDF, qui y voyait l'opportunitĂ© de s'immiscer dans une filière nuclĂ©aire alors chasse gardĂ©e du CEA[16]. Cet ajout est le bienvenu car, Marcoule ne pouvant officiellement ĂŞtre le pilier de la future puissance nuclĂ©aire française qu'il Ă©tait, ses rĂ©acteurs Ă©taient dès lors prĂ©sentĂ©s au public comme des prototypes de centrales Ă©lectriques[17]. Ainsi, dĂ©but octobre 1956, G1 produit de l'Ă©lectricitĂ©, moins de deux mois après les piles britanniques de Calder Hall.

Les deux réacteurs suivants, G2 et G3, engagés en 1956, entrent en service respectivement le puis le . Refroidis par gaz carbonique sous pression, ils sont plus puissants que G1 et constitueront la tête de série de la filière électrogène à venir.

Les réacteurs EDF

« Étant le peuple français, il nous faut accéder au rang de grand État industriel ou nous résigner au déclin. Notre choix est fait. Notre développement est en cours. »

— Charles de Gaulle, Président de la République, 14 juin 1960.

Chinon : de l'électricité et du plutonium

De gauche à droite, quatre génération de réacteurs: les UNGG EDF1, EDF2, EDF3 et les REP Chinon-B1 et B2.

Après le succès des réacteurs expérimentaux de Marcoule, EDF est chargé de mettre en place le programme électronucléaire français avec des réacteurs du même type. Plutôt que de faire appel à l'industrie en lui transférant des compétences, comme le CEA l'avait fait pour G2 et G3, EDF décide de construire ses propres réacteurs. Afin de faire baisser les coûts, chaque centrale est divisée en une multitude de lots soumis à des appels d'offres de façon à cantonner l'industrie au rôle de simple fournisseur. Le design proposé par le CEA, basé sur G2, est largement modifié pour optimiser la production d'électricité. Ainsi, les échangeurs de chaleur sont placés à côté du réacteur, le caisson en béton précontraint enfermant le cœur est remplacé par un caisson en acier moins coûteux et la capacité de rechargement en marche est abandonnée[18]. Mais, alors que le chantier s’achève, la cuve se fissure le , à la suite du choix d'un alliage métallique inadéquat. Cet incident entraîne trois ans de retards pour EDF1, qui ne sera en service qu'en juin 1963. Ce premier échec est le résultat des choix d'EDF, qui tente de faire baisser les coûts quitte à prendre des risques[19].

Pour atteindre au plus vite la compĂ©titivitĂ©, l'entreprise nationale lance des prototypes de puissance croissante tous les 18 mois, en tirant les leçons de la construction des prĂ©cĂ©dents sans attendre qu'ils soient en service. Ainsi, la construction des rĂ©acteurs successifs Ă  la centrale nuclĂ©aire de Chinon, très diffĂ©rents les uns des autres, dĂ©bute alors que le prĂ©cĂ©dent n'est pas achevĂ©[20]. Pour le prototype suivant, EDF propose en 1956 un rĂ©acteur de 100 MWe puis augmente le volume du cĹ“ur et la puissance Ă  167 MWe pour satisfaire les besoins en plutonium du CEA, ce qui n'est pas pour plaire au Commissariat car plus de puissance, donc un flux de neutrons plus intense, rendrait plus difficile l'extraction de plutonium de qualitĂ© militaire. Finalement, en 1958, le choix est arrĂŞtĂ© pour un rĂ©acteur de 250 MWe qui ne sera exploitĂ© qu'Ă  175 MWe pour faciliter la production du prĂ©cieux mĂ©tal[21]. EDF2, deux fois plus coĂ»teux (30 milliards de francs) mais trois fois plus puissant que son prĂ©dĂ©cesseur, emploie lui aussi un caisson en acier mais de forme cylindrique et non plus sphĂ©rique. Il diverge le mais n'est couplĂ© au rĂ©seau qu'en mars de l’annĂ©e suivante, Ă  cause de problèmes avec son Ă©changeur de chaleur.

Le chantier d'EDF3 dĂ©marre dĂ©but 1961 et rĂ©introduit l'usage du bĂ©ton prĂ©contraint pour le caisson mais avec un revĂŞtement mĂ©tallique calorifuge. Le mĂŞme compromis que pour son prĂ©dĂ©cesseur limite la puissance annoncĂ©e d'EDF3, construit pour 500 MWe, Ă  375 MWe[22]. Tout en familiarisant EDF avec la technique, le CEA conserve ainsi une marge de manĹ“uvre. Quand EDF3 diverge, le , Chinon est alors la centrale nuclĂ©aire la plus puissante du monde[23] mais, le 10 octobre, une semaine avant la cĂ©rĂ©monie d'inauguration, le rĂ©acteur doit ĂŞtre arrĂŞtĂ© pendant dix mois car il faut remplacer ses dĂ©tecteurs de rupture de gaine et ses Ă©changeurs de chaleur. Par la suite, sa puissance devra ĂŞtre limitĂ©e jusqu'en 1970. Ces revers sont un Ă©chec grave pour EDF et pour la politique d’indĂ©pendance nationale du prĂ©sident de Gaulle, d'autant qu'ils retardent la livraison de plutonium militaire et donc le dĂ©veloppement de la force de frappe[24]. La mĂŞme annĂ©e, la dĂ©nomination EDF est abandonnĂ©e, les rĂ©acteurs devenant Chinon-1, 2 et 3.

Saint-Laurent et Bugey

Le CEA souhaitait baser l'avenir des UNGG sur un Chinon-3 (EDF3), progressivement amĂ©liorĂ©, qui permettrait de poursuivre un double usage du parc : civil et militaire. En effet, Ă  la suite d'une sĂ©rie d'accords signĂ©s au dĂ©but des annĂ©es 1960, EDF doit irradier une partie du combustible de ses rĂ©acteurs de Chinon selon des critères prĂ©cis dĂ©finis par le CEA, qui le lui rachète[25]. L’électricien, pour qui la compĂ©titivitĂ© prime, ne l'entend pas de la sorte et engage un design radicalement diffĂ©rent devant augmenter la durĂ©e de vie et donc la pĂ©riode d'amortissement de ses futures centrales. Cette nouvelle conception s'exprime avec SL-1 (EDF4), dont le chantier dĂ©bute alors que Chinon-1 (EDF1) entre tout juste en service. Le nouveau rĂ©acteur ne sera pas plus puissant que le prĂ©cĂ©dent mais dĂ©sormais ses Ă©changeurs de chaleur et ses soufflantes, faisant circuler le gaz carbonique, seront intĂ©grĂ©s dans le caisson en bĂ©ton prĂ©contraint directement sous le cĹ“ur en graphite, offrant une fiabilitĂ© et une sĂ©curitĂ© accrue Ă  l'ensemble[26]. Cette disposition particulière fait prendre aux UNGG la forme d'une tour de bĂ©ton haute de plus de 50 mètres. SL-2 (EDF5) copie SL-1 pour former une première sĂ©rie homogène et permettre des Ă©conomies d’échelle. Ă€ terme, EDF souhaite que l'augmentation de la puissance se fasse par paliers, comme pour ses centrales thermiques. Pour simplifier son rĂ´le de coordinateur, EDF rassemble des compĂ©tences pour former les grands lots : « chaudière nuclĂ©aire », « groupe turboalternateur » et « maĂ®trise d'ouvrage », comme pour ses centrales thermiques. Les entreprises peuvent ainsi se regrouper en consortium pour soumettre leurs offres et acquĂ©rir l’expĂ©rience requise pour exporter leurs produits[27].

Lorsque la construction de Bugey-1 commence, en 1965, sa puissance n'est pas arrĂŞtĂ©e. Ce rĂ©acteur devait ĂŞtre un nouveau prototype ouvrant la voie vers les 1 000 MWe de puissance pour concurrencer les rĂ©acteurs amĂ©ricains Ă  eau lĂ©gère, mais le combustible qui la permettrait, Ă  âme de graphite, n'est pas encore au point. Après une annĂ©e d’indĂ©cision qui retarde d'autant le chantier c'est finalement un rĂ©acteur de 540 MWe qui est construit, amĂ©liorĂ© par un nouveau type de combustible de forme annulaire (INCA) dĂ©veloppĂ© Ă  grand frais[28]. Bugey-1 serait la première d'une sĂ©rie de six centrales identiques. Mais alors que le chantier progresse, apparaissent les limites physiques de la technologie graphite-gaz[29].

Vandellòs

À partir de 1967 un UNGG est construit sur le modèle de Saint Laurent-1 à Vandellos en Espagne. Il entre en fonction en 1972.

La fin des années 1960 sera marquée par une « guerre des filières » opposant deux visions du nucléaire : celle du CEA qui soutient une filière nationale civile et militaire utilisant l’uranium naturel et celle d’EDF qui recherche la technologie la plus compétitive pour une utilisation strictement civile[30].

L'industrie du nucléaire civile emploie plusieurs centaines de personnes en France, notamment au sein des entreprises :

Abandon de la filière

« La filière UNGG est, depuis quelques années, considérée comme dépassée : elle n'a pratiquement pas de chance de l'emporter sur la filière concurrente : l'uranium enrichi. »

— André Decelle, directeur général d'EDF, juillet 1967.

Les deux premières tranches du premier palier de REP en construction derrière le réacteur UNGG, à la centrale du Bugey.

Alors qu'en dĂ©cembre 1965 EDF prĂ©voit encore de rĂ©aliser en UNGG l'ensemble du parc nuclĂ©aire français, cette perspective est remise en question par les dĂ©boires britanniques de la filière AGR et par le projet de Fessenheim. En juin 1964, le site alsacien avait Ă©tĂ© retenu pour dĂ©velopper un rĂ©acteur UNGG franco-allemand, Ă  la condition qu'il soit compĂ©titif. Or, les Ă©tudes menĂ©es par RWE montrent dès 1965 que, face aux rĂ©acteurs Ă  eau lĂ©gère, cela ne serait pas le cas[32]. Le projet avec l'Allemagne prend fin mais le site de Fessenheim est conservĂ©. Pour l’équiper, un appel d'offres est lancĂ© en 1966 pour une chaudière nuclĂ©aire de 650 MWe puis de 800 MWe mais, après deux ans de tergiversations, aucun soumissionnaire ne propose une solution UNGG compĂ©titive avec un marchĂ© international dominĂ© par la technologie amĂ©ricaine[33]. Pendant ce temps les rapports Horowitz-Cabanius, remis fin janvier 1967, estiment le coĂ»t du kWh produit Ă  2,67 centimes de franc pour les centrales Ă  eau lĂ©gère contre 3,14 centimes pour les centrales UNGG. DĂ©pourvu de fournisseurs et de dĂ©bouchĂ©s en dehors de l'hexagone, la filière française ne saurait ĂŞtre rentable, comme le confirme le rapport de la commission PEON de mai 1969. Le , EDF propose, sans y croire, une ultime solution nationale pour Fessenheim : le SL600, rĂ©acteur dĂ©rivĂ© de ceux de Saint-Laurent-des-Eaux mais portĂ© Ă  600 MWe grâce Ă  l'emploi de cartouches de combustible Ă  âme de graphite[34]. De son cĂ´tĂ©, pour sauver l'honneur, le CEA propose alors un rĂ©acteur Ă  eau pressurisĂ©e (REP) français dĂ©rivĂ© du rĂ©acteur naval PAT de Cadarache, puis un rĂ©acteur Ă  eau lourde plus Ă©conome en uranium naturel dont le prototype industriel vient d'entrer en service Ă  Brennilis. Aucune de ces solutions n'est retenue car les industriels français sont rĂ©ticents Ă  l'idĂ©e de supporter les risques techniques et financiers liĂ©s au dĂ©ploiement d'une technologie non prouvĂ©e, risques Ă  la charge des industries amĂ©ricaines dans le cas des REP et REB[35].

Les UNGG ont longtemps été soutenus par Charles de Gaulle, qui voulait ainsi assurer à la France son indépendance énergétique et un rayonnement technologique dans le monde. Mais dans les derniers mois de sa présidence, mis au courant de l'inéluctabilité de l'abandon de la filière française après l'échec de Fessenheim, il se résigne à accepter la filière américaine à condition que l'uranium qu'elle consommera soit enrichi en Europe. En septembre 1969, Marcel Boiteux, directeur général d'EDF, déclare dans l'Express que son entreprise souhaite réaliser quelques centrales de type américain[36]. Le 13 novembre, par décision interministérielle, le président Georges Pompidou choisit définitivement la filière américaine, tant pour des motifs économiques qu'en raison d'un début de fusion du cœur de SL-1 un mois auparavant. Le CEA propose alors d'améliorer les REP américains pour les franciser rapidement, mais le projet « Champlain » restera théorique dans l'urgence de démarrer une filière après le premier choc pétrolier de 1973. Le CEA se tourne alors vers la maîtrise du cycle nucléaire avec le développement du combustible MOx et des surgénérateurs Phénix et Superphénix.

Arrêt des réacteurs

Le premier UNGG est aussi le premier arrêté. Il est suivi par le premier réacteur EDF de la centrale nucléaire de Chinon (EDF1/Chinon-A1), arrêté le pour raisons financières et converti en un musée qui ouvre au public le . Les réacteurs G2 et G3 sont arrêtés respectivement le et le pour des raisons d'usure[37]. La production de plutonium militaire est alors assurée par les réacteurs à eau lourde Célestin I et II, en service à Marcoule depuis 1967.

Au milieu des annĂ©es 1970, les centrales nuclĂ©aires britanniques observent une oxydation accĂ©lĂ©rĂ©e de leurs pièces mĂ©talliques par le CO2 au-delĂ  de 360 °C. Pour ne pas dĂ©passer cette tempĂ©rature et ralentir la corrosion de l'acier, la puissance de tous les UNGG en service est limitĂ©e. Les UNGG de la centrale nuclĂ©aire de Saint-Laurent-des-Eaux connaissent ces problèmes depuis leurs mise en service, Ă  cause d'un dĂ©faut de conception de leurs Ă©changeurs de chaleur. Un autre problème, l'usure du graphite du cĹ“ur, est particulièrement prononcĂ© Ă  la centrale du Bugey du fait de sa pression de fonctionnement plus grande et de la puissance plus grande par canal de son combustible annulaire. Pour limiter la corrosion, Bugey-1 ne dĂ©passe 470 MWe de puissance qu’exceptionnellement et, Ă  partir du , du mĂ©thane est injectĂ© dans son CO2 caloporteur, ce qui nĂ©cessite en contrepartie l'utilisation d'uranium faiblement enrichi Ă  0,76 % (U235)[38] - [39].

Le second rĂ©acteur de Chinon (EDF2/Chinon-A2), ayant atteint ses 20 ans de durĂ©e de vie programmĂ©e, est stoppĂ© le . Pour Chinon-A3, EDF commande en 1982 cinq bras articulĂ©s robotisĂ©s fait sur mesure par Hispano-Suiza pour le rĂ©nover, car la corrosion, malgrĂ© la rĂ©duction de la puissance d'opĂ©ration, est plus grave qu'anticipĂ©e. Une maquette grandeur nature du rĂ©acteur est construite pour rĂ©pĂ©ter les manĹ“uvres. Le , Chinon-A3 est arrĂŞtĂ© et la première phase de l'opĂ©ration ISIS commence. Si EDF rĂ©nove l'un de ses plus vieux rĂ©acteurs, c'est parce-que le CEA a besoin de plutonium militaire pour construire une sĂ©rie de 400 armes Ă  effets de radiation renforcĂ©s (bombes Ă  neutrons) et il pourrait difficilement le faire depuis l'arrĂŞt des rĂ©acteurs plutonigènes de Marcoule. Les rĂ©acteurs CĂ©lestins et PhĂ©nix dont le Commissariat dispose peuvent fournir le mĂ©tal fissile mais pas en quantitĂ©s suffisantes (environ 130 kilogrammes au total par an), alors que Chinon-A3 en fournirait Ă  lui seul jusqu'Ă  240 kg par an[4]. Le rĂ©acteur est redĂ©marrĂ© le puis arrĂŞtĂ© de nouveau du Ă  fĂ©vrier 1989 pour une seconde campagne de rĂ©parations. La chute du mur de Berlin la mĂŞme annĂ©e, puis la fin de la guerre froide, mettent fin aux programmes d'armement tactique et donc au besoin accru de plutonium. Chinon A3, prĂ©vu pour ĂŞtre arrĂŞtĂ© en 1994, l'est dès le . Il aura Ă©tĂ© l'UNGG le plus longtemps en service[37].

Pour des raisons Ă©conomiques, les deux rĂ©acteurs graphite-gaz de Saint-Laurent-des-Eaux sont stoppĂ©s les (EDF4/SL-1) et (EDF5/SL-2), après utilisation complète de leurs stocks de combustible[40]. Deux ans plus tard jour pour jour, c'est au tour de celui du Bugey, clĂ´turant 38 annĂ©es de service du parc UNGG.

DĂ©construction

La dĂ©construction des centrales nuclĂ©aires UNGG gĂ©nĂ©rera en France environ 23 000 tonnes de dĂ©chets radioactifs graphitĂ©s de faible activitĂ© Ă  vie longue[41], en particulier du carbone-14 de demi-vie supĂ©rieure Ă  5 000 ans.

En 2011, six réacteurs UNGG français sont en cours de déconstruction dans trois centrales : Bugey, Saint-Laurent-des-Eaux et Chinon. Selon l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), ces installations de première génération devraient être déconstruites par EDF d’ici 2036[42]. En juin 2016, EDF annonce cependant vouloir bouleverser le calendrier en raison des difficultés techniques imposées par ces démantèlements, les délais pourraient être ainsi reportés jusqu'à l'année 2115[43].

Incidents et accidents

Au moins deux accidents nucléaires ont eu lieu en France sur les réacteurs UNGG de la centrale nucléaire de Saint-Laurent, entraînant la fusion partielle du cœur de ses réacteurs :

Centrales de cette filière hors de France

Technologies similaires

Le Royaume-Uni a développé une technologie similaire, appelée Magnox, en service de 1956 à 2015. Par rapport à la technologie française, les barres de combustible Magnox étaient gainées d’un alliage magnésium-aluminium. Son successeur, l'Advanced Gas-cooled Reactor (AGR), toujours en service, emploie l'uranium enrichi comme combustible car ce dernier est gainé d'acier inoxydable pour supporter une température de fonctionnement plus élevée.

Les États-Unis ont également développé un réacteur expérimental graphite-gaz au laboratoire de Los Alamos, appelé Ultra High Temperature Reactor Experiment (UHTREX), dans les années 1960. Ce réacteur utilisait de l’uranium enrichi comme combustible, et de l’hélium comme gaz caloporteur.

Les réacteurs de conception soviétique RBMK (comme ceux de la centrale de Tchernobyl), en service depuis 1974, utilisent également le graphite comme modérateur, mais nécessitent de l’uranium légèrement enrichi car ils sont refroidis par de l’eau légère bouillante.

Références

  1. Commissariat à l’énergie atomique, Marcoule : les réacteurs plutonigènes G1, G2 et G3 (lire en ligne)
  2. Dänzer-Kantof 2013, p. 95
  3. Ludivine Vendé, Comportement des déchets graphite en situation de stockage : relâchement et répartition des espèces organiques et inorganiques du carbone 14 et du tritium en milieu alcalin, , 184 p. (lire en ligne)
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Bibliographie

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