Acides aminés D
Les acides aminés D sont une classe d'acides aminés, ou pour ce qui intéresse le plus la biologie, les acides α-aminés, pour lesquels les groupes fonctionnels carboxyle (-COOH) et amine (-NH2) sont liés à un carbone α en configuration D par rapport d'une part à une chaßne latérale dépendant du type d'acide et d'autre part à un atome d'hydrogÚne. Ce sont les énantiomÚres des acides aminés L.
Dans tous les systÚmes biologiques, les acides aminés D sont bien plus rares que leurs isomÚres L, qui sont les briques de construction importantes de la matiÚre vivante, sous la forme des 22 acides aminés protéinogÚnes. C'est pourquoi on en a longtemps déduit que les acides aminés D n'ont pas de fonction biologique, et ne sont pas « naturels ». Ce tableau s'est complÚtement modifié à partir du début des années 1990. Aujourd'hui, on sait que des acides aminés D sont contenus par exemple dans des antibiotiques peptidiques sécrétés par des bactéries, ou bien diverses plantes, telles le riz, l'ail ou les pois.
Certains acides aminés D remplissent aussi d'importantes fonctions physiologiques chez l'homme. En particulier, dans le systÚme nerveux central, ce sont la D-sérine et le D-aspartate. Mais les acides aminés D semblent aussi jouer un rÎle dans certaines maladies, comme dans la schizophrénie. Ce domaine de recherche est relativement nouveau, et beaucoup de fonctions des acides aminés D libres ou liés dans des peptides ou des protéines sont encore largement inconnues, ou incomprises.
Au moyen de procédés d'analyse chromatographiques, on a pu mettre en évidence des acides aminés D dans une série d'aliments et d'organismes. Une application en est la datation par racémisation des acides aminés pour la détermination de l'ùge des fossiles.
Selon l'état actuel des recherches, les acides aminés D libres absorbés journellement avec la nourriture, ne sont pas dangereux pour l'homme. Beaucoup de médicaments importants contiennent des acides aminés D. Des acides aminés D produits artificiellement sont utilisés comme éléments pour la fabrication d'antibiotiques (semi-)synthétiques et d'un grand nombre de produits de la vie courante, et notamment de médicaments.
Fondements
Chiralité
Tous les acides aminés protéinogÚnes (spécifiés par le code génétique), à l'exception de la glycine, le plus simple d'entre eux, possÚdent un atome de carbone, lié à quatre radicaux différents. Ces radicaux occupent dans l'espace les quatre sommets d'un tétraÚdre. Cet arrangement cause une asymétrie, ce qui a pour conséquence deux possibilités pour leur arrangement relatif. Ces deux formes, appelées énantiomÚres ou isomÚres par réflexion, se comportent comme un objet et son image dans le miroir. L'atome de carbone asymétrique y forme le centre asymétrique. L'énantiomÚre et son image miroir ne sont pas superposables. Ceci arrive aussi pour des objets de la vie courante qui n'ont pas de plan de symétrie. Un exemple en est les deux mains. Les mains droite et gauche sont comme un objet et son image dans le miroir, mais elles ne sont pas superposables. Leur différence devient particuliÚrement importante quand ils interagissent avec d'autres systÚmes chiraux (du mot grec pour main). Par exemple quand une main droite tente de prendre une autre main droite ou gauche, ou essaie d'enfiler un mauvais gant. Dans des environnements chiraux, les différences entre énantiomÚres moléculaires apparaissent particuliÚrement clairement.
Le Prix Nobel de chimie Emil Fischer a mis au point un procédé de projection, la projection de Fischer, par laquelle on peut décrire de façon univoque en deux dimensions la structure spatiale d'une liaison chimique chirale. Pour cela, il a choisi une substance de référence (le glycéraldéhyde). Selon les rÚgles de la projection de Fischer, le groupe acide (carboxyle) est toujours représenté en haut, et le radical R qui fait la différence entre acides aminés toujours en bas. Si le groupe amine se situe dans cette projection à gauche (en latin laevus), on parle d'un acide aminé L. Si le groupe amine est à droite (latin : dexter) en projection de Fischer, il s'agit d'un acide aminé D. Les adjectifs gauche et droit ne se rapportent qu'à la configuration en projection de Fischer.
Dans leurs propriĂ©tĂ©s physiques, comme le point de fusion, la masse spĂ©cifique, la solubilitĂ© dans l'eau ou autres milieux, le pH isoĂ©lectrique, les acides aminĂ©s D et L sont totalement identiques. De plus, dans un milieu achiral, c'est-Ă -dire dans un environnement dĂ©pourvu d'autres molĂ©cules chirales, ils se comportent exactement de la mĂȘme maniĂšre, Ă une exception prĂšs : Ă conditions identiques, deux Ă©nantiomĂšres font tourner le plan de polarisation de la lumiĂšre polarisĂ©e linĂ©airement d'une quantitĂ© Ă©gale en valeur absolue, mais en sens opposĂ©. S'ils la font tourner dans le sens des aiguilles d'une montre (pour un observateur faisant face Ă la source de lumiĂšre), on parle de forme dextrogyre ou forme (+). Dans le cas opposĂ©, il s'agit de forme lĂ©vogyre, ou (-). Ces distinctions ne jouent pratiquement aucun rĂŽle dans la vie courante. Dans la littĂ©rature, des confusions arrivent mĂȘme entre formes L et formes (-). De plus, la valeur du pouvoir rotatoire, et mĂȘme son signe, dĂ©pendent fortement des conditions. Par exemple, l'acide aminĂ© L-leucine Ă tempĂ©rature ambiante en solution de molaritĂ© 6 M d'acide chlorhydrique a un pouvoir rotatoire spĂ©cifique de +15,1° (Ă droite), et dans l'eau pure de -10,8° (Ă gauche). En solution de soude de molaritĂ© 3 M, elle est Ă nouveau Ă +7,6° (Ă droite)[1].
Un mélange de 50 % d'énantiomÚre D et de 50 % de L s'appelle un racémique. Les racémiques sont notamment fabriqués dans les opérations de synthÚse artificielle d'acides aminés. Ils n'ont pas d'activité optique, c'est-à -dire qu'ils ne changent pas le plan de polarisation de la lumiÚre. Les racémiques ont en partie des propriétés physiques différentes des énantiomÚres purs (par exemple, le point de fusion), mais couramment des propriétés physiologiques différentes.
Conventions de dénomination et nomenclature
La projection de Fischer est jusqu'à présent le systÚme préféré de projection pour les acides aminés et les glucides. à cÎté, il existe pour les acides aminés la convention de Cahn-Ingold-Pregold (SystÚme CIP), qui décrit la configuration de molécules chirales. Dans ce systÚme, la plupart des acides aminés L protéinogÚnes sont des acides aminés S. Leurs énantiomÚres, les acides aminés D sont pour la plupart en configuration R. Les exceptions sont la L-cystéine, la L-cystine et la L-sélénocystéine, parce que le soufre ou le sélénium a dans la nomenclature CIP une priorité plus élevée que l'oxygÚne. Ces trois acides aminés L sont dans une configuration R. Leurs énantiomÚres ont par contre une configuration S.
Dans les séquences d'acides aminés, les acides aminés D sont notés dans l'abréviation à 3 lettres par un préfixe D en petite capitale.
Par exemple, l'heptapeptide dermorphine :
H-Tyr-D-Ala-Phe-Gly-Tyr-Pro-Ser-NH2
.
Dans les codes canoniques à une lettre, les acides aminés D sont représentés par la minuscule de la lettre correspondant à l'acide aminé L correspondant.
Par exemple, la dermorphine :
YaFGYPS-NH2
.
Présence naturelle et histoire de la découverte
Les acides aminĂ©s D sont bien plus rares dans la nature que leurs Ă©nantiomĂšres L, qui forment, avec les acides nuclĂ©iques, les pierres de construction de la vie. Une asymĂ©trie du mĂȘme genre, avec l'apparition de deux Ă©nantiomĂšres, se prĂ©sente pour les glucides. Dans ce dernier cas, c'est la forme D, par exemple le D-glucose, qui est la configuration « naturelle ». On estime la quantitĂ© de D-glucose sur Terre Ă©gale Ă 1015 fois celle de L-glucose[2]. Pour les acides aminĂ©s, il n'y a pas encore d'estimation fiable.
Pendant longtemps, on est parti du fait que seuls les acides aminĂ©s L avaient Ă©tĂ© sĂ©lectionnĂ©s au cours de l'Ă©volution pour la formation de peptides et de protĂ©ines[3]. Depuis les annĂ©es 1980, des mĂ©thodes d'analyse amĂ©liorĂ©es ont conduit Ă rĂ©viser cette hypothĂšse. Des acides aminĂ©s D ont Ă©tĂ© trouvĂ©s dans toujours plus d'ĂȘtres vivants, si bien qu'ils ont une diffusion et une variĂ©tĂ© bien plus grande que ce qui avait Ă©tĂ© supposĂ© tout d'abord. Dans la littĂ©rature rĂ©cente, les acides aminĂ©s D sont maintenant considĂ©rĂ©s comme composants ordinaires de plantes et d'aliments[2]. Et mĂȘme chez des ĂȘtres vivants supĂ©rieurs, jusque chez l'homme, les acides aminĂ©s D sont impliquĂ©s dans des processus physiologiques importants, qui sont encore largement incompris[4].
Le dĂ©veloppement de la vie sur Terre supposait une homochiralitĂ©, c'est-Ă -dire une configuration homogĂšne des acides aminĂ©s et des autres pierres de construction de la vie. Dans un milieu racĂ©mique, il ne peut y avoir aucune rĂ©plication[2] - [5] - [6]. Il y a toute une sĂ©rie d'hypothĂšses sur la cause du dĂ©sĂ©quilibre extrĂȘme entre les quantitĂ©s des deux formes Ă©nantiomĂšres des acides aminĂ©s. Il y a unanimitĂ© sur le fait qu'il y aurait eu dans la nature un premier dĂ©sĂ©quilibre entre acides aminĂ©s D et L. Ă partir de lĂ , on peut trĂšs bien expliquer l'extrĂȘme enrichissement de l'une des deux formes, par amplification chirale, c'est-Ă -dire un effet d'auto-amplification qui conduit dans une rĂ©action chimique, en prĂ©sence d'un lĂ©ger excĂšs d'une des formes Ă©nantiomĂšres, Ă un rĂ©sultat encore plus dĂ©sĂ©quilibrĂ©. Il reste nĂ©anmoins totalement Ă rĂ©soudre le problĂšme du fait qu'une symĂ©trie initiale aurait Ă©tĂ© brisĂ©e, trĂšs probablement bien avant le dĂ©but de la vie sur Terre. On a discutĂ©, parmi les sources possibles, de la brisure de la symĂ©trie de paritĂ© dans la radioactivitĂ© ÎČ (hypothĂšse de Vester-Ulbricht)[7] - [8] ou la contamination de la soupe primordiale par des excĂšs d'acides aminĂ©s L extraterrestres.
En faveur de cette derniĂšre thĂ©orie, parle le fait que dans la mĂ©tĂ©orite de Murchison, on a mis en Ă©vidence un excĂšs d'acides aminĂ©s L non protĂ©inogĂšnes : acide 2-Amino-2,3-dimĂ©thylpentanoĂŻque[9] et isovaline[10] - [11]. Dans la mĂ©tĂ©orite de Murchison, l'excĂšs en L-isovaline Ă©tait d'environ 18,5 %, et dans celle d'Orgueil, de 15,2 %[12]. Ces excĂšs ont pu ĂȘtre provoquĂ©s par un rayonnement UV polarisĂ© circulairement, qui â comme on le confirme expĂ©rimentalement â dĂ©truit prĂ©fĂ©rentiellement les acides aminĂ©s D[13].
Formation d'acides aminés D par racémisation
De grandes quantitĂ©s d'acides aminĂ©s D peuvent provenir d'acides aminĂ©s L par racĂ©misation. La formation d'un racĂ©mique d'acides aminĂ©s, c'est-Ă -dire d'un mĂ©lange Ă parties Ă©gales d'acides aminĂ©s D et L, est privilĂ©giĂ©e thermodynamiquement. Certes, l'enthalpie reste inchangĂ©e, mais le degrĂ© supĂ©rieur de « dĂ©sordre » conduit Ă une augmentation de l'entropie, ce qui amĂšne une diminution de l'enthalpie libre G de ÎG. La valeur de cette dĂ©croissance est de -1,6 kJ/mole Ă 25 °C[14].
Des tempĂ©ratures supĂ©rieures conduisent Ă une plus grande perte d'enthalpie libre, ce pourquoi la racĂ©misation est substantiellement accĂ©lĂ©rĂ©e. La demi-vie de la racĂ©misation, dĂ©finie comme le temps dans lequel la valeur de l'excĂšs d'Ă©nantiomĂšre diminue de moitiĂ©, dĂ©pend, Ă cĂŽtĂ© de la tempĂ©rature, du pH, du type d'acide aminĂ©, du milieu solvant, de l'humiditĂ© et de la prĂ©sence de catalyseurs. Dans des conditions constantes, la racĂ©misation peut bien se calculer, et inversement, du degrĂ© de racĂ©misation, on peut tirer des conclusions sur l'Ăąge de l'Ă©chantillon. Ce procĂ©dĂ©, dĂ©signĂ© par « datation par racĂ©misation des acides aminĂ©s » peut ĂȘtre utilisĂ© pour la datation de fossiles, mais aussi pour des organismes vivants. Ă la mort, tous les processus qui luttent contre la racĂ©misation des acides aminĂ©s dans l'organisme concernĂ© s'arrĂȘtent. La vie est une lutte contre l'entropie[15], et les processus qui vont Ă l'encontre de la racĂ©misation s'arrĂȘtent au plus tard Ă la mort. Dans certains tissus, oĂč le mĂ©tabolisme des protĂ©ines est trĂšs faible, ce processus commence dĂ©jĂ avant la fin de la formation du tissu. Un exemple en est le collagĂšne de la dentine des dents, ou le cristallin de l'Ćil[16]. La tempĂ©rature et le pH relativement constants dans les dents permettent de dĂ©finir l'Ăąge d'un organisme vivant par le degrĂ© de racĂ©misation de l'aspartate avec une prĂ©cision de ±4 ans environ[17] - [18]. Ce procĂ©dĂ© est notamment utilisĂ© en mĂ©decine lĂ©gale[19]. Un exemple pour la performance de cette mĂ©thode est la recherche faite en 1996 sur les ossements de l'empereur Lothaire de Supplinbourg (1075â1137)[20]. Dans cette Ă©tude, on a trouvĂ© chez Lothaire un degrĂ© de racĂ©misation notablement plus Ă©levĂ© que pour son Ă©pouse Richenza von Northeim et de son gendre Henri X de BaviĂšre, ce qui correspondrait Ă un Ăąge d'environ 9000 ans de plus. Le taux de racĂ©misation des deux tĂ©moins correspondait par contre trĂšs bien Ă leur Ăąge d'environ 850 ans. Dans les trois cas, c'est le taux de racĂ©misation de l'aspartate qui a Ă©tĂ© mesurĂ©. Le degrĂ© Ă©levĂ© de racĂ©misation de Lothaire est Ă rapporter aux circonstances particuliĂšres de sa mort. Il est mort prĂšs de Breitenwang dans le Tyrol, Ă peu prĂšs Ă 700 km de son siĂšge Ă Königslutter am Elm. Pour protĂ©ger son corps de la pourriture pour ce long trajet, le cadavre a Ă©tĂ© traitĂ© selon le Mos Teutonicus (« usage teuton »). Ceci consiste Ă cuire le cadavre, Ă enlever la chair des os, et Ă ne transporter que les ossements. La cuisson a racĂ©misĂ© le L-aspartate, mesurĂ© 859 ans plus tard, notablement plus fort que pour les cadavres normalement enterrĂ©s de sa femme et de son gendre. Par le degrĂ© de racĂ©misation, on a pu estimer la durĂ©e de cuisson Ă environ six heures[2].
Dans les cheveux du cadavre ĂągĂ© d'environ 5300 ans de l'homme des Alpes de l'Ătztal, mieux connu sous le surnom d'« Ătzi », 37 % de l'hydroxyproline apparaissent en configuration D. Dans une momie vieille de 3000 ans, c'Ă©tait 31 %, dans des cheveux du Moyen Ăge (environ 1000 ans) 19 % et dans des Ă©chantillons modernes de 4 %[21].
Pendant la prĂ©paration de la nourriture, les acides aminĂ©s L peuvent aussi ĂȘtre racĂ©misĂ©s dans les protĂ©ines, en raison de la tempĂ©rature et de valeurs extrĂȘmes du pH. Les acides aminĂ©s diffĂ©rents se racĂ©misent diffĂ©remment vite. La vitesse de racĂ©misation dĂ©pend fortement de la chaĂźne latĂ©rale de l'acide aminĂ© et des acides aminĂ©s voisins. Les groupes qui attirent les Ă©lectrons facilitent la protonation de l'atome C α, ce qui facilite la racĂ©misation[22] - [23]. Ceci est notamment pertinent pour la sĂ©rine et l'aspartate. En outre, des effets stĂ©riques jouent un rĂŽle[24]. L'asparagine et l'aspartate se racĂ©misent particuliĂšrement vite quand ils sont au voisinage d'une glycine dans la sĂ©quence peptidique. Il peut alors se produire un succinimide cyclique, ce qui, du point de vue thermodynamique, favorise fortement la transformation d'un Ă©nantiomĂšre dans l'autre[25] - [26]. Pour des basses valeurs du pH, par exemple dans une solution 6M d'acide chlorhydrique, l'aspartate se racĂ©mise le plus vite. La proline et la glutamine se racĂ©misent notablement plus lentement, tandis que dans ces conditions, l'isoleucine, la valine, la sĂ©rine et la thrĂ©onine ne se racĂ©misent que trĂšs peu. Dans une solution de soude 1M, la sĂ©rine se racĂ©mise le plus vite, puis l'aspartate, la phĂ©nylalanine, le glutamate et la valine[26] - [27].
La racĂ©misation catalysĂ©e par les bases ou les acides nĂ©cessite des conditions trĂšs drastiques pour obtenir une racĂ©misation complĂšte en quelques heures. Par opposition, la racĂ©misation catalysĂ©e par des enzymes dans les systĂšmes biologiques est notablement plus rapide et se dĂ©roule dans des conditions plus douces : pH Ă peu prĂšs neutre, et tempĂ©rature ambiante ou corporelle. Les racĂ©mases catalysent la dĂ©protonation du carbone α de l'acide aminĂ©. Dans cette position, l'atome d'hydrogĂšne n'est plus que trĂšs faiblement acide. La constante d'aciditĂ© de la forme protonĂ©e a un pKs â 21, et est au point isoĂ©lectrique encore plus faible avec â 29[29] - [30]. La dĂ©protonation est facilitĂ©e pour la plupart des racĂ©mases par le phosphate de pyridoxal (PALP). Sur le centre actif de ces enzymes, le PALP est liĂ© Ă un rĂ©sidu de lysine. Le groupe amino de l'acide aminĂ© L se lie alors au groupe aldĂ©hyde du PALP et forme alors une imine (aldimine, ou base de Schiff). Comme catalyseur Ă©lectrophile, le PALP tire sur le cycle aromatique des Ă©lectrons extraits du carbone α de l'acide aminĂ©, qui est alors plus facile Ă dĂ©protoner. En outre, l'anion restant est stabilisĂ© par effet mĂ©somĂšre. Une reprotonation avec addition d'eau libĂšre alors l'acide aminĂ© racĂ©misĂ© comme produit de la rĂ©action par hydrolyse de la base de Schiff[31].
Outre cela, il y a aussi des racĂ©mases indĂ©pendantes du PALP, dans le centre actif desquelles les groupes thiol de deux cystĂ©ines catalysent la protonation[32] - [33]. Dans un mĂ©canisme Ă deux bases, un thiolate dĂ©protonĂ© (R-Sâ) jouant le rĂŽle de base, capte le proton du carbone α. Le groupe thiol de l'autre cystĂ©ine est chargĂ© de la reprotonation[31]. Ces processus de racĂ©misation catalysĂ©s par des enzymes produisent la plus grande partie des acides aminĂ©s D dans les organismes.
Antibiotiques peptidiques et autres médicaments peptidiques d'origine naturelle
Un grand nombre d'antibiotiques peptidiques sont construits à partir d'acides aminés D. Ce sont des substances naturelles, fabriquées par des procaryotes au moyen de synthÚses non-ribosomiques[31]. Le groupe trÚs important du point de vue pharmacologique des pénicillines contient comme élément de structure élémentaire la D-pénicillamine, un acide aminé non protéinogÚne. Les polymyxines et les actinomycines sont aussi construites autour d'acides aminés D (respectivement D-phénylalanine et D-valine). La bacitracine produite par le Bacillus subtilis consiste notamment d'aspartate, de glutamate, d'ornithine et de phénylalanine en configuration D. La valinomycine produite par Streptomyces fulvissimus contient de la D-valine, et la circuline A formée par le bacillus circulans contient de la D-leucine. Parmi les antibiotiques à acides aminés D, on compte encore notamment : la fongisporine (D-phénylalanine et D-valine), la gramicidine et la tyrocidine (D-phénylalanine), la malformine C (D-leucine et D-cystéine ), la mycobacilline (D-aspartate et D-glutamate)[34].
Des champignons ascomycÚtes produisent aussi des médicaments naturels contenant des acides aminés D, comme le tolypocladium inflatum, produisant l'immunosuppresseur ciclosporine avec de la D-alanine, ou le penicillium chrysogenum, produisant la pénicilline M avec de la D-valine.
La cyclosérine utilisée dans le traitement de la tuberculose, relativement simple chimiquement, est produite par des streptomycÚtes, comme Streptomyces garyphalus, avec de la D-sérine.
Acides aminés D et peptides contenant des acides aminés D
Pendant longtemps, on est parti de l'hypothÚse que, dans la nature, domine un seul énantiomÚre des acides aminés, c'est-à -dire la forme L. Jusqu'aux années 1960, les acides aminés D étaient considérés comme des artéfacts de laboratoire (erreurs dépendant du systÚme), et rangés parmi les « isomÚres non-naturels ». Aujourd'hui encore on trouve cette désignation d'« isomÚres non-naturels » pour les énantiomÚres D[35].
Oxydases des acides aminĂ©s D â enzymes sans substrat ?
En 1933, le médecin et chimiste allemand, futur Prix Nobel de physiologie ou médecine, Hans Adolf Krebs découvre l'enzyme oxydase des acides aminés D[36], et la décrit en détail deux ans plus tard[37] - [38]. Krebs établit que les acides aminés D, qui « n'apparaissent pas dans la nature » sont désaminés nettement plus vite que leurs isomÚres « naturels » L en présence de rein ou de foie de porc frais pressé. Avec un inhibiteur choisi, par exemple avec de l'octan-1-ol, il pouvait désactiver l'oxydase d'acide aminé L, et aboutir ainsi à ne plus désaminer sélectivement que les acides aminés D. Krebs en conclut que dans les organes utilisés, ou dans leurs extraits, il se trouvaient deux oxydases d'acides aminés, qui agissaient respectivement sur les acides aminés L et sur les D. Krebs se montra étonné qu'il y ait une enzyme qui n'agisse exclusivement que sur des substances non naturelles. Mais il fit remarquer que Félix Ehrlich en 1914[39], Edmund von Lippmann en 1884[40] et Sigmund FrÀnkel en 1923/24[41] avaient signalé l'apparition occasionnelle d'acides aminés D dans la nature[37]. La D-alanine isolée du cÚpe de Bordeaux par E. Winterstein et al en 1913[42], a été une de ces preuves précoces[43].
Acides aminés D dans les plantes
Dans les plantes, on peut montrer l'existence d'acides aminés D tant libres que liés dans des chaßnes peptidiques[44]. Ils sont souvent contenus dans les plantes sous forme de dérivés N-malonyle ou N-acétyle.
Par exemple, dans la racide de tournesol (Helianthus annuus) 40 % de l'alanine est en configuration D. La D-alanine et le dipeptide D-Ala-D-Ala se trouvent dans diverses herbes[45] ; de mĂȘme dans le riz (Oryza australiensis), oĂč environ 10 % de la sĂ©rine est dans la conformation D. Elle est fabriquĂ©e par la plante elle-mĂȘme avec une racĂ©mase de la sĂ©rine. Le gĂšne correspondant pour cette enzyme, chez l'Oryza sativa ssp. Japonica cv. Nipponbare, se situe sur le chromosome 4[46]. On a montrĂ© des acides aminĂ©s D en plus faibles concentrations dans une multitude de plantes alimentaires. On y compte notamment les pois (Pisum sativum)[47], l'ail, diverses espĂšces de chou et de fruits[48] - [49]. Il n'est encore pas du tout clair de savoir quelle fonction ces acides aminĂ©s D libres et peptidiques jouent dans les plantes[26].
Bactéries et acides aminés D
Avant la découverte d'acides aminés D libres, on a identifié des acides aminés D dans une série de composés d'origine microbienne. Par exemple, la pénicilline G, formée dans des cultures de moisissures penicillium notatum, découverte en 1928 par Alexander Fleming, contient comme élément notable la D-pénicillamine (ou 3-mercapto-D-valine).
Le Texan Esmond E. Snell a remarquĂ© en 1943 dans des expĂ©riences sur les cultures d'enterococcus faecalis et de lactobacillus casei que pour la croissance de ces espĂšces de bactĂ©ries, on peut remplacer complĂštement la pyridoxine (vitamine B6) nĂ©cessaire par de la D-alanine dans l'alimentation[50] - [51] - [52]. Il Ă©tablit en outre que la D-alanine est notablement plus efficace dans ce rĂŽle que la L-alanine[53]. Quand on a pu dĂ©montrer ensuite que de grandes quantitĂ©s de D-alanine Ă©taient prĂ©sentes dans les peptidoglycanes - les biopolymĂšres qui donnent Ă la paroi cellulaire des bactĂ©ries leur soliditĂ© - il a Ă©tĂ© clair pourquoi les cellules avaient besoin de ces acides aminĂ©s « non-naturels. » L'inclusion de D-alanine, et surtout de D-glutamate, empĂȘche la destruction des peptidoglycanes par les peptidases. De façon intĂ©ressante, c'est prĂ©cisĂ©ment cette « digue de protection » d'acides aminĂ©s D qui forme le point d'attaque pour les antibiotiques ÎČ-lactame, comme la pĂ©nicilline. Ces antibiotiques inhibent l'enzyme transpeptidase de la D-alanine, qui se trouve exclusivement dans les bactĂ©ries, et qui catalyse la rĂ©ticulation des peptidoglycanes, spĂ©cialement par la D-alanine[54].
En 1951, Irwin Clyde Gunsalus et Willis A. Wood ont isolé de l'enterococcus faecalis une racémase de l'alanine, enzyme qui catalyse la racémisation de la L-alanine naturelle[55]. Le gÚne alr qui code la racémase de l'alanine est présent chez toutes les bactéries[56]. La D-alanine formée à l'aide de la racémase de l'alanine est essentielle pour la synthÚse des peptidoglycanes chez pratiquement toutes les bactéries[57]. Outre la D-alanine et le D-glutamate, on trouve aussi chez certaines espÚces d'entérocoques de la D-sérine dans la paroi cellulaire[58] - [59]. Cette D-sérine y forme avec la D-alanine à l'extrémité C-terminale un dipeptide D-Ala-D-Ser, qui est responsable de la résistance de ces espÚces de bactéries aux glycopeptides, comme la vancomycine[60] - [61].
Acides aminés D dans les éponges
On a pu trouver dans les éponges des polythéonamides. Ce sont des toxines peptidiques dont les acides aminés alternent entre formes D et L. Ils sont apparemment synthétisés par les ribosomes sous forme de peptides L, puis, aprÚs la traduction, un acide aminé sur deux est épimérisé. Ceci se produit au moyen de quelques enzymes, dont les gÚnes, provenant apparemment de bactéries, sont arrivés chez les éponges par transfert horizontal de gÚnes[62] - [63].
Acides aminés D chez les organismes multicellulaires
Dankwart Ackermann et M. Mohr ont pu trouver en 1937 dans le foie du requin épineux de la D-ornithine[64]. L'oxydase des acides aminés D découverte par Krebs a été découverte dans les années suivantes chez tous les mammifÚres. H. Blaschko et Joyce Hawkins l'ont trouvée pour la premiÚre fois en 1951 chez des invertébrés. Mais la fonction de cet enzyme dans les divers organismes est restée encore non clarifiée[38]. Vers la fin des années 1960, on a spéculé que l'enzyme servait dans le tube digestif à la destruction des composants des parois cellulaires des bactéries gram-positives, qui contiennent de grandes quantités d'acides aminés D[65]. La théorie que l'oxydase des acides aminés D ne servait qu'à la destruction d'acides aminés apportés de l'extérieur (exogÚnes) a persisté jusqu'au début des années 1990.
C'est en 1950 qu'Auclair et Patton[66] ont trouvé pour la premiÚre fois de la D-alanine chez un organisme multicellulaire, dans l'hémolymphe de la punaise Oncopeltus fasciatus. Ils ont utilisé pour faire l'analyse une chromatographie sur papier à deux dimensions. AprÚs l'élution, ils ont pulvérisé les chromatogrammes séchés avec de l'oxydase des acides aminés D, qui ne désamine que la D-alanine en acide cétocarbonique, que l'on identifie facilement avec de la phénylhydrazine[52]. On supposa la présence de D-alanine due à la flore microbienne, à une contamination par la nourriture, ainsi qu'une racémisation spontanée due à l'ùge[67].
La biosynthÚse de D-sérine a été démontrée en 1965 par un groupe de travail autour de John J. Corrigan à l'Université Tufts au Massachusetts. Les vers à soie alimentésavec du D-glucose marqué radioactivement produisent aussi bien de la D-sérine que de la L-sérine[68]. Plus tard, on a trouvé des acides aminés D dans d'autres insectes[69] et mammifÚres[70].
En 1962, un groupe italien autour de Vittorio Erspamer a isolé dans la
l'anoure sud-américain Physalaemus fuscomaculatus la tachykinine physalémine[72]. Ce polypeptide est composé de douze acides aminés, et commence de l'extrémité N-terminale, par une D-proline. En code à une lettre, la séquence s'écrit pEADPNKFYGLM-NH2
[73]. C'est le premier peptide naturel dĂ©couvert avec un acide aminĂ© D qui ne soit pas d'origine microbienne. Mais mĂȘme, trois ans aprĂšs, le biochimiste amĂ©ricain Alton Meister Ă©crivait par exemple dans son ouvrage standard Biochemistry of the amino acids, « qu'il n'y a actuellement aucune preuve dĂ©cisive de l'existence d'acide aminĂ© D dans les protĂ©ines des plantes et des animaux[74] - [21]. » On n'a tout d'abord fait Ă peine attention Ă la dĂ©couverte d'Erspamer. Ce n'est que quand le mĂȘme groupe a, 19 ans plus tard, isolĂ© la dermorphine chez la Phyllomedusa sauvagii, aussi originaire d'AmĂ©rique du Sud[75] - [76], que l'on a commencĂ© lentement Ă reconnaĂźtre la portĂ©e de cette dĂ©couverte. Ă partir de l'extrĂ©mitĂ© N-terminale, la dermorphine, constituĂ©e de sept acides aminĂ©s contient en position 2 une D-alanine. La configuration D de cette alanine est indispensable pour l'activitĂ© pharmacologique. La dermorphine se lie au rĂ©cepteur ”1 et y est nettement plus sĂ©lective et puissante que les endorphines endogĂšnes (dynorphine et enkĂ©phaline) et que la morphine trĂšs rĂ©pandue, d'origine vĂ©gĂ©tale[77]. La dĂ©couverte contredisait un certain nombre de paradigmes, si bien qu'Erspamer a eu des difficultĂ©s certaines Ă trouver un journal spĂ©cialisĂ© qui accepte de publier ses travaux[78] - [79]. Un de ces paradigmes est que, dans la biosynthĂšse des protĂ©ines, l'ADN d'un organisme ne code que les 22 acides aminĂ©s protĂ©inogĂšnes, qui sont tous en conformation L. Il n'y a pas de gĂšne pour coder des acides aminĂ©s D. Ce n'est que plus de dix ans plus tard que la contradiction fut rĂ©solue : c'est une modification post-traductionnelle stĂ©rĂ©osĂ©lective catalysĂ©e par des Ă©pimĂ©rases qui est responsable de l'apparition d'acides aminĂ©s D dans des peptides d'eucaryotes. C'est-Ă -dire qu'aprĂšs la traduction, la conformation d'un acide aminĂ© L dĂ©terminĂ© est modifiĂ©e par une enzyme spĂ©cifique endogĂšne[80].
Acides aminés D chez les mammifÚres
Jusqu'en 1992, il était exclu que les acides aminés D aient une fonction biologique chez lez mammifÚres[67]. Par amélioration des procédés de mesure analytique comme la chromatographie en phase gazeuse[81] ou liquide à haute performance[82] - [49], il est devenu possible à partir des années 1980 de séparer proprement les acides aminés D de leurs énantiomÚres L, et de les mettre encore en évidence en trÚs petite quantité. Atsushi Hashimoto et al ont trouvé ainsi en 1992 dans le cerveau de rats domestiques de relativement grandes quantités de D-sérine libre. Ils indiquÚrent une concentration d'environ 0,27 ”mol/g de masse cérébrale, ce qui impliquait un rapport de D-sérine/L-sérine de 0,23[83]. Il était déjà connu auparavant que de la D-sérine apportée de l'extérieur (exogÚne) était un agoniste allostérique puissant et sélectif du récepteur NMDA (NMDA = N-méthyl-D-aspartate)[84]. La source de concentration relativement élevée en D-sérine, qui a été démontrée par la suite aussi dans le cerveau d'autres mammifÚres, y compris l'homme, est tout d'abord restée incertaine. Des spéculations, comme l'absorption ciblée de L-sérine racémisée dans la nourriture, et son transport vers le cerveau à travers la barriÚre hémato-encéphalique, ont cessé en 1999 avec la découverte de l'enzyme sérine racémase dans le cerveau des rats par Herman Wolosker et al[85]. La sérine racémase catalyse la racémisation de la sérine. On ne connaissait précédemment les racémases d'acides aminés que chez les bactéries et quelques insectes. L'enzyme a été trouvée dans les cellules gliales, qui montrent comparativement de hautes concentrations en D-sérine. Avec la découverte de la sérine racémase, on a pu montrer que ce métabolisme archaïque des acides aminés D a été conservé au cours de l'évolution jusqu'aux mammifÚres[85], et qu'il y exerce encore une fonction importante dans la neurotransmission - comme cela devrait apparaßtre dans l'avenir[86]. Il faut abandonner le dogme que les acides aminés D n'ont pas de fonction particuliÚre chez les eucaryotes. On sait aujourd'hui que la D-sérine joue un rÎle important dans de nombreux processus du systÚme nerveux central, comme l'apprentissage et la mémoire, mais aussi dans des troubles psychiques[87], des neuropathies et des maladies neurodégénératives[88] - [61] - [89].
Importance physiologique
Acides aminés D libres
Jusqu'à la fin des années 1990, on est parti de l'hypothÚse que les acides aminés D n'avaient aucune fonction physiologique chez les vertébrés. Avec la découverte de relativement grandes quantités de D-sérine et de D-aspartate dans le cerveau des mammifÚres, l'étude de l'action physiologique de ces deux acides aminés inhabituels a commencé. Cette étude est une discipline relativement jeune, avec encore beaucoup de questions ouvertes.
La D-sérine
La D-sérine se trouve outre les cellules gliales également dans les neurones[91] - [92]. Elle provient de la L-sérine sous l'action catalytique de l'enzyme sérine racémase (EC 5.1.1.18), qui est exprimée par ces cellules. La destruction est catalysée par l'oxydase des acides aminés D (EC 1.4.3.3). La concentration de D-sérine est déterminée par ces deux processus de formation et de destruction. La D-sérine est un co-agoniste du récepteur NMDA, dont le ligand naturel est la glycine[84]. Ce récepteur est de grande importance pour une série de processus physiologiques, et aussi pathologiques. La D-sérine renforce l'activité du récepteur NMDA. C'est pourquoi elle est aussi nommée neuromodulateur[93].
Une surexpression d'oxydase d'acides aminés D, conduisant à une augmentation de la dégradation de la D-sérine, réduit en conséquence l'activité des récepteurs NMDA. Cette activité diminuée est mise en relation avant tout avec la schizophrénie[94]. Déjà de faibles quantités d'antagonistes du récepteur peuvent déclencher chez des sujets sains des symptÎmes comme de faibles troubles cognitifs et physiologiques, qui correspondent à ceux d'une schizophrénie[95].
En 2002, un grand groupe de recherche international a établi que le gÚne nouvellement découvert G72 (gÚne DAOA, activateur de l'oxydase des acides aminés) est en lien étroit avec la schizophrénie. Le produit de G72 active l'oxydase des acides aminés D, ce qui fait diminuer la concentration de D-sérine dans le cerveau. Mais ils n'ont trouvé qu'une faible corrélation entre l'activité de l'oxydase des acides aminés D et la survenue de la schizophrénie. C'est pourquoi la combinaison de l'oxydase des acides aminés D et de l'activateur G72 les soutenait mutuellement (synergie)[96]. Les auteurs en ont conclu que finalement la concentration en D-sérine libre joue un rÎle notable dans la schizophrénie. D'autres études ont montré également une relation génétique entre l'oxydase des acides aminés D et la schizophrénie[97] - [98]. Ces découvertes s'accordent avec les résultats de groupes qui ont pu montrer que la concentration de D-sérine dans le sérum sanguin[99] et dans le liquide cérébrospinal[100] - [101] de patients schizophréniques, par comparaison avec une cohorte de sujets sains, est significativement réduite. En outre, on a trouvé dans les cerveaux de patients schizophréniques décédés une expression plus élevée de l'oxydase des acides aminés D[102] - [103] - [104] - [105]. L'administration en supplément de D-sérine pendant le traitement de patients schizophréniques a présenté dans des études cliniques de nombreux résultats encourageants[106] - [107]. Dans une méta-analyse de 18 études cliniques, on a établi la réduction des symptÎmes de la schizophrénie. Cependant, l'amélioration n'était que modérée[108].
Les dĂ©couvertes sur la fonction de la D-sĂ©rine et de l'oxydase des acides aminĂ©s D ont conduit Ă la mise au point de divers inhibiteurs de l'oxydase des acides aminĂ©s D, qui pourraient ĂȘtre des mĂ©dicaments potentiels pour le traitemement de la schizophrĂ©nie[109] - [110] - [111]. Les inhibiteurs de l'oxydase des acides aminĂ©s D se trouvent encore dans une phase de mise au point trĂšs prĂ©coce[112] - [113], si bien qu'en 2012, aucun mĂ©dicament sur ce principe n'a encore reçu d'autorisation de mise sur le marchĂ© (AMM).
On Ă©tudie, dans l'autre sens, si une concentration trop Ă©levĂ©e de ces acides aminĂ©s dans les cellules gliales, et l'excitotoxicitĂ© allant de pair, peut ĂȘtre une cause de la sclĂ©rose latĂ©rale amyotrophique, une maladie dĂ©gĂ©nĂ©rative du systĂšme nerveux[114] - [115].
Le D-aspartate
C'est en 1986 que le groupe autour de l'AmĂ©ricain David S. Dunlop a trouvĂ© des quantitĂ©s substantielles de D-aspartate dans le cerveau de rongeurs et dans le sang humain. C'est dans le tĂ©lencĂ©phale de rats nouveau-nĂ©s qu'ils ont trouvĂ© la plus haute concentration, avec 164 nmol/g de D-aspartate. Ceci correspondait Ă 8,4 % de l'aspartate total. Cette concentration dĂ©passe celle de nombreux acides aminĂ©s L essentiels dans le cerveau[116]. En dehors du cerveau, ils ont pu aussi mettre en Ă©vidence des concentrations relativement Ă©levĂ©es de D-aspartate dans la glande pinĂ©ale, l'hypophyse, les surrĂ©nales et les testicules[117] - [118]. De maniĂšre analogue Ă la D-sĂ©rine, le D-aspartate est produit dans l'organisme par racĂ©misation enzymatique de L-aspartate, et dans ce cas par la racĂ©mase du D-aspartate (EC 5.1.1.13), et la dĂ©gradation est produite par l'oxydase du D-aspartate (EC 1.4.3.1). Avec l'Ăąge, la concentration de D-aspartate diminue drastiquement[119]. Les hautes activitĂ©s en racĂ©mase du D-aspartate se trouvent dans les organes oĂč on trouve Ă©galement de hautes concentrations en D-aspartate. L'activitĂ© est maximale dans l'hypophyse. Une dĂ©sactivation de la racĂ©mase du D-aspartate, par exemple par un rĂ©trovirus, qui suscite une perte de fonction ciblĂ©e dans l'acide ribonuclĂ©ique (ARN) complĂ©mentaire de la racĂ©mase du D-aspartate, conduit Ă une diminution substantielle de la concentration en D-aspartate. La consĂ©quence en est que le dĂ©veloppement dendritique est massivement perturbĂ©, ce qui conduit alors Ă des dommages marquĂ©s pour la neurogĂ©nĂšse dans l'hippocampe[120]. Sur la base de ces rĂ©sultats expĂ©rimentaux, on part de l'hypothĂšse que le D-aspartate est un rĂ©gulateur important du dĂ©veloppement neuronal[119]. L'action physiologique dĂ©taillĂ©e du D-aspartate est encore largement inconnue. Ce domaine de recherche est tout Ă fait nouveau. C'est ainsi que ce n'est qu'en 2010 que la racĂ©mase de l'aspartate a Ă©tĂ© clonĂ©e chez les mammifĂšres[120].
Peptides contenant des acides aminés D
Au cours du vieillissement d'un organisme, la multiplication de la racĂ©misation, en particulier de l'aspartate, amĂšne une perte croissante d'homochiralitĂ©. Le stress oxydant et les rayons UV[121] peuvent accĂ©lĂ©rer cette perte. La racĂ©misation de l'aspartate se dĂ©roule particuliĂšrement facilement en raison de la formation d'un intermĂ©diaire, un succinimide, qui n'a besoin que d'une trĂšs faible Ă©nergie d'activation[122]. Cette racĂ©misation in vivo des protĂ©ines non enzymatique est un processus de vieillissement autonome, qui concerne avant tout les protĂ©ines Ă longue vie, comme le collagĂšne de la dentine ou le cristallin[123]. Par exemple, 0,14 % de l'aspartate du cristallin est racĂ©misĂ© par an. Un homme de 30 ans a ainsi en moyenne 4,2 % de l'aspartate dans son cristallin qui est racĂ©misĂ©[124]. En outre d'autres protĂ©ines fonctionnelles, comme des enzymes ou des sĂ©miochimiques, sont aussi touchĂ©es par la racĂ©misation. Les peptides qui contiennent des acides aminĂ©s D sont notablement plus stables vis-Ă -vis de la dĂ©gradation enzymatique par des protĂ©ases que ceux dont les acides aminĂ©s ne sont qu'en conformation L. Dans bien des cas, la racĂ©misation d'une protĂ©ine endogĂšne conduit Ă des problĂšmes physiologiques. La racĂ©misation conduit Ă une perte de fonction et Ă une accumulation de la protĂ©ine dans les tissus les plus divers, oĂč l'organisme ne peut pas les dĂ©grader. Dans certains tableaux cliniques, on observe un accroissement de la racĂ©misation. Dans l'athĂ©rome, l'emphysĂšme pulmonaire, la presbytie, la cataracte, les manifestations dĂ©gĂ©nĂ©ratives des cartilages et du cerveau, on considĂšre la racĂ©misation de l'aspartate comme un facteur pathologique pertinent[125].
C'est en 1988 que l'on a trouvĂ© pour la premiĂšre fois dans les plaques sĂ©niles de bĂȘta-amyloĂŻde du cerveau de patients dĂ©cĂ©dĂ©s avec la maladie d'Alzheimer un taux Ă©levĂ© de racĂ©misation[126]. C'Ă©taient avant tout du D-aspartate et de la D-sĂ©rine qui ont Ă©tĂ© mis en Ă©vidence[127]. Plus tard, on a reconnu qu'une racĂ©misation de l'aspartate en position 23[128] conduisait Ă une accĂ©lĂ©ration de l'agrĂ©gation des peptides[129] qui est considĂ©rĂ©e comme un Ă©lĂ©ment substantiel de la pathogenĂšse de la maladie d'Alzheimer. Contrairement Ă la racĂ©misation en position 23, la racĂ©misation en position 7 conduit Ă une diminution de l'agrĂ©gation des peptides[129]. Dans la survenue de la maladie d'Alzheimer, on attribue un rĂŽle important aux processus de racĂ©misation de la bĂȘta-amyloĂŻde par vieillissement de la protĂ©ine, qui se dĂ©roulent comme ceux de la dentine. La racĂ©misation accĂ©lĂšre l'agrĂ©gation des peptides et rend plus difficile leur dĂ©sagrĂ©gation par des protĂ©ases[130] - [131].
Propriétés
Propriétés chimiques et physiques
Dans un environnement achiral, les acides aminĂ©s L et D sont identiques dans leurs propriĂ©tĂ©s chimiques et physiques, Ă l'exception de leur action sur la direction de polarisation de la lumiĂšre. Par contre, dans un environnement chiral, des diffĂ©rences notables peuvent ĂȘtre Ă©tablies. Ceci est vrai en particulier dans les processus biochimiques, qui sont naturellement chiraux. Un exemple pratique pour cela est la diffĂ©rence de goĂ»t entre des Ă©nantiomĂšres d'acides aminĂ©s. Les chĂ©morĂ©cepteurs gustatifs construits d'acides aminĂ©s L forment un environnement chiral, qui interagissent diffĂ©remment vis-Ă -vis des Ă©nantiomĂšres. C'est ainsi que le goĂ»t de la plupart des acides aminĂ©s L est dĂ©crit comme amer, tandis que celui des acides aminĂ©s D l'est comme doux[132] - [133]. Un exemple extrĂȘme est le D-tryptophane, le plus sucrĂ© de tous les acides aminĂ©s D, plus de 37 fois plus que le saccharose. Par contre, le L-tryptophane, est, avec la L-tyrosine, le plus amer[134]. De la mĂȘme maniĂšre, les interactions avec d'autres rĂ©cepteurs ou enzymes peuvent se dĂ©rouler de façon diffĂ©rente dans les processus biochimiques. Ceci est en particulier valable pour les peptides et les protĂ©ines qui contiennent un ou plusieurs acides aminĂ©s D.
L'inclusion d'un acide aminĂ© D, ou en particulier l'Ă©pimĂ©risation d'un acide aminĂ© L au sein d'une protĂ©ine produit du point de vue stĂ©rĂ©ochimique la formation d'un diastĂ©rĂ©oisomĂšre, qui donne Ă l'ensemble de la protĂ©ine des propriĂ©tĂ©s chimiques et physiques complĂštement nouvelles[31]. Cette intervention biochimique sur la structure primaire du peptide a des consĂ©quences notables sur ses structures secondaire, tertiaire et quaternaire. Son effet biochimique est alors fortement modifiĂ©. Dans les cas extrĂȘmes, elle peut soit perdre complĂštement sa fonction, soit prendre une fonction totalement nouvelle, Ă©ventuellement toxique. Les acides aminĂ©s D empĂȘchent la constitution d'une hĂ©lice alpha au sein d'un peptide constituĂ© d'acides aminĂ©s L. Ce sont des briseurs d'hĂ©lice. Seules des protĂ©ines constituĂ©es entiĂšrement soit d'acides aminĂ©s D soit d'acides aminĂ©s L peuvent construire des hĂ©lices avec les acides aminĂ©s susceptibles de les construire (valine, glutamine, isoleucine, alanine, mĂ©thionine, leucine, glutamate ou tryptophane). Ces hĂ©lices tournent en sens inverse. Ceci n'est pas possible avec un mĂ©lange d'acides aminĂ©s de conformations diffĂ©rentes[14].
Toxicologie
IsomÚres D d'acides aminés protéinogÚnes
Dans des Ă©tudes oĂč la prise orale d'acides aminĂ©s, par exemple sous la forme de complĂ©ments nutritifs, a Ă©tĂ© Ă©tudiĂ©e, il a Ă©tĂ© montrĂ© que tous les acides aminĂ©s sauf la sĂ©rine et l'aspartate ont des effets toxiques plus marquĂ©s en configuration L « naturelle » qu'en configuration D[135] - [26]. Les acides aminĂ©s D forment une partie normale d'un nombre d'aliments. Ils ont pour origine avant tout des processus de racĂ©misation d'acides aminĂ©s L. Dans les nourritures qui ont subi une fermentation, comme les produits lactĂ©s, on trouve des quantitĂ©s Ă©levĂ©es d'acides aminĂ©s D. Par exemple, l'emmental contient environ 0,7 g/kg d'acides aminĂ©s D[136]. DĂ©jĂ dans le lait de vache frais, environ 1,5 % des acides aminĂ©s sont en configuration D[137].
On estime qu'environ un tiers des acides aminĂ©s D pris dans la nourriture sont d'origine microbienne[138]. Pour pouvoir utiliser dans l'organisme les acides aminĂ©s contenus dans la nourriture et insĂ©rĂ©s dans les protĂ©ines, les protĂ©ines doivent ĂȘtre dĂ©composĂ©es dans leurs Ă©lĂ©ments, les acides aminĂ©s libres. S'il se trouve dans une protĂ©ine des acides aminĂ©s D, l'accĂšs de la protĂ©ine aux enzymes protĂ©olytiques peut ĂȘtre notablement limitĂ©. Les enzymes de l'appareil digestif humain ne peuvent pas briser les liaisons entre acides aminĂ©s D et L. La dĂ©gradation en acides aminĂ©s libres, ou en dipeptides ou tripeptides, nĂ©cessaire pour l'absorption dans la muqueuse intestinale en est rendue plus difficile[139]. Les parties plus importantes de peptides ne peuvent pas ĂȘtre assimilĂ©es et sont excrĂ©tĂ©es avec les matiĂšres fĂ©cales. La disponibilitĂ© biologique, et Ă©galement la valeur nutritive est alors fortement diminuĂ©e[140]. Les dipeptides ou tripeptides contenant des acides aminĂ©s D, et les acides aminĂ©s D libres peuvent ĂȘtre rĂ©sorbĂ©s par des transporteurs de peptides. Une grande partie des acides aminĂ©s D ainsi absorbĂ©s sont Ă©liminĂ©s par les reins. Selon l'offre de nourriture et le type d'acide aminĂ©, une partie des acides aminĂ©s D peut ĂȘtre transformĂ©e par Ă©pimĂ©risation en acides aminĂ©s L, et donc ĂȘtre mise Ă la disposition de la biosynthĂšse des protĂ©ines[141].
L'inclusion d'acides aminés D dans la paroi cellulaire des bactéries a pour effet leur résistance aux protéases. Cette résistance est trÚs importante pour l'homme, puisqu'il y a dans l'intestin d'un adulte plusieurs centaines de grammes de bactéries intestinales, qui sont nécessaires à la digestion, avec une multiplicité de protéases.
La plus grande partie des acides aminés D dans la nourriture trouve son origine par sa préparation. Les hautes températures ou des conditions fortement acides ou basiques conduisent à une racémisation partielle. Par exemple, dans les chips, environ 14 % de l'aspartate est sous forme D ; dans l'ersatz de lait à mettre dans le café, ce sont 17 %, et dans une tranche de bacon pour le petit-déjeuner, 13 %. Les acides aminés L libres se racémisent environ dix fois plus lentement que s'ils sont liés dans une protéine. Le taux de racémisation en outre dépend fortement de l'acide aminé. Par exemple, la sérine, en raison de son groupe hydroxyle se racémise particuliÚrement facilement[140] - [142] - [143]. Les conditions drastiques nécessitées par la production de gélatine - fusion acide ou basique à haute température - conduisent à une forte racémisation, en particulier de l'aspartate, dans le collagÚne de la gélatine. La fraction de D-aspartate sur aspartate total peut facilement dépasser 30 % dans des gélatines disponibles dans le commerce[144].
Les acides aminés D pris par les mammifÚres ne sont pas incorporés dans des protéines ou des peptides, ou d'autres (macro-)molécules du métabolisme. On ne constate pas d'enrichissement des tissus corporels. Les acides aminés D sont éliminés en partie dans l'urine, et en partie par désamination par l'enzyme oxydase des acides aminés D présente dans le foie et les reins, et oxydés en produits normaux du métabolisme, les cétoacides. En ce qui concerne la toxicité des infusions d'acides aminés D, on possÚde de longues années d'expérience plus ou moins volontaire, qui amÚnent à conclure qu'ils ne sont pas nuisibles à la santé[145]. La base pour cette affirmation est la bonne tolérance de l'alimentation par voie parentérale qui a consisté pendant de nombreuses années de racémates d'acides aminés à haute dose. Ces solutions d'infusion étaient obtenues par hydrolyse acide de protéines, ce qui conduit forcément à une forte racémisation[146]. La méthionine racémique, DL-méthionine, constitue une partie de beaucoup d'aliments de l'élevage bovin. Chez les vaches laitiÚres, on a pu montrer que plus de 75 % de la D-méthionine était transformée en L-méthionine, et ainsi rendue biodisponible[147].
Indépendamment de ces valeurs tirées de l'usage, il faut considérer les résultats expérimentaux sur le modÚle animal du rat. De hautes doses (dans la gamme des 0,8 g/kg) de D-sérine conduisent dans ces organismes modÚles à une nécrose tubulaire aiguë[148] - [149] - [150] - [151], réversible aprÚs la suppression de l'administration de D-sérine[152]. Au bout d'environ six jours, la régénération complÚte de la fonction du rein est acquise[153]. Les modifications pathologiques sont largement similaires à une lésion des reins due à de la lysinoalanine (combinaison de lysine et de déshydroalanine, un acide aminé non protéinogÚne). On n'a pas encore d'explication sûre de la raison pour laquelle la D-sérine à ces hautes concentrations est toxique pour le rein. Il est possible que la D-sérine réduise la concentration en glutathion rénal, dont la fonction est de protéger les cellules du tubule distal des influences néfastes dus aux dérivés réactifs de l'oxygÚne (ROS). Dans la dégradation enzymatique de la D-sérine par l'oxydase des acides aminés D, il se forme comme sous-produit du peroxyde d'hydrogÚne[154], qui abaisse notablement la réserve de glutathion au sein de la cellule[140] - [155].
Une communication publiĂ©e en dĂ©cembre 1989 dans le pĂ©riodique spĂ©cialisĂ© de renom The Lancet a suscitĂ© une grande attention. Elle Ă©tait signĂ©e de trois mĂ©decins viennois, qui avaient chauffĂ© du lait dans un four Ă micro-ondes, et trouvĂ© de grandes quantitĂ©s de D-proline, apparemment due Ă la racĂ©misation de la L-proline du lait. Ă la suite, ils ont attribuĂ© Ă cette D-proline des propriĂ©tĂ©s toxiques pour les nerfs, les reins et le foie[156]. Cette publication Ă©tait une lettre aux rĂ©dacteurs, et non une publication soumise Ă critique par les pairs, ni mĂȘme Ă une Ă©tude contrĂŽlĂ©e[157]. Les auteurs n'ont pas prĂ©cisĂ© les conditions de l'expĂ©rience qui avait conduit Ă ce point de racĂ©misation. IndĂ©pendamment de ces restrictions, cette annonce a Ă©tĂ© publiĂ©e dans la presse quotidienne et hebdomadaire avec des formules dramatiques et des avertissements sur l'usage des fours Ă micro-ondes. En , le bureau fĂ©dĂ©ral de la santĂ© a publiĂ© une mise au point, qui n'a pratiquement eu aucun impact dans le public. D'autres scientifiques ont soulignĂ© que la D-proline fait normalement partie de la nourriture quotidienne, et qu'elle est vite dĂ©gradĂ©e et Ă©liminĂ©e aprĂšs son absorption orale[158]. Cependant, en , un journal est paru avec la manchette « Les micro-ondes empoisonnent les nerfs, le foie et les reins[146]. » Des affirmations semblables se trouvent toujours aujourd'hui sur des sites web correspondants[159] - [160] - [161].
Les tentatives d'autres groupes pour retrouver les rĂ©sultats des mĂ©decins viennois ont commencĂ© par Ă©chouer. Ainsi, aprĂšs 30 minutes de cuisson du lait sur une cuisiniĂšre, aucune augmentation de la D-proline n'a pu ĂȘtre mesurĂ©e[162] - [163]. Deux ans plus tard, les conditions de l'expĂ©rience ont Ă©tĂ© publiĂ©es. Les auteurs de la lettre au Lancet avaient chauffĂ© le lait dans un rĂ©cipient Ă pression fermĂ© pendant 10 minutes Ă 174â176 °C, un domaine de tempĂ©rature que les rĂ©cipients domestiques pour le chauffage du lait ne peuvent pas atteindre[164] - [165]. En ce qui concerne leur affirmation sur la neurotoxicitĂ© de la D-proline, les auteurs de la lettre au Lancet se fondaient sur des expĂ©riences de 1978, oĂč l'on avait injectĂ© la substance directement dans les ventricules cĂ©rĂ©braux[166]. Des expĂ©riences ultĂ©rieures sur la toxicitĂ© de la D-proline chez les rats ont montrĂ© que ce composĂ© est sans danger, mĂȘme Ă haute concentration[167] - [146].
Le vrai danger du chauffage du lait dans les fours à micro-ondes provient - spécialement pour les enfants en bas ùge - du chauffage inégal du contenu du biberon, ce qui conduit couramment à des brûlures de gravité clinique[168].
IsomÚres D d'acides aminés non protéinogÚnes
On ne peut pas donner d'indication gĂ©nĂ©rale sur la toxicitĂ© des isomĂšres D des acides aminĂ©s non-protĂ©inogĂšnes. Elle dĂ©pend trĂšs individuellement du type d'acide aminĂ© concernĂ©. De façon intĂ©ressante, certaines combinaisons contenant des acides aminĂ©s D sont notablement moins toxiques que leurs isomĂšres L : par exemple, la cyclosĂ©rine et la pĂ©nicillamine. C'est ainsi que par exemple, la dose lĂ©tale mĂ©diane pour l'absorption orale du racĂ©mique de pĂ©nicillamine D et L chez le rat est de 365 mg/kg. Pour la D-pĂ©nicillamine, on ne note aucun signe de toxicitĂ© mĂȘme pour une dose de 1 200 mg/kg[169].
D-Peptides
On ne peut pas faire d'assertion générale sur les propriétés toxicologiques des D-peptides. Leur sensibilité vis-à -vis des protéases est notablement plus faible et leur potentiel immunogÚne significativement plus petit que celui des L-peptides correspondants[170] - [171].
Analyse
Procédés classiques
Avec un polarimĂštre, on peut dĂ©terminer l'angle de rotation de la polarisation d'une solution d'acides aminĂ©s, d'oĂč l'on peut calculer le contenu en Ă©nantiomĂšres D et L. Pour cela, il faut que des conditions standardisĂ©es soient rĂ©alisĂ©es (avant tout, concentration, tempĂ©rature et solvant). En outre, ce procĂ©dĂ© n'est applicable qu'Ă des acides aminĂ©s seuls, et non Ă des mĂ©langes d'acides aminĂ©s diffĂ©rents. Dans les annĂ©es 1960 Ă 1980, la chromatographie Ă Ă©change d'ions a Ă©tĂ© utilisĂ©e pour la sĂ©paration d'acides aminĂ©s dĂ©rivĂ©s. Pour cela, les acides aminĂ©s Ă analyser sont transformĂ©s avant la sĂ©paration en dipeptides diastĂ©rĂ©oisomĂšres avec des acides aminĂ©s L[172]. Ăgalement des procĂ©dĂ©s enzymatiques, qui reposent sur des transformations avec des enzymes spĂ©cifiques comme les oxydases des acides aminĂ©s D ou L[173] font partie des procĂ©dĂ©s classiques de dĂ©termination des Ă©nantiomĂšres des acides aminĂ©s[26].
Procédés chromatographiques
Des analyses quantitatives, mĂȘme de mĂ©langes complexes d'acides aminĂ©s, peuvent ĂȘtre accomplies au moyen de procĂ©dĂ©s chromatographiques. Ceci suppose de sĂ©parer les composants individuels du mĂ©lange sur la phase stationnaire du chromatographe, puis de les mesurer avec un dĂ©tecteur. Ces derniers sont surtout des spectroscopes ou des spectomĂštres de masse, ou encore en chromatographie en phase gazeuse par dĂ©tection d'ionisation en flamme (en). Pour la sĂ©paration du mĂ©lange sur la phase stationnaire, on utilise deux stratĂ©gies. Dans le cas le plus simple, cette sĂ©paration des deux Ă©nantiomĂšres a lieu sur une phase stationnaire chirale, qui interagit diffĂ©remment avec les deux isomĂšres, et donc est Ă©luĂ©e Ă une vitesse diffĂ©rente. La sĂ©paration Ă une phase stationnaire achirale n'est possible que quand les Ă©nantiomĂšres sont remplacĂ©s par des diastĂ©rĂ©oisomĂšres. Les procĂ©dĂ©s d'analyse qui se sont imposĂ©s sont la chromatographie en phase gazeuse (GC) et la chromatographie en phase liquide Ă haute performance (HPLC). Comme procĂ©dĂ© non-chromatographique, on utilise notamment l'Ă©lectrophorĂšse capillaire pour l'analyse des acides aminĂ©s D[26]. Ce n'est que la mise au point de mĂ©thodes chromatographiques spĂ©ciales qui a permis de trouver et de quantifier les acides aminĂ©s D dans les organes des organismes supĂ©rieurs[174] - [175].
Chromatographie en phase gazeuse
Les acides aminĂ©s ne peuvent pas ĂȘtre vaporisĂ©s sans se dĂ©composer. Pour leur sĂ©paration et leur analyse en chromatographie en phase gazeuse, ils doivent ĂȘtre transformĂ©s en composĂ©s vaporisables sans dĂ©composition. Ă cette fin, ils sont en gĂ©nĂ©ral soumis Ă une rĂ©action chimique en deux Ă©tapes. Par exemple, dans une premiĂšre Ă©tape, on peut transformer le groupe carboxyle en ester avec de l'Ă©thanol, puis dans une deuxiĂšme Ă©tape, transformer le groupe amino en trifluoracĂ©tyle sous l'action de l'anhydride trifluoroacĂ©tique. Le dĂ©rivĂ© N-TFA/O-Ă©thyl- de l'acide aminĂ© peut alors ĂȘtre vaporisĂ© dans le chromatographe sans se dĂ©composer, et ĂȘtre sĂ©parĂ© sur une phase stationnaire chirale[176]. La rĂ©action sĂ©parĂ©e sur chacun des ligands du carbone α protĂšge du danger d'une racĂ©misation, et garantit que la rĂ©action aura la mĂȘme cinĂ©tique pour les deux Ă©nantiomĂšres. L'une ou l'autre de ces possibilitĂ©s pourrait altĂ©rer le rĂ©sultat de la mesure[26].
Chromatographie en phase liquide Ă haute performance
En HPLC, contrairement Ă la chromatographie en phase gazeuse, il est usuel de combiner le produit Ă analyser avec des rĂ©actifs chiraux, et d'utiliser une phase non-chirale. Comme rĂ©actif chiral, on peut utiliser la L-N-acĂ©tylcystĂ©ine avec du benzol-1,2-dicarbaldĂ©hyde[177]. La paire de diastĂ©rĂ©omĂšres (D - L et L - L) ont des propriĂ©tĂ©s physiques et chimiques diffĂ©rentes, si bien qu'ils peuvent ĂȘtre sĂ©parĂ©s et dĂ©tectĂ©s sur une colonne conventionnelle (achirale).
SynthĂšse
La plupart des acides aminés L protéinogÚnes sont obtenus par fermentation. Ce procédé microbiologique n'est pas approprié pour la production d'acides aminés D[178]. Pour couvrir les besoins croissants en acides aminés D, divers processus de production ont été mis au point.
Les synthÚses chimiques classiques, comme la synthÚse de Strecker conduisent toujours à des racémiques d'acides aminés. On peut séparer les énantiomÚres de ce mélange, ce qui est coûteux, ou bien on y transforme enzymatiquement les acides aminés L en cétoacides au moyen de désaminases d'acides aminés L, et on peut les séparer alors facilement[179] - [180].
Une mĂ©thode plus Ă©lĂ©gante est la synthĂšse d'acides aminĂ©s D par la substitution d'hydantoĂŻnes. Les hydantoĂŻnes se produisent par des techniques de grands volumes selon la rĂ©action de Bucherer-Bergs Ă partir d'aldĂ©hydes, de cyanure de potassium et de carbonate d'ammonium. Selon le choix de l'aldĂ©hyde utilisĂ©, on obtiendra l'acide aminĂ© souhaitĂ©. L'hydantoĂŻne ainsi prĂ©parĂ©e peut ensuite ĂȘtre transformĂ©e par le procĂ©dĂ© Ă l'hydantoĂŻnase en acide aminĂ© D. Ce procĂ©dĂ© Ă plusieurs enzymes a Ă©tĂ© mis au point par Degussa (maintenant Evonik), et consiste en trois Ă©tapes. Tout d'abord, le dĂ©rivĂ© d'hydantoĂŻne racĂ©mique est hydrolysĂ© sous l'influence catalytique d'une D-hydantoĂŻnase en N-carbamoyl-D-acide aminĂ©. Dans une deuxiĂšme Ă©tape, le N-carbamoyl-D-acide aminĂ© est hydrolysĂ© au moyen d'une D-carbamoylase en un acide aminĂ© Ă©nantiomĂšre pur. Dans la troisiĂšme Ă©tape, l'Ă©nantiomĂšre non transformĂ© du composĂ© de l'hydantoĂŻne est racĂ©misĂ© chimiquement ou enzymatiquement. La racĂ©misation chimique a lieu pour un pH > 8, et peut ĂȘtre substantiellement accĂ©lĂ©rĂ©e par l'addition d'une racĂ©mase. En comparaison avec les autres processus, le processus Ă l'hydantoĂŻne produit Ă partir d'un racĂ©mique des acides aminĂ©s Ă©nantiomĂšres purs avec un rendement thĂ©orique de 100 %[181].
Utilisation
La demande mondiale en acides aminĂ©s D a continuellement augmentĂ© au cours des derniĂšres annĂ©es. Pour l'annĂ©e 2017, on pronostique un marchĂ© d'environ 3,7 milliards de USâ$[182].
Les acides aminés D sont utilisés comme constituants importants par exemple dans des édulcorants, des insecticides, des cosmétiques et avant tout dans une multiplicité de médicaments, qui représentent un facteur de croissance important pour le développement du marché[183].
C'est ainsi que chaque année, on a besoin de plusieurs milliers de tonnes de D-4-hydroxyphénylglycine et de D-phénylglycine pour la synthÚse des pénicillines (par exemple l'amoxicilline) et des céphalosporines (par exemple le Céfaclor).
Non seulement les acides aminés D élÚvent la stabilité des parois cellulaires des bactéries vis-à -vis de la dégradation protéolytique, mais leur inclusion bien dirigée dans les médicaments améliore leur stabilité, en particulier face à l'administration orale. En outre, le changement de l'ordonnancement des groupes fonctionnels dans leur conformation offre pour la construction de nouvelles molécules un nouveau degré de liberté qui peut conduire à de meilleures propriétés[184]. Le cetrorelix (en), utilisé en médecine de l'appareil génital, pour inhiber l'hormone de libération des gonadotrophines hypophysaires, dont il est un analogue, consiste par exemple en dix acides aminés, dont cinq sont en configuration D[185] - [186]. Le cetrorelix est entiÚrement fabriqué synthétiquement à partir des acides aminés individuels. D'autres médicaments similaires, comme leuproreline, buserelin, degarelix, histrelin, nafarelin ou abarelix contiennent au moins un acide aminé D.
Le tadalafil, utilisé dans le traitement de la dysfonction érectile, mieux connu sous sa marque commerciale Cialis, contient dans sa structure un D-tryptophane[187]. L'antidiabétique natéglinide, du groupe des glinides est fait de D-phénylalanine et d'acide cis-4-isopropyl-cyclohexane-carbonique. La phénylalanine est utilisée depuis les années 1970 comme antidépresseur[188]. Pour l'utilisation comme médicament, on utilise le racémique, bien moins onéreux. Une fraction substantielle de l'action antidépressive et analgésique est due à la D-phénylalanine, qui n'est pas métabolisée, comme la L-phénylalanine en L-tyrosine, L-DOPA ou noradrénaline qui améliorent l'humeur, mais elle bloque de façon primaire l'enzyme enképhalinase[189]. Ce blocage conduit à augmenter la concentration d'enképhalines dans le sang, ce qui suscite l'effet analgésique. Ultérieurement, la D-phénylalanine est métabolisée principalement en phényléthylamine[190] - [191]
L'insecticide fluvalinate utilisé pour la lutte contre le varroa[192] du groupe des pyréthrinoïdes contient dans sa composition de la D-valine.
La D-alanine est un composant de l'Ă©dulcorant alitame.
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