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Intelligence collective

L'intelligence collective ou de groupe se manifeste par le fait qu'une Ă©quipe d'agents coopĂ©rants peut rĂ©soudre des problĂšmes plus efficacement que lorsque ces agents travaillent isolĂ©ment [1]. Le concept d’intelligence collective a Ă©tĂ© mobilisĂ© pour aborder des collectifs d'agents trĂšs divers : des insectes vivant en colonies, des Ă©quipes d'humains, des robots collaboratifs, bien que dans ce dernier cas il conviendrait plutĂŽt de parler d'intelligence distribuĂ©e.

« Personne ne sait tout, tout le monde sait quelque chose »

Pour Pierre Lévy, il s'agit d'une « intelligence partout distribuée, sans cesse valorisée, coordonnée en temps réel, qui aboutit à une mobilisation effective des compétences »[2].

Elle résulte entre autres de la qualité des interactions entre ses membres (ou agents).

L’intelligence collective est Ă©tudiĂ©e en sociobiologie, en sciences politiques et dans le contexte de l'Ă©tude des performances de systĂšmes socio-techniques, tels que les applications de la production participative [3]. L'intelligence collective a Ă©galement Ă©tĂ© attribuĂ©e et Ă©tudiĂ©e chez les animaux et des organismes aussi simples que les bactĂ©ries [4] - [5].

Les principes de l'intelligence collective sont aujourd'hui appliqués en sociologie, en sciences de gestion, en informatique et dans les théories de la communication, notamment dans le but de mieux mobiliser les compétences disponibles au sein d'une équipe, d'une institution[6].

Principes

Alors que la connaissance des membres d’une communautĂ© est limitĂ©e, tout autant que leur perception de l'environnement commun et bien qu'ils n'ont pas conscience de la totalitĂ© des Ă©lĂ©ments pertinents par rapport aux buts, des agents peuvent accomplir des tĂąches complexes ou trouver des solutions novatrices grĂące Ă  diffĂ©rents mĂ©canismes, mĂ©thodes
, tel la stigmergie[7].

Les formes d'intelligence collective sont trĂšs diverses selon les types de communautĂ© et les membres qu'elles rĂ©unissent. Les groupes humains, en particulier, n'obĂ©issent pas Ă  des rĂšgles aussi mĂ©caniques que d'autres collectifs, par exemple les animaux sociaux tels les colonies d'insectes ou les associations de robots coopĂ©ratifs [8]. S’agissant de collectifs humains, une dĂ©finition trĂšs large a Ă©tĂ© proposĂ©e par Geoff Mulgan dans une sĂ©rie de confĂ©rences et de rapports diffusĂ©s Ă  partir de 2006 [9] dans son livre Big Mind: how collective intelligence can change our world (Princeton, 2017)[10]. Il y propose en effet un cadre d'analyse qu’il considĂšre valable pour tout systĂšme de pensĂ©e, y compris l'intelligence humaine (vue comme le fruit de la coopĂ©ration entre neurones) et l'intelligence artificielle. Son cadre d'analyse implique de tenir compte des fonctions exercĂ©es (observation, prĂ©diction, crĂ©ativitĂ©, jugement, etc.), de boucles d'apprentissage et de formes d'organisation. L'objectif de Mulgan est ni plus ni moins de fournir un moyen d’évaluer, puis d’amĂ©liorer l'intelligence collective d'une ville, d'une entreprise, d'une ONG ou d'un parlement. Pour cet auteur, le cadre d’analyse apportĂ© par l’intelligence collective peut permettre de renforcer la capacitĂ© des structures sociales Ă  rĂ©pondre aux dĂ©fis du monde moderne en maximisant les capacitĂ©s crĂ©atives et en minimisant les dimensions destructrices des institutions humaines[11].

En l’absence de structure de dĂ©cision centralisĂ©e, l’intelligence collective des systĂšmes naturels repose sans doute sur des principes d’auto-organisation et d’émergence[12]. Les chercheurs qui veulent appliquer ce paradigme de l’intelligence collective aux collectifs de robots collaboratifs dans une perspective bioinspirĂ©e ou biomimĂ©tique cherchent Ă  tenir compte de ces principes et cherchent Ă  les implĂ©menter[13].

Dans ce sens, l’intelligence collective peut ĂȘtre lue comme une ingĂ©nierie dont le but est de maximiser l’efficacitĂ© cognitive d’un groupe humain par exemple en structurant les Ă©changes interpersonnels, en optimisant la composition du groupe ou et utilisant des supports Ă©lectroniques pour faciliter les Ă©changes [14].

Historique

L'intelligence collective animale est un domaine d'Ă©tude scientifique qui connaĂźt un grand dĂ©veloppement Ă  partir des annĂ©es 1980, avec des entomologistes comme Edward Osborne Wilson et Bert Hölldobler qui mettent en Ă©vidence l'intelligence collaborative des fourmis[15], ou le neurobiologiste Thomas Dyer Seeley (en) qui Ă©crit sur l'intelligence distribuĂ©e chez les abeilles[16]. Des travaux sur l’intelligence artificielle distribuĂ©e apparaissent Ă©galement Ă  la mĂȘme Ă©poque.

La recherche sur l'intelligence collective humaine qui se dĂ©veloppe au dĂ©but du XXIe siĂšcle, s'inspire de ces Ă©tudes, et est popularisĂ©e par le best-seller La Sagesse des foules publiĂ© en 2004 par le journaliste amĂ©ricain James Surowiecki qui rappelle l'expĂ©rience emblĂ©matique, et largement ignorĂ©e jusque-lĂ , de Francis Galton en 1906[17] sur l'estimation correcte du poids d'un bƓuf dans une foire anglaise[18].

Intelligence collective humaine

Conditions d’émergence dans des groupes humains

Les chercheurs considÚrent que l'intelligence collective apparaßt lorsque des connaissances et des compétences locales et distribuées sont coordonnées pour atteindre un objectif collectif (mais pas nécessairement consensuel)[19].

Quatre Ă©lĂ©ments de base ont Ă©tĂ© identifiĂ©s pour que de l’intelligence collective Ă©merge[20] :

  • un groupe d'acteurs compĂ©tents dans des domaines de connaissances spĂ©cifiques ;
  • un ensemble de ressources (ressources physiques, informations, connaissances, relations) et de mĂ©canismes d'interaction (par exemple des outils de mind mapping, navigateur de base de donnĂ©es, des supports visuels de discussion visuelle
) Ă  la disposition des acteurs ;
  • des prĂ©cisions sur les objectifs et les rĂ©sultats que les acteurs doivent atteindre ;
  • un moyen d'Ă©valuer l’atteinte des rĂ©sultats.

En outre, un facteur de succĂšs attestĂ© la capacitĂ© des membres du collectif de dĂ©duire les Ă©tats mentaux d'autrui, tels que les croyances ou les sentiments, Ă  partir d'indices subtils[21]. Tant dans le cadre d'Ă©tudes en laboratoire et d’investigations sur le terrain, les chercheurs ont constatĂ© qu'une plus grande participation et une participation plus Ă©gale entre les membres sont associĂ©es Ă  une intelligence collective plus Ă©levĂ©e[22] - [23]. L’inscription de l’équipe dans une culture de communication non violente favorise une collaboration efficace [24].

Selon plusieurs Ă©tudes, l'intelligence collective d'un collectif augmente avec la proportion de femmes, bien que l’optimum implique de conserver un minimum d'hommes[25] - [26] - [27] - [28] - . Ce rĂ©sultat s'explique par le fait que les femmes facilitent davantage l’échange d’idĂ©es et les processus collectifs : en effet, la sensibilitĂ© sociale, qui constitue l'un des facteurs dĂ©terminants pour l'intelligence sociale d'un groupe, est en moyenne plus Ă©levĂ©e chez les femmes que chez les hommes[27] - [29]. Par ailleurs, l'intelligence sociale d'un groupe n’est que faiblement corrĂ©lĂ©e aux quotients intellectuels de chacun des membres[27].

James Surowiecki, propose quant Ă  lui une "recette" de l'intelligence collective suivant quatre facteurs clefs:

  1. Diversité d'opinions : plus les approches sont diverses, plus il est probable qu'une bonne ou meilleure solution émerge.
  2. IndĂ©pendance d'esprit : les opinions de chacun ne doivent pas dĂ©pendre des opinions des autres. Le peu d’intelligence des foules serait le rĂ©sultat du trop peu d’indĂ©pendance d’esprit dans ce contexte.
  3. Décentralisation : pour assurer un équilibre entre le global et le local, les individus apportent chacun leur savoir spécialisé, tiré d'une connaissance intime d'un aspect du problÚme à résoudre.
  4. Agrégation : un mécanisme de compte objectif, pour réunir les jugements des personnes en un jugement final. (ex: vote à la majorité, estimation de probabilité sur un marché prédictif).

Parmi les mĂ©thodes d'intelligence collective, on peut citer la prise de dĂ©cision par consentement, dĂ©veloppĂ©e par la sociocratie et reprise par l'holacratie, la mĂ©thode des six chapeaux, la thĂ©orie U. Une meilleure connaissance du processus crĂ©atif, par exemple dans l’alternance des phases de divergence et de convergence, est utile. Elle permet par exemple de mieux alterner les moments de travail individuel et de travail collectif, en faisant aussi varier la composition du groupe [14].

Afin d'anticiper les risques et menaces Ă  un projet, la mĂ©thode du prĂ©-mortem permet de minimiser les biais de conformitĂ© et donc de rĂ©colter des avis souvent plus honnĂȘtes et divers que les mĂ©thodes traditionnelles de prospective[30]. InspirĂ©e des thĂ©ories systĂ©miques et proposĂ©e par le psychologue amĂ©ricain Gary Klein (en), cette mĂ©thode demande Ă  un groupe de se projeter dans un futur proche oĂč le projet a Ă©chouĂ©. Leur objectif est de fournir les causes possibles de cet Ă©chec. En demandant au groupe d'ĂȘtre critique ensemble, et en employant le parti pris de l'Ă©chec, on minimise la tendance des individus Ă  l'autocensure et Ă  la "PensĂ©e de groupe", nocive Ă  la bonne prise de dĂ©cision. Daniel Kahneman dĂ©crit le prĂ©-mortem comme une technique de "debiasing" particuliĂšrement efficace du fait qu'elle encourage l'indĂ©pendance d'esprit[31].

L'intelligence collective comme ingénierie

Le centre d'intelligence collective du National Endowment for Science, Technology and the Arts (en) a pour objectif d'aider les organisations Ă  devenir plus intelligentes collectivement et Ă  prendre de meilleures dĂ©cisions de groupe. Pour ce faire, les chercheurs partent d'une sĂ©quence de phases thĂ©oriques de la dĂ©cision, qui dĂ©bute par l'identification des objectifs pour aller vers la gĂ©nĂ©ration d'idĂ©es et l'Ă©valuation, puis cherchent Ă  voir comment chaque Ă©tape peut ĂȘtre optimisĂ©e pour tirer le meilleur parti des compĂ©tences de l'Ă©quipe et au-delĂ  [32] - [33].

Le centre d'intelligence collective du Massachusetts Institute of Technology rassemble des scientifiques pour trouver comment des personnes et les dispositifs informatiques peuvent travailler ensemble de maniĂšre plus intelligente, et pour aborder des questions scientifiques sous-jacentes Ă  cette question[34]. Pour ce faire, les membres se centrent sur plusieurs objectifs : concevoir des systĂšmes collaboratifs intelligents, Ă©tudier l’intelligence collective dans des organisations existantes, concevoir des thĂ©ories autour de l’intelligence collective.

Intelligence collective et outils numériques

Les dĂ©veloppements d’internet sont pointĂ©s comme un Ă©lĂ©ment ayant rendu visible les apports de la collaboration dans la gĂ©nĂ©ration de solutions pour des problĂšmes de diffĂ©rentes natures. L’intelligence ne parait plus situĂ©e dans le seul esprit des individus isolĂ©s mais apparait en lien Ă  leur capacitĂ© d’échanger pour mieux dĂ©finir des problĂšmes et y chercher collectivement des solutions[33].

Mulgan donne l’exemple d’une jeune diabĂ©tique indienne qui avait dĂ©veloppĂ© une premiĂšre version d’une application mobile destinĂ©e Ă  monitorer son niveau d’insuline, puis l’a partagĂ©e sur internet. En un temps trĂšs court, plus de 400 insiluno-dĂ©pendants se sont coordonnĂ©s pour amĂ©liorer l’application qui a dĂšs lors surpassĂ© en qualitĂ© des produits commerciaux. "Chaque individu, organisation ou groupe pourrait mieux se dĂ©brouiller s'il faisait appel... Ă  la matiĂšre grise d'autres personnes et d'autres machines".

Le NESTA lie trÚs directement intelligence collective et technologies. Cet institut en arrive à considérer que l'intelligence collective est générée lorsqu'un groupe de personnes diverses travaille ensemble, souvent avec l'aide de la technologie, pour mobiliser un éventail accru d'informations, d'idées et de connaissances afin de résoudre un problÚme. Elle part du principe que l'intelligence est distribuée. Différentes personnes détiennent différents éléments d'information et apportent différentes compétences qui, une fois combinées, donnent une image plus complÚte d'un problÚme et de la maniÚre de le résoudre.

Pour Nature, l'avantage de connecter les gens est Ă©vident lorsqu'il s'agit d'agrĂ©ger rapidement de grandes quantitĂ©s d'informations distribuĂ©es. Ainsi, des applications efficaces du principe de la production participative sont si nombreuses qu’on aurait de la peine Ă  les recenser[35]. Peu aprĂšs le lancement du projet d'astronomie Galaxy Zoo, par exemple, des centaines de milliers de bĂ©nĂ©voles ont classĂ© des galaxies Ă  partir d'images collectĂ©es par le Sloan Digital Sky Survey, rĂ©alisant en Ă  peine six mois ce qui aurait pris des annĂ©es Ă  une personne travaillant 24 heures sur 24. Cependant, la dĂ©monstration de la puissance du collectif est moins Ă©vidente lorsqu’il s’agit de prendre une dĂ©cision compliquĂ©e dans la sphĂšre politique par exemple[10].

DĂšs lors, pour Ă©viter la stupiditĂ© qu’on voit chaque jour dĂ©montrĂ©e par les rĂ©seaux sociaux, Mulgan considĂšre que l’énergie des chercheurs en IC doit ĂȘtre focalisĂ©e sur l’identification des structures, rĂšgles, compĂ©tences, outils et normes qui "transforment des groupes fragmentĂ©s et conflictuels en quelque chose de plus proche d'une intelligence collective". HĂ©lĂšne Landemore va dans le mĂȘme sens [36]. Pour Mulgan, c’est aux institutions publiques de structurer les entitĂ©s humaines (entreprises, administrations...) dans ce sens, pour Landemore, c’est effectivement une question cruciale.

8 recommendations de Geoff Mulgan du NESTA britannique, tirées de son livre "Big Mind"

Mulgan considĂšre qu’un premier moyen simple de dĂ©velopper l’intelligence collective est d'amĂ©liorer la façon dont nous conduisons les rĂ©unions[37]. Il prĂ©conise des rĂ©unions plus courtes assorties d’ordres du jour plus clairs, avec une attribution de tĂąches dĂ©finies, d’objectifs bien Ă©noncĂ©s et avec une meilleure utilisation de l'espace, de la modĂ©ration et de supports technologiques simples.

Intelligence collective et recherche

L'étude de l'intelligence collective a pour objectif de comprendre les conditions qui permettent l'émergence du phénomÚne, répertorier ses variations et de construire des méthodes et outils pour l'optimiser. La recherche sur le sujet puise dans de nombreuses disciplines, des sciences cognitives, à la psychologie sociale, la science des données, l'informatique et le management. La discipline s'appuie également sur les pratiques innovantes issues des mouvements de démocratie participative.

La cinquiĂšme confĂ©rence annuelle sur l'intelligence collective, qui s'est tenue en juin 2017 Ă  New York, Ă©tait axĂ©e sur la dĂ©mocratie[36]. Des experts en informatique et en sciences sociales se sont rĂ©unis pour examiner ce que les institutions dĂ©mocratiques doivent faire pour mieux exploiter l'intelligence et l'expertise de ceux qu'elles gouvernent. Celle de 2020 a explorĂ© les impacts de la technologie et du big data sur la façon dont les gens se rapprochent pour communiquer, combiner leurs connaissances et accomplir leur travail[38].

Les groupes raisonnent mieux que les individus

Hugo Mercier, spĂ©cialiste du raisonnement Ă  l’institut Jean Nicod, dĂ©montre que les groupes peuvent surpasser les individus pour rĂ©soudre un problĂšme de logique[39]. Dans une de ses expĂ©riences, on prĂ©sente le scĂ©nario suivant aux participants :

"Paul regarde Linda. Linda regarde Jean. Paul est marié, Jean n'est pas marié. On ne sait pas si Linda est mariée ou non. Est-ce qu'une personne mariée regarde une personne qui ne l'est pas ? Réponses possibles: Oui. Non. On ne peut pas savoir."[40]

Pour arriver Ă  la bonne rĂ©ponse, les participants doivent examiner l’enchaĂźnement logique de chaque rĂ©ponse possible. MalgrĂ© la simplicitĂ© du problĂšme, seul 10% des participants donnent la bonne rĂ©ponse : Oui, quelqu'un de mariĂ© regarde quelqu'un qui ne l'est pas. Hugo Mercier dĂ©finit le statu quo selon lequel ce taux d'erreur Ă©levĂ© ne serait que la consĂ©quence des limites cognitives du cerveau humain (une mĂ©moire de travail limitĂ©e par exemple). Selon lui, le problĂšme provient du fait qu'en raisonnant, la majoritĂ© des individus n'examinent pas chaque rĂ©ponse possible, mais viennent seulement Ă©tayer d'arguments la rĂ©ponse qui leur paraissait a priori intuitivement bonne. Il appelle ce type de biais de confirmation le "my side bias" : la tendance Ă  trouver des arguments en faveur des croyances et intuitions que nous possĂ©dons dĂ©jĂ . La raison ne ferait donc que conforter nos intuitions au lieu de les mettre Ă  l'Ă©preuve.

Propagation de la bonne réponse (en vert) à l'énigme de Linda. Plus le temps passe, plus le groupe tend vers la bonne réponse grùce à l'échange d'arguments entre ses membres.

Pour rĂ©soudre ce qui semble constituer une facultĂ© de raisonnement paradoxalement biaisĂ©e, Hugo Mercier et Dan Sperber proposent que la fonction de la raison est de nature argumentative, et donc sociale. Le raisonnement serait ainsi plus efficace dans un contexte oĂč les individus peuvent interagir et argumenter.

Cette théorie semble se vérifier empiriquement : quand on demande aux participants d'argumenter entre eux, 20 min de discussion suffisent à faire changer le groupe entier d'avis. De nombreuses institutions, telles que l'école, la justice et la science reposent sur l'argumentation pour déterminer ce qui est vrai et juste.

Mercier propose ainsi que "Raisonner seul ne nous permet pas de savoir si l'on a tort ou raison. Le meilleur moyen est de trouver ceux qui ne partagent pas nos opinions et de leur parler".

Intelligence collective animale

L'intelligence collective s'observe principalement chez les insectes sociaux (fourmis, termites et abeilles)[41] - [42], et les autres animaux sociaux, notamment ceux se déplaçant en formation (oiseaux migrateurs, bancs de poissons) ou chassant en meute (loups, hyÚnes, lionnes).

L’étude des modes de collaboration animale bĂ©nĂ©ficie de possibilitĂ©s de modĂ©lisation apportĂ©es par l’informatique, tout comme les travaux d’intelligence artificielle collaborative bĂ©nĂ©ficient des apports des Ă©tudes sur les collectifs animaux[42].

Oiseaux migrateurs : optimisation de l'Ă©nergie

Les oiseaux migrateurs doivent parcourir de trÚs longues distances, dans des conditions parfois difficiles. Ainsi, il est important pour eux d'optimiser leur déplacement du point de vue de l'énergie dépensée. Les oies sauvages adoptent des formations en V qui leur permettent d'étendre leur distance de vol de prÚs de 70 %, car chaque oiseau prend l'aspiration de son prédécesseur, comme le font les cyclistes.

Le prix à payer est une perte en vitesse, puisqu'un individu seul vole en moyenne 24 % plus vite qu'une volée.

Fourmis : résolution de problÚmes

Les fourmis sont des animaux eusociaux.

Les fourmis, comme d'autres insectes sociaux, présentent des caractéristiques particuliÚres :

  • un registre comportemental limitĂ©,
  • des capacitĂ©s cognitives telles que chaque individu ne peut s’appuyer sur une connaissance de l'Ă©tat de la collectivitĂ© et du milieu pour agir dans le sens nĂ©cessaire pour garantir un bon fonctionnement de la colonie,
  • des facultĂ©s de communication avancĂ©es par le biais des phĂ©romones, favorisant des interactions multiples.

La colonie dans son ensemble est un systÚme complexe stable et auto-régulé capable de s'adapter trÚs facilement aux variations environnementales les plus imprévisibles, mais aussi et surtout de résoudre des problÚmes, sans contrÎle externe ou mécanisme de coordination central, de maniÚre totalement distribuée.

Division des tĂąches

Les fourmis, ainsi que les abeilles, les termites ou les guĂȘpes, ont la facultĂ© de rĂ©partir dynamiquement les tĂąches en fonction des besoins de la colonie et ce, de maniĂšre totalement distribuĂ©e, sans aucun contrĂŽle central.

Chez les fourmis, le signe le plus ostensible d'une rĂ©partition effective des tĂąches au sein de la colonie est l'existence de castes, qui peuvent ĂȘtre de deux types : morphologiques et comportementales.

Termites et auto-assemblage, auto-organisation

Les termites, grùce à leur « intelligence collective » via des processus collaboratifs simples, sont capables de s'auto-assembler . Une caractéristique fréquente de l'intelligence collective est l'utilisation du substrat pour "communiquer" entre individus. C'est ce qui s'appelle la stigmergie. Par exemple, un termite n'échange pas directement des informations avec les autres termites, mais la modification apportée à la termitiÚre va modifier le comportement des autres individus.

Domaines spécifiques

Intelligence collective au sein d'une organisation

Lorsque la communautĂ© envisagĂ©e est une organisation, typiquement une entreprise, une collectivitĂ© locale, ou une association, l'intelligence collective[43] peut ĂȘtre envisagĂ©e comme un Ă©tat d'esprit dans la façon de conduire les projets ou mettre en rĂ©flexion l'organisation sur son propre fonctionnement. Ce changement d'Ă©tat d'esprit passe avant l'utilisation d'outils de facilitation ou d'outils informatiques qui ne peuvent ĂȘtre qu'au service du processus.

Intelligence collective mondiale

Lorsque la communautĂ© d'intĂ©rĂȘt est constituĂ©e par toute la population mondiale, comme c'est le cas sur des questions globales comme le rĂ©chauffement climatique, la paix dans le monde ou la gestion du Covid19, il y a lieu de mettre en place des mĂ©canismes de rĂ©gulation. C'est l'objectif poursuivi lors des sommets de la Terre ou d'autres rĂ©unions du mĂȘme genre par les organisations participantes (ONU, Unesco, OMS, etc.).

L'espace collaboratif est ici constitué par la toile mondiale. Mais, si l'on recherche un développement équitable, il ne faut pas surestimer ses possibilités en raison du biais introduit par les écarts d'équipement entre les pays les plus développés et les moins avancés, qui apparaßt clairement sur une carte faisant apparaßtre le nombre d'internautes par millier d'habitants dans le monde (voir article Internet). L'intelligence collective sur Internet est ainsi limitée par le moindre équipement Internet des pays les moins avancés (voir Internet en Afrique)[44].

IntĂ©rĂȘts indirects de l’étude et de la modĂ©lisation des fonctionnements collectifs animaux

Des Ă©tudes interdisciplinaire faisant appel Ă  la modĂ©lisation des comportements collectifs d’animaux commencent Ă  rĂ©vĂ©ler les principes sous-jacents de la prise de dĂ©cision collective dans les groupes d'animaux, en dĂ©montrant comment les interactions sociales, l'Ă©tat individuel, les modifications de l'environnement et les processus d'amplification et de filtrage de l'information peuvent jouer un rĂŽle dans l’établissement de la rĂ©ponse adaptative du collectif[45]. Il semblerait que d'importants points communs existent avec ce qu’on sait des processus neuronaux et que l'on pourrait apprendre beaucoup en considĂ©rant le comportement collectif des animaux dans le cadre des sciences cognitives[45].

À un certain niveau de description, la prise de dĂ©cision collective telle qu’elle semble opĂ©rer chez des collectifs d’animaux prĂ©sente en effet de fortes similaritĂ©s avec des caractĂ©ristiques essentielles des mĂ©canismes de prise de dĂ©cision au sein du cerveau [46]. Bien que de nombreux dĂ©tails diffĂšrent, cela incite Ă  renforcer les Ă©changes entre les chercheurs qui s'intĂ©ressent au comportement collectif des animaux d’une part et ceux qui travaillent dans le domaine des sciences cognitives d’autre part.

Ainsi, la modĂ©lisation informatique de ce qui se passe dans des comportements de regroupement chez des animaux sociaux atteste que plusieurs modes stables de comportement collectif peuvent apparaĂźtre sur la base d’exactement les mĂȘmes formes d’interactions examinĂ©es au niveau individuel[47].  Ce principe est strictement analogue Ă  la multistabilitĂ©  qu’on observe pour les systĂšmes neuronaux, dans lesquels de multiples Ă©tats collectifs (attracteurs) coexistent pour la mĂȘme valeur des paramĂštres du systĂšme et ce sans changer le rĂ©seau neuronal [48]. Cette multistabilitĂ© des systĂšmes neuronaux joue sans doute un rĂŽle pour la mĂ©morisation et dans la reconnaissance des patterns temporels[48] . DĂšs lors, l’étude du comportement coordonnĂ© d’animaux Ă©voluĂ©s peut servir de source d’inspiration directe pour concevoir des systĂšmes artificiels collectifs comme des groupes de robots autonomes ou des algorithmes de recherche informatique massivement parallĂšles [49].

Limites de l'intelligence collective dans les sociétés humaines

De nombreux cas de défaillances sont connus en ce domaine. Par exemple :

  • les dĂ©cisions de groupe, oĂč les membres n'osent pas dire ce qu'ils pensent ;
  • l'acceptation passive d'un Ă©tat de fait dont l'individu se doute qu'il mĂšne Ă  une catastrophe (ex : navette spatiale Challenger) ;
  • les discussions sur les choix et les consĂ©quences des dĂ©cisions souvent confuses et ne menant Ă  rien ;
  • l'avis des experts sans consĂ©quence face Ă  l'opinion d'un groupe dont les individus se trompent ;
  • ou au contraire les participants acceptant sans rĂ©flexion l'avis d'experts ;
  • les votes dĂ©mocratiques qui portent un dictateur Ă  la tĂȘte de l'État ;
  • les reprĂ©sentations collectives qui norment les comportements au dĂ©triment d'une classe ou d'une autre (conduisant par exemple Ă  un taux de suicide trĂšs Ă©levĂ© chez les femmes en Chine[50]).

L'intelligence collective est ainsi limitĂ©e par des effets de groupe (conformisme, crainte, fermeture, absence de procĂ©dure, homogĂ©nĂ©itĂ© idĂ©ologique), au point que l'individu seul peut parfaitement ĂȘtre plus intelligent que tout un groupe car, il conserve mieux sa pensĂ©e critique seul que sous l'influence du groupe. À noter d'ailleurs que la notion d'intelligence s'applique aux facultĂ©s cognitives, voire Ă©motionnelles, d'un individu. L'application de cette notion Ă  un groupe ne peut avoir le mĂȘme sens, car il est impossible de dire oĂč Ă©mergeraient des facultĂ©s de reprĂ©sentation, de crĂ©ation et d'apprentissage supĂ©rieures Ă  celles des individus isolĂ©s. Selon Christian Morel, il est ainsi, en gĂ©nĂ©ral, impossible Ă  un groupe de rĂ©diger un « document d'information clair et pertinent » (in Prend-on de meilleures dĂ©cisions Ă  plusieurs ?, Sciences humaines, [51]), ce qui exprimerait le fait que la notion de reprĂ©sentation collective est vague, voire inconsistante.

Notes et références

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Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

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