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Guerre du Rif

La guerre du Rif est une succession de conflits armés opposant les armées de l'empire colonial espagnol (de 1921 à 1927), alliées aux troupes françaises et marocaines (de 1925 à 1927), aux tribus berbÚres du Rif coalisées autour de leur chef, Abdelkrim el-Khattabi.

Guerre du Rif
Description de l'image Infobox collage for Rif War.jpg.
Informations générales
Date 1921-1927
Lieu Nord du Maroc
Issue
Belligérants
Espagne
(1921-1927)
Drapeau de la République française France
(1925-1927)
Drapeau de la RĂ©publique du Rif RĂ©publique du Rif
Commandants
Manuel Sylvestre †
DĂĄmaso Berenguer
José Millån-Astray
Miguel Primo de Rivera
Drapeau de la République française Philippe Pétain
Drapeau de la République française Hubert Lyautey
Abdelkrim el-Khattabi
Abdel-Salam Mohammed Abdel-Karim
Mhamadi Bojabbar Mohamed, les AĂŻt Ghannou
Ahmed Heriro jebli
Haddou Mouh-Ameziane
Mohamed Cheddi
Caid Bohout
Forces en présence
63 000 Ă  125 000 soldats[1]

Drapeau de la RĂ©publique française 400 000[2]
Sources espagnoles :
80 000 irrĂ©guliers[1] -

Autres sources :
1925 : 35 000-50 000[3]
1926 : moins de 20 000[3]
Pertes
50 000 morts[4]
Drapeau de la RĂ©publique française 10 000 tuĂ©s et blessĂ©s[4]
30 000 tuĂ©s et blessĂ©s[4]

Batailles

Contexte historique

Face aux Espagnols et aux Français exploitant le « terrain conquis » au XIXe siĂšcle, la sociĂ©tĂ© rifaine est composĂ©e de tribus, dirigĂ©e par une assemblĂ©e et prĂ©sidĂ©e par un chef, l’Amghar. Les uns comme les autres, outre leur rayonnement culturel ou Ă©conomique, manifestent leur pouvoir par des dĂ©monstrations de force.

Dans le cadre de sa politique de colonisation face à celle de la France, l'Espagne voulait ainsi étendre son contrÎle sur des territoires au nord est du Maroc afin de protéger les ports qu'elle exploitait sur les cÎtes de la Méditerranée.

Toutefois, c'Ă©tait sans compter avec les autochtones, soucieux de prĂ©server leur propre autoritĂ© et leur propre culture et de les dĂ©fendre, d'oĂč les exactions. De surcroĂźt, le mode de vie et les structures sociales des parties en prĂ©sence entrent en permanence en conflit indirect avec ceux des puissances coloniales, rĂ©cemment implantĂ©es sur leur territoire.

De conflits isolĂ©s, les affrontements deviennent peu Ă  peu une guĂ©rilla, face Ă  laquelle les mĂ©thodes militaires classiques doivent ĂȘtre adaptĂ©es. C'est aussi ce qui explique le dĂ©calage de l'implication française.

Contexte géographique

Carte du Nord du Maroc indiquant les territoires sous protectorat espagnol.

La zone nord du protectorat espagnol, telle qu'établie par le traité franco-marocain de FÚs, puis de la convention franco-espagnole de Madrid de 1912, est couverte en partie par la chaßne de montagnes du Rif, qui est une des quatre chaßnes du territoire marocain. Elle comprend alors, de l'ouest vers l'est, les territoires de quatre tribus :

  • la Jbala-Luxos entre Tanger au nord et Alcazarquivir (Ksar El KĂ©bir) au sud (Rif occidental) ;
  • la Gomara (ou Chaouen) entre Oued-Laou au nord et Chaouen au sud (Rif occidental) ;
  • le Rif central englobant la baie d'Al HoceĂŻma (anciennement Villa Sanjurjo) et enfin ;
  • le Rif oriental ou Kert, de Midar Ă  Berkane, comprenant Nador et Melilla (une partie du Rif oriental Ă©tant sous protectorat français et s'agissant de la province de Berkane et du nord des provinces de Taza, Guercif et Taourirt).

Opérations militaires

SoulĂšvement d'el-Raisuni

Le commandant espagnol Manuel Fernåndez Silvestre souhaite devancer une éventuelle poussée française vers Tanger et Larache. Il se heurte toutefois à un chef de guerre local, Mohamed ben Abdallah el-Raisuni, qui irrite les puissances occidentales par ses exactions pour son profit personnel (prise d'otages étrangers, libérés contre rançon), qui menacent la sécurité de la route de Tétouan. AprÚs des combats dans l'oued Ras et Beni Sidel, il subit un échec face à Gonzalo Queipo de Llano à Alcazarquivir. Il se livre alors à une guérilla dans la Jbala et provoque des agitations dans la région de Melilla. Le Djebel Gurugu est à son tour menacé en 1916.

Prélude à la bataille d'Anoual (1920-1921)

Le , les troupes espagnoles sous la conduite du général Castro Girona avaient occupé Chefchaouen dans le pays Jbala[5].

À l'Est, une armĂ©e espagnole sous la conduite du gĂ©nĂ©ral Sylvestre avait quittĂ© Melilla dĂ©but 1920 avec pour objectif de prendre le contrĂŽle du Rif central et de la Baie d'Al-HoceĂŻma et mettre fin Ă  l'opposition des confĂ©dĂ©rations rifaines[6].

Ces derniĂšres Ă©taient rĂ©ticentes Ă  accepter l'autoritĂ© du Protectorat espagnol et l'opposition armĂ©e s'accentuait Ă  mesure que les troupes de Sylvestre avançaient vers le cƓur du Rif. En aoĂ»t 1920, l'armĂ©e espagnole avait rĂ©ussi Ă  occuper sans encombre la zone allant de Midar Ă  Melilla, ne rencontrant qu'une opposition sporadique des combattants rifains locaux, affaiblis par une disette qui frappait la rĂ©gion alors[6].

Le , les troupes espagnoles étaient entrées dans Ben Taïeb, sur le territoire des Aït Oulichek. Face à cette armée puissante, les chefs de la résistance locale préféraient opter pour la reddition[6].

Début janvier 1921, les troupes espagnoles et leurs supplétifs locaux avaient pénétré sur le territoire des tribus Temsamane et Aït Touzine. Pour Sylvestre, c'était un succÚs important puisqu'il avait doublé, en moins d'un an, le territoire contrÎlé par l'Espagne. Anoual, petit village rifain à la frontiÚre entre les Temsamane et Aït Oulichek, était le poste le plus avancé de l'armée espagnole. Mais il restait à soumettre les puissantes tribus du Rif central, en particulier celle des Aït Ouriaghel[6].

Alors que les troupes espagnoles s'installaient aux portes du Rif central, l'opposition armĂ©e rifaine s'organisait. La rĂ©sistance rifaine Ă©tait alors Ă©parpillĂ©e en groupements armĂ©s hĂ©tĂ©roclites, sans unitĂ© effective et sans leadership central. Bien qu'animĂ©s du mĂȘme dĂ©sir de prĂ©server le Rif de la domination espagnole, il manquait Ă  ces groupes armĂ©s un commandement capable de les unir. Certains leaders locaux tentaient tant bien que mal d'unir les diffĂ©rentes factions afin d'opposer un front commun aux Espagnols. Parmi ces leaders, se trouvait Muhammad Ben Abdelkrim, fils d'un cadi (juge religieux) des AĂŻt Ouriaghel, plus connu sous le nom d'Abdelkrim. En janvier 1921, Abdelkrim avait tentĂ© de rallier Ă  lui les rĂ©sistants AĂŻt Ouriaghel, Temsamane et Iboqayen. Des harkas (« groupe armĂ©s » en dialecte marocain) se formĂšrent avec pour objectif de bloquer l'avancĂ©e espagnole. Dans les marchĂ©s du Rif central, comme celui d'AĂŻt Bouayach, on avait lancĂ© l'appel au Jihad contre les envahisseurs[5] - [6].

Début février 1921, Abdelkrim avait réussi à s'imposer comme leader, certes contesté, des Aït Ouriaghel. Cette tribu berbÚre était maintenant plus unie que jamais et déterminée à repousser l'avancée espagnole.

Un autre défi auquel était confrontée la résistance rifaine était le danger provoqué par les agissements des agents rifains payés par l'Espagne et qui travaillaient pour le Protectorat. Ces agents pro-Espagne devinrent la cible de la résistance rifaine et plusieurs furent assassinés à mesure que l'armée espagnole avançait. Par ailleurs, les conditions économiques étaient difficiles pour les Rifains centraux en raison notamment d'une pénurie alimentaire qui frappait la région. La faim poussait de nombreux clans rifains à déposer les armes et se soumettre aux autorités espagnoles[5] - [6].

Dans les territoires du Rif oriental occupés par l'Espagne, l'opinion publique rifaine s'élevait de plus en plus contre les actes des soldats espagnols qui montraient peu de respect pour les habitants et les coutumes locales[6].

Fin fĂ©vrier 1921, l'armĂ©e espagnole Ă©tait proche de complĂ©ter son objectif de prendre le contrĂŽle de la vallĂ©e du NĂ©kor et de la Baie d'Al-HoceĂŻma. Les Temsamane et les AĂŻt Touzine avaient commencĂ© Ă  se soumettre mĂȘme si de nombreux clans de ces deux confĂ©dĂ©rations poursuivaient la rĂ©sistance. Mais les troupes espagnoles Ă©taient Ă©tirĂ©es Ă  travers le Rif oriental, de Melilla Ă  Anoual et cela reprĂ©sentait un danger pour l'armĂ©e comme l'avaient notĂ© certains officiers espagnols[6].

MalgrĂ© les avertissements d'officiers qui le mettaient en garde contre une avancĂ©e trop brusque, le gĂ©nĂ©ral Sylvestre avait dĂ©cidĂ© de poursuivre les opĂ©rations militaires. Le , Sidi Driss, localitĂ© situĂ©e sur le littoral des Temsamane, fut occupĂ©e par l'armĂ©e espagnole. Cette occupation plongea la rĂ©sistance rifaine dans une grande inquiĂ©tude. Mais la rĂ©colte du printemps 1921, qui fut excellente, ranima la volontĂ© de rĂ©sistance des Rifains. De nombreux AĂŻt Touzine et Temsamane rejoignirent les rangs des combattants d'Abdelkrim. Ce dernier faisait de plus en plus l'unanimitĂ© parmi les Rifains, mĂȘme si certains notables locaux se mĂ©fiaient de sa montĂ©e en puissance et certains rĂ©sistants lui reprochaient ses relations passĂ©es avec les Espagnols. Abdelkrim sĂ©duisait les rĂ©sistants avec ses capacitĂ©s organisationnelles et ses idĂ©es militaires modernistes[6].

DĂ©but mai, selon des rapports militaires espagnols, les effectifs des combattants rifains s'Ă©levaient Ă  environ 1 300 hommes, rĂ©partis entre le Adrar Qama, chez les Temsamane et Azlaf, chez les AĂŻt Touzine. Abdelkrim tentait d'obtenir, par divers moyens, des canons et des armes afin de fournir ses hommes. Des tranchĂ©es Ă©taient creusĂ©es Ă  Azlaf et chez les Temsamane[6].

Fin mai 1921, Abdelkrim avait nommé le Fqih Muhammed Ben Ali surnommé « Boulahya » (« Le Barbu ») en tant que responsable des troupes rifaines rassemblées sur le Adrar Qama, à Temsamane, en face de l'armée espagnole. Boulahya était originaire des Aït Touzine[6].

Au-delĂ  des prĂ©parations militaires, Abdelkrim tentait d'organiser le Rif et d'Ă©tablir les bases d'un État moderne, capable de rĂ©sister Ă  l'impĂ©rialisme europĂ©en mais aussi de construire des routes, exploiter les ressources miniĂšres et instaurer l'ordre dans une rĂ©gion en proie aux luttes intestines[6]. Il mis fin aux vendettas claniques qui ravageaient le Rif en promettant de condamner Ă  mort tout homme qui en tuerait un autre. En faisant cela, Abdelkrim voulait mettre fin aux divisions qui avaient longtemps empĂȘchĂ© les Rifains de s'unir efficacement face Ă  l'envahisseur[6].

Bataille de Dhar Abarran (juin 1921)

Les autoritĂ©s militaires espagnoles suivaient d'un Ɠil attentif les prĂ©paratifs militaires d'Abdelkrim. Le gĂ©nĂ©ral Sylvestre lui-mĂȘme rĂ©alisait que toute avancĂ©e espagnole vers le Rif central dĂ©boucherait sur des combats violents, plus violents que ceux que l'armĂ©e avait connu jusqu'ici. Il Ă©tait nĂ©anmoins dĂ©terminĂ© Ă  poursuivre cette avancĂ©e. Le gĂ©nĂ©ral Sylvestre disposait d'une armĂ©e d'environ 25 000 soldats[6] - [5].

Dhar Abarran (« la colline de la perdrix » en langue berbĂšre rifaine) est une colline s’élevant Ă  525 mĂštres d’altitude, qui se situe sur le territoire des Temsamane. Elle permet d'observer toute la baie d'Al Hoceima[5].

Dans les sources espagnoles, Dhar Abarran est appelée « Monte Abarran »[5].

En suivant les conseils de ses collaborateurs, le gĂ©nĂ©ral avait dĂ©cidĂ© d’occuper Dhar Abarran. Le gĂ©nĂ©ral envoya donc un dĂ©tachement de 250 hommes pour prendre le contrĂŽle de la colline le . Du cĂŽtĂ© des rĂ©sistants, environ 1 000 combattants rifains Ă©taient positionnĂ©s sur les hauteurs autour de Dhar Abarran[6].

Les soldats espagnols réussirent à occuper Dhar Abarran durant la nuit du sans rencontrer de résistance[6].

Le lendemain Ă  l’aube, les combattants rifains sous la conduite du Fqih Boulahya des AĂŻt Touzine, lieutenant d’Abdelkrim, lancĂšrent un violent assaut sur la colline. Les rĂ©sistants gravirent les pentes de la colline sous le feu des canons et des fusils espagnols. Ils rĂ©ussirent Ă  dĂ©truire le fil barbelĂ© qui entourait le poste espagnol et Ă  prendre le contrĂŽle de la colline aprĂšs de durs combats, souvent au corps Ă  corps. Des tĂ©moignages rapportent que des Rifains qui avaient Ă©tĂ© recrutĂ©s dans l’armĂ©e espagnole retournĂšrent leurs armes contre leurs officiers, semant le chaos et aidant les rĂ©sistants rifains Ă  prendre le contrĂŽle de la colline[6] - [5].

Sur les 250 soldats espagnols chargĂ©s de dĂ©fendre Dhar Abarran, 179 perdirent la vie. Les survivants durent battre en retraite en direction d’Anoual, qui se situait Ă  environ cinq kilomĂštres Ă  l'Est[6].

Les Rifains capturĂšrent quatre canons, 250 fusils et une quantitĂ© importante de munitions. Certains soldats espagnols furent faits prisonniers et Abdelkrim dĂ©clara le qu’il Ă©tait strictement interdit de faire du mal aux captifs sous peine de sĂ©vĂšres sanctions[6].

Il est à noter que cette bataille eut lieu pendant le mois de Ramadan et que les combattants rifains jeûnaient comme le rapporte Hart[7].

Le mĂȘme jour de la victoire d'Abarran, une troupe rifaine s'attaqua au poste espagnol de Sidi Driss sur la cĂŽte des Temsamane. AprĂšs un jour de combat qui causa d'importantes pertes parmi la garnison espagnole, les combattants rifains se retirĂšrent sans avoir pris le poste[5].

La victoire d'Abarran galvanisa la rĂ©sistance rifaine. Dans tout le Rif, des chants ("izran" en rifain) Ă  la gloire des combattants s’élevĂšrent et Abdelkrim fut acclamĂ© en tant que 'Amjahad' (« Combattant ») et 'ZaĂŻm' (« Leader ») de la rĂ©sistance. Cette bataille est considĂ©rĂ©e par les historiens comme le dĂ©but officiel de la guerre du Rif[7].

Sylvestre avait perdu 179 hommes à Dhar Abarran. Mais le général et les autorités espagnoles restaient confiants. De leur point de vue, la défaite de Dhar Abarran était un accident comme il en arrive réguliÚrement dans les guerres coloniales. Pour le général, il ne faisait aucun doute que les résistants rifains, dont le nombre ne s'élevait qu'à quelques milliers de combattants, seraient bientÎt battus par l'armée espagnole.

« Le désastre d'Anoual »

Le général Silvestre avec ses officiers prÚs de Melilla le .

Le , Sylvestre occupa Ighriben ('Igueriben' dans les sources espagnoles) une colline, Ă  six kilomĂštres au sud d’Anoual, afin de surveiller les mouvements des combattants AĂŻt Touzine. Le nombre de combattants rifains s’élevait maintenant Ă  environ 3 000 hommes rĂ©unis autour d'Abdelkrim, qui avait Ă©tabli son camp Ă  Amzaourou, chez les Temsamane. Abdelkrim avait entrepris de nouer des contacts avec toutes les tribus rifaines, y compris celles qui Ă©taient occupĂ©es par l'Espagne afin d'organiser avec elles un soulĂšvement gĂ©nĂ©ral[6].

Le , les Rifains prirent le contrĂŽle de la colline de Sidi Brahim aprĂšs de durs combats. La colline de Sidi Brahim permettait aux Rifains de surveiller la route entre Anoual et Ighriben[6].

Sylvestre Ă©tait de plus en plus inquiet. Les tribus rifaines Ă©taient maintenant dĂ©terminĂ©es Ă  rĂ©sister et la crainte commençait Ă  s’installer parmi les soldats espagnols, soumis Ă  la pression des tireurs rifains embusquĂ©s[5] - [6].

Mi-juillet, Abdelkrim ordonna un assaut sur le poste espagnol d’Ighriben. Le , le poste d’Ighriben Ă©tait encerclĂ© et attaquĂ©[6] - [5].

Dans le poste d’Ighriben, les soldats espagnols souffraient de la soif et de la faim en raison de l’épuisement de leur rĂ©serve de nourriture et d'eau[5]. Certains soldats en Ă©taient rĂ©duits Ă  boire leur urine[5]. Sylvestre tenta de ravitailler le poste d’Ighriben mais Ă  chaque fois, les tireurs rifains embusquĂ©s le long de la route empĂȘchaient les renforts espagnols d’arriver au poste indemnes[6].

De son cĂŽtĂ©, Abdelkrim envoya plusieurs messages aux rifains qui combattaient dans l’armĂ©e espagnole pour les inviter Ă  dĂ©serter et rejoindre la rĂ©sistance rifaine. Le , une attaque rifaine mis en fuite les troupes espagnoles postĂ©es Ă  Tizi Azza[6].

Sylvestre, conscient qu’il Ă©tait impossible de ravitailler les soldats encerclĂ©s Ă  Ighriben aprĂšs un Ă©niĂšme Ă©chec, ordonna au commandant Benitez, chef de la garnison espagnole d’Ighriben, d’évacuer la position par tous les moyens possibles[6].

Le , le commandant Benitez tenta une sortie afin d’échapper Ă  l’encerclement rifain. Mais il tomba dans une embuscade et sur les 300 soldats espagnols du poste, peu rĂ©ussirent Ă  s’échapper vivant. 25 soldats espagnols d'Ighriben auraient rĂ©ussi Ă  atteindre Anoual[6].

La perte d’Ighriben plongea l’armĂ©e espagnole dans la crainte et la confusion. Les rĂ©sistants rifains devenaient de plus en plus confiants et audacieux[6]. Les 4 000 soldats espagnols regroupĂ©s Ă  Anoual subissaient quotidiennement les tirs des rifains positionnĂ©s sur les collines environnantes[6] - [5].

Le 22 juillet, jugeant la position d’Annoual intenable, Sylvestre ordonna une retraite en direction de Ben TaĂŻeb, Ă  11 kilomĂštres au Sud-Est d'Anoual. Le plan consistait Ă  quitter Anoual pour rejoindre la plaine du Garet, plus facilement dĂ©fendable. Mais ce qui devait ĂȘtre une retraite organisĂ©e devint une dĂ©bĂącle terrible, connue dans l'historiographie espagnole sous le nom de « DĂ©sastre d'Anoual ». Pris pour cible par les tireurs rifains , les soldats espagnols tombĂšrent dans une panique incontrĂŽlĂ©e et cessĂšrent d'obĂ©ir Ă  leurs officiers. Le chaos s'installa dans les rangs de l'armĂ©e Ă  mesure que les pertes augmentaient[6].

Sylvestre perdit la vie durant la dĂ©bĂącle et selon des tĂ©moignages, il se serait suicidĂ© en voyant la dĂ©route de son armĂ©e mais selon d’autres, il fut tuĂ© au cours des combats. Son corps ne fut jamais retrouvĂ©. Le gĂ©nĂ©ral Navarro prit le contrĂŽle des troupes espagnoles Ă  Dar Driouch, aprĂšs la mort de Sylvestre[6].

Toutes les troupes espagnoles qui occupaient le Rif oriental se mirent Ă  battre en retraite en direction de Melilla. Les positions espagnoles du Rif furent abandonnĂ©es une par une. Le 26 juillet, les Guelaya et les Kebdana s’étaient joints Ă  la rĂ©bellion contre la domination espagnole. Toutes les forces espagnoles dans le Rif, tombĂšrent sous l'attaque des Rifains[6] - [5].

Le 29 juillet, le gĂ©nĂ©ral Navarro se replia avec 1 200 soldats espagnols, Ă©puisĂ©s, sur le mont Arroui oĂč il furent encerclĂ©s par 3000 puis 5000 rifains[6]. Pour permettre aux troupes de Navarro de rejoindre Arroui, le rĂ©giment de cavalerie d'Alcantara sous la conduite du lieutenant-colonel Fernando Primo de Rivera lança une contre-offensive suicidaire sur les cavaliers rifains Metalsa[5]. Cette acte audacieux du rĂ©giment d'Alcantara permit au gĂ©nĂ©ral Navarro de gagner du temps.

Nador fut Ă©vacuĂ©e par l’armĂ©e espagnole le 2 aoĂ»t et, le 3 aoĂ»t, Selouane fut prise par les combattants rifains. Des centaines de prisonniers espagnols furent massacrĂ©s Ă  Selouane[6] - [5].

Le , Arroui tomba aux mains des Rifains. Un accord avait Ă©tĂ© passĂ© entre certains chefs rifains et le gĂ©nĂ©ral Navarro. Les soldats espagnols rendraient leurs armes en Ă©change de la vie sauve mais pour des raisons encore obscures, les soldats espagnols furent massacrĂ©s aprĂšs avoir rendu leurs armes, malgrĂ© les ordres d’Abdelkrim. Environ 400 prisonniers espagnols Ă©chappĂšrent au massacre, y compris le gĂ©nĂ©ral Navarro, et emmenĂ©s Ă  Ajdir, village d'origine d'Abdelkrim, oĂč ils furent incarcĂ©rĂ©s[6].

Le bilan de la dĂ©faite d'Anoual fut trĂšs lourd pour l'Espagne. Sur les environ 25 000 soldats espagnols qui avaient occupĂ© le Rif oriental, entre 13 000 et 19 000 perdirent la vie ou furent fait prisonniers au cours du seul Ă©tĂ© 1921[7]. Un butin de guerre considĂ©rable fut capturĂ© par les rĂ©sistants comprenant de l’artillerie, des fusils, des vĂ©hicules et des munitions. Ce dĂ©sastre militaire fut l’un des plus terribles connus par une puissance europĂ©enne durant les guerres coloniales et l'un des pires de l'histoire militaire espagnole. L’armĂ©e espagnole avait perdu tout le territoire conquis depuis 1912 dans le Rif[6] - [5] - [7].Le dĂ©sastre provoqua une grave crise politique en Espagne, qui culmina avec le coup d'État du gĂ©nĂ©ral Primo de Rivera le .

Melilla elle-mĂȘme Ă©tait menacĂ©e mais Abdelkrim avait interdit Ă  ses troupes d’attaquer la ville car il craignait de se mettre Ă  dos toute l’Europe en raison de la prĂ©sence de nombreux civils europĂ©ens. De plus, Abdelkrim voulait d’abord organiser son nouvel État, qu'il nommera "RĂ©publique du Rif". Plus tard aprĂšs la guerre, Abdelkrim jugera son refus de prendre Melilla d’assaut comme sa plus grande erreur[5].

Avec la bataille d’Anoual, les rĂ©sistants rifains avaient rĂ©ussi Ă  infliger une dĂ©faite cuisante Ă  une importante armĂ©e espagnole. Ceci avait aurĂ©olĂ© Abdelkrim d’un prestige inĂ©galable parmi la population rifaine. Mais Abdelkrim avait fait comprendre Ă  ses troupes que l’Espagne chercherait Ă  se venger et qu’il fallait se prĂ©parer Ă  une longue et dure guerre[6] - [5].

AprÚs Anoual (août 1921- janvier 1922)

AprĂšs la victoire spectaculaire d’Anoual, Abd el-Krim renforce son pouvoir en crĂ©ant un État, la RĂ©publique du Rif, avec un gouvernement et une administration centralisĂ©e. La prĂ©sidence n'est pas Ă©lue mais dĂ©volue Ă  Abd el-Krim el-Khattabi, une dĂ©lĂ©gation gĂ©nĂ©rale attribuĂ©e Ă  son frĂšre d’Abd el-Krim, M’hamed el-Khattabi, ministĂšre de la Guerre dirigĂ© par Ahmed Boudra, celui de l’IntĂ©rieur conduit par le caĂŻd Lyazid, celui des Affaires ÉtrangĂšres octroyĂ© Ă  Azerkane, celui des Finances donnĂ© Ă  Abd es-Salam el Khattabi, celui de la Justice et de l’Instruction confiĂ© au faqih Zerhouni.

Ces institutions sont renforcĂ©es par l’application de la charia islamique qui interdit les affrontements entre les diffĂ©rentes tribus au sein de la RĂ©publique. Cela est particuliĂšrement important dans une rĂ©gion marquĂ©e par les solidaritĂ©s claniques et oĂč la logique de la vendetta se substitue souvent au droit. De plus, une intense action d’éducation est menĂ©e par des caĂŻds et des fouqaha chargĂ©s d’expliquer le nouvel ordre local ou encore des mesures comme l’interdiction du thĂ© ou du tabac.

Les formations militaires, fortes de vingt Ă  trente mille hommes, ĂągĂ©s de 16 Ă  50 ans, sont divisĂ©es en « mia », des compagnies d'une centaine d'hommes, qui sont elles-mĂȘmes subdivisĂ©es en groupes de vingt-cinq Ă  cinquante hommes, encadrĂ©s respectivement par des mokaddem et des caĂŻds khamsine[8], assez bien Ă©quipĂ©s en armes saisies Ă  l’ennemi ou achetĂ©es Ă  l’étranger.

Les Guelayas, confĂ©dĂ©ration rifaine qui entoure Melilla, avaient vĂ©cu sous occupation espagnole depuis la fin de la seconde guerre de Melilla en 1913. À la suite de la dĂ©bĂącle espagnole d'Anoual, de nombreux Guelayas se soulevĂšrent, en profitant des dĂ©faites espagnoles pour libĂ©rer leur territoire[6] - [5].

Mais les Guelayas Ă©taient peu armĂ©s et rĂ©clamaient l'aide d'Abdelkrim. Si des troupes rifaines furent dĂ©pĂȘchĂ©es vers les Guelayas afin de les soutenir, ces troupes restaient relativement peu nombreuses car Abdelkrim se mĂ©fiait des nombreux collaborateurs pro-Espagne qui vivaient dans la rĂ©gion[6].

Quant Ă  eux, les Espagnols regroupaient des forces importantes afin de dĂ©fendre Melilla et d'empĂ©cher la ville de tomber aux mains des Rifains. Des renforts furent amenĂ©s de TĂ©touan, Ceuta et de la MĂ©tropole[5]. Fin aoĂ»t 1921, 36 000 soldats espagnols Ă©taient rĂ©unis dans la ville dont 25 bataillons de l'armĂ©e, 2 compagnies de la lĂ©gion Ă©trangĂšre, 2 tabors de regulares marocains de Ceuta, 5 rĂ©giments de cavalerie et 17 compagnies du gĂ©nie[6]. En dehors de Melilla, les Espagnols contrĂŽlaient toujours une petite bande de terre allant de Mar Chica Ă  Atalyon et incluant le Souk El-Had des AĂŻt Chiker[6].

Les Guelayas Ă©taient divisĂ©s entre partisans de la rĂ©sistance et partisans de la collaboration avec l'Espagne. Cette division, ajoutĂ©e au manque de soutien d'Abdelkrim, fragilisa la rĂ©sistance chez les Guelayas, facilitant la reconquĂȘte espagnole[6].

Le premier objectif du Haut-Commissaire Damaso Berenguer, aprÚs le désastre d'Annoual, était de sécuriser Melilla et son arriÚre-pays avant de reconquérir le territoire perdu aux Rifains[6]. Des troupes rifaines se rassemblÚrent à Souk el-Arba, à l'extrémité sud de la Mar Chica, sous le commandement du Cheikh Yazid Benhamou (futur ministre de la justice d'Abdelkrim)[6].

Six mille combattants rifains se regroupĂšrent Ă  Nador le . Abdelkader Ben Hajj Tayeb, caĂŻd pro-Espagne des AĂŻt Chiker avait rĂ©ussi Ă  empĂȘcher la majeure partie de sa tribu de rejoindre les rĂ©sistants. Son soutien fut l'une des raisons qui permirent aux Espagnols de sauvegarder la ville de Melilla[6].

Le , l'armée espagnole lança la contre-offensive. Souk El-Arba des Kebdana fut occupée aprÚs de durs combats qui causÚrent la mort de 75 combattants rifains[6]. Les Rifains continuaient de bombarder Melilla depuis les hauteurs du Gourougou avec des canons capturés aux Espagnols. Mais le , les troupes rifaines abandonnÚrent Nador, qui fut occupée par l'armée espagnole le 17[6]. De nombreux combattants rifains démoralisés décidÚrent de quitter le front afin de rentrer chez eux. Un petit noyau de résistants continuait de combattre sur le mont Gourougou, sous la conduite du Fqih Boulahya[6].

Le , la tribu des Kebdana dĂ©posa les armes face Ă  l'avancĂ©e espagnole. Boulahya, l'un des chefs rifains les plus dĂ©terminĂ©s, dĂ©cida de se retirer le et de rentrer au Rif central avec ses hommes[6]. Il restait encore environ 2 600 combattants rifains dont 2 000 Guelayas, qui entendaient poursuivre la rĂ©sistance[6].

Le , l'armée espagnole captura les villes de Zeghanghane, ville qui abritait le tombeau du leader résistant rifain Mohamed Améziane, et d'Iallatan[6].

Le , les troupes espagnoles avaient réussi à reprendre le mont Gourougou aprÚs de durs combats. Les Guelayas, en particulier les Aït Bouifrour, se réfugiÚrent en masse vers le Rif central, dans les territoires contrÎlés par Abdelkrim, afin d'échapper au représailles de l'armée espagnole[6].

Le , Selouane, un des bastions de la résistance guelayi, fut prise par l'armée espagnole[6].

Les Guelayas commencÚrent à vouloir se rendre, en raison de la détresse économique et de la supériorité militaire de l'armée espagnole. Le , l'armée espagnole réoccupa Arroui, et les corps des prisonniers espagnols massacrés en août furent enterrés[5] - [6]. Ces corps portaient les stigmates des affreuses mutilations et tortures qu'ils avaient subi aux mains des combattants rifains exaspérés par des années de conflits et d'exactions espagnoles[5].

Abdelkrim réalisa que les Guelayas allaient retomber sous la domination espagnole. Son objectif était alors de se retirer de façon ordonnée de la région, vers le Rif central, en emportant un maximum d'équipements et de prisonniers espagnols[6]. Abdelkrim avait nommé Abdsalam Ben Hajj Mohand en tant que commandant du front dans le Rif oriental. Ce dernier deviendra plus tard « Ministre de la Guerre » de la République du Rif[7] - [6] - [5].

Le , l'armée espagnole entra dans Wiksane[6] - [5]. Le , la ville de Zaïo, sur le territoire des Oulad Settout, fut prise par les Espagnols. Fin décembre 1921, l'armée espagnole avait atteint les rives du Kert, occupant effectivement tout le territoire des Guelayas[6].

Les Rifains avaient du mal à ralentir cette fulgurante contre-offensive espagnole. Le terrain relativement plat de la plaine du Garet facilitait l'avancée des troupes espagnoles[6]. Le , Dar Driouch fut réoccupée par les Espagnols. La plaine du Garet était presque entiÚrement sous leur contrÎle mais le Rif central et montagneux était plus que jamais hors de leur portée[5] - [6].

Avancée espagnole et renforcement du pouvoir d'Abdelkrim ( janvier 1922-janvier 1923)

L'aviation espagnole déclencha dÚs le début de l'année 1922, une vaste campagne de bombardement aérien sur le Rif, en visant particuliÚrement les territoires des confédérations Temsamane, Aït Touzine et Aït Ouriaghel. Ce bombardement aérien causa d'importantes pertes parmi la population rifaine, semant la terreur parmi les civils[6] - [5].

AprÚs la capture de Dar Driouch, l'objectif de l'armée espagnole était de reconquérir le territoire de la petite confédération rifaine des Aït Saïd, au nord de Driouch. Le territoire des Aït Saïd est divisé presque équitablement en une partie montagneuse à l'Ouest et une plaine à l'Est. Si les clans Aït Saïd de la plaine faisaient preuve de peu d'entrain à poursuivre la résistance contre l'Espagne, en raison de la vulnérabilité de leur terrain face aux attaques espagnoles, les clans de la montagne entendaient combattre jusqu'au bout[6].

Une offensive espagnole sur les Aït Saïd débuta en mars 1922. Des chars furent employés afin de franchir les tranchées creusées par les combattants Aït Saïd. De nombreux villages furent occupés et aprÚs de durs combats, 150 combattants rifains perdirent la vie le . Mais la résistance des Aït Saïd était féroce. Comme le rapporte Woolman dans son livre Rebels in the Rif[5], les combattants rifains, d'abord surpris par l'apparition des chars qu'ils n'avaient jamais vu auparavant, tentÚrent de les escalader afin de poignarder et tirer sur les conducteurs. Plusieurs chars furent incendiés. Malgré ces efforts désespérés, les renforts espagnols parvinrent à vaincre les tentatives de résistance et le , Dar El Kebdani, principal centre des Aït Saïd, fut occupé par l'Espagne[6] - [5].

Dans Dar El Kebdani, les soldats espagnols recouvrirent les restes des 1 400 soldats espagnols qui y furent massacrĂ©s lors du dĂ©sastre d'Anoual en juillet 1921. Ces restes furent enterrĂ©s avec les honneurs militaires[6].

Les résistants Aït Saïd se réfugiÚrent dans la partie montagneuse de leur territoire, laissant la plaine sous le contrÎle de l'Espagne[6].

La perte de ce territoire n'avait pas entamé la volonté d'Abdelkrim. Le , un navire espagnol fut coulé dans la Baie d'Al-Hoceïma par des tirs de canons rifains[5].Abdelkrim tentait aussi de lever des taxes sur les confédérations rifaines sous son contrÎle afin de soutenir l'effort de guerre. Mais cette taxation suscita de nombreuses contestations dans la population. Au cours de l'été 1922, Abdelkrim nomme plusieurs caïds dans les différentes tribus du Rif central afin d'administrer la justice et organiser la levée des troupes[6].

Mais l'autoritĂ© d'Abdelkrim n'Ă©tait pas absolue dans le Rif. En effet, certains notables locaux voyaient d'un mauvais Ɠil ses tentatives d'accaparement du pouvoir. Parmi eux, Amar Hamidou, caĂŻd de la tribu Marnissa et le Hajj Bekkiche, un des notables de la confĂ©dĂ©ration Igzennayen. Ces deux chefs, parfois rivaux, avaient un ennemi commun en Abdelkrim et dĂ©cidĂšrent d'allier leurs forces afin de s'opposer Ă  lui[6].

En juillet 1922, Amar Hamidou se heurta aux combattants rifains au cours de violents combats[6].

Hamidou, qui deviendra au cours de la guerre un des alliés les plus fidÚles de la France, était soutenu par Bekkiche et Abdelmalik al-Jazaïri. Abdelmalik al-Jazaïri était le petits-fils d'Abdelkader, champion de la résistance algérienne et il dirigeait depuis les années 1910 des groupes armés au nord du Maroc afin de résister à l'armée française. Tout comme Hamidou et Bekkiche, Abdelmalik craignait que la montée en puissance d'Abdelkrim ne pose un problÚme à son propre pouvoir. C'est donc ces trois individus qu'Abdelkrim devait affronter en cet été 1922[5] - [6].

AprĂšs de violents combats qui causent d'importantes pertes de part et d'autre, une trĂȘve fut nĂ©gociĂ©e entre Hamidou et Abdelkrim, permettant aux hommes d'Abdelkrim de se retirer du territoire Marnissa[6].

Le bilan de ces combats était contrasté. Si Hamidou demeurait insoumis à Abdelkrim, il avait perdu de nombreux hommes au cours des combats. Quant à Abdelkrim, son prestige était ébranlé car il n'avait pas réussi à vaincre le caïd de Marnissa. Néanmoins la situation sur le front Sud du Rif se retrouvait stabilisée pour un temps[6].

Abdelkrim en profita pour tenter d'Ă©largir son action vers l'Ouest du Rif, chez les Jbalas et les Ghomaras[6].

Son objectif était de rallier ces populations à sa cause. Les Jbalas étaient par ailleurs encouragés dans leur résistance à l'Espagne (qui occupait Chefchaouen depuis 1920) par les récentes victoires rifaines. Abdelkrim espÚrait aussi alléger la pression que faisait peser l'Espagne sur le front oriental en organisant des attaques sur les forces espagnoles autour de Chefchaouen[6].

Des troupes rifaines, sous la conduite de M'hamed al-Khattabi, frÚre d'Abdelkrim, furent envoyées afin de prendre contact avec les résistants Jbalas. Des messages furent échangés avec Raïsouli, le fameux chef de guerre de la région Jbala, qui s'opposait alors à la pénétration espagnole. Des escarmouches eurent lieu avec les troupes espagnoles autour de Chefchaouen, notamment à Tiguisas[6]. Mais trÚs vite la relation entre les Rifains et les Ghomaras se détériora. Les Ghomaras, puissante confédération berbÚre qui peuple l'arriÚre-pays de Chefchaouen (notamment l'actuel parc national de Talassemtane), supportaient, avec beaucoup de mal, la présence des combattants rifains sur leur sol. La tension obligea M'hamed à se retirer vers l'Est, et camper à El-Jebha, à la frontiÚre entre les Ghomaras et les M'tioua[6].

Raïsouli était quant à lui encerclé par l'armée espagnole dans son réduit du Jbel Bouhachem, à l'ouest de Chefchaouen, aprÚs avoir perdu son quartier général de Tazrout en mai 1922, lors d'une offensive espagnole[6].

Fin août 1922, les Espagnols reprennent l'offensive vers le Rif central à partir de Dar Driouch. Azib Midar et d'autres positions chez les Aït Touzine tombent entre leurs mains[6].

Fin septembre 1922, encerclĂ© sur le Jbel Bouhachem aprĂšs son Ă©vacuation de Tazrout et convaincu que la rĂ©sistance contre l'Espagne est futile, RaĂŻsouli accepte de nĂ©gocier avec les autoritĂ©s espagnoles. Un accord est conclu et selon ses termes, RaĂŻsouli accepte d'utiliser son influence afin de maintenir la paix chez les Jbalas et d'empĂȘcher les attaques sur les soldats espagnols. En Ă©change, l'Espagne s'engage Ă  lui fournir de l'argent et des armes[6].

En octobre 1922, les forces rifaines attaquent les positions espagnoles Ă  Azib Midar[6].

Le , l'armĂ©e espagnole s'empare de Tafersit, Bouhafora et Sidi Messaoud. Le 28, elle s'empare du col de Tizi Azza oĂč un poste avancĂ© est installĂ©[6].

Une sortie Ă  l'ouest de Tizi Azza est violemment repoussĂ©e par les Rifains. Ces derniers lancent un grand assaut sur le poste de Tizi Azza le 1 et . Les Espagnols repoussent l'assaut mais perdent en deux jours prĂšs de 2 000 hommes[6] - [5].

Le , le village rifain d'Afrau, sur la cĂŽte mĂ©diterranĂ©enne, tombe aux mains de l'armĂ©e espagnole et le , l'Espagne s'empare du village d'Anoual Ă  la frontiĂšre entre les AĂŻt Oulichek et les Temsamane. La capture d'Anoual reprĂ©sente une Ă©tape hautement symbolique puisque c'est lĂ  que l'Espagne a subi sa grande dĂ©faite militaire au dĂ©but du conflit. Ainsi, en un peu plus d'un an, l'armĂ©e espagnole a rĂ©cupĂ©rĂ© presque tout le territoire perdu depuis le dĂ©sastre d'Anoual. Le nouveau haut-commissaire espagnol chargĂ© des opĂ©rations militaires au Maroc, Ricardo Burguete, dispose de 30 000 soldats dans le Rif oriental afin de vaincre Abdelkrim[5] - [6].

Devant cette importante avancée espagnole, Abdelkrim lance une contre-attaque. Le , Afrau est encerclé par les Rifains[6].

Mais en dĂ©cembre 1922, Abdelkrim doit encore tourner son regard vers le sud du Rif, oĂč son rival, Amar Hamidou, a lancĂ© une attaque sur les Ait Ammart, tribu rifaine alliĂ©e d'Abdelkrim. L'objectif d'Amar Hamidou est de couper les liaisons entre le Rif central et la zone française du Maroc. Les Rifains obtenaient en effet des armes et de la nourriture via cette zone[6] - [5].

À la suite de l'attaque sur les Ait Ammart, Hamidou captura le caïd de cette tribu, Mouhand Ben Tayyeb[5] - [6].

De leur cĂŽtĂ©, en cette fin d'annĂ©e 1922, les Espagnols tentent de ramener dans l'obĂ©issance plusieurs tribus du Rif via l'action d'agents locaux qui sont chargĂ©s de convaincre les notables rifains d'abandonner Abdelkrim et de se soumettre aux autoritĂ©s du protectorat espagnol. Mais la crainte des reprĂ©sailles d'Abdelkrim empĂȘchaient de nombreux sympathisants de l'Espagne de se rapprocher des autoritĂ©s espagnoles. Abdelkrim se montrait en effet impitoyable envers tout individu suspectĂ© de trahison[6].

Depuis la bataille d'Anoual, Abdelkrim détenait des centaines de prisonniers espagnols, capturés au cours de la débùcle espagnole. Leur libération représentait un enjeu crucial pour l'Espagne. Des négociations sont entamées en janvier 1923. Des officiels espagnols rencontrent des émissaires d'Abdelkrim à Ajdir. Le , un accord est conclu. L'Espagne accepte de payer 4 millions de pesetas et de libérer tous les prisonniers rifains en échange de la libération des prisonniers espagnols. Le millionnaire basque Horacio Echevarrieta s'engagea à payer la somme demandée par les Rifains. Le , aprÚs paiement de la somme, les prisonniers espagnols furent libérés[6] - [5].

La rançon des prisonniers espagnols représentait une somme trÚs importante qu' Abdelkrim décida d'utiliser afin de renforcer son état embryonnaire. En ce début d'année 1923, il jugea le moment opportun pour se faire proclamer dirigeant du Rif[5].

RĂ©publique du Rif

Abdelkrim réunit ainsi les chefs tribaux, et proclame la République confédérée des tribus du Rif dont il est président le [6]. Pour administrer son nouvel état, Abdelkrim s'appuie sur la loi islamique, la Charia (il est cadi, c'est-à-dire juge islamique, de formation)[7] - [6] - [5]. Néanmoins, en ne se déclarant pas sultan et en ordonnant aux imams du Rif de faire la Joumouaa (priÚre du vendredi) au nom du sultan Moulay Youssef (successeur de Moulay Abd al-Hafid), Abdelkrim ne remet jamais en question l'autorité du sultan, malgré l'influence exercée par Lyautey sur ce dernier. De nombreuses lettres de bonne foi restituant la beyaa (allégeance) due au sultan parviennent à Moulay Youssef, qui craint cependant les réactions des colonisateurs.

Abdelkrim crée un gouvernement et nomme plusieurs ministres chargés de différents domaines (Ministre de la guerre, Ministre des finances, Ministre de la justice). Ces ministres sont essentiellement issus de sa famille élargie ou de sa confédération, les Aït Ouriaghel[7] - [6] - [5].

Abdelkrim procÚde aussi à l'organisation d'une armée rifaine réguliÚre, composée de plusieurs tabors (bataillons) avec des officiers de divers rangs. Les membres de cette armée réguliÚre sont essentiellement recrutés parmi les confédérations du Rif central. En parallÚle à cette armée réguliÚre, des milices tribales sont organisées dans le Rif et chez les Jbalas. Le rÎle de ces milices est d'assister l'armée réguliÚre durant les opérations[7] - [5] - [6].

Le nouvel État rifain amĂ©nage des routes afin de faciliter les communications de l'armĂ©e, organise un rĂ©seau tĂ©lĂ©phonique qui permet Ă  Abdelkrim de transmettre ses ordres. Abdelkrim rĂ©forme en profondeur la structure sociale des Rifains en insistant sur l'importance et la primautĂ© de la loi islamique et en limitant certaines pratiques de la loi coutumiĂšre rifaine. Il met fin Ă  la pratique de la vendetta, ordonne aux hommes rifains de raser leurs nattes traditionnelles et fait respecter les directives de l'Islam[7] - [5]. Dans les mosquĂ©es et les marchĂ©s du Rif central, Abdelkrim est proclamĂ© "Émir du Rif".

La poursuite des combats en 1923

L'armée espagnole, qui venait de reprendre quasiment tout le terrain perdu depuis le désastre d'Annoual, était confiante dans le fait qu'elle pourrait prochainement envahir le Rif central et mettre fin à la résistance rifaine[5].

En janvier 1923, Abdelkrim affronta une nouvelle fois les forces des seigneurs de guerre, Amar Hamidou et Hajj Bekkiche. Le , avec 1 800 hommes, Amar Hamidou attaqua les Ait Ammart. Lors de cette attaque, Amar Hamidou Ă©tait soutenu par certaines tribus de la vallĂ©e de l’Ouergha, hostiles Ă  Abdelkrim et aux Rifains. Plusieurs villages des Ait Ammart furent dĂ©truits, et nombreux furent ceux qui se rĂ©fugiĂšrent chez les AĂŻt Ouriaghel, au nord[6]. Abdelkrim, qui est alors prĂ©occupĂ© par l’avancĂ©e espagnole Ă  l’Est, doit dĂ©vier des troupes vers le sud du Rif afin d’affronter la menace d’Amar Hamidou. Les combats se poursuivent sporadiquement jusqu'en mai au moment oĂč Abdelkrim prend l'ascendant sur son adversaire. Le , Amar Hamidou fait sa soumission Ă  Abdelkrim aprĂšs avoir libĂ©rĂ© Mouhand Ben Tayyeb, le caĂŻd rifain des Ait Ammart[6]. Le , Bekkiche lui aussi se soumet Ă  Abdelkrim et accepte de servir dans l’armĂ©e rifaine, contre l’Espagne. Abdelmalik Al-JazaĂŻri, qui lui aussi s’opposait Ă  Abdelkrim, est contraint de quitter le Rif central face Ă  la montĂ©e en puissance du leader rifain. Il rejoignit les zones contrĂŽlĂ©es par l'Espagne et l’armĂ©e espagnole le plaça Ă  la tĂȘte d'une troupe armĂ©e pro-Espagne composĂ©e de 1 400 hommes, appelĂ©e la « Harka de Abdelmalik » en son honneur et chargĂ©e de combattre Abdelkrim[6].

Chez les Jbalas, Abdelkrim avait renouvelĂ© ses tentatives de pĂ©nĂ©tration en envoyant plusieurs troupes en janvier 1923. De violentes escarmouches opposĂšrent les Jbalas, partisans d'Abdelkrim, Ă  ceux qui prĂ©fĂ©raient l’alliance avec l'Espagne ou ceux qui refusaient aussi bien l'autoritĂ© espagnole que celle des Rifains[6]. Dans ses incursions vers l’Ouest, Abdelkrim Ă©tait soutenu par une grande partie de la famille maraboutique des Khamlichis de Targuist, qui jouissait d’une grande autoritĂ© spirituelle sur la confĂ©dĂ©ration berbĂšre des Senhajas de SraĂŻr, au cƓur du massif rifain[6].

Graduellement, les Rifains imposÚrent leur autorité aux Jbalas, en s'appuyant sur leurs alliés locaux. Le , les Ghomaras, soutenus par les Rifains, lancÚrent un assaut sur la position espagnole de Talambot, dans la vallée de l'Oued Lau. D'autres opérations de guérilla frappÚrent les positions espagnoles chez les Ghomaras[6].

Le , de retour de Paris oĂč il avait nĂ©gociĂ© durant un mois avec les autoritĂ©s françaises, M'hamed Al-Khattabi fut envoyĂ© par Abdelkrim avec une importante troupe rifaine afin de mettre de l'ordre chez les Ghomaras. Certaines tribus des Ghomaras se rĂ©voltĂšrent contre l’autoritĂ© d’Abdelkrim. La puissante tribu Jbala des Akhmas refusait aussi d'obĂ©ir Ă  Abdelkrim bien qu'elle fĂ»t opposĂ©e aux Espagnols[6]. Abdelkrim voulant asseoir son autoritĂ© chez les Jbalas, organisa en juillet 1923 un contingent de 1 000 combattants rifains sous le commandement Abdelkrim Ben Ali El-Hattach, un membre des AĂŻt Ouriaghel. Ce dernier avait l'ordre de rĂ©tablir l'autoritĂ© d'Abdelkrim sur les Ghomaras, qui tentaient d'expulser de leur territoire les Rifains. El-Hattach captura plusieurs chefs ghomaris, qu'il expĂ©dia Ă  Ajdir dans le Rif central, oĂč ils furent emprisonnĂ©s[6].

Les relations entre Ghomaras et Rifains étaient difficiles. Pour les Ghomaras, les Rifains étaient des occupants aussi étrangers que les Espagnols et ils reprochaient aux soldats rifains de se comporter comme en terrain conquis. Mais Abdelkrim marqua une importante victoire politique lorsqu'en août 1923, Ahmed Ben Mohammed Isbou, plus connu sous le nom de Khériro, décida de le rejoindre[6].

KhĂ©riro Ă©tait originaire de la tribu jbala des BĂ©ni Hozmar. Lieutenant de RaĂŻsouli, il avait longtemps combattu Ă  ses cĂŽtĂ©s contre l'Espagne. Mais en aoĂ»t 1923, les deux hommes se seraient disputĂ©s pour des raisons obscures. KhĂ©riro aurait dĂ©cidĂ© alors de rejoindre le camp rifain. Combattant courageux et opposant dĂ©terminĂ© Ă  l'Espagne, KhĂ©riro allait devenir l’alliĂ© le plus fidĂšle d’Abdelkrim chez les Jbalas. Le , peu de temps avant son ralliement Ă  Abdelkrim, il lança un raid nocturne audacieux sur les forces espagnoles dans la ville occupĂ©e de TĂ©touan, tuant une dizaine de militaires[6].

En septembre 1923, les Rifains contrÎlaient le territoire des Ghomaras et des Senhajas mais la puissante tribu des Akhmas continuait de défier Abdelkrim[6].

Sur le front oriental de la guerre, les combats redoublaient de violence. En juin 1923, l’armĂ©e rifaine, commandĂ©e par le Ministre de la Guerre d’Abdelkrim, Abdeslam n-Hajj Mouhand, lança un puissant assaut sur le poste espagnol de Tizi Azza. Les Espagnols subirent de lourdes pertes les premiers jours de l’assaut. Deux officiers et 100 hommes furent tuĂ©s. L'Espagne rĂ©pliqua en bombardant au gaz toxique les positions rifaines[6].

Les Rifains furent repoussĂ©s aprĂšs avoir perdu de nombreux hommes. Le poste avancĂ© de Tizi Azza, au cƓur d'un relief montagneux, reprĂ©sentait un enjeu stratĂ©gique pour les deux camps car il commandait l'accĂšs au Rif central. Les combats autour du poste furent si violents que les soldats espagnols dĂ©crivirent plus tard Tizi Azza comme Ă©tant « un enfer de feu et d'acier. »[5] Les combattants rifains maintenaient la pression sur le poste dont le ravitaillement Ă©tait impossible[6]. Le , une opĂ©ration de sauvetage fut lancĂ©e par l'armĂ©e espagnole afin de dĂ©gager le poste. Plusieurs unitĂ©s lancĂšrent un assaut sur les positions rifaines autour du poste. La lĂ©gion espagnole, sous la conduite du Lieutenant-Colonel Rafael Valenzuela, escalada les pentes qui menaient aux combattants rifains. Valenzuela, Ă  la tĂȘte de ses hommes, chargea les Rifains, pistolet Ă  la main. Plusieurs balles lui ĂŽtĂšrent la vie ainsi qu'Ă  40 lĂ©gionnaires qui tentĂšrent de rĂ©cupĂ©rer son corps. finalement, aprĂšs une journĂ©e de durs combats, les troupes espagnoles rĂ©ussirent Ă  briser le siĂšge de Tizi Azza et les Rifains se retirĂšrent avec d'importantes pertes[6].

L'échec devant Tizi Azza irrita Abdelkrim, qui procéda à l'arrestation de plusieurs chefs rifains qu'il jugeait inefficaces ou à la fidélité douteuse[6].

Le , Abdelkrim dĂ©clencha une nouvelle offensive sur les positions espagnoles dans le Rif oriental. Afraou et Tifarouine, deux positions espagnoles chez les AĂŻt SaĂŻd, furent attaquĂ©es par des troupes rifaines. Tifarouine fut dĂ©gagĂ©e par la lĂ©gion espagnole le 22 aoĂ»t. Les Espagnols perdirent 800 hommes au cours de l'action. Les pertes rifaines s’élevaient Ă  600 hommes[6] - [5].

De septembre Ă  dĂ©cembre, les conditions Ă©conomiques dans le Rif devinrent de plus en plus difficiles. L’agriculture, activitĂ© Ă©conomique primaire de la rĂ©gion, Ă©tait nĂ©gligĂ©e en raison de l’absence des hommes qui combattaient sur le front oĂč qui s’entraĂźnaient dans les camps militaires. De nombreux hommes Ă©taient aussi rĂ©quisitionnĂ©s pour des travaux d’amĂ©nagement (construction de routes, de tranchĂ©es, de ligne tĂ©lĂ©phoniques)[6]. Les bombardements aĂ©riens espagnols, souvent toxiques, qui visaient les champs et les marchĂ©s, causaient d'importantes pertes parmi la population civile rifaine en plus d’accentuait la dĂ©tresse Ă©conomique. Le commerce avec les zones espagnole et française Ă©tait rĂ©guliĂšrement interrompu par les combats, plongeant le Rif dans un Ă©tat de siĂšge. En consĂ©quence, la rĂ©colte agricole de l’annĂ©e 1924 fut faible et de nombreux Rifains souffrirent de la faim. Abdelkrim rencontrait des difficultĂ©s Ă  recruter de nouvelles troupes[6].

En Espagne, un coup d’État amena le gĂ©nĂ©ral Primo de Rivera au pouvoir, en septembre 1923. Ce dernier avait longtemps servi au Maroc et un de ses objectifs Ă©tait de mettre fin Ă  la guerre du Rif et vaincre Abdelkrim. La guerre au Maroc Ă©tait coĂ»teuse en hommes et en argent et de plus en plus impopulaire dans l’opinion publique espagnole[6].

RaĂŻsouli, le chef de guerre jebli, qui Ă©tait alors affaiblit et malade, se rapprocha de Primo de Rivera. Il espĂ©rait que l’Espagne le nomme « Khalifa », c’est-Ă -dire plus haute autoritĂ© marocaine du Protectorat espagnol. Mais Primo voulait Ă©viter de donner un poste aussi prestigieux Ă  un chef de guerre Ă  la rĂ©putation trouble[6] - [5].

C’est durant cette pĂ©riode que Primo offrit Ă  Abdelkrim le titre d’ «Émir du Rif» ainsi qu’une gĂ©nĂ©reuse pension et une promesse d’autonomie interne en Ă©change de sa reddition. Abdelkrim refusa[6] - [5].

Primo renforça alors le front de Driouch. Dans le secteur des Jbalas, Primo eu pour idĂ©e d’abandonner les postes espagnols qui se trouvaient en terrain montagneux et qui Ă©taient particuliĂšrement vulnĂ©rables aux attaques de la guĂ©rilla marocaine. Primo entendait retirer les forces espagnoles derriĂšre une ligne allant de TĂ©touan au Gharb. Une fois les troupes retirĂ©es, elles seraient mieux formĂ©es afin de reprendre le terrain aux insurgĂ©s marocains. Mais de nombreux officiers espagnols, partisans de la colonisation, critiquĂšrent l’idĂ©e du dictateur espagnole qui ressemblait pour eux Ă  un aveu d’échec. Primo comptait cependant appliquer son plan.

Abdelkrim profita de la faiblesse des Espagnols pour Ă©tendre son autoritĂ© sur la puissante tribu jbala des BĂ©ni Zeroual, qui vivent sur les contreforts mĂ©ridionaux du Rif, au nord de FĂšs. Leur territoire, fertile, reprĂ©sentait un enjeu stratĂ©gique. Les BĂ©ni Zeroual se trouvaient en zone française du protectorat bien que l’armĂ©e française n’avait pas encore occupĂ© leur territoire[6].

Pour Abdelkrim, prendre le contrÎle des Béni Zeroual était un objectif économique, car le Rif connaissait alors une importante pénurie alimentaire. De plus, les Béni Zéroual abritait, à Amjott, le siÚge principal de la confrérie religieuse des Derkaouïa. Cette confrérie était dirigée par le chérif Abderahmane Derkaoui. Ce chérif, partisan de la France, était trÚs hostile à Abdelkrim. Mais une grande partie des Béni Zeroual, qui refusait la domination française, avait des sympathies pour le leader rifain[6].

En septembre 1923, avec l’aide de son ancien rival Amar Hamidou, qui dĂ©sormais combattait pour lui, Abdelkrim prit le pouvoir sur les tribus de la vallĂ©e de l’Ouergha. Pour tenter de conserver la fidĂ©litĂ© d’Amar Hamidou, Abdelkrim le nomma pacha de l’Ouergha[6].

En octobre 1923, le Hajj Bekkiche se rĂ©volta Ă  nouveau et attaqua les partisans Igzenayen d’Abdelkrim. Une rĂ©bellion de faible envergure Ă©clata aussi chez les AĂŻt Bouayach, au sein des AĂŻt Ouriaghel, la confĂ©dĂ©ration d’Abdelkrim[6].

Bekkiche affronta en novembre les hommes d’Hamidou, qui Ă©tait alors au service d’Abdelkrim[6].

Les fractions mĂ©ridionales des Igzenayen prĂ©fĂ©rĂšrent se soumettre Ă  la France, pour Ă©viter de tomber sous le pouvoir d’Abdelkrim. Ces fractions se trouvaient sous la houlette du caĂŻd pro-français Medbouh[6].

La révolte des Ghomaras contre le pouvoir d'Abdelkrim

Alors qu’Abdelkrim tentait de mettre fin Ă  ces perturbations, il se brouilla Ă  nouveau avec son alliĂ© et ancien rival Amar Hamidou, en janvier 1924. Les raisons de la rupture sont obscures mais Abdelkrim tenta de faire arrĂȘter Amar Hamidou. Ce dernier se rĂ©volta et avec l’aide de Bekkiche et Medbouh, dĂ©cida de rĂ©sister Ă  Abdelkrim. Ce retournement de situation obligea Abdelkrim Ă  retirer des troupes du front oriental afin de neutraliser le danger que posait Amar Hamidou. La tĂȘte d’Amar Hamidou fut mise Ă  prix, la rĂ©compense s’élevant Ă  15 000 pesetas. Bekkiche, craignant les reprĂ©sailles d’Abdelkrim, fit de nouveau sa soumission le . Plusieurs milliers de combattants rifains traquĂšrent Amar Hamidou, qui rĂ©ussit Ă  se rĂ©fugier derriĂšre les lignes françaises, Ă  la fin du mois de janvier. Les combattants rifains exercĂšrent de dures reprĂ©sailles sur Marnissa, la tribu d’Amar Hamidou. Le , Abdelkrim dĂ©clara qu'Amar Hamidou Ă©tait mort, ce qui Ă©tait faux[6].

En mars 1924, ayant neutralisĂ© le danger d’Hamidou, Abdelkrim se tourna de nouveau vers la vallĂ©e de l’Ouergha et les BĂ©ni Zeroual. Certaines tribus de l’Ouergha, partisanes du chĂ©rif Derkaoui, ennemi d’Abdelkrim, tentĂšrent de freiner l’avancĂ©e des troupes rifaines[6].

En avril, les troupes d’Abdelkrim affrontĂšrent celles du chĂ©rif Derkaoui. Les combats se poursuivirent en mai. Les troupes d’Abdelkrim, mises Ă  mal, se retirĂšrent en direction de Targuist. Le chĂ©rif Derkaoui reprĂ©sentait un dĂ©fi majeur pour Abdelkrim. Abdelkrim, qui Ă©tait influencĂ© par l’idĂ©ologie salafiste et qui mĂ©prisait le culte maraboutique d’inspiration soufie, voyait d’un mauvais Ɠil l’influence des confrĂ©ries religieuses. Il les jugeait rĂ©trogrades et hĂ©rĂ©tiques ainsi que coupables de sympathie envers le systĂšme colonial. Cette antipathie envers les confrĂ©ries religieuses exacerbait les tensions avec le chĂ©rif Derkaoui, qui jouissait dans le Rif d’un certain prestige et menaçait l’autoritĂ© d’Abdelkrim[6] - [7].

Le chĂ©rif Derkaoui avait d’ailleurs un alliĂ© au Rif, le chĂ©rif BoujdaĂŻn, leader de la confrĂ©rie Nasiriya, dans la confĂ©dĂ©ration des AĂŻt Touzine. L’alliance des deux chĂ©rifs suscitait la fureur d’Abdelkrim. Les deux chĂ©rifs l'accusaient de manquer de lĂ©gitimitĂ© religieuse pour prĂ©tendre au pouvoir[6].

La rĂ©volte du chĂ©rif Derkaoui contre Abdelkrim suscita une rĂ©volte encore plus importante chez les Ghomaras. Ces derniers, comme Ă©voquĂ© plus haut, supportaient mal la domination rifaine. Les taxes que les Rifains levaient sur eux et les conscriptions d’hommes pour la guerre, exaspĂ©raient les Ghomaras. Les troupes espagnoles, positionnĂ©es Ă  Chefchaouen, dans la vallĂ©e de l’Oued Lau et sur la cĂŽte mĂ©diterranĂ©enne, empĂȘchaient la circulation de biens vers le territoire des Ghomaras, plongeant la confĂ©dĂ©ration berbĂšre dans une profonde misĂšre. Cela augmentait le dĂ©sespoir des Ghomaras et leur colĂšre envers les autoritĂ©s rifaines et en particulier envers les AĂŻt Ouriaghel, confĂ©dĂ©ration d’Abdelkrim et pilier de son pouvoir[6].

NĂ©anmoins, l’objectif des Rifains Ă©tait de rester chez les Ghomaras afin d’attaquer les positions espagnoles. En mars 1924, les troupes d’Abdelkrim attaquĂšrent les Espagnols Ă  Amtar, sur la cĂŽte mĂ©diterranĂ©enne. Mais Abdelkrim craignait l’attitude rebelle des Ghomaras et en mai 1924, au moment oĂč les Rifains affrontaient les combattants du chĂ©rif Derkaoui, Abdelkrim ordonna Ă  son commandant chez les Ghomaras, le caĂŻd rifain El-Hattach, de les dĂ©sarmer[6]. Les Ghomaras refusĂšrent de se plier Ă  cette campagne de dĂ©sarmement et au milieu du mois de mai 1924, ils profitĂšrent de la rĂ©bellion du chĂ©rif Derkaoui pour se soulever Ă  leur tour contre Abdelkrim. Les lignes tĂ©lĂ©phoniques qui reliaient leur territoire au Rif central, bastion d’Abdelkrim, furent coupĂ©es. La rĂ©volte des Ghomaras s’étendit aux Senhajas de SraĂŻr, aux tribus de la cĂŽte, atteignant mĂȘme le secteur de Targuist. Les Ghomaras attaquĂšrent les Rifains qui assiĂ©geaient Amtar. Le Fqih Boulahya, important commandant rifain, Ă©chappa in extremis aux mains des rebelles et rejoignit Targuist. De lĂ , il alerta Abdelkrim qui organisa la riposte[6].

L’armĂ©e rifaine fut envoyĂ©e mater la rĂ©volte dans le secteur de Targuist avant de se diriger vers les Ghomaras. Fin mai 1924, les soldats rifains, commandĂ©s par El-Hattach et KhĂ©riro, Ă©crasĂšrent les rebelles ghomaris. La rĂ©pression rifaine fut fĂ©roce, de nombreux villages furent brĂ»lĂ©s, les biens des rebelles confisquĂ©s. DĂ©but juin, la rĂ©volte avait cessĂ©[6].

M’hammed El-Khattabi, frĂšre d’Abdelkrim, disposait de 15 000 hommes afin de contrĂŽler les Ghomaras. Le , une trĂȘve fut conclue entre le chĂ©rif Derkaoui et Abdelkrim[6].

PremiĂšres escarmouches avec la France

À la fin de l’annĂ©e 1923, l’armĂ©e française s’avança dans l’Ouergha. Les tribus de la rĂ©gion craignaient cette avancĂ©e et cherchĂšrent de l’appui du cĂŽtĂ© des Espagnols ou d’Abdelkrim. Abdelkrim rĂ©pugnait Ă  provoquer les Français. Mais la France soutenait son ennemi, le chĂ©rif Derkaoui. De plus, ailleurs au Maroc, les tribus marocaines qui rĂ©sistaient Ă  la France, comme la confĂ©dĂ©ration berbĂšre des AĂŻt OuaraĂŻn du Moyen Atlas, rĂ©clamaient l’aide d’Abdelkrim, comme en tĂ©moigne une lettre envoyĂ©e par les chefs des AĂŻt OuaraĂŻn Ă  Abdelkrim, datĂ©e du [6].

Abdelkrim convoqua, en juin 1924, plusieurs rĂ©unions avec ses principaux commandants afin de discuter du danger français. Il craignait que le Rif n’entre, tĂŽt ou tard, en guerre avec la France et il dĂ©nonça les agissements du chĂ©rif Derkaoui, qui collaborait avec elle. DĂ©but juin 1924, la France occupa AĂŻn Mediouna, au sud du Rif. L’objectif de la France Ă©tait de prendre le contrĂŽle des BĂ©ni Zeroual et de la partie du Rif qui, selon l’accord du protectorat, faisait partie de sa zone[6].

Les troupes rifaines affrontĂšrent l’armĂ©e française lors d’escarmouches, au cours du mois de juin 1924, dans le secteur des Senhajas Gheddou. Le , des combats opposĂšrent les troupes d’Abdelkrim Ă  l’armĂ©e française chez les Marnissa. L’avancĂ©e française fut interrompue et les combattants d’Abdelkrim gagnĂšrent en prestige auprĂšs des populations locales, pour leur courage et leur tĂ©nacitĂ©. Les escarmouches se poursuivirent en juillet et en aoĂ»t, notamment chez les Houaras, entre Taza et Guercif[6].

Mais Abdelkrim ne voulait pas engager l’armĂ©e française pour l’instant car il prĂ©voyait une offensive dans la rĂ©gion de Chefchaouen. C’est pourquoi il donna l’ordre de cesser les attaques sur les positions françaises[6].

La retraite espagnole de Chefchaouen

En juillet 1924, Primo de Rivera voulait se retirer de la rĂ©gion des Jbalas. Son idĂ©e Ă©tait de se retirer derriĂšre une ligne allant de TĂ©touan au Gharb, afin de rĂ©organiser l’armĂ©e espagnole en vue de reprendre le terrain abandonnĂ©e. Primo, selon certaines sources, aurait mĂȘme voulu abandonner tout le Maroc, mais la pression des officiers partisans de la colonisation et de l’Angleterre, qui craignait que la France ne se rapprocha du dĂ©troit de Gibraltar, l’obligeait Ă  maintenir l’Espagne au Maroc[6].

Au cours du mois de juillet, les Rifains et les Ghomaras lancĂšrent des attaques sur les positions espagnoles de la vallĂ©e de l’Oued Lau, entre Chefchaouen et la MĂ©diterranĂ©e, sous la conduite de M’hamed El-Khattabi et d'El-Hattach. KhĂ©riro attaqua la route entre Chefchaouen et TĂ©touan[6].

Les attaques se poursuivirent en aoĂ»t avec l’arrivĂ©e de renforts du Rif central. Les attaques contre l’Espagne s’étendirent Ă  toute la rĂ©gion des Jbalas. Les communications entre TĂ©touan, capitale du protectorat espagnol et Chefchaouen, devenaient de plus en plus difficiles[6].

Dans le Rif oriental, Abdelmalik, petit-fils d’Abdelkader, fut tuĂ© le par les Rifains, prĂšs de Midar. À la fin du mois d’aoĂ»t, toute la rĂ©gion des Jbalas Ă©tait en Ă©bullition. Des groupes armĂ©s jeblis menaçaient mĂȘme le secteur de Larache[6].

Le chĂ©rif Al Hadaoui des Bni Masaouar, autoritĂ© religieuse importante, rejoignit les rangs d’Abdelkrim. Les tribus Jbalas des BĂ©ni Hassan, BĂ©ni Arous et BĂ©ni Idir se joignirent aussi Ă  l’insurrection, en attaquant les positions espagnoles au sud de TĂ©touan. Pour l’armĂ©e espagnole, l’heure de la retraite avait sonnĂ©[6].

DĂ©but septembre 1924, le plan d’évacuation de la rĂ©gion des Jbalas fut mis Ă  exĂ©cution. Le , Amtar et les postes de la vallĂ©e de l’Oued Lau furent Ă©vacuĂ©s. Tous les soldats espagnols se retirĂšrent en direction de Chefchaouen oĂč s’entassĂšrent environ 3 000 soldats. Environ 7 000 restaient bloquĂ©s dans les forts autour de la ville[6].

À TĂ©touan, des forces espagnoles se rassemblĂšrent sous les ordres de Primo de Rivera afin de secourir les soldats bloquĂ©s Ă  Chefchaouen. M’hamed El-Khattabi, qui dirigeait les opĂ©rations rifaines, installa son quartier gĂ©nĂ©ral Ă  Talambot, dans la vallĂ©e de l’Oued Lau[6].

Les Rifains prirent contact avec RaĂŻsouli, qu’ils essayĂšrent de convaincre de les rejoindre. Le vieux chef de guerre, malade et affaibli, rĂ©fugiĂ© dans sa base de Tazrout, fit la sourde oreille. La relation avec Abdelkrim s’envenima. RaĂŻsouli refusa aussi de se retirer avec les forces espagnoles en direction de TĂ©touan comme le lui proposa le commandement militaire espagnol[6].

Le , les gĂ©nĂ©raux espagnols Girona et Berenguer sĂ©curisĂšrent les montagnes au sud de TĂ©touan afin de couvrir l’avancĂ©e de l’armĂ©e en direction de Chefchaouen. Une colonne espagnole qui tenta de rejoindre Chefchaouen Ă  partir de Larache, fut bloquĂ©e par les combattants BĂ©ni Arous et dĂ» faire demi-tour[6].

La route allant de TĂ©touan Ă  Chefchaouen traverse la vallĂ©e des BĂ©ni Hassan. 40 000 soldats espagnols, rĂ©partis en trois colonnes, traversĂšrent la vallĂ©e. L’avancĂ©e vers Chefchaouen se dĂ©roula sans encombre, hormis les tirs sporadiques des snipers rifains. Primo de Rivera Ă©chappa de justesse Ă  un tir ennemi prĂšs de Dar ben Karrich[6] - [5].

Le , le gĂ©nĂ©ral Serrano entra dans Chefchaouen, suivi des gĂ©nĂ©raux Girona et Oliva. Les postes espagnols autour de Chefchaouen furent dĂ©livrĂ©s. On Ă©changea souvent des fusils avec les Rifains pour obtenir le droit d’évacuer les soldats espagnols coincĂ©s. Certaines garnisons se rendirent comme celle de Dar Ben Karrich, le , chez les BĂ©ni Idir. 400 soldats espagnols se rendirent et furent autorisĂ©s Ă  rejoindre Chefchaouen, en laissant aux Marocains 1000 fusils[6] - [5].

En octobre 1924, la tribu des Anjra se rebella aussi contre l’Espagne. Cette tribu occupe un territoire situĂ© entre Ceuta et TĂ©touan et elle menaçait les communications entre les deux villes. En cet automne 1924, la saison des pluies dĂ©buta dans la rĂ©gion des Jbalas, rendant les routes boueuses et impraticables, accentuant les difficultĂ©s de l’armĂ©e espagnole. De plus, l’évacuation de territoires conquis au prix de pertes importantes plongea les officiers espagnols, partisans de la colonisation, dans une profonde tristesse. Certains, comme le lieutenant-colonel Franco, pensaient organiser un coup d’État contre Primo[6] - [5].

Le , l’armĂ©e espagnole dĂ©buta l’évacuation de la ville de Chefcahouen. Le 18 novembre, le gĂ©nĂ©ral Girona avait atteint Souk El-Arba, Ă  mi-chemin entre TĂ©touan et Chefchaouen. Franco quitta Chefchaouen en dernier, le 17 novembre, avec ses lĂ©gionnaires. Il laissa derriĂšre lui des mannequins sur les murailles de la ville, afin de tromper la vigilance des sentinelles rifains[6] - [5].

Les Rifains entrĂšrent dans Chefchaouen en libĂ©rateurs, tĂȘtes et pieds nus, en signe d'humilitĂ© envers cette ville considĂ©rĂ©e comme sainte par les populations du nord du Maroc en raison de ses nombreuses mosquĂ©es[9].

Le , de violents orages frappĂšrent la rĂ©gion des Jbalas. Environ 7 000 combattants rifains et jbalas, sous la conduite de M’hamed El-Khattabi et KhĂ©riro, s'attaquĂšrent aux 40 000 soldats espagnols Ă©parpillĂ©s dans la vallĂ©e des BĂ©ni Hassan et pataugeant dans la boue[6] - [5]. À ShĂ©routa, les Espagnols perdirent 1 000 hommes et le gĂ©nĂ©ral Serrano fut tuĂ© par un tir ennemi. Les Espagnols furent attaquĂ©s de toutes les directions Ă  Dar Akoba. L’armĂ©e espagnole se regroupa Ă  Souk El-Arba et pendant trois semaines, attaquĂ©e de tous les cĂŽtĂ©s par les Marocains, elle attendait que les pluies cessent afin de reprendre la route vers TĂ©touan. Les attaques marocaines se poursuivirent nuits et jours, faisant quotidiennement des centaines de morts dans les rangs espagnols. La crainte d’un nouveau dĂ©sastre d’Anoual s’installa[6].

À Oued Nakhla, 14 soldats espagnols furent encerclĂ©s dans leurs vĂ©hicules par les Rifains. AprĂšs un combat de trois jours, les Rifains permirent aux six survivants de se rendre. On raconte que les Rifains rendirent hommage au courage des six survivants espagnols et Abdelkrim les aurait mis en-tĂȘte de la liste des prisonniers espagnols Ă  libĂ©rer en cas d'Ă©change. Mais ce fut un traitement spĂ©cial car en rĂšgle gĂ©nĂ©rale, les blessĂ©s espagnols Ă©taient achevĂ©s[5].

Un officier espagnol dĂ©clara : « Nous faisions la guerre contre des ombres. Nous perdions 30 hommes pour chaque ennemi tuĂ© ». L’aviation espagnole tenta de dĂ©gager les troupes coincĂ©es dans la vallĂ©e des BĂ©ni Hassan. Le , les Anjra prirent la ville de Ksar-Esghir[6] - [5].

Le , les premiÚres troupes espagnoles atteignirent Tétouan, presque un mois aprÚs le départ de Chefchaouen. Les Rifains poursuivirent les soldats espagnols jusqu'aux faubourgs de la ville. Le dernier à atteindre Tétouan fut Franco avec sa légion. Il perdit 500 hommes au dernier jour de l'opération[6] - [5].

Le , M’hamed El-Khattabi entra dans Chefchaouen et prononça un discours oĂč il fĂ©licita les «bons musulmans qui Ă©taient prĂȘts Ă  se battre pour l'indĂ©pendance». Peu de temps aprĂšs, M’hamed quitta la ville sous les ordres de son frĂšre, afin d’éviter les bombardements aĂ©riens[6].

Le bilan de la « retirada » de Chefchaouen Ă©tait lourd pour l’Espagne. On Ă©value les pertes espagnoles Ă  environ 800 officiers et 17 000 hommes. L’armĂ©e n’avoua jamais le chiffre exact des pertes. NĂ©anmoins l’armĂ©e espagnole avait Ă©viter un nouveau dĂ©sastre car malgrĂ© les pertes importantes, les officiers rĂ©ussirent Ă  maintenir l’ordre dans leurs rangs[6] - [5].

Mais la prise de Chefchaouen et la retraite espagnole représentaient, pour la République rifaine d'Abdelkrim, une victoire prestigieuse[6] - [5].

Intervention franco-britannique

Les Français et les Britanniques, sentant leur projet colonial menacé, interviennent aux cÎtés des Espagnols à partir de 1925.

LĂ©gion espagnole

Une guerre contre les Espagnols s'ensuit, qui doivent se retirer sur la cĂŽte. Ils n'occupent plus en 1924 que Ceuta, Melilla, Assilah et Larache.
L’Espagne refuse progressivement d'exposer ses conscrits et envoie Ă  la rescousse au Maroc surtout les Regulares et en , la LĂ©gion espagnole, d'abord commandĂ©e par MillĂĄn-Astray puis par Franco. Ce dernier se retrouve Ă  la tĂȘte de deux banderas puis Ă  la tĂȘte du Tercio[10].

Comme commandant de la 1re Bandera, il engage le combat à Driouch en . Il contient les Rifains qui menaçaient Melilla. Puis, la bandera est engagée contre les positions rifaines et il enlÚve à la baïonnette Tizi Azza. Le , le colonel Rafael Valenzuela, qui commande le Tercio, est tué en portant secours à Tizi Azza. Francisco Franco est nommé commandant du Tercio le et bat les rebelles d'Abdelkrim le à Tifarouine, à l'est de Melilla.

Guerre chimique

À ce moment dĂ©butent les bombardements chimiques. D'aprĂšs le gĂ©nĂ©ral de l'aviation espagnole Hidalgo de Cisneros dans son autobiographie Cambio de rumbo[11], il est le premier Ă  larguer, depuis son Farman F60 Goliath au cours de l'Ă©tĂ© 1924, une bombe de 100 kilogrammes de gaz moutarde, arme chimique fabriquĂ©e avec l'aide du chimiste allemand de Hambourg Hugo Stoltzenberg[12].

Intervention française

En , le Tercio couvre la retraite de Xauen. L'Espagne cherche à négocier un accord avec Abdelkrim, qui déclenche une insurrection générale en Yebala et en Gomara.

Abdelkrim attaque alors par surprise la zone française, ce qui entraßne immédiatement une alliance de l'Espagne avec la France. La France intervient pour secourir l'Espagne et éviter la contagion au reste du Maroc, alors sous domination française. Des postes avancés sont installés par l'armée française et provoquent donc l'affrontement avec les troupes rifaines, écrasées lors de l'offensive française vers FÚs pendant l'hiver et le printemps 1925.

La France envoie en particulier plusieurs divisions de l'ArmĂ©e du Rhin, soit des milliers d'hommes en renfort appuyĂ©s par quelques chars FT, une puissante aviation[13] et de l'artillerie lourde. Au plus fort, les troupes rĂ©guliĂšres de l'ArmĂ©e française (mĂ©tropolitaines, lĂ©gion, ArmĂ©e d'Afrique, etc.) comptent 150 000 hommes[14]. La France s'appuie Ă©galement sur les supplĂ©tifs marocains, les goumiers[15].

  • Caricature de Paul PainlevĂ©, ministre de la Guerre, par laquelle il est accusĂ© de fabriquer de faux papiers diplomatiques lors de la guerre du Rif. , Archives nationales de France.

Le maréchal Lyautey, résident général au Maroc depuis 1912, écrit en 1925 : « En présence des éventualités créées par la soudaineté et la violence de l'irruption des Rifains..., il est impossible de rester dans cette situation, sous peine, je le dis nettement, de risquer de perdre le Maroc »[16].

Il obtient des victoires, mais, en partie à cause de la volonté de Paul Painlevé de remplacer un général considéré comme royaliste, il est remplacé par le maréchal Pétain[15]. L'aide de camp de Pétain, Charles de Gaulle, reproche à son supérieur d'avoir accepté de succéder au résident général et rompt avec ce premier[17].

Presque tous les journaux français soutiennent les opĂ©rations visant Ă  rĂ©primer l'insurrection : « Il faut renforcer les effectifs, il faut de l’aviation, il faut intensifier notre action », affirme le Petit Journal. À gauche, L'HumanitĂ© s'y oppose cependant : « PĂ©tain et Primo de Rivera ont prĂ©parĂ© une liquidation aussi prompte et aussi complĂšte que possible de l’aventure rifaine. De beaux jours en perspective pour les bouchers Ă©toilĂ©s et les fabricants de munitions »[18].

La promotion 1924-1926 de l'École spĂ©ciale militaire de Saint-Cyr porte le nom de « Promotion du Rif ».

DĂ©faite rifaine

La montée en puissance française, sous-estimée par Abdelkrim, mÚne à la stabilisation du front en août 1925. Les Franco-Espagnols vont alors reprendre l'initiative[15].

En automne 1925, des négociations échouent à cause des exigences des colons européens.

Depuis plusieurs mois, Franco et le gĂ©nĂ©ral DĂĄmaso Berenguer ont prĂ©sentĂ© un plan de dĂ©barquement dans la baie d'Al HoceĂŻma. Le , le dĂ©barquement espagnol d'Al HoceĂŻma, premiĂšre opĂ©ration amphibie aĂ©ronavale de l'histoire, reçoit l'appui de l'artillerie d'une escadre franco-espagnole[19]. La route d'Ajdir est ouverte. Le Tercio Ă©tablit une tĂȘte de pont dans la nuit du et prend le les hauteurs du Djebel Amekran, nid d'aigle d'Abdelkrim.
Isolé des autres tribus rifaines et acculé sur le territoire des Aït Ouriaghel[15], Abdelkrim est contraint à la reddition, à Targuist le [20].

Abdelkrim captif

Abd el-Krim en couverture de Time le .

Abdelkrim est envoyĂ© en exil Ă  l'Ăźle de la RĂ©union en 1926, d'oĂč il s'Ă©vade vingt ans plus tard pour fuir en Égypte, oĂč il meurt en 1963.

Des opérations de police suffisent à briser les derniÚres dissidences des derniers montagnards rifains résistants.

Abdelkrim se plaignit à la Société des Nations de l'utilisation par les aviations espagnole et française de gaz moutarde sur les douars et les villages[21].

Conclusion

La tactique rifaine sera employĂ©e dans des conflits ultĂ©rieurs, aspirant cette fois Ă  servir non plus l'intĂ©rĂȘt d'un seul mais un intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral commun : l'indĂ©pendance d'une nation. Alberto Bayo enseignera aux Cubains ces techniques de guĂ©rilla : Che Guevara (Cuba), Mao Zedong (Chine) et HĂŽ Chi Minh (Vietnam) s'en inspireraient[22] - [23].

Le but de cette guerre pour les forces françaises était de conserver l'influence de la France sur son protectorat marocain mais aussi de soumettre les autochtones berbÚres à l'autorité arabe du « Sultan » Moulay Youssef, dont le troisiÚme fils est devenu, à l'indépendance du Maroc, le roi Mohammed V. De nombreuses opérations de l'armée française sont alors effectuées à la demande du Service des « affaires indigÚnes » (bureau de renseignement). Par ailleurs, l'échec relatif de Lyautey en 1925 signe la fin de son influence sur le Maroc et l'émergence de Pétain, plus implacable que son prédécesseur, et celle d'un autre géneral, Francisco Franco.

Notes et références

  1. Timeline for the Third Rif War (1920–25) Steven Thomas.
  2. « Les Aith Waryaghar du Rif marocain : une ethnographie et une histoire »
  3. David E. Omissi: Air Power and Colonial Control: The Royal Air Force, 1919–1939, Manchester University Press, 1990, (ISBN 0-7190-2960-0), page 188.
  4. Micheal Clodfelter: Warfare and armed conflicts: a statistical reference to casualty and other figures, 1500–2000, McFarland, 2002, (ISBN 0-7864-1204-6), page 398.
  5. (en) David S. Woolman, Rebels in the Rif: Abd El Krim and the Rif Rebellion, Stanford University Press, (ISBN 978-0-19-690376-7, lire en ligne)
  6. (en) Charles Edmund Richard Pennell, « A critical investigation of the opposition of the Rifi confederation led by Muhammed bin 'Abd al-Karim al-Khattabi to Spanish colonial expansion in northern Morocco, 1920-1925, and its political and social background », UniversitĂ© de Leeds (thĂšse),‎ (lire en ligne, consultĂ© le )
  7. (en) David M. Hart, The Aith Waryaghar of the Moroccan Rif: An Ethnography and History, U. of Arizona P., (ISBN 978-0-8357-5290-9, lire en ligne)
  8. Cyril B., « La guerre du Rif : un conflit mĂ©connu entre guerre coloniale et conflit de la DĂ©colonisation », La Revue d'Histoire Militaire,‎ (lire en ligne, consultĂ© le )
  9. Vincent Courcelle-Labrousse et Nicolas Marmié, La Guerre du Rif, Tallandier, (ISBN 979-10-210-0897-7, lire en ligne)
  10. voir Philippe Conrad (1997), p. 21
  11. Hidalgo, de Cisneros. Cambio de Rumbo, p. 193-7
  12. (en) Sebastian Balfour, Deadly Embrace: Morocco and the road to the Spanish Civil War, Oxford University Press, 2002 (ISBN 0-1992-5296-3), p. 142
  13. Simone Pesquies, « L'aĂ©ronautique militaire française dans la guerre du Rif », Revue du Nord, vol. 72, no 285,‎ , p. 317–367 (DOI 10.3406/rnord.1990.4530, lire en ligne, consultĂ© le )
  14. Mbark WanaĂŻm, « La France et Abdelkrim : de l’apaisement politique Ă  l’action militaire (1920-1926) », Cahiers de la MĂ©diterranĂ©e, no 85,‎ , p. 285–301 (ISSN 0395-9317, DOI 10.4000/cdlm.6780, lire en ligne, consultĂ© le )
  15. Fabien Laurençon-Bohnekamp, « Max Schiavon : La guerre du Rif - Un conflit colonial oubliĂ© (1925-1926) ; Éditions Pierre de Taillac, 2016 ; 352 pages: », Revue DĂ©fense Nationale, vol. N° 792, no 7,‎ , p. 192–194 (ISSN 2105-7508, DOI 10.3917/rdna.792.0192, lire en ligne, consultĂ© le )
  16. La guerre du Rif n'aura pas lieu, critique sur nonfiction.fr par Anne PĂ©dron
  17. Henry Rousso, Paule Muxel et Bertrand de Solliers, documentaire « Philippe Pétain » sur Arte, 2010
  18. Alain Ruscio, « Pétain, bourreau en chef du peuple marocain du Rif », sur L'Humanité,
  19. Julie d'Andurain, « Al Huceima (6-8 septembre 1925) : modĂšle de RETEX et premiĂšre opĂ©ration combinĂ©e de l’histoire », Lettre du RETEX-Recherche, no 25,‎ , p. 1-5
  20. voir Philippe Conrad (1997), p. 23-24
  21. Omar Mezoug, « Chronique du livre de Courcelle-Labrousse et Marmié », La guerre du Rif, Maroc 1921-1926, dans La Quinzaine littéraire no 973, , p. 26.
  22. (en) Mevliyar Er, « Abd-el-Krim al-Khattabi: The Unknown Mentor of Che Guevara », Terrorism and Political Violence, vol. 2, no 1,‎ , p. 137-159 (DOI 10.1080/09546553.2014.997355)
  23. Jean-Louis MiĂšge, « 'Abd el-Krim », EncyclopĂ©die berbĂšre, Aix-en-Provence, Edisud, vol. 1 « Abadir – Acridophagie »,‎ , p. 73-77 (lire en ligne).

Voir aussi

Bibliographie

Filmographie

Articles connexes

Liens externes

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