BĂ©guinage de Bruges
Le bĂ©guinage de Bruges (appelĂ© enclos de la Vigne, ou en nĂ©erlandais De Wijngaard) est situĂ© dans la partie mĂ©ridionale du centre historique de Bruges, en Belgique. Il constitue encore aujourdâhui un espace clos que sĂ©pare de la ville un mur d'enceinte encore partiellement doublĂ© de douves.
BĂ©guinage de Bruges | |||
Enclos central du béguinage | |||
Présentation | |||
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Nom local | De Wijngaard | ||
Culte | Catholicisme | ||
Type | BĂ©guinage | ||
DĂ©but de la construction | XIIIe siĂšcle | ||
Protection | Patrimoine mondial (1998) | ||
GĂ©ographie | |||
Pays | Belgique | ||
RĂ©gion | RĂ©gion flamande | ||
Province | Flandre-Occidentale | ||
Ville | Bruges | ||
CoordonnĂ©es | 51° 12âČ 04âł nord, 3° 13âČ 21âł est | ||
GĂ©olocalisation sur la carte : Belgique
GĂ©olocalisation sur la carte : Flandre-Occidentale
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Ă l'origine, en 1225, un groupe de jeunes femmes sans ressources, qui avaient fondĂ© une association pieuse de bĂ©guines, dĂ©cida de sâinstaller prĂšs dâun cours dâeau, dans un endroit isolĂ© appelĂ© « La Vigne »[note 1]. Cet endroit, situĂ© Ă l'extĂ©rieur de la ville, leur permettrait de gagner leur vie en travaillant la laine pour les tisserands. Avec leurs consĆurs des autres villes flamandes, les bĂ©guines brugeoises ont bouleversĂ© l'ordre moral de lâĂglise, rĂ©volutionnĂ© les mentalitĂ©s et modifiĂ© le paysage de nombreuses villes de Flandre.
La comtesse de Flandre Marguerite de Constantinople les a prises sous sa protection en 1245 et est intervenue pour obtenir de l'Ă©vĂȘque de Tournai Gauthier de Marvis que l'enclos soit Ă©rigĂ© en paroisse indĂ©pendante. Cette autonomie a Ă©tĂ© confortĂ©e par un privilĂšge accordĂ© par le roi Philippe le Bel, en vertu duquel le bĂ©guinage relevait dĂ©sormais uniquement du tribunal royal. Par ailleurs, la dimension contemplative a Ă©tĂ© renforcĂ©e par une nouvelle rĂšgle de vie. En 1275, Ă la suite de la construction de la nouvelle muraille d'enceinte de Bruges, le bĂ©guinage s'est retrouvĂ© au-dedans du pĂ©rimĂštre de la ville. Au XVe siĂšcle, il a connu une pĂ©riode de prospĂ©ritĂ©. Le bĂ©guinage Ă©tait riche et s'Ă©tendait sur une surface Ă©gale Ă plusieurs fois celle qu'il occupe aujourdâhui. C'Ă©tait une vraie citĂ© dans la ville. L'Ă©glise du bĂ©guinage Ă©tait trĂšs frĂ©quentĂ©e et la paroisse Ă©tait desservie par un curĂ© assistĂ© de cinq vicaires.
Les troubles religieux au XVIe siĂšcle sont Ă lâorigine de lâincendie accidentel (survenu en 1584) de lâancienne Ă©glise du XIIIe siĂšcle. Elle a Ă©tĂ© reconstruite Ă l'identique, en style gothique, en 1604, puis remaniĂ©e et agrandie vers 1700. Le bĂ©guinage a connu un nouvel essor aux XVIIe et XVIIIe siĂšcles, avec une population qui a changĂ© socialement. Si l'orientation est restĂ©e religieuse et contemplative, les bĂ©guines Ă©taient dĂ©sormais dâorigine aristocratique et leur mode de vie s'apparentait davantage Ă celui de chanoinesses. Le recrutement a eu tendance Ă devenir socialement sĂ©lectif, mĂȘme si une ouverture aux « bĂ©guines pauvres » demeurait. Le monumental portail d'entrĂ©e a Ă©tĂ© Ă©difiĂ© en 1776.
Le bĂ©guinage de Bruges, Ă l'instar des autres institutions religieuses, a Ă©tĂ© supprimĂ© par l'administration rĂ©volutionnaire française de la fin du XVIIIe siĂšcle, et en 1798, ses biens furent dĂ©volus Ă la « Commission des hospices publics ». En 1803, Ă la suite du Concordat de 1801, quelques bĂ©guines purent pĂ©niblement reprendre la vie commune, mais le ressort Ă©tait brisĂ© et le style de vie n'Ă©tait plus guĂšre adaptĂ© Ă la mentalitĂ© moderne des XIXe et XXe siĂšcles. Le bĂ©guinage a survĂ©cu pendant un siĂšcle. Le chanoine Rodolphe Hoornaert, dernier curĂ© du bĂ©guinage, s'est employĂ© Ă restaurer le patrimoine bĂąti de sa paroisse, mais, dĂ©sespĂ©rant de ressusciter le bĂ©guinisme, a pris l'initiative, au milieu des annĂ©es 1920 de fonder une nouvelle communautĂ© religieuse : les « Filles de l'Ăglise »[note 2].
Avec la plupart des autres béguinages de Flandre, celui de Bruges est inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO. Son paisible enclos central planté d'arbres longilignes et bordé d'une trentaine de maisons béguinales (certaines datant du XVe siÚcle) est un des endroits les plus célÚbres de la ville.
Le patrimoine architectural du site comprend :
- un portail monumental, auquel mĂšne un pont Ă dos d'Ăąne datĂ© de 1776. Ce pont, ornĂ© notamment d'une statue de sainte Ălisabeth de Hongrie, patronne de plusieurs bĂ©guinages, est la principale voie dâaccĂšs Ă l'enclos ;
- une trentaine de maisons béguinales de couleur blanche, la plupart datées des XVIe au XVIIIe siÚcle, qui entourent une vaste pelouse plantée d'arbres. PrÚs du portail d'entrée, une maisonnette, aménagée en musée, fait revivre la vie quotidienne des béguines. On peut y voir notamment quelques tableaux des XVIIe et XVIIIe siÚcles, un mobilier d'époque et les instruments du travail des béguines, en particulier la broderie de la dentelle ;
- l'Ă©glise Sainte-Ălisabeth de style gothique Ă lâorigine, qui doit son aspect actuel aux remaniements effectuĂ©s vers 1700. Le mobilier, dont les stalles[note 3], est en grande partie de style baroque et date du XVIIe siĂšcle, mais l'Ă©glise garde quelques objets de l'Ă©poque gothique, notamment des statues de la madone ;
- la maison de la Grande Dame (supĂ©rieure de la communautĂ©), immĂ©diatement reconnaissable car plus vaste et plus Ă©laborĂ©e dans son architecture, datant du XVIIe siĂšcle. Elle est flanquĂ©e dâune petite chapelle plus ancienne (XVe siĂšcle). La maison attenante, qui faisait autrefois office d'infirmerie, fait partie du mĂȘme complexe de bĂątiments. Ă proximitĂ©, un ensemble de six maisonnettes alignĂ©es plus petites (le Dopsconvent) Ă©tait rĂ©servĂ© aux bĂ©guines financiĂšrement dĂ©munies.
Histoire
Le mouvement béguinal en Flandre
« On ne sait pas exactement oĂč et comment est nĂ© ce mouvement, explique Silvana Panciera, sociologue Ă l'EHESS et auteur des BĂ©guines[1]. Ses premiĂšres traces remontent Ă la fin du XIIe siĂšcle, Ă LiĂšge ». En moins de vingt ans, il se rĂ©pandit comme une traĂźnĂ©e de poudre, gagne la France, lâItalie, les Pays-Bas, lâAllemagne, la Pologne, la Hongrie. Partout, des femmes se rĂ©unissaient, recrĂ©ant une citĂ© dans la citĂ©. Leur but Ă©tait de mener une vie de perfection en milieu urbain, sans prononcer de vĆux, en sâaffranchissant des rĂšgles de l'Ăglise. « Le mouvement des bĂ©guines sĂ©duit parce qu'il propose aux femmes d'exister en nâĂ©tant ni Ă©pouses, ni moniales, affranchies de toute domination masculine », explique RĂ©gine Pernoud dans son livre La Vierge et les saints au Moyen Ăge.
Le bĂ©guinisme est Ă resituer dans le cadre du mouvement gĂ©nĂ©ral de rĂ©forme religieuse apparu aux Xe et XIe siĂšcles. Ce mouvement se caractĂ©risait notamment par une prolifĂ©ration de diffĂ©rentes formes de dĂ©votion populaire, par diverses orientations mystiques et par une montĂ©e en puissance de lâidĂ©al de pauvretĂ© et de prĂ©dication. Les autoritĂ©s ecclĂ©siastiques, redoutant non sans raison lâapparition de tendances hĂ©rĂ©tiques, ne voyaient pas toujours ces phĂ©nomĂšnes avec bienveillance[2].
Dans ce mouvement de rĂ©forme, la femme joua un rĂŽle de premier plan ; Ă cĂŽtĂ© des religieuses conventuelles ou monastiques, on vit surgir en effet un groupe nombreux de femmes choisissant dĂ©libĂ©rĂ©ment de vivre les valeurs religieuses non dans la rĂ©clusion, mais dans le siĂšcle. Ces premiĂšres bĂ©guines firent leur apparition dans tous les pays dâEurope, donc aussi aux Pays-Bas, mais surtout dans les Pays-Bas mĂ©ridionaux, oĂč des communautĂ©s particuliĂšres, appelĂ©es bĂ©guinages, se constituĂšrent Ă partir du XIIIe siĂšcle[2].
La mĂ©fiance que lâĂglise Ă©prouvait envers ces manifestations populaires du renouveau religieux et en particulier envers le rĂŽle de la femme dans celles-ci, frappa aussi ces premiĂšres bĂ©guines, elles aussi bientĂŽt soupçonnĂ©es dâhĂ©rĂ©sie[2]. Le bĂ©guinisme, ainsi nĂ© au XIIe siĂšcle, ne tarda pas Ă se rĂ©pandre dans toute lâEurope dans le courant du XIIIe siĂšcle, en dĂ©pit de la rĂ©sistance de Rome. Dans le Bas Pays, les bĂ©guines purent bĂ©nĂ©ficier de lâappui de membres de la noblesse locale, et mĂȘme de certains ecclĂ©siastiques. La condamnation gĂ©nĂ©rale du bĂ©guinisme de 1311 fut levĂ©e en 1328 Ă la suite dâun rapport dâenquĂȘte favorable[3].
Le terme mĂȘme de bĂ©guine, au dĂ©part chargĂ© dâune nuance pĂ©jorative, finit par perdre cette connotation pour ne plus dĂ©signer, du moins dans les Pays-Bas, que les membres de communautĂ©s fĂ©minines Ă©tablies dans des couvents de bĂ©guines ou dans des bĂ©guinages. Voulant se retirer du monde pour mener une vie pieuse, elles ne faisaient toutefois vĆu que de chastetĂ© et dâobĂ©issance, non dâindigence ; au surplus, ces vĆux Ă©taient temporaires et prononcĂ©s de façon informelle, au contraire des moniales p.ex., dont les vĆux Ă©tait perpĂ©tuels et prononcĂ©s solennellement. Leur mode de vie Ă©tait plus libre, et elles pouvaient Ă tout moment quitter le bĂ©guinage et rĂ©intĂ©grer le monde, p. ex. pour se marier[2].
La plupart de ces bĂ©guinages, sâĂ©tant constituĂ©s en petites entitĂ©s religieusement et Ă©conomiquement indĂ©pendantes, sâĂ©tablirent en dehors des premiĂšres murailles dâenceinte des villes. Les plans au sol de ces entitĂ©s, dont le choix du lieu dâimplantation Ă©tait dĂ©terminĂ© par la topographie locale et la souhaitable proximitĂ© dâun cours dâeau, prĂ©sentent grosso modo soit la configuration de lâenclos (bĂątiments alignĂ©s autour dâune place centrale), soit celle dâun rĂ©seau de rues, soit encore le type mixte, rĂ©sultant dâune combinaison de ces deux configurations par suite dâune extension survenue principalement au XIIIe siĂšcle. Les Ă©lĂ©ments invariablement prĂ©sents dans les bĂ©guinages sont : une Ă©glise avec cimetiĂšre, des convents (ou maisons collectives, Ă lâusage de bĂ©guines jeunes ou nĂ©cessiteuses), une infirmerie, la demeure de la Grande-Demoiselle, la Maison ou Table du Saint-Esprit (destinĂ©e au secours des pauvres), une ferme avec terres agricoles, et un dries ou prĂ© de blanchiment. Chaque ensemble Ă©tait cernĂ© dâun mur de clĂŽture et pourvu dâun ou de plusieurs portails dâentrĂ©e. Le presbytĂšre se trouvait ordinairement Ă proximitĂ©, mais â les personnes de sexe masculin, y compris le curĂ©, nâĂ©tant pas autorisĂ©es Ă pĂ©nĂ©trer dans le bĂ©guinage aprĂšs 19 heures[4] â en dehors du pĂ©rimĂštre du bĂ©guinage (en lâespĂšce, au no 15 de la Wijngaardplein). Par suite des expansions urbaines subsĂ©quentes, les bĂ©guinages se retrouvĂšrent finalement au-dedans de la nouvelle enceinte, mais gĂ©nĂ©ralement dans les parties pĂ©riphĂ©riques[3].
Fondation
La premiĂšre mention du bĂ©guinage de Bruges figure sur un document de 1242, dans lequel la comtesse Jeanne de Constantinople dĂ©clarait sâĂ©riger en protectrice des bĂ©guines de Bruges, ainsi quâelle lâavait dĂ©jĂ fait auparavant pour celles de Gand)[5]. On ignore ce qui sâest passĂ© avant cette date, mais un scĂ©nario possible est le suivant[2]. Les premiĂšres bĂ©guines, vivant en ordre dispersĂ©, firent leur apparition dans la ville de Bruges vers 1225. AprĂšs un certain temps, un groupe de bĂ©guines dĂ©cida de sâinstaller sur un bout de terrain marĂ©cageux connu sous le nom de Vinea supra Roiam ou Wingarde, dĂ©nominations dĂ©signant probablement un terrain humide et bas situĂ© sur la rive gauche de la riviĂšre Reie, en dehors de lâenceinte construite au XIIe ; aussi, comme il Ă©tait dâusage partout ailleurs, câest donc aux abords dâun cours dâeau que les bĂ©guines brugeoises choisirent de se fixer[3] - [6]. La date dâĂ©tablissement exacte demeure incertaine, mais doit probablement ĂȘtre placĂ©e au dĂ©but du XIIIe. Ă lâorigine, le nom du lieu, Wingarde, signifiait probablement prĂ© ou herbage (contraction de widen, pluriel de wide, prairie, weide en nĂ©erlandais moderne, suivi de gaarde, clos ou enclos), lâassimilation, par Ă©tymologie populaire, avec wijngaard (vignoble) nâintervenant quâultĂ©rieurement[6]. Cet emplacement avait le double avantage dâĂȘtre, dâune part, proche de lâeau courante de la riviĂšre, circonstance propice aux travaux de blanchisserie, occupation traditionnelle typique des bĂ©guines, et dâautre part, proche de lâhospice Saint-Jean, oĂč elles pouvaient se rendre utiles comme soignantes. Cette situation favorable contribua Ă la croissance incessante du groupe, au point que lâautoritĂ© ecclĂ©siastique, par la voix des dominicains, jugea utile dâintervenir afin de rĂ©guler la nouvelle communautĂ©. Les dominicains sâĂ©taient Ă©tablis Ă Bruges en 1233, et il nâest donc pas improbable quâils aient ĆuvrĂ© Ă partir de 1235 Ă organiser les bĂ©guines en beghinae clausae. Vers 1240, la communautĂ© bĂ©guinale brugeoise devait ĂȘtre devenue suffisamment nombreuse pour que les autoritĂ©s ecclĂ©siastiques et civiles pussent songer Ă instituer une paroisse bĂ©guinale sĂ©parĂ©e[7]. AprĂšs la mort de Jeanne de Constantinople, sa sĆur Marguerite sut convaincre lâĂ©vĂȘque de Tournai, Gauthier de Marvis, dâaccorder en 1244 lâautorisation de constituer le bĂ©guinage en paroisse Ă part entiĂšre et de permettre que celle-ci disposĂąt de sa propre Ă©glise[8]. La premiĂšre mention dâune infirmerie date de 1245[3]. Le bĂ©guinage jeta son dĂ©volu sur la chapelle dĂ©saffectĂ©e de lâancien burggrave, sise sur la place du Bourg (en nĂ©erl. Burg), prĂšs de lâĂ©glise Saint-Donatien, et vouĂ©e Ă Notre-Dame. Marguerite de Constantinople, hĂ©ritiĂšre des droits de sa sĆur dĂ©cĂ©dĂ©e Jeanne, sollicita auprĂšs de Gauthier (ou Walter) de Marvis (sous lâautoritĂ© de qui ressortissait tout le comtĂ© de Flandre) â et obtint en juillet 1244 â la permission de dĂ©molir pierre par pierre ladite chapelle et de la transporter de cette façon vers le bĂ©guinage ; en mĂȘme temps fut transfĂ©rĂ©e aussi la prĂ©bende liĂ©e Ă la chapellenie[7] - [9]. Ainsi, une annĂ©e seulement plus tard, en 1245, cette paroisse nouvellement fondĂ©e possĂ©dait dĂ©jĂ sa propre chapelle, tandis quâune infirmerie y existait probablement dĂšs avant cette date. Sur le document relatif au bĂ©guinage conservĂ© Ă la chancellerie de Marguerite, le bĂ©guinage est dĂ©signĂ© par vinea, et sa dĂ©nomination sera dĂ©sormais officiellement la traduction de ce terme latin, Ten Wijngaerde (littĂ©r. Au vignoble, clos de la Vigne)[5].
Lâordre des dominicains, qui avait Ă©tĂ© sans doute Ă©troitement impliquĂ© dans la fondation de la nouvelle communautĂ©, se vit octroyer le privilĂšge de dĂ©signer le curĂ© de la nouvelle paroisse bĂ©guinale[5]. Le rĂŽle important jouĂ© par les dominicains dans la fondation du bĂ©guinage de Bruges est reflĂ©tĂ© dans les larges compĂ©tences qui leur Ă©churent dans la direction du bĂ©guinage. En effet, il fut dĂ©cidĂ© cette mĂȘme annĂ©e de confier la gestion de la chapellenie au prieur des dominicains et Ă la grande-maĂźtresse du bĂ©guinage, habilitĂ©s dĂ©sormais Ă nommer les curĂ©s et chapelains du bĂ©guinage, privilĂšge auparavant rĂ©servĂ© Ă la comtesse elle-mĂȘme[7].
Premiers siĂšcles dâexistence
Le clos de la Vigne connut ensuite un dĂ©veloppement constant, acquit rapidement une certaine popularitĂ© et allait bientĂŽt bĂ©nĂ©ficier des faveurs des puissants de Flandre, lesquels lui accorderont de nombreux privilĂšges. Ainsi le bĂ©guinage de Bruges put-il Ă partir de 1299 sâorner du titre de princier, aprĂšs que Philippe le Bel (suzerain du comte de Flandre) eut dĂ©cidĂ© de soustraire le bĂ©guinage Ă lâautoritĂ© du magistrat municipal de Bruges ; dĂ©sormais, quiconque se trouvait dans lâenceinte du bĂ©guinage ressortissait Ă la juridiction royale et ne pouvait ĂȘtre mis en dĂ©tention par les autoritĂ©s brugeoises[10] - [5].
Vers 1297, par la construction de la deuxiĂšme muraille dâenceinte de Bruges, le bĂ©guinage sâĂ©tait retrouvĂ© au-dedans du pĂ©rimĂštre urbain, sans que cela nâaltĂ©rĂąt fondamentalement sa situation dâisolement, Ă©tant donnĂ© que le quartier alentour restera faiblement bĂąti[5] - [3]. En 1300 apparurent les premiers statuts Ă©crits, qui prescrivaient une vie de priĂšre, de travail et dâabnĂ©gation[3].
Le curĂ© partageait la charge dâĂąmes avec quatre chapelains. La nĂ©cessitĂ© de rĂ©munĂ©rer ce personnel ecclĂ©siastique indique que les bĂ©guines devaient ĂȘtre fortunĂ©es. Dans les premiers temps, les femmes ne vivaient pas dans des maisons individuelles, mais dans lâun des sept logements collectifs appelĂ©s convents, ce qui atteste que lâon faisait grand cas alors des valeurs de solidaritĂ© et du sens communautaire. Cependant, cet esprit ne devait pas durer, car bientĂŽt surgit une fracture entre bĂ©guines choristes, de plus haute extraction et chargĂ©es dâassurer le chant choral, et bĂ©guines communes. Cette fracture alla sâaccentuant au fil du temps et Ă mesure que lâon approchait du XVe siĂšcle. Ă lâĂ©poque bourguignonne, les bĂ©guines chorales, Ă lâopposĂ© des bĂ©guines auxiliaires, commencĂšrent Ă sâinstaller dans leurs propres maisons et se permettaient de longues pĂ©riodes dâabsence[5].
Il y eut Ă Bruges pendant longtemps un deuxiĂšme bĂ©guinage, fondĂ© vers 1270, sis sur le territoire de Sint-Kruis (aujourdâhui dans la banlieue est de Bruges), et placĂ© Ă©galement sous la protection de Marguerite de Constantinople. Ce bĂ©guinage connut une certaine floraison et sâoccupait uniquement de bienfaisance. SubordonnĂ© Ă la Vigne, il Ă©tait toutefois fort Ă©loignĂ© dâen avoir lâesprit. Ce bĂ©guinage disparut Ă la fin du XVIIe, et des chartreux prirent possession des bĂątiments[11].
En dĂ©pit des dispositions ecclĂ©siastiques de la premiĂšre moitiĂ© du XIVe, selon lesquelles les bĂ©guines nâĂ©taient autorisĂ©es Ă vivre que dans des bĂ©guinages reconnus, on trouve trace Ă Bruges, jusque tard dans le XVe siĂšcle, de couvents de bĂ©guines Ă part, prĂ©sentant une grande diversitĂ© de styles de vie[12]. Lâun d'eux, le couvent Dops (Dopsconvent), fondĂ© par une bĂ©guine de la Vigne en 1338, formait une excroissance juste en dehors de celui-ci, sur son cĂŽtĂ© sud, et Ă©tait destinĂ© aux plus pauvres de ses congĂ©nĂšres. Par ailleurs, quelques bĂ©guines Ă©parses trouvaient Ă sâemployer dans le bĂ©guinage de la Vigne[11].
XVe siĂšcle
Au XVe siĂšcle, le bĂ©guinage de Bruges avait atteint son plein Ă©panouissement. Chaque annĂ©e, quatre nouvelles bĂ©guines en moyenne entraient au bĂ©guinage. En 1441, le clos de la Vigne comptait 152 bĂ©guines, rĂ©partis sur onze convents. Il leur Ă©tait aussi loisible de sâacheter une maisonnette pour elles-mĂȘmes, ou dâhĂ©riter dâune, oĂč elles pouvaient vivre seules ou Ă deux. Les bĂ©guines besogneuses Ă©taient recueillies dans lâinfirmerie, oĂč elle se voyaient assigner une cellule. Cette infirmerie dut ĂȘtre une institution florissante au XVe siĂšcle, capable de distribuer de gĂ©nĂ©reuses prĂ©bendes aux bĂ©guines qui y rĂ©sidaient. Une ferme et une brasserie appartenant en propre au bĂ©guinage pourvoyaient aux besoins alimentaires des bĂ©guines[13] - [3].
Des prĂ©varications constatĂ©es en 1441 entraĂźnĂšrent de la part du comte de Flandre, par la voie de ses commissaires, une mise sous tutelle plus Ă©troite du bĂ©guinage et une rĂ©vision de ses statuts[14] - [3]. La grande-maĂźtresse (ou grande-dame) sera dorĂ©navant assistĂ©e par quatre demoiselles conseillĂšres. Socialement, les bĂ©guines Ă©taient, dans une mesure croissante, des demoiselles riches issues de familles brugeoises aisĂ©es, ou apparentĂ©es Ă de riches fermiers propriĂ©taires des campagnes circonvoisines. Cette Ă©volution, dont lâidĂ©al de pauvretĂ© eut Ă pĂątir, fut en revanche propice Ă la spiritualitĂ© et Ă la piĂ©tĂ© pures, ces riches bĂ©guines privilĂ©giant en effet le service choral, lequel, sâil nâĂ©tait pas conditionnĂ© par lâacquittement dâune somme dâargent, nâen Ă©tait pas moins, de par sa nature, Ă la base dâune certaine sĂ©grĂ©gation sociale. Au rebours de lâinfirmerie, qui Ă©tait une institution caritative, le chĆur prĂ©supposait un certain degrĂ© dâinstruction (notamment des connaissances en langue latine), ce pourquoi les sĆurs choristes se recrutaient principalement dans les couches aisĂ©es[14]. Se mit ainsi en place une coupure sociale entre les bĂ©guines ordinaires, qui Ă©taient pour la plupart occupĂ©es Ă lâinfirmerie, et les attitrĂ©es du chĆur liturgique[5].
LâintĂ©rĂȘt que les puissants dâalors, en particulier la cour de Bourgogne, manifestaient Ă lâĂ©gard du bĂ©guinage de Bruges est dĂ©montrĂ© par le fait quâen avril 1477, le mariage par procuration entre Marie de Bourgogne et Louis de BaviĂšre, reprĂ©sentant Maximilien dâAutriche, fut suivi le mĂȘme jour par une visite au bĂ©guinage de Marie de Bourgogne avec toute sa suite et par une fastueuse cĂ©rĂ©monie[14] - [5] - [3].
Guerres de religion
La vague iconoclaste de 1566, qui dĂ©ferla de la Flandre française, dĂ©truisit des centaines de couvents et dâĂ©glises et ravagea le bĂ©guinage dans nombre de villes (en particulier Ă Malines, Aarschot, Herentals)[14], Ă©pargnera assez largement celui de Bruges (et aussi celui de Diest). La domination protestante cependant sera prĂ©judiciable au bĂ©guinage, car les autoritĂ©s municipales calvinistes de Bruges contraignirent les bĂ©guines Ă quitter leurs maisons[15].
Si la Vigne Ă©chappa aux iconoclastes, lâĂ©glise fut nĂ©anmoins gravement endommagĂ©e par un incendie en janvier 1584, lequel certes resta circonscrit Ă lâĂ©glise. Des rĂ©fugiĂ©s et des tisserands de Bailleul et de Hondschoote avaient en effet Ă©tĂ© hĂ©bergĂ©s dans lâĂ©glise, et lâutilisaient pour entreposer une partie de leur derniĂšre rĂ©colte. La nuit, un chandelier renversĂ© accidentellement mit lâĂ©glise en feu[16]. LâĂ©difice fut partiellement reconstruit et remaniĂ©, et rouverte aux fidĂšles en 1605, mais on devait y travailler encore jusquâau siĂšcle suivant[15] - [3]. Cependant, dans les Pays-Bas du nord, la RĂ©forme sonna le glas de la plupart des bĂ©guinages ; dans les Pays-Bas du Sud au contraire, les bĂ©guinages connaĂźtront leur pĂ©riode de plus grande floraison Ă partir de la fin du XVIe siĂšcle, Ă la faveur de la Contre-rĂ©forme[14] - [3].
XVIIe et XVIIIe siĂšcles
Jean Hauchin, archevĂȘque de Malines, engagea Ă la fin du XVIe une profonde rĂ©forme de lâinstitution bĂ©guinale. Les diffĂ©rents statuts locaux furent remplacĂ©s par une rĂšgle plus gĂ©nĂ©rale, Ă observer dans lâensemble des bĂ©guinages. La rĂ©forme prĂ©voyait aussi une plus grande uniformitĂ© de costume et une sĂ©paration plus rigoureuse avec le monde extĂ©rieur. Sainte Begga Ă©tait reconnue patronnesse des bĂ©guinages[17].
Au dĂ©but du XVIIe, le bĂ©guinage de Bruges fut entiĂšrement rĂ©organisĂ©, en ce sens que la vie fut totalement rĂ©glĂ©e sur le saint Office (câest-Ă -dire lâensemble des priĂšres et des lectures que les chanoines, les religieux et les religieuses doivent chanter ou rĂ©citer quotidiennement dans le chĆur liturgique Ă des heures dĂ©terminĂ©es de la journĂ©e, synonyme : heures canoniales[18]) et le service choral. Les statuts subirent de nouvelles modifications en 1622. Le nombre des bĂ©guines fut limitĂ© et le recrutement devenait de plus en plus sĂ©lectif et aristocratique, de sorte que seules les femmes de bonne famille et de haut rang pouvaient encore sâagrĂ©ger au bĂ©guinage[16] - [15]. La distinction entre choristes et auxiliaires fut mis en Ćuvre plus strictement encore. La vie conventuelle Ă©tait dĂ©laissĂ©e au profit du rĂ©gime privĂ©. La plupart des convents (habitations collectives) disparurent mĂȘme, et les bĂ©guines dotĂ©es du titre de demoiselle prenaient de plus en plus lâallure de chanoinesses[16]. La quasi-totalitĂ© des convents finirent par ĂȘtre remplacĂ©s par des maisonnettes individuelles, et les bĂ©guines choristes sâappliquaient Ă se dĂ©marquer des bĂ©guines ordinaires par leur tenue vestimentaire. NĂ©anmoins, le bĂ©guinage connut une pĂ©riode faste, se traduisant par une rĂ©novation du patrimoine bĂąti, mais aussi par le riche ameublement des maisons et de lâĂ©glise[15].
La direction du bĂ©guinage de Bruges Ă©tait composĂ©e dâun curĂ©, dâune grande-maĂźtresse, dâune vice-grande-maĂźtresse et de quatre demoiselles conseillĂšres ; tous Ă©taient, Ă lâexception du curĂ©, Ă©lus pour un mandat de trois ans. Le bĂ©guinage disposait alors de possessions considĂ©rables, et lâinfirmerie et le chĆur Ă©taient dotĂ©s dâimportantes rentes. Cette pĂ©riode faste devait se prolonger jusquâĂ la RĂ©volution française, qui sera pour tous les bĂ©guinages lâamorce dâune inexorable pĂ©riode de dĂ©clin[16].
Les souverains autrichiens Marie-ThĂ©rĂšse et Joseph II voulurent rĂ©genter plus Ă©troitement les bĂ©guinages de Flandre. Dans le cadre de lâabolition officielle des « couvents et monastĂšres superflus » dĂ©cidĂ©e par le pouvoir autrichien en 1787, les bĂ©guinages durent dĂ©clarer lâĂ©tat de leurs biens et revenus, mais ne seront pas autrement inquiĂ©tĂ©s. Sur recommandation des autoritĂ©s ecclĂ©siastiques, les bĂ©guinages servirent de refuge aux religieuses expulsĂ©es[19].
Fin de lâAncien RĂ©gime
Sous le rĂ©gime rĂ©volutionnaire français, les bĂ©guinages partagĂšrent le sort de toutes les autres institutions religieuses. Par la loi du 5 frimaire de lâan VI (1798), tous « les chapitres sĂ©culiers, les bĂ©nĂ©fices simples, les sĂ©minaires, et toutes les corporations laĂŻques des deux sexes dans les dĂ©partements rĂ©unis » furent supprimĂ©s. ParallĂšlement, les biens dĂ©tenus par les bĂ©guinages, en tant quâinstitutions de bienfaisance dont les revenus servaient Ă entretenir lâinfirmerie, tombaient sous la tutelle de la Commission des hospices civils ; en effet, nâĂ©tant pas des couvents au sens propre, et prĂ©sentant plutĂŽt un caractĂšre caritatif, les bĂ©guinages Ă ce titre tombaient sous la compĂ©tence des hospices civils, en consĂ©quence de quoi leurs biens ne furent pas mis en vente, et les bĂ©guinages seront ainsi en partie sauvĂ©s[20]. Les bĂ©guines durent quitter leur habit et interdiction leur fut faite dâaccepter des novices. Leurs revenus furent soumis Ă de fortes restrictions[15]. Les Ă©glises de bĂ©guinage furent certes fermĂ©es, et lâexercice de la religion interdit, mais les bĂ©guines, Ă lâinverse des autres conventuelles, ne furent pas jetĂ©es Ă la rue, et pouvaient rĂ©sider jusquâĂ la fin de leurs jours dans leurs anciens logis. Ainsi, le bĂ©guinage de Bruges pourra, en partie, poursuivre son existence[3] - [20] - [21].
Lâenclos de la Vigne fut donc placĂ© lui aussi devant le dilemme de choisir entre le statut dâinstitution religieuse (ce qui eĂ»t signifiĂ© la fermeture de lâĂ©glise et la vente Ă lâencan de ses biens) et le statut dâinstitution caritative (impliquant dâĂȘtre tolĂ©rĂ© mais dĂ©pouillĂ© de sa fonction religieuse). La deuxiĂšme option fut choisie, et en juillet 1798, les biens de lâinfirmerie, puis, peu aprĂšs, ceux du chĆur passĂšrent aux mains des Hospices civils[22]. De surcroĂźt, le bĂ©guinage de Bruges vit ses recettes fortement baisser par la suppression de la dĂźme et la disparition des rentes qui lui venaient des corporations dĂ©sormais abolies[15]. Le port des habits de religieuse restera interdit jusquâen septembre 1814 ; les bĂ©guines brugeoises y supplĂ©Ăšrent par le port dâun voile blanc[22] - [3].
Ă la suite du Concordat de 1801 signĂ© entre NapolĂ©on et le pape, la situation des bĂ©guines sâamĂ©liora quelque peu et beaucoup de bĂ©guinages redevinrent des lieux de priĂšre publics. Certains bĂ©guinages, tels ceux de Bruxelles et de Diest, furent intĂ©grĂ©s dans des paroisses existantes. Les bĂ©guines pouvaient continuer dây rĂ©sider moyennant payement dâun loyer et, si elles avaient certes dĂ©finitivement perdu leurs biens, pouvaient poursuivre en silence leur vie de bĂ©guine[20]. En 1803, les autoritĂ©s françaises accordĂšrent lâautorisation de cĂ©lĂ©brer Ă nouveau la messe dans lâĂ©glise, et lâoffice religieux fut restaurĂ© au bĂ©guinage de Bruges[3] - [15].
Cependant, chose plus prĂ©occupante, la spiritualitĂ© bĂ©guinale elle-mĂȘme subit le contrecoup de tous ces bouleversements. En effet, la communautĂ© avait Ă©tĂ© amenĂ©e Ă se disperser partiellement pendant plusieurs annĂ©es dans le monde extĂ©rieur, oĂč les vĆux nâĂ©taient que mĂ©diocrement respectĂ©s et oĂč les prescriptions de la vie chorale tendaient Ă ĂȘtre moins strictement observĂ©s[22].
XIXe siĂšcle
AprĂšs lâintronisation de Guillaume Ier en 1814, les bĂ©guines furent autorisĂ©es Ă reprendre leur habit, mais le bĂ©guinage peina Ă retrouver son ancienne floraison et Ă rĂ©tablir la spiritualitĂ© dâantan. Les femmes se sentant appelĂ©es Ă embrasser lâĂ©tat de bĂ©guine nâĂ©taient plus guĂšre quâen petit nombre : si lâon comptait encore 26 bĂ©guines en 1811, elles nâĂ©taient plus que 17 en 1827. En outre, lâesprit de sobriĂ©tĂ© et de piĂ©tĂ©, les deux piliers de la vie bĂ©guinale authentique, avaient cessĂ© dâĂȘtre Ă lâhonneur ; les plaisirs de la table et le confort matĂ©riel semblaient dĂ©sormais y primer. La visite pastorale de monseigneur Malou en 1849 provoqua certes un dernier flamboiement, mais sans effet Ă long terme. Le recrutement resta limitĂ©, de sorte quâau cours du XIXe siĂšcle, par manque de bĂ©guines auxiliaires, lâon dut faire appel Ă des femmes laĂŻques pour travailler Ă lâinfirmerie et faire le mĂ©nage chez les bĂ©guines choristes[15], chaque demoiselle disposant dĂ©sormais de sa propre servante, qui nâappartenait pas Ă la communautĂ©. Finalement, il fallut, par manque de religieuses, renoncer Ă cĂ©lĂ©brer le Grand Office, remplacĂ© dorĂ©navant par lâOffice de Notre-Dame, moins exigeant[22].
Rodolphe Hoornaert décrivit comme suit les derniÚres années du béguinage de Bruges :
« AffectĂ©e par une sorte dâeuphorie sĂ©nile, cette brillante institution glissa inconsciemment vers une caricature, tandis que la vĂ©nĂ©rable rĂšgle de 1300 sâĂ©tiolait de plus en plus en un pĂąle rĂšglement spirituel[23]. »
Ă cette situation de dĂ©clin spirituel, se traduisant notamment par une pĂ©nurie de vocations, sâajouta le dĂ©sarroi financier, aggravĂ© par lâaction de la municipalitĂ© brugeoise libĂ©rale[3]. Ă lâĂ©chelon national, lâĂtat libĂ©ral qui sâĂ©tait mis en place en 1830 nâĂ©tait pas enclin Ă restituer leurs biens aux bĂ©guinages. Le parti libĂ©ral, aux affaires de 1848 Ă 1884, mena une politique rĂ©solument anticlĂ©ricale. Les bĂ©guines avaient donc perdu pour de bon leurs biens et leurs revenus. LĂ oĂč les bĂ©guines en Ă©taient rĂ©duites Ă payer un loyer auprĂšs des pouvoirs publics pour occuper leur maison et leur bĂ©guinage, lâinstitution dĂ©pĂ©rissait immanquablement pour finir par sâĂ©teindre tout Ă fait[24].
Au milieu du XIXe siĂšcle se dĂ©clencha une violente polĂ©mique au sujet de la relation entre bĂ©guinage et Ătat. En 1839, lâarchevĂȘque de Malines sollicita le roi de soustraire les biens des bĂ©guinages aux Hospices civils et dâen restituer au moins une partie. Il y eut des interpellations au parlement, et des brochures furent diffusĂ©es, cependant en vain. Le Parti libĂ©ral, qui dirigeait aussi la municipalitĂ© de Bruges, fit savoir en octobre 1868 que les bĂ©guines nâavaient droit Ă lâassistance de la part des Hospices civils quâau cas oĂč elles se trouvaient dans le besoin, au mĂȘme titre que les autres indigents. La subvention octroyĂ©e depuis 1801 Ă la grande-maĂźtresse fut supprimĂ©e, par suite de quoi le bĂ©guinage se retrouva totalement dĂ©pourvu de revenus. Seules celles qui bĂ©nĂ©ficiaient dâune rente pouvaient encore devenir bĂ©guine. Le recrutement Ă©tait rendu de plus en plus malaisĂ© et en pratique strictement limitĂ© Ă un recrutement local. Les nouvelles imprĂ©cantes devaient, pour pouvoir ĂȘtre admises, disposer de lettres dâintroduction et de moyens financiers considĂ©rables. Les maisons bĂ©guinales vacantes, dĂ©sormais en grand nombre, furent cĂ©dĂ©es en location Ă des femmes pieuses laĂŻques[24].
Dans le dernier quart du XIXe siĂšcle, sur dĂ©cision de la municipalitĂ© brugeoise, la nouvelle rue Professeur Dr J. Sebrechts (Professor Doctor Sebrechtsstraat) fut tracĂ©e sur les terrains de blanchiment du bĂ©guinage, situĂ©s au sud de lâenclos central, et lâhĂŽpital Minnewaterkliniek, Ă©rigĂ©e sur ces mĂȘmes terrains, sera inaugurĂ©e en 1892[3]. Ă noter que le pĂ©rimĂštre du bĂ©guinage de Bruges avait dĂ©jĂ Ă©tĂ© Ă©cornĂ© sous la domination française[25]. Finalement, en 1905, seules sept bĂ©guines vivaient encore dans le bĂ©guinage de Bruges. Ces quelques bĂ©guines restantes en Ă©taient rĂ©duites Ă vivre de leurs rentes et devaient cĂŽtoyer des femmes pieuses laĂŻques, devenues locataires des maisonnettes vacantes[3].
En septembre 1914, pendant la PremiÚre Guerre mondiale, le béguinage de Bruges dut héberger les béguines chassées de Malines. En janvier 1915, les troupes allemandes ayant réquisitionné les bùtiments du grand séminaire de Bruges, les séminaristes furent relogés en partie dans le béguinage. En mai 1918, un obus causa un cratÚre sur la pelouse de la Wijngaardplein à une trentaine de mÚtres de la maison du recteur (curé de la paroisse béguinale)[24] - [3] - [26].
Entre-deux-guerres
Les vertus apostoliques et Ă©vangĂ©liques dâindigence et de rĂ©sipiscence nâĂ©taient plus guĂšre observĂ©es, constat auquel parvint Ă©galement le prĂȘtre Rodolphe Hoornaert, lorsque celui-ci fut nommĂ© en 1922 par lâĂ©vĂȘque de Bruges Gustave Waffelaert curĂ© (recteur) de la paroisse du bĂ©guinage. ParallĂšlement Ă sa carriĂšre dâĂ©crivain, Hoornaert entreprit avec Ă©nergie de sauver le bĂ©guinage Ă la fois en tant que site historique et en tant quâinstitution religieuse ; il en fera lâĆuvre de sa vie. Ă lâarrivĂ©e de Hoornaert, le bĂ©guinage de Bruges ne comptait plus quâune poignĂ©e de bĂ©guines, en plus de quelques vieilles dames qui occupaient quelques-unes des maisonnettes[27].
Ă ce moment, la municipalitĂ© brugeoise envisageait de dĂ©molir le complexe dĂ©labrĂ© et de rĂ©affecter le site Ă une destination profane, songeant notamment Ă y amĂ©nager une citĂ© ouvriĂšre ou Ă y construire une extension des hĂŽpitaux limitrophes. Hoornaert sâefforça dây faire obstacle en suscitant de nouvelles vocations au moyen de nombreuses confĂ©rences et publications, mais Ă©choua dans sa tentative[28] - [3]. La derniĂšre bĂ©guine avait fait son adhĂ©sion au bĂ©guinage de Bruges en 1925[3].
En 1927, deux ans aprĂšs les cĂ©lĂ©brations organisĂ©es Ă lâoccasion du septiĂšme centenaire du bĂ©guinage, et alors que celui-ci nâhĂ©bergeait plus que cinq bĂ©guines, Hoornaert leur proposa, ainsi quâĂ lâĂ©vĂȘque de Bruges â et obtint dâeux â de faire venir une congrĂ©gation de bĂ©nĂ©dictines françaises, les Filles de saint BenoĂźt de la ville de NĂźmes, quâil invita Ă habiter et Ă diriger le bĂ©guinage[28]. Cette nouvelle communautĂ© religieuse, dotĂ©e dâune dĂ©nomination propre, les Filles de lâĂglise, et ayant ses propres objectifs, figurerait nĂ©anmoins comme le continuateur de la tradition bĂ©guinale sĂ©culaire. Dans un premier temps cependant, les Filles de lâĂglise ne se virent attribuer des autoritĂ©s ecclĂ©siastiques quâun statut provisoire ; de plus, le bail Ă court terme conclu avec la Commission brugeoise des hospices civils interdisait tout projet Ă long terme ; la fusion avec les Filles de saint BenoĂźt ne se passait pas sans accroc ; et enfin, Hoornaert eut Ă faire face Ă une vague dâindiffĂ©rence, voire Ă de dures critiques venues de diffĂ©rents horizons[29]. Ce nonobstant fut ainsi fondĂ© en 1927 un couvent de bĂ©nĂ©dictines, sous la dĂ©nomination de Filles de lâĂglise/Dochters van de Kerk, nĂ© de la fusion du couvent Notre-Dame-de-BĂ©thanie, Ă©tabli depuis 1921 au monastĂšre Saint-AndrĂ©, des Filles de Saint-BenoĂźt de NĂźmes et des derniĂšres bĂ©guines encore prĂ©sentes au bĂ©guinage[3].
Quand Hoornaert lança son projet de rĂ©forme en 1922, le bĂ©guinage de Bruges offrait un aspect dĂ©plorable : il Ă©tait insalubre et dans un Ă©tat de dĂ©labrement avancĂ©. Seules quelques maisonnettes Ă©taient occupĂ©es par des bĂ©guines ; dans dâautres vivaient quelques vieilles femmes, souvent dans des conditions primitives, sans eau courante, avec le gaz sans doute, mais avec une pression beaucoup trop faible. De plus, la Vigne Ă©tait devenue une sorte de jardin public pour les Brugeois ; des vaches venaient mĂȘme paĂźtre sur le gazon de la place centrale[30].
Rodolphe Hoornaert voulait assurer Ă ses religieuses une qualitĂ© de vie matĂ©rielle minimale. En dĂ©cembre 1924, la Commission des hospices civils se dĂ©clarait disposĂ©e Ă engager des travaux de rĂ©novation dans la maison no 3, grĂące auxquels les quatre premiĂšres postulantes se virent offrir un logis trĂšs modeste mais acceptable. En 1928, les ormes malingres de lâenclos central furent remplacĂ©s par de jeunes peupliers, devant symboliser la nouvelle vie conventuelle en pleine croissance dans le bĂ©guinage[31]. En 1924, Hoornaert rĂ©digea une nouvelle rĂšgle de vie[3].
Rodolphe Hoornaert avait introduit auprĂšs de la Commission des hospices civils, une premiĂšre fois en 1925, puis une nouvelle fois quatre ans plus tard, une demande dâautorisation Ă peindre en blanc les façades de lâenclos central[32] - [28]. Il voulut rendre le bĂ©guinage plus attrayant pour les visiteurs et les rĂ©sidents, mais nâignorait pas que ce faisant il allait Ă lâencontre de lâimage romantique et mĂ©lancolique que lâĂ©crivain Georges Rodenbach sâĂ©tait attachĂ© Ă composer dans son roman Bruges-la-Morte de 1892, dans lequel le bĂ©guinage jouait un rĂŽle important et qui valut Ă la ville de Bruges une immense publicitĂ© dans le monde francophone. Cependant, lâ« atmosphĂšre Ă©teinte qui imprĂšgne le roman » avait le don dâexaspĂ©rer Hoornaert, qui voulait faire litiĂšre une fois pour toutes de ces maisons de bĂ©guine « romantiques et envahies de mousses » ; le bĂ©guinage nâavait pas la vocation de servir de boĂźte de rĂ©sonance « Ă la rĂȘverie mĂ©lancolique de quelque poĂšte romantique, ni au snobisme de quelque touriste en mal de spleen », mais exhaler la simplicitĂ© et la joie de la vie bĂ©guinale dâorigine, dâoĂč la prĂ©dilection de Hoornaert pour les façades blanches. Il lui faudra pourtant patienter jusquâĂ 1933, et attendre dâavoir endurĂ© auparavant une vive polĂ©mique dans la presse. En particulier, le Journal de Bruges voulait absolument maintenir tel quel lâaspect existant du bĂ©guinage ; le conseiller municipal Paul NoĂ« en particulier, franc-maçon notoire et connaisseur influent en matiĂšre dâart, assaillait Hoornaert dans les colonnes de cet hebdomadaire : « ce qui faisait son charme, tous les artistes sont de notre avis, Ă©tait justement la teinte vieillotte, usĂ©e, colorĂ©e de ses façades ». Ă son tour, Hoornaert sâengagea dans la polĂ©mique et finit par lâemporter, NoĂ« finissant mĂȘme par faire volte-face[32].
Hoornaert avait pris conscience de la nĂ©cessitĂ© de construire un couvent au plein sens du terme, propice Ă une vie communautaire rĂ©elle, car les vieilles maisonnettes de professes ne sây prĂȘtaient guĂšre. Le bĂ©guinage de Bruges Ă©tait depuis la RĂ©volution française la propriĂ©tĂ© de la Commission des hospices civils (et le restera dâailleurs jusquâen 1976, annĂ©e oĂč il passera Ă la municipalitĂ© brugeoise). En 1922, Hoornaert disposait dâun bail de location sur une annĂ©e seulement, et sollicita en 1924 un bail emphytĂ©otique (câest-Ă -dire courant sur 99 ans), qui lui fut refusĂ© ; cependant, on lui octroya un bail de 27 ans, ce qui lui parut suffisant pour entamer les travaux de construction[33].
La maison dâhĂŽtes (au n°22a, sur le cĂŽtĂ© ouest de la place centrale), construite Ă neuf, mais dans le style vernaculaire traditionnel, fut achevĂ©e en 1926. Quatre mois plus tard, la maison no 3, oĂč la fondation avait dĂ©butĂ©, fut amĂ©nagĂ©e en noviciat. Ă partir de 1929, les travaux de rĂ©novation furent menĂ©s vigoureusement. Lâenclos central fut pourvu dâeau courante ; en dĂ©cembre 1931, le beau rĂ©fectoire, couvert de lambris de chĂȘne, Ă©tait achevĂ© et permit de prendre les repas en commun, premiĂšre Ă©tape vers une vĂ©ritable vie communautaire. En aoĂ»t 1931, une palissade en bois fut dressĂ©e sur le pĂ©rimĂštre occidental, entre le verger et les maisons de la rue Oostmeers, signe que la nouvelle communautĂ© entendait sâisoler du monde extĂ©rieur[33] - [3].
En 1934, Hoornaert finit par obtenir son bail emphytĂ©otique, dĂ»ment signĂ© Ă la fois par la municipalitĂ© de Bruges, lâautoritĂ© provinciale, la Commission royale des monuments et des sites et par le roi LĂ©opold III, et officialisĂ© par arrĂȘtĂ© royal. Hoornaert dut encore dissiper les rumeurs selon lesquelles le bĂ©guinage passerait en mains Ă©trangĂšres, ou quâil deviendrait une recluserie interdite aux visiteurs et aux touristes[34].
Construction dâun nouveau couvent et financements
Lâarchitecte Joseph ViĂ©rin, Ă©chevin des Travaux publics de la municipalitĂ© de Bruges, qui avait jouĂ© un grand rĂŽle dans la reconstruction en un sens nĂ©o-traditionaliste et rĂ©gionaliste des villes et villages belges ravagĂ©s par la PremiĂšre Guerre mondiale, fut chargĂ© par Hoornaert de livrer les plans du nouveau couvent[35]. Celui-ci, dâallure nĂ©ogothique (dotĂ© dâogives etc.), mais fait avec des matĂ©riaux modernes, se dresserait sur le cĂŽtĂ© occidental de lâenclos central, derriĂšre les anciennes façades, que (Ă lâexception de celle du n° 22a, qui fut dĂ©molie) lâon sâefforcerait de prĂ©server en lâĂ©tat. Les Ă©difices proprement dits situĂ©s derriĂšre les façades no 24 Ă 28 furent dĂ©mantelĂ©s pierre par pierre, et lâon se fit un devoir de rĂ©utiliser le matĂ©riau ainsi rĂ©cupĂ©rĂ©, afin de cultiver le lien entre passĂ© et prĂ©sent. La premiĂšre pierre du nouveau couvent fut posĂ©e en mars 1937. Quelques mois plus tard, sur les instances de Hoornaert, la reine Ălisabeth daigna prendre lâenclos sous sa protection. En septembre 1937, le couvent Ă©tait achevĂ© et fut solennellement inaugurĂ© par Henricus Lamiroy, Ă©vĂȘque de Bruges, lors dâune cĂ©rĂ©monie Ă laquelle assista lâensemble des autoritĂ©s civiles et ecclĂ©siastiques de la ville, et mĂȘme un Ă©missaire de la cour royale. Dans la foulĂ©e, Hoornaert entreprit de moderniser et dâagrandir la maison dâhĂŽtes (la n°22a) ; Hoornaert voulut remanier sa façade bourgeoise dix-neuviĂ©miste, dont il estimait quâelle dĂ©naturait lâaspect gĂ©nĂ©ral de lâenclos, et la doter de pignons dans le style des autres façades. Une salle de rĂ©union et une bibliothĂšque furent ajoutĂ©es. On installa partout lâĂ©clairage Ă©lectrique et le chauffage central. En 1938, Hoornaert reçut lâautorisation de faire Ă©difier devant les maisons sises sur le cĂŽtĂ© nord de lâenclos (les no 8-20) un mur sĂ©parant de la place centrale leurs jardinets de devant, Ă lâeffet de restaurer lâaspect mĂ©diĂ©val et de soustraire les habitantes aux regards des visiteurs[36]. La maison au no 1, attenant au portail dâentrĂ©e, fut amĂ©nagĂ©e en un MusĂ©e du bĂ©guinage[3].
Rodolphe Hoornaert prĂ©voyait dâavoir besoin de deux millions de francs, somme que les subventions de la municipalitĂ© Ă©taient insuffisantes Ă couvrir ; susciter les indispensables contributions privĂ©es sera lâobjectif de ses nombreuses confĂ©rences, de ses brochures sur les Filles de lâĂglise, et de ses dĂ©marches auprĂšs de diverses hautes personnalitĂ©s. Câest dans ce mĂȘme but que fut mise sur pied en 1935 lâassociation Les Amis du BĂ©guinage/De vrienden van het Brugs Begijnhof en tant que comitĂ© de soutien et de propagande en faveur de la restauration du bĂ©guinage. Lâon devenait Ami moyennant acquittement dâune somme de 500 francs. Certains membres assumaient la fondation de lâune des chambres de la maison dâhĂŽtes, et se voyaient gratifiĂ©s dâoraisons dans le monastĂšre. Lâassociation avait un but uniquement artistique et architectural, et non religieux, ce qui permit dâimpliquer aussi des notables brugeois dâautres conceptions philosophiques, et de sâassurer lâappui de tout lâĂ©ventail Ă©conomique, intellectuel et politique de la sociĂ©tĂ© brugeoise. En particulier, lâhomme politique socialiste Achille Van Acker, alors prĂ©sident de la Chambre, sut lui obtenir quelques surcroĂźts de subvention, et câest sur sa recommandation quâune sĂ©rie de six timbres-poste Ă lâeffigie de Notre-Dame-de-la-Vigne fut Ă©ditĂ©e en 1954, dont les bĂ©nĂ©fices allĂšrent intĂ©gralement aux travaux de restauration du bĂ©guinage[37].
En 1936, le bĂ©guinage dut cĂ©der une partie de son verger, situĂ© Ă lâouest de lâactuel couvent, sur ordre de la municipalitĂ©[38].
En fĂ©vrier 1939, lâĂ©glise et les bĂątiments furent classĂ©s comme monument historique et lâensemble du site au titre de paysage[3].
DeuxiĂšme Guerre mondiale et aprĂšs-guerre
Pendant la campagne des dix-huit jours (du 1er au 28 mai 1940), lâenclos central du bĂ©guinage fut occupĂ© sur toute sa superficie par des vĂ©hicules du service de brancardiers de lâarmĂ©e française. Les brancardiers travaillaient dans lâhospice des SĆurs-de-la-CharitĂ© situĂ© non loin. Les aumĂŽniers cĂ©lĂ©braient leurs messes dans le bĂ©guinage, parfois jusquâĂ quinze messes par jour. Les mois dâhiver, le noviciat dut ĂȘtre transfĂ©rĂ© vers le couvent, pour Ă©conomiser le combustible[39].
En novembre 1940, trois sĆurs de nationalitĂ© Ă©trangĂšre furent apprĂ©hendĂ©es par les Allemands ; si elles furent relĂąchĂ©es le jour mĂȘme, aprĂšs interrogatoire, elles durent ensuite se prĂ©senter quotidiennement Ă la police. Lâoccupant allemand sâappliquait Ă surveiller Ă©troitement tout Ă©tranger arrivĂ© Ă Bruges aprĂšs 1936, en rapport avec de possibles activitĂ©s dâespionnage. SĆur Marie-Jeanne, dâorigine britannique, rĂ©sidant dans le bĂ©guinage depuis 1926, mais nĂ©anmoins suspecte dâespionnage, connut un sort moins enviable. Dâabord enfermĂ©e dans le camp de Beverlo en juin 1942, elle passa le reste de la guerre sous surveillance dans le couvent des franciscaines de Woluwe-Saint-Pierre, en compagnie dâautre religieuses britanniques[40].
En dĂ©pit des circonstances difficiles, les Filles de lâĂglise parvinrent Ă mener une vie conventuelle ordinaire. Le nombre de religieuses se stabilisa Ă 29. Ă la fin de la guerre, il y aura mĂȘme deux fois autant de sĆurs laĂŻques quâen 1940, et celles-ci tinrent leur premiĂšre assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale Ă Bruxelles en 1943[41].
Le centre historique de Bruges et le bĂ©guinage furent Ă©pargnĂ©s par les bombardements et les attaques aĂ©riennes, et lâĂ©glise du bĂ©guinage Ă©chappa Ă©galement Ă la rĂ©quisition de ses cloches par lâoccupant allemand. La Vigne servit cette fois encore, comme pendant la PremiĂšre Guerre mondiale, de refuge Ă diffĂ©rentes personnes, notamment Ă un petit groupe dâinfirmiĂšres françaises, et en 1942 aux oblats de lâabbaye Saint-AndrĂ©. Cependant, en raison de la guerre, lâapostolat et lâacolytat fonctionnaient Ă trĂšs faible rĂ©gime. Ce nonobstant, le couvent hĂ©bergeait une communautĂ© dĂ©sormais stabilisĂ©e, dâune trentaine de religieuses, la pratique chorale avait Ă©tĂ© rĂ©tablie, la rĂšgle de saint BenoĂźt Ă©tait fidĂšlement observĂ©e, et un Ă©difice conventuel appropriĂ© se dressait dans lâouest du bĂ©guinage[41].
Câest au moment de la libĂ©ration, en septembre 1944, que le bĂ©guinage de Bruges vĂ©cut ses pires moments de guerre, lorsque les troupes canadiennes se mirent Ă assiĂ©ger la ville. Les Allemands, aux abois, firent sauter le 8 septembre Ă une prĂšs toutes les portes dâaccĂšs Ă la ville. Lâexplosion de la porte Sainte-Catherine fut dâune violence telle, que le bĂ©guinage en subit Ă©galement des dommages : dans lâĂ©glise, les hautes fenĂȘtres du chĆur partirent en Ă©clats, et des blocs de pierre, qui sâĂ©taient dĂ©tachĂ©es du clocher, allĂšrent sâĂ©craser sur la toiture de la sacristie. Un obus abattit une grosse branche dâun platane, qui sâabattit sur la bibliothĂšque[42].
En 1972, le bĂ©guinage devint propriĂ©tĂ© de la municipalitĂ© brugeoise, ce qui donna le signal de dĂ©part dâune campagne de restauration touchant lâintĂ©gralitĂ© du site et dont le coĂ»t se montera Ă quelque 5,5 millions dâeuros. La municipalitĂ© avait alors fait le choix de procĂ©der Ă une rĂ©habilitation bĂątiment par bĂątiment, afin dâĂ©viter de transformer en un vaste chantier le site tout entier. La restauration, conduite selon le projet de lâAgence (flamande) de conservation architecturale (Dienst Monumentenzorg) et des services compĂ©tents de la ville de Bruges, visait Ă introduire le confort moderne dans les Ă©difices tout en veillant Ă respecter les parties patrimoniales et lâaspect gĂ©nĂ©ral[43]. Une restauration approfondie des maisons de professes sera en grande partie achevĂ©e en 2002, suivie de la restauration de lâĂ©glise en 1990 et 1991. Le bĂ©guinage fut classĂ© au titre des monuments historiques en fĂ©vrier 1939[44], puis le site dans son ensemble en juillet 1996, en mĂȘme temps que quatre autres monuments des environs, tous intĂ©grĂ©s dans le site urbain protĂ©gĂ© (beschermd stadsgezicht) Minnewater. En 1998, le bĂ©guinage de Bruges, aux cĂŽtĂ©s de douze autres BĂ©guinages flamands reprĂ©sentatifs, fut inscrit sur la liste du Patrimoine mondial de lâUnesco[3].
JusquâĂ aujourdâhui, le bĂ©guinage est toujours occupĂ© par les sĆurs bĂ©nĂ©dictines, dont le mode vie, axĂ© sur la priĂšre et le travail, peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme le prolongement de lâancien idĂ©al bĂ©guinal. Ten Wijngaerde est du reste le seul bĂ©guinage de Flandre oĂč une telle continuitĂ© a pu ĂȘtre assurĂ©e[45].
Description générale
Cet espace dĂ©limitĂ© et encore totalement clĂŽturĂ© du bĂ©guinage, oĂč les maisons, sans ornement pour la plupart, passĂ©es Ă la chaux, quelque diffĂ©rentes quâelles soient entre elles, ont su garder de maniĂšre pure une unitĂ© harmonieuse, quâon embrasse dâun seul regard. Aucun bĂątiment ne tĂ©moigne dâun manque de bon goĂ»t, tous se signalent par la beautĂ© de leurs proportions. |
Jan Vercammen[46] |
Le bĂ©guinage, qui sâest constituĂ© au sud (et extra muros) de la premiĂšre muraille d'enceinte, forme un espace clos, un Ăźlot de paix (selon lâexpression de Silvia Panciera) dans la ville. Le site se compose dâune Ă©glise Ă trois vaisseaux, qui a gardĂ© en grande partie son plan au sol dâorigine ; dâun couvent de la dĂ©cennie 1920 ; dâune trentaine de maisons de bĂ©guines Ă façade blanche alignĂ©es presque toutes autour dâune grande place intĂ©rieure gazonnĂ©e et arborĂ©e, de forme vaguement carrĂ©e et dâune centaine de mĂštres de cĂŽtĂ© ; sur le flanc sud, dâune ruelle nommĂ©e De Steert (littĂ©r. la Queue, de staart selon la norme nĂ©erlandaise moderne), fruit de lâextension du bĂ©guinage au XVIe siĂšcle, et se terminant en cul-de-sac depuis 1890 ; et enfin, dans la partie occidentale et mĂ©ridionale, un espace occupĂ© par des potagers, des vergers, des jardins dâagrĂ©ment etc. La prĂ©sence concomitante de cette ruelle et dâune place centrale font appartenir le bĂ©guinage de Bruges au type mixte (alliant les caractĂ©ristiques du bĂ©guinage Ă rues et du bĂ©guinage Ă place centrale)[3] - [47], cependant il doit nĂ©anmoins ĂȘtre essentiellement cataloguĂ© comme bĂ©guinage Ă place centrale[48]. Cet enclos central, vaste et herbu, Ă©tait plantĂ© dâormes jusquâen 1928, mais se trouve depuis occupĂ© par des peupliers du Canada. GrĂące aux façades uniformĂ©ment passĂ©es Ă la peinture blanche, le complexe apparaĂźt assez homogĂšne, et par lĂ passe souvent pour le prototype du bĂ©guinage â apparence trompeuse, car, lâĂ©glise mise Ă part, il ne subsiste rien de lâancien bĂąti. Bon nombre de maisons remontent au XVIIe siĂšcle, et beaucoup de façades datent du XVIIIe siĂšcle. Les remaniements effectuĂ©s au XIXe siĂšcle ont Ă©tĂ© en partie, mais non totalement, rĂ©voquĂ©s ; il y eut ensuite la campagne de rĂ©novation de grande ampleur impulsĂ©e par lâabbĂ© Hoornaert, avec la collaboration de lâarchitecte et Ă©chevin des Travaux publics Joseph ViĂ©rin[48] - [49]. Quelques-unes desdites maisons renferment des cheminĂ©es gothiques, des plafonds anciens et des dĂ©corations du XVIIIe. Le portail dâentrĂ©e, de style nĂ©o-classique, date de 1776, annĂ©e oĂč fut Ă©galement construit le pont de pierre Ă trois arches et Ă garde-fous mĂ©talliques qui y conduit en franchissant la riviĂšre Reie. Ce portail, ainsi que lâautre, nĂ©o-gothique, sur le Begijnenvest, sont fermĂ©s chaque soir[3] - [47].
Le pĂ©rimĂštre de la paroisse bĂ©guinale Ă©tait Ă lâorigine plus large et englobait, sur son cĂŽtĂ© nord-est, sur la rive opposĂ©e de la Reie, le Walplein et la Wijngaardstraat, tandis que sur son flanc sud, elle sâĂ©tendait, par ses prĂ©s de blanchiment et sa douve, jusquâĂ la deuxiĂšme couronne de remparts amĂ©nagĂ©e dans le dernier quart du XIIIe siĂšcle. Le gĂ©ographe Marcus Gheeraerts l'Ancien, sur son plan de Bruges de 1562, reprĂ©sente le site comme Ă©tant dĂ©limitĂ© par la Reie Ă lâest, et par des murs et des fossĂ©s ailleurs ; le terrain est traversĂ© de part en part par un Ă©troit canal courant du Kapucijnevest Ă lâouest et dĂ©bouchant dans la Reie Ă lâest ; lâaspect de la partie nord, avec lâĂ©glise et la cour centrale gazonnĂ©e, coĂŻncide Ă peu de chose prĂšs avec lâaspect actuel. La portion sud, par delĂ le pont, est figurĂ© comme une succession de constructions bordant une placette de forme irrĂ©guliĂšre et une ruelle appelĂ©e Koegat (littĂ©r. trou Ă vache), orientĂ©e vers lâouest et aboutissant Ă la rue Oostmeers par un petit portail. Cependant, la carte cadastrale de Popp de 1865 ne relĂšve plus, pour cette partie du site, que le tronçon doorgang van het begijnhof (« traversĂ©e du bĂ©guinage »). La Gasthuisstraat (rue de lâHospice), amĂ©nagĂ©e vers 1890, rebaptisĂ©e Prof. Dr. J. Sebrechtsstraat, suit dans une large mesure le tracĂ© de lâancien Koegat ; en effet, le bĂ©guinage fut alors, sur dĂ©cision de la municipalitĂ©, rĂ©duit Ă son extension actuelle, ceci expliquant la dĂ©nomination de steert donnĂ©e Ă la petite rue rĂ©siduelle. Vers la mĂȘme Ă©poque, les champs de blanchiment, encore en activitĂ© jusquâalors, furent accaparĂ©s par le nouvel hĂŽpital nommĂ© Minnewaterkliniek. Aujourdâhui (2018), le bĂ©guinage de Bruges est limitĂ© par : le Begijnenvest, le plan dâeau dit Minnewater et la Reie Ă lâouest ; par la Prof. Dr. J. Sebrechtsstraat au sud ; par les jardins des maisons sises rue Oostmeers Ă lâest ; et par le Wevershof et une douve au nord. Cette derniĂšre faisait partie dâune ceinture de douves qui cernait entiĂšrement la partie nord du bĂ©guinage, mais qui a Ă©tĂ© intĂ©grĂ© en partie dans le systĂšme dâĂ©goĂ»ts de la ville[3].
La place centrale, typiquement gazonnĂ©e et parsemĂ©e de peupliers et de tilleuls, est traversĂ©e dâun sentier de terre et dâun ruisselet, et bordĂ©e sur tout le pourtour de chemins pavĂ©s. Les numĂ©ros 8 Ă 20, sur le cĂŽtĂ© nord, possĂšdent Ă lâavant des jardinets emmurĂ©s. Les numĂ©ros 32 Ă 40, sur le cĂŽtĂ© sud, constituent un ensemble clos Ă part, le couvent Dops (Dopsconvent). Dans la ruelle De Steert se dressent des tilleuls et des Ă©rables, et les numĂ©ros 13 Ă 17 ont des jardinets entourĂ©s de haies. Le bĂ©guinage est dotĂ© de rĂ©verbĂšres en fer forgĂ©, placĂ©s Ă intervalles rĂ©guliers. Ă mentionner encore les ponts Begijntjesbrug et Koepoortbrug, enjambant le canal et signalĂ©s sur la carte de Marcus Gheeraerts l'Ancien comme de simples ponts de bois, mais dont un fut empierrĂ© en 1692[3]. Dans sa totalitĂ©, le site, entiĂšrement cernĂ© de murs, forme grosso modo un rectangle de 160 sur 230 mĂštres, avec un cĂŽtĂ© arrondi au nord.
Le bĂąti, assez homogĂšne, composĂ© de maisons de briques, dâun Ă deux niveaux, Ă plinthes peintes en noir, et Ă toiture en bĂątiĂšre et Ă tuiles, date principalement des XVIe, XVIIe et XVIIIe siĂšcles, avec des parties pouvant remonter jusquâau XIIIe siĂšcle. Lâarchitecture, de style vernaculaire, est dâaspect sobre et se caractĂ©rise par des façades pignon ou gouttereau peintes en blanc, typiquement percĂ©es de fenĂȘtres Ă croisĂ©e, souvent Ă guillotine et Ă petits-carreaux, et par des souches de cheminĂ©e Ă section polygonale. Quelques adaptations ont Ă©tĂ© effectuĂ©es au XIXe ; le numĂ©ro 7 constitue un exemple prĂ©coce de style nĂ©o-brugeois. Les adjonctions effectuĂ©es Ă la fin de la dĂ©cennie 1930 ont Ă©tĂ© maintenues[3].
Inventaire architectural
Ăglise Sainte-Ălisabeth
LâĂ©glise actuelle, placĂ©e sous lâinvocation de sainte Ălisabeth de Hongrie, est une Ă©glise pseudo-basilicale dâallure assez simple, sans transept, Ă nef de trois vaisseaux, orientĂ©e, avec un chĆur sans bas-cĂŽtĂ©s se terminant par un chevet plat, et dotĂ© dâun clocheton chevauchant le faĂźte. LâĂ©glise occupe le cĂŽtĂ© oriental de lâenclos central du bĂ©guinage, et le mur fermant le chĆur sâĂ©lĂšve au bord de la riviĂšre Reie. Elle prĂ©sente des caractĂ©ristiques gothiques et baroques, cependant son aspect actuel rĂ©sulte en grande partie des remaniements effectuĂ©s vers 1700. Le bĂątiment et son intĂ©rieur ont Ă©tĂ© profondĂ©ment restaurĂ©s en 1990-1991 par la ville de Bruges[37].
Histoire
La premiĂšre Ă©glise, qui fut transfĂ©rĂ©e de la place du Bourg (en nĂ©erl. Burg) vers la Vigne (Vinea), avant mĂȘme sa reconnaissance comme paroisse, remonte au milieu du XIIIe siĂšcle et devait ĂȘtre un Ă©difice de style roman tardif ou gothique prĂ©coce (selon les sources), dont la petite porte latĂ©rale dans le flanc nord pourrait constituer un vestige. Cette Ă©glise originelle possĂ©dait des collatĂ©raux plus bas que ceux actuels et une sĂ©rie dâoculus en guise de fenĂȘtres-hautes dans les flancs de la nef centrale, ainsi quâon peut lâobserver sur la carte de Marcus Gheeraerts de 1562[50].
Plus tard, le bĂątiment fut agrandi, et lâon donna une forme gothique aux fenĂȘtres. La silhouette de cette Ă©glise sâaperçoit Ă lâarriĂšre-plan gauche du tableau de 1605 intitulĂ© Mars entourĂ© des Arts et Sciences vainc l'Ignorance dâAntoon Claeissins (~1536â1613)[37].
En 1584, lâĂ©glise fut en grande partie rĂ©duite en dĂ©combres par un incendie, et seule la façade orientale en sortit indemne ; la reconstruction rĂ©alisĂ©e entre 1604 et 1609 fut probablement une reconstitution de lâancienne Ă©glise, Ă ceci prĂšs cependant que la nef centrale fut exhaussĂ©e. Dans une troisiĂšme phase, qui se prolongea du dernier quart du XVIIe siĂšcle jusquâau premier quart du XVIIIe siĂšcle, ce fut au tour des vaisseaux latĂ©raux dâĂȘtre surĂ©levĂ©s, par suite de quoi lâĂ©glise prĂ©sentait dĂ©sormais une structure pseudo-basilicale, les oculus dans les flancs de la nef Ă©tant maintenant soustraits Ă la vue. Dans le mĂȘme mouvement, les ogives furent remplacĂ©es par les arcs surbaissĂ©s actuels[50] - [37].
LâĂ©difice actuel
Le plan au sol fait apparaĂźtre un Ă©difice Ă trois vaisseaux, long de trois travĂ©es, se prolongeant par un chĆur oblong, dâun seul vaisseau, de quatre travĂ©es (plus Ă©troites que celles de la nef), fermĂ© par un mur plat, et flanquĂ© au sud dâune sacristie et dâune salle de rĂ©union datant de la premiĂšre moitiĂ© du XXe siĂšcle. LâĂ©difice de briques est surmontĂ© dâune part dâun toit Ă bĂątiĂšre (commun Ă la nef centrale et au chĆur), que chevauche, entre la deuxiĂšme et troisiĂšme travĂ©e, un clocheton dotĂ© dâun beffroi en bois et dâune flĂšche, et dâautre part de toits en appentis (pour les collatĂ©raux). La façade occidentale (celle donnant sur la place centrale), bĂątie entre 1604 et 1609, renferme un portail dâentrĂ©e Ă arc segmentaire, avec montant de porte ornĂ©, en bois, portant le millĂ©sime 1605 ; le portail est enserrĂ© dans une niche coiffĂ©e dâun arc tudor, dans le champ gris duquel a Ă©tĂ© pratiquĂ©e une niche Ă arc plein-cintre logeant une statuette figurant sainte Ălisabeth ; le haut de la façade contient une grande baie ogivale de conception simple. Les façades nord et sud (les flancs latĂ©raux de lâĂ©glise) sont rythmĂ©es par des fenĂȘtres Ă arc surbaissĂ©, Ă chambranle recouvert dâun enduit, et sĂ©parĂ©es par des contreforts semblables. Sur la façade nord, les couches infĂ©rieures de la maçonnerie de briques datent de la premiĂšre phase de construction, au mĂȘme titre que le chambranle de la petite porte, qui remonte au XIIIe siĂšcle, et se compose dâun arc en plein-cintre profilĂ©, en briques, soutenu par des demi-colonnes Ă chapiteau, en pierre de taille. La façade orientale (celle tournĂ©e vers la Reie) est une façade pignon du XIIIe siĂšcle, avec une vaste fenĂȘtre ogivale aveuglĂ©e, autrefois remplage Ă entrelacs, sans doute oblitĂ©rĂ©e au dĂ©but du XVIIIe siĂšcle, et, tout en haut, une niche trilobĂ©e sur consoles, Ă©galement aveugle. Sur le chevet a Ă©tĂ© apposĂ© en 1991, en remplacement dâun exemplaire dix-neuviĂ©miste, le panneau sacramentel portant l'inscription « ECCE PANIS/ANGELORUM » (littĂ©r. Voici le pain des anges) et la reprĂ©sentation dâun ostensoir. Enfin, dans le plan de la façade sud du chĆur, contre laquelle est accotĂ©e la sacristie, se remarquent encore les sĂ©quelles des anciennes fenĂȘtres ogivales[50].
- Façade occidentale, donnant sur lâenclos central.
- Statuette de sainte Ălisabeth de Hongrie dans une niche de la façade.
- Chevet plat donnant sur la Reie.
- Petite porte dans le flanc nord, vestige de la premiĂšre phase de construction.
- FenĂȘtres du chĆur. Les traces des anciennes baies ogivales sont clairement visibles Ă droite.
LâintĂ©rieur, dont les parois sont couvertes dâun crĂ©pi peint en couleur ivoire, offre, nonobstant ses Ă©lĂ©ments baroques, une impression dâensemble assez sobre et recueillie. Les grandes-arcades (sĂ©parant la nef et les bas-cĂŽtĂ©s), sont en anse de panier posĂ©s sur des colonnes. Le vaisseau central et le chĆur sont voĂ»tĂ©s en berceau, ornĂ©es de bandeaux et corniches dâune grande sobriĂ©tĂ©. Dans les collatĂ©raux, les arĂȘtes des voĂ»tes reposent sur des consoles en tĂȘtes dâange (on note la mention de lâannĂ©e 1707 dans la travĂ©e orientale). La sacristie possĂšde une voĂ»te dâarĂȘtes remontant Ă la premiĂšre phase dâĂ©dification[50].
Sur le flanc sud, une salle fut mise en service en 1935 oĂč les religieuses pouvaient enfiler leur habit de choriste et se prĂ©parer Ă lâoffice. Câest dans cet espace, qui est accessible au public chaque 8 septembre, que se trouve la cĂ©lĂšbre statue de Notre-Dame-de-la-Vigne, haute de 140 cm, en chĂȘne polychrome, dâun style gothique pur, remontant aux alentours de 1300, et dont lâauteur reste inconnu. La vierge est vĂȘtue dâun manteau dâor Ă doublure bleu cobalt et tient en sa main droite une grappe de raisins. Lâenfant JĂ©sus serre dans ses bras un gravelot. Cette statue date sans doute de lâĂ©poque de la fondation du bĂ©guinage et survĂ©cut Ă lâincendie de lâĂ©glise en 1584, et lâon suppose quâelle avait Ă©tĂ© mise en sĂ»retĂ© dĂšs avant le dĂ©ferlement des iconoclastes. Vers 1700, lors dâune nouvelle restauration, les habits furent enlevĂ©s et la statue fut repeinte en blanc marmorĂ©en. Câest dans cet Ă©tat que, dans les annĂ©es 1930, lors de travaux de restauration, elle fut finalement redĂ©couverte dans une niche pratiquĂ©e haut dans le mur au-dessus de lâautel latĂ©ral droit. Les sept couches de peinture blanche qui la recouvraient furent alors enlevĂ©es, opĂ©ration qui laissa apparaĂźtre la statue originelle, en partie mĂȘme avec son ancienne polychromie, et dans la main droite de Marie, dont ne subsistait plus quâun moignon, on replaça une grappe de raisins[37].
Sur lâautel latĂ©ral droit se dresse la statue de Notre-Dame-de-Spermalie (ou de Notre-Dame-de-Consolation), haute de 108 cm, en bois et plĂątre polychrome, datant du XIIIe siĂšcle. Provenant Ă lâorigine de lâabbaye de Spermalie Ă Sijsele, elle fut offerte au bĂ©guinage vers 1840. La madone, assise, tient lâenfant debout sur son genou. De style roman, la statue est solennelle, assez austĂšre, mais majestueuse. Lâattention est attirĂ©e par le drapĂ© ondoyant de la robe, Ă©lĂ©ment annonciateur du style gothique. La statue fut assez maladroitement restaurĂ©e en 1903[51].
Ă signaler encore la statue en bois de saule de Notre-Dame-de-Bienveillance (en nĂ©erl. Onze-Lieve-Vrouw van de Goede Wil) : sculpture populaire, plutĂŽt naĂŻve, câest lâune des sept copies de la statuette miraculeuse trouvĂ©e dans un tronc de saule par des enfants Ă Duffel (entre Malines et Anvers) en aoĂ»t 1637. La statue, qui aurait Ă©tĂ© confectionnĂ©e dans du bois provenant dudit saule de Duffel, reprĂ©sente la madone portant lâenfant JĂ©sus sur le bras gauche et tenant un sceptre dans la main droite. Dans les chroniques du bĂ©guinage, des guĂ©risons miraculeuses sont attribuĂ©es Ă la statue, et certaines ont Ă©tĂ© reconnues par lâĂglise. Au XVIIe siĂšcle, le curĂ© reçut lâautorisation de porter la statue en procession dans les rues environnantes[52].
Dans le domaine de la peinture, il y a lieu de relever : dans la partie arriĂšre de lâĂ©glise, le tableau LâAssomption de Marie, de la main de Theodor Boeyermans, disciple de Murillo, datant de la deuxiĂšme moitiĂ© du XVIIe et provenant probablement de lâabbaye Nonnenbos Ă Zonnebeke prĂšs dâYpres ; au-dessus de lâautel latĂ©ral gauche, un tableau figurant la visitation, Ćuvre du peintre brugeois Lodewijk de Deyster (~1656-1711) ; au-dessus du maĂźtre-autel, un tableau reprĂ©sentant sainte Ălisabeth, agenouillĂ©e devant un crucifix, Ćuvre du peintre brugeois Jacob van Oost le Vieux (XVIIe), qui avait Ă lâorigine fait figurer un petit chien au bas de la croix, mais que la grande-demoiselle, estimant malsĂ©ant la prĂ©sence de pareil animal profane, avait fait enlever (lâeffigie dâĂlisabeth revient encore au-dessus du retable et Ă plusieurs reprises dans les vitraux de lâĂ©glise, et aussi dans le haut du portail dâentrĂ©e du bĂ©guinage)[53].
Le maĂźtre-autel, en bois, de style baroque, remonte au XVIIe siĂšcle. La chaire Ă prĂȘcher, en style baroque tardif (vers 1735), de chĂȘne, est attribuĂ© au sculpteur brugeois Jacobus Van Hecke[52]. Lâantependium du maĂźtre-autel, en albĂątre, reprĂ©sentant La DĂ©ploration de JĂ©sus-Christ, de style Renaissance tardif, prĂ©sumĂ©ment copie dâune Ćuvre du sculpteur français Germain Pilon, fut offert au bĂ©guinage en 1860 par son curĂ© dâalors[54].
Le pavement, en marbre blanc et noir, est parsemĂ© de dizaines de pierres tombales et plaques commĂ©moratives de bĂ©guines ici dĂ©cĂ©dĂ©es. Lâorgue est lâĆuvre du facteur brugeois Andries Jacobus Berger (1712-1774)[50] - [54]. Les vitraux, rĂ©alisĂ©s en 1913 dans lâatelier du Brugeois Jules Dobbelaere, figurent diverses scĂšnes centrĂ©es notamment sur sainte Ălisabeth et de saint Dominique[50].
Ă signaler enfin : un autel baroque dans le collatĂ©ral nord, de la deuxiĂšme moitiĂ© du XVIIe siĂšcle ; dans le chĆur, stalles et jubĂ© en bois de chĂȘne, de 1740 ; lambris en chĂȘne courant en continu dans le chĆur et les bas-cĂŽtĂ©s, de 1763 ; confessionnal, de ~1735 ; porte dâentrĂ©e avec sas et tribune dâorgue, Ă©galement en bois de chĂȘne, de 1754[50].
Pont sur la riviĂšre Reie et portails dâentrĂ©e
Le pont Ă trois arches, en grĂšs, qui enjambe la riviĂšre Reie et prĂ©cĂšde le portail dâentrĂ©e, date de la mĂȘme annĂ©e que le portail lui-mĂȘme, Ă savoir 1776, comme l'attestent les panonceaux du XVIIIe siĂšcle sculptĂ©s sur les clefs dâarc et portant gravĂ©es les mentions « ANNO » et « 1776 ». Ce pont du BĂ©guinage, nommĂ© aussi pont de la Vigne (en nĂ©erl. respectivement Begijnhofbrug et Wijngaardbrug) est signalĂ© en 1297 comme un pont de bois, et se trouve du reste reprĂ©sentĂ© comme tel sur le plan de Bruges dressĂ© par le cartographe Marcus Gheeraerts l'Ancien ; il fut remplacĂ© en 1692 par un pont de pierre, prĂ©figuration du pont actuel. Le garde-fou de fer forgĂ©, rĂ©alisĂ© en 1740 sur des plans de W. De Potter, est ornĂ© de grappes de raisin et de pampres, en rapport avec lâinterprĂ©tation littĂ©rale (et Ă©tymologiquement erronĂ©e) du nom « ten Wijngaarden »[55].
Quant au portail monumental lui-mĂȘme â sur le dessin de Marcus Gheeraerts, le portail apparaĂźt encore comme une arcade dâune grande simplicitĂ©, prĂ©cĂ©dĂ©e dâun pont de bois[56] â, il prĂ©sente lâallure sobre typique de lâarchitecture nĂ©o-classique, cependant tempĂ©rĂ©e ici par les jolis panneaux des battants de la porte et par les guirlandes et la statue qui ornent la façade. DatĂ© « 17/76 », le portail se compose dâune seule travĂ©e et dâun seul niveau, repose sur une plinthe en granit, prĂ©sente une façade de style classique tardif, couverte dâun crĂ©pi jaune pĂąle et gris clair (dont la polychromie a Ă©tĂ© restaurĂ©e en 1996), et est couronnĂ©e dâun fronton triangulaire. La porte est coiffĂ©e dâun arc en anse-de-panier et flanquĂ©e de deux pilastres[56]. Lâinscription « Sauvegarde » apposĂ©e au-dessus de lâarc de la porte renvoie au droit dâasile accordĂ© au bĂ©guinage par le roi de France en 1299[45] ; la clef dâarc est en pointe-de-diamant et sĂ©pare les segments de mot « SAUVE » et « GARDE ». Un cartouche, portant lâinscription « SANCTA/ELISABETH/ORA PRO/NOBIS » (littĂ©r. « sainte Ălisabeth prie pour nous ») et assorti sur ses deux cĂŽtĂ©s de festons peints en vert sombre, surplombe lâarc. Plus haut enfin, une niche, se terminant par un arc plein-cintre en forme de coquille de Saint-Jacques, et flanquĂ©e de volutes se muant vers le haut en figures dâhommes, accueille une statue polychrome de sainte Ălisabeth de Hongrie (1207-1231), patronnesse du bĂ©guinage et gardienne des pauvres, raison pour laquelle elle est figurĂ©e distribuant des aumĂŽnes. La porte donne accĂšs Ă un passage dâentrĂ©e qui perce la maison no 2 (voir ci-aprĂšs) ; du cĂŽtĂ© du bĂ©guinage, le portail prĂ©sente une sobre façade en brique, peinte en blanc, qui nâest autre en rĂ©alitĂ© que celle de lâaile sud de la maison de la concierge (no 2), percĂ©e dâun ample arc en anse-de-panier[56].
- Portail dâentrĂ©e sur la Wijngaardplein, flanquĂ© Ă gauche par la maison de bĂ©guines no 1 (amĂ©nagĂ©e en musĂ©e).
- La façade néo-classique de 1776.
- Statue figurant sainte Ălisabeth de Hongrie distribuant des aumĂŽnes.
- Vue sur la face arriĂšre du portail. Le passage dâentrĂ©e traverse la maison de la touriĂšre (no 2, Ă gauche) en longeant la maison no 1 (Ă droite). Toile dâEmmanuel ViĂ©rin (1911).
- Le Saspoort, portail dâentrĂ©e nĂ©o-gothique Ă proximitĂ© du Sashuis (dâoĂč son nom), Ă©difiĂ© vers 1900 et donnant accĂšs Ă la partie sud du bĂ©guinage.
Le deuxiĂšme portail dâentrĂ©e, auquel on accĂšde Ă©galement Ă partir de la place Wijngaardplein (place de la Vigne), mais plus au sud, par le pont du Sas (nĂ©erl. Sasbrug), câest-Ă -dire Ă la limite nord du plan dâeau appelĂ© Minnewater, est un portail nĂ©o-gothique de brique, crĂ©nelĂ©, datant de fin XIXe, dĂ©but XXe. Il sâagit dâune grande arcade, aux cĂŽtĂ©s biseautĂ©s, Ă arc brisĂ© surbaissĂ© (ou arc Tudor), dans le haut de laquelle une plaque dans le nu du mur porte lâinscription « PRINSELIJK/BEGIJNHOF/TEN WIJNGAARDE/GESTICHT TEN JARE/MCCXXXXV » (littĂ©r. « BĂ©guinage/princier/Ă la Vigne/fondĂ© en lâan MCCXXXXV »)[57]. Ce portail rappelle les portes du bĂ©guinage de Mont-Saint-Amand prĂšs de Gand[58], et le portail de lâhĂŽpital Minnewaterkliniek proche.
Ensemble formĂ© par le logis de la Grande-MaĂźtresse, lâinfirmerie et une chapelle
Lâancienne Grand'Maison (Groothuis), autrefois logis de la grande-demoiselle, qui occupe lâangle sud-ouest de lâenclos central, sur le cĂŽtĂ© sud de celui-ci, et porte le no 30, fait actuellement office de maison capitulaire du couvent[59]. Câest la plus grande des maisons du bĂ©guinage de Bruges[60]. Sa façade sur lâenclos, en rĂ©alitĂ© une façade gouttereau porteuse dâune vaste lucarne-pignon[61], est Ă quatre travĂ©es et un Ă©tage, en plus dâun niveau sous les combles, et date du XVIIe siĂšcle. Ă gauche (Ă lâest), contiguĂ« Ă la maison, se trouve une chapelle, qui est la chapelle particuliĂšre de lâinfirmerie et remonte Ă dĂ©but du XIVe. Lâinfirmerie elle-mĂȘme, qui date de 1645, forme avec la Grande-Maison un seul ensemble. Le petit portail Ă gauche de la chapelle donne entrĂ©e Ă la cour intĂ©rieure des anciens hospices Dops (ou Dopsconvent, aux no 32 Ă 40, voir ci-aprĂšs), oĂč vivaient les bĂ©guines ne disposant pas ou plus de leurs propres moyens dâexistence[59] - [60].
En rĂ©alitĂ© donc, il sâagit dâun Ă©difice composite constituĂ© de quatre corps de bĂątiment, dont le plus ancien remonte au XIVe siĂšcle ; lâensemble a subi une derniĂšre restauration en lâan 2000. Ces corps de bĂątiment sâĂ©numĂšrent comme suit :
- la maison de la grande-demoiselle (ou de la grande-maĂźtresse, de la grande-dame), dont la façade, Ă©voquĂ©e ci-haut, donne sur lâenclos central, et qui est constituĂ©e en fait de deux corps de bĂątiment parallĂšles, tous deux du XVIIe siĂšcle, Ă deux niveaux et Ă toit en bĂątiĂšre. La niche Ă arc plein-cintre au-dessus de la porte dâentrĂ©e est flanquĂ©e de volutes et se termine par une corniche ; le champ sous lâarc est occupĂ© par un motif en coquille de saint Jacques. Les chambranles, tant de la porte dâentrĂ©e que des fenĂȘtres, sont constituĂ©es de chaĂźnes de grĂšs harpĂ©es, et on remarque une chaĂźne dâangle Ă gauche. La pointe du pignon renferme un oculus. Dans une niche baroque surmontant la porte est logĂ©e une madone avec enfant[59], de style baroque tardif, portant lâinscription : « HIER IS 'T: / DE WYNGAARD / VAN MARIA » (littĂ©r. Câest ici la Vigne de Marie), tandis que sur le claveau central se lit lâinscription « MATER VINEAE NOSTRA O.P.N / O ZOETE MOEDER GODS DIE DUIZEND JAAR VOORDEZEN / AAN ALLEN KRISTENMENSCH UW JONSTE HEBT BEWEZEN / AANHOOR IN DEZE KERK HET GEMEENTE DAT U GROET / EN ONS ROEMRUCHTIG HOF VAN ALLE KWAAD BEHOEDT » (littĂ©r. Notre mĂšre de la Vigne O.P.N. / Ă douce mĂšre de Dieu qui mille ans avant cette heure / avez prouvĂ© vos faveurs Ă tous les chrĂ©tiens / prĂȘtez lâoreille dans cette Ă©glise Ă la communautĂ© qui vous salue / et prĂ©servez de tout mal notre illustre bĂ©guinage). La façade latĂ©rale est une façade Ă redens aveugle se terminant par une souche de cheminĂ©e. Ă lâintĂ©rieur, on rencontre dâabord un vestibule avec des portes donnant accĂšs Ă la chapelle, Ă lâaile arriĂšre et Ă la salle du chapitre (c'est-Ă -dire Ă lâancienne infirmerie, voir ci-bas) ; toutes ces portes ont un encadrement Ă arc tudor en briques rouges, ornĂ©s des symboles de la foi, de lâespĂ©rance et de lâamour. Le plafond Ă poutres et la charpente du toit sont prĂ©servĂ©s. Ă gauche de ce corps de bĂątiment principal, et contiguĂ« Ă celui-ci, se dresse :
- la chapelle, datĂ©e du XIVe siĂšcle, construction simple Ă vaisseau unique, de seulement deux travĂ©es sĂ©parĂ©es par un contrefort, et couvert dâun toit Ă deux versants que chevauche un clocheton Ă beffroi en bois et Ă flĂšche. La derniĂšre restauration eut lieu en 2001. Les parois de la nef sont percĂ©es de baies ogivales, bigĂ©minĂ©es cĂŽtĂ© enclos central, avec quelques entrelacs dâallure simple. La façade pignon orientale comprend une grande baie ogivale trigĂ©minĂ©e, en tiers-point, avec rĂ©seau trilobĂ© ; la façade sud est percĂ©e dâune petite fenĂȘtre Ă arc brisĂ© avec vitrail, et dâune petite porte Ă arc surbaissĂ©[60]. La voĂ»te de la nef est en berceau, avec quatre claveaux remarquables. La dĂ©coration comprend en particulier le tableau Les Noces mystiques de sainte Catherine, Ă dater des alentours de 1600 et attribuĂ© Ă un maĂźtre anversois anonyme ; lâenfant JĂ©sus est assis sur les genoux de sa mĂšre et glisse un anneau au doigt dâune sainte Catherine couronnĂ©e, devant un arriĂšre-plan luxuriant de plantes, pommes et fleurs ; le tableau aurait Ă©tĂ© trouvĂ© fortuitement par Rodolphe Hoornaert dans une ferme des environs et offert Ă la communautĂ© religieuse en 1969[62].
- une aile perpendiculaire au bĂątiment principal, situĂ©e Ă lâarriĂšre de celui-ci cĂŽtĂ© jardin, Ă Ă©tage, sous toit Ă bĂątiĂšre, et remontant au XIVe siĂšcle. Le pignon avant se termine par une souche de cheminĂ©e singuliĂšre (de section octogonale et arrondie au sommet). La façade pignon arriĂšre est du XVIe et XVIIe siĂšcles. LâintĂ©rieur possĂšde une charpente prĂ©servĂ©e, remontant, sur la foi dâun examen dendrochronologique effectuĂ© en 2002, Ă une date situĂ©e entre 1328 et 1338[60].
- une aile cÎté jardin, à étage et deux travées, parallÚle et attenant au corps de bùtiment principal, ajouté au XVIIe. Au rez-de-chaussée se trouve la dénommée chambre du conseil, avec corps de cheminée du XVIIIe siÚcle, en stuc, dans le style Louis XVI[60].
- enfin, lâancienne infirmerie, bĂątiment perpendiculaire au corps de bĂątiment principal et situĂ© Ă droite (Ă lâouest) de celui-ci, datĂ© de 1645, sans Ă©tage, comportant une salle surĂ©levĂ©e servant actuellement (2018) de salle capitulaire[60], auquel on accĂšde par un escalier depuis le vestibule de la maison de la grande-demoiselle. Ce corps de bĂątiment, qui aurait fait office dâinfirmerie dans des temps plus anciens, possĂšde un jardin Ă part et donne sur lâenclos central par le biais dâune Ă©troite travĂ©e qui forme le dernier pan de façade (câest-Ă -dire la plus au sud) du cĂŽtĂ© ouest de cet enclos ; ce pan, sâil apparaĂźt aujourdâhui aveugle, garde encore les traces dâune ancienne fenĂȘtre, Ă prĂ©sent obstruĂ©e, avec son arc de dĂ©charge encore perceptible, et se trouve surmontĂ© dâune petite lucarne Ă pignon[60] - [62]. Ă lâintĂ©rieur, une cave voĂ»tĂ©e en berceau, et, au-dessus donc, la vaste salle surĂ©levĂ©e, avec plafond et poutres conservĂ©es, cheminĂ©e de marbre et de stuc de style Louis XVI. La salle est ornĂ©e dâautre part de plusieurs peintures, dont des modernes, notamment un portrait de Rodolphe Hoornaert par JosĂ© Storie (1899-1961) et des portraits de grandes-demoiselles, et quelques anciennes, notamment Notre-Dame-des-sept-douleurs, tableau attribuĂ© Ă Jacob van Oost lâancien, et un tableau sur lequel sainte Ălisabeth est figurĂ©e trois fois (Ă Eisenach ; aidant un mendiant ; et mise en prĂ©sence du Christ ressuscitĂ©) et qui trahit lâinfluence du peintre anversois Michiel Cocxie[63].
Sur le cĂŽtĂ© nord de lâenclos central
La premiĂšre maison que lâon rencontre en passant le portail dâentrĂ©e est le logis de la touriĂšre (= concierge dâun couvent), sis au no 2, au nord par rapport au portail dâentrĂ©e et y attenant. Large de cinq travĂ©es, dâun seul niveau, sous toits en bĂątiĂšre, datant des XVIe, XVIIe et XIXe siĂšcles, cette petite maison prĂ©sente un plan au sol en forme de L, dont lâaile droite est percĂ©e dâune arche correspondant au passage du portail dâentrĂ©e dĂ©crit ci-dessus. La façade gouttereau sur lâenclos est dotĂ©e de lucarnes dont les fenĂȘtres sâinscrivent dans des niches surmontĂ©es dâun arc en anse-de-panier. La façade sur la Reie a Ă©tĂ© restaurĂ©e en 2000. Ă lâintĂ©rieur, poutres et charpentes prĂ©servĂ©es[64].
La maison no 4 se compose de deux corps de bĂątiment juxtaposĂ©s, Ă façade pignon, avec en outre une petite porterie Ă gauche, laquelle comporte une porte Ă arc tudor surmontĂ©e dâune niche Ă madone ; ces deux maisons et la porterie forment lâactuel Centre liturgique. Lâensemble date de la fin du XVIe siĂšcle (?) ou du dĂ©but du XVIIe siĂšcle, mais a subi une vigoureuse restauration en 1957. La maison de gauche, de trois travĂ©es et Ă Ă©tage, prĂ©sentait, jusquâĂ la restauration de 1957, un pignon Ă rampants droits et sa façade comportait au centre une porte dâentrĂ©e couronnĂ©e dâentrelacs ; au-dessus des fenĂȘtres du rez-de-chaussĂ©e, ces entrelacs avaient cependant disparu, et lâouverture dans le pignon nâĂ©tait quâune fenĂȘtre de grenier des plus simples. Le remaniement de 1957 transforma le pignon en pignon Ă escaliers, et au rez-de-chaussĂ©e la porte fut remplacĂ©e par une fenĂȘtre, et les fenĂȘtres Ă meneaux furent dotĂ©es de petits arcs plein-cintre gĂ©minĂ©s ; dans le pignon, dĂ©sormais donc Ă redents, et Ă lâĂ©tage, les fenĂȘtres sâinscrivent dans des renfoncements (dites travĂ©es brugeoises) Ă arc plein-cintre avec rĂ©seau trilobĂ©. En 1999, façade et toiture furent Ă nouveau restaurĂ©es. Le corps de bĂątiment de droite comporte deux travĂ©es et un seul niveau, avec pignon Ă rampants droits. Ă lâintĂ©rieur, le couvrement de poutres et la charpente ont Ă©tĂ© prĂ©servĂ©s[65].
La maison no 6, Ă©galement Ă façade pignon, Ă Ă©tage et Ă quatre (au rez-de-chaussĂ©e) et trois (au premier Ă©tage) travĂ©es, Ă toit en bĂątiĂšre, remonte aux XIIIe et XIVe siĂšcles, mais fut remaniĂ©e Ă partir du XVIe et au cours du XVIIIe. Une restauration fut menĂ©e en 1998-1999 et en 2001-2002, impliquant notamment le remplacement, dans la deuxiĂšme travĂ©e, de la porte par une fenĂȘtre. Les linteaux qui couvrent les fenĂȘtres sont en lĂ©ger retrait et sont surmontĂ©s par des arcs de dĂ©charge. La façade latĂ©rale gauche est remarquable en ceci que, jadis mur mitoyen avec une maison contiguĂ« aujourdâhui disparue, elle prĂ©sente des traces de poutres et de contreforts ; Ă lâĂ©tage, on aperçoit de petites niches, placĂ©es entre ces contreforts, destinĂ©es Ă recevoir des bougies. La façade arriĂšre est une façade pignon de trois travĂ©es, prĂ©sentant des traces dâanciennes ouvertures[66] - [67]. Ă lâintĂ©rieur, cave peu profonde voĂ»tĂ©e en berceau. Au rez-de-chaussĂ©e, cheminĂ©e en grĂšs de style gothique tardif, dont les montants sont ornĂ©s de tĂȘtes dâĂ©poux. Ă lâĂ©tage, cheminĂ©e de grĂšs, mise Ă dĂ©couvert pendant la restauration et prĂ©sentant quelques vestiges de polychromie. La charpente est du milieu du XVIIIe[67].
- Logis de la touriĂšre (maison no 2, XVIe, XVIIe et XIXe siĂšcles). Ă droite, le passage couvert auquel donne accĂšs le portail dâentrĂ©e.
- Les deux corps de bùtiment du no 4 (XVIe siÚcle ou début du XVIIe siÚcle).
- Gros plan sur les travées brugeoises inscrites dans la façade du no 4.
- Façades des maisons no 4 (Ă droite) et no 6 (Ă gauche). Dans le fond Ă droite, flĂšche de lâĂ©glise Notre-Dame.
- Façade latĂ©rale gauche du no 6. Le mur fut autrefois mitoyen, dâoĂč la prĂ©sence de niches Ă bougeoirs pratiquĂ©es dans la paroi.
Les maisons no 8 Ă 20 comportent chacune Ă lâavant un petit jardinet sĂ©parĂ© de lâenclos central par des murs de brique Ă©rigĂ©s entre 1937 et 1939, et accessible par le biais de petits portails en anse-de-panier. Entre les no 10 et 12 se dresse un pittoresque pigeonnier dâun seul niveau et Ă toit en bĂątiĂšre. Ă noter au-dessus de lâentrĂ©e du no 14, lĂ oĂč le mur de clĂŽture est rehaussĂ©, une niche logeant une madone avec enfants[68].
Ă la maison no 10, Ă façade gouttereau, Ă trois travĂ©es et Ă©tage, sous bĂątiĂšre, du dĂ©but XIXe, succĂšde la no 12, Ă©galement Ă façade gouttereau, Ă quatre (au rez-de-chaussĂ©e) et trois (Ă lâĂ©tage) travĂ©es, mais comportant une vaste lucarne pignon Ă gradins. Cette maison, qui date du XVIIe, fut restaurĂ©e en 1995. Chacune des fenĂȘtres est dotĂ©e dâun arc de dĂ©charge. Un cartouche rĂ©cent, de 1995, encastrĂ© dans la façade, porte lâinscription « HERSTELD / PAX / MCMXCV » (RavalĂ© / PAX / MCMXCV). Ă lâintĂ©rieur, les poutres et solives du plafond et la charpente sont prĂ©servĂ©es[69].
Les no 14 et 16 sont des maisons Ă façade gouttereau. La no 14, de cinq travĂ©es et Ă Ă©tage, sous toit Ă bĂątiĂšre, date du dĂ©but du XIXe siĂšcle, oĂč elle vint remplacer une maison plus ancienne, et fut restaurĂ©e en 1993-1994[45] - [70]. La no 16 comprend deux corps de bĂątiment, celui donnant sur lâenclos, Ă façade gouttereau, large de cinq travĂ©es, couvert dâun toit en croupe, se prolongeant perpendiculairement Ă lâarriĂšre (imperceptiblement, car dâĂ©gale largeur) par un autre corps de bĂątiment, sous toit Ă bĂątiĂšre ; lâensemble est millĂ©simĂ© en façade « APRIL 1854 »[71].
Les trois maisons suivantes (quand on se dĂ©place dâest en ouest) sont les no 18 et 20, qui forment un alignement de trois pignons Ă rampants droits datant des environs de 1600. Toutes trois ont gardĂ© leur ancien appareillage de maçonnerie. La no 18, de trois et deux travĂ©es et Ă Ă©tage, sous bĂątiĂšre, date des XVIe et XVIIe siĂšcles (les ouvertures rectangulaires datant du XIXe). Dans le pignon, on remarque une fenestrelle dans une niche en anse-de-panier. LâintĂ©rieur garde son ancien couvrement de poutres[72]. La no 20 se compose de deux corps de bĂątiment parallĂšles comptant ensemble six travĂ©es avec Ă©tage, couverts chacun dâun toit Ă deux versants se terminant Ă lâarriĂšre par une croupe. Lâensemble date des XVIe et XVIIe, et fut restaurĂ© en 2001. Dans le pignon de gauche se note une fenestrelle sâinscrivant dans une niche surmontĂ©e dâun arc en accolade. Ă lâintĂ©rieur, poutres de plafond et charpentes anciennes prĂ©servĂ©es. Dans lâangle sud-est du jardinet, accotĂ© Ă la maison no 22 (la maison dâhĂŽtes, sur le cĂŽtĂ© ouest de lâenclos), se trouve une petite chapelle, datant de 1938-1939, de style historisant[66] - [73].
- Les maisons no 10 (Ă droite, dĂ©but XIXe siĂšcle) et no 12 (Ă gauche, au pignon Ă gradins, XVIIe siĂšcle). Ă lâavant-plan, apparaissant sombre sur la photo car Ă lâombre des peupliers, le pigeonnier.
- Autre vue sur les maisons no 10 et 12. Ă lâavant-plan, chaperon du mur par lequel les jardinets de devant des maisons sont sĂ©parĂ©s de lâenclos central.
- Maison béguinale no 14 (début du XIXe siÚcle).
- Maisons no 16 (à droite, millésimé 1854 en façade), no 18 (au centre, XVIe et XVIIe siÚcles) et no 20 (double pignon de gauche, également des XVIe et XVIIe). Le mur de séparation entre jardinets des maisons et enclos central est bien visible.
- Les deux pignons de la no 20 avec Ă gauche la chapelle accotĂ©e Ă la façade latĂ©rale du complexe no 22 (bordant le cĂŽtĂ© ouest de lâenclos central). Plus loin, au centre gauche, bĂątiments du couvent de bĂ©nĂ©dictines avec sa tour carrĂ©e.
Sur le cĂŽtĂ© ouest de lâenclos central
Lâenfilade de maisons et de pignons sur le cĂŽtĂ© occidental de lâenclos central ne forment plus aujourdâhui quâun seul ensemble et portent les no 22 Ă 30. DerriĂšre ces quelque cinq façades soit ravalĂ©es soit bĂąties Ă neuf par lâarchitecte Joseph ViĂ©rin sur commande de Rodolphe Hoornaert se trouve le centre nĂ©vralgique de lâactuelle communautĂ© de religieuses bĂ©nĂ©dictines. Ă lâarriĂšre (Ă lâouest), non visible depuis la place centrale, se trouve le couvent lui-mĂȘme, ou MonastĂšre (Monasterium en nĂ©erlandais), avec son cloĂźtre, Ă©rigĂ©s entre 1937 et 1939, et dont le style sâinspire de lâarchitecture traditionnelle de la plaine cĂŽtiĂšre flamande. Ce complexe conventuel est contigu aux maisons dont les façades donnent sur la place, lesquelles façades prĂ©sentent entre elles une claire parentĂ© stylistique et peuvent toutes ĂȘtre datĂ©es grosso modo entre 1600 et 1700, Ă lâexception toutefois de la façade de la no 22, la premiĂšre maison Ă compter de lâangle nord-ouest (arrondi) de lâenclos central ; cette façade, qui comporte deux pignons (en rĂ©alitĂ© deux lucarnes-pignons), mais correspond Ă un mĂȘme corps de bĂątiment, est une crĂ©ation de ViĂ©rin et est venue remplacer une façade nĂ©o-classique du XIXe. Ce no 22 abrite maintenant la maison dâhĂŽtes (en nĂ©erlandais gastenverblijf ou gastenkwartier) du MonastĂšre[66].
Le complexe conventuel (le Monasterium), qui date de 1937-1938, se compose de deux ailes semblables (longs dâune dizaine de travĂ©es, Ă Ă©tage, Ă toit Ă deux versants avec lucarnes), disposĂ©es en L, lâune parallĂšle, et accolĂ©e, aux maisons alignĂ©es sur lâenclos, et lâautre, perpendiculaire Ă la premiĂšre, se terminant par une petite tour carrĂ©e sous toit en pavillon qui lui est accotĂ©e ; dans lâangle de ce L a Ă©tĂ© construit un cloĂźtre, dans le mĂȘme style rĂ©gional traditionnel[74]. Au couvent jouxte un vaste jardin, cernĂ© dâun mur, traversĂ© dâun Ă©troit canal (au cours est-ouest, dĂ©bouchant dans le Minnewater), partagĂ© entre jardins dâagrĂ©ment, potagers, pelouses, serres, parterres de fleurs, vergers etc., et qui occupe toute la partie sud-ouest du bĂ©guinage. Un petit portail sâouvrant sur la Professor Dr. J. Sebrechtsstraat, sous arc tudor, dotĂ© dâun cartouche portant lâinscription « KLOOSTER / TEN WIJNGAARDE » (klooster = couvent), remaçonnĂ© en 2002, donne accĂšs Ă ce jardin[75].
La maison dâhĂŽtes (no 22), qui a lâaspect de deux corps de bĂątiment jumelĂ©s (avec chacun sa lucarne-pignon) mais nâen constitue en fait quâun seul, est donc venue se substituer Ă la demeure dix-neuviĂ©miste de style nĂ©o-classique, qui avait dĂ©plu Ă ViĂ©rin, et compte en tout neuf travĂ©es sur deux niveaux, couvertes par un toit Ă bĂątiĂšre, Ă©difiĂ© selon des plans de ViĂ©rin entre 1937 et 1938 dans un style historisant. Les chambranles (encadrements) des portes dâentrĂ©e sont en granit, de style rococo (selon le modĂšle du milieu XVIIIe) et, quant Ă leur envergure, quelque peu inhabituelles pour le bĂ©guinage[76]. Ă noter que ces chambranles consistent en pierres de remploi, câest-Ă -dire provenant dâautres maisons anciennes, et rĂ©utilisĂ©es. Lâune de ces portes comporte un jour dâimposte avec un Ă©lĂ©gant Ă©ventail en fer forgĂ©[77]. Le legs De Man (voir ci-aprĂšs), cĂ©dĂ© au bĂ©guinage en 1959, a Ă©tĂ© hĂ©bergĂ© dans cette maison[76].
La maison suivante, qui ne porte pas de numĂ©ro, mais constitue un corps de bĂątiment distinct de ses voisines, est une maison Ă façade gouttereau datant du XVIIIe, de deux/trois travĂ©es et Ă Ă©tage, avec possiblement des parties plus anciennes. La porte dâentrĂ©e du XVIIIe a gardĂ© son vantail dâorigine et possĂšde un jour dâimposte en fer forgĂ©. La façade est surmontĂ©e par une lucarne Ă pignon et Ă crossettes, avec fenĂȘtre inscrite dans une niche anse-de-panier. Ă lâintĂ©rieur, les poutres et charpentes ont Ă©tĂ© prĂ©servĂ©es. Le rez-de-chaussĂ©e comprend le rĂ©fectoire du Monasterium[78].
La no 24 est une maison Ă façade gouttereau avec lucarne-pignon, de quatre travĂ©es et Ă Ă©tage sous bĂątiĂšre, datant des XVIe et XVIIe siĂšcles, restaurĂ©e en 1997. Ă lâintĂ©rieur, les solives et poutres du plafond et la charpente ont Ă©tĂ© prĂ©servĂ©es Ă©galement. La salle de rĂ©crĂ©ation renferme une cheminĂ©e en style gothique tardif ornĂ© dâune Annonciation Ă Marie transfĂ©rĂ©e dâun autre immeuble du bĂ©guinage. Câest par cette maison que lâon a accĂšs au couvent (Monasterium) situĂ© derriĂšre[79].
La no 26, se prĂ©sente, ainsi que la prĂ©cĂ©dente, comme une maison Ă façade gouttereau avec lucarne-pignon, de quatre travĂ©es et Ă Ă©tage, sous bĂątiĂšre, datant des XVIe et XVIIe siĂšcles, Ă©galement restaurĂ©e en 1997. Certaines fenĂȘtres Ă lâĂ©tage sont surmontĂ©es dâarcs de dĂ©charge. La porte, au vantail ancien, comporte un petit judas en fer forgĂ© avec monogramme marial. Charpente prĂ©servĂ©e[80].
La maison no 28 enfin, derniĂšre de la rangĂ©e, est elle aussi une maison Ă façade gouttereau avec lucarne-pignon, Ă Ă©tage, sous toit Ă bĂątiĂšre, mais de six travĂ©es. Datant de mĂȘme des XVIe et XVIIe siĂšcles, elle subit des remaniements au XVIIIe, et fut Ă©galement restaurĂ©e en 1997. La porte dâentrĂ©e, datant de la mi-XVIIIe, en bois joliment ouvragĂ©, est encadrĂ©e en arc surbaissĂ© et comporte un jour dâimposte renforcĂ© dâune grille de fer forgĂ© en forme de coquille saint Jacques. Porte dâentrĂ©e et fenĂȘtres centrales de lâĂ©tage sont surmontĂ©es dâun arc de dĂ©charge. Ă lâintĂ©rieur, systĂšme de poutres et charpente sont Ă©galement dâĂ©poque, la maison du reste partageant son comble avec la no 26. Au rez-de-chaussĂ©e comme Ă lâĂ©tage se trouvent deux corps de cheminĂ©e du XVIIIe avec dĂ©coration en stuc[81].
Sur le cĂŽtĂ© sud de lâenclos central
La premiĂšre maison de lâalignement sud, la no 30, demeure de la grande-maĂźtresse, a dĂ©jĂ Ă©tĂ© dĂ©crite ci-haut. Lâensemble suivant, qui fait suite Ă la chapelle domestique de ladite demeure, est le Dopsconvent, sis aux no 32-40, logement collectif fondĂ© en 1338 par Maria Dops Ă lâintention des bĂ©guines nĂ©cessiteuses. Il sâagit dâune sorte de courĂ©e, que borde une succession de cinq logis identiques Ă piĂšce unique, sous toit Ă bĂątiĂšre, datant des XVe et XVIIe siĂšcles, et Ă laquelle donne entrĂ©e une petite porte sâouvrant sur lâenclos central. Les maisonnettes, restaurĂ©es en 1987, consistent en deux travĂ©es chacune, sont dĂ©pourvues dâĂ©tage, et possĂšdent chacune, Ă lâexception de la premiĂšre, une lucarne Ă pignon du XVIIe. Les fenĂȘtres rectangulaires sont surmontĂ©es dâarcs de dĂ©charge. Ă droite de la façade sur lâenclos, au-dessus de la petite porte dâentrĂ©e, on remarque une niche Ă arc plein-cintre logeant une statuette de sainte Ălisabeth de Thuringe ou dâAdĂ©laĂŻde de Villich. Les intĂ©rieurs des logements, auxquels donnent accĂšs des portes encadrĂ©es en anse-de-panier, ont gardĂ© leur couvrement de poutres et leur charpente, et renferment des cheminĂ©es en style gothique tardif ornĂ©s de tĂȘtes sculptĂ©es[82].
La maison de béguines au no 42 est une maison à façade pignon à crossettes, de trois travées et à étage, sous toit à bùtiÚre, qui fut substituée dans le premier quart du XXe siÚcle à une maison dix-neuviémiste de style néo-gothique. La façade gouttereau latérale compte une dizaine de travées (deux corps de bùtiment ?)[83].
La maisonnette no 44 prĂ©sente sur lâenclos central une façade gouttereau de trois travĂ©es sans Ă©tage sous toit Ă bĂątiĂšre, et date du XVIe-XVIIe siĂšcle (restauration en 1994). La façade latĂ©rale est un pignon dentelĂ© se terminant par une souche de cheminĂ©e. LâintĂ©rieur conserve des poutres et une charpente anciennes, et renferme une cheminĂ©e de style gothique tardif avec tĂȘtes dâĂ©poux et une autre remontant au XVIIIe siĂšcle[84].
La maison no 11, Ă façade pignon de cinq (au rez-de-chaussĂ©e) et de trois (Ă lâĂ©tage) travĂ©es sous toit Ă bĂątiĂšre, date probablement du XVIIIe siĂšcle, les adjonctions sous appentis ajoutĂ©es de part et dâautre datant du XIXe et XXe, pour celle de gauche, et (probablement) du XVIIIe, pour celle de droite. Des rĂ©novations ont Ă©tĂ© effectuĂ©es en 1983, puis en 1993-1994. Ă lâintĂ©rieur sont notables : une cave ancienne voĂ»tĂ©e en berceau ; plafonds et poutres prĂ©servĂ©s ; cheminĂ©e et escalier du XVIIIe[85].
La maison no 9, la plus Ă l'est sur ce cĂŽtĂ© de la place centrale, se dresse une vingtaine de mĂštres en retrait par rapport au pourtour de lâenclos et borde le petit canal qui court au sud. Il sâagit de deux corps de bĂątiment contigus, Ă façade pignon, de longueur inĂ©gale, se cĂŽtoyant parallĂšlement, et auxquels on accĂšde du cĂŽtĂ© de lâenclos par une porte Ă gauche de la no 11. Les deux corps de bĂątiment datent des XVIe, XVIIe et XVIIIe siĂšcles, avec quelques parties remontant au XIIIe, et ont Ă©tĂ© rĂ©novĂ©s en 1981. La plus grande des deux constructions (celle de droite) compte (dans sa façade pignon) deux Ă trois travĂ©es avec Ă©tage sous toit Ă bĂątiĂšre, et se trouve flanquĂ©e de part et dâautre par des ajouts de date plus rĂ©cente sous toits en appentis. Les baies sont du XVIIIe, notamment la porte dâentrĂ©e encadrĂ©e en anse-de-panier ; la façade pignon arriĂšre (sud) donne sur le canal. La construction plus petite (celle de gauche, câest-Ă -dire Ă lâest) ne comporte pas dâĂ©tage, et prĂ©sente au nord une façade pignon aveugle, tandis que la façade latĂ©rale orientale est percĂ©e de deux baies rectangulaires ; la façade arriĂšre est Ă gradins avec une fenĂȘtre bigĂ©minĂ©e, Ă linteaux en pierre de taille et Ă arc de dĂ©charge. Ă lâintĂ©rieur sont Ă noter une cave ancienne voĂ»tĂ©e en berceau et, au rez-de-chaussĂ©e, dans le mur latĂ©ral droit, une baie du XIIIe siĂšcle avec meneau en pierre blanche de Tournai et Ă chapiteau, surmontĂ© dâun vestige dâarc ; ouvertures en arc brisĂ© au rez-de-chaussĂ©e et Ă lâĂ©tage, cheminĂ©e du XVIIIe[86].
- Maison béguinale no 42 (XXe siÚcle).
- Ă gauche, maison no 11, façade sur lâenclos central (la maisonnette de droite est la no 44).
- Maison no 11 (datant probablement du XVIIIe siĂšcle ; les adjonctions sous appentis datent du XIXe et XXe, pour celle de gauche, et probablement du XVIIIe, pour celle de droite).
- Les façades arriÚre des maisons no 11 (à gauche) et no 9 (à droite).
- Façade arriĂšre de la maison no 9, dont on distingue bien les diffĂ©rents corps de bĂątiment : le principal (au centre de la photo) et celui Ă droite sont du XVIe, XVIIe et XVIIIe siĂšcles ; les appentis sont de date plus rĂ©cente. Ă lâavant-plan, lâĂ©troit canal qui traverse le bĂ©guinage. La façade-pignon blanche Ă gauche appartient au no 46.
Sur le cĂŽtĂ© est de lâenclos central
La maison qui porte le no 1, qui est attenante au portail dâentrĂ©e sur son cĂŽtĂ© sud, se composĂ© de deux corps de bĂątiment plus ou moins parallĂšles et date probablement du XVIIIe siĂšcle, avec des parties plus anciennes. Une sorte de petit cloĂźtre enserrant un jardinet, crĂ©ation des annĂ©es 1930, a Ă©tĂ© ajoutĂ© sur son cĂŽtĂ© sud et fait la jonction avec la maison suivante, la no 3. Lâensemble a Ă©tĂ© restaurĂ© en 1997. Le corps de bĂątiment de devant, de trois travĂ©es sans Ă©tage, sous toit Ă bĂątiĂšre, comprend une porte rectangulaire qui est remarquable en ceci quâelle est encadrĂ©e de pilastres peints, avec entablement, datant du XVIIIe, et quâelle est coiffĂ©e dâun jour dâimposte en forme dâĂ©ventail. Les ouvertures sont Ă arc surbaissĂ©. Le corps de bĂątiment de derriĂšre, plus vaste et plus haut, prĂ©sente sur la Reie une façade gouttereau de trois travĂ©es et Ă Ă©tage (la subdivision en travĂ©es a Ă©tĂ© modifiĂ©e dĂ©but XIXe), percĂ©e de fenĂȘtres encadrĂ©es en arc surbaissĂ© ; la lucarne rampante est du XIXe. LâintĂ©rieur est amĂ©nagĂ© en maison de bĂ©guines avec vestibule, cuisine, salle de sĂ©jour, salle Ă manger, salle de couture et chambre Ă coucher. Poutres du plafond et charpentes ont Ă©tĂ© prĂ©servĂ©es. La cuisine dans le corps de bĂątiment de devant contient une cheminĂ©e en grĂšs du XVIe, de style gothique tardif, ornĂ©e de deux tĂȘtes dâĂ©poux en guise de chapiteaux, et de carreaux de faĂŻence de Delft du XVIIIe. La salle de sĂ©jour dans le corps de bĂątiment de derriĂšre possĂšde une cheminĂ©e remontant, avec son revĂȘtement, au XVIIIe. Le jardin « pittoresque », avec son puits rond en brique, et son cloĂźtre, construction en brique sur arcades en anse-de-panier, sous toit en appentis, date des annĂ©es 1930[87] et fut conçu et construit par Joseph ViĂ©rin dans le mĂȘme style que celui du couvent de bĂ©nĂ©dictines dans la partie occidentale du bĂ©guinage[66]. Dans le jardin encore se dresse une statue du Christ souffrant, haut de deux mĂštres, crĂ©ation moderne du sculpteur belge Charles Delporte, exĂ©cutĂ© en maillechort, et inaugurĂ© en novembre 1989[88]. AmĂ©nagĂ©e en musĂ©e en 1935, au dĂ©but conjointement avec la no 3, cette maison offre une bonne reconstitution de lâintĂ©rieur dâune maison de professe. Elle arbore une enseigne en fer forgĂ© figurant une grappe de raisins, symbole du monastĂšre de la Vigne. Parmi le mobilier et les objets de collection, signalons : une pendule du XVIIe, un tableau naĂŻf de 1880 reprĂ©sentant une Procession du saint Sacrement dans le bĂ©guinage, et un chauffe-pieds que les bĂ©guines avaient coutume dâemporter Ă lâĂ©glise ; dans le salon, une collection de dentelles anciennes de Valenciennes et de Chantilly, un rouet, du matĂ©riel de dentelliĂšre, objets renvoyant aux activitĂ©s habituelles des bĂ©guines, et des chaises et une table Renaissance[89] ; dans la chambre Ă coucher, une alcĂŽve Ă baldaquin ; dans la salle Ă manger, meubles anciens et sculptĂ©s de lâĂ©poque Renaissance, et de la vieille porcelaine de Tournai et de Bruxelles[88].
- Maison no 1, façade (orientale) sur la Reie.
- Le petit cloßtre, création des années 1930. DerriÚre, les deux corps de bùtiment de la maison no 1.
- Lâune des piĂšces de la maison no 1 amĂ©nagĂ©e en musĂ©e.
- Salle de séjour avec matériel de dentelliÚre etc.
- Cuisine, avec cheminée en grÚs du XVIe et carreaux de faïence de Delft du XVIIIe.
Le maison no 3 se compose de deux ailes dâhabitation, Ă Ă©tage et Ă toit en bĂątiĂšre, disposĂ©es en retour dâĂ©querre. Lâaile parallĂšle Ă la Reie (et donc au pourtour de la place centrale du bĂ©guinage), prĂ©sente une lucarne-pignon et date du XVIIe, tandis que lâaile perpendiculaire Ă la Reie, dont un des angles est arrondi et dont la toiture se termine par une croupe cĂŽtĂ© enclos, remonte aux XVIIe et XIXe siĂšcles. Des restaurations ont Ă©tĂ© effectuĂ©es en 1989 (souche de cheminĂ©e) et en 1997 (façades et toitures, et notamment mise au jour de fenĂȘtres dans la façade gouttereau â de quatre travĂ©es â sur la Reie, suivie de leur aveuglement). La façade gouttereau sur lâenclos central (Ă lucarne-pignon) est percĂ©e dâune porte avec jour dâimposte en forme dâĂ©ventail et de fenĂȘtres rectangulaires Ă petits-carreaux.
La façade latĂ©rale de lâaile perpendiculaire, Ă peine visible de lâintĂ©rieur du bĂ©guinage (mais que lâon voit mieux de la rive opposĂ©e de la riviĂšre), est une façade gouttereau de quatre (au rez-de-chaussĂ©e) et trois (Ă lâĂ©tage) travĂ©es, Ă fenĂȘtres rectangulaires Ă petits-carreaux, surmontĂ©es (pour celles du rez-de-chaussĂ©e) dâarcs de dĂ©charge. Les façades sur la Reie, de brique, sont quasi aveugles, et prĂ©sentent Ă gauche une lucarne rampante du XIXe, et Ă droite une lucarne Ă pignon avec fenĂȘtre inscrite dans une niche Ă arc plein-cintre. Les poutres et charpentes sont anciennes[90].
Enfin, derniĂšre maison bĂ©guinale sur le cĂŽtĂ© oriental, la no 7 (le no 5 est lâĂ©glise Sainte-Ălisabeth), qui reprĂ©sente lâun des plus anciens exemples de construction nĂ©o-gothique Ă Bruges[66]. Câest une maison Ă façade gouttereau, de trois travĂ©es et Ă Ă©tage, sous toit Ă bĂątiĂšre, millĂ©simĂ©e 1855 en façade. Incarnation prĂ©coce du style nĂ©o-brugeois, sa façade comporte de typiques travĂ©es dites brugeoises (renfoncements dans le nu de la façade sâĂ©tendant sur plusieurs Ă©tages) se terminant en arc segmentaire pour les deux travĂ©es latĂ©rales, et en ogive pour la travĂ©e centrale, laquelle se prolonge jusquâau fin haut de la petite lucarne Ă pignon, par-dessus une petite niche trilobĂ©e[91]. La façade arriĂšre, visible de la Wijngaardplein, est presque identique, mais non blanchie[66]. La maison a Ă©tĂ© restaurĂ©e en 1999[91].
La rue De Steert
La rue De Steert, aujourdâhui une impasse, est le vestige dâune extension du bĂ©guinage vers le sud, laquelle extension, nommĂ©e Koegat (littĂ©r. Trou Ă vache), comprenait autrefois, comme le dĂ©montre la carte de Marcus Gheeraerts de 1562, outre De Steert, une placette avec puits et une autre rue courant vers lâouest et aboutissant au petit portail arriĂšre du bĂ©guinage, appelĂ© Koepoort[92]. Cette extension fut en grande partie dĂ©mantelĂ©e dans les annĂ©es 1890 pour faire place Ă la Minnewaterkliniek. La ruelle est bordĂ©e dâune dizaine de maisons de professes, que nous parcourrons du nord au sud.
(La dĂ©nomination De Steert nâa pas dâexistence officielle. Pour la poste et le cadastre sont seules officielles les adresses Begijnhof 15, Begijnhof 46, Begijnhof 54 etc.)
La no 46, sise Ă quelques dizaines de mĂštres de lâenclos central, est une petite maison Ă façade pignon, de deux travĂ©es et Ă Ă©tage, prolongĂ©e Ă lâarriĂšre et dans son axe par un corps de bĂątiment plus bas. Ă droite lui a Ă©tĂ© accolĂ©e une aile Ă façade gouttereau dâune seule travĂ©e sans Ă©tage. Les trois parties sont couvertes de toits Ă bĂątiĂšre, datent toutes du XVIe et XVIIe siĂšcles, et ont Ă©tĂ© restaurĂ©es en 1989. La fenestrelle dans le pignon est inscrite dans une niche trilobĂ©e. La porte dâentrĂ©e comporte un jour dâimposte en plein-cintre consistant en un vitrail en forme dâĂ©ventail datant probablement du XIXe. La façade latĂ©rale gauche, de deux travĂ©es, non passĂ©e Ă la chaux, est surmontĂ©e dâune souche de cheminĂ©e assez monumentale du XIXe ; la cheminĂ©e appartenant Ă lâaile arriĂšre comporte deux conduits Ă section hexagonale et remonte aux XVIe et XVIIe siĂšcles. LâintĂ©rieur a conservĂ© ses poutres et charpentes, et prĂ©sente trois corps de cheminĂ©e de style gothique tardif, ornĂ©s de tĂȘtes sculptĂ©es figurant des couples dâĂ©poux[93].
Les no 48 et 50 sont deux maisons Ă façade gouttereau juxtaposĂ©es, respectivement de quatre (celle de droite) et deux/trois (celle de gauche) travĂ©es et Ă Ă©tage, sous toit Ă bĂątiĂšre commun ; du reste, les deux maisons formaient au Moyen Ăge un seul corps de bĂątiment, remontant probablement aux XIIIe et XIVe siĂšcles, mais sĂ©parĂ©es et remaniĂ©es ultĂ©rieurement, probablement vers 1600. Une profonde restauration des façades latĂ©rales a Ă©tĂ© menĂ©e au dĂ©but du XXe, puis le bĂątiment a de nouveau Ă©tĂ© restaurĂ© en 1994. La façade sur rue du no 48 fut remaniĂ©e au XVIIIe/XIXe et portĂ©e alors Ă quatre travĂ©es ; la façade du no 50 en revanche garde les traces des phases de construction antĂ©rieures, notamment Ă lâĂ©tage une fenestrelle Ă arc segmentaire, vestige de la phase la plus ancienne, un soupirail grillagĂ©, et la porte dâentrĂ©e. La façade latĂ©rale gauche, non blanchie, Ă pignon, comporte trois travĂ©es et fut restaurĂ©e au XIXe et dĂ©but XXe. Les ouvertures, Ă arc segmentaire, sont surmontĂ©es de niches bigĂ©minĂ©es en arc brisĂ© surbaissĂ© (dit arc tudor) ou en anse-de-panier. Dans la façade latĂ©rale droite, petite ouverture en arc segmentaire, rĂ©sidu de la phase dâĂ©dification la plus ancienne, dont tĂ©moignent aussi dâautres ouvertures, en particulier le soupirail aveuglĂ© grillagĂ© Ă arc brisĂ©. La façade (gouttereau) arriĂšre est le produit dâimportantes transformations et combine vestiges de fenĂȘtres de la premiĂšre phase de construction et ouvertures plus rĂ©centes. LâintĂ©rieur a prĂ©servĂ© ses alignements de solives. Ă lâĂ©tage, on note plusieurs niches Ă bougeoir trilobĂ©es. Le comble est commun aux deux maisons, avec charpente probablement du XIVe. La no 48 est dotĂ©e dâun corps de cheminĂ©e de style gothique tardif avec tĂȘtes sculptĂ©es[94].
Les maisons no 13, 15 et 17 forment une sĂ©rie sur le cĂŽtĂ© oriental de la ruelle. La no 13 se compose de deux ailes, lâune, Ă façade gouttereau de cinq travĂ©es et Ă Ă©tage, donnant sur la rue, date du dĂ©but du XVIIe siĂšcle, et lâautre, attenant et perpendiculaire Ă la premiĂšre, est du XIXe, tous deux sous toit Ă bĂątiĂšre[95]. La travĂ©e centrale de lâaile de devant est porteuse dâune lucarne Ă pignon assez inhabituelle sâinscrivant dans une niche Ă arc plein-cintre dont lâespace sous lâarc est dĂ©corĂ© dâentrelacs non ajourĂ©s[58]. Les baies rectangulaires remontent au XVIIIe. Une restauration a Ă©tĂ© accomplie en 1984. Ă lâintĂ©rieur, les poutres et les solives sont anciennes. Disposition des piĂšces et ornementation sont du XVIIIe, notamment les cheminĂ©es et les placards. Lâescalier, Ă vis, est du dĂ©but XIXe[95].
La no 15 comprend deux ailes disposĂ©es en L, dont celle de devant est Ă façade gouttereau Ă trois travĂ©es et Ă Ă©tage sous toit Ă bĂątiĂšre, et date des environs de 1600, les ouvertures rectangulaires cependant sont du XVIIIe. Lâaile de derriĂšre, dĂ©pourvue dâĂ©tage, fut ajoutĂ©e aux XVIIe et XVIIIe siĂšcles. Une restauration a Ă©tĂ© effectuĂ©e en 1984. Une lucarne sur la travĂ©e centrale, en saillie par rapport Ă la façade, repose sur deux arcades en anse-de-panier jumelĂ©es, elles-mĂȘmes sâappuyant sur trois consoles. La façade arriĂšre est une façade pignon Ă crossettes, Ă deux travĂ©es ; les fenĂȘtres ont des linteaux et meneaux en grĂšs et sont surmontĂ©es dâarcs de dĂ©charge. Ă lâintĂ©rieur, on note, outre les poutres et solives prĂ©servĂ©es : une porte Ă arc tudor profilĂ©e du dĂ©but XVIIe, ornĂ©e sur le haut dâune console Ă tĂȘte dâange, Ă©galement du XVIIe ; au rez-de-chaussĂ©e et Ă lâĂ©tage, des corps de cheminĂ©e en grĂšs de style gothique tardif, avec tĂȘtes figurant un couple dâĂ©poux ; et boiseries anciennes des portes. Un troisiĂšme petit corps de bĂątiment, serrĂ© entre les ailes arriĂšre des no 13 et 15, sans Ă©tage, prĂ©sente une façade pignon Ă crossettes et un oculus dans la pointe, et renferme Ă lâintĂ©rieur une charpente dâorigine et une cheminĂ©e de conception simple, du XVIIIe[96].
La no 17, Ă façade gouttereau de cinq travĂ©es sans Ă©tage, sous toit Ă bĂątiĂšre, nâest pas moins ancienne que la no 15 (XVIIe-XVIIIe, mais avec des parties du XVe et XVIe), cependant sa façade fut remaniĂ©e au milieu du XVIIIe. La maison comprend un deuxiĂšme corps de bĂątiment Ă façade gouttereau, parallĂšle au prĂ©cĂ©dent, Ă trois travĂ©es sans Ă©tage, datant du XVIIIe, avec ici aussi des parties plus anciennes. Le tout fut restaurĂ© en 1984[97]. Ă lâavant, le dĂ©bord suffisamment large du toit a permis de se passer de gouttiĂšre[58]. Les deux lucarnes ont des pignons Ă crossettes. La porte dâentrĂ©e, dâun style rococo fort sobre, est dotĂ©e dâun jour dâimposte Ă petits-carreaux. LâintĂ©rieur du logis a gardĂ©, de sa premiĂšre phase dâĂ©dification, des niches-lavabos de style gothique tardif ornĂ©s de tĂȘtes sculptĂ©es, une niche Ă bougeoir et une cheminĂ©e en grĂšs avec tĂȘtes dâĂ©poux, et des carrelages du XIXe dans lâĂątre. Solives et charpente sont anciennes. On trouve plusieurs Ă©lĂ©ments du XVIIIe : plafonds et cheminĂ©es Ă corniche. Le corps de bĂątiment de derriĂšre, parallĂšle au principal, comprend une salle par-dessus une cave ; ouvertures en arc surbaissĂ©, trace dâune petite porte en anse-de-panier ; lâintĂ©rieur recĂšle une cheminĂ©e du XVIIIe, dotĂ©e dâune corniche de conception simple[97].
- Maison no 13, façade sur rue (début du XVIIe siÚcle, aile de devant).
- Les deux ailes en retour dâĂ©querre de la no 13. Lâaile de derriĂšre est du XIXe.
- Maison no 15 (vers 1600), avec sa lucarne sur la travée centrale.
- Gros plan sur la lucarne, en saillie par rapport à la façade et reposant sur trois consoles et deux arcades.
- Maison no 17 (XVIIe-XVIIIe, mais avec des parties du XVe et XVIe).
Au bout de la rue De Steert, sur le cĂŽtĂ© opposĂ© (câest-Ă -dire occidental), se trouvent deux maisons encore, contiguĂ«s, les no 52 et 54, toutes deux Ă façade gouttereau. (La grande demeure nĂ©ogothique, appelĂ©e Huize Minnewater, situĂ©e dans lâangle dĂ©terminĂ© par la Professor Dr. J. Sebrechtsstraat et la rue Begijnenvest, au sud-est du bĂ©guinage, nâappartient pas Ă celui-ci, mais Ă lâhĂŽpital Minnewaterkliniek.)
La no 52 comporte six travĂ©es et un Ă©tage sous toit Ă bĂątiĂšre, avec des parties remontant aux XVIIe (probable), XVIIIe et XIXe siĂšcles. Lâajout Ă droite, dâune travĂ©e, est du XXe. Une lucarne-pignon Ă crossettes, contenant une fenĂȘtre inscrite dans une niche en anse-de-panier, sâĂ©lĂšve au-dessus des deux travĂ©es centrales. Une restauration a Ă©tĂ© menĂ©e en 1986. La porte dâentrĂ©e, dotĂ©e dâun jour dâimposte, a gardĂ© son vantail du milieu XVIIIe ; au-dessus, au niveau de lâĂ©tage, a Ă©tĂ© pratiquĂ©e une niche en arc plein-cintre oĂč loge une statuette de terre cuite figurant la vierge Marie avec enfant. Dans la façade arriĂšre, lâon note entre les baies rectangulaires quelques traces dâouvertures plus anciennes, et aussi une petite lucarne rampante. LâintĂ©rieur du logis, qui fut rĂ©amĂ©nagĂ© au XVIIIe et dĂ©corĂ© avec simplicitĂ©, prĂ©sente des solives, poutres et charpentes anciennes, et un escalier en colimaçon du dĂ©but XIXe[98].
La no 54 enfin est Ă façade gouttereau de quatre travĂ©es et Ă Ă©tage, sous toit Ă bĂątiĂšre, et remonte au XVIe siĂšcle. Une des fenĂȘtres du rez-de-chaussĂ©e prĂ©sente des arcs de dĂ©charge jumelĂ©es. LâĂ©tage ne compte quâune fenĂȘtre rectangulaire et une petite fenestrelle en arc surbaissĂ©. La lucarne Ă pignon comprend une fenĂȘtre enserrĂ©e dans une niche en anse-de-panier. La maison a Ă©tĂ© restaurĂ©e en 1986. Dans la façade latĂ©rale gauche, qui autrefois (jusquâau percement de la Prof. Sebrechtsstraat en 1890) Ă©tait mur mitoyen avec une autre maison, est aujourdâhui une façade pignon avec des ouvertures aveugles en anse-de-panier et en arc brisĂ©. La façade gouttereau arriĂšre prĂ©sente, entre les ouvertures rectangulaires, des vestiges dâautres plus anciennes. Ă lâintĂ©rieur : poutres et charpentes anciennes, deux corps de cheminĂ©e, lâune de style gothique tardif, de facture simple, et lâautre datant du XVIIIe siĂšcle[99].
PresbytÚre du béguinage
ConformĂ©ment Ă lâusage, lâancien presbytĂšre du bĂ©guinage (ou maison cruriale, selon lâindication sur la carte de Popp de 1865) â rappelons que le bĂ©guinage de Bruges fut Ă©rigĂ© en paroisse au XIIIe siĂšcle â se trouvait hors du pĂ©rimĂštre du bĂ©guinage, mais en lâespĂšce tout proche du portail dâentrĂ©e, sur la rive opposĂ©e de la riviĂšre Reie. Il sâagit dâune maison dâangle, Ă deux ailes disposĂ©es en retour dâĂ©querre, dont la façade pignon donnant sur la place de la Vigne (Wijngaardplein) comporte quatre travĂ©es, tandis que la façade goutereau de lâaile de derriĂšre compte cinq travĂ©es de largeur inĂ©gale. Le tout est couvert dâun toit Ă bĂątiĂšre, mais dĂ©coupĂ© en croupe Ă lâextrĂ©mitĂ© droite de lâaile arriĂšre. Si la demeure remonte originellement au XVIIe siĂšcle, la façade avant (donnant sur la place) en fut cependant dĂ©mantelĂ©e en 1905, puis reconstruite selon une « reconstitution artificieuse », dâaprĂšs des plans de lâarchitecte brugeois Louis Delacenserie. Elle est ainsi devenue une façade nĂ©o-baroque, Ă pignon en escalier (de huit degrĂ©s), avec mise en Ćuvre de pierre dâEuville pour les plinthes et les Ă©lĂ©ments dĂ©coratifs, notamment pour les chaĂźnes dâangle typiques, pour les jambages, les chambranles de la porte dâentrĂ©e et des fenĂȘtres (qui sont Ă petits-carreaux), les bandeaux et les meneaux. Les arcs de dĂ©charge qui surmontent chaque ouverture sont ornĂ©s de mascarons. La porte dâentrĂ©e, encadrĂ©e dâun chambranle profilĂ© en pierre, avec crossettes, est surmontĂ©e dâun jour dâimposte en deux parties sĂ©parĂ©es par un meneau. Entre deux fenĂȘtres de lâĂ©tage, une statue de la vierge avec enfant, du XVIIe et XVIIIe siĂšcles, se dresse sur un cul-de-lampe historiĂ©. Sous le socle de la statue a Ă©tĂ© fixĂ©e une lanterne de fer forgĂ©. La façade latĂ©rale sur la Reie, plus ancienne, est percĂ©e de quelques fenĂȘtres, est dotĂ©e de deux imposantes souches de cheminĂ©e, et comporte des traces de phases dâĂ©dification antĂ©rieures. Une plaque commĂ©morative y a Ă©tĂ© apposĂ©e qui comprend un bas-relief figurant Hector Hoornaert (avant-dernier recteur â ou curĂ© â du bĂ©guinage) et porte lâinscription « HECTOR HOORNAERT PASTOR / 1851-1922 », Ćuvre signĂ©e Frans Huygelen. La façade latĂ©rale opposĂ©e est porteuse dâune lucarne Ă pignon. Lâaile de derriĂšre, qui est de la premiĂšre moitiĂ© du XIXe siĂšcle, porte dans sa façade principale (nord) une petite lucarne rampante et une vaste baie centrale en arc plein-cintre[100].
Legs De Man et bibliothĂšque patrimoniale
Pendant la DeuxiĂšme Guerre mondiale, lâon abrita aussi des Ćuvres dâart dans le bĂ©guinage de Bruges, appelĂ©es plus tard collectivement le legs De Man (en nĂ©erl. legaat De Man). Ensuite, en 1959, mademoiselle Jeanne De Man (1868-1969), originaire de la commune de Varsenare, fit don Ă la communautĂ© religieuse du bĂ©guinage dâun ensemble de 35 tableaux : 20 portraits de famille et six vues de la ville de Bruges. Les portraits de famille sont des Ćuvres anonymes, peints entre environ 1560 et 1725 et prĂ©sentent surtout une valeur gĂ©nĂ©alogique et hĂ©raldique.
Parmi les vues de Bruges figure notamment le tableau Les Sept merveilles de Bruges (Septem Admirationes Civitatis Brugensis), la piĂšce vedette de la collection. DatĂ© de 1550 environ, si le tableau nâest pas signĂ©, il est gĂ©nĂ©ralement admis quâil est de la main de Pieter Claeissens l'Ancien.
La bibliothÚque, qui fait partie du couvent de bénédictines, et se situe donc dans la partie ouest du béguinage, renferme environ 10 000 volumes. La collection comprend aussi une vingtaine de manuscrits anciens et plusieurs incunables issus des presses de Plantin et de Verdussen à Anvers[62].
Spiritualité
La rÚgle béguinale ancienne
Le mode de vie dans le bĂ©guinage de Bruges Ă©tait dĂ©fini par la rĂšgle fixĂ©e vers lâan 1300. Cette rĂšgle comportait lâobligation de mettre au centre de la vie bĂ©guinale lâoraison, le travail et lâabnĂ©gation (orare, laborare, pati) et de respecter les consignes Ă©vangĂ©liques de chastetĂ© et dâobĂ©issance. Aucune mention toutefois nâĂ©tait faite du vĆu dâindigence ; nĂ©anmoins, dans le bĂ©guinage de Bruges, lâesprit de pauvretĂ© Ă©tait sauvegardĂ©, en ce sens que les prescriptions, en dĂ©pit de lâabsence de vĆu, organisaient de fait la pauvretĂ© volontaire, prĂ©voyant en particulier le travail manuel et encourageant la mortification par lâinstauration de pĂ©riodes de jeĂ»ne. Cet esprit de pauvretĂ© et de dĂ©tachement se traduisait par une tenue vestimentaire et un mobilier des plus sobres[101].
Cette premiĂšre rĂšgle de vie dĂ©finissait Ă©galement lâorganisation interne de la communautĂ© elle-mĂȘme. Ă sa tĂȘte se trouvait la grande-maĂźtresse (« magistra »), assistĂ©e des maĂźtresses, qui dirigeaient les sept convents (logements collectifs) que comptait le bĂ©guinage en 1354. Chaque bĂ©guine avait lâobligation de se faire admettre dans lâun de ces sept convents. Le fait quâil y avait dĂšs avant 1320 au bas mot quatre chapellenies (avec les prĂ©bendes qui sây rattachaient) laisse supposer que le bĂ©guinage avait connu un certain Ă©panouissement[102].
Lâinfirmerie, qui existait dĂšs 1245, recueillait les bĂ©guines malades et nĂ©cessiteuses. Les offices Ă©taient assurĂ©s par un sacristain et une sacristaine, par un curĂ© et par des bĂ©guines qui figuraient au titre de schola cantorum dans le chĆur de lâĂ©glise[102].
La charte fondatrice du bĂ©guinage de mai 1245 portait : « [âŠ] afin que les pieuses rĂ©sidantes de ce clos se vouent en toute libertĂ© Ă la priĂšre et sâadonnent Ă la contemplation ». Le but Ă©tait dâisoler le plus possible les bĂ©guines du monde extĂ©rieur afin de leur permettre de mieux se consacrer Ă la priĂšre et Ă la contemplation[103]. La piĂ©tĂ© bĂ©guinale traditionnelle, nĂ©e du mysticisme, consistait dans lâascĂšse et dans lâoraison. Les assemblĂ©es capitulaires et les chĂątiments quâelles prononçaient devaient assurer que cette forme de vie ascĂ©tique fĂ»t respectĂ©e. Mais davantage que lâascĂšse, câest la vie de priĂšre qui restera la pierre angulaire de la piĂ©tĂ© bĂ©guinale. Lâaccent Ă©tait placĂ© surtout sur la dĂ©votion au Christ, lâeucharistie et le culte marial[104].
Quant Ă la rĂšgle fixĂ©e vers 1300, elle met clairement en avant lâidĂ©al contemplatif de priĂšre et de silence dâune part, de jeĂ»ne et de discipline dâautre part. La rĂšgle prĂ©voyait de nombreux jours de jeĂ»ne et de tempĂ©rance, et lâobservance de ces prĂ©ceptes Ă©tait discutĂ©e chaque soir avant dâaller se coucher. Les fautes commises en public ou ayant provoquĂ© le scandale ou la diversion Ă©taient chĂątiĂ©es publiquement dans le convent de la coupable ou dans tous les convents Ă la fois[104]. Les complies Ă©taient rĂ©citĂ©es chaque soir. Dans lâĂ©glise, lâOffice romain (grand office) Ă©tait chantĂ© ou priĂ© ; pour qui nâĂ©tait pas capable de rĂ©citer lâOffice romain Ă©tait prĂ©vu lâoffice de la Sainte-Vierge (ou petit office). Les bĂ©guines ne sachant pas lire ou accaparĂ©es par leurs travaux rĂ©citaient une sĂ©rie dâAve Maria et quelques psaumes[104].
Un autre Ă©lĂ©ment important Ă©tait le silence. Le grand silence quotidien commençait le soir aux complies et se terminait le matin en semaine par le chant des matines, et le dimanche aprĂšs la messe. Le travail de la journĂ©e Ă©tait lui aussi placĂ© sous le signe de lâesprit contemplatif et devait sâaccomplir autant que possible en silence. Toute activitĂ© Ă©tait du reste subordonnĂ©e Ă lâidĂ©al contemplatif. Dans beaucoup de bĂ©guinages, lâapostolat, en particulier le soin aux malades, occupait une place importante[13].
Au XVe siĂšcle, lâactivitĂ© chorale prit dans le clos de la Vigne une place de plus en plus considĂ©rable, par suite du recrutement croissant de bĂ©guines dans les milieux aisĂ©s. DorĂ©navant, la liturgie allait occuper une place centrale dans la spiritualitĂ© du bĂ©guinage de Bruges, et la vie tout entiĂšre Ă©tait Ă prĂ©sent suspendue au saint office, lâOffice romain. Cependant, cette Ă©volution Ă©tait de nature Ă bouleverser le style de vie des bĂ©guines, une distinction sâĂ©tant en effet instaurĂ©e entre bĂ©guines choristes et bĂ©guines auxiliaires. Les choristes se faisaient nommer « mademoiselle », la grande-maĂźtresse « grande-dame » ou « grande-mademoiselle ». Les bĂ©guines tendirent ainsi Ă sâĂ©carter de plus en plus dâune vie quasi-monastique pour dĂ©river lentement mais sĂ»rement vers les usages propres aux chanoinesses sĂ©culiĂšres. Progressivement, les convents et la vie en collectivitĂ© disparurent presque totalement. Les demoiselles vivaient pour la plupart seules et disposaient dâun haut degrĂ© dâindĂ©pendance ; elles pouvaient aller et venir Ă leur grĂ© et ne devaient ĂȘtre prĂ©sentes que pour les rĂ©unions du chapitre et pour les offices â en somme, la mĂȘme libertĂ© de mouvement que les prĂȘtres sĂ©culiers[13].
Dépérissement de la spiritualité béguinale
Au XIXe siĂšcle, les autoritĂ©s ecclĂ©siastiques se dĂ©solaient de voir dĂ©pĂ©rir le bĂ©guinage de Bruges, redoutant que la fin des bĂ©guines ne signifiĂąt que lâenclos, y compris lâĂ©glise, fĂ»t affectĂ© Ă des destinations profanes, et il ne manquait dâailleurs pas dâidĂ©es et de projets en ce sens (transformation en un quartier ouvrier, en une citĂ© pour gendarmes Ă la retraite, en hospice pour infirmiĂšres etc.)[105]. Le dernier curĂ© (« recteur ») du bĂ©guinage de Bruges, Rodolphe Hoornaert, fut lâartisan, dans les dĂ©cennies 1920 et 1930, dâun renouveau spirituel et matĂ©riel du bĂ©guinage brugeois. Neveu dâHector Hoornaert, avant-dernier curĂ© de la Vigne, nommĂ© Ă ce poste en 1900, Rodolphe subit lâinfluence de son oncle. Celui-ci voua ses derniĂšres annĂ©es Ă la rĂ©daction dâĂ©crits mystiques et ascĂ©tiques. En 1921 parut son maĂźtre-livre, Ce que câest quâun bĂ©guinage, oĂč il se rĂ©vĂ©la comme un prĂȘtre ultramontain et antimoderne, dans la droite ligne de GĂ©nie du christianisme de Chateaubriand. Il agit vigoureusement contre les acquis de la RĂ©volution française et contre les principes matĂ©rialistes du socialisme, qui selon lui conduisaient Ă la dĂ©cadence morale et intellectuelle et Ă la confusion sociale[27] - [106]. Hector Hoornaert voulut appliquer au bĂ©guinage de Bruges, alors Ă lâagonie, les principes quâil professait dans son ouvrage, et espĂ©rait pouvoir le faire revivre en lui rendant sa prospĂ©ritĂ© matĂ©rielle. Il lui paraissait significatif quâen dĂ©pit de la RĂ©forme et de la RĂ©volution française les bĂ©guinages avaient persistĂ© dans leur existence, ce qui prouvait leur force vitale et leur nĂ©cessitĂ© sociale. Le renouveau chrĂ©tien dont Hoornaert escomptait quâil adviendrait Ă son Ă©poque allait selon lui donner un regain de vie aux bĂ©guinages. Au lendemain de la PremiĂšre Guerre mondiale, il ira jusquâĂ voir une analogie entre les premiĂšres bĂ©guines (rĂ©sultat de lâexcĂ©dent de femmes Ă la suite des croisades) et les bĂ©guines modernes ; beaucoup de filles restĂ©es seules aprĂšs la guerre pourraient ĂȘtre recueillies dans les nouveaux bĂ©guinages[107]. Son neveu Rodolphe Hoornaert, dĂ©signĂ© curĂ© du bĂ©guinage de Bruges en 1922, crut Ă©galement, dans les premiĂšres annĂ©es de son sacerdoce dans la Vigne, Ă une renaissance possible de la vie bĂ©guinale, mais sâaperçut aprĂšs trois ans que pour sauver le bĂ©guinage en tant que communautĂ© religieuse, une autre formule serait nĂ©cessaire[108].
Rodolphe Hoornaert, qui avait une connaissance approfondie du mysticisme flamand et espagnol (il avait soutenu une thĂšse de doctorat sur sainte ThĂ©rĂšse dâAvila), laissa une abondante production Ă©crite, presque entiĂšrement en rapport avec lâascĂ©tisme et le mysticisme[109]. Estimant que la valeur artistique et historique du bĂ©guinage et sa signification religieuse Ă©taient indissociables, il sâopposa immĂ©diatement aux projets de rĂ©affectation du site envisagĂ©s par la municipalitĂ©. Il Ă©tait convaincu quâune rĂ©forme vigoureuse de lâinstitution Ă©tait nĂ©cessaire pour Ă©viter que le complexe de bĂątiments ne fĂ»t soustrait Ă la tutelle de lâĂglise et fut en cela soutenu par son Ă©vĂȘque. Il comprit que la vie de bĂ©guine Ă lâancienne ne prĂ©sentait plus guĂšre dâattrait pour ses contemporains, et quâil Ă©tait impĂ©ratif de songer Ă une autre forme de vie religieuse. Il prit finalement le parti, aprĂšs bien des hĂ©sitations, de fonder un nouveau couvent. Les archives de Rodolphe Hoornaert indiquent que celui-ci crut au dĂ©but Ă une rĂ©surgence de lâancien bĂ©guinisme, tĂ©moin le fait quâil avait imaginĂ© dâorganiser un congrĂšs oĂč les supĂ©rieures des bĂ©guinages subsistants se rencontreraient pour dĂ©battre sur les moyens de susciter de nouvelles vocations et, sâil y a lieu, sur une modernisation des statuts bĂ©guinaux ; les dominicains, les patrons des bĂ©guines, eussent aussi Ă©tĂ© conviĂ©s Ă ce congrĂšs. Afin dâobtenir des appuis Ă son projet de rĂ©forme, il avait rĂ©digĂ© des livres en ce sens, dont une brochure intitulĂ©e Het Brugsch begijnhof (1926), dans laquelle il appela les curĂ©s de paroisse Ă favoriser des vocations pour le bĂ©guinage, et prononcĂ© une sĂ©rie de confĂ©rences. En particulier, dans sa confĂ©rence Question fĂ©minine et BĂ©guinage, il sâĂ©tait encore obstinĂ© Ă dĂ©fendre le bĂ©guinat ancienne maniĂšre : « cette idĂ©e reste extrĂȘmement souple et se laisse excellemment adapter Ă la vie moderne », y avait-il dĂ©clarĂ© ; le dĂ©clin du bĂ©guinage de Bruges, pensait-il alors, nâĂ©tait pas imputable Ă une rĂšgle de vie surannĂ©e, mais aux Ă©vĂ©nements et situations consĂ©cutifs Ă la RĂ©volution française[110].
Abandon de lâidĂ©e de bĂ©guinage
Cependant, la vision de Rodolphe Hoornaert finit par changer, et il jugea en définitive que le formule conventuelle serait la solution la plus propice à un renouveau matériel et spirituel de la Vigne. Il nota :
« Je nâai jamais mĂ©sestimĂ© la douce vie feutrĂ©e des derniĂšres survivantes dâune tradition illustre, mais passĂ©e depuis longtemps. Je ne lâai plus trouvĂ©e quâĂ©quivoque. Car cette dĂ©nomination (bĂ©guine) est ambiguĂ« : elle reprĂ©sente une tradition spirituelle prodigieuse et est en mĂȘme temps synonyme de vertueuse mĂ©diocritĂ©[111]. »
Rodolphe Hoornaert avait Ă lâesprit un programme clair :
« ici doit renaĂźtre un centre de vie spirituelle intense dans la belle tradition mystique du XIVe siĂšcle flamand. [âŠ] Et au dĂ©part de ce centre, des apĂŽtres ardents devront partir qui annonceront dans le monde la connaissance et lâamour de la priĂšre liturgique, qui se voueront dans les paroisses Ă la beautĂ© du culte comme moyen dâaction sur les Ăąmes, et qui dans cette tĂąche difficile seront finalement au service de ceux qui, de par leur office, ont Ă porter la responsabilitĂ©[112] »
Hoornaert voulut donc restaurer dans la Vigne lâesprit mystique originel du XIVe siĂšcle. Il se proposait de rĂ©unir un groupe de femmes autour des trois grands courants qui dĂ©terminaient la vie religieuse catholique de lâentre-deux-guerres : la contemplation, la liturgie et lâapostolat. Lâorientation contemplative dĂ©coule de la rĂšgle des dĂ©buts du bĂ©guinisme, telle que fixĂ©e dans la charte fondatrice ; il sâagissait de faire du bĂ©guinage un « centre ardent de vie contemplative ». Quant Ă lâorientation liturgique, elle allait devenir un trait spĂ©cifique du bĂ©guinage de Bruges. Depuis le XVIIe siĂšcle, lâoffice choral avait Ă©tĂ© le fait central Ă la Vigne, ce que Hoornaert entendait faire revivre. Enfin, la communautĂ© Ă fonder devait se vouer Ă lâapostolat. Quoique celui-ci ne fĂ»t que peu pratiquĂ© au bĂ©guinage de Bruges dans les siĂšcles passĂ©s, Hoornaert souhaitait intĂ©grer le bĂ©guinage dans le mouvement missionnaire qui caractĂ©risait lâĂglise catholique dâalors ; toutefois, le bĂ©guinage aurait Ă exercer un « apostolat caractĂ©ristique », que Hoornaert envisageait comme un « apostolat de la paix ». Pour la nouvelle communautĂ© quâil avait en vue, il opta pour lâ« apostolat liturgique », ce qui lui permettrait Ă la fois de renouer avec la rĂšgle de vie contemplative et liturgique des anciennes bĂ©guines et de sâarrimer au Mouvement liturgique de sa propre Ă©poque moderne[113].
Les filles de saint BenoĂźt
Sans doute cela [=lâoraison contemplative] peut se faire Ă©galement derriĂšre la grille dâun Carmel ou dâun couvent de Clarisses ; mais toutes les Ăąmes que le monde dĂ©goĂ»te nâont pas toujours les dispositions physiques, moins souvent encore les dispositions morales qui permettent de sâacclimater dans ces ordres sĂ©vĂšres. Elles trouveront ici [=dans le bĂ©guinage de Bruges] la mĂȘme dĂ©votion, le mĂȘme recueillement, presque les mĂȘmes facilitĂ©s pour sâisoler du monde et vivre une vie dâunion « seule avec le Seul » selon la formule carmĂ©litaine, puisquâĂ plus dâun Ă©gard la vie bĂ©guinale peut ĂȘtre assimilĂ©e Ă la vie des chartreux. Cet habituel Ă©tat de priĂšre dont parle Mgr de SĂ©gur, cet Ă©tat dâattention Ă la prĂ©sence de Dieu, de vigilance et de paix est Ă©minemment entretenu par lâatmosphĂšre quiĂšte et dĂ©pouillĂ©e de bruit de notre Enclos pacifique, et il serait vain de penser quâil est au monde un endroit plus propice aux trois moyens que S. Alphonse exige pour obtenir lâĂ©tat de perpĂ©tuelle oraison : Ă savoir, le silence, la solitude et la prĂ©sence de Dieu. |
Rodolphe Hoornaert (1924)[114] |
En 1924, Rodolphe Hoornaert rĂ©digea, Ă lâintention de la future communautĂ© bĂ©guinale, la dĂ©nommĂ©e notice abrĂ©gĂ©e, version remaniĂ©e et modernisĂ©e de lâancienne rĂšgle de vie. Cette nouvelle communautĂ© serait destinĂ©e Ă se vouer Ă la priĂšre, Ă la mĂ©ditation et Ă lâapostolat, soit un schĂ©ma de vie plus strict, appuyĂ© sur le grand office : priĂšre chorale, alternant avec la mĂ©ditation personnelle et le travail. La notice Ă©tait assez proche de lâesprit et du mode de vie des bĂ©guines du XVIe siĂšcle, cependant avec une place plus grande, quoique limitĂ©e encore, accordĂ©e Ă lâapostolat. Les nouvelles professes que Hoornaert avait Ă lâesprit Ă©taient des femmes qui se sentaient attirĂ©es par la vie conventuelle, mais ne se sentaient pas de taille Ă se soumettre au rĂ©gime austĂšre du Carmel ou des Clarisses. Elles devaient trouver au bĂ©guinage un milieu adaptĂ© Ă la pratique de la priĂšre, de lâĂ©tude et de lâascĂšse. Le rĂ©gime aristocratique, avec sa distinction entre religieuses choristes et auxiliaires, serait maintenu. Ces deux groupes devaient faire vĆu de chastetĂ© et dâobĂ©dience, mais, Ă lâinstar des anciennes bĂ©guines, le vĆu de pauvretĂ© ne leur serait pas prescrit[115].
Rodolphe Hoornaert commença ensuite une campagne visant Ă remettre le bĂ©guinage au centre de lâintĂ©rĂȘt public, dans le but dâattirer des candidates professes et de lever des fonds nĂ©cessaires Ă la restauration de lâenclos. En aoĂ»t 1925, il organisa Ă cet effet les JournĂ©es historiques, impressionnante Ă©vocation fictive de la fondation du bĂ©guinage en 1245 ; en mĂȘme temps fut cĂ©lĂ©brĂ©e la pĂ©rennitĂ© des bĂ©guines, prĂ©sentes pendant 700 ans sur le site de la Vigne. Sâadressant aux couches nanties, donc susceptibles de faire des dons au bĂ©guinage, la brochure dĂ©taillĂ©e qui accompagnait les festivitĂ©s Ă©tait rĂ©digĂ©e en français seulement. BientĂŽt tout ce qui avait un nom Ă Bruges sâĂ©tait dĂ©clarĂ© prĂȘt Ă soutenir le projet[116].
Il nâen manquait pas cependant pour critiquer le projet, notamment le prĂȘtre flamingant Michiel English, qui se dit perplexe de voir « lâinvĂ©tĂ©rĂ©e aristocratie francophone de Bruges Ćuvrer en faveur dâune institution flamande dĂ©mocratique par excellence » et attribua le dĂ©clin du bĂ©guinage Ă son rĂ©gime aristocratique, qui lâavait fait dĂ©vier de son but originel et dĂ©laisser les vertus de travail, pauvretĂ© et fraternitĂ©, conditions indispensables Ă la floraison des communautĂ©s monastiques, la richesse, lâesprit de caste, et la recherche du confort Ă©tant au contraire les symptĂŽmes du dĂ©clin proche[117].
En vue de recruter de nouvelles bĂ©guines, Hoornaert prononça des dizaines de confĂ©rences, toutes structurĂ©es en trois parties : histoire des bĂ©guines et de la Vigne ; Ă©vocation poĂ©tique de lâenclos et dĂ©monstration de sa valeur artistique et architecturale ; et signification religieuse actuelle de la vie bĂ©guinale. Ces efforts eurent un certain rĂ©sultat : 20 ans aprĂšs lâadhĂ©sion de la derniĂšre bĂ©guine, Hoornaert sut rassembler autour de lui un groupe de quatre femmes, qui prirent leurs quartiers dans la maison vacante no 3, dans des conditions de logement plutĂŽt primitives. Avec ces femmes, et les anciennes bĂ©guines, Hoornaert tenta de rĂ©organiser la vie dans le bĂ©guinage, ainsi que lâactivitĂ© liturgique. Dâautres postulantes arrivĂšrent en 1925, et en mai 1926, lâoffice de la Sainte-Vierge fut Ă nouveau rĂ©citĂ© dans le chĆur de lâĂ©glise[118].
Hoornaert se rendit compte bientĂŽt que cela ne suffisait pas. Devenu entre-temps oblat de saint BenoĂźt, et participant Ă ce titre aux retraites dans lâabbaye Saint-AndrĂ©, un peu au sud de Bruges, il lui fut donnĂ© de rencontrer Gaspar Lefebvre, qui venait de fonder un groupe de filles de Saint-BenoĂźt dans la ville française de NĂźmes, lesquelles, se disposant Ă se consacrer Ă lâapostolat, Ă©taient en quĂȘte dâun logis oĂč recevoir leur premiĂšre formation. Il faut rappeler que dans le dernier quart du XIXe siĂšcle, les couvents de bĂ©nĂ©dictins avaient connu un regain de vitalitĂ©, dans le sillage du renouveau catholique gĂ©nĂ©ral. En 1872 fut fondĂ©e lâabbaye de Maredsous, suivie de celle du Mont-CĂ©sar (Keizersberg) Ă Louvain en 1899, puis la mĂȘme annĂ©e lâabbaye Saint-AndrĂ© Ă Bruges. Lâordre dĂ©pĂȘchait des missionnaires au BrĂ©sil et fondait des monastĂšres au Congo, en Inde et en Chine. Dom Gaspar stimula lâapostolat liturgique et publia son cĂ©lĂšbre missel, traduit en huit langues. Les abbĂ©s Prosper GuĂ©ranger et Placide Wolter avaient la conviction que les femmes, affranchies des obligations pastorales, pouvaient mener plus facilement que les moines eux-mĂȘmes une vĂ©ritable vie bĂ©nĂ©dictine. Le noyau central de la spiritualitĂ© bĂ©nĂ©dictine Ă©tait double : « ora et labora » (prie et travaille). La priĂšre Ă©tait la premiĂšre prĂ©occupation tant des sĆurs missionnaires que de leurs consĆurs de rĂ©clusion, dâoĂč le rĂŽle de premier plan jouĂ© par lâOffice. Mais les bĂ©nĂ©dictines dĂ©ployaient aussi une activitĂ© sur nombre dâautres terrains. Si en effet la rĂšgle de saint BenoĂźt prescrit le travail, elle reste fort souple quant Ă la maniĂšre de donner corps Ă ce prĂ©cepte[119].
La fondation des Filles de saint BenoĂźt en 1926 se situait dans la droite ligne de ce large Ă©ventail dâactivitĂ©s proposĂ©es. Dom Gaspar Lefebvre avait lâintention de les former Ă devenir des auxiliaires de la spiritualitĂ© paroissiale, dâabord dans le diocĂšse de NĂźmes. Pur produit des idĂ©es qui avaient cours dans lâabbaye Saint-AndrĂ©, les Filles de saint BenoĂźt menaient une vie contemplative, mais Ă©taient aussi investies dâune mission pastorale et missionnaire, plus prĂ©cisĂ©ment lâapostolat liturgique. Elles nâĂ©taient pas cependant de vĂ©ritables moniales, nâayant pas fait de vĆux solennels et ne vivant pas dans un reclus. Dom Lefebvre voulait les constituer en deux branches, les membres internes, qui devaient mener la vie dâun couvent bĂ©nĂ©dictin, lire le brĂ©viaire et accomplir un travail spirituel, et des sĆurs ordinaires, qui rĂ©citeraient le rosaire et effectueraient un travail manuel domestique, en plus des oblates, qui resteraient chez elles et seraient mises Ă contribution pour le travail pastoral dans les paroisses. Lâapostolat liturgique se manifesterait concrĂštement par lâorganisation de cours de musique et de chant, la mise sur pied de cercles de couture et dâateliers dâart ecclĂ©siastique, lâenseignement des formules de priĂšre etc[120].
Les Filles de lâĂglise
Dom Gaspar Lefebvre recherchait pour sa communautĂ© une maison oĂč les femmes pourraient recevoir leur premiĂšre formation et qui pĂ»t servir de base dâopĂ©rations pour leur apostolat. Rodolphe Hoornaert, comme oblat de saint BenoĂźt, flairant une chance unique, et au courant de ce que Gaspar Lefebvre risquait de devoir fermer son centre nĂźmois en raison de difficultĂ©s financiĂšres, songea aussitĂŽt au clos de la Vigne et dĂ©cida en octobre 1926 de se rendre Ă NĂźmes pour y observer de prĂšs le fonctionnement des Filles de saint BenoĂźt. Il fut bientĂŽt rĂ©solu de faire fusionner cette communautĂ© avec la sienne propre, et avec lâassentiment de lâĂ©vĂȘque de Bruges, la fusion devint rĂ©alitĂ© Ă lâĂ©tĂ© 1927. En juin, le groupe de NĂźmes arriva Ă Bruges, tandis que dans le mĂȘme temps Hoornaert admettait sept nouvelles recrues. Quatre Filles de saint BenoĂźt encore, Ă©tablies en dehors de NĂźmes, vinrent renforcer le groupe, fort Ă prĂ©sent de seize sĆurs. La grande-maĂźtresse du bĂ©guinage et les bĂ©guines restantes prirent le scapulaire monastique, devenant ainsi des religieuses conventuelles. La coiffe blanche et lâhabit des bĂ©guines furent cependant maintenus, pour signaler leur rattachement Ă une tradition sĂ©culaire[121].
Les religieuses approuvĂšrent Ă lâunanimitĂ© la proposition de Hoornaert dâappeler la nouvelle communautĂ© Filles de lâĂglise (en nĂ©erlandais Dochters van de Kerk). Elles chanteraient dans le chĆur non lâoffice monastique, mais le Grand Office romain, qui fut rĂ©instaurĂ© intĂ©gralement en septembre 1928, et vivraient pour le reste comme des bĂ©nĂ©dictines. Le mode de vie de la nouvelle communautĂ© serait en grande partie calquĂ©e sur celle des Filles de saint BenoĂźt : une partie des religieuses demeureraient dans le couvent pour y mener une vie contemplative ; lâautre partie sâadonnerait Ă lâapostolat liturgique dans les paroisses, et se constituerait, aprĂšs sa formation Ă la Vigne, en petits groupes Ă©pars[29].
Ă sa fondation, les filles de lâĂglise reçurent, sur recommandation de lâĂ©vĂȘque Waffelaert, le statut dâassociation pieuse, statut moins sĂ©vĂšre que celui dâune congrĂ©gation religieuse de plein droit. Selon ce statut, les membres ne devaient prononcer, lors de la profession (Ă lâissue de six mois de postulat et une annĂ©e de noviciat), que deux vĆux : obĂ©issance et chastetĂ©, vĆux de surcroĂźt ordinaires, et non solennels. Quant au troisiĂšme vĆu, la pauvretĂ©, il nâĂ©tait pas impĂ©ratif ; les sĆurs en contrepartie promettaient de vivre sobrement Ă tous Ă©gards, mais elles pouvaient continuer Ă disposer de leurs biens. Trois formules Ă©taient prĂ©vues : le droit de disposer de tous ses biens, moyennant observance de tous les prĂ©ceptes en matiĂšre de la vertu dâindigence ; vivre de son propre travail, notamment lâartisanat d'art, la dentelle, cours privĂ©s ; cession dâun trousseau suffisamment consĂ©quent pour financer lâentretien au bĂ©guinage ou acquitter une contribution annuelle. Les femmes pouvaient ainsi, le cas Ă©chĂ©ant, quitter le groupe plus facilement aprĂšs une pĂ©riode dâessai. Ces statuts, basĂ©s sur la Notice abrĂ©gĂ©e de Hoornaert de 1924, comprenant des Ă©lĂ©ments puisĂ©s tant dans la rĂšgle bĂ©nĂ©dictine (priĂšre, travail, humilitĂ©) que dans lâancien rĂ©gime bĂ©guinal (y compris la distinction aristocratique entre choristes et auxiliaires), furent approuvĂ©s par lâĂ©vĂȘque en mars 1928[122].
Le maintien du distinguo aristocratique, qui du reste existait aussi dans dâautres couvents, fut dĂ©fendu par Hoornaert pour trois raisons. Dâabord, il sâagissait dâune donnĂ©e historique dans le clos de la Vigne ; ensuite, la situation sociologique de lâĂ©poque, oĂč la scolaritĂ© obligatoire venait seulement dâĂȘtre instaurĂ©e, faisait que beaucoup de jeunes femmes nâavait que peu dâinstruction, alors que la connaissance du latin Ă©tait indispensable Ă la pratique si essentielle de la priĂšre chorale ; enfin, une raison pratique tenant Ă la longueur des offices, rendant nĂ©cessaire le travail des aidantes, des petites sĆurs (Hoornaert ne souhaitant pas faire appel Ă des aidants laĂŻcs). Les petites sĆurs, dont le statut ne sera dĂ©finitivement fixĂ© quâen 1934, nâavaient pas voix au chapitre et se voyaient assigner une place sĂ©parĂ©e dans le chĆur. Leur vĂȘture Ă©tait plus simple et elles rĂ©pĂ©taient leurs vĆux annuellement au lieu de prononcer des vĆux perpĂ©tuels. AprĂšs la guerre cependant, les deux catĂ©gories de religieuses nâen formeront plus quâune[123].
LâautoritĂ© Ă©manait de lâĂ©vĂȘque de Bruges, et son reprĂ©sentant, Rodolphe Hoornaert, fut nommĂ© recteur (curĂ©) de la petite paroisse bĂ©guinale. Ă la tĂȘte du groupe de religieuses se trouvait la prieure, qui garda dans un premier temps son titre de grande-demoiselle ; Ă ses cĂŽtĂ©s se tenaient une vice-supĂ©rieure et quatre dames conseillĂšres, ainsi quâun chapitre conventuel[124].
Deux ans aprĂšs la fondation, le couvent comptait 26 sĆurs, la pauvretĂ© Ă©tait rĂ©ellement observĂ©e dans la pratique, et il y rĂ©gnait un rĂ©gime religieux et communautaire strict. Câest pourquoi Henricus Lamiroy, successeur de Waffelaert, introduisit Ă Rome une demande dâinstitution canonique, demande qui ne sera toutefois agrĂ©Ă©e que onze ans plus tard[123].
Mode de vie et tensions au sein de la communauté
Les filles de saint BenoĂźt, en tant que membres de la communautĂ© bĂ©nĂ©dictine, sâĂ©taient destinĂ©es Ă lâapostolat liturgique, et considĂ©raient donc leur sĂ©jour Ă la Vigne comme temporaire, le temps de suivre une formation, avant dâessaimer vers les paroisses, sous rĂ©serve de revenir de temps Ă autre au bĂ©guinage de Bruges en vue dâune formation, dâune retraite etc. Rodolphe Hoornaert cependant mettait avant tout lâaccent sur une vie monastique stable, centrĂ©e sur lâoraison vocale dans lâĂ©glise sous la forme du brĂ©viaire romain quotidien dans le chĆur. Non moins important Ă©tait Ă ses yeux la priĂšre mentale intĂ©rieure, sous-tendue par une vie de contemplation silencieuse et dâabnĂ©gation ; lâapostolat liturgique, qui devait viser Ă instiller un esprit liturgique chez les croyants, devait ĂȘtre un produit dĂ©rivĂ© ultĂ©rieur de ces attitudes fondamentales[125]. « Le premier but est lâĂȘtre religieux, ce nâest quâaprĂšs que lâon pourra faire toutes sortes de travaux », dĂ©clara-t-il[126]. Il y reviendra en 1947 encore : « Il reste beaucoup Ă faire ; nous ne sommes pas encore suffisamment forts. Nous devons dâabord nous tenir plus fortement encore, avoir une base solide. Quelque jour, nous essaimerons, mais il faut dâabord que de nouvelles recrues nous viennent »[127]. Certes, quelques annĂ©es aprĂšs la fondation, Hoornaert crĂ©a un autre groupe, les addicten van de Wijngaard, oblates qui jouissaient dâune plus grande latitude, avaient le loisir de donner un coup de main dans les paroisses et pouvaient mĂȘme vivre dans le siĂšcle. Les filles de NĂźmes cependant, frustrĂ©es de ne pouvoir faire de lâapostolat, quittĂšrent le bĂ©guinage une Ă une ; des onze NĂźmoises, seules deux resteront comme religieuses Ă Bruges[125]. On peut remarquer que, dans les premiers temps, une ambivalence, ou dichotomie, semblable caractĂ©risait le mouvement bĂ©guinal lui-mĂȘme (avant quâil ne fĂ»t subordonnĂ© Ă une rĂšgle fixe et avalisĂ©e par lâĂglise), les bĂ©guines primitives en effet dĂ©sirant Ă la fois dĂ©velopper une spiritualitĂ© propre et dĂ©tachĂ©e, Ă forte propension de mysticisme, et garder nĂ©anmoins le contact avec la sociĂ©tĂ© environnante, sous la forme de lâapostolat, compris comme une vie associant indigence, priĂšre, travail, existence itinĂ©rante, chastetĂ©, connaissance des Ăcritures et efforts de conversion des pĂ©cheurs, Ă lâimage de François dâAssise et des apĂŽtres[128].
Dans le clos de la Vigne, lâon vivait comme dans une abbaye de bĂ©nĂ©dictins : grand office, messe conventuelle, trois demi-heures de mĂ©ditation axĂ©es sur la dĂ©votion Ă la sainte TrinitĂ©. Les Filles de lâĂglise mettaient leur vie intĂ©rieure au diapason du cycle de priĂšres officiel de lâĂglise. Grand cas Ă©tait fait de la priĂšre chorale, pour laquelle il Ă©tait fait appel au brĂ©viaire romain. Tous les matins Ă sept heures moins le quart, la communautĂ© cĂ©lĂ©brait lâeucharistie[129]. La messe et la priĂšre chorale occupaient toujours une place centrale dans la spiritualitĂ© de la Vigne. Le recteur Hoornaert Ă©tait sur ce point un perfectionniste, exigeant des sĆurs ponctualitĂ© et excellence. Non moins importantes Ă©taient la mĂ©ditation personnelle et lâoraison contemplative, et Ă trois occasions chaque jour (le matin avant la messe, midi et soir) une demi-heure lui Ă©tait consacrĂ©e. Ce type de mĂ©ditation en rĂ©alitĂ© renouait avec lâĂ©cole mystique flamande du XIVe siĂšcle et, par lĂ , avec les racines du bĂ©guinisme, Ă savoir Ruusbroeck, Gerlach Peters (1378-1411) et plus particuliĂšrement lâImitation de JĂ©sus-Christ de Thomas a Kempis. Les trois temps de lâoraison silencieuse sont consacrĂ©s respectivement au PĂšre (matin), au Fils (midi) et au saint Esprit (soir). La priĂšre et la liturgie enfin Ă©taient alimentĂ©es par des lectures spirituelles et par des retraites. Chaque mois, les sĆurs assistaient Ă une confĂ©rence donnĂ©e par le recteur, un autre prĂȘtre ou un moine bĂ©nĂ©dictin. La prieure donnait elle aussi chaque semaine une allocution lors des habituelles sĂ©ances de rĂ©primande pendant le chapitre. Chaque mois, une journĂ©e de recollection Ă©tait organisĂ©e, et chaque annĂ©e, les sĆurs participaient Ă une retraite de huit jours, Ă lâoccasion de laquelle elles renouvelaient leurs vĆux[130].
En principe, les sĆurs Ă©taient tenues dâobserver le silence durant toute la journĂ©e, sauf pendant les moments de dĂ©tente et lorsque le travail demandait que lâon se concertĂąt. On se rendait en silence Ă lâĂ©glise, et les repas se passaient Ă©galement en silence. Le grand silence nocturne commençait Ă lâangĂ©lus le soir et se prolongeait jusquâĂ la messe du matin. Dans la droite ligne du bĂ©guinisme, et en accord avec lâesprit de saint BenoĂźt, qui reconnaissant la valeur de la vie dâermite, la prieure pouvait, aprĂšs consultation de son conseil et du chapitre, accorder Ă une religieuse la permission de se retirer dans une vie plus solitaire pour un laps de temps dĂ©terminĂ©. La rĂšgle de la clĂŽture (câest-Ă -dire lâinterdiction dâaccĂšs aux non religieuses de certains espaces rĂ©servĂ©s) Ă©tait de rigueur pour les bĂątiments conventuels et tous les bĂątiments de la congrĂ©gation, y compris le monastĂšre et le noviciat. Les sĆurs ne pouvaient quitter lâenclos quâavec lâautorisation expresse de la prieure, et une autorisation Ă©tait Ă©galement requise pour passer la nuit au dehors. Les sĆurs devaient Ă©viter de quitter le bĂ©guinage aux jours de fĂȘte et les dimanches ou pendant les recollections et les retraites, et sâappliquer en tous cas Ă ĂȘtre de retour pour les offices. En pratique, et nonobstant ces prĂ©ceptes sĂ©vĂšres, il Ă©tait gĂ©nĂ©ralement permis aux sĆurs de se vouer Ă dâautres tĂąches, en particulier aux travaux apostoliques. Rodolphe Hoornaert a lui aussi toujours interprĂ©tĂ© ces rĂšgles assez librement. Chaque sĆur se voyait confier une tĂąche dĂ©terminĂ©e, Ă accomplir entre priĂšre, mĂ©ditation et offices ; chaque annĂ©e, au premier dimanche de lâavent, la prieure rĂ©partissait les tĂąches en concertation avec son conseil[131].
Travaux apostoliques
Une sĂ©rie dâinitiatives sur le plan de lâapostolat aboutit Ă ce quâil y eut bientĂŽt un apostolat spĂ©cifique aux Filles de lâĂglise. Selon les mots de Hoornaert, « cet apostolat consiste Ă faire connaĂźtre partout la beautĂ© et lâutilitĂ© de la priĂšre liturgique, dâen enseigner la formule officielle, surtout dans les paroisses, et de venir en aide aux curĂ©s de paroisse ». Lâapostolat pouvait revĂȘtir deux formes : lâapostolat interne (sur le site mĂȘme de la Vigne) et externe (dans les paroisses) ; dans les premiers temps de la communautĂ©, lâaccent reposait sur la premiĂšre forme[132]. Parmi ces travaux apostoliques, signalons la confection de vĂȘtements liturgiques. Un cercle de couture missionnaire existait dans le bĂ©guinage de Bruges dĂšs avant la fondation des Filles de lâĂglise. Une quarantaine de dames et demoiselles brugeoises se rĂ©unissaient rĂ©guliĂšrement Ă la Vigne, dans la maison au no 11 pour produire des vĂȘtements Ă lâusage des missions outre-mer, tant Ă lâintention des ecclĂ©siastiques sur place que de la population indigĂšne. Chaque Ă©tĂ©, une grande exposition Ă©tait organisĂ©e, oĂč une partie des objets fabriquĂ©s Ă©taient offerts Ă la vente. Ce cercle de couture continuera dâexister jusquâen 1975[133]. Citons Ă©galement lâAtelier Fra Angelico, qui vit le jour en 1931 et dont la mission Ă©tait de pratiquer les arts plastiques Ă des fins liturgiques, produisant des affiches, des images pieuses, et des patrons de couture pour vĂȘtements religieux, exĂ©cutĂ©s ensuite par le cercle de couture. Lâanimatrice de lâatelier, sĆur Marie-AgnĂšs (Antoinette Widerhorn), Ă©tait par ailleurs lâauteur dâouvrages dâhistoire de lâart, Ă©crivait la chronique du couvent, remplissait lâoffice dâarchiviste, et entretenait une correspondance avec Jacques Maritain[134].
Un aspect important de lâapostolat Ă lâintĂ©rieur du couvent Ă©tait lâacolytat et le lectorat. Le Centre de formation des acolytes vit le jour en 1935. Hoornaert rĂ©cusait le terme dâenfant de chĆur, estimant que la place de lâacolyte est auprĂšs de lâautel, non pas dans le chĆur, et institua un Ăąge minimum de 14 ans pour cette fonction. Cette formation des acolytes eut bientĂŽt un retentissement national et international. AprĂšs une interruption pendant la Seconde Guerre mondiale, une journĂ©e diocĂ©saine des acolytes fut instituĂ©e, qui, en 1952 p. ex., rĂ©ussit Ă rassembler 580 acolytes et 50 prĂȘtres, avec la pleine collaboration des Filles de lâĂglise. Lâinitiative fut encouragĂ©e par le pape Pie XII en 1954, et aboutira en 1966 Ă la crĂ©ation du Coetus Internationalis Ministrantium (CIM), avec en 1967 des reprĂ©sentants de 13 pays, et prĂ©sidĂ© par Rodolphe Hoornaert, auquel succĂ©dera en 1969 Jean-Marie Maury, Ă©vĂȘque de Reims[135].
Une des premiĂšres initiatives prises par Hoornaert aprĂšs la fondation de son prieurĂ© fut de lâĂ©quiper en vue dâaccueillir des hĂŽtes. En 1926 fut crĂ©Ă©e un centre de retraites, oĂč lâon pouvait (et oĂč lâon peut encore) observer les activitĂ©s et Ă©tudier la spiritualitĂ© du prieurĂ©, suivre une formation liturgique, sâinitier au chant grĂ©gorien, ou passer quelques jours dans lâisolement. Pour diffuser la connaissance de la liturgie, le prieurĂ© lança plusieurs publications, notamment, Ă partir de 1930, les Cahiers du BĂ©guinage de Bruges, rebaptisĂ© Cahiers de la Vigne de Bruges en 1933, auxquels contribuaient, outre Rodolphe Hoornaert lui-mĂȘme, Gaspar Lefebvre et quelques moines de lâabbaye Saint-AndrĂ©. Les Cahiers de la Vigne, qui toutefois furent bientĂŽt accaparĂ©s et Ă©ditĂ©s par ladite abbaye, paraĂźtront au rythme trimestriel jusque fin 1991. Le prieurĂ© cependant voulut avoir aussi ses propres capacitĂ©s Ă©ditoriales, Ă lâeffet de quoi furent mises sur pied Les Ăditions de la Vigne en 1935[133].
Ă signaler encore, dans lâordre de lâapostolat interne, la fondation en 1929 du Cercle de lecture François de Sales, qui fut ensuite confiĂ© aux soins des Filles de lâĂglise et qui compta plus de trois centaines de membres en 1935. Dans les annĂ©es 1930, une coordination de ces diffĂ©rentes activitĂ©s apostoliques sâimposant, le Centre dâĂ©tudes et dâaction liturgiques (CELA) fut crĂ©Ă©, dont le cĆur Ă©tait le SecrĂ©tariat dâinformation liturgique, qui informait gratuitement les prĂȘtres, marguilliers, laĂŻcs etc. sur des sujets liĂ©s Ă la liturgie, en collaboration avec lâAbbaye du Mont-CĂ©sar (Keizersberg) de Louvain. Actuellement, le centre, renommĂ© Centre de documentation et dâaction sur la bible, la catĂ©chĂšse, la liturgie et lâĆuvre pastorale, puis tout simplement Centre liturgique, est hĂ©bergĂ© au no 4 du bĂ©guinage[136].
Dans le domaine de lâapostolat externe, il convient de souligner le rĂŽle proĂ©minent des sĆurs laĂŻques de la Vigne, dont le groupe fut crĂ©Ă© trois ans aprĂšs la fondation des Filles de lâĂglise, avec un rĂšglement approuvĂ© en 1930 par lâĂ©vĂȘque Waffelaert. Il sâagissait en particulier de jeunes filles qui pour diverses raisons (santĂ© prĂ©caire, obligations familiales et autresâŠ) nâĂ©taient pas aptes Ă la vie conventuelle, mais dĂ©siraient y participer autant que faire se pouvait. Ces sĆurs laĂŻques Ă©taient destinĂ©es Ă jouer le rĂŽle de branche apostolique de la Vigne, le trait dâunion entre la vie monastique, oĂč lâidĂ©al chrĂ©tien Ă©tait vĂ©cu de la maniĂšre la plus parfaite possible mais oĂč lâon Ă©tait assez Ă©loignĂ© des vĂ©ritables obligations chrĂ©tiennes, et la masse des chrĂ©tiens, souvent trop absorbĂ©s par les prĂ©occupations du quotidien. Il y eut dĂšs le dĂ©part des sĆurs laĂŻques rĂ©guliĂšres (rĂ©sidant de façon permanente au couvent) et les sĆurs laĂŻques sĂ©culiĂšres (continuant Ă vivre dans leur famille et dans la paroisse, mais sâefforçant de rĂ©aliser dans leur milieu la vie pleine et entiĂšre de leur famille spirituelle). Ă cĂŽtĂ© de leur travail dans la paroisse, les sĆurs laĂŻques sĂ©culiĂšres Ă©taient tenues dâassister activement Ă lâeucharistie, de rĂ©citer le brĂ©viaire et de prier et de mĂ©diter pendant au moins une demi-heure quotidiennement, en plus de la retraite annuelle et des trois assemblĂ©es gĂ©nĂ©rales Ă lâoccasion de lâavent, du carĂȘme et du 8 septembre (fĂȘte de la NativitĂ© de la Vierge Marie). Ă lâissue dâune pĂ©riode de prĂ©paration, dâune durĂ©e variable, les sĆurs laĂŻques prononçaient des vĆux Ă©quivalant Ă la profession. Les effectifs des sĆurs laĂŻques sâĂ©levaient Ă huit en 1935 (dont sept sĂ©culiĂšres), Ă 14 en 1940, et Ă 24 en 1944 (dont 20 sĂ©culiĂšres)[137].
AprĂšs une interruption pendant la guerre, le couvent ne tarda pas Ă renouer avec lâapostolat externe, dĂ©pĂȘchant des religieuses vers la paroisse de mineurs de houille de Saint-Hubert Ă LiĂšge (sise au pied du mont Saint-Martin, et oĂč il y eut jadis un bĂ©guinage) et vers dâautres paroisses liĂ©geoises, oĂč elles se rendirent utiles dans la vie paroissiale en dispensant des cours de catĂ©chisme, en travaillant Ă la bibliothĂšque, en faisant les prĂ©paratifs des cĂ©rĂ©monies liturgiques, en assurant le secrĂ©tariat etc. Une mĂȘme activitĂ© fut dĂ©ployĂ©e dans la paroisse anversoise du Kiel (1955) et Ă NĂ©chin, Ă la frontiĂšre française. Sur les instances de lâĂ©vĂȘque Stourm dâAmiens, quelques sĆurs se rendirent en 1960 dans la paroisse Saint-Martin de cette ville, oĂč elles accomplirent les tĂąches paroissiales sur le modĂšle brugeois. Cette institution se dĂ©veloppa ensuite en un prieurĂ© situĂ© rue Millevoye qui prit nom de La Vigne Saint-BenoĂźt[138].
Reconnaissance au titre de congrĂ©gation et incorporation dans lâordre bĂ©nĂ©dictin
En avril 1948, Rodolphe Hoornaert obtint finalement la reconnaissance par le Vatican des Filles de lâĂglise au titre de congrĂ©gation de droit diocĂ©sain. En fĂ©vrier 1949, monseigneur Lamiroy procĂ©da, par une cĂ©rĂ©monie solennelle, Ă la fondation canonique des Filles de lâĂglise, oĂč les sĆurs renouvelĂšrent leurs vĆux, et oĂč celles qui ne les avaient pas encore prononcĂ©es, le firent Ă cette occasion, dâaprĂšs une nouvelle formulation comportant la promesse de chastetĂ©, dâobĂ©issance et de pauvretĂ©[139].
Les Filles de lâĂglise Ă©taient de facto des bĂ©nĂ©dictines, Ă©taient soutenues par lâabbaye Saint-AndrĂ© et vivaient selon la rĂšgle de saint BenoĂźt, et dĂ©siraient aussi ĂȘtre officiellement reconnues comme telles. Les premiĂšres dĂ©marches en ce sens ne furent pas entreprises avant 1953. Une nouvelle loi canonique prĂ©voyait la possibilitĂ© pour des moniales bĂ©nĂ©dictines, assujetties Ă la juridiction dâun Ă©vĂȘque local, de sâaffilier Ă la ConfĂ©dĂ©ration bĂ©nĂ©dictine, Ă condition de vivre et de travailler sous lâautoritĂ© dâun abbĂ© ou dâun monastĂšre selon lâesprit bĂ©nĂ©dictin, et dâen adresser une demande au primat. La demande fut introduite, et approuvĂ©e, en aoĂ»t 1962. En septembre 1990 enfin, les constitutions rĂ©novĂ©es des Filles de lâĂglise. SĆurs paroissiales bĂ©nĂ©dictines seront agrĂ©Ă©es par monseigneur Roger Vangheluwe, Ă©vĂȘque de Bruges[140].
En dĂ©cembre 1968, Rodolphe Hoornaert fut mis Ă la retraite par lâĂ©vĂȘque De Smedt, eu Ă©gard Ă son grand Ăąge (82 ans), aprĂšs avoir Ă©tĂ© recteur de la Vigne pendant 46 ans. Il put continuer Ă habiter son logis prĂšs du pont. Son successeur, le chanoine Paul François, vint prendre ses quartiers dans la maison no 9 du bĂ©guinage. Hoornaert mourut lâannĂ©e suivante[141].
Lâassociation De vrienden van de Wijngaard, crĂ©Ă©e en septembre 1983, fait paraĂźtre depuis aoĂ»t 1984 le trimensuel Wijngaardberichten. On y lit entre autres que les sĆurs participent rĂ©guliĂšrement Ă des semaines dâĂ©tude monastique, Ă des congrĂšs liturgiques, Ă des rĂ©unions bĂ©nĂ©dictines, diocĂ©saines etc. Le monastĂšre reçoit la visite dâautres abbayes et prieurĂ©s bĂ©nĂ©dictins, mais aussi de personnes cherchant Ă la Vigne recueillement et ressourcement[142].
Les habitantes du béguinage
Au rebours des Ă©poques antĂ©rieures, Rodolphe Hoornaert voulut Ă©largir la zone de recrutement de ses religieuses, socialement aussi bien que gĂ©ographiquement. En 1927, les Filles de lâĂglise avaient commencĂ© Ă seize : onze filles de Saint BenoĂźt, et cinq recrues de Hoornaert lui-mĂȘme. En 1935, le couvent comptait, malgrĂ© la dĂ©fection de la plupart des filles de Saint BenoĂźt, 22 religieuses, et en 1940, trente. Il sâagissait dâun groupe Ă©quilibrĂ©, avec une grande diversitĂ© de talents et dâextraction sociale. Beaucoup de sĆurs venaient de France, consĂ©quence de la fusion avec les filles de Saint BenoĂźt, desquelles finalement ne resteront que deux, dont Marie-GeneviĂšve, la future prieure. Le bĂ©guinage avait aussi quelques habitantes privĂ©es, qui ne vivaient pas dans le couvent lui-mĂȘme, mais dans les maisons de professes autour de la place centrale. NâĂ©tant pas conventuelles, ces femmes pieuses ne doivent pas participer aux exercices religieux, mais sont nĂ©anmoins tenues de respecter les heures de fermeture de lâenclos et la consigne de silence[143]. JusquâĂ aujourd'hui (2018), il n'y a pas dâautres habitants dans le bĂ©guinage de Bruges.
Le béguinage de Bruges dans la littérature et sous la plume des écrivains
Georges Rodenbach
En 1892 parut Ă Paris le roman Bruges-la-Morte de Georges Rodenbach, rĂ©cit symboliste qui apporta la gloire Ă son auteur et contribua Ă la renommĂ©e mondiale de la ville de Bruges. Celle-ci fait figure de personnage Ă part entiĂšre, de « personnage essentiel, associĂ© aux Ă©tats dâĂąme, qui conseille, dissuade, dĂ©termine Ă agir », ainsi que lâauteur le souligne dans un avertissement Ă lâorĂ©e de lâouvrage. Le personnage central, Hugues Viane, veuf depuis cinq ans, et inconsolable, est venu se fixer Ă Bruges « non pour chercher quelque remĂšde Ă son mal », mais au contraire « des analogies Ă son deuil dans de solitaires canaux et dâecclĂ©siastiques quartiers »[144] - [145]. Viane sâĂ©vertue ainsi Ă tisser une relation mĂ©taphorique et mĂ©tonymique entre la morte et Bruges, cette derniĂšre Ă©tant chargĂ©e, dans sa fonction de ville-miroir, de reprĂ©senter, du moins dans un premier temps, lâimage du couple parfait quâil formait avec son Ă©pouse[146]. La ville sert de support Ă la prĂ©servation du souvenir de la morte, et lâunivers de Viane est de la sorte « entiĂšrement dominĂ© par les ressemblances, analogies, Ă©quations, identitĂ©s, identifications, calques, reflets, conformitĂ©s, parallĂšles » ; lâidentification de la morte avec le gisant de Marie de Bourgogne dans lâĂ©glise Notre-Dame nâest quâune seule parmi une foule de ces analogies[147]. Ce rĂŽle de support au souvenir sera ensuite assumĂ© par un sosie de la morte, rencontrĂ© fortuitement dans la rue. Ă cĂŽtĂ© de cette relation mĂ©taphorique et mĂ©tonymique qui unit Bruges Ă la morte, se superpose le rapport analogique entre lâĂąme de Viane et la ville oĂč il a choisi de rĂ©sider pour y vivre son veuvage ; le hĂ©ros est Ă lâunisson avec son environnement, qui lui sert de caisse de rĂ©sonance[148]. Dans ce tissage analogique et mĂ©taphorique, le bĂ©guinage nâest quâune piĂšce de lâassemblage parmi un ensemble dâautres, telles que les clochers de Notre-Dame et de la cathĂ©drale, à « lâombre lourde et impĂ©rieuse », la tour du beffroi, les canaux aux eaux stagnantes, les rues tortueuses, les « quais mortuaires au long desquels lâeau soupire », etc.[149] Pourtant, le bĂ©guinage sera appelĂ© Ă jouer un rĂŽle de premier plan (peut-ĂȘtre annoncĂ© dĂ©jĂ par certaines expressions imagĂ©es dans le premier tiers du livre, telles que « fenĂȘtres embĂ©guinĂ©es »[150] et « avec une curiositĂ© de bĂ©guines »[151]) quand, aprĂšs que le hĂ©ros a engagĂ© une liaison avec le sosie de la morte, liaison rĂ©prouvĂ©e et raillĂ©e par les Brugeois, il se heurte dĂ©sormais Ă la ville en tant quâ« instance coercitive et vindicative »[152] :
« Or la ville a surtout un visage de Croyante. Ce sont des conseils de foi et de renoncement qui Ă©manent dâelle, de ses murs dâhospices et de couvents, de ses frĂ©quentes Ă©glises Ă genoux dans des rochets de pierre. Elle commença Ă gouverner Hugues et Ă imposer son obĂ©dience. Elle devint un personnage, le principal interlocuteur de sa vie, qui impressionne, dissuade, commande, dâaprĂšs lequel on sâoriente et dâoĂč lâon tire ses raisons dâagir[153]. »
Cette ville croyante sâincarne au premier chef dans les cloches pĂ©remptoires, « nombreuses et jamais lassĂ©es », mais aussi bientĂŽt dans le bĂ©guinage, sous les espĂšces de la servante Barbe, dont la sĆur Rosalie est une bĂ©guine, et qui est elle-mĂȘme candidate Ă prendre le voile bĂ©guinal, prĂ©parant, en vue de sa future profession, le nĂ©cessaire trousseau dâentrĂ©e (« Elle y avait plusieurs amies parmi les bĂ©guines, et rĂȘvait, pour ses trĂšs vieux jours, quand elle aurait amassĂ© quelques Ă©conomies, dây venir elle-mĂȘme prendre le voile et finir sa vie comme tant d'autres â si heureuses ! â quâelle voyait avec une cornette emmaillotant leur tĂȘte d'ivoire ĂągĂ© »[154]). Or Barbe se voit enjoindre par Rosalie de dĂ©missionner de son emploi de servante Ă cause de lâinconduite de son maĂźtre. Cette injonction lui est faite pendant le repas Ă lâissue du saint office auquel elle assiste dans le bĂ©guinage ; câest Ă cette occasion que lâenclos de la Vigne est dĂ©crit comme suit par lâauteur (il y a lieu de noter ici que la topographie correspond assez peu Ă la rĂ©alitĂ©, puisque lâauteur semble Ă©voquer un bĂ©guinage de type urbain, câest-Ă -dire constituĂ© dâun rĂ©seau de rues, ce que nâest pas le bĂ©guinage de Bruges, qui sâorganise autour dâun enclos central, certes pourvu dâun appendice sous la forme de la rue dite De Steert, du reste toute droite ; il nâest donc nullement question dans le bĂ©guinage de Bruges de rues qui « tournent, obliquent et sâenchevĂȘtrent »[155]) :
« C'est pourquoi lâesprit obscur de la vieille servante sâextasiait par avance aux pompes des saints offices, tandis quâelle franchissait le pont arquĂ© du BĂ©guinage et pĂ©nĂ©trait dans lâenceinte mystique.
DĂ©jĂ , ici, le silence dâune Ă©glise ; mĂȘme le bruit des minces sources du dehors, dĂ©goulinĂ©es dans le lac, arrivant comme une rumeur de bouches qui prient ; et les murs, tout autour, des murs bas qui bornent les couvents, blancs comme des nappes de Sainte Table. Au centre, une herbe Ă©toffĂ©e et compacte, une prairie de Jean Van Evck, oĂč paĂźt un mouton qui a lâair de lâAgneau pascal.
Des rues, portant des noms de saintes ou de bienheureux, tournent, obliquent, sâenchevĂȘtrent, sâallongent, formant un hameau du moyen Ăąge, une petite ville Ă part dans lâautre ville, plus morte encore. Si vide, si muette, dâun silence si contagieux quâon y marche doucement, quâon y parle bas, comme dans un domaine oĂč il y a un malade.
Si par hasard quelque passant approche, et fait du bruit, on a lâimpression dâune chose anormale et sacrilĂšge. Seules quelques bĂ©guines peuvent logiquement circuler lĂ , Ă pas frĂŽlants, dans cette atmosphĂšre Ă©teinte ; car elles ont moins lâair de marcher que de glisser, et ce sont plutĂŽt des cygnes, les sĆurs des cygnes blancs des longs canaux. Quelques-unes, qui sâĂ©taient attardĂ©es, se hĂątaient sous les ormes du terre-plein, quand Barbe se dirigea vers lâĂ©glise dâoĂč venait dĂ©jĂ lâĂ©cho de lâorgue et de la messe chantĂ©e. Elle entra en mĂȘme temps que les bĂ©guines qui allaient prendre place dans les stalles, en double rang de boiseries sculptĂ©es, sâalignant prĂšs du chĆur. Toutes les coiffes se juxtaposaient, leurs ailes de linge immobilisĂ©es, blanches avec des reflets dĂ©calquĂ©s, rouge et bleu, quand le soleil traversait les vitraux. Barbe regarda de loin, dâun Ćil dâenvie, le groupe agenouillĂ© des SĆurs de la communautĂ©, Ă©pouses de JĂ©sus et servantes de Dieu, avec lâespoir, un jour aussi, dâen faire partie...
Elle avait pris place dans un des bas cĂŽtĂ©s de lâĂ©glise, parmi quelques fidĂšles laĂŻcs Ă©galement : vieillards, enfants, familles pauvres logĂ©es dans les maisons du BĂ©guinage qui se dĂ©peuple. Barbe, qui ne savait pas lire, Ă©grenait un gros rosaire, priant Ă pleines lĂšvres, regardant parfois du cĂŽtĂ© de sĆur Rosalie, sa parente, qui occupait la deuxiĂšme place dans les stalles aprĂšs la MĂšre RĂ©vĂ©rende[156]. »
Le roman parut dâabord en feuilleton dans le Figaro (du 4 au 14 fĂ©vrier 1892, en dix livraisons), avant dâĂȘtre Ă©ditĂ© en volume par la librairie Marpon & Flammarion quatre mois plus tard[157]. Cette premiĂšre Ă©dition Ă©tait dotĂ©e dâun frontispice de Fernand Khnopff reprĂ©sentant le personnage de Jane Scott (le sosie) Ă©tendue inanimĂ©e, avec en arriĂšre-plan le pont dâentrĂ©e du bĂ©guinage. Câest probablement aussi sur suggestion du mĂȘme Khnopff, fervent adepte de la photographie, que le livre fut illustrĂ© de 35 vues photographiques de la ville de Bruges[158]. Ces vues, qui nâavaient pas Ă©tĂ© faites expressĂ©ment pour le livre, mais tirĂ©es du fonds LĂ©vy et Neurdein et ajoutĂ©es a posteriori, sont sans rapport direct avec le texte et ne sont du reste jamais lĂ©gendĂ©es, mais « font merveille pour Ă©voquer une Bruges spectrale, ville fantĂŽme dĂ©peuplĂ©e ou mĂȘme abandonnĂ©e, qui se mire dans les eaux mortes de ses canaux »[159]. Selon le dĂ©compte de Christian Berg, sur les 35 photos, onze Ă©voquent le beffroi[160] ; quatre dâentre elles reprĂ©sentent le bĂ©guinage, photographiĂ© de diffĂ©rents angles de vue, mais toujours du sud, avec lâobjectif orientĂ© au nord, et montrent le pont et le portail dâentrĂ©e, avec ou sans le presbytĂšre ou les maisons bĂ©guinales du cĂŽtĂ© oriental de lâenclos. Nulle vue ne donne Ă voir lâintĂ©rieur du bĂ©guinage.
Dans le recueil de poésie la Jeunesse blanche de 1886 figure un poÚme portant le titre Béguinage flamand, dont voici les deux premiÚres strophes :
« Au loin, le béguinage avec ses clochers noirs,
Avec son rouge enclos, ses toits d'ardoises bleues
Reflétant tout le ciel comme de grands miroirs,
S'étend dans la verdure et la paix des banlieues.Les pignons dentelés étagent leurs gradins
Par oĂč montent le RĂȘve aux lointains qui brunissent,
Et des branches parfois, sur les murs des jardins,
Ont le geste trĂšs doux des prĂȘtres qui bĂ©nissent. »
Rainer Maria Rilke
Le bĂ©guinage de Bruges a aussi Ă©tĂ© chantĂ© par le poĂšte autrichien Rainer Maria Rilke : son recueil Neue Gedichte, de 1907, renferme deux poĂšmes sur Bruges, lâun sur le bĂ©guinage et lâautre sur le quai du Rosaire, tous deux Ă©crits Ă Paris en juillet 1907, soit environ un an aprĂšs que, sur les conseils notamment dâAuguste Rodin, de Maurice Maeterlinck et dâĂmile Verhaeren, il avait visitĂ© Bruges, mais aussi Gand et Furnes[161] - [162]. Le poĂšme sur le bĂ©guinage sâintitule BĂ©guinage Sainte-Ălizabeth, BrĂŒgge, dont voici trois des six strophes qui le composent :
Das hohe Tor scheint keine einzuhalten, |
Le haut portail nâen semble retenir aucune, |
Christine Busta
La poĂ©tesse autrichienne Christine Busta Ă©tait lâauteur de poĂ©sies mĂ©lodieuses, mĂ©lancoliques et, pour certaines, Ă portĂ©e religieuse[164]. Dans son recueil Die Scheune der Vögel (littĂ©r. la Grange aux oiseaux), de 1953, figure un poĂšme intitulĂ© In Flandern (littĂ©r. En Flandre), constituĂ© de trois strophes de quatre vers chacun, dont le dernier Ă©voque le bĂ©guinage de Bruges :
DrĂŒben in BrĂŒgge, im Hof der Beginen, |
LĂ -bas Ă Bruges, dans lâenclos des bĂ©guines, |
Le deux autres strophes du poĂšme chantent la mer du Nord et ses mĂ©tamorphoses ; le recueil comporte un deuxiĂšme poĂšme se rapportant Ă la Flandre, Flandrischer Sonntag, qui dĂ©crit lâatmosphĂšre matutinale dans quelque lieu de la campagne flamande.
Paul Claudel
Paul Claudel se rendit plusieurs fois Ă Bruges (en 1929, 1930, 1933, 1935 et 1946), oĂč il sâĂ©tait liĂ© dâamitiĂ© avec Antoinette de Widerhorn (sĆur AgnĂšs pour le bĂ©guinage, qui publia en 1945 un ouvrage sur Claudel sous le titre Claudel et la liturgie), avec le recteur Rodolphe Hoornaert, ainsi quâavec lâabbĂ© et les frĂšres de lâabbaye Saint-AndrĂ©[166]. Ă propos du bĂ©guinage de Bruges, Claudel consigna ce qui suit dans son journal :
« 1930. Le bĂ©guinage. Profession dâAntoinette Widerhorn, sĆur AgnĂšs, le 8 septembre.
Procession, les 152 moniales en voile blanc. Offertoire 3 fois Ă Dieu les bras en croix. Conversation sous les arbres dans le petit jardin monacal avec les moniales.
Impression de paradis.1933. 15 octobre. Dimanche. Voyage Ă Bruges pour voir Antoinette Widerhorn au bĂ©guinage. Elle me dĂ©peint cette espĂšce de transfiguration qui sâest faite en elle le jour de ses vĆux perpĂ©tuels quand elle est devenue lâĂ©pouse de JĂ©sus-Christ. Elle dĂ©borde de joie et dâenthousiasme[167]. »
Camille Mauclair
L'essayiste François Vermeulen note à propos de Camille Mauclair :
« Mais il est un Ă©crivain français qui aima Bruges comme on aime une femme : elle vous donne le coup de foudre, on sâattache Ă elle, on la quitte, on lui dit adieu, puis on revient avec un beau cadeau pour se faire pardonner. Le parisien Camille Mauclair a dĂ©couvert Bruges en 1893, il avait vingt-et-un ans et se passionnait pour les poĂštes symbolistes, MallarmĂ©, Laforgue, Maeterlinck, et pour les peintres impressionnistes. Il trouva le long des canaux et dans la fraĂźcheur du bĂ©guinage le climat favorable Ă lâinspiration. Combien de temps sâimprĂ©gna-t-il de lâatmosphĂšre de Bruges ? Son sĂ©jour fournit la matiĂšre de son volume Au pays des blondes (1907), un recueil de trois nouvelles ; lâhĂ©roĂŻne de la premiĂšre, Minna Van Daele, Ă©tait brugeoise et, comme il se doit, dentelliĂšre et bĂ©guine. [...] Dix ans plus tard, le 8 dĂ©cembre 1937, son amour [pour Bruges] est toujours aussi vivace : je reviens une fois de plus dans votre chĂšre et admirable ville, qui a Ă©tĂ© et reste depuis quarante ans un des grands amours de ma vie ; bien que jâaie vu tant de pays dâOrient, et que jâaie goĂ»tĂ© aux tentations du dĂ©sert, de la mer et du soleil mĂ©diterranĂ©ens, Bruges mâapparaĂźt toujours plus douce et plus parfaite. [...] Son volume le Charme de Bruges, Ă©rudition et poĂ©sies mĂȘlĂ©es, a placĂ© Bruges parmi les citĂ©s oĂč souffle lâesprit[168]. »
Ă Mauclair lui-mĂȘme nous devons le passage suivant, tirĂ© de le Charme de Bruges (1938) et intitulĂ© Sortie de lâoffice du soir :
« LâĂ©glise qui sâĂ©lĂšve au centre de cet hĂ©micycle de maisons candides [= le bĂ©guinage] est bien modeste. Elle est trapue, avec un petit clocheton, faite de briques dont le rouge a tournĂ© au brun, et assez pareille Ă une carĂšne renversĂ©e. Elle est trĂšs vieille, fondĂ©e au milieu du XIIIe siĂšcle. Pendant les grandes luttes entre les Espagnols catholiques et les Flamands protestants, les Gueux hĂ©roĂŻques et brutaux en firent un grenier Ă blĂ© et un dĂ©pĂŽt de fourrages. Le feu sây mit. Alors, en 1605, on reconstruisit, et on rendit Ă lâĂ©difice son caractĂšre sacrĂ©. Du XIIIe siĂšcle, il ne reste que la petite porte du nord. Sur le maĂźtre-autel, Jacques Van Oost le Vieux a peint une sainte Ălisabeth, patronne de lâĂ©glise, et, dans les bas-cĂŽtĂ©s, un saint Joseph, auprĂšs dâune Visitation, de Louis de Deyker, et dâune Assomption de Boeyermans, Ćuvres frigides de la dĂ©cadence flamande.
Mais les bĂ©guines aiment leur vieille nef, et il faut les y voir prier, les bras Ă©tendus, agenouillĂ©es sur les dalles dans lâĂ©croulement des plis de leur mantes noires. Parfois, les plus jeunes soutiennent les bras dâune aĂźnĂ©e. Elles sortent lentement, dans leurs vĂȘtements endeuillĂ©s, avec leur coiffe dâun blanc immaculĂ©. Elles longent les pelouses et rentrent, isolĂ©ment ou par groupes, dans leurs maisons.
Celle de la supĂ©rieure, de la « Grande Dame », au fond, Ă gauche, est plus haute, plus vaste et plus ornĂ©e que les autres. Une petite chapelle de la fin du XVe siĂšcle y est attenante, et on peut visiter, en Ă©tant assurĂ© dâune accueil trĂšs affable, les quelques tableaux et meubles anciens qui dĂ©corent ce logis.
Mais le vrai tableau, et combien exquis ! câest le bĂ©guinage lui-mĂȘme, Ă lâheure oĂč lâon voit moins clair, oĂč tout sâargente, oĂč les ombres montent, oĂč les blancs restent blancs tandis que tout se fonce, oĂč un dernier rayon se traĂźne sur lâherbe, oĂč une premiĂšre lumiĂšre frĂ©mit derriĂšre une fenĂȘtre Ă croisillons.
Quelle magie y a-t-il donc dans ce dĂ©cor ? Il nâest que modestie et simplicitĂ©. Deux Ă©tages, des murs passĂ©s au lait de chaux au-dessus de plinthes brunes, des baies carrĂ©es aux vitres verdĂątres, aux rideaux lisses, des toits de tuiles couleur de gĂ©ranium, et, çà et lĂ , posĂ©s Ă terre, un seau bleu, un pot de cuivre. Au-dessus des cheminĂ©es, les silhouettes de Saint-Sauveur et du beffroi entrevues parmi les branchages. Et dans ces harmonies de demi-teintes, regardons bouger ces formes noires et blanches qui vont, effarouchĂ©es, se confondre avec lâobscuritĂ© montante, rentrer chez elles, retrouver leur collation frugale, leurs prie-Dieu et leurs lits Ă©troits, et ne rien savoir de ce qui nous oppresse, et dormir sans rĂȘves peut-ĂȘtre, dans le calme total de leur enviable, de leur suave ignoranceâŠ[169] »
Anton Van Wilderode
Le prĂȘtre-poĂšte Anton van Wilderode, fort attachĂ© Ă la culture flamande et engagĂ© Ă lutter pour sa pĂ©rennitĂ©, publia en 1983, en collaboration avec le photographe paysagiste Jan Decreton, un recueil de poĂ©sies intitulĂ© Daar is maar Ă©Ă©n land dat mijn land kan zijn (littĂ©r. Il nâest quâun seul pays qui puisse ĂȘtre le mien pays) et illustrĂ© de 115 photographies, dans lequel sont cĂ©lĂ©brĂ©es la Flandre, ses villes et ses campagnes. Le poĂšme suivant, Begijnhof te Brugge, est extrait de cet ouvrage.
Paaszondag voor de hoogste populieren |
Dimanche de PĂąques devant les plus hauts peupliers |
Maurice BarrĂšs
Maurice BarrĂšs prononça en novembre 1891 une confĂ©rence Ă Bruges devant le cercle dâĂ©tudiants Excelsior, sur le thĂšme des Antinomies de la pensĂ©e et de lâaction. Lâextrait qui suit est tirĂ© dâun rĂ©cit intitulĂ© les Deux Femmes du bourgeois de Bruges quâil Ă©crivit Ă lâattention de la revue dudit cercle et qui sera repris plus tard, en 1894, dans le recueil de nouvelles Du sang, de la voluptĂ© et de la mort[171].
« Lâautre femme vĂ©cut fort longtemps dans le bĂ©guinage oĂč elle sâĂ©tait retirĂ©e. Jây suis allĂ© chercher leur mĂ©moire. Rien ne saurait, que la douceur mouillĂ©e de ce mot bĂ©guinage, Ă©voquer ces eaux qui entraĂźnent des algues, ces saules dĂ©chevelĂ©s, ce tiĂšde soleil adoucissant la teinte des briques, le souffle lĂ©ger de la mer, le carillon argentin et la tristesse de cet enclos oĂč elle continua sa pauvre vie qui nâavait jamais Ă©tĂ© quâune demi-vie. Par-dessus les maisons basses, rien ne pĂ©nĂštre cet endroit, ni les appels de la voluptĂ©, ni les bruits de lâopinion. Mais de lâamour et de la vanitĂ© emplissant le monde, quâavait-elle jamais su ? Rien ne fleurissait en son Ăąme qui fĂ»t plus compliquĂ© quâen la cour du bĂ©guinage, carrĂ© irrĂ©gulier tendu dâun tapis vert serrĂ© que coupent dâĂ©troits sentiers et dâoĂč montent, comme des palmes de PĂąques piquĂ©es dans la mousse, de longs peupliers frĂȘles[172]. »
Michel Ciry
Le peintre-graveur, Ă©crivain et compositeur Michel Ciry nota plusieurs fois dans son Journal ses impressions sur Bruges, en rapportant ses conversations avec Jan Vercammen et Maurice CarĂȘme[173].
« 20 avril.
Bruges.
Aller en ville sans aussitĂŽt franchir le porche de son bĂ©guinage Ă©quivaudrait Ă mes yeux Ă quelque impudent irrespect, Ă une trahison, Ă un impardonnable outrage. Les jonquilles y pointent leur fraĂźche ferveur dans la paix dâun paysage inspirĂ©. Jâassiste au dĂ©but dâun office. Les religieuses rĂ©pondent Ă lâappel de la cloche par un glissement silencieux ; prenant place dans la nef, elles sâabĂźment aussitĂŽt dans lâAmant dont elles sont assurĂ©es de ne jamais ĂȘtre déçues.30 avril.
Plus de jonquilles au bĂ©guinage, mais le joli bruissement des jeunes pousses dont la minceur nâaltĂšre pas encore le dessin des branches. Encore quelques jours et câen sera fini de cette vibrante transparence. Assis sur lâherbe humide, je rĂȘve de possĂ©der une des humbles maisons qui ceinturent ce lieu bĂ©ni. Il semble que dây vivre rendrait autre, tant la bĂ©nĂ©fique magie du recueillement sourd de toutes parts et se saisit dĂ©licieusement de vous dĂšs quâest franchi le porche de cet endroit inspirĂ©. Bruges, malgrĂ© ce quâon en dit, nâest pas morte ; elle ne fait que dormir dâun trĂšs joli sommeil[174]. »
Armand Lanoux
Le roman le Rendez-vous de Bruges, quâArmand Lanoux fit paraĂźtre en 1958, prend pour sujet un drame psychiatrique ; un patient de la clinique Mariakerke, qui se trouve entre Bruges et Ostende, se met en danger de mort en ingĂ©rant une surdose de mĂ©dicament aprĂšs quâil a appris que sa femme le trompe, et succombe quelques jours aprĂšs. Un journaliste français et sa femme se rendent Ă Bruges, sur lâinvitation dâun ami mĂ©decin, pour suivre cet Ă©vĂ©nement. Le bĂ©guinage entre en scĂšne Ă la fin du rĂ©cit[175] :
« Ils traversĂšrent le pont [proche du Sashuis], suivirent la Wijngaardplaats, la place de la Vigne, un terre-plein dont le gazon verdissait entre les plaques de neige, et atteignirent le pont du bĂ©guinage. Ils reconnurent aussitĂŽt le dĂ©cor cĂ©lĂ©brĂ© par le film et lâaffiche, le pont Ă trois arches, les cygnes familiers dont certains sâĂ©taient rĂ©fugiĂ©s sur la berge, les bĂątiments mĂ©diĂ©vaux, parfaitement Ă©quilibrĂ©s.
[...] Ils y entrĂšrent [dans lâenclos du bĂ©guinage], Ă reculons dans le passĂ©. Le Begijnhof nâĂ©tait guĂšre animĂ©, ce matin-lĂ . La Begijnhofkerk pointait sa toiture triangulaire et son tout petit clocheton, si petit quâon eĂ»t pu le prendre dans le creux de la main. Entre les arbres dĂ©charnĂ©s, les maisons basses sâalignaient sagement, blanches et vertes, vaguement, lointainement bretonnes. Ils firent lentement le tour. Par une fenĂȘtre au verre limpide, penchĂ©e sur son coussin de dentelliĂšre, une petite vieille aux cheveux blancs sous le bonnet noir, les regardait avec la curiositĂ© de toutes les petites vieilles du monde, qui voient passer la vie aprĂšs avoir vĂ©cu la leur[176]. »
Anton Erwich
Moins illustre, et traĂźnant un passĂ© sulfureux (membre du Zwart Front, mouvement fasciste actif dans les annĂ©es 1930 et pendant les premiĂšres annĂ©es dâoccupation, avant dâĂȘtre interdit en 1941), Anton Erwich nâa pas Ă©tĂ© rĂ©Ă©ditĂ© (si lâon excepte la reprise dâun de ses poĂšmes, Veertien dagen, de 1939, dans lâanthologie de Wim Zaal Geheime gedichten. Die niemand kent maar die toch gezien mogen worden, parue chez De Arbeiderspers en 1974[177]). Le poĂšme qui suit, intitulĂ© In de begijnhofkerk te Brugge (Dans lâĂ©glise du bĂ©guinage de Bruges), figure dans le recueil Sol y Sombra de 1977.
Hier zwijgt de tijd, van zijn onwijs |
Ici se tait le temps, de son insane |
Juliane Windhager
Bruges Ă©tait la ville de prĂ©dilection de lâĂ©crivaine autrichienne Juliane Windhager ; elle dĂ©clara en effet : « Bruges est ma ville prĂ©fĂ©rĂ©e. Pour moi, il nâen est pas de plus belle, et jâai des possibilitĂ©s de comparaison. En tout, jâai visitĂ© Bruges neuf fois. Tout naturellement, cela a laissĂ© des traces dans mes vers. »[178]
Le poĂšme ci-aprĂšs, ZurĂŒckkommen, extrait du recueil Schnee-Erwartung, date de 1979.
ZurĂŒckkommen |
Sâen retourner |
Maurice CarĂȘme
Le poĂšte belge francophone Maurice CarĂȘme, qui aimait beaucoup la ville de Bruges, oĂč dâailleurs rĂ©sidaient son beau-frĂšre le peintre et graphiste Roger Gobron et sa belle-sĆur la poĂ©tesse Marie-Jo Gobron, publia en 1963 le recueil de poĂ©sies Bruges, dont est extrait le poĂšme suivant :
« Dans le matin froid de novembre,
Lâair est plein dâarchanges dissous,
et les béguines, dans leur chambre,
Croient voir neiger sur leurs genoux.Leur Ăąme est comme ces grands arbres
Attendant, dans lâaube mouillĂ©e,
Que vent salubre du large
Chante en leurs branches dépouillées.Comme feuilles de vent, leurs mains
Jonchent la terre de priĂšre
Et font voler de la lumiĂšre
Loin, là -bas, sur tous les chemins[179]. »
Pieter Aspe
Dans un tout autre registre, lâauteur de polars brugeois Pieter Aspe fait intervenir dans un de ses romans, intitulĂ© Rebus, le bĂ©guinage de Bruges, et plus spĂ©cialement le tableau les Sept Merveilles de Bruges qui y est conservĂ© ; toutefois, câest ici en maniĂšre de fausse piste, puisque le tableau ne sert quâĂ masquer un crime crapuleux en lien avec une affaire dâhĂ©ritage. LâhĂ©ritiĂšre pressentie, dans le collimateur des criminels, est une bĂ©guine, laquelle â lâauteur se plaisant souvent Ă prendre son lecteur Ă contre-pied â est une jeune femme des plus affriolantes[180].
Dans les premiĂšres pages du rĂ©cit, lâauteur donne du bĂ©guinage la description suivante (p. 9-10) :
« Une Ă©troite rue bosselĂ©e les conduisit au pont qui raccordait le bĂ©guinage Ă la ville. Dans une niche en haut du portail se dressait une statue de sainte Ălisabeth, avec en dessous, en grosses lettres : SAUVEGARDE. Ils mirent le pied dans un autre monde, un lieu de priĂšre et de recueillement. Un Ă©criteau multilingue demandait aux visiteurs dâobserver le silence et de suivre le sentier prĂ©vu. Les nonnes cependant nâavaient prĂ©posĂ© personne pour y veiller. Les touristes, une fois nâest pas coutume, se comportaient correctement. MĂȘme le guide le plus brutal faisait une tentative de maintenir le silence. [âŠ]
Le BĂ©guinage Ă©tait sans contredit un joyau du patrimoine artistique brugeois â en particulier depuis quâil avait Ă©tĂ© profondĂ©ment rĂ©novĂ©. Les maisons, qui menaçaient ruine, avaient Ă©tĂ© rendues Ă nouveau habitables, les sentiers rĂ©amĂ©nagĂ©s, et les façades peintes en blanc resplendissaient de nouveau virginalement dans une oasis verte, faite de hautes herbes, sous la canopĂ©e protectrice de dizaines de peupliers. Un barbouillis de lumiĂšre de soleil Ă©parse donnait Ă lâenclos une teinte cĂ©lestine[181]. »
Notes et références
Notes
- Cet endroit nommĂ© « De Wijngaard », qui a Ă©tĂ© traduit littĂ©ralement en français par « La Vigne », sâappelait Ă lâorigine widen, soit : les prĂ©s, devenu wine par Ă©tymologie populaire.
- Cette nouvelle commuauté religieuse a adopté la rÚgle de Saint-Benoßt et s'est installée dans un couvent nouvellement construit dans le périmÚtre du béguinage : le « monastÚre bénédictin de la Vigne ».
- La rĂ©citation ou le chant de l'office divin occupait une place importante dans la vie quotidienne des bĂ©guines (comme pour les moniales bĂ©nĂ©dictines d'aujourdâhui).
Références
- Silvana Panciera, Les béguines, Namur, éd. Fidélité, , 127 p. (ISBN 978-2-87356-424-7, ASIN B0161TNPJG, présentation en ligne)
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 15.
- (nl) Stefanie Gilté et Aagje Vanwalleghem, « Begijnhof van Brugge (notice n° 122155) », Bruxelles, Agentschap Onroerend Erfgoed,
- E. Van den Broecke & L. Uyttenhove (2013), p. 76.
- M. Heirman (2001), p. 236.
- M. Heirman (2001), p. 235.
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 16.
- Cette constitution en paroisse Ă part entiĂšre se fit certes aux dĂ©pens des paroisses dĂ©jĂ constituĂ©es de Saint-Michel, de Notre-Dame et de Saint-Sauveur, qui durent chacune, de trĂšs mauvaise grĂące, faire cession dâune partie de leur zone de tutelle. Les limites de la paroisse du bĂ©guinage dĂ©passaient celles du bĂ©guinage lui-mĂȘme et englobaient les terrains qui au sud du bĂ©guinage sâĂ©tendaient au moins jusquâaux futurs remparts de la ville, et au nord-est les actuelles places Walplein et Wijngaardplein, ainsi que quelques petites rues dans les parages. Cf. (nl) Marc Ryckaert, Historische stedenatlas van BelgiĂ«. Brugge, Bruxelles, CrĂ©dit communal de Belgique, , 239 p. (ISBN 90-5066-096-7), p. 88.
- « Il y a lieu dâinterprĂ©ter ce transfert de façon littĂ©rale : la chapelle ne fut pas dĂ©placĂ©e seulement en tant quâinstitution, mais le mobilier Ă©galement, et mĂȘme les matĂ©riaux (pierre et bois), furent transplantĂ©s de la place du Bourg vers le bĂ©guinage. » (M. Ryckaert, Hist. stedenatlas Brugge, p. 208). N.B. : lâĂ©glise Saint-Donatien a Ă©tĂ© dĂ©molie en 1799.
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 16-17.
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 31.
- Un deuxiĂšme bĂ©guinage, plus petit, se trouvait dans la Langestraat et avait pour patron saint Aubert (en nĂ©erl. Sint Obrecht). Il surgit Ă une date inconnue au cours du XIIIe siĂšcle, en bordure de la ville dâalors, prĂšs du lieu oĂč allait ĂȘtre construit la porte Sainte-Croix (Sint-Kruispoort) en 1297. Les bĂ©guines aubertiennes, que Marguerite de Constantinople plaça sous sa protection en 1272, se vouaient principalement Ă soigner les malades. Au dĂ©but du XVIIe, cette communautĂ© bĂ©guinale sâĂ©tant quasiment Ă©teinte, ses bĂątiments furent transfĂ©rĂ©s en 1609 aux Chartreux qui y Ă©tablirent leur nouveau couvent. Outre ces deux bĂ©guinages (clos de la Vigne et Saint-Aubert), il y avait au XIVe siĂšcle au moins huit convents pour bĂ©guines nĂ©cessiteuses ; ce sont des maisons situĂ©es en ville oĂč de petits groupes de femmes pieuses vivant de lâaumĂŽne avaient pris leurs quartiers. Ces huit convents dont lâexistence est attestĂ©e sont les suivants : Groot Hertsberge, sis rue Sainte-Catherine, fondĂ© en 1335, puis transformĂ© fin XIVe en HĂŽtel-Dieu pour vieillards indigents (le bĂątiment existe encore) ; Ter Hamerkine, fondĂ© au milieu du XIVe, sis prĂšs de lâactuelle Ă©glise de JĂ©rusalem, et intĂ©grĂ© en 1427 dans la fondation de JĂ©rusalem des frĂšres Adornes ; Convent de Ricele, sis Nieuwe Gentweg, fondĂ© avant 1348, puis absorbĂ© par le couvent limitrophe Ă la suite de lâincendie de 1360 ; Rooms (ou Rams) Convent, sis rue Sainte-Catherine, fondĂ© vers 1330, transformĂ© par la suite en HĂŽtel-Dieu (le bĂątiment existe encore) ; Scalkers Convent, sis Goezeputstraat, fondĂ© en 1374, bientĂŽt disparu ; Ten Vanekine, sis Waalsestraat, fondĂ© en 1302, devenu hospice pour veuves en 1580 ; Weduwenhuis (littĂ©r. maison de veuves), sis Verbrand Nieuwland, date de fondation inconnue, passĂ© Ă la municipalitĂ© en 1580 ; enfin le Dopsconvent, fondĂ© en 1338, sis au-dedans du pĂ©rimĂštre de la Vigne, considĂ©rĂ© dĂšs lors comme une partie constitutive du grand bĂ©guinage. Cf. M. Ryckaert, Hist. stedenatlas Brugge, p. 205.
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 20.
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 22.
- M. Heirman (2001), p. 237.
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 23.
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 20-21.
- Selon la définition du TLFi
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 23-24.
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 24.
- Marc Ryckaert souligne que dans les derniĂšres dĂ©cennies du XVIIIe siĂšcle, plus des deux tiers de tous les couvents brugeois furent abolis. Certains seront dĂ©molis peu de temps aprĂšs leur abolition, et disparaĂźtront donc physiquement du paysage urbain ; dâautres furent assignĂ©s Ă lâarmĂ©e ou vendus Ă des particuliers. Une premiĂšre vague dâabolitions dĂ©ferla sur Bruges en 1783-1784, Ă la suite du dĂ©cret de Joseph II ordonnant la levĂ©e de tous les ordres contemplatifs. Si ce dĂ©cret sâinscrivait certes en droite ligne dans la philosophie des LumiĂšres, dont Joseph II Ă©tait un fervent partisan, il ne contrariait pas lâopinion dâune majoritĂ© de la population, qui nâĂ©tait pas outre mesure favorable aux ordres monastiques. Ă Bruges, treize couvents furent frappĂ©s par la mesure de Joseph II, dont trois cependant rĂ©ussiront Ă survivre Ă lâhostilitĂ© du pouvoir central. Mais le coup de grĂące survint douze ans plus tard, lorsque la quasi-totalitĂ© des couvents fut supprimĂ©e par les autoritĂ©s françaises (M. Ryckaert, Hist. Stedenatlas Brugge, p. 128).
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 27.
- Allocution de bénédiction des maisons de professes, dans : Archives de R. Hoornaert, mars 1931. Cité par Cité par F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 27.
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 30.
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992).
- Cependant, de façon gĂ©nĂ©rale, Bruges eut fort peu Ă souffrir, au cours de son histoire, de tirs dâartillerie, de pilonnages ou de bombardements destructeurs ; seuls les canonnades visant son port pendant la PremiĂšre Guerre mondiale ont occasionnĂ© quelques dommages, du reste limitĂ©s, dans la ville mĂȘme. Cf. M. Ryckaert, Hist. stedenatlas Brugge, p. 157.
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 34.
- M. Heirman (2001), p. 237-238.
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 56.
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 62.
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 62-63.
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 114.
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 63.
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 65.
- E. Van den Broecke & L. Uyttenhove (2013), p. 66. Câest par erreur que F. Bonneure et L. Verstraete attribuent au fils de Joseph ViĂ©rin, Luc ViĂ©rin, la paternitĂ© de ce nouveau couvent. Luc ViĂ©rin (Courtrai, 1903 â Bruges, 1979), architecte comme son pĂšre, concepteur en particulier de plusieurs villas sur le littoral belge, auteur de nombreuses restaurations en Flandre-Occidentale, emboitera certes le pas Ă son pĂšre, dont il poursuivra lâĆuvre aprĂšs sa mort en 1949.
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 115 et 118.
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 119.
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 115.
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 97
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 97-98.
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 98.
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 99.
- (nl) « Restauratie Brugs Begijnhof na drie decennia afgerond », Het Nieuwsblad, Antwerpen,â (lire en ligne, consultĂ© le )
- M. Ryckaert, Hist. stedenatlas Brugge, p. 208.
- M. Heirman (2001), p. 238.
- (nl) Jan Vercammen, Brugge, Bruxelles, Ă©d. Paul Legrain, , 178 p., p. 164 & 166
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 11.
- M. Heirman (2001), p. 238-239.
- E. Van den Broecke & L. Uyttenhove (2013), p. 66.
- (nl) « Begijnhofkerk toegewijd aan de Heilige Elisabeth van Hongarije (notice n° 84409) », Bruxelles, Agentschap Onroerend Erfgoed, (consulté le )
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 120-121.
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 122.
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- Par lucarne-pignon il faut entendre une lucarne en façade, dont le devant est de forme triangulaire, et qui apparaĂźt suffisamment vaste pour donner lâimpression quâelle est un pignon (et par lĂ lâimpression fausse que la façade gouttereau qui la porte est une façade pignon). Cf. Jean-Marie PĂ©rouse de Montclos, Architecture. MĂ©thode et Vocabulaire, Paris, Ăditions du Patrimoine/Centre des monuments nationaux, 2009 (7e Ă©dition), 622 p. (ISBN 978-2-85822-593-4), « Chap. X. La couverture », p. 339
« LUCARNE-PIGNON : lucarne en façade dont le devant triangulaire Ă©voque un pignon. Ne pas confondre ce devant, qui ne correspond quâĂ lâouvrage accessoire dâune lucarne, avec un vĂ©ritable pignon. »
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- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 18.
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 18-19.
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 19.
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 43.
- Il Ă©crivit p. ex. : « Les grands mouvements populaires sont de par leur nature confus, ils se propagent sous une dĂ©nomination gĂ©nĂ©rale, tel le socialisme moderne ; ils prĂ©tendent servir les intĂ©rĂȘts de lâhumanitĂ© et confondent les principes salutaires avec des erreurs dissolvantes. », Ce que câest quâun bĂ©guinage, p. 11.
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 34-35.
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 35.
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 38.
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 43 et 46.
- Archives de Rodolphe Hoornaert, farde 5 (Ă©bauches dâallocutions). CitĂ© par F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 46.
- Rodolphe Hoornaert, LâĂvolution spirituelle du bĂ©guinage de Bruges, Bruges, sans date, p. 7 ; citĂ© par F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 47.
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 47.
- Rodolphe Hoornaert, Les BĂ©guines de Bruges, leur histoire, leur rĂšgle, leur vie, p. 42-44 (passage reproduit dans E. Van den Broecke & L. Uyttenhove (2013), p. 159-160.
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 49.
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 50.
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- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 52.
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- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 55-56.
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- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 57.
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 60.
- Allocution Ă lâoccasion de la profession de sĆur M. Placide, 1er aoĂ»t 1955. CitĂ© par F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 60.
- Allocution prononcĂ©e au jubilĂ© dâargent de pastorat de Rodolphe Hoornaert, 8 octobre 1947. CitĂ© par F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 60.
- GeneviĂšve De Cant, Pascal MajĂ©rus et Christiane Verougstraete, Un monde de femmes indĂ©pendantes, du XIIe siĂšcle Ă nos jours : les BĂ©guinages flamands, Riverside (Connecticut), HervĂ© van Caloen Foundation, coll. « Guide Luciole pour voyageurs intelligents », , 158 p. (ISBN 0-9727718-1-6), « Un monde de femmes indĂ©pendantes, entre Ăglise et sociĂ©tĂ© (rĂ©digĂ© par GeneviĂšve De Cant) », p. 15. GeneviĂšve De Cant note : « Certaines [bĂ©guines] choisissent dâerrer en mendiant, mais la plupart prĂ©fĂšrent quand mĂȘme vivre ensemble dans un lieu situĂ© en dehors de la ville, de prĂ©fĂ©rence Ă proximitĂ© dâun cours dâeau. Avant toute chose, elles veulent garder leur indĂ©pendance, afin de mieux pouvoir vouer leur vie Ă Dieu, par le moyen de la charitĂ©, de la priĂšre et du travail. Cette voie mĂ©diane, entre vie laĂŻque et vie monastique, fascine, Ă©tonne et dĂ©range, alors autant quâaujourdâhui. Il sâagit en effet de femmes qui se retirent de la sociĂ©tĂ©, sans toutefois se couper du monde extĂ©rieur. Elles promettent dâobserver les devoirs dâobĂ©issance et de chastetĂ©, sans prononcer de vĆux perpĂ©tuels. Elles optent pour un train de vie sobre, sans cependant renoncer Ă leurs biens. Enfin, elles veulent aussi combiner une existence active avec une vie de contemplation. Cette ambiguĂŻtĂ© ne laisse de susciter de lâĂ©tonnement dans la sociĂ©tĂ© plutĂŽt dualiste de lâĂ©poque. » Sur la vie apostolique, voir ibidem p. 20.
- Pascal MajĂ©rus rappelle que lâobligation pour tout chrĂ©tien de communier au moins une fois lâan fut instaurĂ© en 1215 par le quatriĂšme concile du Latran, et ce sous l'acclamation des femmes, pour qui lâeucharistie Ă©tait le moyen dâune union intime avec Dieu. Les bĂ©guines jouĂšrent un rĂŽle important dans la diffusion de ce nouveau culte. LâintĂ©rĂȘt pour lâeucharistie ne fera que croĂźtre au long du XIIIe siĂšcle, et davantage encore pendant la Contre-RĂ©forme et Ă la suite du rejet de lâeucharistie par les protestants, mais ce culte connut son apogĂ©e au XIXe siĂšcle. Au Moyen Ăge, si les croyants Ă©taient encouragĂ©s Ă communier souvent, cela restait limitĂ© pour les femmes Ă une frĂ©quence de trois fois par an. Certaines femmes toutefois souhaitaient communier plus frĂ©quemment, moyennant du moins que leur Ă©tat spirituel fĂ»t jugĂ© suffisamment pur par leur confesseur. Ce souhait sâĂ©claire Ă la lumiĂšre des noces mystiques : le corps du Sauveur se trouvait ainsi en quelque sorte Ă portĂ©e de main pour chaque femme. Recevoir lâhostie consacrĂ©e sâapparentait Ă une Ă©treinte, Ă une attouchement sensuel. Il nâĂ©tait pas rare quâen recevant lâhostie, les femmes saintes du XIIIe siĂšcle entrent dans un Ă©tat second. Tout au long des huit siĂšcles de leur histoire, les bĂ©guines vĂ©curent trĂšs intensĂ©ment la mystique de la rencontre eucharistique. Outre lâhostie pendant la sainte eucharistie, la figure du Christ Ă©tait donnĂ©e Ă voir au croyant sous de multiples autres aspects : lâadoration eucharistique, la procession Ă lâoccasion de la fĂȘte du Saint-Sacrement, et lâadoration perpĂ©tuelle. Voir G. De Cant, P. MajĂ©rus & C. Verougstraete (2003), p. 65-66. De ce point de vue aussi (par lâimportance accordĂ©e au sacrement de lâeucharistie), la spiritualitĂ© du monastĂšre de la Vigne sâinscrit dans la tradition bĂ©guinale sĂ©culaire.
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 67.
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 69.
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 69-70.
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 70.
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 72.
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 73-74.
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 76.
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 76-77.
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 103.
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 106.
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 110.
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 111.
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 112.
- F. Bonneure & L. Verstraete (1992), p. 78.
- Georges Rodenbach, Bruges-la-Morte, Ă©d. Espace Nord, publiĂ© sous lâĂ©gide de la CommunautĂ© Wallonie-Bruxelles 2016 (postface de Christian Berg), p. 11.
- Georges Rodenbach, Bruges-la-Morte, éd. Marpon & Flammarion 1892, cf. fac-similé, p. 4.
- Christian Berg, Postface (2016), p. 146.
- Christian Berg, Postface (2016), p. 139-140.
- Christian Berg, Postface (2016), p. 147.
- Ăd. Espace Nord (2016), p. 46 ; Ă©d. originale Marpon & Flammarion (1892), p. 72.
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- Christian Berg, Postface (2016), p. 157.
- Ăd. Espace Nord (2016), p. 87 ; Ă©d. originale Marpon & Flammarion (1892), p. 147.
- Ăd. Espace Nord (2016), p. 63 ; Ă©d. originale Marpon & Flammarion (1892), p. 104.
- Pourtant, ce nâest pas faute, pour lâauteur, dâavoir visitĂ© le bĂ©guinage, puisque, si lâon en croit une monographie qui lui fut consacrĂ©e en 1903 dans la sĂ©rie Anthologie des Ă©crivains belges, il aimait Ă sây attarder et Ă y rĂȘvasser ; cf. F. Bonneure, K. Puype & M. Van Houtryve (1992), p. 66. Cette entorse Ă la rĂ©alitĂ© obĂ©it sans doute donc Ă une nĂ©cessitĂ© poĂ©tique.
- Ăd. Espace Nord (2016), p. 65-67 ; Ă©d. originale Marpon & Flammarion (1892), p. 108-112.
- (nl) Fernand Bonneure, Karel Puype et Marcel Van Houtryve, Het stille Brugge : 100 jaar Bruges-la-Morte, Bruges, Stichting Kunstboek, , 143 p. (ISBN 90-74377-01-7), p. 21
- F. Bonneure, K. Puype & M. Van Houtryve (1992), p. 21 et 69. Selon Karel Puype, Rodenbach lui-mĂȘme fit appel Ă Fernand Khnopff, lequel avait passĂ© sa jeunesse Ă Bruges, et se reposa sur lui du soin tant de crĂ©er le frontispice que de doter le livre de photographies ; cf. F. Bonneure, K. Puype & M. Van Houtryve (1992), p. 69.
- Christian Berg, Postface (2016), p. 165-166.
- Christian Berg, Postface (2016), p. 167.
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- (nl) Fernand Bonneure, Brugge beschreven. Hoe een stad in teksten verschijnt, Bruxelles, Elsevier Brussel, , 399 p. (ISBN 90-10-05417-9), p. 335
- Extrait de Neue Gedichte (1907), (de) Rainer Maria Rilke, SĂ€mtliche Werke, vol. Band 1â6, Band 1, Wiesbaden & Frankfort-sur-le-Main, 1955â1966 (lire en ligne), p. 535-536
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- Camille Mauclair, Le Charme de Bruges, Paris, Henri Laurens Ă©d., , « Sortie de lâoffice du soir »
- (nl) Anton van Wilderode et Jan Decreton (photographies), Daar is maar Ă©Ă©n land dat mijn land kan zijn, Tielt, Lannoo, , 251 p. (ISBN 90-209-1063-9)
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- Maurice BarrÚs, Du sang, de la volupté et de la mort, Paris, BibliothÚque-Charpentier,
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- « BrĂŒgge ist meine Lieblingsstadt. FĂŒr mich gibt es keine schönere und ich habe Vergleichungsmöglichkeiten. Alles in allem habe ich BrĂŒgge neunmal besucht. NatĂŒrlich hat das Spuren in meinen Versen hinterlassen. » ; citĂ© par F. Bonneure, Brugge beschreven, p. 385.
- Maurice CarĂȘme, Bruges, Bruxelles, Arcade,
- (nl) Pieter Aspe, Rebus, Anvers, Manteau, , 306 p. (ISBN 978-90-223-2143-0).
- Dâautres allusions ou Ă©vocations fugaces du bĂ©guinage de Bruges apparaissent dans les Ă©crits de : Baudelaire (« Ville fantĂŽme, ville momie, Ă peu prĂšs conservĂ©e. / Cela sent la mort, le Moyen Ăge, Venise⊠en noir, / les spectres routiniers et les tombeaux. Grand / bĂ©guinage, carillons. [...] », dans : Pauvre Belgique) ; Lampo (« Brugge of het Begijnhof bijvoorbeeld, samen met de controversen over de vraag of de begijnenbeweging wel voor honderd procent orthodox katholiek was? », âBruges ou le bĂ©guinage, p. ex., avec les controverses sur la question si le mouvement bĂ©guinal Ă©tait bien Ă cent pour cent catholique orthodoxeâ, dans : Inpakken en westwezen, Ă©mission radiophonique, BRT, 2 juillet 1982, citĂ© par F. Bonneure, Brugge beschreven, p. 199) ; Huysmans (« lâon peut dire quâelle [= Bruges] est Ă la fois mystique et dĂ©moniaque, puĂ©rile et grave. Mystique par sa rĂ©elle piĂ©tĂ©, par ses musĂ©es uniques au point de vue de lâart, par ses nombreux couvents et par son bĂ©guinage ; dĂ©moniaque, par sa confrĂ©rie secrĂšte de possĂ©dĂ©s [...] », dans : De tout, 1902) ; Van de Woestijne (« ât veeg-witte begijnhof », âle bĂ©guinage dâune blafarde blancheurâ, dans : Verzameld Werk, vol. IV) ; Raynaud (« Je sais ton bĂ©guinage et tes quais familiers », dans : Bruges, du recueil la Couronne des jours, 1905) ; Busken-Huet (« Een voormalige wereldstad, veranderd in een onvrijwillig begijnhof », âune ville autrefois mondiale, changĂ©e en un involontaire bĂ©guinageâ, dans : Het uitgestorven Brugge, extrait de Het land van Rubens, 1879) ; Michot (« Elle [=la ville de Bruges] sâest retirĂ©e au calme bĂ©guinage,/ et lĂ , dans le repos et le recueillement,/ elle accomplit la fin de son pĂšlerinage [...] auprĂšs de ce beau lac dâAmour,/ paysage vibrant comme une fĂ©erie,/ je vois ton BĂ©guinage, et dans le demi-jour / du songe, il me semble ĂȘtre une miniature / de ton image[...] », cercle Excelsior, livre de jubilĂ©, 1883-1893, citĂ© par F. Bonneure, Brugge beschreven, p. 108) ; S. Zweig (« Und keine Stadt gibt es wohl, die die Tragik des Todes und des noch mehr Furchtbaren, des Sterbens, mit so zwingender Kraft in ein Symbol gepresst hat, wie BrĂŒgge. Dies fĂŒhlt man so ganz in den Halbklöstern, den Beguinagen, dahin viele arme Leute sterben gehen », âEt il nâest certes pas de ville qui ait, avec une force plus impĂ©rieuse que Bruges, concentrĂ© en un seul symbole le tragique de la mort et de ce qui est plus redoutable encore, de lâagonie. Cela, on le ressent si pleinement dans les couvents Ă semi-clĂŽture, les bĂ©guinages, oĂč sâen vont mourir beaucoup de gens pauvresâ, dans BrĂŒgge, extrait de LĂ€nder, StĂ€dte, Landschaften) ; Schoeman (« In die Begynhof an die Minnewater beweeg nonne ver weg tussen die boomstamme in hul wit habyte, maar die stilte is volslae », âDans le bĂ©guinage, sur le Minnewater, des nonnes se meuvent dans le lointain entre les troncs dâarbre dans leur habit blanc, mais le silence est absoluâ, dans : Onderweg. Reisherinnerings, 1978) ; Moretti, dans : La casa del Santo sangue, passim) ; Van der Plas (« ik wou de muur niet zien / der Begijnen hof, waar God voor het Minnewater / zijn ogen sloot misschien », âje ne voulus point voir / lâenclos des bĂ©guines, oĂč Dieu, face au Minnewater / peut-ĂȘtre ferma les yeuxâ, dans Litanie, du recueil Edelman-bedelman, 1961) ; Du Bois de Vroylande (« O Bruges, ma trĂšs douce, o Bruges qui te meurs / De nâavoir plus Ă©tĂ© quâun calme bĂ©guinage », 1936 ?, citĂ© dans F. Bonneure, Brugge beschreven, p. 343) ; Zuckmayer (permissionnaire Ă Bruges pendant la PremiĂšre Guerre mondiale, lâauteur sâembarque nuitamment dans un canot et se laisse plus ou moins dĂ©river, ramant vaguement, dans un Ă©tat de rĂȘverie : « Mich zog der Mond und das Wasser, ich folgte. Die Front war nicht zu hören. AuĂer den Tropfen, die manchmal von meinen Riemen plĂ€tscherten, gab es keinen Laut. Ich muss am Beginenhof, am Joannesspital, an den bekannten Kirchen vorbeigekommen sein, ich wusste es nicht. », âLa lune et lâeau me remorquaient, je suivai. On entendait pas le front. Hormis les gouttelettes, qui tombaient de mes rames en clapotant, il nây avait aucun son. Jâai dĂ» longer le bĂ©guinage, lâhospice Saint-Jean, les Ă©glises cĂ©lĂšbres, je ne le sus pas.â, dans Als wĂ€râs ein StĂŒck von mir. Erinnerungen, 1966) ; Gezelle (qui, bien que brugeois de naissance, a peu Ă©crit sur Bruges, mais a consacrĂ© aux dentelliĂšres du bĂ©guinage un long poĂšme, oĂč les panneaux de dentelle figurent comme mĂ©taphores de la virginitĂ© de Marie et oĂč le travail de la dentelle est une allĂ©gorie de la vie spirituelle des bĂ©guines et de leur aspiration Ă la puretĂ©, cf. Volledige dichtwerken, Standaard Uitgeverij 1971, p. 1195-1197, incipit « Speldewerkend zie âk u geerne ») ; etc.
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