Superphénix
SuperphĂ©nix (SPX) est un ancien rĂ©acteur nuclĂ©aire dĂ©finitivement arrĂȘtĂ© en 1997, situĂ© dans l'ex-centrale nuclĂ©aire de Creys-Malville, en bordure du RhĂŽne Ă 30 km en amont de la centrale nuclĂ©aire du Bugey.
Superphénix | |
Type d'installation | |
---|---|
Domaine | Installation nucléaire |
Type | RĂ©acteur Ă neutrons rapides et Ă caloporteur sodium |
Localisation | |
Pays | France |
RĂ©gion | RhĂŽne-Alpes |
DĂ©partement | IsĂšre |
Commune | Creys-MĂ©pieu |
CoordonnĂ©es | 45° 45âČ 29âł nord, 5° 28âČ 22âł est |
Vie de l'installation | |
Exploitant | NERSA (EDF, Enel, SBK) puis EDF depuis 1997 |
N° INB | INB no 91 |
Autorisée le | avril 1976 |
Année de construction | 1976 |
Date de mise en service | 1984 |
Date de fermeture | 1997 (arrĂȘt de la production dâĂ©lectricitĂ©) |
Coût | 8,7 milliards d'euros |
Statut | INB en démantÚlement |
Production | |
Production annuelle | 3,4 TWh (1997) |
Production moyenne | 0,68 TWh/an |
Production totale | 7,5 TWh |
Il Ă©tait Ă l'origine un prototype de rĂ©acteur Ă neutrons rapides Ă caloporteur sodium faisant suite aux rĂ©acteurs nuclĂ©aires expĂ©rimentaux PhĂ©nix et Rapsodie. En 1994, un dĂ©cret transforme SuperphĂ©nix en rĂ©acteur de recherche et de dĂ©monstration, mais ce dĂ©cret est annulĂ© en 1997 par le Conseil dâĂtat[1], malgrĂ© un facteur de charge de plus de 30 % en 1997 et un taux de disponibilitĂ© qui a atteint 95 % en 1996.
Le nom Superphénix provient de l'oiseau mythique Phénix qui renaßt de ses cendres, comme le nouveau combustible nucléaire au plutonium provient des « cendres » du combustible usé[2].
Historique
Deux postulats ont mené les autorités françaises à la construction de Superphénix : l'anticipation d'une croissance soutenue des besoins énergétiques et les limites de l'extraction de l'uranium. Dans un tel scénario, seuls les réacteurs surgénérateurs (dont la filiÚre à neutrons rapides) apparaissent durables.
La conception de Superphénix a été faite par le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) pour disposer d'une technologie française aprÚs l'abandon de la filiÚre graphite-gaz[3]. La construction de Superphénix implique la société industrielle française Novatome, active principalement dans le domaine des réacteurs à neutrons rapides[4], qui réunit d'anciens agents de Technicatome et de l'ex-Groupement Atomique Atlantique Alsacienne[5], une entreprise issue de la filiÚre française des réacteurs à l'Uranium naturel graphite gaz, abandonnée en 1969 au profit des réacteurs à eau pressurisée de conception américaine.
Superphénix a été l'objet de violentes controverses tout au long de son histoire, du conflit d'aménagement en amont de et pendant sa construction aux contestations qui se sont poursuivies durant son exploitation. Il a fait l'objet de graves problÚmes de communication, alliant manque de transparence et désinformation, qui ont largement participé à la décision de son abandon[6].
1974 : crĂ©ation de la NERSA et enquĂȘte publique
Le 13 mai 1974 est publiĂ© un dĂ©cret autorisant la crĂ©ation de la sociĂ©tĂ© NERSA (Centrale nuclĂ©aire europĂ©enne Ă neutrons rapides SA) dont lâobjet est la construction et lâexploitation de la centrale[7]. La NERSA est issue d'une collaboration internationale entre EDF (51 %), la sociĂ©tĂ© italienne Enel (33 %) et la sociĂ©tĂ© allemande Schneller BrĂŒter Kernkraftwerksgesellschaft MBH ou SBK (16 %)[8]. Ă l'origine, un rĂ©acteur rapide refroidi au sodium devait ĂȘtre construit dans chaque pays partenaire : le surgĂ©nĂ©rateur de Kalkar en Allemagne et le Prova Elementi di Combustibile (PEC)) Ă Brasimone en Italie. Ces deux projets allemand et italien seront abandonnĂ©s peu aprĂšs la catastrophe nuclĂ©aire de Tchernobyl.
Ă l'automne 1974 est menĂ©e l'enquĂȘte publique pour la crĂ©ation de l'installation nuclĂ©aire de base de SuperphĂ©nix (SPX)[8]. Le 23 octobre 1974, la presse rĂ©gionale annonce au public ce projet. Le 2 mai 1975 Ă Bourgoin-Jallieu, deux associations Ă©cologistes (Mouvement Ăcologique RhĂŽne-Alpes et Association de sauvegarde pour le site de Creys-Malville) saisissent en rĂ©fĂ©rĂ© le tribunal pour interrompre les travaux dĂ©jĂ entrepris par EDF, invoquant la qualitĂ© de vie comme droit fondamental. Ce tribunal se dĂ©clare incompĂ©tent le 30 mai, dĂ©boutant les deux associations Ă©cologistes qui sont condamnĂ©es aux dĂ©pens[9].
En avril 1976, le Premier ministre français Jacques Chirac autorise la société NERSA à passer commande de Superphénix. La décision de la construction de Superphénix est prise sans passer par le canal de la Commission PEON, pourtant chargée d'orienter la production électrique d'origine nucléaire[3]. Valéry Giscard d'Estaing, président de la République, déclare alors « qu'avec ce type de réacteur et ses réserves en uranium, la France disposera d'autant d'énergie que l'Arabie saoudite avec tout son pétrole[10]. »
En 1977 sont signĂ©s le dĂ©cret dâutilitĂ© publique (DUP) par le Premier ministre Raymond Barre et le dĂ©cret dâautorisation de crĂ©ation (DAC) par le ministre de lâIndustrie, RenĂ© Monory.
1976-1977 : manifestations Ă Creys-Malville
Une premiĂšre manifestation a lieu pendant l'Ă©tĂ© 1976 et permet d'entrer sur le site. ChassĂ©s par la police, des manifestants se rĂ©fugient dans le voisinage, oĂč ils sont spontanĂ©ment hĂ©bergĂ©s, pendant plusieurs jours, chez diffĂ©rents particuliers. Le , une nouvelle manifestation contre le projet se dĂ©roule Ă Creys-Malville. C'est l'une des plus importantes de l'histoire du mouvement antinuclĂ©aire français, avec 20 000 Ă 40 000 manifestants antinuclĂ©aires venus de toute la France et de quelques pays, notamment d'Allemagne. On y dĂ©plore la mort d'un manifestant de 31 ans, Vital Michalon (1946-1977), Ă la suite d'affrontements violents entre manifestants et forces de l'ordre. Il meurt des suites de lĂ©sions pulmonaires dues Ă l'explosion d'une grenade offensive[11].
1982 : attaque du chantier
Le , une attaque au lance-roquettes vise le chantier de la centrale nuclĂ©aire de SuperphĂ©nix, sans faire de victimes[12], mais occasionne quelques dĂ©gĂąts matĂ©riels[13]. Les auteurs de l'attentat ne sont pas identifiĂ©s mais, en 2003, ChaĂŻm Nissim, ancien dĂ©putĂ© Ă©cologiste de GenĂšve, affirme en ĂȘtre l'auteur et s'ĂȘtre procurĂ© l'arme auprĂšs du groupe du terroriste Carlos via les Cellules communistes combattantes (CCC)[14].
1984 : mise en service
Le remplissage en sodium du réacteur de la centrale nucléaire de Creys-Malville est effectué en 1984. La centrale est mise en service en 1985 et couplée au réseau électrique le 15 janvier 1986[15]. Selon les données de l'AIEA, elle produit 0,928 TWh en 1986 puis 0,812 TWh en 1987[16], soit un facteur de charge de 8 %.
1987 : premier incident
Le 8 mars 1987 se produit une fuite de 20 tonnes de sodium liquide dans le barillet de stockage du combustible nuclĂ©aire[17]. Ce barillet est une cuve cylindrique oĂč on laisse refroidir le combustible usagĂ© un certain temps, en attente de transfert soit vers le cĆur soit vers lâextĂ©rieur[18]. Cette fuite Ă©tait due Ă un acier mal choisi, ce qui entraĂźna la fissuration de zones soudĂ©es et une fuite de sodium, un incident classĂ© au niveau 2 de lâĂ©chelle INES[6]. Le , le ministre de lâIndustrie Alain Madelin dĂ©cide d'arrĂȘter le rĂ©acteur.
1989-1990 : redémarrage et nouvelles manifestations
Le redémarrage du réacteur est autorisé le 12 janvier 1989 par un décret du Premier ministre Michel Rocard[15]. Selon les données de l'AIEA, la centrale produit alors 1,756 TWh en 1989 puis 0,588 TWh en 1990[16], soit un facteur de charge moyen de 11 %.
En 1989, le Comité européen contre Superphénix s'est constitué, regroupant des dizaines d'associations et organisations de plusieurs pays européens dont la France, la Suisse, l'Italie. Le 26 avril 1990, des manifestations ont été organisées dans plusieurs villes de France, de Suisse et d'Italie sur le thÚme « Tchernobyl 4 ans aprÚs, Malville aujourd'hui »[17].
Le 1er septembre 1990, le départ d'une marche antinucléaire et pacifiste a lieu devant Superphénix. Cette marche, appelée PÚlerinage International pour la Paix, a duré un mois et demi, a regroupé 70 personnes de 12 pays différents et s'est terminée aux Saintes-Maries-de-la-Mer dans les Bouches-du-RhÎne, le 15 octobre 1990[19].
1990 : deux incidents
Alors que le rĂ©acteur Ă©tait Ă nouveau Ă l'arrĂȘt depuis le 7 septembre 1989, survient un deuxiĂšme incident de niveau 2 le 29 avril 1990. Une fuite de sodium sur un des quatre circuits primaires principaux impose la vidange immĂ©diate de tout le sodium du circuit incriminĂ© (400 tonnes). En effet, le sodium doit ĂȘtre maintenu pur en toutes circonstances pour Ă©viter, en particulier, que des impuretĂ©s (oxydes, hydrures, particules mĂ©talliques...) ne viennent boucher le circuit de refroidissement[20]. La purification corrĂ©lative du sodium prendra 8 mois[6].
Le , une partie du toit de la salle des turbines s'est Ă©croulĂ©e sous le poids de 80 cm de neige, nĂ©cessitant de reconstruire la superstructure de la moitiĂ© du bĂątiment. Le rĂ©acteur Ă©tait arrĂȘtĂ©, ce jour-lĂ . Le bĂątiment de l'alternateur et le rĂ©acteur sont sĂ©parĂ©s, il n'aurait donc pas pu y avoir de consĂ©quences graves selon les porte-parole d'EDF[21].
1992 : rapport Curien sur la contribution que pourrait apporter Superphénix à l'incinération des déchets
En juin 1992, bien que cela ne soit pas juridiquement nĂ©cessaire, le Premier ministre, Pierre BĂ©rĂ©govoy, subordonne le redĂ©marrage de SuperphĂ©nix, Ă la rĂ©alisation dâune nouvelle enquĂȘte publique et Ă lâĂ©tude par Hubert Curien de la contribution que pourrait apporter SuperphĂ©nix Ă lâincinĂ©ration des dĂ©chets radioactifs. Cette Ă©tude rĂ©pond par l'affirmative Ă la question posĂ©e le 17 dĂ©cembre 1992 et lâenquĂȘte publique, rĂ©alisĂ©e de mars Ă juin 1993, donne un avis favorable au redĂ©marrage[6].
1994 : changement de mission
Le 19 janvier 1994, le quotidien Le Monde titre « AprĂšs trois ans et demi d'arrĂȘt du surgĂ©nĂ©rateur, les autoritĂ©s de sĂ»retĂ© proposent un redĂ©marrage de SuperphĂ©nix sous conditions »[22].
Le 22 fĂ©vrier 1994, le premier ministre annonce que la mission initiale de SuperphĂ©nix â produire de l'Ă©lectricitĂ© â est modifiĂ©e par la parution d'un dĂ©cret. SuperphĂ©nix devient un simple « laboratoire de recherche et de dĂ©monstration » afin de le reconvertir en incinĂ©rateur de dĂ©chets radioactifs[23] - [24], la production d'Ă©lectricitĂ© n'est plus une prioritĂ©[25].
Le 9 avril 1994, une marche Malville-Matignon contre SuperphĂ©nix rĂ©unit les EuropĂ©ens contre SuperphĂ©nix, le ComitĂ© Malville, Contratom (Suisse), la FĂ©dĂ©ration RhĂŽne-Alpes de protection de la nature, Greenpeace, le Groupement des scientifiques pour l'information sur l'Ă©nergie nuclĂ©aire, WWF et plus de 250 associations de France, de Suisse, d'Italie et d'Allemagne. Des militants ont distribuĂ© de faux billets de 100 francs sur lesquels on lit, dâun cĂŽtĂ© « Super-PhĂ©nix coĂ»te 100 francs toutes les cinq secondes » et de lâautre « Ne pourrions-nous rien faire de mieux de cet argent ? ». La Banque de France porte plainte pour fausse monnaie[26].
Fin 1994 a lieu un nouvel incident, classĂ© au niveau zĂ©ro de lâĂ©chelle INES[27] : une fuite dâargon dans un Ă©changeur de chaleur sodium-sodium placĂ© Ă lâintĂ©rieur de la cuve du rĂ©acteur lui-mĂȘme. La remise en Ă©tat dure sept mois[6].
1995 : redémarrage et bataille juridique
Superphénix redémarre en septembre 1995. Ce démarrage est l'occasion d'un vigoureux bras de fer entre le ministre de l'Environnement Corinne Lepage et le ministre de l'Industrie Franck Borotra : en raison d'irrégularités juridiques, Corinne Lepage refuse de signer le décret d'autorisation de redémarrage du réacteur et menace implicitement le Premier ministre Alain Juppé de démissionner[24]. Par ailleurs, elle a été l'avocat de la République et Canton de GenÚve dans leur démarches juridiques visant la fermeture du super-réacteur. Le réacteur connait alors de nombreuses difficultés techniques, et selon les données de l'Agence internationale de l'énergie atomique, la production électrique de la centrale est restée nulle durant l'année 1995[16].
L'annĂ©e 1996 est la meilleure annĂ©e de production Ă©lectrique de la centrale, avec une production de 3,392 TWh (soit un facteur de charge de 31 %), et avec un taux de disponibilitĂ© de 95 % hors arrĂȘts programmĂ©s[6]. En dĂ©cembre 1996 commence un arrĂȘt programmĂ© de six mois pour une visite dĂ©cennale des gĂ©nĂ©rateurs de vapeur[28], arrĂȘt qui sâavĂ©rera dĂ©finitif[6].
1997-1998 : dĂ©cision d'arrĂȘt dĂ©finitif
Ă l'arrivĂ©e au pouvoir de la gauche plurielle, les Verts rĂ©clament l'arrĂȘt et le dĂ©mantĂšlement de SuperphĂ©nix[29].
En fĂ©vrier 1997, alors que le surgĂ©nĂ©rateur est toujours Ă l'arrĂȘt, le Conseil d'Ătat annule le dĂ©cret d'autorisation de redĂ©marrage de SuperphĂ©nix pris en 1994, au motif que la nouvelle mission confiĂ©e Ă SuperphĂ©nix (rĂ©acteur de recherche et de dĂ©monstration) doit justifier d'une nouvelle enquĂȘte publique[30].
La Commission de la production et des Ă©changes de l'AssemblĂ©e nationale constate, en avril 1997, que « l'arrĂȘt immĂ©diat du rĂ©acteur est, en tout Ă©tat de cause, plus coĂ»teux que la poursuite de l'activitĂ© mĂȘme grevĂ©e d'un faible taux de disponibilitĂ© de l'infrastructure ». En outre, le rapport du SĂ©nat conclut, sur bilan de la Cour des comptes, qu'« au total, compte tenu des hypothĂšses d'EDF, retarder l'arrĂȘt de l'exploitation de la centrale jusqu'Ă la fin de la convention entre les partenaires dans NERSA, soit fin 2000, aurait probablement Ă©tĂ© globalement neutre sur le plan financier »[31].
Le 19 juin 1997, Lionel Jospin, Premier ministre de la République française, annonce : « Superphénix sera abandonné »[32]. En juillet 1997, à la suite de la décision de fermeture de Superphénix, les Européens contre Superphénix disparaissent et créent le Réseau Sortir du nucléaire[18].
Le Sénat estime le surcoût de la centrale dans un rapport établi en 1998 :
« Le coût de construction et de fonctionnement de Superphénix a dépassé les estimations initiales. Dans son rapport de janvier 1997, la Cour des Comptes l'a évalué à 60 milliards de francs répartis entre les partenaires du consortium européen NERSA43(*) à concurrence de 51 % pour EDF, 33 % pour l'électricien italien Enel et 16 % pour le consortium SBK, qui regroupe les électriciens allemands RWE, néerlandais SEP et belge Electrabel. En réalité, compte tenu de la valeur de l'électricité fournie au réseau par le réacteur, les dépenses s'élÚveraient, selon elle, à 40,5 milliards de francs[30]. »
Le , l'arrĂȘt dĂ©finitif du rĂ©acteur est actĂ© par dĂ©cret[33]. Parmi les raisons invoquĂ©es est mentionnĂ© le faible prix de l'uranium, qui ne justifierait plus les investissements dans cette filiĂšre. Selon Le Point, « les raisons invoquĂ©es Ă lâĂ©poque â coĂ»t prohibitif, Ă©chec industriel â seront toutes dĂ©menties par une sĂ©rie de rapports, confirmant le caractĂšre strictement politique de la dĂ©cision. »[34]
Les frais de dédommagement des actionnaires étrangers de NERSA (la société italienne Enel et la société allemande SBK), déboutée par la décision du gouvernement français, ont été compensés par des fournitures de courant d'EDF à ces partenaires étrangers entre 1996 et 2000[35].
Le 6 octobre 2000 est prononcée la dissolution de la société anonyme dénommée Centrale nucléaire européenne à neutrons rapides SA (NERSA)[36].
Le 1er décembre 2015, Areva annonce avoir obtenu le contrat de démantÚlement des équipements internes de la cuve du réacteur Superphénix d'ici 2024[37].
Principe de fonctionnement
Le réacteur à neutrons rapides Superphénix était conçu pour développer une puissance comparable à celle d'une tranche d'une centrale nucléaire classique ou de deux centrales thermiques de forte puissance : 3 000 MW thermiques et 1 240 MW électriques, soit un rendement brut de 41,3 %. Le combustible préférentiel du réacteur est le plutonium 239, mais on pouvait également utiliser du MOX (plutonium sur support d'uranium appauvri) issu du retraitement du combustible usé.
Le principe de fonctionnement de SuperphĂ©nix est celui d'un rĂ©acteur Ă fission nuclĂ©aire utilisant des neutrons rapides (sans modĂ©rateur) et utilisant du sodium liquide comme caloporteur dans son circuit de refroidissement primaire. Chaque fission de noyau lourd dĂ©gage Ă peu prĂšs 200 MeV. Par consĂ©quent, 1 g de combustible fournit environ 22,4 MWh d'Ă©nergie thermique. Pour un fonctionnement Ă pleine puissance (3 GW) 300 jours par an (soit un facteur de charge de 82 %), la consommation annuelle de SuperphĂ©nix aurait donc Ă©tĂ© d'environ 960 kg de plutonium. Ce chiffre peut ĂȘtre mis en relation avec les 27 tonnes d'uranium enrichi d'un rĂ©acteur Ă eau pressurisĂ©e.
Le combustible nucléaire mixte uranium-plutonium nécessaire à Superphénix est fabriqué dans l'Atelier de technologie du plutonium de Cadarache.
La fission du combustible, induite par un flux neutronique, dĂ©gage de l'Ă©nergie en mĂȘme temps que des neutrons, dont une partie induira Ă nouveau des fissions, entretenant ainsi la rĂ©action en chaĂźne. D'autre part, certains neutrons participent Ă la transmutation de l'uranium 238 en plutonium 239, lequel est aussi fissile.
La chaleur produite dans le réacteur Superphénix était évacuée avec du sodium liquide (à 550 °C). En effet, il fallait à la fois que le matériau soit un caloporteur efficace (comme l'eau) et qu'il ne ralentisse pas les neutrons (contrairement à l'eau). Ce premier circuit (primaire) de sodium échangeait la chaleur avec un circuit secondaire de sodium, puis avec un circuit tertiaire à eau, laquelle entraßnait les turbines de l'alternateur aprÚs vaporisation.
Le circuit de refroidissement de SuperphĂ©nix Ă©tait de type piscine (pool reactor) : le sodium du circuit primaire, potentiellement radioactif, Ă©tait confinĂ© Ă l'intĂ©rieur de la cuve et un Ă©changeur intermĂ©diaire permettait l'Ă©change de chaleur avec le circuit secondaire de refroidissement de sodium. Ceci constituait une innovation technologique majeure par rapport au systĂšme notamment utilisĂ© sur Rapsodie et les surgĂ©nĂ©rateurs amĂ©ricains : le refroidissement par boucles (loop reactor) oĂč plusieurs boucles de sodium (deux dans le cas de Rapsodie et jusqu'Ă six pour certains rĂ©acteurs) permettaient l'Ă©change entre circuit primaire et circuit secondaire, le sodium primaire radioactif n'Ă©tant alors pas confinĂ© Ă l'intĂ©rieur de la cuve.
Bilan neutronique d'un réacteur à eau pressurisée
On suppose que le seul matériau fissile est l'uranium 235. Les nombres indiqués sont des ordres de grandeur. 100 fissions d'uranium 235 libÚrent en moyenne 250 neutrons, qui donnent lieu aux réactions suivantes :
- 100 neutrons provoquent 100 nouvelles fissions, entretenant ainsi la réaction en chaßne, et consommant 100 noyaux du matériau fissile,
- 70 neutrons subissent des captures fertiles par 70 noyaux du matériau fertile uranium 238, les transformant en autant de noyaux fissiles de plutonium 239,
- 75 neutrons subissent des captures stĂ©riles, soit par des noyaux fissiles (30 neutrons), soit par des noyaux du rĂ©frigĂ©rant, des structures du cĆur, des Ă©lĂ©ments de contrĂŽle ou des produits de fission,
- 5 neutrons fuient hors du cĆur (pour ĂȘtre capturĂ©s par des protections neutroniques).
Bilan neutronique de Superphénix
Pour le bilan neutronique du réacteur, on suppose que le seul matériau fissile est le plutonium 239. 100 fissions de 239Pu libÚrent en moyenne prÚs de 300 neutrons. Ces neutrons vont subir les réactions suivantes :
- 100 neutrons provoquent 100 nouvelles fissions, entretenant la réaction en chaßne et consommant 100 noyaux fissiles de 239Pu,
- 100 neutrons subissent, dans le cĆur mĂȘme du rĂ©acteur, une capture fertile par 100 noyaux de 238U, les transformant en autant de noyaux fissiles de 239Pu,
- 40 neutrons subissent une capture stérile, soit par des noyaux fissiles (20 neutrons[38]), soit par des noyaux du réfrigérant, des structures, des éléments de contrÎle ou des produits de fission,
- 60 neutrons fuient hors du cĆur proprement dit, oĂč ils subissent pour l'essentiel (50 neutrons) une capture fertile par 50 noyaux de 238U, les transformant en autant de noyaux de 239Pu ; les autres neutrons (10) subissent une capture stĂ©rile, soit dans les couvertures, soit dans les protections neutroniques.
Comparaison des bilans
Calculons dans les deux cas le taux de régénération TR, soit par définition le rapport du nombre de noyaux fissiles produits par capture fertile au nombre de noyaux fissiles détruits par fission et capture stérile.
- , il ne faut pas oublier les 30 noyaux fissiles détruits (convertis en noyaux non fissiles) par capture stérile et donc perdus pour le bilan de régénération,
- , oĂč on ne prend en compte que la rĂ©gĂ©nĂ©ration dans le cĆur,
- , oĂč on prend en compte la rĂ©gĂ©nĂ©ration dans le cĆur et dans les couvertures.
On voit donc qu'un rĂ©acteur tel que SuperphĂ©nix est surgĂ©nĂ©rateur grĂące Ă la prĂ©sence de couvertures. Ă l'inverse, entourer un REP de couvertures ne servirait Ă rien, Ă©tant donnĂ© le faible nombre de neutrons qui fuient hors du cĆur.
Superphénix était prévu pour produire plus de plutonium qu'il n'en consomme, c'est ce qui s'appelle la surgénération. Cette propriété est due au bilan neutronique expliqué ci-dessus (le taux de régénération est supérieur à 1). Des recherches ont été réalisées sur Superphénix pour expérimenter un tel réacteur surgénérateur. Ces recherches se sont portées principalement sur la neutronique, et en particulier sur un examen détaillé du bilan de neutrons dans le réacteur. Ces recherches ont été partiellement interrompues par la fermeture de Superphénix, mais elles se poursuivent dans le cadre du Forum International Génération IV.
Bilan
Bilan de la production
La production électrique du réacteur à neutrons rapides français Superphénix est restée beaucoup plus faible que si le réacteur avait fonctionné à pleine puissance.
Pour un fonctionnement Ă pleine puissance (1 240 MW) pendant 365 jours, la production annuelle maximale thĂ©orique (sans tenir compte des arrĂȘts et baisses de charge programmĂ©s) serait de 10,86 TWh, soit environ 120 TWh pour la pĂ©riode de 1985 Ă 1996. Or, la production d'Ă©lectricitĂ© totale sur cette pĂ©riode de fonctionnement a atteint 8,2 TWh selon Wise-Paris[39], ou 8 TWh selon le rapport de la commission dâenquĂȘte de lâAssemblĂ©e nationale française, ce qui reprĂ©sente un facteur de charge moyen sur cette pĂ©riode, de 6,7 Ă 6,8 %. NĂ©anmoins en 1996, lorsque les dĂ©fauts de jeunesse ont Ă©tĂ© surmontĂ©s, la production de la centrale a atteint 3,5 TWh (soit un facteur de charge de 32,2 %), avec un taux de disponibilitĂ© (hors arrĂȘts programmĂ©s) de 95 %[40].
Bilan financier
Le prix de la construction est Ă©valuĂ© Ă 26 milliards de francs pour une prĂ©vision initiale de 4 milliards[41]. Si l'on ajoute l'entretien, SuperphĂ©nix a coĂ»tĂ©, au total, 12 milliards d'euros (actualisĂ© en 2010) jusqu'Ă son arrĂȘt dĂ©finitif en 1997 selon la Cour des Comptes[42]. Pour faire le bilan, il faut aussi ajouter le prix de son dĂ©mantĂšlement, qui est estimĂ© Ă 16,5 milliards de francs français (2,5 milliards d'euros). Au bout du compte, l'expĂ©rience industrielle a Ă©tĂ© jugĂ©e coĂ»teuse, la possibilitĂ© d'une exploitation industrielle « normale » Ă©tant contestĂ©e[43].
Taux de disponibilité | 35 % | 46 % | 60 % |
---|---|---|---|
Produits dâexploitation thĂ©orique du 1/1/95 au 31/12/2000 | 5,3 | 7,0 | 9,0 |
Charges
|
34,4 7,0 |
34,4 7,0 |
34,4 7,0 |
Solde | -63,5 | -61,8 | -59,8 |
Selon le rapport de la Commission de la production et des échanges de l'Assemblée nationale, en , la relance de Superphénix était donc économiquement viable.
Le rapport de l'AssemblĂ©e nationale de 1998 ne partage pas l'avis de la Commission de la production et des Ă©changes de l'AssemblĂ©e nationale, et conclut Ă un coĂ»t du kilowattheure non compĂ©titif dĂšs la phase de conception du rĂ©acteur, tout en remarquant que personne ne conteste l'avis de la Cour des Comptes selon lequel « le bilan de lâexpĂ©rience de la surgĂ©nĂ©ration apparaĂźt aujourdâhui dĂ©favorable dans tous les cas sur le plan financier »[6].
Image de la France
L'image de l'industrie française à l'international a été fortement dégradée par le projet Superphénix. Selon le rapport de l'Assemblée nationale de 1998, la France apparaissait isolée sur une filiÚre qui semblait abandonnée par de nombreux pays[6].
Les hasards du calendrier ont voulu que la catastrophe de Tchernobyl se produise au mĂȘme moment (avril 1986) que la mise en service de SuperphĂ©nix. Le manque de transparence et les erreurs de communication, en France, sur les consĂ©quences de la catastrophe de Tchernobyl ont entraĂźnĂ© une certaine mĂ©fiance de l'opinion publique sur la sĂ»retĂ© nuclĂ©aire, qui a pu se reporter sur la filiĂšre Ă©mergente des rĂ©acteurs Ă neutrons rapides (RNR), dont la conception est pourtant trĂšs diffĂ©rente de celle du RBMK soviĂ©tique.
La responsabilité sociétale des constructeurs et des exploitants du réacteur a été discutée via des informations diffusées par des réseaux anti-nucléaires internationaux (Greenpeace), nationaux (Réseau sortir du nucléaire), et locaux (Associations loi 1901, Comité Malville...). Aujourd'hui, Internet permet à beaucoup d'organisations de communiquer facilement sur cette affaire.
Pourtant, de nombreux experts ayant participé au forum Génération IV s'accordent à penser que les réacteurs à neutrons rapides ont un niveau de sûreté équivalent à celui d'un réacteur à eau pressurisée. Il s'agit, d'ailleurs, d'une des filiÚres retenues par le forum Génération IV pour les futurs réacteurs nucléaires civils[44].
Impact sur l'opinion publique en France
Les conséquences ont été graves aussi du point de vue de l'impact sur l'opinion publique tout au long du projet en France :
- prévisions trop alarmistes sur le prix de l'uranium, démenties par les faits ;
- promotion d'une filiÚre à la hussarde, processus de décision sans véritable débat ;
- communication insuffisante ;
- tergiversations administratives et fluctuations sur le rÎle attribué au réacteur[6].
Retour d'expérience sur la filiÚre à neutrons rapides
L'exploitation de Superphénix a été soigneusement consignée par des experts en ingénierie des connaissances, dans des systÚmes d'intelligence collective.
Les compĂ©tences europĂ©ennes dans la filiĂšre industrielle des rĂ©acteurs Ă neutrons rapides ont globalement Ă©tĂ© conservĂ©es, mais elles ont Ă©tĂ© largement exploitĂ©es par d'autres puissances Ă©conomiques, habiles pour rĂ©cupĂ©rer l'expĂ©rience industrielle des autres et crĂ©er des rĂ©seaux de connaissances : le Japon (Monju), puis les Ătats-Unis qui, aprĂšs avoir arrĂȘtĂ© le rĂ©acteur de Clinch River, se sont orientĂ©s vers des recherches sur la fermeture du cycle nuclĂ©aire. Les recherches sur les rĂ©acteurs de gĂ©nĂ©ration IV en tĂ©moignent.
Débat sur Superphénix
SuperphĂ©nix a Ă©tĂ© au centre d'une vive controverse, ses dĂ©fenseurs argumentant sur son intĂ©rĂȘt, les militants antinuclĂ©aires exposant des craintes contre lui. AprĂšs la lutte des Ă©cologistes Les Verts contre SuperphĂ©nix depuis sa planification et construction, un rĂ©seau national appelĂ© Sortir du nuclĂ©aire a Ă©tĂ© formĂ© Ă sa fermeture en 1997, rassemblant Ă cette Ă©poque plusieurs centaines d'organismes : comitĂ©s locaux, associations Ă©cologiques, mouvements de citoyens et partis.
Le débat a eu lieu aussi en Suisse, située à moins de 100 km du site de Creys-Malville[45]
Risques d'accident et sécurité
La centrale contient cinq tonnes de plutonium et 5 000 tonnes de sodium liquide, qui s'enflamme spontanĂ©ment au contact de l'air quand il est trĂšs chaud, et explose au contact de l'eau en produisant de l'hydrogĂšne quand il est en quantitĂ© trĂšs infĂ©rieure Ă l'eau (ce qui n'est pas le cas dans ce type de rĂ©acteur). Par ailleurs, on ne sait toujours pas comment Ă©teindre un feu de plus de quelques centaines de kilogrammes de sodium. Cependant « en brĂ»lant, le sodium liquide forme Ă sa surface une croĂ»te qui empĂȘche l'incendie de se dĂ©velopper en profondeur et limite le rayonnement de chaleur » ce qui permet de l'approcher et de le combattre, contrairement Ă un feu d'hydrocarbures, par exemple[46].
En 1976, un ancien ingĂ©nieur d'EDF, J.-P. Pharabod, dĂ©clare quâ« il n'est pas dĂ©raisonnable de penser qu'un grave accident survenant Ă SuperphĂ©nix pourrait tuer plus d'un million de personnes »[47] - [48].
Un problÚme pour la sécurité est l'augmentation de la viscosité du fluide caloporteur (le sodium liquide) en cas de pollution mal maßtrisée.
IntĂ©rĂȘt de la surgĂ©nĂ©ration
Dans les années 1970 et 1980, on prévoyait que le prix de l'uranium allait fortement augmenter, et rendrait de la sorte les surgénérateurs, peu consommateurs de cette ressource, rentables économiquement. Ces prévisions se sont révélées trop pessimistes pour trois raisons :
- les politiques de maßtrise des dépenses énergétiques au lendemain des crises pétroliÚres ont permis de limiter la consommation d'électricité ;
- la quantité et la teneur des gisements d'uranium économiquement exploitables ont été sous-estimées ;
- les stocks d'uranium militaire constitués dans le contexte de la guerre froide ont été convertis en stocks civils et utilisés dans les réacteurs nucléaires[49].
On constate nĂ©anmoins, depuis 2005, une tendance Ă la hausse du prix de l'uranium, due au fait que les stocks ont diminuĂ© et que la production d'uranium augmente peu. C'est la raison pour laquelle, selon les industriels du nuclĂ©aire, la surgĂ©nĂ©ration reprĂ©sente toujours une solution au problĂšme de la pĂ©nurie d'uranium. En effet, les rĂ©serves d'uranium (au niveau de consommation actuel) sont estimĂ©es Ă environ 70 ans[49]. NĂ©anmoins, ce chiffre ne concerne que l'uranium au prix du marchĂ© actuel (80 $ par kg). D'autres gisements existent (phosphates, eau de mer), les coĂ»ts d'extraction sont plus Ă©levĂ©s (respectivement 150 et 350 $) mais la ressource est trĂšs importante, de l'ordre de 4 milliards de tonnes[50]. Le bilan Ă©nergĂ©tique de l'extraction de l'uranium marin est positif d'un facteur 30 minimum[51]. Ces ressources limitent fortement l'intĂ©rĂȘt de dĂ©velopper une filiĂšre Ă neutrons rapides, sauf dans une configuration d'incinĂ©rateur de dĂ©chet de centrales classiques.
L'Ă©nergie des neutrons rapides, contrairement aux rĂ©acteurs Ă eau pressurisĂ©e, permet de transformer non seulement tous les atomes lourds initiaux, mais aussi ceux, Ă vie longue, engendrĂ©s par la rĂ©action : neptunium, plutonium, amĂ©ricium, curium, etc. De plus, un rĂ©acteur de ce type peut ĂȘtre utilisĂ© en surgĂ©nĂ©ration pour optimiser le rendement matiĂšre (l'uranium naturel est peu Ă peu transformĂ© en plutonium qui est brĂ»lĂ© Ă son tour) ou en sous-gĂ©nĂ©ration, auquel cas il brĂ»le des excĂšs de matiĂšre fissile et permet, notamment, d'Ă©liminer le plutonium militaire.
Enfin, un réacteur à neutrons rapides pourrait accélérer la transmutation de produits de fission à vie longue en produits à vie plus courte et, donc, contribuer à réduire la toxicité à terme de ces déchets. De telles études étaient menées à Superphénix et sont poursuivies sur le réacteur Phénix, en accord avec la loi Bataille.
Les difficultĂ©s rencontrĂ©es par SuperphĂ©nix, surtout pour raisons administratives, et finalement son arrĂȘt, n'obĂšrent pas l'intĂ©rĂȘt des surgĂ©nĂ©rateurs comme solution durable pour l'industrie nuclĂ©aire. Jean-Marc Jancovici voit dans la surgĂ©nĂ©ration une solution d'avenir pour rĂ©soudre les problĂšmes liĂ©s Ă la pĂ©nurie prĂ©visible d'Ă©nergies fossiles et au rĂ©chauffement climatique[52].
Connaissances techniques développées
SuperphĂ©nix a permis au CEA et Ă EDF de dĂ©velopper des techniques pointues. Des donnĂ©es technologiques ont Ă©tĂ© collectĂ©es, notamment quant au caloporteur : le sodium liquide. Ces connaissances seront mises Ă profit pour le dĂ©veloppement du rĂ©acteur prototype de 600 MWe ASTRID. En effet, le rĂ©acteur Ă neutrons rapides et caloporteur sodium est une des filiĂšres prĂ©conisĂ©es par le Forum International GĂ©nĂ©ration IV, qui regroupe 12 des grandes puissances du nuclĂ©aire civil : Argentine, BrĂ©sil, Canada, France, Japon, CorĂ©e du Sud, Afrique du Sud, Royaume-Uni, Ătats-Unis, Suisse, Chine, Russie et Euratom[53].
En aoĂ»t 2019, il est annoncĂ© que le projet ASTRID, qui a coĂ»tĂ© 738 millions dâeuros, est abandonnĂ© par le CEA, qui le remet « Ă la deuxiĂšme moitiĂ© du siĂšcle »[54] - [55].
DĂ©cisions de construction / fermeture
Selon les opposants, le dĂ©mantĂšlement de SuperphĂ©nix a Ă©tĂ© dĂ©cidĂ© sans consultation publique, tout comme sa construction. Ses promoteurs soulignent au contraire que l'abandon de SuperphĂ©nix a Ă©tĂ© dĂ©cidĂ© par un arrĂȘtĂ© ministĂ©riel[43] , tandis que sa construction avait Ă©tĂ© dĂ©cidĂ©e par une loi.
Selon un rapport de la commission d'enquĂȘte de la politique Ă©nergĂ©tique de la France Ă©tabli par le SĂ©nat, l'arrĂȘt de SuperphĂ©nix est une dĂ©cision grave[30] car :
- sans concertation avec ni le Parlement, ni la société exploitante ni ses partenaires étrangers ni les collectivités locales ;
- sans fondement autre qu'Ă©lectoraliste (Ă la suite d'un accord entre le parti politique les Verts et le gouvernement socialiste), la sĂ»retĂ© de SuperphĂ©nix n'ayant Ă©tĂ© remise en cause, l'argument financier ne pouvant justifier un arrĂȘt prĂ©maturĂ© ;
- une dĂ©cision coĂ»teuse pour EDF, qui, en plus de devoir supporter seule l'arrĂȘt de SuperphĂ©nix, doit dĂ©dommager ses partenaires et rester compĂ©titive.
Analyse des causes de l'Ă©chec
D'aprÚs Robert Bell, professeur au Brooklyn College, une des causes de l'échec du projet Superphénix est le fait que les contrÎles ont été insuffisants, les promoteurs du projet étant également ceux qui devaient le contrÎler : à l'époque de la construction, le Service central de sûreté des installations nucléaires (SCSIN) était une petite structure dépendante du ministÚre de l'Industrie et tirait ses informations du Commissariat à l'énergie atomique (CEA) qui promouvait Superphénix[56]. Ce lien de dépendance entre contrÎleurs et contrÎlés n'a changé qu'en 1990, mais il était alors trop tard.
DĂ©mantĂšlement
La centrale a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©e dĂ©finitivement en dĂ©cembre 1996. AprĂšs l'annonce du dĂ©mantĂšlement en 1997, le dĂ©bat public s'avĂšre intense dans la presse locale jusqu'en 2000. Depuis lors, la presse locale se fait l'Ă©cho uniquement des composantes techniques du chantier[57].
En 2007, les travaux de démantÚlement étaient prévus pour durer jusqu'en 2027[58]. à cette date, les quatorze tonnes de plutonium et les trente-huit mille blocs de béton au sodium seraient encore conservés sur le site[13].
Sur le chantier de démantÚlement du réacteur, 400 personnes travaillent quotidiennement à proximité de substances à risque (matériaux irradiés, sodium). Depuis 2005, la réalisation des travaux de démantÚlement a été confiée à un centre d'ingénierie nucléaire d'EDF : le Centre d'ingénierie de déconstruction et environnement (CIDEN)[59].
Lors de plusieurs inspections menĂ©es en 2012 et 2013, l'AutoritĂ© de sĂ»retĂ© nuclĂ©aire met en Ă©vidence que le personnel n'est pas formĂ© aux situations d'urgence et que l'organisation interne ne permet pas lâintervention efficace des secours[59].
En septembre 2014, Ă la suite d'une plainte du RĂ©seau Sortir du nuclĂ©aire, le parquet de Bourgoin-Jallieu dĂ©cide dâengager des poursuites Ă lâencontre dâEDF et du CIDEN pour nĂ©gligences[60]
En novembre 2014, le tribunal correctionnel de Bourgoin-Jallieu reconnaĂźt EDF coupable de ne pas avoir renforcĂ© les moyens de gestion des situations dâurgence sur le site de Creys-Malville[61].
Finalement, par une dĂ©cision CODEP-CLG-2015-050250 du prĂ©sident de lâAutoritĂ© de sĂ»retĂ© nuclĂ©aire du 21 dĂ©cembre 2015[62], EDF a Ă©tĂ© autorisĂ©e Ă engager les opĂ©rations de traitement du sodium rĂ©siduel prĂ©sent dans la cuve du rĂ©acteur aprĂšs sa vidange. L'Ă©vacuation du sodium a Ă©tĂ© achevĂ©e fin 2018 et le dĂ©coupage de la cuve va commencer[63].
Entre 2010 et 2014, les 6 000 m3 de sodium de la cuve et du circuit secondaire ont Ă©tĂ© transformĂ©s en soude faiblement radioactive avant dâĂȘtre mĂ©langĂ©s avec du ciment pour former des blocs de bĂ©ton : 37 000 blocs, soit 70 000 m3. Ces blocs sont entreposĂ©s sur le site, en attendant leur transfert vers un des centres de stockage adaptĂ©s de lâANDRA. En parallĂšle, depuis 2009, s'est dĂ©roulĂ© le dĂ©mantĂšlement des Ă©quipements nuclĂ©aires : les gros composants, soit les quatre pompes primaires, les huit Ă©changeurs intermĂ©diaires et les quatre pompes secondaires, sont progressivement retirĂ©s, traitĂ©s, dĂ©coupĂ©s et Ă©vacuĂ©s. DĂ©sormais, tout est prĂȘt pour lâĂ©tape la plus importante, la dĂ©coupe de la cuve, qui est la plus grande du monde. Le premier bouchon dit "bouchon couvercle cĆur" a Ă©tĂ© retirĂ© courant 2019[64] et en 2021 l'ASN a donnĂ© son accord pour la poursuite des opĂ©rations de dĂ©mantĂšlement[65]. Une fois la cuve dĂ©mantelĂ©e, le chantier continuera avec la dĂ©construction des bĂątiments, et le dĂ©mantĂšlement des gĂ©nĂ©rateurs de vapeur jusquâĂ lâassainissement des terrains Ă lâhorizon 2030[66].
Notes et références
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- Georges Charpak, Richard L. Garwin, Venance Journé, De Tchernobyl en tchernobyls, (lire en ligne sur Google Livres), p. 159.
- La controverse de SuperphĂ©nix : le point de vue d'un moraliste, par Bertrand Heriard Dubreuil, le 31 juillet 1999, sur le site du Centre Ăthique Technique et SociĂ©tĂ© (CETS) du groupe ICAM.
- « Encyclopédie Larousse en ligne - Novatome », sur larousse.fr (consulté le ).
- L'équipe chargée de la réalisation de Super-Phénix refuse les conditions de son transfert dans le secteur privé, lemonde.fr, 25 février 1977
- Christian Bataille, Rapport fait au nom de la commission d'enquĂȘte sur SuperphĂ©nix et la filiĂšre des rĂ©acteurs Ă neutrons rapides, AssemblĂ©e nationale, le 25 juin 1998.
- Nersa, BnF, consulté le 26 janvier 2020
- « Faut-il redémarrer SuperPhenix ? », Conseil Mondial des Travailleurs du Nucléaire.
- Aujourd'hui Malville, demain la France, La Pensée sauvage, , p. 7
- Le lourd dossier Superphénix, par l'Association des écologistes pour le nucléaire (AEPN).
- « Le prĂ©cĂ©dent de Creys-Malville, en 1977 », Le Monde,â (lire en ligne)
- "Jâai tirĂ© au bazooka sur Creys-Malville", par ChaĂŻm Nissim, sur Transfert.net le 9 mai 2003
- Christine Bergé, philosophe et anthropologue des techniques, « Superphénix, des braises sous la cendre », Le Monde diplomatique, avril 2011.
- ChaĂŻm Nissim, « LâAmour et le monstre. Des roquettes contre Creys-Malville », Favre, Lausanne-Paris, 2004.
- [PDF]SuperphĂ©nix dans la presse quotidienne rĂ©gionale - Institut dâĂtudes Politiques de Lyon â septembre 2006
- « http://www.iaea/org/pris »(Archive.org ⹠Wikiwix ⹠Archive.is ⹠Google ⹠Que faire ?)
- Superphénix, l'expérimentation nucléaire en question, par Raymond Avrillier, publié dans Stratégies Energétiques, BiosphÚre & Société (SEBES), en novembre 1990
- SuperphĂ©nix : L'arrĂȘt d'un surgĂ©nĂ©rateur trop en avance sur son temps, par Eric Souffleux sur generationsfutures.net - 29 janvier 2006
- André LariviÚre ; préf. de Michel Bernard, Les carnets d'un militant : 1986-1997 : Marches pour la paix, Montréal, Ecosociété, 1997, 253 p.
- Superphénix encore en panne, La Gazette nucléaire no 109/110, 8 août 1990.
- Les surgénérateurs - chronologie des évenements, par Mathias Goldstein du Comité Stop Nogent-sur-Seine
- « AprĂšs trois ans et demi d'arrĂȘt du surgĂ©nĂ©rateur Les autoritĂ©s de sĂ»retĂ© proposent un redĂ©marrage de SuperphĂ©nix sous conditions », Le Monde, 19 janvier 1994.
- Communiqué des services du Premier ministre, en date du 22 février 1994, sur les conditions de la remise en activité de Superphénix, qui deviendra un réacteur consacré à la recherche et à la démonstration., vie-publique, 22 février 1994
- MichĂšle Rivasi et HĂ©lĂšne CriĂ©, Ce nuclĂ©aire qu'on nous cache, Ăditions Albin Michel, 1998.
- Jean Besson, Projet de finances pour 1998 adopté par l'assemblée nationale, Sénat.
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- https://www.asn.fr/Reglementer/Bulletin-officiel-de-l-ASN/Installations-nucleaires/Decisions-individuelles/Decision-CODEP-CLG-2015-050250-du-President-de-l-ASN-du-21-decembre-2015 Décision du président de l'ASN en 2015
- DémantÚlement de Superphénix : le découpage de la cuve va bientÎt démarrer, France Info
- « Creys-Malville : le démantÚlement de Superphénix se poursuit et des robots sont utilisés », sur France Bleu, (consulté le )
- AutoritĂ© de sĂ»retĂ© nuclĂ©aire, « LâASN valide la poursuite des opĂ©rations de dĂ©mantĂšlement de SuperphĂ©nix Ă la suite de son rĂ©examen », sur www.asn.fr (consultĂ© le )
- Ă Creys-Malville, tout est prĂȘt pour la dĂ©coupe de la cuve de SuperphĂ©nix, SFEN, 14 janvier 2019.
Voir aussi
Bibliographie
- Collectif, La centrale à neutrons rapides de Creys-Malville (super-phénix), Commissariat à l'énergie atomique, 1978, 139 p.
- Collectif, Le Projet de la centrale nuclĂ©aire de Creys-Malville : surrĂ©gĂ©nĂ©rateur, Palaiseau, SOFĂDIR, 1979,
- Collectif, Superphénix : le dossier, Lyon, Les Européens contre Superphénix, 1994.
- Vendryes, Georges, Superphénix, pourquoi ?, Paris, Nucléon, 1997.
- Collectif, Rapport d'information fait au nom de la commission d'enquĂȘte sur SuperphĂ©nix et la filiĂšre des rĂ©acteurs Ă neutrons rapides, Paris, AssemblĂ©e nationale, 1998.
- Bienvenu, Claude, Superphénix : le nucléaire à la française, Paris, Montréal : l'Harmattan, 1999.
- Nissim, ChaĂŻm, L'amour et le monstre : roquettes contre Creys-Malville, Lausanne, Paris, Favre, 2004.
Articles connexes
Liens externes
- Réacteur Superphénix : Installation en démantÚlement sur le site de l'Autorité de sûreté nucléaire
- Il était une fois... Superphénix, Rapports d'information du Sénat
- Fiche pédagogique : Superphénix, sur le site connaissancedesenergies.org