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Abdelkrim el-Khattabi

Muhammad Ibn ‘Abd al-Krim al-Khattabi (en arabe : Ù…Ű­Ù…ŰŻ ŰšÙ† Űčۚۯ Ű§Ù„ÙƒŰ±ÙŠÙ… Ű§Ù„ŰźŰ·Ű§ŰšÙŠ (Muáž„ammad Ibn ‘Abd Al-Krim Al-Káž«aáč­áč­abi), en rifain : ┎┓┃┏⎷ ┏ ┄⎰⎱⎷┍⎜└┉┎ ⎰┅┟┟⎰⎱ (Moáž„and n Ɛabdelkrim Axeáč­áč­ab)), nĂ© vers 1882 Ă  Ajdir au Maroc et mort le au Caire, en Égypte, est le chef d'un mouvement de rĂ©sistance contre la France et l'Espagne lors de la guerre du Rif. PrĂ©sident de la RĂ©publique du Rif de 1921 Ă  1926, il est devenu une icĂŽne des mouvements indĂ©pendantistes luttant contre le colonialisme[1]. Il est connu sous le nom Emir ‘Abd al-Krim ou ‘Abd al-Krim en Occident[2] - [3], ‘Abd al-Krim al-Khattabi au Maroc ou encore Moulay Mohand chez les Rifains[4] - [5].

Muhammad Ibn ‘Abd al-Krim al-Khattabi
‘Abd al-Krim / Moulay Mohand
Abdelkrim el-Khattabi
Portrait de Muhammad Ibn ‘Abd al-Krim al-Khattabi

Surnom Moulay Mohand
Naissance
Ajdir, Drapeau du Maroc Maroc
DĂ©cĂšs (Ă  81 ans)
Le Caire, Égypte
Origine Rifain
Allégeance République du Rif
AnnĂ©es de service 1921 – 1926
Conflits Guerre du Rif
Faits d'armes Bataille d'Anoual (1921)
Autres fonctions Président de la République du Rif
Proclamé Commandeur des croyants

Biographie

Fils d'un juge (qadi) du clan des AĂŻt Youssef Ou Ali de la tribu des AĂŻt Ouriaghel[6], nommĂ© Ă  ce poste par le sultan Moulay Hassan vers 1885[7], Mohamed ben Abdelkrim el-Khattabi est instruit dans des zaouĂŻat (Ă©coles coraniques) traditionnelles et des Ă©coles espagnoles, puis Ă  l'universitĂ© Al Quaraouiyine Ă  FĂšs (oĂč il a pour professeur Al-KattānÄ«) et enfin Ă  l'universitĂ© de Salamanque oĂč il Ă©tudie le droit pendant trois ans. Entre 1908 et 1915 il est journaliste au quotidien de Melilla Le TĂ©lĂ©gramme du Rif, oĂč il prĂ©conise la coopĂ©ration avec les EuropĂ©ens afin de libĂ©rer la oumma (le monde arabe de religion musulmane ou le monde musulman, par extension) du sous-dĂ©veloppement.

Il entre dans l'administration espagnole et est nommĂ© cadi de Melilla en 1915. Il commence alors Ă  s'opposer Ă  la domination espagnole, et est emprisonnĂ© du au dĂ©but du mois d’ pour avoir dit que l'Espagne ne devrait pas s'Ă©tendre au-delĂ  des territoires dĂ©jĂ  occupĂ©s (ce qui en pratique excluait la plupart des zones incontrĂŽlĂ©es du Rif). Peu aprĂšs avoir Ă©tĂ© libĂ©rĂ©, il se dĂ©met de ses fonctions de cadi en , revient Ă  Ajdir en 1919 et, avec son frĂšre, commence Ă  unir les tribus du Rif dans une RĂ©publique du Rif indĂ©pendante en s'efforçant d'apaiser leurs inimitiĂ©s. Dans cette optique de rĂ©unification des tribus du Rif, il Ă©pousera Taymount Boujibar de la Tribu des AĂŻt Ouriaghel. Son beau frĂšre Ahmed Boujibar, lieutenant de l'armĂ©e rifaine, sera exilĂ© Ă  El Jadida.

De la bataille d'Anoual Ă  la RĂ©publique du Rif

En 1921, dans leurs efforts pour dĂ©truire la puissance de Raisuni, un brigand local, les troupes espagnoles approchent des secteurs inoccupĂ©s du Rif. ‘Abd al-Krim envoie Ă  leur gĂ©nĂ©ral, Manuel FernĂĄndez Silvestre, un avertissement : s'ils franchissent le fleuve Amekrane (oued), il le considĂ©rerait comme un acte de guerre. FernĂĄndez Silvestre aurait ri en prenant connaissance du message. Le gĂ©nĂ©ral installe dans la rĂ©gion de Temsamane un poste militaire juste aprĂšs l'oued Amekrane, plus prĂ©cisĂ©ment au Mont AbarrĂĄn (Dhar Obaran). Le jour mĂȘme, au milieu de l'aprĂšs-midi, mille Rifains l'encerclent : 179 militaires espagnols sont tuĂ©s, forçant le reste Ă  la retraite[1].

La retraite effectuĂ©e sans prĂ©paration se transforme en dĂ©bandade au cours de laquelle les Espagnols perdent prĂšs de 16 000 hommes. Connue sous le nom de bataille d'Anoual, il s'agit d'un tournant dans la guerre du Rif[8]. ‘Abd al-Krim met la main sur 150 canons, 25 000 fusils, des munitions et des vĂ©hicules. En plus des morts et des blessĂ©s (environ 25 000), ‘Abd al-Krim fait des prisonniers par centaines. Depuis la bataille d'Adoua (Éthiopie) en 1896, il s'agit de la premiĂšre dĂ©faite d'une puissance coloniale europĂ©enne, disposant d'une armĂ©e moderne et bien Ă©quipĂ©e, devant des rĂ©sistants sans ressources, sans organisation, sans logistique ni intendance. La victoire d'Anoual a un retentissement dans le monde entier, d'un point de vue psychologique et politique, car elle montre qu'avec des effectifs rĂ©duits, un armement lĂ©ger, et une importante mobilitĂ© (et une bonne connaissance du terrain de guerre), il est possible de vaincre des armĂ©es classiques.

Fort de son succĂšs, l’Emir proclame, en 1922, la RĂ©publique confĂ©dĂ©rĂ©e des Tribus du Rif. Cette rĂ©publique a un impact crucial sur l'opinion internationale[9], car c'est la premiĂšre rĂ©publique issue d'une guerre de dĂ©colonisation au XXe siĂšcle. Il crĂ©e un parlement constituĂ© des chefs de tribus qui Ă©lit un gouvernement. ImprĂ©gnĂ© des idĂ©aux de progrĂšs et de rĂ©publicanisme, ‘Abd al-Krim promulgue des rĂ©formes modernes[10]. ConsidĂ©rant par ailleurs le cannabis comme haram, il est « le seul Ă  avoir presque rĂ©ussi Ă  interdire [sa] production », traditionnelle dans le Rif depuis le VIIe siĂšcle[11].

Abdelkrim al-Khattabi en 1923.

En 1924, l'Espagne retire ses troupes dans ses possessions le long de la cĂŽte marocaine, sur la MĂ©diterranĂ©e. La France, qui a des prĂ©tentions sur le Rif mĂ©ridional, se rend compte que laisser une autre puissance coloniale se faire vaincre en Afrique du Nord par des indigĂšnes crĂ©erait un dangereux prĂ©cĂ©dent pour ses propres territoires[1], et entre dans le conflit. Tentant de joindre toutes les forces vives marocaines pour constituer le noyau d'un mouvement de libĂ©ration marocain prĂ©alable Ă  un vaste mouvement de dĂ©colonisation, ‘Abd al-Krim demande au sultan Moulay Youssef de rallier sa cause. Mais celui-ci, sous l'influence de la rĂ©sidence gĂ©nĂ©rale française Ă  Rabat, refuse de lutter contre les puissances coloniales. DĂšs lors, jugeant le sultan illĂ©gitime, Abdelkrim se proclame commandeur des croyants et selon le premier rĂ©sident français au Maroc, le GĂ©nĂ©ral Lyautey[12] : « ‘Abd al-Krim est considĂ©rĂ© ouvertement comme le seul et unique sultan du Maroc depuis Abdelaziz, vu que Moulay Hafid a vendu le pays Ă  la France par le traitĂ© du Protectorat et que Moulay Youssef est seulement un fantoche entre mes mains »[13].

L'entrée de la France en guerre ne se fait pas attendre, mais la pression de l'opinion publique aussi bien européenne qu'internationale rend la tùche plus ardue et conduit au renvoi du résident général, le maréchal Lyautey.

À partir de 1925, ‘Abd al-Krim combat les forces françaises dirigĂ©es par le marĂ©chal PĂ©tain composĂ©es de 200 000 hommes et une armĂ©e espagnole commandĂ©e personnellement par le gĂ©nĂ©ral Primo de Rivera, soit un total de 500 000 soldats[14], qui commencent les opĂ©rations contre la RĂ©publique du Rif. Le combat intense dure une annĂ©e et aboutit Ă  la victoire des armĂ©es française et espagnole contre les forces de ‘Abd al-Krim[1]. En 1925, par tĂ©lĂ©grammes, Lyautey aurait demandĂ© au prĂ©sident du Conseil Paul PainlevĂ© l'envoi d'obus Ă  ypĂ©rite. Toutefois, il n'existe aucune preuve documentĂ©e que ce gaz ait Ă©tĂ© utilisĂ© par les troupes françaises[13].

Abdelkrim se rend aux Français comme prisonnier de guerre le [15]. En dĂ©pit de cette reddition, les armĂ©es espagnoles feront usage de gaz de combat contre des villages tenus par les rebelles. Ainsi, dĂšs 1926, des avions munis de gaz moutarde bombarderont des villages entiers, faisant des Marocains du Rif les premiers civils gazĂ©s massivement dans l'Histoire[16] - [17] - [18], Ă  cĂŽtĂ© des Kurdes irakiens gazĂ©s par les Britanniques. On estime Ă  plus de 150 000 le nombre de morts civils durant les annĂ©es 1925-1926.

L'exil

Abdelkrim al-Khattabi, au moment de son départ pour l'exil en 1926.

En 1926, Muhammad Ibn ‘Abd al-Krim al-Khattabi et une partie de sa famille sont exilĂ©s Ă  La RĂ©union et installĂ©s jusqu'en 1929 au ChĂąteau Morange, sur les hauteurs de Saint-Denis[1] - [19]. Abdelkrim habite ensuite la commune rurale de Trois-Bassins, dans l'ouest de l'Ăźle, oĂč il achĂšte des terres et construit une belle propriĂ©tĂ©. En mai 1947, ayant finalement eu l'autorisation de s'installer dans le sud de la France, il embarque, avec 52 personnes de son entourage et le cercueil de sa grand-mĂšre, Ă  bord du Katoomba, un navire des Messageries maritimes en provenance d'Afrique du Sud et Ă  destination de Marseille. ArrivĂ© Ă  Suez oĂč le bateau fait escale, il rĂ©ussit Ă  s'Ă©chapper et passe la fin de sa vie en Égypte[1], oĂč il prĂ©sidera le « ComitĂ© de libĂ©ration pour le Maghreb ».

Quand Azzam Pacha (SecrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de la Ligue arabe) est allĂ© le voir pour lui annoncer la crĂ©ation imminente d’IsraĂ«l et la dĂ©termination des pays arabes Ă  libĂ©rer la Palestine, l’émir lui a rĂ©pondu : « Surtout pas, n’en faites rien. Cette guerre-lĂ , nous ne pouvons pas la gagner, car il y a deux Ă©ventualitĂ©s : ou nous sommes dĂ©faits par le petit État juif, et nous serons la risĂ©e du monde ; ou nous gagnons, et nous aurons le monde entier contre nous. Alors que faire ? Laisser les Juifs coloniser les Palestiniens. Nous aurons affaire Ă  une situation coloniale classique, et les Palestiniens se libĂ©reront, comme se libĂ©reront un jour les Marocains, les Tunisiens et les AlgĂ©riens »[20].

Toute sa vie durant, il refuse de retourner au Maroc malgrĂ© la signature d’accords d’indĂ©pendance, la critiquant de par sa nature : un « compromis de la monarchie marocaine avec les ex-puissances coloniales »[21].

Muhammad Ibn ‘Abd al-Krim al-Khattabi meurt en 1963 au Caire. Le prĂ©sident Ă©gyptien Gamal Abdel Nasser lui accorde des funĂ©railles nationales, sa dĂ©pouille reposant au Caire dans le carrĂ© rĂ©servĂ© aux hĂ©ros du monde arabe car les autoritĂ©s marocaines refusent qu'il soit enterrĂ© sur son sol natal[13].

Ouvrage

En 1926 l’Emir, dĂ©fait, est donc exilĂ© sur l’üle de la RĂ©union. Lors du voyage Ă  bord d’un bateau un journaliste français du nom de Jacques Roger-Mathieu accompagne ‘Abd al-Krim dans le voyage. Le journaliste n’est pas venu pour rien. Il est la pour recueillir le tĂ©moignage, les souvenirs, les mĂ©moires de l’Emir du Rif. Il fait donc une sĂ©rie d’entretiens qu’il va retranscrire et publier Ă  seulement 27 exemplaires en France Ă  Paris. Cette Ă©dition sera publiĂ© par Ă  Librairie des Champs-ÉlysĂ©es Ă  Paris en 1927.

L’unique ouvrage de tĂ©moignage de ‘Abd al-Krim est rĂ©Ă©ditĂ© en 2022 par la maison d’éditions HĂ©ritage Éditions : Muhammad Ibn ‘Abd al-Krim al-Khattabi recueilli par Jacques Roger-Mathieu, MĂ©moires d’Abd-el-Krim, HĂ©ritage Éditions, 2022 (ISBN 9782493295453)

Notes et références

  1. R. J. Overy, 1948-, Atlas de l'histoire du monde, SĂ©lection du Reader's Digest, (ISBN 978-2-7098-1097-5)
  2. « Appel de Abdelkrim Khattabi, héros marocain de la lutte anticoloniale | IndigÚnes de la République », sur indigenes-republique.fr (consulté le )
  3. « 27 mai 1926 - Abdelkrim se rend aux Français - Herodote.net », sur www.herodote.net (consulté le )
  4. « Au Maroc, l'empreinte du hĂ©ros anticolonial Abdelkrim agite toujours le Rif », France Culture,‎ (lire en ligne, consultĂ© le )
  5. (ber) Chant traditionnel rifain, « Ayawen- Moulay Mohand »
  6. G. Belorgey, Dossier : la Guerre du Rif (lire en ligne), « En ce temps-là, Mohamed Abdelkrim el Khattabi, né en 1882 à Ajdir dans la tribu des Aït Ouariaghel de la région d'Al-Hoceïma [...] ».
  7. Vincent Courcelle-Labrousse et Nicolas Marmié, La Guerre du Rif, Tallandier, (ISBN 979-10-210-0897-7, lire en ligne)
  8. (es) Maria Rosa de Madariaga, Espana y el Rif, cronica de una historia casi olvidada, UNED. Centro asociado de Melilla, , 535 p. (ISBN 978-84-87291-59-3)
  9. Courrier du Rif, « Histoire. La naissance de la République du Rif », sur Courrier du Rif (consulté le )
  10. (en) John Ruedy, Islamism and Secularism in North Africa, Palgrave Macmillan, , 298 p. (ISBN 0-312-16087-9, lire en ligne), p. 59
  11. Amanda Chapon, « La guerre ambiguĂ« de l’État contre le kif », dans le dossier Raid sur le Kif, publiĂ© par Actuel no 57, samedi 24 juillet 2010
  12. Rapport de dĂ©cembre 1924 au prĂ©sident Édouard Herriot.
  13. Maria Rosa de Madariaga, Abdelkrim El-Khattabi, La lutte pour l’indĂ©pendance, Éd. Alianza Editorial, Madrid, 2009
  14. Abdallah Laroui, L'histoire du Maghreb: Un essai de synthÚse, François Maspero, 1982, p. 326.
  15. Hisham Aidi, « Les blessures ouvertes du Rif », Multitudes, no 68,‎ , p. 10–18 (ISSN 0292-0107, DOI 10.3917/mult.068.0010, lire en ligne, consultĂ© le )
  16. Sven Lindqvist, Maintenant tu es mort. Le siĂšcle des bombes, Le Serpent Ă  plumes, 2002, p. 102-103
  17. Blister Agent: Sulfur Mustard (H, HD, HS), CBWinfo.com
  18. (en) Daniel Feakes, Mary Kaldor (Ă©diteur), Helmut Anheier (Ă©diteur) et Marlies Glasius (Ă©diteur), Global Civil Society Yearbook 2003, Oxford University Press, (ISBN 0-19-926655-7, lire en ligne), « Global society and biological and chemical weapons », p. 87–117
  19. Bigame (selon la tradition, chaque mariage scellait une alliance avec le clan de la mariée), il eut 11 enfants.
  20. Hamid Barrada et Guy Sitbon, Le Juif et l'Arabe : Dialogues de guerre, Plon 2004, p. 98.
  21. Amine Abdellaoui, « La répression au Rif marocain : aux origines de la fracture », sur Le Vent Se LÚve,

Voir aussi

Bibliographie

  • (ar) Mohamed Hassan Ouazzani, MĂ©moires d'une vie et d'un combat vol 2 : La guerre du Rif, Fondation Mohamed Hassan Ouazzani, 464 p. (lire en ligne)
  • Pierre Dumas, Abd-el-krim, Éditions du bon plaisir, 1927, Toulouse
  • Abdelkrim, MĂ©moires d'Abd el Krim, recueillis par J. Roger-Mathieu, Librairie des Champs ÉlysĂ©es, Paris, 1927, 244 p.
  • Mimoun Charqi, L'Émir guĂ©rillero, Collection Histoire et lectures politiques, Rabat, 2003
  • Aumer U Lamara, Muhend Abdelkrim, Di Dewla n Ripublik, Editions L'harmattan, Paris, 2012, 250 p. (ouvrage en langue berbĂšre)
  • Michel Thouillot, Marocs, Paris, Éditions L'Harmattan, , 280 p. (ISBN 978-2-343-06571-7)

Articles connexes

Autres figures de la résistance marocaine :

Liens externes

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