Miguel Campins
Miguel Campins y Aura (Alcoy, province dâAlicante, 1880 â SĂ©ville, 1936) Ă©tait un militaire et pĂ©dagogue espagnol.
Miguel Campins y Aura | ||
Naissance | Alcoy (province d'Alicante) |
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DĂ©cĂšs | (Ă 56 ans) SĂ©ville |
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Origine | Espagne | |
AllĂ©geance | Royaume dâEspagne ; RĂ©publique espagnole |
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Arme | Infanterie ; aviation ; Ă©tat-major | |
Grade | Général de brigade | |
AnnĂ©es de service | Juillet 1898 â aoĂ»t 1936 | |
Commandement | Gouverneur militaire de la place de Grenade | |
Conflits | Guerre du Rif (notamment campagne du Kert et dĂ©barquement d'Al Hoceima) ; RĂ©pression du mouvement rĂ©volutionnaire dâoctobre 1934 Ă Reus ; Coup dâĂtat militaire du 18 juillet 1936 |
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Distinctions | Croix de 1re classe du Mérite militaire (1906) ; Croix de 2e classe du Mérite militaire (1924) ; Croix de 3e classe du Mérite militaire (1932 & 1934) ; Croix de Marie-Christine (1911, 1912 & 1927) ; Médaille militaire à titre collectif pour le régiment de la Couronne no 71 (1922) ; Officier de la Légion d'honneur (1927). |
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Autres fonctions | Directeur des Ă©tudes de lâAcadĂ©mie gĂ©nĂ©rale militaire de Saragosse | |
Fils dâun militaire promu de simple soldat au rang dâofficier pour mĂ©rites de guerre, Miguel Campins embrassa Ă son tour la carriĂšre des armes, frĂ©quenta Ă 17 ans lâAcadĂ©mie dâinfanterie de TolĂšde, dont il sortit lieutenant en second au bout de douze mois seulement. AprĂšs une carriĂšre dans diffĂ©rentes garnisons en mĂ©tropole (Catalogne, puis deux ans dans les Canaries) et un cursus Ă lâĂ©cole dâĂ©tat-major, il fut versĂ© en dans le rĂ©giment de cavalerie blindĂ©e en garnison Ă Melilla, dans le Maroc espagnol. EngagĂ© dans la campagne du Kert (1911-1913), et ayant bientĂŽt reçu le baptĂȘme du feu, il participa aux diffĂ©rentes opĂ©rations militaires destinĂ©es Ă rĂ©pondre aux incessantes attaques des rebelles rifains, et fut citĂ© Ă de nombreuses reprises dans les rapports militaires comme un officier brillant, capable dâun courage inusuel. Dans les annĂ©es suivantes, notamment en 1914, sous les ordres du gĂ©nĂ©ral Silvestre, il prit part Ă quelques opĂ©rations dâenvergure et rĂ©ussit Ă se distinguer, ce qui lui valut de se voir dĂ©cerner la croix du MĂ©rite militaire Ă plusieurs reprises. Sa carriĂšre africaine fut interrompue par un intermĂšde dans la mĂ©tropole de 1915 Ă 1921 ; casernĂ© notamment Ă Oviedo, il sây lia dâamitiĂ© avec Franco et eut une certaine part, aux cĂŽtĂ©s de celui-ci et de MillĂĄn-Astray, dans la crĂ©ation de la LĂ©gion Ă©trangĂšre espagnole, en particulier pour les aspects dâorganisation.
Le gouvernement espagnol dĂ©cida dĂ©but 1919 de parachever la domination coloniale espagnole au Maroc. Le plan du gĂ©nĂ©ral Silvestre, nommĂ© gouverneur militaire Ă Melilla, qui consistait Ă lancer des troupes (mal prĂ©parĂ©es) au dĂ©part de trois points avec lâobjectif dâopĂ©rer leur jonction, se heurta Ă lâopposition du chef rebelle Abdelkrim et dĂ©boucha, par suite en particulier de la massive dĂ©sertion de supplĂ©tifs, sur le dĂ©sastre d'Anoual dâ, se soldant par plus de dix mille morts espagnols. La ville de Melilla Ă©tant Ă son tour menacĂ©e par les rebelles, Campins, alors en poste Ă AlmerĂa, fut dĂ©pĂȘchĂ©, Ă la tĂȘte dâun bataillon expĂ©ditionnaire, pour se porter au secours de la ville menacĂ©e, puis pour rĂ©cupĂ©rer, en collaboration avec les troupes de choc sous les ordres de Franco, les positions perdues lors dudit DĂ©sastre. Le bataillon accomplit sa mission, et Campins fut reçu en audience par le roi en . AprĂšs avoir suivi la formation correspondante, Campins fut dĂ©clarĂ© en apte au commandement dâune base aĂ©rienne.
Au vu des Ă©vĂ©nements, Primo de Rivera dĂ©cida de rĂ©duire le territoire tenu par lâarmĂ©e espagnole Ă une ceinture dĂ©fensive, ce qui impliquait lâabandon de diverses positions (retiradas), opĂ©ration dĂ©licate que Campins contribua Ă mener Ă bonne fin. En 1925, lâidĂ©e prit forme de lancer une offensive finale franco-espagnole conjointe contre les rebelles rifains, comportant un dĂ©barquement amphibie dans la baie dâEl HoceĂŻma, dont le commandement dâune des colonnes, celle de rĂ©serve et dâappui, fut confiĂ© au lieutenant-colonel Campins (Franco avait Ă©tĂ© placĂ© Ă la tĂȘte dâune de colonnes de choc). En hommage Ă son action, la France lui confĂ©ra en 1927 les insignes dâofficier de la LĂ©gion d'honneur.
Pour renforcer lâunitĂ© de lâarmĂ©e, Primo de Rivera avait rĂ©solu de crĂ©er une AcadĂ©mie militaire gĂ©nĂ©rale, chargĂ©e de dispenser une formation de base commune Ă toutes les armes. Primo de Rivera choisit Franco pour la diriger, qui Ă son tour dĂ©signa Campins comme directeur des Ă©tudes. Ă ce titre, Campins, privilĂ©giant lâĂ©ducation sur lâinstruction, sâappliqua Ă rendre les enseignements Ă©minemment pratiques, de se concentrer sur les aspects concrets, et de se limiter Ă ce qui est primordial (en ce compris la formation physique) ; sans dĂ©laisser les matiĂšres scientifiques, y Ă©taient inculquĂ©es aussi les valeurs militaires, sous-tendues par une Ă©thique de lâhonneur, du sacrifice et de la solidaritĂ©, au service de lâintĂ©rĂȘt commun supĂ©rieur. Ă lâavĂšnement de la rĂ©publique en 1931, Azaña, nouveau ministre de la Guerre, supprima lâAcadĂ©mie de Saragosse, dont il jugeait lâesprit contraire aux idĂ©aux rĂ©publicains. Campins sâinclina en militaire disciplinĂ©, respectueux de la lĂ©galitĂ©, qui rejetait, sauf motif impĂ©rieux, toute intervention de lâarmĂ©e dans les affaires dâĂtat, et qui n'avait garde de prendre part aux multiples conspirations militaires de lâĂ©poque. En , Campins rejoignit le cadre du Service dâĂ©tat-major de lâarmĂ©e. En poste en Catalogne, il joua un rĂŽle efficace dans la rĂ©pression du coup de force tentĂ© par Companys en .
Enfin promu gĂ©nĂ©ral de brigade, il fut chargĂ© dĂ©but du commandement de la place de Grenade. Lors du soulĂšvement militaire du 18 juillet, Campins â lĂ©galiste par principe et ignorant de ce qui se tramait dans les cercles sĂ©ditieux, dont il sâĂ©tait toujours tenu Ă©loignĂ©, et nâayant vraisemblablement pas reçu le fameux tĂ©lĂ©gramme de Franco du appelant Ă la rĂ©bellion â rechigna Ă dĂ©crĂ©ter lâĂ©tat de guerre comme le lui enjoignit Queipo de Llano, et ne rallia les insurgĂ©s que le , aprĂšs que le gouvernement de Madrid lui eut donnĂ© lâordre de distribuer les armes au peuple, ce qui valait motif impĂ©rieux. Cette hĂ©sitation initiale, ainsi que dâautres actions de Campins, interprĂ©tĂ©es avec malveillance comme signes de duplicitĂ©, lui valurent une condamnation Ă mort devant le conseil de guerre, en procĂ©dure accĂ©lĂ©rĂ©e, sentence exĂ©cutĂ©e le en dĂ©pit des dĂ©marches insistantes de Franco en faveur de son ami.
Biographie
Ascendances et jeunes années
Miguel Campins Aura avait pour pĂšre le lieutenant dâinfanterie Miguel Campins Cort, qui Ă©tait entrĂ© dans lâarmĂ©e en 1868 comme soldat volontaire (« sans solde ») et qui, gravissant les Ă©chelons Ă la faveur dâune sĂ©rie dâavancements pour mĂ©rites de guerre Ă Cuba, sâĂ©tait hissĂ© des grades les plus bas jusquâau statut dâofficier. Il avait Ă©tĂ© griĂšvement blessĂ© lors dâune des multiples opĂ©rations militaires auxquelles il avait participĂ© et dĂ©tenait de nombreuses dĂ©corations. Se trouvant fortuitement Ă Alcoy, dans le Levant, oĂč, Ă lâissue de longues annĂ©es de campagne Ă Cuba, lui avait Ă©tĂ© assignĂ© un poste aprĂšs sa derniĂšre promotion, il fit la rencontre de Juana ConcepciĂłn Aura Calvo, qui devint son Ă©pouse en 1879 et donna naissance lâannĂ©e suivante Ă son premier enfant Miguel[1]. En 1883, le couple Ă©lut domicile Ă Valence, oĂč le lieutenant restera jusquâen 1886 et oĂč allaient sĂ©vir, pendant que le mĂ©nage y rĂ©sidait, plusieurs crises Ă©conomiques, provoquĂ©es ou aggravĂ©es par les guerres civiles et coloniales, auxquelles sâajouta en 1885 la derniĂšre Ă©pidĂ©mie de cholĂ©ra du siĂšcle en Espagne. Cette Ă©pidĂ©mie causa, comme les prĂ©cĂ©dentes, des milliers de victimes, et si elle se propagea sur la quasi-totalitĂ© du territoire national, frappa plus particuliĂšrement la rĂ©gion du Levant et son chef-lieu Valence. ConcepciĂłn Aura contracta la maladie et succomba en juillet, et peu aprĂšs pĂ©rit aussi son fils CĂ©sar[2]. Le lieutenant Campins eut la charge de la ligne de surveillance sanitaire (cordon sanitaire) Ă©tablie par les autoritĂ©s entre diffĂ©rents villages de la province[3].
LâannĂ©e suivante, le pĂšre, survivant avec son fils Miguel de la tragĂ©die sanitaire, sollicita, en dĂ©pit de lâopposition de sa parentĂšle, une rĂ©affectation Ă Cuba. Il fut alors versĂ© dans le service dâinspection de lâInfanterie et Milices Ă La Havane, oĂč il servit jusquâen 1891 dans des tĂąches purement administratives[4]. En 1891, le lieutenant Campins sollicita et obtint un congĂ© de quatre mois pour retourner en Espagne avec son fils, dans le but de laisser celui-ci en pension dans la mĂ©tropole[5]. Le fils Miguel, alors ĂągĂ© de 11 ans, et commençant Ă montrer quelques signes dâune vocation militaire, fut recueilli par son oncle maternel, qui Ă titre de tuteur sâoccupa des Ă©tudes de lâenfant. Celui-ci fut placĂ© en internat dans un collĂšge dâorphelins Ă Madrid, oĂč il restera jusquâen 1896. Le pĂšre pour sa part retourna Ă Cuba pour y poursuivre sa carriĂšre militaire et prendre part Ă diffĂ©rentes campagnes. Promu entre-temps au grade de lieutenant-colonel et ayant convolĂ© en secondes noces, il sâen revint dĂ©finitivement en Espagne en 1898 et fixa sa rĂ©sidence Ă Barcelone[6].
Formation militaire
En , le jeune Campins, ĂągĂ© alors de 16 ans, fut inscrit au CollĂšge prĂ©paratoire militaire de Trujillo, en EstrĂ©madure, pour y achever ses Ă©tudes secondaires et se prĂ©parer aux Ă©preuves dâentrĂ©e de lâAcadĂ©mie dâinfanterie de TolĂšde[7]. Le cursus dans cette nouvelle acadĂ©mie sâĂ©tendait sur trois annĂ©es, et les candidats Ă lâentrĂ©e devaient ĂȘtre reçus Ă un examen prĂ©alable, en plus dâĂȘtre titulaire dâun baccalaurĂ©at en arts ou dâun certificat Ă©quivalent[8]. Miguel Campins, alors ĂągĂ© de 17 ans, remplissait ces conditions et rĂ©ussit les Ă©preuves dâarithmĂ©tique, dâalgĂšbre (jusquâaux Ă©quations du second degrĂ©), de gĂ©omĂ©trie plane et dans lâespace, de trigonomĂ©trie rectiligne, de traduction Ă partir du français, et de dessin, obtenant dâexcellentes notes, aucune en dessous de la mention bien (« notable »)[9].
En raison du besoin croissant dâofficiers subalternes quâavait lâinfanterie espagnole, en particulier Ă partir de 1895, quand les Ătats-Unis manifestaient des visĂ©es sur Cuba, le plan dâĂ©tudes tel quâĂ©laborĂ© en 1893 ne put pas ĂȘtre mis en Ćuvre. Ainsi, la durĂ©e des Ă©tudes baissa progressivement pour les Ă©lĂšves entrĂ©s Ă lâAcadĂ©mie dans les annĂ©es suivant 1893, jusquâau point oĂč, en accord avec les dispositions de lâOrdre royal du , les Ă©lĂšves, dont Campins, inscrit en , terminaient leur prĂ©paration acadĂ©mique en un seul cursus de douze mois seulement (« curso abreviado »). Un an et 25 jours plus tard, Campins fut nommĂ© lieutenant en second dâinfanterie (sans la prĂ©sence de son pĂšre, alors stationnĂ© Ă Cuba), puis incorporĂ© au rĂ©giment dâinfanterie dâAsie no 55, cantonnĂ© Ă Figueras[10].
Ă Figueras, il connut la tranquillitĂ© de la vie de garnison, caractĂ©risĂ©e par de frĂ©quents dĂ©placements et des services Ă diffĂ©rents endroits en Catalogne[11]. Outre la fonction de porte-drapeau, il remplit aussi celle dâenseignant Ă lâĂ©cole des Ă©lĂšves-aspirants, quâil ne cessera dâexercer jusquâĂ son dĂ©part de Catalogne[12]. En , son unitĂ© se transporta Ă la place militaire de Reus, pour affronter la grĂšve gĂ©nĂ©rale rĂ©volutionnaire qui depuis le dĂ©but de cette annĂ©e avait Ă©clatĂ© dans quelques villes catalanes. La grĂšve lancĂ©e en janvier par les mĂ©tallurgistes barcelonais, qui rĂ©clamaient une rĂ©duction de leur journĂ©e de travail, tourna le mois suivant Ă la grĂšve gĂ©nĂ©rale, qui sâĂ©tendit Ă Sabadell, Terrassa, Sants, Tarragone et Reus. Le capitaine-gĂ©nĂ©ral dĂ©crĂ©ta lâĂ©tat de guerre et lâarmĂ©e dut intervenir contre les grĂ©vistes, dirigĂ©s par des organisations Ă tendance anarchiste[13]. Lâon ne sait rien sur ce qui se passa pendant le bref sĂ©jour (huit jours) de Campins Ă Reus[14].
Promu par effet dâanciennetĂ© au grade de lieutenant en premier en 1903, il fut mutĂ© en novembre de la mĂȘme annĂ©e Ă Barcelone avec son bataillon. Il effectua quelques manĆuvres Ă Berga, aux mois dâavril, mai et , lors desquelles il remplit sa mission avec professionnalisme et eut Ă accomplir quelques tĂąches difficiles, ce qui lui valut la croix de 1re classe de l'ordre du MĂ©rite militaire[15].
Par Ordre royal du , il fut versĂ© le suivant dans le bataillon de Chasseurs de Fuerteventura no 22, en garnison Ă Puerto de Cabras (rebaptisĂ© en 1956 Puerto del Rosario), oĂč il se vit confier lâinstruction des Ă©lĂšves-aspirants, puis plus tard, aussi celle des sergents[16]. En 1908, au terme de deux ans de service dans les Canaries, il rĂ©ussit a Santa Cruz de Tenerife les Ă©preuves dâentrĂ©e Ă lâĂcole supĂ©rieure de guerre de Madrid (Ă©cole dâĂ©tat-major, crĂ©Ă©e en 1893), dans laquelle il fut admis Ă sâinscrire comme Ă©lĂšve le [17]. Dans ces Ă©tudes, qui, en accord avec le plan de 1893 (modifiĂ© en 1904), avaient une durĂ©e de deux annĂ©es, une grande importance Ă©tait attachĂ©e Ă lâhistoire militaire et Ă la critique de quelques campagnes modernes, et oĂč de façon gĂ©nĂ©rale tous les cours non essentiellement pratiques Ă©taient limitĂ©s ou supprimĂ©s. Miguel Campins y assista aux cours des annĂ©es 1908-1909 et 1909-1910, dĂ©jĂ en tant que capitaine dâinfanterie, grade pour lequel il avait atteint lâanciennetĂ© correspondante[18].
Pour effectuer ses stages pratiques, il fut destinĂ© en 1911 au Groupe dâescadrons de cavalerie de Ceuta, au Maroc, dâoĂč il fut bientĂŽt rappelĂ© Ă la PĂ©ninsule. Ensuite, le , il prit le commandement du 1er escadron du rĂ©giment de cavalerie blindĂ©e no 10 dâAlcĂĄntara en garnison Ă Melilla[19].
Guerre du Rif : contextualisation
Quand Campins arriva en Afrique, il se vit entraĂźnĂ© dans un conflit oĂč sâentremĂȘlaient les intĂ©rĂȘts de lâEspagne, de la France et du Royaume-Uni, principalement, et dans lequel lâEspagne sâengagea avec tĂ©mĂ©ritĂ©, sous la pression dâune part dâune armĂ©e dĂ©sireuse de se dĂ©dommager des rĂ©centes dĂ©faites subies dans les colonies dâoutremer, dâautre part dâune oligarchie financiĂšre ayant des intĂ©rĂȘts, essentiellement miniers, dans le Maghreb[20].
LâEspagne avait faussement cru, grĂące au pacte secret de 1904 conclu avec la France, que le nord du Maroc, avec FĂšs et Taza, lui avait Ă©tĂ© adjugĂ©[21]. La question du Maroc fut ensuite rĂ©glĂ©e le par la confĂ©rence internationale dâAlgĂ©siras, oĂč, estime AndrĂ©e Bachoud
« les Espagnols, flattĂ©s dâĂȘtre enfin associĂ©s Ă une nĂ©gociation internationale aprĂšs tant dâannĂ©es dâisolement diplomatique, signent alors lâaccord le plus nĂ©gatif qui leur ait Ă©tĂ© proposĂ© jusque-lĂ , car il confirme leur autoritĂ© au Maroc sur le territoire le moins contrĂŽlable qui soit : la chaĂźne du Rif, qui en constitue lâaxe principal, aligne sur 300 kilomĂštres ses sommets coupĂ©s de cols impraticables. En outre, entre les deux versants sud et nord la communication est Ă peu prĂšs impossible, sinon par le territoire français. Cette zone est par ailleurs peuplĂ©e de tribus berbĂšres hostiles depuis des siĂšcles Ă toute pĂ©nĂ©tration Ă©trangĂšre[22]. »
La fréquence des combats et les trÚs lourdes pertes espagnoles infligées par les Rifains révoltés rendaient nécessaires un renouvellement constant des cadres et la mise à contribution des jeunes officiers[23].
Ă partir de 1902, lâautoritĂ© du sultan avait dĂ©clinĂ© Ă mesure que sâaggravaient les problĂšmes internes du pays et surtout aprĂšs que Bou Hamara el-Roghi, fils prĂ©sumĂ© dâun monarque antĂ©rieur, se mit Ă revendiquer ce quâil considĂ©rait ĂȘtre ses droits au trĂŽne[24]. Dans les annĂ©es suivantes, lâEspagne assista impassible aux tentatives du prĂ©tendant de consolider son pouvoir dans lâextrĂȘme nord-oriental du Maroc, en mĂȘme temps quâil sâappliquait habilement Ă associer son destin aux intĂ©rĂȘts financiers et Ă©conomiques de lâEspagne et de la France. CapturĂ© finalement par les troupes du sultan, el Roghi fut exĂ©cutĂ© en 1909[25], toutefois avec lui disparut le dernier Ă©lĂ©ment de stabilitĂ© dans une rĂ©gion oĂč le gouvernement marocain nâavait jamais rĂ©ussi Ă imposer totalement son autoritĂ©[26].
DĂšs ce moment, la rĂ©gion fut plongĂ©e dans lâanarchie ; les mines que lâEspagne exploitait Ă proximitĂ© de Melilla se voyaient menacĂ©es par les tribus (kabilas) rifaines hostiles, et le gouvernement espagnol chargea le commandant en chef de la ville, le gĂ©nĂ©ral Marina, de prendre toutes mesures opportunes pour protĂ©ger les mineurs. En 1909, les Rifains attaquĂšrent les ouvriers qui construisaient la voie ferrĂ©e unissant Melilla aux mines de fer dont lâexploitation Ă©tait imminente. AprĂšs que se furent produits les premiers assassinats en juillet 1909, lâarmĂ©e intervint en fortifiant des positions hors du territoire espagnol de Melilla. La subsĂ©quente rĂ©action des kabilas eut pour effet de dĂ©clencher le conflit que lâEspagne redoutait tant. LâEspagne envoya des renforts, mais, contrĂŽlant mal le terrain et manquant dâune base logistique, elle sâachemina vers le fameux dĂ©sastre du Ravin-aux-Loups (Barranco del Lobo, en espagnol) du . Les troupes espagnoles manquaient des indispensables services dâintendance pour une entrĂ©e en campagne, en raison de quoi la dĂ©nommĂ©e « guerre du Maroc » se transforma pour lâEspagne en une sĂ©rie interminable et ruineuse dâincidents sanglants, souvent catastrophiques[27] - [28]. Cependant, les troupes espagnoles finirent par sâadapter et vers la fin de lâĂ©tĂ© 1909, le gĂ©nĂ©ral Marina commença Ă dominer la situation, ses colonnes mobiles occupant en effet la rĂ©gion de Quebdana et rĂ©ussissant Ă atteindre la cime du mont Gurugu le [29] - [30]. Ă partir de ce moment, la rĂ©sistance rifaine sâeffrita et en la paix fut signĂ©e entre les chefs maures locaux et les autoritĂ©s espagnoles, garantes (nominalement du moins) de lâautoritĂ© du sultan[31]. Mais Ă partir de , le chef de la rĂ©sistance rifaine El Mizzian se mit Ă prĂȘcher le djihad contre les Espagnols et reprit ses opĂ©rations de guĂ©rilla, causant de lourdes pertes Ă lâarmĂ©e espagnole[32] - [33].
La campagne de Melilla et lâexĂ©cution de lâanarchiste Francisco Ferrer avaient provoquĂ© une grave crise politique dans la mĂ©tropole, que la France, en occupant Fez en , tenta dâexploiter pour Ă©liminer lâEspagne du territoire marocain, mais les Espagnols rĂ©pliquĂšrent le mois suivant en occupant Larache, puis El-Ksar peu aprĂšs[34]. En aoĂ»t, le prĂ©sident du Conseil JosĂ© Canalejas prit prĂ©texte dâune agression kabyle sur les bords du fleuve Kert contre un dĂ©tachement de la Commission cartographique de lâĂ©tat-major pour donner mission Ă un corps de troupes dâĂ©largir les frontiĂšres de la zone espagnole, nouvelle campagne contre laquelle la population espagnole protesta par la grĂšve gĂ©nĂ©rale dâ[35].
En , le sultan du Maroc accepta officiellement lâinstauration dâun protectorat français sur tout le pays, et en novembre, Paris et Madrid scellĂšrent lâaccord formel qui cĂ©dait Ă lâEspagne une certaine « zone dâinfluence » grande dâĂ peine 5 % du territoire, qui fut proclamĂ©e telle en . En rĂ©alitĂ©, le protectorat espagnol, territoire morcelĂ© et inhospitalier dont le cĆur est le Rif, nâĂ©tait quâune zone cĂ©dĂ©e Ă lâEspagne au sein de lâensemble du Protectorat français du Maroc ; le plan sâinscrivait en effet dans la politique coloniale française qui recherchait la collaboration de lâEspagne dans le but de contenir les Britanniques et de faire Ă©chec Ă toute tentative de pĂ©nĂ©tration de lâAllemagne[36] - [37]. Les Espagnols avaient le sentiment de nâavoir reçu que des miettes du gĂąteau marocain dont la France avait eu la meilleure part, et lâarmĂ©e espagnole, qui allait payer trĂšs cher la mise en place du protectorat dans cette rĂ©gion, en conçut une frustration certaine[38].
Campins dans la campagne du Kert (1911-1913)
DĂ©but , les hostilitĂ©s avaient donc repris de lâampleur. Les troupes espagnoles stationnĂ©es sur la rive droite du fleuve Kert reçurent lâordre de le franchir ; lâopĂ©ration fut un succĂšs, mais les nombreuses pertes dĂ©clenchĂšrent une nouvelle vague de protestations dans la PĂ©ninsule. El Mizzian repassa le Kert et attaqua avec succĂšs les postes avancĂ©s espagnols, un grand nombre desquels se retrouvĂšrent isolĂ©s, pendant que le commandement des troupes Ă©tait virtuellement assiĂ©gĂ© Ă Melilla[39]. Au moment oĂč le capitaine Campins rejoignit sa nouvelle unitĂ©, lâarmĂ©e de Melilla Ă©tait engagĂ©e dans une nouvelle offensive qui permit dâĂ©carter le pĂ©ril de la ville et qui força El Mizzian Ă repasser le Kert, cette fois dĂ©finitivement[40].
Campins reçut le baptĂȘme du feu le lorsque, faisant partie de la colonne militaire du colonel Aizpuru, il quitta le campement de Ras-el-Meduah pour aller assurer la protection des convois et se retrouva sous le feu ennemi dans la plaine dâInfantazas. Le plan de lâarmĂ©e espagnole, mis en Ćuvre dans les derniers jours de 1911, consistait Ă expulser lâennemi du territoire de Beni Boughafer (Melilla) et Ă le contraindre Ă traverser le Kert, mais sur son cours infĂ©rieur, de façon Ă en faire une cible facile pour les trois canonniĂšres de la marine qui croisaient prĂšs de lâembouchure du fleuve. Sur terre, cinq colonnes participĂšrent Ă lâopĂ©ration, dont celle dâAizpuru, Ă laquelle sâĂ©tait joint ce jour-lĂ le capitaine Campins Ă la tĂȘte dâun escadron du rĂ©giment dâAlcĂĄntara[41]. Pendant cette campagne du Kert, Campins fut citĂ© Ă de nombreuses reprises dans les rapports militaires comme un officier brillant, capable dâaccomplir des actes dâun courage inusitĂ© et propres Ă provoquer le dĂ©sarroi dans les rangs ennemis[42].
Campins resta dans la zone pendant les derniers jours de 1911 et les premiers de 1912, changeant continuellement de position, remplissant des missions de reconnaissance et sâexposant au feu ennemi en plusieurs occasions. Le , il retourna Ă Melilla en vue dâune rĂ©organisation gĂ©nĂ©rale des forces, laquelle impliquera la dissolution de la colonne Aizpuru. Le , ayant intĂ©grĂ© la brigade de cavalerie, il participa Ă lâoccupation du Mont Arrouit en combattant la harka qui tenait cette position. Le reste du mois et du mois de fĂ©vrier se passa en diverses missions de reconnaissance. Le eut lieu une vaste opĂ©ration avec lâobjectif de sĂ©curiser la rive droite du Kert, en rĂ©ponse aux incessantes attaques dont les troupes espagnoles les plus avancĂ©es Ă©taient lâobjet de la part de groupes de Rifains franchissant impunĂ©ment le fleuve. Les forces espagnoles, organisĂ©es en cinq colonnes effectuant lâoffensive principale, plus une sixiĂšme (placĂ©e sous les ordres du gĂ©nĂ©ral Navarro et dont faisait partie Campins) chargĂ©e de sĂ©curiser Ulad Ganen et Tagsut, se dĂ©roula favorablement, les cinq colonnes atteignant leurs objectifs. Entre-temps, les forces de Navarro avaient progressĂ© vers les points prĂ©vus, puis entamĂ© le repli selon le plan, mais furent attaquĂ©es inopinĂ©ment au crĂ©puscule par lâennemi qui se tenait tapi dans les ravines profondes et escarpĂ©es de la zone. Les troupes espagnoles rĂ©agirent et surent transformer le dĂ©sastre naissant en une grande victoire. Campins, qui avait tout au long de la journĂ©e eu part aux combats, fut rĂ©compensĂ© de sa remarquable conduite par une nouvelle croix de 1re classe du MĂ©rite militaire avec insigne rouge[43]. Durant les mois dâavril et , Campins continua, toujours au sein de la colonne Navarro, de participer Ă diffĂ©rentes opĂ©rations dans la zone[44]. La campagne du Kert, dont les principales actions avaient pour objet de sâemparer de diffĂ©rents points proches du fleuve, afin dâempĂȘcher la pĂ©nĂ©tration ennemie dans les territoires autour de Melilla, se solda par la victoire des Espagnols, laquelle rendit possible la mise en place du protectorat espagnol sur le Nord du Maroc[45].
Campins fut affectĂ© ensuite au rĂ©giment dâartillerie de montagne de Melilla, quâil rejoignit le , juste Ă temps pour prendre part Ă la grande offensive prĂ©vue pour le lendemain, impliquant six colonnes avec 15 000 hommes au total et ayant pour objectif la prise de Haddou Allal ou-Kaddour. Outre cet objectif principal, lâon escomptait pouvoir occuper de façon permanente les hauteurs proches de Ulad Ganen et de Tauriat Hamed pour y Ă©tablir quatre positions fortifiĂ©es. Tout se dĂ©roula comme prĂ©vu, les diffĂ©rentes unitĂ©s opĂ©rant un dĂ©ploiement parfait en fortifiant et garnissant adĂ©quatement les positions concernĂ©es. Lâensemble de la brigade de chasseurs de Navarro fut mise Ă contribution dans cette opĂ©ration, le capitaine Campins en particulier ayant pour mission de positionner ses soldats sur Kaddour jusquâau 19 mai. Fait notable, El Mizzian pĂ©rit lors de lâopĂ©ration, le [46]. La campagne apporta aussi la preuve dĂ©finitive de lâefficacitĂ©, en tant que troupes de choc, des RĂ©guliers indigĂšnes, nouvelles unitĂ©s supplĂ©tives mises sur pied en 1909. Dans ces unitĂ©s servaient, outre leur commandant en chef et organisateur, le lieutenant-colonel DĂĄmaso Berenguer, Ă©galement Sanjurjo, Cabanellas, Mola, NĂșñez de Prado et, plus tard, Francisco Franco, qui allaient former, avec Campins (qui certes ne servait pas encore dans les RĂ©guliers Ă cette Ă©poque), les premiers noyaux de la future caste des « africanistes »[47] - [48], constituĂ©e au cĆur dâune autre caste, la caste militaire. En Afrique, des milliers de soldats et des centaines dâofficiers avaient dĂ©jĂ pĂ©ri ; câĂ©tait une affectation risquĂ©e, oĂč de jeunes officiers sâincorporaient Ă une armĂ©e espagnole dont lâĂ©quipement Ă©tait dĂ©ficient et surannĂ©, les troupes dĂ©motivĂ©es et le corps dâofficiers peu compĂ©tent, ces derniers se contentant de rĂ©pĂ©ter les tactiques qui avaient dĂ©jĂ Ă©chouĂ© dans les guerres coloniales antĂ©rieures ; mais câen Ă©tait une aussi oĂč la politique dâavancement pour mĂ©rites de guerre apportait la promesse d'une carriĂšre militaire rapide[49].
Capitainerie générale de Melilla et campagne de Larache (1913-1915)
Campins fut ensuite versĂ© dans la Capitainerie gĂ©nĂ©rale de Melilla, puis, Ă partir de 1913, exĂ©cuta des tĂąches administratives au DĂ©pĂŽt de guerre[50]. De lĂ , Campins sâen fut ensuite Ă la Commission du plan de Minorque, dans les BalĂ©ares, puis, Ă partir du , Ă la Commission du plan militaire de Valladolid, oĂč il servit jusquâen aoĂ»t. En septembre, il fut dĂ©clarĂ© apte Ă accomplir des missions dâĂ©tat-major, ayant obtenu le diplĂŽme correspondant[51].
Retourné en Afrique le , il se présenta au centre de commandement de Larache, et fut aussitÎt destiné au bataillon de chasseurs de Las Navas no 10, cantonné à Arcila. Il y débuta en accompagnant les convois et en inspectant différentes positions sur le territoire[52].
Mohamed ben Abdallah el-Raisuni, principale autoritĂ© musulmane dans la partie occidentale de la pĂ©ninsule de YĂ©bala, descendant du prophĂšte Mahomet et membre dâune importante famille de la rĂ©gion, sorte de seigneur fĂ©odal, qui avait obtenu en 1908 que le sultan le nomme caĂŻd dudit territoire et pacha de la ville cĂŽtiĂšre dâAssilah, sâĂ©tait donnĂ© pour objectif de rĂ©aliser lâindĂ©pendance de la rĂ©gion vis-Ă -vis du sultan, mais se heurta au problĂšme du manque dâunitĂ© des diffĂ©rentes tribus rifaines[53].
Le mois suivant, les escarmouches autour de TĂ©touan et de Larache allaient sâaccroissant dans le cours de lâĂ©tĂ©. La rĂ©action militaire modĂ©rĂ©e du Haut-Commissaire, le gĂ©nĂ©ral Alfau, qui se borna Ă Ă©tablir un systĂšme de fortifications pour sĂ©curiser les communications entre TĂ©touan, Ceuta, Tanger et Larache, fut interprĂ©tĂ©e par El Raisuni comme une marque de faiblesse[54] - [55]. En , le gĂ©nĂ©ral Silvestre mit en marche son nouveau plan dâopĂ©rations, consistant Ă occuper des points stratĂ©giques le long de la ligne de dĂ©marcation de la zone internationale de Tanger. La premiĂšre opĂ©ration de lâannĂ©e eut lieu le et Ă©tait destinĂ©e Ă chĂątier les villages hostiles de la rive droite de lâAixa, en vue de quoi Silvestre organisa deux colonnes, dont la deuxiĂšme, oĂč se trouvait Campins Ă la tĂȘte de la compagnie dâavant-garde de la colonne, sâengagea dans un rude combat avec lâennemi retranchĂ© dans Sidi Embarek et dâautres villages. En 1915, le capitaine Campins, dĂ©clarĂ© susceptible de promotion pour la deuxiĂšme fois en lâespace de deux ans, monta au grade de commandant pour mĂ©rites de guerre[56], et se vit dĂ©cerner la croix de Marie-Christine[57].
Campins participa Ă une nouvelle opĂ©ration le , exĂ©cutĂ©e par trois colonnes, celle du centre, sous les ordres du lieutenant-colonel Berenguer, le supĂ©rieur de Campins, prenant sur elle lâeffort principal. Campins resta avec sa compagnie en garnison, mais dut rĂ©sister Ă une attaque nocturne des tribus rifaines, et entreprit le lendemain de fortifier la position[57]. Toutes ces opĂ©rations eurent pour effet de provoquer un profond dĂ©sarroi chez lâennemi et de diminuer fortement le nombre de suiveurs dâEl Raisuni. Du reste, dans les mois suivants, les affrontements avec les tribus hostiles se firent rares, et Campins se contenta depuis lors de se dĂ©placer avec ses troupes dâune position fortifiĂ©e Ă une autre[58].
Le , Campins participa Ă lâopĂ©ration de Xar el Haman, dont lâobjectif final, en plus de consolider les communications avec la zone internationale, Ă©tait de se rapprocher du fort de Zinat, vĂ©ritable position clef essentielle pour garder libre le corridor entre Tanger et TĂ©touan. La derniĂšre opĂ©ration de lâannĂ©e fut celle menĂ©e avec succĂšs contre Cudia Râgaia, conquise le , au moyen dâun considĂ©rable dĂ©ploiement de forces, que commandait Silvestre lui-mĂȘme. Campins, prĂ©sent lors de cette opĂ©ration, fut rĂ©compensĂ© par une nouvelle croix du MĂ©rite militaire de 1re classe[58].
IntermÚde dans la métropole (1915-1921) ; rÎle dans la création de la Légion étrangÚre
En , Campins fut incorporĂ© Ă titre de commandant dans le 3e bataillon du rĂ©giment dâinfanterie Vizcaya no 51 Ă Alcoy. Sans pour autant interrompre ses fonctions dans son bataillon, il exerça aussi comme juge dâinstruction du rĂ©giment, ce qui lui permit de se familiariser avec les diffĂ©rents aspects de la justice militaire, expĂ©rience quâil aura lâoccasion de mettre Ă profit au cours de sa carriĂšre. Un an plus tard, alors quâil Ă©tait dĂ©jĂ destinĂ© Ă Madrid, il Ă©pousa MarĂa de los Dolores Roda Rovira, fille dâun administrateur des douanes, avec qui il aura trois enfants dans les annĂ©es suivantes. Lâan 1917 se passa dans la capitale espagnole, oĂč Campins Ă©tablit sa premiĂšre rĂ©sidence privĂ©e et oĂč vint au monde son premier fils Miguel[59].
En 1918, affectĂ© Ă Oviedo et promu au grade de commandant-major du rĂ©giment dâinfanterie du Prince no 3, il jouit dâune tranquille vie de garnison, vit naĂźtre son deuxiĂšme fils, et connut personnellement Francisco Franco â lui aussi commandant et promu pour ses mĂ©rites dans la guerre dâAfrique â, qui se trouvait occuper un poste dans le mĂȘme rĂ©giment et avec qui il se lia dâamitiĂ©[60]. Campins comme Franco Ă©taient en vif dĂ©saccord avec les Juntas de Defensa, en particulier avec la volontĂ© de celles-ci dâinstaurer dans lâinfanterie un tableau dâavancement « fermĂ© », câest-Ă -dire strictement dĂ©terminĂ© par lâanciennetĂ©. Campins sâĂ©tait dĂ©jĂ vu frustrĂ© de sa premiĂšre ascension au lendemain de Haddou Allal ou-Kaddour, notamment par suite de la pression exercĂ©e dans la PĂ©ninsule par les militaires opposĂ©s Ă lâavancement pour mĂ©rites au combat et dut se satisfaire dâune « Marie-Christine »[61].
Il nâest attestĂ© dans aucun Ă©crit de Campins quâil ait eu quelque part dans la crĂ©ation et la mise sur pied de la lĂ©gion Ă©trangĂšre espagnole, pas plus que sa feuille de service ne comporte aucune rĂ©fĂ©rence Ă la fondation du Tercio. Il est probable pourtant que Campins soit intervenu en quelque maniĂšre dans cet Ă©vĂ©nement, ainsi que du reste la tradition familiale le suggĂšre[62]. Franco et MillĂĄn-Astray, qui sâĂ©taient connus lors dâun cours de tir dâartillerie Ă Valdemoro, Ă©taient parvenus Ă la conclusion que les manuels de tactique dâinfanterie devaient ĂȘtre impĂ©rativement rĂ©visĂ©s, et que surtout lâinfanterie espagnole devait ĂȘtre entraĂźnĂ©e Ă exploiter le terrain Ă des fins dĂ©fensives et offensives[63]. Campins, acteur des rudes campagnes du Kert et de Larache, ne pouvait que souscrire Ă ces points de vue. On peut, dans la crĂ©ation du Tercio, conjecturer une rĂ©partition des tĂąches et compĂ©tences dĂ©cidĂ©e Ă Oviedo, par laquelle Ă©tait laissĂ©e Ă Franco les questions purement opĂ©rationnelles du Tercio, tandis que Campins, qui pouvait faire Ă©tat de son expĂ©rience comme officier de cavalerie et dâartillerie acquise en particulier lors de ses stages pratiques dâĂ©tat-major, prenait sur lui les aspects dâorganisation et conseillait Franco, futur commandant en second de lâunitĂ©, Ă propos de lâuniforme le plus adĂ©quat sur le thĂ©Ăątre marocain. Il est vraisemblable que Campins et Franco aient esquissĂ© Ă Oviedo quelques-uns des Ă©lĂ©ments de lâĂ©quipement du lĂ©gionnaire qui contribueront plus tard Ă façonner le mythe du lĂ©gionnaire, tels que p. ex. la typique chemise aux manches retroussĂ©es[64].
Changeant une fois encore dâaffectation, Campins commanda Ă partir du le 3e bataillon du rĂ©giment dâinfanterie Covadonga no 40, en garnison Ă Madrid, poste quâil occupera jusquâen , avant dâĂȘtre nommĂ© inspecteur des acadĂ©mies de rĂ©giment (pour hommes de troupe et sous-officiers) et membre de la Commission dâĂ©tude et de proposition sur le matĂ©riel de cantonnement et de logement militaires[65]. En , il fut promu lieutenant-colonel par effet dâanciennetĂ© et versĂ© dans le rĂ©giment dâinfanterie de Galice no 19, mais fut mutĂ© presque aussitĂŽt vers le rĂ©giment dâinfanterie de Navarre no 25, casernĂ© Ă LĂ©rida, oĂč il ne restera que jusquâĂ fin juillet[66].
Retour en Afrique (1921-1926) et dĂ©sastre dâAnoual
Le gouvernement, en accord avec le roi et avec lâarmĂ©e, rĂ©solut dĂ©but 1919 Ă prendre des mesures plus Ă©nergiques afin de consolider dĂ©finitivement le pouvoir colonial espagnol, et Ă cet effet mit au point un plan dâaction destinĂ© Ă Ă©tendre lâhĂ©gĂ©monie de lâEspagne sur sa zone dâinfluence marocaine. Un Ă©lĂ©ment important de cette nouvelle stratĂ©gie Ă©tait la nomination du gĂ©nĂ©ral DĂĄmaso Berenguer au poste de Haut-Commissaire du Maroc. Alors que dans les mois suivants les attaques rifaines se multipliaient, El Raisuni fut dĂ©clarĂ© hors la loi par le sultan ; au long de lâĂ©tĂ© suivant, des affrontements violents se succĂ©dĂšrent dans le Nord et le Centre de la pĂ©ninsule de YĂ©bala, se soldant le par lâoccupation espagnole dĂ©finitive de la forteresse du Fondak dâAĂŻn YĂ©dida. Il fut alors dĂ©cidĂ© par le gouvernement de pousser plus avant la pĂ©nĂ©tration dans le Rif, la zone centrale du Protectorat qui sâĂ©tait jusque-lĂ maintenue totalement hors de portĂ©e de lâadministration espagnole. Dans cette optique, le gĂ©nĂ©ral FernĂĄndez Silvestre, gouverneur militaire de Ceuta et homme dâaction, fut destinĂ© au mĂȘme poste Ă Melilla, dâoĂč il reçut lâordre de faire mouvement avec ses troupes vers lâouest, avec lâobjectif dâopĂ©rer la jonction avec celles de Berenguer, lequel pour sa part lancerait son offensive vers la sud de TĂ©touan, et avec celles du gĂ©nĂ©ral Barrera, qui ferait pression en direction de lâest Ă partir de ses positions dans la zone de Larache. Cette stratĂ©gie produisit d'abord de bons rĂ©sultats dans le courant de 1920[67].
La soumission des tribus de lâintĂ©rieur Ă©tait indispensable si lâon voulait consolider la position espagnole dans le Rif, mais depuis 1918, ce projet se heurtait Ă lâopposition du caĂŻd de Beni Urriaguel, Abdelkrim el-Khattabi, qui avait Ă©voluĂ© dâune position de franche coopĂ©ration avec les autoritĂ©s espagnoles vers une hostilitĂ© viscĂ©rale[68]. MalgrĂ© la rĂ©sistance des Beni Urriaguel qui, depuis la fin du mois de harcelaient les colonnes de ravitaillement de FernĂĄndez Silvestre, celui-ci ne jugea pas opportun de suspendre les opĂ©rations en attendant des renforts, comme le prĂ©conisait Berenguer. Le , un tabor (bataillon) de RĂ©guliers marocains au complet se mutina dans le poste avancĂ© dâAbarrane et rallia les tribus rebelles aprĂšs avoir assassinĂ© ses commandants[69].
Berenguer et FernĂĄndez Silvestre tinrent conseil Ă Melilla oĂč ce dernier sut faire prĂ©valoir son opinion de poursuivre lâavancĂ©e avec les maigres forces qui lui restaient, supposĂ©es pouvoir Ă©quiper en hommes une longue ligne de positions et de fortins sâĂ©tendant de Melilla Ă Anoual. FernĂĄndez Silvestre, qui sâĂ©tait transportĂ© Ă Anoual, assista impuissant Ă la perte dâIguĂ©riben et Ă lâoffensive de la harka contre son campement, qui hĂ©bergeait 4 000 soldats espagnols. Dans la nuit du 21 au , les officiers rĂ©unis en conseil votĂšrent en faveur de la retraite[70], mais le dĂ©part Ă©perdu hors de la position dâAnoual se transforma bientĂŽt en sauve-qui-peut. FernĂĄndez Silvestre pĂ©rit dans le campement, probablement par suicide ; des centaines de Rifains ralliĂšrent AbdelKrim, et des centaines de Regulares, natifs de la rĂ©gion, dĂ©sertĂšrent lâarmĂ©e espagnole. Les seules dĂ©fenses existant entre Anoual et Melilla Ă©taient une sĂ©rie de faibles fortins et trois ou quatre camps Ă demi fortifiĂ©s[71].
Le dernier acte du dĂ©sastre eut lieu sur la position du Mont Arrouit, oĂč le gĂ©nĂ©ral Navarro, commandant en second derriĂšre FernĂĄndez Silvestre, avait trouvĂ© refuge avec ce qui subsistait des unitĂ©s battues, aprĂšs sept jours de tentatives infructueuses de contenir la dĂ©bandade. La position rĂ©sista jusquâau , aprĂšs quoi Navarro se rendit et fut fait prisonnier ; la plupart des soldats furent massacrĂ©s au couteau. Pour comble, Melilla elle-mĂȘme Ă©tait Ă prĂ©sent menacĂ©e directement par la victorieuse harka dâAbdelKrim. Par son bilan de plus de dix mille morts espagnols, le dĂ©sastre dâAnoual eut des consĂ©quences graves et prolongĂ©es sur la vie politique espagnole[72].
Entre-temps, Ă la mi-, 30 000 hommes sâĂ©taient concentrĂ©s Ă Melilla, qui, aux cĂŽtĂ©s des Regulares de Ceuta et du Tercio envoyĂ© en avant-garde, amorcĂšrent les opĂ©rations de reconquĂȘte. Au mĂȘme moment oĂč se dĂ©roulait la tragique retraite dâAnoual, le lieutenant-colonel Campins fut affectĂ© au rĂ©giment dâinfanterie La Corona no 71, de garnison Ă AlmerĂa, quâil rejoignit le . Cette unitĂ©, Ă©tant Ă©tablie dans le port espagnol le plus proche de Melilla, fut la premiĂšre Ă dĂ©pĂȘcher un bataillon expĂ©ditionnaire destinĂ© Ă se porter au secours de la ville marocaine menacĂ©e, bataillon qui dĂ©barqua sur le sol marocain le . Les plans de la premiĂšre phase de reconquĂȘte furent exĂ©cutĂ©s Ă la perfection, sous la supervision directe du Haut-Commissaire et du gĂ©nĂ©ral Cavalcanti, nouveau commandant-gĂ©nĂ©ral de Melilla. Dans un premier temps, les troupes sâemployĂšrent Ă assurer les lignes de dĂ©fense de Melilla, pour ensuite prendre Ă tĂąche de rĂ©cupĂ©rer les positions perdues lors du DĂ©sastre. Campins y participa avec son unitĂ©[73].
Ă la fin de 1921, les troupes espagnoles progressaient de façon fort satisfaisante, malgrĂ© la fermetĂ© des hommes dâAbdelKrim, bien Ă©quipĂ©s grĂące au matĂ©riel capturĂ© aux forces espagnoles. Dans les premiers mois de 1922, lâavance espagnole se poursuivit sur le front oriental, plus particuliĂšrement en mars et avril, lorsque les troupes espagnoles atteignirent le bastion le plus important de la tribu de Beni SaĂŻd. Campins, qui avait avancĂ© Ă la tĂȘte de son unitĂ©, eut lâoccasion de dĂ©montrer ses capacitĂ©s dans une nouvelle mission Ă haute responsabilitĂ©, savoir : le commandement de colonnes, quâil exerça deux fois consĂ©cutives en fĂ©vrier et [74].
Le , Ă la tĂȘte de son bataillon et au sein de la colonne du gĂ©nĂ©ral GonzĂĄlez de Lara, Campins prit part Ă la pĂ©nible prise du village de ChĂ©morra et de Naar-el-Lal, au prix dâun dur affrontement avec les Rifains. Deux jours plus tard, lâobjectif Ă©tait Dar-el-Quebdani, oĂč GonzĂĄlez de Lara confia Ă Campins la conquĂȘte dâErguina et de Casas de Fumini ; le bataillon remplit ses objectifs, notamment au moyen dâune charge Ă la baĂŻonnette. Au lendemain de cette action, lâunitĂ© et son chef furent fĂ©licitĂ©s tĂ©lĂ©graphiquement par le ministre de la Guerre, par le Haut-Commissaire et par le Commandant-GĂ©nĂ©ral du territoire[75]. AprĂšs la prise de Dar el Quebdani, le bataillon La Corona apporta son concours Ă la prise de Timayats et de Alcazaba Roja, accomplit plusieurs missions de protection de convois, et le , au bout de plusieurs journĂ©es de marche, arriva Ă Melilla, oĂč il sâembarqua le soir mĂȘme pour Almeria[76]. Campins fut reçu en audience par le roi le , et le la mĂ©daille militaire fut dĂ©cernĂ©e Ă titre collectif au bataillon du rĂ©giment La Corona no 71[77].
Durant leur sĂ©jour en Afrique, Franco et Campins avaient renouĂ© leur ancienne amitiĂ© datant des annĂ©es de leur affectation commune Ă Oviedo. En dĂ©cembre de la mĂȘme annĂ©e, le Tercio commandĂ© par MillĂĄn-Astray et Franco, ainsi que le groupe de forces rĂ©guliĂšres de Ceuta no 3 sous le commandement de GonzĂĄlez-Tablas et de Mola, et que le rĂ©giment de Campins, se voyaient remettre, des mains mĂȘmes du roi, la MĂ©daille militaire. Cependant, le talent opĂ©rationnel de MillĂĄn-Astray et de Franco sâĂ©taient exercĂ©es dans le cadre de la solide structure de cette force, dont Campins avait tracĂ© la premiĂšre Ă©bauche quelques annĂ©es auparavant dans les Asturies[78].
Passage par lâaviation militaire
Les besoins de la guerre du Maroc avaient agi comme stimulus au dĂ©veloppement de lâaviation[79], et les opĂ©rations tactiques et lâobservation aĂ©riennes allaient dĂšs ce moment sâimposer progressivement comme un complĂ©ment indispensable Ă lâarmĂ©e de terre. De fait, dĂšs le dĂ©but de la campagne de reconquĂȘte des positions perdues, lâaviation avait Ă©tĂ© prĂ©sente dans tous les combats de quelque importance. Toutefois, les vols continuels de divers aviateurs, prĂ©alablement mutĂ©s vers Melilla, pour tenter de ravitailler depuis les airs les assiĂ©gĂ©s du Mont Arrouit sâĂ©taient rĂ©vĂ©lĂ©s peu efficaces, vu que les besoins de ceux-ci en munitions, nourriture et boisson dĂ©passaient les capacitĂ©s limitĂ©es des aĂ©roplanes dâalors, qui en outre couraient de grands risques Ă voler Ă basse altitude pour accomplir les largages[80].
En , par voie de dĂ©cret royal, le gouvernement espagnol procĂ©da Ă une rĂ©organisation de lâaĂ©ronautique militaire, laquelle devint une section du ministĂšre de la Guerre, composĂ©e de deux services : AĂ©rostation et Aviation. Le lieutenant-colonel Campins Ă©tait directement concernĂ© par cette nouvelle lĂ©gislation, attendu quâen , aprĂšs plusieurs mois de garnison Ă AlmerĂa, il avait Ă©tĂ© choisi pour frĂ©quenter le Cours dâaĂ©ronautique pour Chefs de base aĂ©rienne et quâil sâĂ©tait incorporĂ© en octobre Ă la base de Cuatro Vientos prĂšs de Madrid, oĂč il avait entamĂ© ses Ă©tudes et ses stages pratiques dâobservateur dâaĂ©roplane[81]. Il ne sâagissait cependant pas pour Campins (ni pour le commandant Mola, inscrit Ă la mĂȘme formation) de devenir des pilotes de combat experts, mais de mettre Ă profit leur expĂ©rience pour commander des unitĂ©s tactiques aĂ©riennes, et dans la mesure du possible dâĂȘtre capable de piloter un aĂ©roplane et dâexĂ©cuter des missions dâobservation aĂ©rienne[82]. Campins dĂ©crocha, comme ses camarades, le titre dâobservateur dâaĂ©roplane et se dĂ©plaça ensuite Ă la base de Los AlcĂĄzares (dans la province de Murcie) pour y accomplir les stages de bombardement et de combat aĂ©rien, Ă lâissue desquelles il revint Ă Madrid, oĂč il suivit Ă Getafe sa formation de pilote jusquâen [83].
Le nouveau Haut-Commissaire au Maroc Ricardo Burguete, soupçonnĂ© de sympathies Ă lâĂ©gard des officiers africanistes, se plia initialement aux desiderata du gouvernement et suivit une ligne de conduite politique dans le Protectorat, sâattelant notamment Ă conclure un accord nĂ©gociĂ© avec El Raisuni, accord qui vit le jour en Ă lâissue de douze mois dâhabiles nĂ©gociations menĂ©es par Alberto Castro Girona ; la paix revint certes dans la pĂ©ninsule de YĂ©bala, mais non dans la partie orientale[84]. Le chef rifain renoua avec ses attaques contre les postes avancĂ©s espagnols et sâefforça, sans y parvenir, de couper la route conduisant Ă la position de Tizi Azza. Les combats furent trĂšs vifs, en particulier celui du , lors duquel le lieutenant-colonel Valenzuela, commandant en chef du Tercio, perdit la vie[85].
Ă Sidi Messaoud, le , eut lieu la premiĂšre attaque aĂ©rienne contre les positions rifaines, mais les forces terrestres ne purent pas en tirer tout le parti escomptĂ©. Le 7, une nouvelle attaque fut tentĂ©e oĂč un groupe de dix-sept avions mitrailla en rase-motte les tranchĂ©es ennemies jusquâĂ en dĂ©loger la presque totalitĂ© des combattants rifains, sans que cela ait pu Ă©viter la tentative dâavancĂ©e sur terre dâĂ©chouer Ă nouveau. Le lieutenant-colonel Campins participa aux offensives de ce jour depuis son poste dâobservateur dâescadrille, Mola le faisant quant Ă lui comme observateur en aĂ©roplane. Le 11, les opĂ©rations furent reprises auxquelles Campins derechef prit part ; finalement, lâattaque rĂ©ussit, permettant aux lĂ©gionnaires de Franco, dans un ultime effort, de dĂ©busquer les Rifains de leurs rĂ©duits[86].
Son stage en Afrique terminĂ©, Campins retourna Ă Madrid fin mai et poursuivit sa formation dâaviation Ă Cuatro Vientos. Par Ordre royal du , il fut dĂ©clarĂ© apte au commandement dâune base aĂ©rienne, puis, au mois dâoctobre, au commandement en aviation. DĂ©but juillet, il se rendit Ă Ronda pour assumer le commandement de son bataillon et la fonction de commandant en chef de la place[87]. Le , de nouveau Ă Ronda, cette fois titularisĂ©, il annonça comme clĂŽturĂ© son passage par le service dâaviation, sans toutefois, pour des raisons inconnues, avoir obtenu le titre de pilote, mais en revanche celui dâobservateur[88].
Redéploiement du dispositif militaire espagnol au Maroc et retiradas
Ă lâĂ©tĂ© 1924, les opĂ©rations guerriĂšres sâĂ©taient dĂ©placĂ©es du secteur de Melilla vers la zone occidentale du Protectorat. Primo de Rivera, fidĂšle Ă ses thĂšses, avait continuĂ© Ă freiner les opĂ©rations militaires pendant tout le printemps et se trouva dĂ©but juillet confrontĂ© dans le district de Chefchaouen (Xauen en espagnol) Ă une offensive des rebelles dâune ampleur prĂ©occupante[89]. Comme de juste, lâattitude « abandonniste » du dictateur et lâidĂ©e de procĂ©der Ă un repli stratĂ©gique sur des positions cĂŽtiĂšres aisĂ©es Ă dĂ©fendre nâeurent pas dâĂ©cho favorable auprĂšs du commandement de lâarmĂ©e dâAfrique[90].
Dans la zone occidentale, la situation nâavait cessĂ© dâempirer, Ă telle enseigne quâau mois dâ la ville de Chefchaouen, bien quâassurĂ©e par Castro Girona, ainsi que dâautres positions dâimportance moindre, sâĂ©taient retrouvĂ©es isolĂ©es de TĂ©touan. De fait, une bonne part du dĂ©ploiement espagnol dans la YĂ©bala Ă©tait compromise. La LĂ©gion fut dĂ©pĂȘchĂ©e en renfort des troupes du secteur, et Primo de Rivera revint prĂ©cipitamment en Afrique le , câest-Ă -dire le mĂȘme jour oĂč Campins arrivait Ă Ceuta. Primo de Rivera dĂ©cida, au vu des Ă©vĂ©nements, de mettre en marche lâopĂ©ration consistant Ă rĂ©duire le territoire tenu par lâarmĂ©e espagnole dans la zone occidentale Ă une ceinture dĂ©fensive dans laquelle seraient inclus la route de TĂ©touan Ă Tanger et Ă Larache, ainsi que lâancienne route de TĂ©touan Ă Ceuta. Cette dĂ©cision, qui supposait lâabandon de Chefchaouen et de tout le territoire circonvoisin conquis en 1920 sous DĂĄmaso Berenguer, causa une vive dĂ©ception chez nombre de militaires et de civils[91].
Le , Campins sâembarqua Ă AlgĂ©siras en partance pour Ceuta, de lĂ poursuivit son voyage jusquâĂ TĂ©touan, puis jusquâau camp de Ben Karrich, oĂč il fut incorporĂ© dans la colonne du gĂ©nĂ©ral Castro Girona[89]. Pendant lâautomne de 1924, il lui fut donnĂ© de vivre de prĂšs les Ă©vĂ©nements dans la YĂ©bala. Ă la tĂȘte de plusieurs colonnes, ou intĂ©grĂ© avec son bataillon au sein dâautres unitĂ©s, il fut actif dans diffĂ©rentes zones et accomplit de nombreuses missions dâappui aux forces occupĂ©es Ă se replier, couvrant en particulier dans la deuxiĂšme quinzaine dâoctobre, en plus de combattre en diffĂ©rents points, lâĂ©vacuation de plusieurs garnisons et positions[92].
DĂ©but 1925, lâidĂ©e de lancer une offensive finale contre les rebelles rifains commença Ă prendre forme dans les projets de Primo de Rivera. Pour cela, il fallut quâil surmonte ses anciennes rĂ©serves envers les chefs expĂ©rimentĂ©s de lâarmĂ©e dâAfrique, et que dans un sursaut de pragmatisme, il consente Ă sâappuyer sur eux, plus spĂ©cialement sur un groupe choisi de commandants ayant fait la preuve de leur efficacitĂ© et de leur capacitĂ©s dâorganisation, groupe auquel appartenait le lieutenant-colonel Campins, comme l'atteste le fait quâau cours de lâannĂ©e 1925, le haut commandement lui ait confĂĂ© des missions dâune envergure toujours plus grande. Pour lâheure, le , il fut chargĂ© dâune mission dâinspection et dâamĂ©lioration de la ligne dĂ©fensive de Casa Aspillerada[93], puis dâune mission de grande responsabilitĂ© consistant dâune part Ă garnir dâhommes et dâĂ©quipements la ligne de dĂ©fense sur un ample front et dâautre part Ă assurer les communications entre Tanger et Larache, missions qui, par le nombre et la diversitĂ© des troupes Ă lui confiĂ©es et par la nature des tĂąches, dĂ©passaient les attributions du grade de lieutenant-colonel. Les opĂ©rations de lâarmĂ©e allaient sâaccroissant au cours de lâĂ©tĂ©, atteignant leur point culminant Ă Al HoceĂŻma Ă la fin de lâĂ©tĂ© 1925[94].
DĂ©barquement dâEl HoceĂŻma
Le gĂ©nĂ©ral Saro, commandant en chef de la brigade de dĂ©barquement de Ceuta, laquelle Ă©tait appelĂ©e Ă supporter le poids de lâopĂ©ration amphibie dâEl HoceĂŻma dans sa phase initiale, ordonna une prĂ©paration intense et minutieuse[95]. Saro Ă©tait par ailleurs rĂ©solu Ă confier le commandement dâune des colonnes de sa brigade de dĂ©barquement au lieutenant-colonel Campins[96]. La brigade de Ceuta fut divisĂ©e en trois colonnes : la premiĂšre, commandĂ©e par le colonel Franco (qui venait dâĂȘtre promu Ă ce grade en fĂ©vrier de la mĂȘme annĂ©e), se composait de troupes de choc ; la deuxiĂšme, sous les ordres du colonel MartĂn, combinait des unitĂ©s de choc avec dâautres de nature dĂ©fensive ; la troisiĂšme, sous le commandement de Campins, Ă©tait conçue comme troupe de rĂ©serve et dâappui aux autres deux[97].
Le , avec un lĂ©ger retard dĂ» Ă la dispersion de quelques vaisseaux par les courants du dĂ©troit, le dĂ©barquement commença avec lâarrivĂ©e Ă terre de la colonne de Franco, suivie immĂ©diatement par les troupes de MartĂn. La troisiĂšme vague, sous le commandement de Campins, ne devait pas commencer Ă dĂ©barquer avant une heure avancĂ©e de la nuit, tant que sa prĂ©sence sur terre nâĂ©tait pas indispensable ; de plus, il y avait lieu dâabord de dĂ©charger des barcasses tout le matĂ©riel[98]. Les jours suivant le dĂ©barquement, les forces espagnoles prenaient pied sur le terrain, par des travaux de fortification et lâinstallation des Ă©quipements. La colonne Campins se tint sur la ligne de front jusquâau , pour occuper ensuite des positions Ă la droite de la colonne de MartĂn, avec mission de protĂ©ger son flanc[99].
Jusquâau , les actions ordinairement confiĂ©es Ă la « colonne Campins » consistaient Ă rectifier les lignes de dĂ©fense et Ă Ă©tablir de nouvelles positions, Ă quoi sâajoutaient les frĂ©quentes escarmouches avec les Rifains. AprĂšs cette date, Campins reçut lâordre dâembarquer pour Ceuta, puis de se rendre Ă TĂ©touan. De lĂ , il gagna AĂŻn-GhĂ©nen pour un passage en revue des compagnies expĂ©ditionnaires de son bataillon, desquelles il devait laisser une en Afrique et sâen retourner avec lâautre Ă Ronda, oĂč il arriva le [100].
Le , le lieutenant-colonel Campins fut promu colonel pour mĂ©rites de guerre, ce Ă quoi il avait Ă©tĂ© proposĂ© le , Ă la suite dâune mention spĂ©ciale Ă TĂ©touan. Quelques jours plus tard, il fut nommĂ© Ă la tĂȘte du rĂ©giment dâinfanterie dâAfrique no 68 cantonnĂ© Ă Melilla, oĂč il prit ses fonctions le [101]. Le , de retour au front, il y prit le commandement du groupe de « Midar », composĂ© de son propre rĂ©giment et de forces europĂ©ennes et indigĂšnes de toutes les armes, et insĂ©rĂ© dans le groupe de Beni Tuzin aux ordres du gĂ©nĂ©ral Manuel GonzĂĄlez Carrasco ; au printemps de 1926, ce groupe employa dans lâavant-garde une tactique mettant dĂ©sormais en Ćuvre de grands effectifs (au lieu de lâancienne tactique des petites avancĂ©es au moyen de petites colonnes) sans laisser Ă lâennemi le temps de rĂ©agir. LâopĂ©ration fut un succĂšs total[102] - [103]. Le , le colonel Campins reçut les fĂ©licitations du commandant-gĂ©nĂ©ral de la place de Melilla et se vit confĂ©rer le la croix de lâOrdre du mĂ©rite naval de 2e classe, avec insigne rouge, pour son rĂŽle dans le dĂ©barquement dâEl HoceĂŻma. Le , rĂ©clamĂ© tĂ©lĂ©graphiquement Ă Madrid par le ministre de la Guerre Juan O'Donnell, il y fut dĂ©signĂ© membre de la Commission dâorganisation de lâAcadĂ©mie gĂ©nĂ©rale militaire, que prĂ©sidait dĂ©jĂ son ami et camarade Francisco Franco, entre-temps fait gĂ©nĂ©ral[104]. Primo de Rivera lui Ă©pingla, en prĂ©sence de lâambassadeur de France, les insignes dâofficier de la LĂ©gion dâhonneur, attribuĂ©e « pour ses mĂ©rites et collaboration aux opĂ©rations des armĂ©es des deux nations au Maroc lâannĂ©e prĂ©cĂ©dente »[105].
Préparatifs et fondation
Primo de Rivera estimait que les revers subis au Maroc Ă©taient dus en partie au manque de coordination et aux rivalitĂ©s entre les diffĂ©rentes armes, et quâil Ă©tait impĂ©ratif, en plus de rehausser la formation, dâamĂ©liorer aussi les rapports entre les diffĂ©rentes acadĂ©mies spĂ©cialisĂ©es, qui Ă©taient alors au nombre de quatre (infanterie, cavalerie, artillerie et gĂ©nie). Pour y parvenir, il avait songĂ© dĂšs le dĂ©but de sa dictature Ă restaurer lâAcadĂ©mie gĂ©nĂ©rale, qui avait existĂ© de 1882 Ă 1893 et dispensĂ© une formation de base commune, certes complĂ©tĂ©e ensuite par une instruction technique spĂ©cialisĂ©e propre Ă chaque corps. Ă cet effet, il donna mission en 1924 de rĂ©aliser les Ă©tudes prĂ©liminaires[106] - [107] - [108], et par la suite, en , le lieutenant-colonel dâĂ©tat-major Fermin Espallargas fut envoyĂ© aux Ătats-Unis pour y examiner les diffĂ©rents centres dâenseignement militaire de ce pays[109] ; le mĂ©moire quâil publia Ă son retour fut pris en considĂ©ration par les organisateurs de lâAcadĂ©mie gĂ©nĂ©rale, ainsi que les rapports rĂ©digĂ©s par MillĂĄn-Astray aprĂšs son sĂ©jour en France entre janvier et comme chargĂ© de mission Ă lâĂ©cole de Saint-Cyr et Ă lâĂ©cole dâinfanterie de Saint-Maixent[110] - [111].
Le fut publiĂ© le DĂ©cret royal portant rĂ©organisation des enseignements militaires en Espagne et crĂ©ation de lâAcadĂ©mie gĂ©nĂ©rale militaire. Le projet de Primo de Rivera visait Ă rĂ©aliser lâunitĂ© des armĂ©es espagnoles ; Campins, dans son ouvrage inĂ©dit sur lâAcadĂ©mie gĂ©nĂ©rale militaire de Saragosse, se montra pleinement dâaccord avec Primo de Rivera en ce qui concerne lâesprit de ce Centre dâenseignement tel quâil avait Ă©tĂ© fondĂ© au XIXe siĂšcle par le gĂ©nĂ©ral MartĂnez Campos[112]. Ledit ouvrage expose quelques-unes des idĂ©es qui traverseront inchangĂ©es toute lâĆuvre de Campins, Ă savoir : son opposition Ă lâexistence de « corps facultatifs » (corps spĂ©ciaux) dans lâarmĂ©e espagnole ; son hostilitĂ© aux tableaux dâavancement « fermĂ©s » ; et sa dĂ©sapprobation dâĂ©tudes distinctes â du moins pour la partie initiale â pour chacun de ces corps spĂ©ciaux et pour chacune des armes gĂ©nĂ©rales. Dans son apologie de lâAcadĂ©mie gĂ©nĂ©rale, il y a lieu de retenir surtout son intĂ©rĂȘt Ă restaurer lâunitĂ© perdue de lâarmĂ©e espagnole, et non lâĂ©cho de quelque expĂ©rience nĂ©gative subie durant son passage par lâAcadĂ©mie de TolĂšde[113].
Le DĂ©cret royal du fixa finalement dans son prĂ©ambule le systĂšme que le Directoire de Primo de Rivera jugeait le plus appropriĂ© pour lâenseignement militaire :
- crĂ©ation de lâAcadĂ©mie gĂ©nĂ©rale militaire, dans laquelle sâinscriront, aprĂšs participation libre Ă examen dâentrĂ©e, les civils et soldats de troupe aspirant Ă suivre la pleine carriĂšre militaire, et qui achĂšveront ensuite leur formation dans les acadĂ©mies spĂ©ciales de leur arme respective. Le rĂŽle de lâAcadĂ©mie gĂ©nĂ©rale sera de prodiguer la culture de base et surtout lâesprit militaire qui doit ĂȘtre commun Ă toutes les spĂ©cialitĂ©s, tandis que dans les acadĂ©mies spĂ©ciales, lâenseignement devra sâorienter vers la maĂźtrise des savoirs techniques propres Ă chaque arme ;
- crĂ©ation de lâĂcole dâĂ©tudes supĂ©rieures militaires, oĂč seront formĂ©s les cadres aptes Ă lâexercice de fonctions dâĂ©tat-major et Ă diriger les industries militaires ou mobilisables, mais cela seulement aprĂšs que le candidat aura pratiquĂ© dans le rang pendant toute la durĂ©e du grade de lieutenant, puis au moins deux annĂ©es comme capitaine.
Par Ordre royal du Ă©taient nommĂ©es les Commissions dâorganisation des nouveaux centres Ă crĂ©er, celle de lâAcadĂ©mie gĂ©nĂ©rale Ă©tant prĂ©sidĂ©e par le gĂ©nĂ©ral Francisco Franco[114]. La mission de ladite Commission consistait Ă donner forme aux dispositions du DĂ©cret royal portant crĂ©ation de lâAcadĂ©mie gĂ©nĂ©rale, Ă quelle fin Franco Ă©tudia lâorganisation des diffĂ©rents Ă©tablissements dâenseignement militaire dâEurope et dâAmĂ©rique et analysa la constitution et le fonctionnement des anciennes acadĂ©mies espagnoles[115].
Campins participa aux travaux de la commission tout au long de lâannĂ©e 1927, en alternance avec son affectation Ă Melilla, oĂč il dut retourner Ă deux reprises cette annĂ©e pour y exercer son commandement. Finalement, un Ordre royal du lui attribua la charge de Directeur des Ă©tudes (Jefe de Estudios) de lâAcadĂ©mie gĂ©nĂ©rale militaire, dont le gĂ©nĂ©ral Franco Ă©tait dĂ©jĂ directeur depuis le 4 du mĂȘme mois[116] - [117].
Sous-directeur et directeur des Ă©tudes
En ce qui concerne la sĂ©lection du personnel de lâAcadĂ©mie, Ă commencer par celle du colonel Campins, lâopinion de Franco joua un rĂŽle dĂ©cisif[118]. Du reste, Campins possĂ©dait au sein de lâarme dâinfanterie un prestige incontestable, et les jugements Ă son sujet le citaient invariablement comme lâun des militaires Ă la vision dâavenir la plus lucide[119].
Franco, qui sâĂ©tait retrouvĂ© aux cĂŽtĂ©s de Campins en plusieurs occasions au long de sa carriĂšre, avait considĂ©rĂ© quâil Ă©tait la personne la plus qualifiĂ©e pour exercer la fonction de directeur des Ă©tudes, et supplĂ©a en le choisissant aux dĂ©ficiences de son propre bagage culturel, Ă©tant donnĂ© que Franco ne possĂ©dait dâautres connaissances que celles acquises dans la guerre irrĂ©guliĂšre du Maroc, Ă la tĂȘte de troupes mercenaires de Regulares ou de lĂ©gionnaires[120]. Campins Ă©tait en outre titulaire dâun certificat en langue française (traduction, conversation et Ă©criture) et pratiquait avec aisance lâanglais, compĂ©tences assez rares chez les chefs militaires espagnols du premier quart du XXe siĂšcle[121].
La maniĂšre dâĂȘtre de Campins comme militaire, respectueux et loyal vis-Ă -vis de ses supĂ©rieurs, ne nous permet pas de savoir sa vĂ©ritable opinion sur Franco, et il est probable de toute façon que, si opinion particuliĂšre il avait, elle serait restĂ©e occultĂ©e par sa stricte interprĂ©tation du principe dâ« obĂ©issance due » ; Franco Ă©tait pour Campins « lâillustre gĂ©nĂ©ral qui nous prĂ©sidait », et aussi : « un gĂ©nĂ©ral parmi ceux de plus grand prestige dans lâarmĂ©e, qui mena dâune main sĂ»re et avec un excellent jugement le timon de cet ensemble [la prĂ©sente AcadĂ©mie] »[122]. Il est Ă noter que le timon fut souvent empoignĂ© par Campins lui-mĂȘme, lors des frĂ©quentes absences de Franco, souvent pris par ses divers engagements, en plus des congĂ©s rĂ©glementaires, qui portĂšrent Franco Ă sâabsenter douze fois entre 1928 et 1931, pour un total de 116 jours, oĂč Campins eut donc Ă exercer par intĂ©rim la direction de lâAcadĂ©mie[123].
Si la dĂ©signation des professeurs se faisait de façon gĂ©nĂ©rale sur concours, il reste cependant que tant Franco que Primo de Rivera voulaient une AcadĂ©mie gĂ©nĂ©rale militaire qui rĂ©ponde Ă des caractĂ©ristiques bien dĂ©terminĂ©es, qui soit le fidĂšle reflet de leurs idĂ©es, et qui se moule sur le modĂšle dâarmĂ©e quâils avaient en vue pour les dĂ©cennies suivantes. DĂšs lors, le corps professoral dâune telle institution ne pouvait pas se recruter dans les Corps facultatifs, qui sâaffrontaient au dictateur, ou dans le corps des officiers mĂ©tropolitains composĂ© pour une bonne part de dĂ©tracteurs de la guerre au Maroc et dâhĂ©ritiers des anciens ComitĂ©s de dĂ©fense (Juntas de Defensa). Les officiers, commandants et gĂ©nĂ©raux trempĂ©s dans les campagnes dâAfrique prĂ©sentaient au contraire toutes les qualitĂ©s requises par la vision primorivĂ©riste et franquiste et une homogĂ©nĂ©itĂ© dâidĂ©es[124].
Des 79 enseignants retenus, 34 appartenaient Ă lâarme dâinfanterie et 11 avaient Ă©tĂ© lĂ©gionnaires comme Franco. Outre Campins, le lieutenant-colonel Sueiro et les commandants Alonso Vega et Franco Salgado-AraĂșjo (dit PacĂłn), cousin de Franco, formaient le vĂ©ritable centre de gravitĂ© de lâAcadĂ©mie ; Ă la commune appartenance Ă lâinfanterie sâajoutaient pour Alonso Vega le fait dâĂȘtre de la mĂȘme promotion que Franco, tandis que Sueiro et PacĂłn Ă©taient de la suivante, et pour chacun la qualitĂ© de lĂ©gionnaire ainsi que le sĂ©jour commun de tous les quatre dans le rĂ©giment du Prince Ă Oviedo en 1918, en plus dâune commune origine galicienne[125]. Toutefois, si Franco sut tirer parti des qualitĂ©s de Campins comme directeur des Ă©tudes, il apparaĂźt cependant que celui-ci nâappartint jamais au groupe restreint des intimes du gĂ©nĂ©ral Franco[126].
En eurent lieu les examens dâentrĂ©e de la premiĂšre annĂ©e acadĂ©mique, avec le gĂ©nĂ©ral Franco comme prĂ©sident du jury dâexamen. Les cadets reçus Ă©taient ensuite prĂ©sentĂ©s individuellement Ă la Vierge du Pilier, puis, dans la basilique homonyme, Ă©tait entonnĂ©e une Salve Regina, Ă laquelle assistaient le directeur ainsi que toutes les autoritĂ©s civiles et militaires de Saragosse[127].
Vision pédagogique et matiÚres enseignées
La vision pĂ©dagogique de Campins pourrait se rĂ©sumer comme suit : « Ă©ducation en premier lieu, instruction en second lieu ». Campins prĂ©conise lâadoption du modĂšle universitaire anglais, câest-Ă -dire d'un modĂšle Ă©ducatif tendant Ă la formation intĂ©grale de lâĂ©lĂšve. Dans son ouvrage inĂ©dit sur lâAcadĂ©mie, il note :
« En rĂ©sumĂ©, il est nĂ©cessaire, dans un centre de cette nature [militaire], de ne pas enseigner une science, ni une technique dĂ©jĂ accomplie, comme dans les universitĂ©s et Ă©coles de type français et espagnol ; ni davantage dâeffectuer des recherches dans cette science, ni dans cette technique, comme dans celles de type allemand ; mais dâaller vers le type anglais dâuniversitĂ© ou de collĂšge, qui sâest tant implantĂ© en AmĂ©rique et qui est celui qui sâapproche le plus de lâessence et de ce dont on a besoin dans la carriĂšre militaire[128]. »
En somme, Campins souhaite le remplacement de lâenseignement dâinstruction, dĂ©passĂ© et peu adaptĂ© aux nĂ©cessitĂ©s militaires du moment, par un enseignement dâĂ©ducation. Ă cet effet, il sâadosse aux conceptions de l'intellectuel libĂ©ral Francisco Giner de los RĂos, exposĂ©es dans lâouvrage PedagogĂa Universitaria, dont Campins approuve les orientations gĂ©nĂ©rales et quâil dĂ©sire mettre en Ćuvre Ă lâAcadĂ©mie de Saragosse. Campins ne cessera de sâappuyer sur les concepts fondamentaux de Giner, dont il Ă©tait un admirateur, pour Ă©laborer sa propre thĂ©orie sur ce que doit ĂȘtre lâenseignement militaire et sur ce vers quoi il doit tendre, Ă savoir : un enseignement dĂ©fini par Giner comme une « fonction vivante, personnelle et flexible ; sinon, on peut sâen passer »[129] - [130]. Dâautre part, plusieurs idĂ©es du capitaine JoaquĂn Fanjul ont Ă©tĂ© reprises par Campins lĂ oĂč cet auteur traite de la formation militaire en gĂ©nĂ©ral et lĂ oĂč il recensait en particulier les qualitĂ©s que devait rĂ©unir un aspirant officier[131]. Par son livre, Fanjul sâĂ©tait imposĂ© peu Ă peu comme le parangon de lâofficier Ă©ducateur, façonneur dâhommes, qui par sa propre figure et sa parole avait rĂ©ussi Ă poser un exemple de bon soldat et de bon citoyen, bien entraĂźnĂ© physiquement, bien instruit, attentif au monde qui lâentoure, Ă©duquĂ© dans une Ă©thique de lâhonneur, du sacrifice et de la solidaritĂ©[132], et qui rĂ©pondait Ă la perfection aux caractĂ©ristiques mises en avant par Campins dans son ouvrage[133].
Campins considĂ©rait comme une grave erreur que de croire, comme on lâavait fait jusque-lĂ , que la dĂ©tention dâune aptitude aux mathĂ©matiques irait nĂ©cessairement de pair avec une aptitude Ă la carriĂšre des armes, point de vue erronĂ© selon lui, attendu que le futur officier « a besoin par-dessus tout de vocation, dâesprit militaire ou professionnel », sans oublier quâil doit possĂ©der dâautres connaissances aussi, non moins, sinon plus importantes que les mathĂ©matiques, comme lâhistoire, la gĂ©ographie, le droit, la pĂ©dagogie ou la sociologie, selon lui indispensables Ă une formation idoine de lâofficier moderne[134]. Il attachait une importance spĂ©ciale Ă lâĂ©tude de lâhistoire militaire de lâEspagne, voulant en finir avec la traditionnelle tendance Ă magnifier la portĂ©e des Ă©vĂ©nements et campagnes Ă©trangers[135]. Ses critiques portaient sur les carences et surtout sur lâinertie dâun systĂšme dâenseignement militaire qui vers la fin du premier trimestre du XXe siĂšcle, souffrait encore des mĂȘmes dĂ©fauts que ceux dĂ©jĂ mis en Ă©vidence par les essayistes militaires dĂšs la fin du siĂšcle antĂ©rieur[136].
Selon Campins, le but de lâAcadĂ©mie gĂ©nĂ©rale de Saragosse devait ĂȘtre de
« faire des hommes au plein sens du terme, aptes Ă servir pour commander et pour rĂ©soudre les multiples problĂšmes et cas difficiles qui sont appelĂ©s Ă se prĂ©senter lors dâune guerre. [...] Ce dont il sâagit dans un Centre comme celui-ci, câest non seulement dâenseigner, mais aussi de former et de renforcer un caractĂšre, ce qui ne peut sâenseigner en classe ou depuis une chaire, ni avec des livres ; cela, le caractĂšre, est le produit des qualitĂ©s innĂ©es en lâindividu et dâune Ă©ducation trĂšs dĂ©licate et habilement menĂ©e. Et de cela, câest la volontĂ©, indispensable pour le commandement, qui en constitue la principale caractĂ©ristique, Ă telle enseigne que beaucoup la confondent avec ledit caractĂšre. Il y a lieu de ne pas lâannuler dans un Centre de cette nature, mais au contraire de la cultiver et de la stimuler, de sorte que celle de tous les jeunes gens en formation se mette au service du haut intĂ©rĂȘt commun auquel notre profession est dĂ©vouĂ©e[137]. »
Plus avant dans le livre, Campins se rĂ©fĂšre Ă nouveau Ă ces mĂȘmes idĂ©es pour dĂ©finir les qualitĂ©s quâun officier doit possĂ©der :
« Pour ĂȘtre un officier, il faut ĂȘtre homme, ĂȘtre soldat, qui est un concept plus Ă©troit que le prĂ©cĂ©dent, et ĂȘtre gentilhomme, qui lâest davantage encore. Et ensuite, comme complĂ©ment de ces conditions indispensables, il lui en faut dâautres, telles que les dons de commandement et une grande culture gĂ©nĂ©rale, qui lui permette de possĂ©der tout lâensemble de connaissances que la guerre dâaujourdâhui exige en vue du commandement de troupes[138]. »
Campins Ă©tait partisan de soumettre tous les cadets Ă un strict rĂ©gime dâinternat â rĂ©gime absolu nâadmettant dâexception dâaucune sorte â, quâil estimait indispensable dans un Ă©tablissement destinĂ© Ă la formation dâofficiers[139], et de supprimer tout type de permission et de limiter les vacances Ă la durĂ©e strictement rĂ©glementaire, Ă lâeffet de prĂ©venir que les futurs officiers ne sâabandonnent Ă la pratique de nombre de hauts commandants et officiers dâĂ©lire domicile en des endroits diffĂ©rents de celui de leur affectation officielle[140].
Ă propos du fameux DĂ©calogue du cadet, la plupart des biographes de Franco en ont attribuĂ© la paternitĂ© Ă ce dernier, qui lâaurait personnellement rĂ©digĂ© en sâappuyant sur son expĂ©rience dans la LĂ©gion[141]. Cependant, Campins ne mentionne pas Franco comme leur auteur â si tel eĂ»t Ă©tĂ© le cas, il en aurait Ă coup sĂ»r fait Ă©tat dans son ouvrage â, et de ses Ă©crits il peut ĂȘtre infĂ©rĂ© que câest au corps professoral de lâAcadĂ©mie quâil convient dâattribuer la responsabilitĂ© collective de lâĂ©laboration des dix articles concernĂ©s. Le DĂ©calogue, loin de se fonder sur le CrĂ©do lĂ©gionnaire, sâinspirait des Ordonnances militaires, desquelles, aux dires de Campins, furent extraits les dix articles qui leur paraissaient les plus essentiels[142]. Le DĂ©calogue Ă©tait distribuĂ© aux jeunes aspirants officiers, en mĂȘme temps que leur uniforme, au moment de leur arrivĂ©e Ă lâAcadĂ©mie[143].
Quant aux critĂšres dâaccĂšs Ă la carriĂšre militaire, Campins proposait dâinstaurer une limite dâĂąge minimal assez Ă©levĂ©e et dâexiger des connaissances prĂ©alables Ă©quivalant au baccalaurĂ©at Ă©lĂ©mentaire ainsi quâune aptitude physique adĂ©quate ; il prĂ©conisait dâimposer, pour que lâadmission dans lâAcadĂ©mie soit dĂ©finitive, la rĂ©ussite dâĂ©preuves de grammaire, de langue Ă©trangĂšre, de dessin topographique et panoramique, dâarithmĂ©tique, dâalgĂšbre, de gĂ©omĂ©trie et de trigonomĂ©trie rectiligne[144].
Campins considĂ©rait la formation physique de lâaspirant officier comme dâimportance capitale, au point dâestimer que tout candidat devrait ĂȘtre Ă©liminĂ© et ne serait pas admis Ă participer aux Ă©preuves subsĂ©quentes si son Ă©tat physique nâapparaissait pas pleinement satisfaisant aprĂšs examen mĂ©dical scrupuleux et Ă©preuve de gymnastique[145].
Invoquant de nouveau PedagogĂa Universitaria de Giner de los RĂos, Campins prend appui sur quelques-unes des idĂ©es qui ressortent dâune Ă©tude comparative menĂ©e par Giner sur les diffĂ©rents systĂšmes Ă©ducatifs. Dans le plan dâĂ©tudes de Campins domine lâidĂ©e primordiale de rendre les enseignements Ă©minemment pratiques, et de faire en sorte que ce qui est enseignĂ© soit â selon ses propres termes â « gĂ©nĂ©ral, primordial et fondamental dans la profession militaire »[146]. Le systĂšme basĂ© sur la mĂ©morisation est rejetĂ©, et cĂšde la place Ă un systĂšme oĂč le cadet apprend Ă discourir, Ă comparer, Ă mesurer, Ă prendre conscience de ce quâil voit et de ce qui se fait[147]. Campins plaide pour la disparition, nĂ©cessaire selon lui, des « pernicieux » manuels et du systĂšme traditionnel dâĂ©valuation de lâĂ©tat de prĂ©paration et des connaissances de lâĂ©lĂšve ; se reposant une nouvelle fois sur Giner de los RĂos et sa PedagogĂa universitaria, Campins condamne lâusage des manuels, qui « sâest transformĂ© en un vĂ©ritable abus qui dĂ©shonore le haut sacerdoce de lâenseignement, le pervertissant en une lucrative industrie pour quelques-uns et en une commoditĂ© pour beaucoup »[148] - [149]. Au lieu de manuels, les professeurs et Ă©lĂšves avaient Ă se guider sur un ensemble de directives, fixĂ©es par Campins et dont la mise en Ćuvre Ă©tait surveillĂ©e par lui, et au moyen desquelles le directeur des Ă©tudes sâemployait Ă supprimer tout ce qui Ă©tait accessoire dans lâenseignement des diffĂ©rentes matiĂšres, pour se concentrer sur les aspects concrets de celles-ci, qui devaient par ailleurs toujours garder un rapport Ă©troit avec la formation militaire de lâĂ©lĂšve et ĂȘtre en rĂ©sonance avec la philosophie que lâĂ©tablissement voulait transmettre[150]. Comme norme gĂ©nĂ©rale, Campins sâen tenait Ă la nĂ©cessitĂ© pour les futurs officiers de connaĂźtre au moins lâessentiel des matiĂšres enseignĂ©es ; lâobjectif de lâAcadĂ©mie nâĂ©tait pas que le cadet connaisse et comprenne la totalitĂ© de la science militaire, mais quâil puisse sâinitier Ă elle[151]. Certes, on peut douter que la formation thĂ©orique et tactique ait Ă©tĂ©, malgrĂ© les soins de Campins, Ă la hauteur de la prĂ©paration physique et mentale[152], cependant câest dans une large mesure grĂące Ă Campins que la qualitĂ© de la formation donnĂ©e Ă Saragosse fut sensiblement supĂ©rieure Ă celle des acadĂ©mies antĂ©rieures[129].
Quant au systĂšme dâĂ©valuation des Ă©lĂšves, câest encore Giner de los RĂos qui donne le ton, quand celui-ci, face aux apologistes de lâexamen, affirme que « tout autre moyen serait prĂ©fĂ©rable : la publication de livres, de travaux, de rĂ©sumĂ©s et de rapports sur le travail rĂ©alisĂ© dans chaque cours ; ou lâinspection. Tout vaudrait mieux et aurait plus dâexactitude ». Dans lâAcadĂ©mie, câest cette derniĂšre option qui fut adoptĂ©e, savoir : inspection et correction constantes, rĂ©compense aux travaux mĂ©ritoires, de sorte que la plupart des cadets ne passaient pas dâexamen. Seuls y Ă©taient contraints, en guise de caution, ceux qui, ayant Ă©tĂ© mĂ©diocrement ou mal cĂŽtĂ©s durant le cours, Ă©taient Ă la fin emmenĂ©s devant un jury dâexamen[153] - [154].
Fin de la dictature primorivériste, dictature de Dåmaso Berenguer et DeuxiÚme République (1931-1936)
Sous la dictature primorivĂ©riste, le colonel Campins sâĂ©tait toujours tenu Ă©loignĂ© de ceux qui conspiraient contre le rĂ©gime, ce qui lui permit dâobtenir lâautorisation de sâinscrire au cours dâaptitude au grade de gĂ©nĂ©ral, quâil suivit Ă lâĂcole supĂ©rieure de guerre Ă Madrid entre le et le [155]. LâannĂ©e 1930 aurait donc pu ĂȘtre lâannĂ©e de son ascension tant dĂ©sirĂ©e au gĂ©nĂ©ralat, toutefois, la chute de Primo de Rivera dâune part, et lâavĂšnement dâun nouveau gouvernement enclin Ă neutraliser par des concessions les secteurs militaires les plus indociles dâautre part, eurent pour effet de contrarier cette promotion[156].
Le ComitĂ© rĂ©publicain, qui rĂ©unissait les membres des factions anti-monarchistes, avait projetĂ© un coup dâĂtat en faveur de la rĂ©publique pour le . Cependant, lâun dâeux, le capitaine FermĂn GalĂĄn, devança le plan, dĂ©crĂ©tant la loi martiale Ă Jaca dĂšs le ; il mit ses supĂ©rieurs en dĂ©tention et Ă la tĂȘte dâune colonne de 800 hommes fit mouvement sur Huesca[157]. Ces Ă©vĂ©nements furent vĂ©cus Ă lâAcadĂ©mie gĂ©nĂ©rale militaire non sans une certaine inquiĂ©tude, compte tenu que Saragosse Ă©tait la destination finale des insurgĂ©s. Dans lâaprĂšs-midi du 12, Franco fut informĂ© de la situation et, soit quâil ait suivi en cela les instructions de ses supĂ©rieurs, soit de sa propre initiative[158], dĂ©ploya ses cadets pour sĂ©curiser la route de Huesca, sous le commandement direct du colonel Campins. Le coup dâĂtat ayant avortĂ©, les cadets nâeurent pas Ă intervenir, mais le geste de net soutien au gouvernement et au roi valut des fĂ©licitations collectives aux unitĂ©s de la 5e rĂ©gion militaire. LâAcadĂ©mie sâĂ©tait ainsi maintenue en dehors des passions politiques et demeurĂ©e loyale Ă lâinstitution monarchique et au gouvernement en place. Franco aussi bien que Campins participeront plusieurs mois plus tard, sous le gouvernement Aznar, aux procĂšs intentĂ©s devant le conseil de guerre contre les insurgĂ©s de Jaca, Campins y figurant comme procureur et Franco comme membre du jury[159].
DeuxiĂšme RĂ©publique et fermeture de lâAcadĂ©mie
Le , peu aprĂšs la proclamation de la DeuxiĂšme RĂ©publique, et augurant de la suite, un ordre ministĂ©riel annula la convocation Ă la prochaine rentrĂ©e des classes de lâAcadĂ©mie gĂ©nĂ©rale, sous le prĂ©texte que parmi les futurs officiers devaient aussi figurer des candidats provenant de la troupe[160]. Le subsĂ©quent dĂ©cret de dissolution de lâAcadĂ©mie, en date du , sans doute lâune des mesures les plus rudes de Manuel Azaña, nouveau ministre de la Guerre, prit de surprise tout le monde, en particulier ceux concernĂ©s directement, Ă savoir Franco, Campins, le corps professoral et les cadets. Les raisons invoquĂ©es par Azaña dans le texte officiel dudit dĂ©cret peuvent se rĂ©sumer en deux points : la nullitĂ© du dĂ©cret portant crĂ©ation de lâAcadĂ©mie pris sous la dictature de Primo de Rivera, et le caractĂšre disproportionnĂ© de lâAcadĂ©mie gĂ©nĂ©rale[161]. Ce qui dĂ©sormais avait valeur lĂ©gale Ă©tait la loi Cierva de 1918, laquelle avait instaurĂ© le systĂšme des acadĂ©mies militaires sĂ©parĂ©es ; si certes Azaña se plaisait Ă sâautoriser de cette loi, il y eut incontestablement dâautres motifs de nature politique Ă la fermeture de lâĂ©tablissement, dont en particulier le fait que lâAcadĂ©mie gĂ©nĂ©rale Ă©tait, selon les termes de lâhistorien Payne, « comme lâennemie de la nouvelle armĂ©e rĂ©publicaine, attendu que la plupart de ses professeurs Ă©taient des africanistes et partisans dâinculquer aux cadets un rigide esprit militaire »[162] - [163].
AprĂšs la dissolution inopinĂ©e de lâAcadĂ©mie en 1931, Campins reçut le une nouvelle affectation dans la 1re brigade de montagne Ă GĂ©rone, encore que le ministre de la Guerre lui eĂ»t transmis tĂ©lĂ©graphiquement lâordre de poursuivre sa mission Ă lâAcadĂ©mie jusque fin aoĂ»t[164]. Franco et Campins, tous deux fort chagrinĂ©s par la fermeture de lâAcadĂ©mie de Saragosse, restĂšrent dans lâĂ©tablissement jusquâĂ la mi-aoĂ»t, moment oĂč ils remirent les clefs des Ă©difices de lâAcadĂ©mie Ă lâautoritĂ© militaire de la 5e division organique. Le , Campins se prĂ©senta finalement Ă Girone pour y assumer le commandement de son unitĂ©. La vie de garnison Ă GĂ©rone Ă©tait tranquille, et hormis quelques courtes pĂ©riodes de manĆuvres, et les quatre fois oĂč il fut amenĂ© Ă supplĂ©er le gĂ©nĂ©ral en chef de son unitĂ©, Campins disposait de temps pour se vouer Ă Ă©crire ses souvenirs de lâAcadĂ©mie et dâen exposer les « normes pĂ©dagogiques ». AprĂšs avoir conclu ce travail, que Campins avait lâintention de publier, il rĂ©digea un intĂ©ressant prologue oĂč il dĂ©fendait les acquis de lâinstitution et ses professeurs. Si incohĂ©rents juridiquement et dĂ©lĂ©tĂšres militairement quâaient pu lui paraĂźtre les fondements du dĂ©cret de dissolution de lâAcadĂ©mie, Campins nâeut garde, pour raisons de discipline militaire, de les mettre en cause dans son ouvrage, mais insistait sur le haut coĂ»t Ă©conomique, et aussi humain (par lâeffort dĂ©ployĂ© par le corps professoral), quâavait reprĂ©sentĂ©, en pure perte, la crĂ©ation de lâĂ©tablissement[165] - [166]. Dans le mĂȘme temps, Campins se dĂ©solait de lâincomprĂ©hension de nombreux membres de lâarmĂ©e espagnole qui â au contraire des observateurs Ă©trangers, qui eux, Ă©crit-il, connaissaient et admiraient lâAcadĂ©mie â mĂ©connaissaient celle-ci, voire sâautorisaient Ă lui imputer des tendances, y compris politiques, quâelle nâeut jamais[167] - [168] - [169].
Un passage comportant une sorte de profession de foi rĂ©publicaine et dĂ©mocratique ne manque de surprendre dans ce Prologue. Campins Ă©tait disposĂ© Ă accepter, voire Ă dĂ©fendre les idĂ©aux que la rĂ©publique, du moins dans ses premiers temps dâexistence, incarnait. Sans jamais ĂȘtre un militaire rĂ©publicain, ni en 1932 ni aprĂšs, Campins cependant Ă©tait un militaire disciplinĂ©, respectueux de la lĂ©galitĂ© en vigueur, et capable, par sa culture intellectuelle, de faire le dĂ©part entre les inconvĂ©nients dâun rĂ©gime monarchique Ă bout de souffle et portĂ© Ă bout de bras par un rĂ©gime dictatorial, et les avantages dâun systĂšme de libertĂ©s, qui Ă©tait du reste soutenu par une bonne part du peuple espagnol et de lâarmĂ©e[170].
Il est notable que 95 % des cadets ayant Ă©tudiĂ© Ă Saragosse dans lâune des trois promotions appuieront lâinsurrection nationaliste de [171] - [172] - [173].
Lors de la Sanjurjada de 1932, Campins, alors en poste Ă GĂ©rone, se tint totalement en dehors de cette rĂ©bellion militaire. La mĂȘme annĂ©e, il se vit dĂ©cerner une croix de 3e classe du MĂ©rite militaire, en hommage Ă ses services comme professeur de lâAcadĂ©mie gĂ©nĂ©rale[174]. En , Campins avait rejoint le cadre du Service dâĂ©tat-major de lâarmĂ©e[175].
Si le dĂ©cret dâAzaña de destinĂ© Ă rĂ©organiser le tableau dâavancement militaire fut prĂ©judiciable pour lui, et de façon gĂ©nĂ©rale pour tous les militaires dont la promotion sâĂ©tait faite sur mĂ©rites de guerre, aprĂšs rectification par le nouveau ministre Diego Hidalgo, titulaire du portefeuille de la Guerre Ă la suite de la victoire de la droite en , Campins rĂ©cupĂ©ra sa position sur le tableau dâavancement, câest-Ă -dire put rĂ©cupĂ©rer plusieurs annĂ©es de service sous son grade actuel[176].
ChargĂ© la mĂȘme annĂ©e du commandement du rĂ©giment dâinfanterie no 5 Ă Saragosse, câest Ă ce titre quâil fut convoquĂ© par lâĂ©tat-major central dĂ©but Ă assister aux manĆuvres dans les Montes de LeĂłn et à « se joindre aux cadres pour les services dâarbitrage et de simulation de feu ». Lesdites manĆuvres, auxquelles participĂšrent deux divisions comportant quelque 23 000 hommes et qui devaient se prolonger sur sept jours au total, nâavaient rien de routinier, car Ă cĂŽtĂ© des objectifs habituels de ce type dâexercice sâajoutait un objectif politique : tenter dâintimider ceux qui avaient Ă ce moment-lĂ dĂ©jĂ poussĂ© fort avant les prĂ©paratifs du mouvement rĂ©volutionnaire[177] - [178]. CâĂ©tait aussi, aprĂšs trois ans, la premiĂšre occasion pour Campins de revoir Franco[179].
ĂvĂ©nements dâoctobre 1934
Ă Barcelone, le , LluĂs Companys, prĂ©sident de la GĂ©nĂ©ralitĂ© de Catalogne, proclama lâ« Estat CatalĂĄ », au sein de la RĂ©publique fĂ©dĂ©rale dâEspagne, proclamation qui se rĂ©percuta sous la forme des ComitĂ©s rĂ©volutionnaires qui ne tardĂšrent pas Ă se constituer Ă Sabadell, Vilafranca et Palafrugell, mais le cours pris par les Ă©vĂ©nements donna lieu Ă leur prompte dissolution[180]. Ă GĂ©rone, oĂč fut Ă©galement mis sur pied un comitĂ© rĂ©volutionnaire, les forces du colonel Campins, qui une fois terminĂ©es les manĆuvres dans la province de LĂ©on avait rĂ©intĂ©grĂ© sa garnison le et avait eu immĂ©diatement connaissance de lâordre Ă©mis par le gĂ©nĂ©ral Batet de proclamer lâĂ©tat de guerre dans la rĂ©gion, mirent en Ă©chec dĂšs les premiers moments le processus rĂ©volutionnaire, ce dont doit ĂȘtre crĂ©ditĂ© Campins personnellement, le gĂ©nĂ©ral en chef de la place lui ayant en effet apparemment dĂ©lĂ©guĂ© lâexĂ©cution des opĂ©rations. Les efficaces dispositions prises par Campins et le dĂ©ploiement judicieux de ses forces dans les centres nĂ©vralgiques de la ville de GĂ©rone eurent raison en peu dâheures des foyers de rĂ©sistance, et permirent dans la nuit du 6 au dâobtenir une maĂźtrise totale de GĂ©rone et de mettre sous les verrous les Ă©lĂ©ments subversifs[181].
Fin 1934, Campins fut relevĂ© de son poste Ă GĂ©rone et nommĂ© au commandement du rĂ©giment dâinfanterie no 5 en garnison Ă Saragosse[182]. Quelques jours plus tard, il lui fut confĂ©rĂ© Ă nouveau une croix du MĂ©rite militaire en raison des « Ă©minents services rendus par ledit commandant Ă tout moment », et plus particuliĂšrement de son rĂŽle insigne lors des exercices effectuĂ©s par la brigade de montagne de Navarre en 1931[183].
Lâaffectation de Saragosse en fut une confortable pour le colonel Campins, qui cumulait alors le commandement effectif de son propre rĂ©giment dâinfanterie, rebaptisĂ© cette annĂ©e mĂȘme en « AragĂłn no 5 », et le commandement occasionnel de la 9e brigade dâinfanterie, quâil assuma Ă cinq reprises et pour un total de 72 jours. Cette mĂȘme annĂ©e, il se vit confirmĂ© dans son grade de colonel et rĂ©cupĂ©ra Ă titre effectif, dans lâĂ©chelle de promotion de son arme et sous son grade, lâanciennetĂ© dont il avait joui avant lâentrĂ©e en vigueur des lois Azaña[184] - [note 1].
Victoire du Front populaire
Le enfin, Campins fut promu gĂ©nĂ©ral de brigade[185]. Cependant, le nouveau gouvernement de gauche arrivĂ© au pouvoir Ă la faveur des Ă©lections de , sâil accordait cette promotion, et sâil nâavait du reste aucune peine Ă reconnaĂźtre ses « services et circonstances » ainsi que ses deux avancements pour mĂ©rites en campagne et ses bons rapports de service, se garda de lui confier le commandement dâune brigade, ni aucun autre poste de commandement. Sans doute la figure de Campins ne laissait-elle dâĂ©veiller quelque soupçon chez les autoritĂ©s rĂ©publicaines, mĂ©fiance certes comprĂ©hensible si lâon garde Ă lâesprit que Campins fut le second de Franco dans une AcadĂ©mie gĂ©nĂ©rale militaire qui incarnait nombre dâidĂ©aux et valeurs que la RĂ©publique combattait. Ses antĂ©cĂ©dents africanistes, son appartenance au groupe des promus pour mĂ©rites de guerre (et en tant que tel naguĂšre sujet aux mesures « correctrices » de la lĂ©gislation azañiste), et enfin ses capacitĂ©s professionnelles et sa loyautĂ© au rĂ©gime dont il avait fait la dĂ©monstration Ă GĂ©rone en 1934 (et qui dĂ©plaisait Ă Azaña), constituaient autant de raisons pour considĂ©rer avec mĂ©fiance son ascension[186]. Lorsquâil se trouva Ă Madrid Ă la fin mai et au dĂ©but juin 1936 pour y accomplir les visites protocolaires au prĂ©sident de la rĂ©publique et au ministre de la Guerre telles quâexigĂ©es par son nouveau grade (se montrant par ailleurs optimiste alors quant Ă se voir assigner Ă plus ou moins brĂšve Ă©chĂ©ance une fonction de commandement si ardemment dĂ©sirĂ©e)[187], il rĂ©digea une lettre Ă son Ă©pouse oĂč il fustigeait le manque dâorganisation et de sĂ©rieux de la milice madrilĂšne, commentaire quâil a dĂ» lui en coĂ»ter dâĂ©crire, mais qui sans doute correspondait Ă la rĂ©alitĂ©, car aprĂšs lâarrivĂ©e au pouvoir du Front populaire, Azaña, dâabord en qualitĂ© de chef de gouvernement, puis de prĂ©sident de la rĂ©publique, sâĂ©tait montrĂ© incapable de maĂźtriser la situation intĂ©rieure de lâEspagne et refusait systĂ©matiquement dâavoir recours Ă lâarmĂ©e pour faire barrage aux extrĂ©mistes, attitude qui provoquait le dĂ©couragement dans de larges cercles militaires, y compris les cercles modĂ©rĂ©s, dans lesquels il y a lieu de ranger Campins. Les militaires sâĂ©murent plus particuliĂšrement de la dĂ©tention et du passage en jugement du gĂ©nĂ©ral LĂłpez Ochoa, accusĂ© dâavoir commis des atrocitĂ©s contre les rĂ©volutionnaires asturiens. Bien que LĂłpez Ochoa ait Ă©tĂ© libĂ©rĂ© par manque de preuves, ce procĂšs ne devait manquer de susciter lâinquiĂ©tude de Campins, compte tenu que lui-mĂȘme avait Ă©tĂ© engagĂ©, comme LĂłpez Ochoa, dans la rĂ©pression de 1934, encore que les deux mouvements rĂ©volutionnaires â celui des Asturies et celui de Catalogne â nâavaient guĂšre en commun que la coĂŻncidence chronologique et quelques objectifs et apparaissent pour le reste radicalement diffĂ©rents. MalgrĂ© lâagitation sociale et politique qui secouait lâEspagne et sâĂ©tendait jusque dans les casernes, Campins, Ă lâĂ©gal de son ami Franco, jugeait que tout nâĂ©tait pas perdu encore et escomptait que, une fois promu gĂ©nĂ©ral, il pourrait contribuer Ă normaliser la situation[188].
Deux mois aprĂšs sa promotion, le ministre de la Guerre Casares Quiroga et le prĂ©sident de la rĂ©publique Azaña se fiaient suffisamment Ă lui pour lui octroyer le commandement de la 3e brigade dâinfanterie de Grenade[189].
Affectation Ă Grenade (juillet 1936)
Du journal de Campins il ressort que celui-ci nâentretenait aucun lien avec quelque type que ce soit dâassociation militaire clandestine :
« Quâil soit consignĂ© ici que je nâappartiens pas, ni nâai jamais appartenu, Ă aucune association clandestine du type de celles qui perturbent la vie de lâarmĂ©e, telles que la franc-maçonnerie, le C.M.R. ou lâU.M.E., etc. Câest pourquoi, pendant mes deux mois de disponibilitĂ©, nul nâa pris contact avec moi, ni ne mâa rapportĂ© quâun mouvement militaire se prĂ©parait. Je ne suis engagĂ© vis-Ă -vis de personne, ni en rien[190]. »
Campins Ă©tait, comme tous les militaires, au courant de lâexistence de telles associations, mais son opinion Ă leur sujet apparaĂźt sana appel, vu quâil jugeait quâelles « perturbent la vie de lâarmĂ©e ». Par consĂ©quent, en raison dâune part de son isolement volontaire par rapport aux factions politiques dans lâarmĂ©e espagnole, et dâautre part de son statut dâofficier en disponibilitĂ©, il resta Ă lâĂ©cart de la conspiration militaire, en particulier dans les mois oĂč celle-ci acquit son ampleur dĂ©finitive et oĂč les principaux protagonistes se voyaient assigner leur rĂŽle respectif dans le futur coup dâĂtat[191].
Francisco Franco Salgado-AraĂșjo, dit PacĂłn, cousin et aide de camp du gĂ©nĂ©ral Franco, et chef de son secrĂ©tariat pendant de longues annĂ©es, qui connaissait trĂšs bien Campins, aux cĂŽtĂ©s de qui il sâĂ©tait trouvĂ© en Afrique, Ă Oviedo et Ă Saragosse, raconte dans un de ses livres quâaprĂšs le ralliement du gĂ©nĂ©ral Franco Ă la conspiration militaire, il se mit en devoir de sonder Campins sur ce chapitre, et que celui-ci lui rĂ©pondit quâil Ă©tait loyal Ă la rĂ©publique et opposĂ© Ă ce que des militaires interfĂšrent dans les affaires dâĂtat. PacĂłn rapporte la dĂ©sillusion de Franco devant cette rĂ©ponse de son ami[192] - [193], quoique Franco ait pensĂ© Ă cette mĂȘme Ă©poque dâune maniĂšre semblable Ă Campins, câest-Ă -dire que tout insurrection contre la rĂ©publique Ă©tait prĂ©maturĂ©e et quâil fallait laisser au gouvernement du Front populaire une marge de temps pour prendre pied et rĂ©soudre les problĂšmes ; la diffĂ©rence Ă©tait que Franco pouvait nĂ©anmoins admettre lâĂ©ventualitĂ© dâune intervention militaire, tandis que Campins Ă©tait inflexible quant au devoir quâavait lâarmĂ©e de se maintenir toujours en marge de la politique[194].
Ă ce moment, trois postes de gĂ©nĂ©ral de brigade se trouvaient vacants : Ă Bilbao, LĂ©rida et Grenade. Campins, aprĂšs avoir soupesĂ© avec sa famille les avantages et inconvĂ©nients de ces trois chefs-lieux, se dĂ©cida pour Grenade, cette ville se prĂȘtant le mieux aux Ă©tudes de ses enfants, vu quây Ă©tait situĂ©e une universitĂ©[195].
Le , pour prendre congĂ© et solliciter le passeport militaire, Campins se prĂ©senta chez son supĂ©rieur le gĂ©nĂ©ral Cabanellas, qui Ă©tait (tout comme Montaner) informĂ© de la conspiration en cours et savait que la date choisie pour le soulĂšvement Ă©tait fixĂ©e Ă quelques jours de lĂ . MĂȘme en supposant que Cabanellas pensait que Campins nâavait nulle intention de se joindre Ă la rĂ©bellion, il aurait dĂ» nĂ©anmoins le prĂ©venir de lâimminence du coup dâĂtat et surtout le renseigner sur lâĂ©tat dâesprit quâil allait bientĂŽt trouver chez les officiers de Grenade, pour la plupart disposĂ©s Ă se soulever en armes contre la rĂ©publique[196].
Au dĂ©but, la tĂȘte visible de la conspiration militaire Ă Grenade Ă©tait le gĂ©nĂ©ral Manuel Llanos Medina, mais, le gouvernement connaissant ses activitĂ©s conspiratrices, il fut destituĂ© le et mutĂ©[197]. Les conspirateurs de Grenade, oĂč Campins arriva le , devaient (erronĂ©ment) jauger celui-ci comme appartenant aux militaires rĂ©publicains ou du moins aux militaires jouissant de la confiance du gouvernement rĂ©publicain, et sa prĂ©sence devait donc ĂȘtre vue dâun mauvais Ćil par les partisans de Llanos[198]. Campins cependant connaissait Llanos, le tenait en haute estime et supposait que ce sentiment Ă©tait rĂ©ciproque[199]. Il est possible quâĂ cette date Campins ait Ă©tĂ© convaincu que la rapiditĂ© avec laquelle il avait Ă©tĂ© nommĂ© et incorporĂ© Ă Grenade tenait son origine dans lâannonce de grĂšves prochaines dans la province[200]. Pour sa part, le gĂ©nĂ©ral destituĂ© ne devait pas savoir nĂ©cessairement que le gouvernement Ă©tait au courant de son entrevue avec Queipo de Llano, dĂ©tectĂ©e par la police en dĂ©pit des prĂ©cautions, et pouvait ĂȘtre persuadĂ© que ce fut lâincident avec le capitaine JoaquĂn PĂĄrez y MartĂnez de Victoria, interpellĂ© par les Gardes dâassaut alors quâil se trouvait rĂ©uni avec des militants de la Phalange, qui entraĂźna son limogeage[201].
Les six jours prĂ©cĂ©dant le soulĂšvement, oĂč en accord avec ses attributions il effectua ses visites dâinspection, furent les plus tranquilles que vĂ©cut Campins Ă Grenade[202]. Ă la nouvelle de lâassassinat Ă Madrid de Calvo Sotelo, Campins se fit remettre par le mĂ©decin du rĂ©giment dâartillerie un rapport sur lâĂ©motion et lâeffet produits parmi les officiers de la Garde dâassaut par les circonstances qui avaient entourĂ© la mort du politicien de droite[203].
PrĂ©paratifs et dĂ©roulement du coup dâĂtat Ă Grenade
Le vendredi , ayant terminĂ© ses inspections, Campins se disposait Ă rĂ©diger un rapport Ă lâattention de son supĂ©rieur de SĂ©ville, lorsque, vers les 20 heures du soir, le capitaine-mĂ©decin du rĂ©giment dâartillerie, qui Ă©tait radioamateur et possĂ©dait un Ă©metteur-rĂ©cepteur, se prĂ©senta au bureau de commandement pour informer Campins quâun radioamateur de Melilla, avec qui il Ă©tait en liaison, lui avait communiquĂ© que des unitĂ©s militaires de la place de Melilla sâĂ©taient soulevĂ©es contre leur commandant en chef, le gĂ©nĂ©ral Romerales[204]. En revanche, la documentation autographe de Campins ne comporte aucune mention sur la (possible) rĂ©ception du fameux tĂ©lĂ©gramme de Franco, qui aurait normalement dĂ» arriver en sa possession dans la matinĂ©e du 18 ; peut-ĂȘtre faut-il admettre que Campins, nonobstant que Grenade ait clairement figurĂ© dans la liste des destinataires, nâait pas reçu ledit tĂ©lĂ©gramme, ce qui dans une certaine mesure pourrait expliquer certaines de ses actions ultĂ©rieures[205]. Survint ensuite un appel tĂ©lĂ©phonique du gouverneur civil Torres MartĂnez, qui le requit de venir le voir sur-le-champ. Campins rejeta en face de Torres MartĂnez le soulĂšvement militaire qui venait de commencer, en accord avec son opposition Ă toute action visant Ă renverser la lĂ©galitĂ© Ă©tablie[206].
Le Ă 7 heures du matin, le radioamateur vint Ă nouveau trouver Campins pour lâinformer que la rĂ©bellion militaire sâĂ©tait rĂ©pandue Ă dâautres chefs-lieux du Protectorat, nommĂ©ment Ceuta, TĂ©touan et Larache, oĂč les combats se poursuivaient dans la matinĂ©e pour rĂ©duire les noyaux de rĂ©sistance lĂ©galistes[207]. Ă 10 heures du matin, Campins se dirigea vers la caserne dâartillerie, puis Ă la caserne dâinfanterie, oĂč il donna connaissance, par une allocution aux chefs et officiers, des paroles du ministre â Ă savoir : que dans les casernes la situation Ă©tait maĂźtrisĂ©e â, alors que Campins lui-mĂȘme savait que le gouvernement nâavait pas la situation en mains. Dans chacune des deux casernes, Campins en appela au patriotisme et Ă la loyautĂ© des officiers et commandants, les conjurant de rester unis et Ă resserrer les mesures de sĂ©curitĂ©[208].
Le mĂȘme jour, Campins reçut un coup de tĂ©lĂ©phone de Queipo de Llano, qui tĂąchait de consolider sa position prĂ©caire Ă SĂ©ville en obtenant le ralliement des garnisons les plus proches. Pendant la conversation, Campins doutait de lâidentitĂ© rĂ©elle de son interlocuteur, quoique la façon dâengager le dialogue et le ton employĂ©, impĂ©ratif et prĂ©potent, Ă©taient caractĂ©ristiques de Queipo ; sans mĂȘme sâidentifier, lâinterlocuteur « ordonnait » que lâĂ©tat de guerre soit proclamĂ© avant une heure. Campins agit avec sĂ©rĂ©nitĂ© et appela le ministre Casares, qui lui dit de ne dĂ©crĂ©ter lâĂ©tat de guerre en aucun cas, et qui sâabstint de mettre Campins au courant de ce qui se passait Ă SĂ©ville ; Casares, en occultant une fois de plus des informations essentielles Ă Campins, ĂŽtait Ă celui-ci toute possibilitĂ© de prendre des rĂ©solutions et le mettait Ă la remorque des Ă©vĂ©nements et Ă la merci de lâarrivĂ©e de nouvelles fraĂźches, qui ne lui parvenaient que quand elles Ă©taient dĂ©jĂ de notoriĂ©tĂ© gĂ©nĂ©rale[209]. Dans lâaprĂšs-midi du , Campins restait convaincu que la garnison ne se rebellerait pas sans motif et que les forces armĂ©es sâen tiendraient Ă la dĂ©cision de leur commandant, qui pour sa part nâenvisageait pas de se soulever en armes sans quâil y eĂ»t des raisons impĂ©rieuses pour le faire. Cette conviction de Campins lui permit de rĂ©sister une deuxiĂšme fois aux injonctions de Queipo de Llano ; en effet, Campins nota dans son carnet[210] :
« Vers 6 heures de lâaprĂšs-midi, nouveau coup de fil ; Ă prĂ©sent, il me tutoie et me donne quelques Ă©lĂ©ments de plus : que câĂ©tait un mouvement militaire que dirigeait Franco (et ne je ne sais plus qui dâautre encore) [âŠ], et que beaucoup de troupes venaient dâAfrique, etc. Je me suis excusĂ© en disant que je nâavais pas suffisamment dâeffectifs ; des dĂ©tachements Ă JaĂ©n, Ă BailĂ©n, des forces de rĂ©serve, etc., que je ne connaissais pas lâopinion des corps et de leurs officiers, sous-officiers et hommes de troupe ; quâici il nây avait pas de motif [Ă la proclamation de lâĂ©tat de guerre], vu que la tranquillitĂ© Ă©tait absolue et que je ne voyais pas la raison dâune telle mesure, enfin, que je ne voulais pas. »
Ensuite, il appela le gouverneur et lui demanda de donner des instructions pour que les communications de SĂ©ville cessent de lui ĂȘtre transmises[210]. Ă Grenade, Ă la diffĂ©rence de ce qui se passait dans dâautres villes, les dirigeants syndicaux et politiques ne rĂ©clamaient pas des armes pour le peuple, Campins ayant en effet persuadĂ© tout le monde quâon pouvait se fier Ă lui et Ă la garnison et quâil nây avait aucune raison dâarmer le peuple[211] - [212], et vu que de lâautre cĂŽtĂ©, le gouverneur avait pleine confiance dans les forces de lâordre, la Garde civile et la Garde d'assaut[213]. Dans la nuit du 18 au , Queipo de Llano lança sur Radio Sevilla sa « guerre des ondes », dont on pouvait capter les Ă©missions avec une excellente qualitĂ© sonore Ă Grenade et oĂč Queipo sâappliquait Ă brosser de la situation militaire un tableau extraordinairement favorable pour les insurgĂ©s. La causerie (« charla ») de Queipo de Llano encouragea les conspirateurs de Grenade, qui dans la nuit du 18 au 19 se mirent Ă dĂ©ployer une intense activitĂ©, achevant les prĂ©paratifs du soulĂšvement[214]. Le noyau le plus actif de la conspiration Ă Grenade se logeait au centre mĂȘme du pouvoir militaire, situation privilĂ©giĂ©e qui permettra aux conjurĂ©s, le moment venu, de se passer de Campins, et aux autres membres de la conjuration de porter le coup dĂ©finitif pour soulever Grenade. La matinĂ©e du dimanche fut tranquille, ce que le journal El Ideal confirma Ă travers un entretien matutinal avec le gouverneur civil, oĂč celui-ci indiquait que lâordre rĂ©gnait dans la ville et que toutes les mesures avaient Ă©tĂ© prises en ce sens. Campins lui-mĂȘme, en visitant les casernes tĂŽt le matin, ne remarqua rien dâanormal[215] - [216].
Lors dâune conversation tĂ©lĂ©phonique, le nouveau ministre de la Guerre Luis CastellĂł enjoignit Ă Campins de mettre sur pied une colonne militaire contre Cordoue. Campins, qui jugeait inepte cet ordre et y voyait le produit du dĂ©sarroi rĂ©gnant alors Ă Madrid, appela les colonels de ses rĂ©giments, leur fit part des ordres du ministre et sâenquit de leur opinion. Tous deux lui avouĂšrent alors que sâils devaient former une colonne pour attaquer les insurgĂ©s de Cordoue, ils se rallieraient Ă eux[217].
Dans la matinĂ©e du , Campins prit finalement la rĂ©solution de dĂ©crĂ©ter lâĂ©tat de guerre, compte tenu de lâattitude majoritaire des forces sous ses ordres, de qui câĂ©tait le dĂ©sir et qui Ă©taient mĂȘme prĂȘts Ă appliquer cette mesure sans lâautorisation de leur gĂ©nĂ©ral. Campins Ă©tait Ă prĂ©sent au fait du sentiment de ses subordonnĂ©s, car tous avaient remisĂ© leur dissimulation des jours prĂ©cĂ©dents et se montraient dorĂ©navant au grand jour comme des conspirateurs bien dĂ©cidĂ©s Ă se rebeller et Ă sâunir aux insurgĂ©s de Cordoue. Campins se livrait ainsi Ă une double manĆuvre dilatoire, vis-Ă -vis du ministĂšre Ă Madrid, avec lequel il nâavait pas encore rompu, et vis-Ă -vis des insurgĂ©s, en particulier vis-Ă -vis de Queipo de Llano, auxquels il se ralliera dĂ©finitivement le lendemain[218].
Dans la nuit du 19 au , Campins dĂ©sobĂ©it pour la deuxiĂšme fois en quelques heures Ă un ordre du gouvernement, en lâespĂšce en refusant que les armes dĂ©posĂ©es dans la caserne dâartillerie soient remises aux mains des milices du Front populaire et en nâacceptant de ne procĂ©der Ă une distribution dâarmes que par le truchement de la Garde civile[219]. Quant Ă la Garde dâassaut, qui aurait posĂ© un problĂšme difficile pour les insurgĂ©s si celle-ci se fĂ»t maintenue dans la lĂ©galitĂ© compte tenu des faibles effectifs de la garnison grenadine et de la bonne instruction et de lâarmement des gardes dâassaut, ni Campins ni le gouverneur civil ne savaient que le capitaine de la Garde dâassaut avait promis sa participation aux militaires conspirateurs, grĂące Ă quoi la victoire de lâinsurrection Ă©tait quasiment garantie[211] - [220]. La Garde civile sâĂ©tant elle aussi engagĂ©e Ă collaborer avec les rebelles, les conspirateurs purent dĂ©cider que les troupes sortiraient Ă la rue dans lâaprĂšs-midi, sans en informer Campins. Lâordre de distribution dâarmes aux milices syndicalistes et de gauche, qui Ă©quivalait Ă une provocation Ă lâadresse des militaires que Campins ne pouvait laisser passer, constitua pour Campins un motif suffisant pour rompre dĂ©finitivement avec la lĂ©galitĂ© : « Je pense quâil nây a pas dâautre solution que de dĂ©clarer lâĂ©tat de guerre », note-t-il dans son carnet. Cette dĂ©cision impliquait du mĂȘme coup la rupture avec le gouverneur civil[221].
Campins ordonna Ă la compagnie qui Ă©tait en ordre de marche Ă se mettre en mouvement et Ă sortir de la caserne dĂšs rĂ©ception du dĂ©cret quâil se disposer Ă signer. De retour dans le centre de commandement militaire, Campins signa en triple exemplaire le texte de la proclamation de lâĂ©tat de guerre, texte rĂ©digĂ© par lui personnellement et promulguĂ© officiellement le Ă 17 h 30[222]. AussitĂŽt aprĂšs lecture publique du dĂ©cret, le reste des unitĂ©s disponibles entreprirent dâoccuper militairement la ville, en exĂ©cutant le plan Ă©tabli par le commandant militaire et son Ă©tat-major. Campins ressentit un grand soulagement Ă voir que sa proclamation Ă©tait un succĂšs, dâautant quâil considĂ©rait que, ainsi quâil le notera peu aprĂšs dans ses notes de dĂ©fense, « si cela sâĂ©tait fait plus tĂŽt, ou si cela ne sâĂ©tait pas fait ainsi, beaucoup des officiers qui aujourdâhui me reprochent mon retard, auraient pĂ©ri ou auraient pris la fuite comme ceux de Malaga » [223].
LâĂ©tat de guerre proclamĂ©, Campins fit quelques dĂ©clarations au journal El Ideal, qui furent publiĂ©es dans lâĂ©dition du et oĂč Campins justifiait son action en arguant :
« Jâai voulu Ă tout moment rester dans la lĂ©galitĂ© ; mais, devant lâabandon manifeste oĂč nous laissait le pouvoir central, devant le manque dâattention de la part du gouverneur civil, avec qui jâai Ă tout moment souhaitĂ© garder le contact, il y avait lieu que jâordonne que soit dĂ©clarĂ© lâĂ©tat de guerre dans la province de Grenade[224]. »
Campins faisait aussi rĂ©fĂ©rence aux tentatives de groupes extrĂ©mistes dâinciter les soldats Ă se rebeller contre leurs supĂ©rieurs, et ce sans que le gouverneur civil, Ă qui ces agissements avaient pourtant Ă©tĂ© signalĂ©s par Campins, nâait rien entrepris pour y mettre fin[225].
Cependant, le contrĂŽle total de la ville ne put ĂȘtre rĂ©alisĂ© que deux jours plus tard, aprĂšs que les forces insurgĂ©es eurent occupĂ© militairement le quartier AlbaicĂn, qui dans la nuit du avait dĂ©cidĂ© de rĂ©sister en dressant des barricades et en Ă©laborant de rudimentaires plans de dĂ©fense pour les habitants du quartier et les sympathisants de gauche[226].
LâaĂ©rodrome dâArmilla prĂšs de Grenade fut pris par les forces de la garnison grenadine, mais les insurgĂ©s nây trouvĂšrent que des installations vides et le peu de matĂ©riel restant avait Ă©tĂ© rendu inutilisable. En effet, le capitaine Muñoz del Corral, commandant de la base, aprĂšs avoir entendu Ă la radio la proclamation de lâĂ©tat de guerre Ă Grenade, avait donnĂ© ordre Ă ses hommes de quitter Armilla et de se rendre Ă la base de Los AlcĂĄzares, prĂšs de Murcie, en passant par Motril et AlmerĂa, mais pas avant dâavoir sabotĂ© le matĂ©riel non transportable. Cet Ă©tat de fait suscita une indignation contre Campins, qui nâavait fait relever les chefs dâaviation que quelques heures seulement avant la proclamation de lâĂ©tat de guerre. Dâautre part, Ă la suite des Ă©vĂ©nements dans lâaĂ©rodrome, Campins reçut un coup de tĂ©lĂ©phone du capitaine de la Garde civile de Motril lui demandant des instructions sur lâattitude Ă adopter face Ă la prĂ©sence dans la ville de Motril de la colonne dâaviation. Campins ordonna de ne pas intervenir et de laisser ladite colonne poursuivre sa route, au motif que 10 ou 12 gardes civils ne pouvaient rien faire ou trĂšs peu face Ă des effectifs trĂšs supĂ©rieurs en nombre et dotĂ©s de mitrailleuses, capables d'en finir facilement avec la petite force de gardes civils, et que sĂ©curiser Motril apparaissait beaucoup plus important. Cette dĂ©cision fut regardĂ©e par les militaires opposĂ©s Ă celle-ci, et aussi par le commandant ValdĂ©s, rĂ©cemment nommĂ© gouverneur civil par Campins, comme une nouvelle dĂ©monstration du comportement Ă leurs yeux ambigu de Campins. De façon gĂ©nĂ©rale, le colonel Muñoz et ValdĂ©s Ă©taient en dĂ©saccord avec les dĂ©cisions de Campins et avec sa prĂ©tention Ă rĂ©gir lâensemble des interventions, tant militaires que politiques[227]. La fuite de la garnison dâArmilla, les ordres dictĂ©s Ă Motril, lâattitude intransigeante de Campins qui revendiquait lâautoritĂ© maximale, ses hĂ©sitations Ă lâheure du soulĂšvement, avaient engendrĂ© chez ValdĂ©s et Muñoz une hostilitĂ© ouverte envers Campins, laquelle se concrĂ©tisera peu aprĂšs dans la dĂ©nonciation quâils feront parvenir Ă Queipo de Llano[228]. Entre-temps, Ă Grenade, la normalitĂ© Ă©tait gĂ©nĂ©rale, et la nuit sâĂ©coula tranquille ; seul sâentendait un coup de feu de temps Ă autre[229].
Rupture avec Queipo de Llano
Trois avions de chasse de type Nieuport 52 en provenance de Getafe, dont les pilotes nâĂ©taient pas au courant de la rĂ©bellion de la garnison grenadine, venaient dâatterrir sur lâaĂ©rodrome dâArmilla dans la matinĂ©e du [230]. Campins ordonna que ces avions soient rendus prĂȘts Ă opĂ©rer et leur assigna les officiers quâil considĂ©rait les plus compĂ©tents. Ensuite, Campins appela SĂ©ville pour communiquer Ă Queipo de Llano les derniĂšres nouvelles sur le soulĂšvement dans la province de Grenade. Le dialogue entre les deux gĂ©nĂ©raux fut tendu et dĂ©sagrĂ©able, aprĂšs que Campins eut refusĂ© de remettre Ă Queipo de Llano les trois avions capturĂ©s Ă Armilla, au motif quâil en avait besoin pour appuyer les opĂ©rations de consolidation du soulĂšvement dans toute la province. Queipo de Llano interdit Ă Campins de sâimmiscer dans les questions non strictement militaires[231]. La cause de cette animositĂ© Ă©tait la disparitĂ© de point de vue entre les deux hommes sur dâinnombrables sujets les concernant, en plus de la rĂ©pulsion que la trajectoire politico-militaire de Queipo de Llano provoquait chez Campins et le mĂ©pris que Queipo de Llano affichait Ă lâĂ©gard de professionnels qui, tels que Campins, possĂ©daient un grand prestige au sein de lâarmĂ©e espagnole[232].
Ă la faveur de cette brouille, le gouverneur civil dĂ©cida, en collaboration avec le colonel Muñoz et avec les officiers dâaviation et dâartillerie les plus critiques Ă lâendroit de Campins, de mettre en marche un plan visant Ă Ă©carter ce dernier du poste de commandant militaire[233]. Les lieutenants BermĂșdez de Castro et Peñafiel firent le voyage de Tablada, base aĂ©rienne prĂšs de SĂ©ville, et demandĂšrent Ă pouvoir sâentretenir immĂ©diatement avec Queipo de Llano, qui accepta de les recevoir. BermĂșdez de Castro, qui connaissait Queipo de Llano et sa famille, se chargea alors dâaccuser Campins, sur les imputations suivantes :
- réticence à entrer en rébellion ;
- obĂ©issance au gouvernement de Madrid jusquâĂ lâaprĂšs-midi du ;
- tentative dâorganiser une colonne militaire contre les insurgĂ©s de Cordoue ;
- tentative de fournir des armes au peuple ;
- perte de matĂ©riel aĂ©ronautique et de lâaĂ©rodrome dâArmilla par la mise en Ćuvre des destitutions ordonnĂ©es par le haut commandement de lâaviation contre plusieurs officiers-pilotes engagĂ©s dans le soulĂšvement ;
- ordre donnĂ© Ă la Garde civile de Motril de ne pas attaquer la colonne de fugitifs dâArmilla.
Sans mĂȘme entendre lâaccusĂ©, Queipo de Llano promit de limoger Campins et ordonna son arrestation[234]. Dans sa causerie radiophonique de 15 heures, il attaqua vertement Campins, fustigeant son « indigne conduite » et annonçant sa mise en dĂ©tention[235]. Un mandat dâarrĂȘt fut Ă©mis, qui le somma de transfĂ©rer sur-le-champ le commandement et dâattendre quâun dossier ait Ă©tĂ© constituĂ© pour dĂ©terminer ses responsabilitĂ©s[236]. Campins manda alors le colonel Basilio LeĂłn Maestre, officier le plus ancien, et lui remit le commandement[237].
Un dĂ©cret de proclamation de lâĂ©tat de guerre fut ensuite publiĂ© qui Ă©tait destinĂ© Ă remplacer celui de Campins, et dans lequel on remarque un net durcissement des termes employĂ©s, notamment quand, lĂ oĂč Campins avertissait sur lâapplication des peines maximales prĂ©vues par la loi en cas dâinfraction aux ordres, le colonel LeĂłn Maestre menaçait Ă prĂ©sent dâappliquer le code de justice militaire et insinuait que la mise en marche dâune procĂ©dure accĂ©lĂ©rĂ©e (sumarĂsima) â laquelle nâavait pas mĂȘme Ă©tĂ© Ă©voquĂ©e par Campins dans son dĂ©cret â Ă©quivaudrait Ă lâexĂ©cution de lâincriminĂ©. Lâesprit de ce nouveau dĂ©cret Ă©tait en consonance avec les souhaits de Queipo de Llano, comme lâattestent les incessantes mentions de « passer par les armes » ceux qui nâobĂ©iraient pas aux ordres ou qui, comme cela se produira effectivement dans les jours suivants, Ă©taient simplement soupçonnĂ©s dâadhĂ©rer aux idĂ©es incarnĂ©es par la rĂ©publique[238].
Le , avis officiel fut donnĂ© Ă Campins quâil se trouvait en dĂ©tention[239].
Mise en accusation, procĂšs et sentence de mort
En raison de la disparition du dossier dâinstruction judiciaire contre Campins, il est impossible de retracer de façon fiable ce qui sâest rĂ©ellement passĂ©. Toujours est-il que la feuille de service de Campins porte la mention suivante : « Le , il proclama lâĂ©tat de guerre dans la place [de Grenade] et le fit lâobjet dâune enquĂȘte judiciaire et fut condamnĂ© Ă la peine de mort, laquelle fut mise Ă exĂ©cution le »[240]. Sur la foi de ces informations, il faut admettre que lâinstruction en vue du procĂšs de Campins avait Ă©tĂ© menĂ©e dĂšs le lendemain de sa destitution, et ce alors mĂȘme quâil lâignorait[241].
Pour Ă©valuer la situation dans la ville de Grenade, le gĂ©nĂ©ral Franco ordonna Ă Orgaz dâeffectuer une visite dâinspection, aux fins de quoi celui-ci sâenvola le de TĂ©touan pour la base dâArmilla. Campins, mis au courant de la venue dâOrgaz par le journal local, attendit en vain le la visite de celui qui Ă©tait supposĂ© ĂȘtre son ami, et qui ne fera pas davantage son apparition le lendemain . Campins dĂ©cida alors de lui Ă©crire une lettre, compte tenu quâOrgaz avait projetĂ© de se rencontrer avec Franco, Queipo et Varela le lendemain Ă SĂ©ville, afin de sâentretenir sur des sujets dâimportance. Campins relatait dans sa lettre Ă Orgaz les vicissitudes auxquelles il avait Ă©tĂ© exposĂ© dĂšs son arrivĂ©e Ă Grenade, son ignorance de la conspiration en cours, son premier refus Ă Queipo de Llano au moment oĂč il ne disposait dâaucune information fiable sur le soulĂšvement, sa rupture avec le gouvernement de Madrid, ses dĂ©cisions relatives Ă la remise des armes et enfin, la proclamation de lâĂ©tat de guerre et sa destitution radiophonique par Queipo de Llano[242]. Cette lettre ne parvint jamais Ă Orgaz[243]. Le eut lieu Ă SĂ©ville ladite rencontre entre Franco, Orgaz et Varela. Au moment dâaborder la situation Ă Grenade et dâĂ©voquer la nomination dâun nouveau commandant militaire, il Ă©tait inĂ©luctable quâil soit question aussi de Campins, cependant rien ne transpira de cette conversation[244].
Le , Campins fut conduit en avion Ă SĂ©ville, oĂč il fut emmenĂ© au centre de commandement militaire. Le 9, en compagnie des autres dĂ©tenus, il fut transfĂ©rĂ© Ă la Plaza de España, dans lâĂ©difice construit Ă lâoccasion de lâExposition ibĂ©roamĂ©ricaine, oĂč Campins fut installĂ© dans une chambre individuelle et parfaitement bien traitĂ©[245].
Les dĂ©marches que Franco entreprit plus tard pour sauver la vie de Campins permettent de supposer quâil Ă©tait au courant des dĂ©boires de Campins dĂšs les premiers jours dâaoĂ»t. Si publiquement Queipo de Llano semblait partager lâenthousiasme soulevĂ© dans le peuple et dans lâarmĂ©e par le personnage de Franco, il lui dĂ©plaisait en rĂ©alitĂ© dâĂȘtre sous ses ordres et de faire figure de subordonnĂ©. Il est dĂšs lors vraisemblable que pour cette raison il ait fait de « lâaffaire Campins » une question dâamour-propre et ait rĂ©clamĂ© pour lui seul la totale responsabilitĂ© de la rĂ©soudre, sans admettre dâingĂ©rence dâaucune sorte. Franco pour sa part comptait sans doute apporter une solution sitĂŽt quâil aurait rĂ©glĂ© dĂ©finitivement le difficile problĂšme du franchissement du dĂ©troit de Gibraltar par le gros de ses troupes. Entre-temps, Franco se trouvait dĂ©jĂ Ă SĂ©ville, ses troupes combattaient dans la PĂ©ninsule et sâĂ©taient attelĂ©es Ă sĂ©curiser la portion de territoire et les villes prĂ©cairement dominĂ©es par Queipo de Llano et ses maigres forces mal prĂ©parĂ©es. Pourtant, Franco ne parvenait pas Ă sâimposer face au « vice-roi dâAndalousie », de qui il Ă©tait sĂ©parĂ© par la diffĂ©rence dâĂąge et par quelques annĂ©es dâanciennetĂ© en moins sous le grade de gĂ©nĂ©ral de division. Franco ne put par consĂ©quent rien faire pendant les premiers jours de son sĂ©jour Ă SĂ©ville[246].
Le , le colonel Arcusa en qualitĂ© de juge, accompagnĂ© d'un capitaine en qualitĂ© de secrĂ©taire, notifia Ă Campins lâacte de mise en accusation et de condamnation Ă la prison pour rĂ©bellion militaire. Il protesta et sollicita la rĂ©vocation de lâacte, mais en vain. Campins dĂ©cida alors dâĂ©crire deux lettres importantes, lâune Ă son beau-frĂšre et lâautre Ă Franco[247]. Dans la lettre adressĂ©e Ă Franco, trĂšs semblable Ă celle naguĂšre adressĂ©e Ă Orgaz, Campins sâefforçait dâexposer sa propre version des faits survenus Ă Grenade et faisait part de sa conviction quâil nây avait plus Ă ce moment-lĂ dâautre façon dâagir que la sienne. Dâautre part, Campins signalait aussi des irrĂ©gularitĂ©s dans le procĂšs menĂ© contre lui et mettait en lumiĂšre son impuissance Ă contrarier lâaction de ses accusateurs, sollicitant en consĂ©quence lâaide de Franco[248].
Franco sâoccupa effectivement de lâaffaire Campins jusquâau dernier moment et tenta de lui sauver la vie. Ainsi que le relate le cousin et secrĂ©taire du futur Caudillo, Francisco Franco Salgado-AraĂșjo :
« Queipo refusa toujours dâaccĂ©der Ă cette requĂȘte, disant que Campins payerait sa trahison. Franco ne faiblissait pas dans ses dĂ©marches, qui furent secondĂ©es par moi. Redoutant dâavoir une rencontre dĂ©sagrĂ©able avec son collaborateur ou de voir se rompre lâunion qui Ă tout moment, et plus particuliĂšrement Ă cette occasion-lĂ , Ă©tait tellement nĂ©cessaire Ă la victoire du Mouvement national, Franco me donnait, pour que je les remette aux mains de Queipo, les siennes lettres, sollicitant de celui-ci lâamnistie pour son ancien ami et compagnon. Ledit gĂ©nĂ©ral, chef de la juridiction de Justice militaire de SĂ©ville, me recevait toujours courtoisement et aimablement. Il ouvrait les lettres qui lui Ă©taient remises de la part du gĂ©nĂ©ral Franco et les dĂ©chirait[249] - [250]. »
Ă lâintention de son Ă©pouse, il rĂ©suma dans une lettre les Ă©vĂ©nements de Grenade de la maniĂšre suivante :
« Tout mon crime consiste en ceci que, tout au long de mon bref commandement Ă Grenade, je me suis imposĂ© le devoir et que je lâai accompli, que ce qui a Ă©tĂ© fait a tendu Ă ce quâil nây ait pas de heurts entre les corps armĂ©s et la population civile, ni quâau sein de ceux-lĂ les officiers soient assassinĂ©s dans le dos, comme cela sâest produit Ă Malaga, Barcelone ou Madrid. Pendant que moi je commandais, il nây a pas eu de sang versĂ© Ă Grenade. Savoir cela me suffit[251]. »
Le , aux environs de 10 heures du matin, le juge, le secrĂ©taire et le capitaine-dĂ©fenseur lui donnĂšrent lecture des charges, ainsi que le prescrit le code de justice militaire. Lâincrimination Ă©tait celle de rĂ©bellion militaire, avec le considĂ©rant de dĂ©sobĂ©issance ; il Ă©tait fait Ă©tat Ă©galement de ce que le texte de la proclamation de lâĂ©tat de guerre Ă©tait « faible ». DĂšs lors, la peine requise Ă©tait la peine de mort[252].
Le , en accord avec lâagenda prĂ©vu, un conseil de guerre, prĂ©sidĂ© par le gĂ©nĂ©ral LĂłpez Pinto, commença son audience dans l'affaire Campins. Le juge dâinstruction donna lecture des charges, que par suite de la disparition du dossier on ne connaĂźt pas dans toute leur extension. Le rapport du dĂ©fenseur permet dâĂ©tablir que les accusations contre Campins sâĂ©nonçaient comme suit :
- rébellion militaire et opposition au soulÚvement ;
- destitution des officiers dâaviation engagĂ©s dans le soulĂšvement et nomination en leur lieu et place dâofficiers acquis au gouvernement central, Ă lâorigine de la fuite de la garnison de la base dâArmilla et de la destruction de divers matĂ©riels, au moment de la proclamation de lâĂ©tat de guerre ;
- tentative dâorganisation dâune colonne militaire, suivant les instructions du gouvernement, afin de marcher contre les insurgĂ©s de Cordoue ;
- tentative de remise des armes disponibles dans la caserne dâartillerie Ă la Garde civile, afin que celle-ci, en exĂ©cution des ordres du gouverneur civil, les remette Ă son tour aux milices de gauche ;
- ordre donnĂ© au capitaine de la Garde civile de Motril de laisser en libertĂ© la colonne dâaviateurs fugitifs dâArmilla et de la laisser poursuivre son chemin.
Le procureur requit la peine maximale pour rĂ©bellion contre le ComitĂ© militaire, fondant cette rĂ©quisition non sur le code de justice militaire, mais sur la « loi de nĂ©cessitĂ© ». Les dĂ©positions des « tĂ©moins » de Grenade, dont il fut donnĂ© lecture pendant lâaudience, diffĂ©raient notablement des dĂ©clarations de Campins, mais Ă©taient en rĂ©sonance avec les charges qui lui Ă©taient imputĂ©es[253].
Ne voulant sous aucun prĂ©texte dĂ©roger aux formalitĂ©s de rigueur, Queipo de Llano ordonna, une fois connu le verdict du conseil de guerre, dâexpĂ©dier un radiogramme chiffrĂ© au prĂ©sident de la Junte de dĂ©fense nationale siĂ©geant Ă Burgos, dont il obtint lâapprobation. Il restait Ă Queipo de Llano dâattendre que soient terminĂ©es les festivitĂ©s du Ă SĂ©ville avant de faire exĂ©cuter Campins[254]. Le donc se prĂ©sentĂšrent dans la prison le juge, le secrĂ©taire et le dĂ©fenseur, qui lui lurent la sentence, et sitĂŽt aprĂšs Campins se rendit Ă la chapelle sise dans le bureau du directeur de prison, oĂč il se confessa et communia. La sentence fut exĂ©cutĂ©e Ă SĂ©ville, Ă 6 h 30 du matin, sur une place prĂšs de la basilique de la Macarena, au pied des anciennes murailles d'enceinte, oĂč sâĂ©tait massĂ©e une foule importante[255].
Plus tard, Franco se « vengera mesquinement » â selon les termes de Bennassar â de cette mise Ă mort de son plus prĂ©cieux collaborateur de Saragosse en refusant Ă Queipo de Llano la grĂące du gĂ©nĂ©ral Batet[256].
Distinctions
- Croix de 1re classe du MĂ©rite militaire (1906) ;
- Croix de 2e classe du MĂ©rite militaire, avec insigne rouge (1924) ;
- Croix de 3e classe du MĂ©rite militaire (1932, 1934) ;
- Croix de Marie-Christine (1911, 1912, 1927) ;
- Médaille militaire collective décerné au régiment de la Couronne no 71 (1922) ;
- Officier de la Légion d'honneur française (1927).
Dans la culture populaire
Dans le sĂ©rie tĂ©lĂ©visĂ©e Lorca, muerte de un poeta (1988), Campins est interprĂ©tĂ© par lâacteur Alexander Allerson.
Notes et références
Notes
- Manuel Touron Yebra note Ă ce propos (cf. M. Touron Yebra (1992), p. 369-370) :
« Gil-Robles, Ă©paulĂ© par le chef de lâĂ©tat-major central, le gĂ©nĂ©ral Franco, mena une purge dans les postes de commandement, remplaçant les libĂ©raux notoires et sympathisants de la gauche par des militaires âafricanistesâ ou rĂ©solument nationalistes. Le colonel Campins fut tenu en dehors de ces remplacements ; il Ă©tait Ă©vident que celui-ci, aprĂšs avoir rĂ©cupĂ©rĂ© son anciennetĂ©, passerait â ce dont Ă©taient parfaitement conscients Franco et le ministre â, Ă occuper lâune des premiĂšres places dans le tableau dâavancement des colonels et serait par consĂ©quent en 1935 un candidat parfait Ă la promotion [au grade de gĂ©nĂ©ral]. ConsidĂ©rer que Franco aurait Ă©tĂ© pour quelque chose dans lâajournement [de lâavancement] de Campins sous le âbiennat noirâ serait attribuer au futur GĂ©nĂ©ralissime de hauts dons dâintuition, que par ailleurs il a dĂ©montrĂ© dĂ©tenir Ă des moments cruciaux de son existence. Campins, promu gĂ©nĂ©ral en 1934 ou 1935, avec ses brillants Ă©tats de services et un parcours impeccable que toute lâarmĂ©e connaissait, eĂ»t peut-ĂȘtre supposĂ© pour Franco lâapparition, dans le groupe choisi du gĂ©nĂ©ralat, dâun rival Ă sa hauteur, lors mĂȘme que lâhypothĂ©tique impĂ©trant se fĂ»t toujours comportĂ© comme un subordonnĂ© dont la loyautĂ© Ă©tait hors de tout doute. »
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