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CarriĂšre militaire de Francisco Franco au Maroc

La CarriÚre militaire de Francisco Franco au Maroc se déroula en deux étapes, d'abord entre 1912 et 1917 puis entre 1920 et 1926.

AprĂšs s'ĂȘtre fait remarquer dans les rangs des RĂ©guliers indigĂšnes et promu commandant dĂšs 1916, il participe Ă  la crĂ©ation de la LĂ©gion Ă©trangĂšre en 1920. C'est au terme de ces deux pĂ©riodes marocaines, entrecoupĂ©es d'une affectationde 3 ans Ă  Oviedo, qu'en reconnaissance du rĂŽle crucial qu'il a jouĂ© dans l’offensive d'Al Hoceima et de sa conduite ferme et rĂ©solue qu'il fut promu en fĂ©vrier 1926 gĂ©nĂ©ral de brigade, Ă  l’ñge de 33 ans, devenant alors le plus jeune gĂ©nĂ©ral d’Espagne et de toutes les armĂ©es d’Europe.

SynthĂšse

Au terme de sa formation militaire Ă  TolĂšde, l'enseigne Francisco Franco sollicita, et obtint finalement — aprĂšs un prĂ©lude d’une annĂ©e dans la garnison de Ferrol — son affectation au Maroc, oĂč les troupes espagnoles tentaient non sans peine d’occuper le territoire assignĂ© Ă  l’Espagne par le traitĂ© d’AlgĂ©siras de 1906, puis par l’accord entre Paris et Madrid signĂ© en 1912. La zone espagnole, la moins contrĂŽlable qui soit, grande d’à peine 5 % du protectorat, constituĂ©e essentiellement du Rif, alignait sur 300 kilomĂštres une succession de sommets coupĂ©s de cols impraticables et Ă©tait peuplĂ©e de tribus berbĂšres hostiles Ă  toute pĂ©nĂ©tration Ă©trangĂšre. C’était une affectation risquĂ©e (comme en tĂ©moigne le chiffre de 12 % de tuĂ©s parmi les camarades de promotion de Franco), mais c’en Ă©tait une aussi oĂč l’avancement pour mĂ©rites de guerre promettait une carriĂšre militaire rapide. Franco s’incorpora dans une armĂ©e espagnole dont l’équipement Ă©tait dĂ©ficient et surannĂ©, les troupes dĂ©motivĂ©es et le corps d’officiers peu compĂ©tent.

C’est au Maroc que Franco devint un adulte mĂ»r et forgea sa destinĂ©e personnelle — « sans l’Afrique, c’est Ă  peine si je pourrais m’expliquer Ă  moi-mĂȘme », devait-il dĂ©clarer plus tard. ConfrontĂ© aux turpitudes du milieu colonial et Ă  l’ñpretĂ© des rapports entre les hommes, Franco se forgea une carapace de froideur, d’impassibilitĂ©, d’indiffĂ©rence Ă  la douleur et de maĂźtrise de soi. Au cours des dix ans et demi qu’il passa au Maroc, sa bravoure, son sens du commandement et ses vertus martiales lui assurĂšrent une ascension fulgurante.

EmployĂ© d’abord, Ă  son arrivĂ©e en 1912, au sein des troupes ordinaires, dans un cycle continu de missions de reconnaissance, de protection des convois de ravitaillement et de surveillance des postes isolĂ©s, il demanda en avril 1913 Ă  rejoindre les rangs des RĂ©guliers indigĂšnes, unitĂ©s supplĂ©tives et troupes de choc qui se voyaient souvent confier les tĂąches les plus dangereuses. Pointilleux sur le rĂšglement, dont il faisait cependant une application honnĂȘte, il se signala par sa vaillance, sa sĂ©rĂ©nitĂ©, sa luciditĂ© sous la pression, son aptitude au commandement, sa tĂ©mĂ©ritĂ©, sa combativitĂ© et par le soin qu’il portait Ă  l’aspect logistique. Marchant au-devant du danger, il Ă©tait enveloppĂ© d’un halo d’invulnĂ©rabilitĂ© aux yeux des indigĂšnes, qui le croyaient dĂ©tenteur de la barakah, Ă  l’origine sans doute de son futur providentialisme.

GriĂšvement blessĂ© en mai 1916 lors de l’opĂ©ration d’El Bioutz, et aprĂšs avoir Ă©tĂ© Ă©levĂ© au grade de commandant, ce qui faisait de lui le commandant le plus jeune d’Espagne, il fut versĂ© en fĂ©vrier 1917 dans le rĂ©giment d’Oviedo, oĂč il fit la rencontre de sa future Ă©pouse. Ses fiançailles avec une jeune fille issue de la haute sociĂ©tĂ© asturienne lui permirent de doubler d’une promotion sociale ses avancements militaires. Il fit Ă©galement la connaissance de MillĂĄn-Astray, qu’il aida Ă  mettre sur pied en 1920 la LĂ©gion Ă©trangĂšre, qui allait bientĂŽt se signaler par sa discipline de fer, la brutalitĂ© des chĂątiments infligĂ©s Ă  la troupe et, sur le champ de bataille, par les cruautĂ©s commises Ă  l’encontre de l’ennemi vaincu ; cette mentalitĂ© prĂ©figure la duretĂ© et l’esprit de vengeance affichĂ©s par Franco pendant et aprĂšs la Guerre civile.

Au lendemain du dĂ©sastre d’Anoual, oĂč par l’impĂ©ritie de certains hauts gradĂ©s prĂšs de 10 000 soldats espagnols laissĂšrent la vie, Franco sut, comme commandant de la LĂ©gion, redresser la situation militaire et reconquĂ©rir en partie les positions perdues, ce qui lui valut un surcroĂźt de prestige dans l’armĂ©e et une grande popularitĂ© auprĂšs de la bourgeoisie et de la population espagnoles.

Il assura le bon dĂ©roulement des opĂ©rations de reconfiguration du dispositif de dĂ©fense espagnol dans le Rif, selon un redĂ©ploiement dĂ©cidĂ© par Primo de Rivera en vue d’une future offensive gĂ©nĂ©rale en synergie avec la France, dont l’étape clef sera le dĂ©barquement amphibie d’Al Hoceima de 1925. En reconnaissance du rĂŽle crucial jouĂ© par Franco dans ladite offensive et de la conduite ferme et rĂ©solue qui avait Ă©tĂ© la sienne, il fut promu en fĂ©vrier 1926 gĂ©nĂ©ral de brigade, Ă  l’ñge de 33 ans, devenant le plus jeune gĂ©nĂ©ral d’Espagne et de toutes les armĂ©es d’Europe. Il ne cessera de considĂ©rer que la prĂ©sence espagnole au Maroc faisait partie de la mission historique de l’Espagne.

Prélude : premiÚre affectation à Ferrol (1910-1912)

Franco en uniforme d’enseigne (1910).

Avant la PremiĂšre Guerre mondiale, les conflits coloniaux Ă©taient les seuls Ă  pouvoir offrir une expĂ©rience de combat aux jeunes officiers europĂ©ens, et, dans le cas de l’Espagne, le Maroc Ă©tait l’unique lieu, l’unique champ de bataille oĂč acquĂ©rir renommĂ©e et gloire ainsi qu’une promotion rapide pour mĂ©rites de guerre[1] - [2]. Le journaliste et Ă©crivain Luciano RincĂłn (alias Luis RamĂ­rez) remarqua avec sarcasme que le Maroc n’avait d’intĂ©rĂȘt que pour l’armĂ©e, comme tremplin de carriĂšre pour les jeunes officiers[3]. Franco avait donc, une fois sorti diplĂŽmĂ© de l’AcadĂ©mie de TolĂšde, et Ă  l’égal de tous ceux de sa promotion, d’abord demandĂ© une affectation au Maroc, mais une disposition lĂ©gislative rĂ©cente interdisait d’envoyer lĂ -bas les sous-lieutenants frais Ă©moulus. Pour beaucoup, ce ne fut que partie remise, car le Rif sera un tombeau pour nombre d’hommes de la 14e promotion : selon les calculs de BartolomĂ© Bennassar, 36, soit environ 12 %, seront tuĂ©s au Maroc, et le gĂ©nĂ©ral Rafael Casas de la Vega avance mĂȘme le chiffre de 44 ; 17 d’entre eux furent tuĂ©s entre 1911 et 1914, alors qu’ils n’étaient que sous-lieutenants ou lieutenants[4].

AprĂšs que sa requĂȘte d’une affectation en Afrique eut Ă©tĂ© rejetĂ©e en premiĂšre instance, non pas tant en raison de ses mĂ©diocres rĂ©sultats Ă  l’AcadĂ©mie militaire[1] mais plutĂŽt parce que, au regard de la loi, il n’entrait pas en ligne de compte pour un poste de combat au Maroc dans sa premiĂšre annĂ©e professionnelle, Franco sollicita et obtint d’ĂȘtre versĂ© comme sous-lieutenant au 8e rĂ©giment d’infanterie d’El Ferrol, pour ĂȘtre prĂšs de sa famille[5]. On accĂ©da Ă  sa demande et Franco passa donc deux annĂ©es dans sa ville natale, oĂč son amitiĂ© se resserra avec son cousin PacĂłn et avec Camilo Alonso Vega, qui resteront toujours fidĂšles Ă  ses cĂŽtĂ©s[6].

Ayant pris son service le , Franco ressentit trĂšs vite la monotonie de la vie de garnison, avec ses allers-retours entre la vieille caserne de Dolores et la maison familiale. Ses feuilles de service sont le fidĂšle reflet de cette mĂ©diocre existence de caserne — gardes, inspections, exercices convenus dans le cadre du service de semaine —, dont il ne pouvait rien attendre et qui ne comportait pas la moindre chance de parvenir Ă  quelque rĂ©putation[7]. Certes, ses supĂ©rieurs Ă  Ferrol s’étaient avisĂ©s que Franco connaissait son mĂ©tier, manifestait une capacitĂ© inhabituelle Ă  l’instruction et au commandement[5], et se montrait ponctuel et strict dans l’exĂ©cution de ses obligations professionnelles[7]. Surtout, il dĂ©couvrait qu’il avait grand plaisir Ă  commander les hommes, et exigeait d’eux un comportement irrĂ©prochable[8], tout en s’efforçant de ne pas commettre d’injustices. Aussi, en , au terme de sa premiĂšre annĂ©e, fut-il nommĂ© instructeur spĂ©cial des nouveaux caporaux, responsabilitĂ© qui Ă©tait prise trĂšs au sĂ©rieux[5]. D’autre part, il prenait grand soin de sa tenue et ne manquait pas une occasion de monter Ă  cheval, et de s’élever ainsi, fĂ»t-ce artificiellement, au-dessus des autres[7].

À Ferrol, il faisait montre d’une piĂ©tĂ© inhabituelle[6] : trĂšs proche de sa mĂšre, il la suivait dans ses exercices pieux, s’inscrivant notamment dans le groupe qui pratiquait l’adoration nocturne du SacrĂ©-CƓur[7]. Les biographes ne s’accordent pas sur la signification de ce dernier fait ; l’on ne sait s’il assistait Ă  ces cĂ©rĂ©monies par une authentique dĂ©votion ou simplement pour se plier aux dĂ©sirs de sa mĂšre bien-aimĂ©e. Le plus commun chez les jeunes militaires espagnols Ă©tait d’afficher peu de marques de religiositĂ©, et Franco, quoiqu'il se soit toujours affirmĂ© catholique apostolique romain, ne s'autorisa guĂšre pendant de longues annĂ©es Ă  laisser libre cours Ă  l’expression de ce sentiment[5]. BartolomĂ© Bennassar pour sa part estime :

« Faut-il y voir la naissance d’une ferveur religieuse intense ? J’en doute fort [
]. Au Maroc, un peu plus tard, Francisco Franco avait donnĂ© congĂ© Ă  sa piĂ©tĂ©. Les exercices spirituels du Ferrol, dans le contexte d’une annĂ©e sans objectif, furent une maniĂšre de signifier discrĂštement l’amour que le fils portait Ă  sa mĂšre[7]. »

Par ailleurs, il butinait quelques jeunes filles, composant Ă  leur intention des vers de mirliton dans la tradition espagnole[6].

En 1911, Franco, Alonso Vega et PacĂłn sollicitĂšrent une nouvelle fois leur envoi au Maroc, et firent cette fois appuyer leur demande par toutes les recommandations possibles, y compris celle du pĂšre de Franco, NicolĂĄs, qui voulut bien rĂ©diger une lettre de recommandation ; mais l’appui le plus important vint de l’ancien directeur de l’AcadĂ©mie de TolĂšde, le colonel JosĂ© Villalba Riquelme, Ă  qui l’on venait de confier le commandement du 68e rĂ©giment d’infanterie stationnĂ© Ă  Melilla et opĂ©rant dans la zone nord du Maroc, et qui obtint, aprĂšs amendement de la loi, le versement dans son rĂ©giment des trois jeunes officiers[9] - [5].

PremiÚre période en Afrique : les Réguliers indigÚnes (février 1912-janvier 1917)

« Mes annĂ©es en Afrique se prĂ©sentent Ă  mon esprit avec une force indĂ©niable. C’est lĂ  qu’est nĂ©e la possibilitĂ© de sauvetage de la grande Espagne. C’est lĂ  qu’a Ă©tĂ© fondĂ© l’idĂ©al qui aujourd’hui nous apporte ses fruits. Sans l’Afrique, je ne pourrais guĂšre m’expliquer Ă  moi-mĂȘme ce que je suis, ni m’expliquer pleinement mes compagnons d’armes. »

— Propos de Franco au journaliste Manuel Aznar Zubigaray, 1938[10].

C’est au Maroc que Franco devint un adulte mĂ»r et qu'il forgea sa destinĂ©e personnelle — « Sans l’Afrique, c’est Ă  peine si je pourrais m’expliquer Ă  moi-mĂȘme », dira-t-il[11]. Au cours des dix ans et demi qu’il passa au Maroc, sa bravoure, son sens du commandement et ses vertus martiales lui assurĂšrent une ascension rapide, jusqu’à atteindre, au bout d’une dizaines d’annĂ©es au Maroc, le grade de gĂ©nĂ©ral, faisant de lui le gĂ©nĂ©ral le plus jeune d’Europe Ă  cette Ă©poque[12] - [13]. Il allait acquĂ©rir une grande popularitĂ© dans la bourgeoisie espagnole et un prestige certain au sein de l’armĂ©e, ce qui lui valut, en dĂ©pit de sa jeunesse, de jouir d’un statut Ă  Ă©galitĂ© avec les gĂ©nĂ©raux les plus installĂ©s et d’ĂȘtre un des militaires ayant le plus grand ascendant auprĂšs de la population espagnole dans une Ă©poque clef de l’histoire du pays, la DeuxiĂšme RĂ©publique ; selon l’historien Stanley G. Payne, il rĂ©ussit Ă  devenir « la figure la plus prestigieuse de l’armĂ©e espagnole »[14].

La guerre d’Afrique eut pour consĂ©quence d’élargir encore la fracture entre armĂ©e et sociĂ©tĂ© civile : d’un cĂŽtĂ©, par le pacifisme croissant de la majoritĂ© de l’opinion publique, beaucoup d’officiers se voyaient confirmĂ©s dans leur opinion que l’Espagne ne pouvait pas ĂȘtre gouvernĂ©e par des civils[15], de l’autre, l’armĂ©e Ă©tait rejetĂ©e par les classes populaires, qui lui imputaient des milliers de morts, souvent des jeunes gens de familles humbles n’ayant pas Ă©tĂ© en mesure de s’acquitter de la « cote » (cuota) pour les exempter de service militaire[note 1]. Ce rejet fut Ă  l’origine de la Semaine tragique de 1909, et les protestations, perçues par l’armĂ©e comme antipatriotiques, gagneront encore en ampleur en 1911 devant l’intensification des campagnes militaires au Maroc[16].

Contexte historique

Quand Franco arriva en Afrique, il se vit entraĂźnĂ© dans un conflit oĂč s’entremĂȘlaient les intĂ©rĂȘts de l’Espagne, de la France et du Royaume-Uni principalement, et dans lequel l’Espagne s’engagea imprudemment, sous la pression d’une part d’une armĂ©e dĂ©sireuse de se dĂ©dommager des rĂ©centes dĂ©faites subies dans les colonies d’outremer, d’autre part d’une oligarchie financiĂšre ayant des intĂ©rĂȘts, essentiellement miniers, dans le Maghreb[note 2].

L’Espagne avait faussement cru, grĂące au pacte secret de 1904 conclu avec la France, que le nord du Maroc, avec FĂšs et Taza, lui avait Ă©tĂ© adjugĂ©[17]. La question du Maroc fut ensuite rĂ©glĂ©e le par la confĂ©rence internationale d’AlgĂ©siras, oĂč, estime AndrĂ©e Bachoud,

« les Espagnols, flattĂ©s d’ĂȘtre enfin associĂ©s Ă  une nĂ©gociation internationale aprĂšs tant d’annĂ©es d’isolement diplomatique, signent alors l’accord le plus nĂ©gatif qui leur ait Ă©tĂ© proposĂ© jusque-lĂ , car il confirme leur autoritĂ© au Maroc sur le territoire le moins contrĂŽlable qui soit : la chaĂźne du Rif, qui en constitue l’axe principal, aligne sur 300 kilomĂštres ses sommets coupĂ©s de cols impraticables. En outre, entre les deux versants sud et nord la communication est Ă  peu prĂšs impossible, sinon par le territoire français. Cette zone est par ailleurs peuplĂ©e de tribus berbĂšres hostiles depuis des siĂšcles Ă  toute pĂ©nĂ©tration Ă©trangĂšre[18]. »

La population dispersĂ©e du protectorat espagnol se composait principalement de Kabyles berbĂšres, accoutumĂ©s Ă  une vie dure et misĂ©rable, mais en mĂȘme temps extrĂȘmement rĂ©tifs et belliqueux, chez qui prĂ©dominait l’idĂ©al masculin du guerrier et pour qui la mort des ennemis Ă©tait un motif de fiertĂ©. Souvent, ils guerroyaient contre le sultan au sud, dont l’autoritĂ© Ă©tait acceptĂ©e tacitement, rarement imposĂ©e par la force. Dans la rĂ©gion orientale du Rif en particulier, les affrontements Ă©taient pour ainsi dire constants, mais la plupart des Kabyles Ă©taient fortement divisĂ©s et s’affrontaient entre eux. La zone avait de modestes ressources miniĂšres et son agriculture arriĂ©rĂ©e pouvait Ă  peine subvenir aux besoins de la population native, en considĂ©ration de quoi l’entreprise espagnole constituait un exemple probant de ce que l’on pourrait nommer l’impĂ©rialisme anti-Ă©conomique[19].

Le protectorat espagnol du Maroc.

En 1909, les Rifains attaquĂšrent les ouvriers qui construisaient la voie ferrĂ©e unissant Melilla aux mines de fer dont l’exploitation Ă©tait imminente. L’Espagne envoya des renforts, mais elle contrĂŽlait mal le terrain et manquait d’une base logistique. Ce fut l’origine du dĂ©sastre de Barranco del Lobo de , qui avait si fortement impressionnĂ© les cadets de TolĂšde. La rĂ©action espagnole, marquĂ©e par la victoire du Gurugu, avait permis d’étendre l’occupation de la zone cĂŽtiĂšre du cap de l’Eau jusqu’à la pointe Negri (Ă  une trentaine de kilomĂštres de Melilla). Mais Ă  partir de , le chef de la rĂ©sistance rifaine El Mizzian reprit ses opĂ©rations de guĂ©rilla, causant de lourdes pertes Ă  l’armĂ©e espagnole[20]. Dans la mĂ©tropole, la campagne de Melilla et l’exĂ©cution de l’anarchiste Francisco Ferrer avaient provoquĂ© une grave crise politique et dĂ©terminĂ© les anarchistes Ă  mener avec plus de mĂ©thode et d’unitĂ© leurs luttes dans les usines et dans les campagnes, fondant en 1910 un syndicat qui va se rĂ©vĂ©ler redoutable, la CNT. La France tenta d’exploiter la situation intĂ©rieure espagnole pour Ă©liminer l’Espagne du territoire marocain, en occupant Fez en , mais les Espagnols rĂ©pliquĂšrent en occupant peu aprĂšs Larache et El-Ksar[21]. En aoĂ»t, le prĂ©sident du Conseil JosĂ© Canalejas prit prĂ©texte d’une agression kabyle sur les bords du fleuve Kert pour donner mission Ă  un corps de troupes d’élargir les frontiĂšres de la zone espagnole, nouvelle campagne contre laquelle la population espagnole protesta par l’insurrection de l’[22].

En , le sultan du Maroc accepta officiellement l’instauration d’un protectorat français sur tout le pays, et en novembre, Paris et Madrid scellĂšrent l’accord formel qui cĂ©dait Ă  l’Espagne une certaine « zone d’influence », grande d’à peine 5 % du territoire, qui fut proclamĂ©e telle en , un an aprĂšs l’arrivĂ©e de Franco en Afrique. En rĂ©alitĂ©, le protectorat espagnol, territoire morcelĂ© et inhospitalier, dont le cƓur est le Rif, massif montagneux habitĂ© par des Kabyles en perpĂ©tuelle rĂ©volte contre le sultan et contre toute autoritĂ© Ă©trangĂšre, n’était qu’une zone cĂ©dĂ©e Ă  l’Espagne au sein de l’ensemble du Protectorat français du Maroc ; le plan s’inscrivait en effet dans la politique coloniale française qui recherchait la collaboration de l’Espagne pour contenir les Britanniques et faire Ă©chec Ă  toute tentative de pĂ©nĂ©tration de l’Allemagne[23] - [19]. Les Espagnols avaient le sentiment de n’avoir reçu que des miettes du gĂąteau marocain, et l’armĂ©e espagnole, qui allait payer trĂšs cher la mise en place du protectorat dans cette rĂ©gion, en conçut une frustration certaine. Franco, malgrĂ© l’admiration qu’il Ă©prouvait pour l’armĂ©e française pendant et aprĂšs la PremiĂšre Guerre mondiale, partageait ce sentiment, d’autant plus qu’il pointait du doigt la responsabilitĂ© de la France dans le dĂ©clenchement des rĂ©voltes rifaines[24].

La frĂ©quence des combats et les trĂšs lourdes pertes espagnoles infligĂ©es par les Rifains rĂ©voltĂ©s rendaient nĂ©cessaires un renouvellement constant des cadres et la mise Ă  contribution des jeunes officiers[25]. Par son engagement au Maroc, Franco fut amenĂ© Ă  faire partie de la caste dite africaniste, surgie au-dedans d’une autre caste, la caste militaire. En Afrique, des milliers de soldats et des centaines d’officiers avaient dĂ©jĂ  pĂ©ri ; c’était une affectation risquĂ©e, mais c’en Ă©tait aussi une oĂč la politique d’avancement pour mĂ©rites de guerre permettait de mener une carriĂšre militaire rapide. Franco s’incorpora dans une armĂ©e espagnole dont l’équipement Ă©tait dĂ©ficient et surannĂ©, les troupes dĂ©motivĂ©es et le corps d’officiers peu compĂ©tent, ces derniers se contentant de rĂ©pĂ©ter les tactiques qui avaient dĂ©jĂ  Ă©chouĂ© dans les guerres coloniales antĂ©rieures[10].

Arrivée à Melilla

Le , Franco dĂ©barqua Ă  Melilla en compagnie de Camilo Alonso Vega, camarade de promotion, et de son cousin PacĂłn, et fut versĂ© dans le rĂ©giment d’Afrique no 68 que commandait Villalba Riquelme, son ancien colonel de l’AcadĂ©mie d’infanterie. Ses premiers engagements en Afrique furent des opĂ©rations routiniĂšres, consistant notamment Ă  entretenir le contact entre plusieurs fortins ou Ă  assurer la protection des mines de Bni Bou Ifrour. Il fut ainsi engagĂ© dans le cycle ininterrompu des missions de reconnaissance et de protection des convois de ravitaillement et de surveillance des postes isolĂ©s, missions se situant dans le cadre Ă©triquĂ© d’une dĂ©fense de territoire et de la nĂ©cessitĂ© de tenir quelques points stratĂ©giques[26]. NĂ©anmoins, pour Franco et ses compagnons d’armes, qui apprirent d’emblĂ©e les rudiments de la guerre au Maroc[27], tout cela prenait des allures d’épopĂ©e, en plus de constituer un beau tremplin pour les militaires soucieux de faire carriĂšre. Ils y trouvaient une guerre Ă  la mesure de leur vision du monde, et tous vĂ©curent avec la mĂȘme emphase cet univers colonial[23].

Franco et ses compagnons avaient Ă©tĂ© nommĂ©s comme surnumĂ©raires (« excedentes ») Ă  la disposition du capitaine gĂ©nĂ©ral du Maroc. Cette qualification de surnumĂ©raire n’était, selon BartolomĂ© Bennassar, « que le masque de la tragĂ©die Ă  laquelle Ă©taient destinĂ©s les jeunes officiers de l’infanterie espagnole » ; les pertes pour faits de guerre Ă©taient alors si nombreuses que des brĂšches continuelles se creusaient dans les unitĂ©s, qu’il fallait bien combler. Statistiques Ă  l’appui, l’historien Ricardo de la Cierva affirme que les chances de survie d’un jeune officier dans la guerre du Rif Ă©tait alors de moins de 20 %[28].

Melilla Ă©tait alors une ville de bazars, de tripots, de lupanars, et la plaque tournante de tous les trafics, y compris la vente clandestine d’armes, d’équipements ou de denrĂ©es alimentaires aux insurgĂ©s kabyles, et le dĂ©tournement par certains officiers d’intendance d’une partie des sommes allouĂ©es pour la nourriture des soldats, tous trafics dans lesquels Franco certes se gardait de tremper[19] - [29] - [25]. D’ailleurs, l’armĂ©e que vint rejoindre Franco en 1912 Ă©tait pauvrement armĂ©e et Ă©quipĂ©e, avait une organisation dĂ©plorable et Ă©tait fort mal dirigĂ©e. La nourriture et les provisions Ă©taient de mauvaise qualitĂ©, l’eau potable Ă©tait douteuse, et l’assistance mĂ©dicale trĂšs dĂ©ficiente. L’armĂ©e du protectorat Ă©tait dĂ©cimĂ©e par les maladies dues Ă  des carences et les dĂ©faillances de l’hygiĂšne, c’est-Ă -dire par le scorbut, la dysenterie, le tuberculose, le typhus et les affections dentaires. La plupart des officiers Ă©taient mĂ©diocres, et bon nombre d’entre eux corrompus[30] - [19]. ConfrontĂ© aux turpitudes du milieu et Ă  la duretĂ© des rapports entre les hommes, Franco se forgea jour aprĂšs jour une carapace de froideur, d’impassibilitĂ©, d’indiffĂ©rence Ă  la douleur et de maĂźtrise de soi. Cependant, la rĂ©vĂ©lation de la guerre fut pour Franco bien plus un bonheur qu’une souffrance et, comme il le reconnut sans ambages devant de nombreux journalistes, il se sentit heureux au Maroc[31].

AffectĂ© Ă  son rĂ©giment en qualitĂ© d’adjoint (agregado), il rejoignit le le campement de Tifasor, poste avancĂ© sous les ordres du colonel Villalba Riquelme. Tifasor Ă©tait trĂšs proche d’une zone peu sĂ»re, la vallĂ©e du fleuve Kert, Ă  l’ouest de Melilla, dans la zone orientale du protectorat, oĂč sĂ©vissaient, par les Ɠuvres du redoutable AmĂ©ziane (El Mizzian pour les Espagnols)[32], chef local ayant dĂ©clarĂ© la guerre sainte contre la prĂ©sence espagnole, des hostilitĂ©s intermittentes depuis 1908[33]. Le , Ă  la suite de l’attaque contre une patrouille de police indigĂšne, le gĂ©nĂ©ral Aizpuru dĂ©cida une contre-attaque obligeant les Rifains Ă  abandonner leurs positions et Ă  se retirer vers l’ouest, sur l’autre rive du Kert. C’est alors que Franco reçut le baptĂȘme du feu, quand la petite colonne de reconnaissance dont il avait le commandement pĂ©nĂ©tra en territoire hostile et devint la cible de tirs nourris de la part des rebelles. L’opĂ©ration cependant fut un succĂšs et le jeune Franco, dont la section avait tenu sous le feu, en Ă©prouva une vive satisfaction[32] - [27]. Quatre jours plus tard, le rĂ©giment de Franco prit part Ă  une opĂ©ration de plus grande envergure destinĂ©e Ă  consolider la rive droite du Kert et impliquant le mouvement de six colonnes, avec au total 11 000 hommes, de la cavalerie et vingt canons. Les troupes espagnoles, aucunement prĂ©parĂ©es Ă  la guerre de guĂ©rilla et ne disposant mĂȘme pas de cartes, tombĂšrent dans des embuscades, avec d’importantes pertes, sans obtenir rien de significatif[33] - [32].

Ensuite, Franco prit une part active Ă  la conquĂȘte de la position de Sammar, puis Ă  sa fortification, opĂ©ration qui se prolongea sur prĂšs de deux mois. Le , le bataillon de Franco fut expĂ©diĂ© Ă  Ras MĂ©doua, poste avancĂ© qui avait Ă©tĂ© occupĂ© en mai 1911 et d’oĂč les troupes espagnoles lançaient leurs incursions sur la rive gauche du Kert. Le , il fit partie de la force de soutien commandĂ©e par Villalba Riquelme qui devait empĂȘcher les rebelles de prĂȘter main-forte aux hommes d’El Mizzian retranchĂ©s dans le village d’Al-Lal-Kaddour. Le gĂ©nĂ©ral Navarro parvint Ă  cerner les rebelles, et El Mizzian, pourtant rĂ©putĂ© invulnĂ©rable, fut tuĂ© sur son cheval et sa troupe dĂ©truite. Dans cette opĂ©ration, les RĂ©guliers indigĂšnes avaient constituĂ© l’avant-garde et tenu le rĂŽle principal, et deux lieutenants de cette unitĂ©, tous deux blessĂ©s, Miguel NĂșñez de Prado et Emilio Mola, furent Ă©levĂ©s au grade de capitaine. ImpressionnĂ©, Franco rĂ©solut de solliciter en , Ă  la faveur d’une vacance de poste, une place de lieutenant dans les forces rĂ©guliĂšres indigĂšnes[34]. Le de cette mĂȘme annĂ©e, Franco fut promu lieutenant en premier, alors qu’il n’avait que 19 ans, unique fois du reste oĂč il monta en grade par le seul effet de l’anciennetĂ©[35], et reçut le sa premiĂšre dĂ©coration militaire, la croix de premiĂšre classe du MĂ©rite militaire[36].

À la NoĂ«l de 1912, Franco bĂ©nĂ©ficia d’une permission, lui donnant la possibilitĂ© de participer Ă  l’intense vie mondaine que connaissait alors la sociĂ©tĂ© militaire de Melilla, avec rĂ©ceptions et asaltos (sorte de soirĂ©es dansantes) au casino militaire, frĂ©quentĂ©s par les jeunes filles de la sociĂ©tĂ© militaire qui n’avaient pas encore de fiancĂ© formel, et oĂč les jeunes officiers prĂ©paraient secrĂštement leur avenir, promotions et mariages marchant en effet de concert, tout cela dans le respect tacite de la hiĂ©rarchie[37]. Pendant cinq mois, tirant parti de la pĂ©riode de paix qui avait fait suite Ă  la campagne du Kert et Ă  la mort d’El Mizzian, Franco fit de frĂ©quents va-et-vient entre le poste d’Al-Laten, oĂč il avait Ă©tĂ© affectĂ© dĂ©but , et Melilla, oĂč l’attirait la jeune fille qu’il avait rencontrĂ©e lors des fĂȘtes de NoĂ«l, le premier et l’un des rares amours de sa vie, SofĂ­a SubirĂĄn, alors ĂągĂ©e de 15 ans, fille du colonel SubirĂĄn, lui-mĂȘme beau-frĂšre et aide de camp du haut-commissaire, le gĂ©nĂ©ral Aizpuru[38] - [27] - [35]. Franco courtisa la jeune fille avec persĂ©vĂ©rance pendant six mois, cherchant Ă  Ă©tablir des relations sĂ©rieuses, susceptibles de conduire Ă  des accordailles officielles[39]. SofĂ­a Ă©tant la fille d’un colonel, beau-frĂšre de la plus haute autoritĂ© militaire du protectorat, l’ambition sociale Ă©tait chez Franco, comme le remarque BartolomĂ© Bennassar, « du mĂȘme cĂŽtĂ© que son cƓur »[40]. En 1978, face Ă  un journaliste, SofĂ­a se souvenait :

« Il Ă©tait fin, trĂšs fin. AttentionnĂ©, un vrai gentilhomme. S’il se fĂąchait, il manifestait un peu d’humeur, mais avec finesse. Il avait bon caractĂšre et Ă©tait trĂšs aimable. [
] Avec moi, il Ă©tait exagĂ©rĂ©ment prĂ©venant, parfois mĂȘme il me fatiguait. Il me traitait comme une grande personne, alors que je n’étais guĂšre qu’une enfant. [
] Non, il ne racontait pas de plaisanteries et il faisait encore moins de mots d’esprit. Il n’était pas trĂšs spirituel. Je crois qu’il Ă©tait trop sĂ©rieux pour son Ăąge[41]. »

Franco cependant se refusait Ă  danser, prĂ©fĂ©rant de longues conversations « ennuyeuses » et la rĂ©daction d’une abondante correspondance, souvent Ă  sens unique[42]. En effet, du au , Paquito lui envoya un nombre impressionnant de cartes postales (une bonne centaine, dont elle garda 32) et de lettres (beaucoup plus intimes, au nombre de deux centaines)[43]. AprĂšs que Franco eut Ă©pousĂ© Carmen Polo, SofĂ­a dĂ©cida dans les annĂ©es 1960 de dĂ©truire ces courriers, sauf les cartes postales (qui furent publiĂ©es en 1978), ainsi que les nombreuses photos la montrant en compagnie de Franco[44] - [45]. Les missives de Franco restĂšrent tout Ă  fait sans rĂ©ponse Ă  partir du , signe que sa tentative de conquĂȘte avait Ă©chouĂ©[43] - [note 3].

Officier dans les RĂ©guliers

À sa demande, le , Franco fut affectĂ© au rĂ©giment des Forces rĂ©guliĂšres indigĂšnes, unitĂ© de choc de l’armĂ©e espagnole, formĂ©e de fraĂźche date sur le modĂšle français par le gĂ©nĂ©ral DĂĄmaso Berenguer et composĂ©e de mercenaires maures, dont au dĂ©but un bon nombre Ă©taient AlgĂ©riens. En 1913, les RĂ©guliers constituaient un corps encore expĂ©rimental, mais avaient dĂ©jĂ  acquis, par leur bravoure et leur endurance, et par leurs succĂšs et leur efficacitĂ© dans les opĂ©rations contre El Mizzian, une grande renommĂ©e et se voyaient confier rĂ©guliĂšrement les tĂąches les plus dangereuses[46] - [47] - [48].

Franco quitta le camp d’Al-Laten pour Sebt, poste proche de Nador, Ă  l’extrĂ©mitĂ© orientale du protectorat, oĂč se trouvaient stationnĂ©es les seules forces indigĂšnes que possĂ©dait alors l’armĂ©e espagnole. Attendu que le parvint Ă  Sebt un ordre urgent enjoignant aux RĂ©guliers de s’embarquer Ă  Melilla pour Ceuta, puis pour la petite ville de TĂ©touan, devenue capitale du Protectorat, dans la partie occidentale du protectorat, qui Ă©tait Ă  ce moment le thĂ©Ăątre principal des hostilitĂ©s, Paquito disposa donc au maximum d’un mois pour s’adapter Ă  son nouveau corps, oĂč, parmi ses supĂ©rieurs hiĂ©rarchiques, figuraient DĂĄmaso Berenguer, Emilio Mola et JosĂ© Sanjurjo[49] - [48].

En 1914, quelques mois aprĂšs l’arrivĂ©e de Franco, l’un de ses premiers officiers, cette nouvelle force, organisĂ©e dĂ©sormais de maniĂšre formelle, se composait de quatre unitĂ©s, formĂ©es chacune de trois tabors, deux d’infanterie et un de cavalerie (l’effectif d’un tabor Ă©tait proche de celui du bataillon). Il s’agissait de forces permanentes qui allaient ĂȘtre employĂ©es rĂ©guliĂšrement comme troupes de choc[46]. La solde de ces soldats Ă©tait inhabituellement Ă©levĂ©e pour attirer les recrues et dĂ©courager les dĂ©sertions[50]. Le commandement espagnol prit l’habitude d’engager les nouvelles troupes indigĂšnes dans plusieurs colonnes diffĂ©rentes, afin d’en tirer le meilleur profit, ce qui aura pour effet une prĂ©sence continuelle au feu des officiers qui commandaient ces troupes, dont Franco[51].

Seuls les meilleurs officiers Ă©taient choisis pour commander les RĂ©guliers. Franco, par ses actions en 1912, avait dĂ©montrĂ© savoir garder la tĂȘte froide et mener ses hommes sous le feu ennemi. Il possĂ©dait les principales qualitĂ©s : vaillance, sĂ©rĂ©nitĂ©, luciditĂ© sous la pression, et aptitude au commandement[52]. Certes, Il n’y avait pas lieu pour lui de dĂ©velopper une stratĂ©gie pointue ni des tactiques de guerre trĂšs Ă©laborĂ©es, compĂ©tences qui du reste ne s’apprenaient pas alors pendant la formation dans les acadĂ©mies militaires espagnoles et n’étaient guĂšre utiles dans sa trajectoire militaire du moment, les Rifains n’étant pas stratĂšges ni des Ă©rudits des tactiques de combat modernes. La mission des RĂ©guliers consistait Ă  mettre un coup d’arrĂȘt au bellicisme des Rifains, qui, coutumiers de razias entre tribus et contre les occupants du moment, mettaient leur vie en jeu dans ces combats[53].

Les tribus du Nord menaient sans cesse des coups de main, embuscades, attaques surprise, etc. et les RĂ©guliers Ă©taient en permanence sur la brĂšche. Pendant trois ans, le lieutenant Franco contribua Ă  pacifier la zone entre Ceuta et TĂ©touan, en servant constamment en premiĂšre ligne et en participant Ă  bon nombre d’opĂ©rations, la plupart sans grande ampleur mais souvent pĂ©rilleuses ; pendant le seul mois de , Franco prit part ainsi Ă  quatre opĂ©rations importantes[54]. Prouvant qu’il savait oĂč concentrer le feu pendant le combat et qu’il avait le talent de garantir le ravitaillement, Franco attira l’attention de ses supĂ©rieurs. S’il passait pour un ordonnanciste, un puriste des rĂšgles, ses hommes de troupe indigĂšnes le respectaient pour sa bravoure et pour l’application honnĂȘte qu’il faisait du rĂšglement militaire. Ainsi gagna-t-il leur reconnaissance, quoiqu’il fĂ»t trĂšs exigeant et fort peu aimable[55]. Il s’efforçait d’instaurer une discipline de fer, et fut implacable face Ă  l’insubordination [note 4], mais vivait personnellement sous le mĂȘme code que ses hommes. Ainsi gagna-t-il leur reconnaissance, quoiqu’il fĂ»t trĂšs exigeant et fort peu aimable[56]. D’autre part, si on ne lui connaissait aucune prĂ©occupation intellectuelle, il montra au contraire un grand intĂ©rĂȘt Ă  se former en tout ce qui touchait Ă  sa profession de soldat. Il tendait Ă  s’isoler de ses compagnons, occupant ses loisirs Ă  lire des traitĂ©s militaires.

Pour sĂ©curiser TĂ©touan, les Espagnols avaient Ă©tabli une ligne de fortins entre TĂ©touan, RĂ­o MartĂ­n et LauciĂ©n. L’opĂ©ration du , qui avait pour but de renforcer la position au sud de RĂ­o MartĂ­n, tourna au drame quand une des compagnies subit l’attaque d’un dĂ©tachement rebelle. Le capitaine Ángel Izarduy pĂ©rit dans l’attaque, et pour rĂ©cupĂ©rer le corps, une compagnie fut dĂ©pĂȘchĂ©e, qu’une section de la 1re compagnie de RĂ©guliers, sous les ordres de Franco, devait couvrir de son feu nourri. Franco s’acquitta parfaitement de cette mission, et le communiquĂ© qui rendait compte de cette opĂ©ration signala expressĂ©ment le rĂŽle et le nom de Franco[57]. Le , il se vit dĂ©cerner la croix de l’Ordre du mĂ©rite militaire de premiĂšre classe en rĂ©compense de sa victoire dans le combat le prĂ©cĂ©dent, et le , fut promu capitaine en considĂ©ration de sa vaillance lors de la bataille de Beni Salem (TĂ©touan)[58].

Franco prit part Ă  plusieurs actions dans le courant de l’annĂ©e 1914, et en 18 mois, il Ă©tait devenu un officier Ă  part entiĂšre et avait acquis une compĂ©tence remarquable dans l’efficacitĂ© du feu, mais aussi dans la mise en place de supports logistiques[59], grĂące au soin qu’il mettait Ă  assurer le ravitaillement de sa troupe, au sein d’une armĂ©e qui nĂ©gligeait totalement cet aspect ; en Afrique, Ă  l’instar des guerres coloniales antĂ©rieures, il survenait plus de morts par suite de maladies que dans les affrontements armĂ©s[53].

En , il joua un rĂŽle notable dans l’opĂ©ration contre Beni Hosman, au sud de TĂ©touan, oĂč il s’agissait d’assurer la protection de douars attaquĂ©s et rançonnĂ©s par les rebelles de Ben Karrich, au moyen d'expĂ©ditions punitives contre tel sommet signalĂ©, dont les rebelles furent alors expulsĂ©s aprĂšs avoir subi de lourdes pertes. Le communiquĂ© rĂ©serva une mention spĂ©ciale au lieutenant Franco, dont les qualitĂ©s furent reconnues par ses chefs, notamment le gĂ©nĂ©ral Berenguer. En , Ă  l’ñge de 23 ans, il fut Ă©levĂ© au grade de capitaine pour « mĂ©rites de guerre », ce qui faisait de lui le plus jeune capitaine de l’armĂ©e espagnole[60] - [61]. Franco Ă©tait dĂ©jĂ  un officier rigoureux, d’une conscience professionnelle irrĂ©prochable, pour qui le respect de la discipline Ă©tait un absolu[62], et qui faisait montre de capacitĂ© tactique[61]. Dans les combats, il se distinguait par sa tĂ©mĂ©ritĂ© et sa combativitĂ©, montrait de l’enthousiasme pour les charges Ă  la baĂŻonnette destinĂ©es Ă  dĂ©moraliser l’ennemi[63], et prenait sur lui de grands risques en dirigeant les avancĂ©es de son unitĂ©. En outre, les unitĂ©s sous son commandement ayant excellĂ© par leur discipline et leur mouvement ordonnĂ©, il s’acquit « une rĂ©putation d’officier mĂ©ticuleux et bien prĂ©parĂ©, intĂ©ressĂ© par la logistique, attentif Ă  Ă©tablir des cartes et Ă  garantir la sĂ©curitĂ© du campement »[64].

Franco s’avisa que les commandants n’obtenaient le respect de la troupe que s’ils faisaient eux-mĂȘmes preuve de bravoure, et que le nombre Ă©levĂ© de dĂ©sertions, voire de mutineries, Ă©taient en rapport Ă©troit avec l’échec des opĂ©rations, la dĂ©faite ou la retraite. Sur le champ de bataille, Franco ne reculait donc jamais et conduisait ses hommes Ă  la victoire quoi qu’il en coĂ»te, parce qu’il savait que la dĂ©faite ou la retraite les fera dĂ©serter ou se retourner contre lui[65].

Franco paraissait se revigorer sous l’effet d’une vie et d’une mission normalement dĂ©moralisantes, auxquelles la plupart des autres officiers cherchaient Ă  se soustraire chaque fois qu’ils pouvaient[66]. Par ailleurs, dĂšs cette Ă©poque, il fit preuve d’un caractĂšre imperturbable et hermĂ©tique, qu’on lui connaĂźtra ensuite durant toute sa vie[67].

À la fin de l’annĂ©e 1915, il jouissait dĂ©jĂ  d’une rĂ©putation exceptionnelle parmi les Rifains. Il Ă©tait enveloppĂ© d’un halo d’invulnĂ©rabilitĂ© aux yeux des indigĂšnes, qui le croyaient dĂ©tenteur de la barakah ; paraissant dĂ©daigner toute prĂ©caution, il marchait Ă  l’avant de ses hommes sans tourner la tĂȘte[68] - [69], et c’était aussi en maniĂšre de dĂ©fi qu’il porta, dĂšs qu’il fut habilitĂ© Ă  diriger Ă  cheval ses hommes, son choix sur un cheval blanc, qui faisait de lui une cible facilement repĂ©rable[60] - [70]. Des membres de sa troupe en vinrent Ă  dĂ©clarer qu’avec Franco au commandement, on ne perdait pas les batailles, et que lui-mĂȘme sortait toujours indemne des escarmouches[60] - [66]. Il est Ă  noter qu’à la fin de l’annĂ©e 1915, sur les 42 gradĂ©s qui s'Ă©taient portĂ©s volontaires pour servir dans les forces rĂ©guliĂšres indigĂšnes de Melilla en 1911 et 1912, seuls sept Ă©taient encore indemnes, dont Franco[62] - [71] - [60] - [72]. Sans doute cette expĂ©rience fut-elle Ă  l’origine de ce qui deviendra plus tard son providentialisme, c’est-Ă -dire sa conviction non seulement que tout Ă©tait entre les mains de Dieu, mais aussi qu’il avait Ă©tĂ© Ă©lu par la divinitĂ© pour accomplir un dessein spĂ©cial[73] - [74].

Au cours des annĂ©es 1912-1915, si l’emprise espagnole sur le protectorat restait limitĂ©e, elle s’était cependant accrue par la crĂ©ation de poches de sĂ©curitĂ© autour des villes importantes — TĂ©touan, Melilla, Ceuta, Larache —, autour des mines de fer proches de Nador, et le long du chemin de fer qui les desservait, encore que la rĂ©gion de Larache soit demeurĂ©e peu sĂ»re. Au cours des annĂ©es 1912-1915, la politique du gouvernement espagnol visant dĂ©sormais Ă  Ă©viter tout conflit, des pourparlers secrets furent engagĂ©s avec les caciques locaux, qui aboutirent Ă  un accord avec le chef rebelle El RaĂŻssouni, que celui-ci respectera tout au long de la PremiĂšre Guerre mondiale[75]. En dĂ©pit des actions allemandes de sabotage et de fourniture d’armes aux rebelles de la zone française, parfois avec l’aide d’officiers espagnols pro-allemands, une paix quasi-totale rĂ©gna dans la partie occidentale du protectorat Ă  partir d’ et jusqu’en avril de l’annĂ©e suivante[75] - [76].

Blessure Ă  El Bioutz et convalescence Ă  Ferrol

En , le gĂ©nĂ©ral Berenguer confia Ă  Franco l’organisation d’une nouvelle compagnie, puis le , Franco s’étant s’acquittĂ© avec grande diligence de cette mission, lui en donna le commandement[77]. Franco prit part avec son rĂ©giment Ă  une sĂ©rie d’accrochages prĂšs de Larache. Significativement, les officiers de sa nouvelle unitĂ© le choisirent pour trĂ©sorier de leur bataillon, fait notable compte tenu des abus qui se produisaient dans les autres unitĂ©s[56].

Au printemps de 1916, le calme relatif prit fin avec la rĂ©bellion de la puissante cabila d’Anjra, position partiellement fortifiĂ©e sise sur la colline El Bioutz, dans le nord-ouest du Protectorat, entre Ceuta et Tanger[56]. TrĂšs proche de la cĂŽte, ce foyer rebelle, actif et puissant, financĂ© par les services secrets allemands, menaçait la zone internationale de Tanger et s’efforçait d'isoler Ceuta[78]. L’opĂ©ration contre Anjra, la plus vaste jamais lancĂ©e par les autoritĂ©s espagnoles, conçue d’un commun accord entre le gĂ©nĂ©ral Jordana et RaĂŻssouni en , consista Ă  faire avancer trois colonnes vers un mĂȘme point et mettait en jeu des forces d’une importance exceptionnelle ; le corps de troupe du gĂ©nĂ©ral Milans del Bosch, qui se rapporte directement Ă  Franco et qui faisait partie de la colonne principale, comportait Ă  lui seul un effectif de prĂšs de 10 000 hommes espagnols, en plus des RĂ©guliers[78] - [56]. En face, les insurgĂ©s disposaient d’une puissance de feu plus grande que d’ordinaire, y compris plusieurs mitrailleuses. Les troupes espagnoles se retrouvĂšrent bientĂŽt devant Anjra et le tabor dont faisait partie Franco reçut l’ordre d’attaquer, ce qu'il fit avec dĂ©termination[56]. En dĂ©pit du feu ennemi intense, le tabor atteignit la premiĂšre tranchĂ©e et, luttant au corps Ă  corps, rĂ©ussit Ă  s’en emparer[79]. Cependant, dans le combat pour enlever cette position, les deux premiĂšres compagnies furent dĂ©capitĂ©es aussitĂŽt, et le commandant du tabor de Franco fut tuĂ©. PrĂȘchant l’exemple, Franco se saisit du fusil d’un des soldats tuĂ©s Ă  ses cĂŽtĂ©s, quand il fut atteint Ă  son tour d’une balle Ă  l’abdomen. Cependant l’élan n’en fut pas brisĂ© et les objectifs fixĂ©s furent atteints, mais au prix de trĂšs lourdes pertes pour la 3e compagnie : 56 hommes tuĂ©s ou blessĂ©s sur les 133, et la perte de la majeure partie des officiers. Franco, malgrĂ© la gravitĂ© de sa blessure, eut encore la prĂ©sence d’esprit de confier Ă  l’un de ses compagnons les 20 000 pesetas destinĂ©es Ă  la solde des hommes et dont il Ă©tait porteur[80].

La balle avait traversĂ© le ventre de Franco, frĂŽlĂ© le foie, et Ă©tait ressortie dans le dos, provoquant une forte hĂ©morragie. Franco fut emmenĂ© Ă  l’infirmerie de campagne, avec onze autres blessĂ©s, jugĂ©s comme lui intransportables et dont sept devaient perdre la vie. Franco ne put ĂȘtre transportĂ© sur l’hĂŽpital militaire de Ceuta que seize jours plus tard, le [81] - [82] - [83].

Le communiquĂ© du tabor prĂ©cisa qu’il s’était distinguĂ© par « son incomparable courage, les dons de commandement et l’énergie qu’il avait dĂ©ployĂ©e dans ce combat »[81] - [82]. Un tĂ©lĂ©gramme du Ă©manant du ministĂšre de la Guerre faisait parvenir au capitaine Franco les fĂ©licitations du gouvernement et des deux Chambres. Il fut proposĂ© pour la fameuse Laureada (croix laurĂ©e) de l’ordre de Saint-Ferdinand, mais aprĂšs examen par la commission, elle ne lui fut pas dĂ©cernĂ©e[84]. Le ministĂšre de la Guerre justifia sa dĂ©cision par le nombre Ă©levĂ© de pertes (nonobstant que ce ne fĂ»t pas Franco, mais ses supĂ©rieurs qui avaient donnĂ© l’ordre de l’assaut frontal) et par le fait que Franco s’était trouvĂ© hors de combat trĂšs tĂŽt, c’est-Ă -dire sans avoir pu participer Ă  la phase dĂ©cisive[85]. Plusieurs annĂ©es plus tard, une fois gagnĂ©e la Guerre civile, et lui-mĂȘme proclamĂ© Caudillo de España, il se dĂ©cernera la Laureada lui-mĂȘme[86]. Pour l'heure, Franco s’adressa Ă  toutes les autoritĂ©s, y compris directement au roi Alphonse XIII, pour solliciter, en lieu et place de cette dĂ©coration, la promotion au grade supĂ©rieur, qui dans un premier temps avait Ă©tĂ© Ă©cartĂ©e Ă  cause de son jeune Ăąge. GrĂące Ă  l’avis favorable du gĂ©nĂ©ral Berenguer, Franco rĂ©ussit Ă  faire accepter sa requĂȘte, et le fut nommĂ© commandant, ce qui faisait de lui le commandant le plus jeune d’Espagne[87].

À l’hĂŽpital de Ceuta, il reçut la visite de ses parents, qui avaient sur-le-champ effectuĂ© le voyage et se retrouvaient rĂ©unis pour la premiĂšre et derniĂšre fois depuis leur sĂ©paration de 1907. La convalescence se poursuivit dans de bonnes conditions, et le , Franco put s’embarquer Ă  Ceuta pour Ferrol, oĂč il alla passer les deux mois de permission qui lui avaient Ă©tĂ© accordĂ©s et qui seront prolongĂ©s de quelques semaines[88] - [82]. Il rĂ©intĂ©gra son corps de RĂ©guliers Ă  TĂ©touan le pour y prendre le commandement d’une compagnie, mais n’exerça que trĂšs briĂšvement cette fonction, car, en l’absence de poste vacant pour un commandant chez les RĂ©guliers, il quitta le Maroc Ă  la fin de , pour se voir affectĂ© comme commandant d’infanterie au 3e rĂ©giment du Prince, en garnison Ă  Oviedo[89] - [60].

IntermĂšde Ă  Oviedo (1917-1920)

Mariage de Franco et Carmen Polo, Oviedo, 22 octobre 1923.

Vie de garnison

Pendant les trois annĂ©es oĂč Franco Ă©tait en poste Ă  Oviedo, un affrontement commença Ă  se faire jour au sein des forces armĂ©es espagnoles entre pĂ©ninsulaires et africanistes. Les premiers considĂ©raient abusifs les avancements pour mĂ©rites de guerre et dĂ©nonçaient le favoritisme dont ferait montre le roi envers les africanistes ; fort critiques quant Ă  la profusion des dĂ©corations, des rĂ©compenses en mĂ©tallique et des montĂ©es en grade au bĂ©nĂ©fice des camarades faisant du service en Afrique du Nord, ils s’étaient regroupĂ©s dans les dĂ©nommĂ©es Juntes de dĂ©fense, association d’abord considĂ©rĂ©e illĂ©gale mais bientĂŽt lĂ©galisĂ©e[90], apparue lors de la crise de 1917 pour, en premier lieu, faire entendre un ensemble de revendications catĂ©gorielles tendant au maintien des privilĂšges du corps d’officiers et Ă  l’application d’une Ă©chelle d’avancement indiciaire fermĂ©e, rĂ©gie strictement par l’anciennetĂ©, et accessoirement pour exiger la rĂ©novation de la vie politique[91] - [92]. Les seconds, parmi lesquels Franco, jugeaient nĂ©cessaires ces avancements pour rĂ©compenser le travail risquĂ© des officiers en Afrique et le professionnalisme de certains d’entre eux qui Ă©voluaient, selon Franco, dans la « meilleure Ă©cole pratique, pour ne pas dire la seule, de notre armĂ©e »[93]. Dans un article de 1920, Franco Ă©crivait :

« Mais, pour ne pas dĂ©truire cet enthousiasme [des officiers d’Afrique], pour ne pas tuer cet esprit que nous devons conserver comme un prĂ©cieux joyau, il est nĂ©cessaire, il est indispensable que l’on accorde sa juste rĂ©compense au mĂ©rite en campagne ; autrement, on dĂ©truira Ă  jamais cette stimulation des enthousiasmes qui pĂ©riront Ă©touffĂ©s sous le poids de la grille indiciaire dans la vie paresseuse des garnisons[94]. »

À la caserne d’Oviedo, il Ă©tait sensiblement plus jeune que beaucoup d’officiers au grade pourtant infĂ©rieur au sien, et seule une poignĂ©e d’anciens combattants de la campagne de Cuba pouvaient rivaliser avec lui sur le plan de l’expĂ©rience de combat[95]. Beaucoup d’entre eux, qui avaient constituĂ© des Juntes de dĂ©fense, rĂ©clamaient l’abandon des promotions pour mĂ©rites de guerre et estimaient que les promotions de Franco avaient Ă©tĂ© trop rapides et qu’un grade de commandant Ă  24 ans Ă©tait excessif. Sa jeunesse lui valut le surnom de ComandantĂ­n[92] - [96].

Sa principale responsabilitĂ© Ă  Oviedo Ă©tait, en plus de la routine d’une garnison de province, de superviser la formation des officiers de rĂ©serve, tĂąche qui lui fut assignĂ©e eu Ă©gard Ă  son renom d’homme de discipline et Ă  son strict respect de la rĂ©glementation[85] ; mais en vĂ©ritĂ©, il n’avait pas grand-chose Ă  faire. Son vieux camarade de Ferrol Camilo Alonso Vega, ainsi que PacĂłn, le rejoignirent au bout d’une annĂ©e[97]. Plus tard, Franco assurera que pour la premiĂšre fois de sa vie adulte, il avait le temps de lire, mais il n’y a guĂšre d’information ni sur ce qu’il lisait, ni combien il lisait[98].

Avec persĂ©vĂ©rance, il construisait son personnage, faisant notamment chaque jour une promenade Ă  cheval, en uniforme et en arborant ses dĂ©corations gagnĂ©es en Afrique[92]. Avant sa conquĂȘte du pouvoir, l’un des ressorts de son action Ă©tait le besoin de reconnaissance sociale ; dotĂ© d’un flair trĂšs sĂ»r dans la sĂ©lection des gens qui pouvaient lui ĂȘtre utiles, il se lia d’amitiĂ©, Ă  l’hĂŽtel oĂč il avait trouvĂ© Ă  s’hĂ©berger, avec un Ă©tudiant qui devint son premier et son plus dĂ©vouĂ© hagiographe, JoaquĂ­n ArrarĂĄs. Les officiers de rĂ©serve dont il assurait l’instruction, souvent issus des classes de notables, lui servirent d’introducteurs dans les tertulias (salons) de la bonne sociĂ©tĂ©, p. ex. celle du marquis de Vega de Anzo, oĂč il eut l’occasion de nouer quelques relations avec les personnages en vue de la sociĂ©tĂ© civile et de la vie culturelle, tels que le jeune professeur de littĂ©rature de l’universitĂ© d'Oviedo, Pedro Sainz RodrĂ­guez, qui devait devenir pour un bref laps de temps entre 1938 et 1939 ministre de l’Éducation du premier gouvernement Franco[99] - [100].

Entrée en scÚne de Carmen Polo

Franco Ă©tait disposĂ© Ă  jouer un rĂŽle dans l’élite sociale de la ville, encore que cela ne modifiĂąt pas beaucoup les rigoureuses conditions qu’il s’imposait dans sa vie quotidienne. Il souhaitait contracter un bon mariage apte Ă  faire pendant Ă  sa carriĂšre militaire. Sans ĂȘtre un chasseur de dot, il visait uniquement les jeunes filles de bonne famille et de haute condition sociale, c’est-Ă -dire une dame convenable, Ă  l’image de sa mĂšre[101]. Pour lui, un tel mariage signifierait une promotion sociale, lui permettant de gommer le dĂ©classement que lui avait fait subir son pĂšre en abandonnant sa famille, et d’ajouter ainsi Ă  ses mĂ©rites personnels un environnement familial porteur[87].

C’est en 1917, Ă  l’occasion d’une romerĂ­a estivale (fĂȘte populaire traditionnelle) que Franco rencontra Carmen Polo, qui venait d’avoir seize ans et qui, d’allure distinguĂ©e, appartenait Ă  une famille de vieille noblesse asturienne. Orphelines de mĂšre, Carmen et ses sƓurs Ă©taient Ă©levĂ©es par leur tante qui, trĂšs imbue de son appartenance Ă  la haute sociĂ©tĂ©, veillait Ă  ce que ses niĂšces et neveux reçoivent une Ă©ducation trĂšs raffinĂ©e[102] ; ceux-ci frĂ©quentaient donc les meilleures institutions religieuses, avaient des institutrices Ă©trangĂšres, et prenaient des leçons de chant et de piano[87]. Carmen Polo, Ă©troitement surveillĂ©e, Ă©tait trĂšs religieuse, qualitĂ© qui attirait Franco[99]. Elle suivait les cours d'un collĂšge religieux trĂšs strict et songea un moment Ă  entrer dans les ordres (des 23 filles de sa classe, seules trois ne finiront pas par prendre l’habit)[103]. Le pĂšre, Felipe Polo y FlĂłrez, vivait de la rente fonciĂšre dans une confortable aisance, mais professait des idĂ©es libĂ©rales et une rĂ©serve certaine Ă  l’égard de l’armĂ©e, s’opposant mĂȘme Ă  la guerre du Maroc[102].

Pour la sĂ©duire, Franco se prĂ©sentait quasi quotidiennement Ă  la messe matinale Ă  laquelle assistaient les jeunes filles du CollĂšge et suivait avec elles l’office avec tous les signes de la dĂ©votion. Cette persĂ©vĂ©rance et son prestige naissant produisirent les rĂ©sultats espĂ©rĂ©s[104] - [105], Ă  telle enseigne que les jeunes gens se mirent Ă  Ă©changer clandestinement de petits messages et trouvĂšrent ensuite le moyen de se rencontrer briĂšvement au logis du mĂ©decin de la famille (dont l’un des fils, Vicente Gil GarcĂ­a deviendra plus tard le mĂ©decin personnel de Franco), ou mĂȘme de se promener et de converser dans des lieux publics[103]. Cependant, les lettres que Franco adressait Ă  Carmen furent interceptĂ©es et transmises Ă  la famille, et firent s’emporter la tante contre lui[106]. Les Polo qualifiaient le commandant Franco d’« aventurier », de « torero », de « chasseur de dot », et rĂ©sisteront longtemps avant de donner leur accord[87]. BartolomĂ© Bennassar pourtant indique :

« La tante se trompait probablement lorsqu’elle ne voyait dans l’officier qu’un chasseur de dot. MĂȘme si Franco n’était pas indiffĂ©rent Ă  l’argent, il faut reconnaĂźtre que l’argent ne fut pas son dieu, ni mĂȘme la cible prĂ©fĂ©rĂ©e de sa carriĂšre. Ce qu’il recherchait en revanche [
], c’était la considĂ©ration sociale et l’entrĂ©e dans une famille telle que les Polo, qui pouvaient lui assurer le label de grande marque sociale dont il Ă©tait si soucieux[106]. »

Carmen hĂ©sitait Ă  s’engager, car, ainsi qu’elle l’expliquera plus tard, elle percevait alors en Franco une fixation sur la carriĂšre militaire et une tentation permanente de retourner au Maroc[107].

Cependant, durant l’, lors de ses vacances Ă  Ferrol, alors que ses fiançailles avec Carmen Polo n’avaient pas encore Ă©tĂ© officialisĂ©es, Franco fit une cour assidue Ă  la reine des jeux floraux de la ville, MarĂ­a Ángeles BarcĂłn, fille d’un riche industriel. Beaucoup plus tard, celle-ci dĂ©clara : « MalgrĂ© sa profession, il savait s’y prendre avec les jeunes filles. Il est vrai qu’il avait l’aurĂ©ole d’un certain mystĂšre [
]. Il parlait peu, mais il disait juste. [
] Je commençais Ă  l’aimer. » Toutefois, son pĂšre mit brutalement fin Ă  la liaison[103] - [108] - [105].

Le pĂšre de Carmen finit par transiger et permettre que Franco vienne visiter le domicile des Polo, sous la promesse toutefois que l’engagement formel ne soit pas annoncĂ© avant un an, Carmen n’ayant en effet encore que 17 ans. Leurs rapports Ă©taient Ă  ce point avancĂ©s qu’elle put accompagner Franco Ă  Ferrol pour y faire connaissance avec la mĂšre de Franco, qui fut enchantĂ©e de la jeune fille Ă  cause de son air agrĂ©able et de ses maniĂšres Ă©lĂ©gantes[95].

GrĂšves de 1917 dans les Asturies

Franco fut tĂ©moin de la grĂšve gĂ©nĂ©rale du 10 aoĂ»t 1917. Le mĂ©contentement gĂ©nĂ©ral provoquĂ© par la chertĂ© de la vie avait coalisĂ© les deux grandes centrales syndicales, l’UGT socialiste et la CNT anarchiste, qui avaient signĂ© un manifeste commun rĂ©clamant « des changements fondamentaux du systĂšme » et la constitution d’un gouvernement provisoire chargĂ© de convoquer une assemblĂ©e constituante. L’arrestation des signataires dĂ©clencha des grĂšves durables dans tous les secteurs d’activitĂ© et dans plusieurs grandes villes d’Espagne, dont Oviedo. Les affrontements entre militaires et grĂ©vistes dureront une bonne semaine, sauf dans les Asturies, oĂč le syndicat UGC comptait un grand nombre d’adhĂ©rents et oĂč le mouvement au contraire gagna en vigueur, les mineurs rĂ©ussissant Ă  prolonger les troubles pendant prĂšs de vingt jours[109]. Quoique la grĂšve ait Ă©tĂ© d’abord non violente, le gĂ©nĂ©ral Ricardo Burguete, gouverneur militaire de la province d'Oviedo, proclama l’état de siĂšge, menaça les grĂ©vistes de les traiter comme des « bĂȘtes sauvages » (como fieras), et envoya l’armĂ©e et la Garde civile dans les zones miniĂšres[110].

Le hasard ayant voulu que Franco se trouvait lĂ  oĂč le conflit Ă©tait le plus virulent, c’est lui notamment qui fut chargĂ© de diriger la rĂ©pression dans les Asturies, Ă  la tĂȘte d’une colonne dĂ©pĂȘchĂ©e dans le bassin houiller. Si quelques biographes tiennent que la rĂ©pression exercĂ©e par Franco fut particuliĂšrement brutale et prĂ©figurait son comportement ultĂ©rieur, il apparaĂźt toutefois que, aussi brutale fĂ»t-elle, elle ne devait pas l’avoir Ă©tĂ© davantage que celle exercĂ©e dans les autres rĂ©gions Ă©tant donnĂ© que les documents de l’époque ne la singularisent pas par rapport aux actions rĂ©pressives menĂ©es ailleurs[111]. Mieux, il ne semble pas mĂȘme que cette troupe ait exercĂ© une quelconque rĂ©pression militaire : la feuille de service de Franco ne fait mention Ă  cette date d’aucune « opĂ©ration de guerre ». Le Caudillo assura plus tard qu’il ne se commettait dans le secteur visitĂ© aucune action rĂ©prĂ©hensible, qu’il ne s’y passait absolument rien d’anormal, que les « hommes se promenaient », que « les enfants allaient Ă  l’école », qu’il n’avait reçu « que des attentions » des mineurs et des maires socialistes, etc., ce qui apparaĂźt crĂ©dible, attendu que sa colonne revint Ă  Oviedo trois jours avant le dĂ©but de la phase violente de la grĂšve le , qui suscita de la part de Burguete une rĂ©pression trĂšs dure et mĂȘme sanglante, avec 2 000 arrestations, 80 morts et des centaines de blessĂ©s[111] - [112] - [113]. NĂ©anmoins, certains ont voulu y voir les premiers signes d’une brutalitĂ© qui va se donner libre cours lors de la Guerre civile ; d’autres au contraire lui prĂȘtent une prise de conscience Ă  cette occasion des difficultĂ©s ouvriĂšres[111]. Franco affirmera que l’expĂ©rience de la grĂšve gĂ©nĂ©rale lui ouvrit les yeux sur les problĂšmes sociaux du pays et Ă©veilla sa sympathie pour les mineurs devant leurs dures conditions de vie[114] ; en 1946, il prononça devant les mineurs des Asturies un discours condamnant Ă  la fois le droit du travail en vigueur dans les dĂ©mocraties et la rĂ©pression des grĂšves[115]. Quelques annĂ©es plus tard, Franco dĂ©clara au journaliste britannique George Hills :

« J’en suis venu Ă  me demander ce qui conduisait des personnes (convenables et normales) Ă  la grĂšve et aux actes de violence, et j’ai constatĂ© les conditions Ă©pouvantables dans lesquelles les patrons faisaient travailler les ouvriers. Poussant me recherches, j’ai commencĂ© Ă  me rendre compte qu’il n’existait pas de solution facile. En consĂ©quence, j’ai entrepris la lecture d’ouvrages abordant des sujets sociaux et des thĂ©ories politiques et Ă©conomiques. »

Mais, ainsi que l’observe Bennassar, si horrifiĂ© qu’il fĂ»t par les Ă©pouvantables conditions de travail des ouvriers et par le « triste abandon dans lequel le pays laissait sa classe travailleuse », il n’en avait pas conclu pour autant que la grĂšve Ă©tait lĂ©gitime[112] et exprima sa conviction de la nĂ©cessitĂ© de maintenir l’ordre et les hiĂ©rarchies en dĂ©pit de l’injustice sociale[96] : « le souci de sa carriĂšre explique trĂšs probablement son attitude : lorsque les orientations politiques coĂŻncident avec ses intĂ©rĂȘts de carriĂšre, dont ce jeune homme a dĂ©jĂ  une idĂ©e trĂšs nette, que ce soit au Maroc ou en Espagne, Franco se garde bien du moindre Ă©cart »[116] - [note 5]. AndrĂ©e Bachoud pour sa part observe que

« les vĂ©ritĂ©s tardives et les Ă©tats d’ñme rĂ©trospectifs sont toujours suspects lorsqu’ils vont contre la cohĂ©rence psychologique et historique d’un personnage. En 1917, le commandant Franco est sous les ordres du gĂ©nĂ©ral Burguete qui appartient Ă  l’armĂ©e d’Afrique et en a les mĂ©thodes. Il ne semble pas qu’il ait ressenti le moindre dĂ©saccord profond avec les pratiques qu’il a vu employer depuis sa premiĂšre affectation au Maroc. Son sens de la hiĂ©rarchie, abondamment cĂ©lĂ©brĂ©, l’éloigne de ce genre de faiblesses. Ses amours, de plus, le rapprochent d’une caste de possĂ©dants profondĂ©ment hostile, par Ă©ducation et par intĂ©rĂȘt, aux mouvements populaires qui la menacent directement. [
] On peut affirmer, sans risque d’erreur, que Franco rĂ©prime la rĂ©volte des mineurs d’Asturies en officier convaincu et disciplinĂ©[117]. »

Le fait d’avoir dirigĂ© la rĂ©pression dans la rĂ©gion oĂč le conflit Ă©tait le plus exacerbĂ© lui apporta un surcroĂźt de notoriĂ©tĂ©. Peu aprĂšs, Franco fut une nouvelle fois envoyĂ© dans le bassin houiller, cette fois aprĂšs la fin de la grĂšve, en qualitĂ© de juge et dans le cadre de l’état de guerre, pour juger des dĂ©lits de violation de l’ordre public. À ce titre, il prit des sanctions contre des ouvriers et mineurs grĂ©vistes, prononçant des peines de prison Ă  l’encontre de plusieurs d’entre eux, sans prendre en considĂ©ration l’origine des violences, Ă  savoir le licenciement des grĂ©vistes[114] - [112].

Seconde période en Afrique : la Légion (1920-1926)

Franco rencontra le commandant JosĂ© MillĂĄn-Astray lors d’un cours de perfectionnement de tir en 1919 et le frĂ©quenta assidĂ»ment par la suite. MillĂĄn-Astray exerça une grande influence sur lui et jouera plus tard un rĂŽle dĂ©terminant dans sa trajectoire professionnelle[118]. Ce personnage haut en couleur, qui faisait grande impression par son aspect physique — claudicant, Ă©borgnĂ©, ayant une partie de la mĂąchoire dĂ©truite, et le visage et le corps striĂ©s de cicatrices — et qui venait de sĂ©journer en France et en AlgĂ©rie pour y Ă©tudier la LĂ©gion Ă©trangĂšre, Ă©tait alors occupĂ© Ă  tenter de mettre sur pied ce qui allait devenir la LĂ©gion espagnole, en recrutant des proscrits sans considĂ©ration de leur nationalitĂ©, qui pouvaient se racheter de leurs crimes passĂ©s par un sĂ©jour dans la LĂ©gion :

« Vous vous ĂȘtes levĂ©s d’entre les morts, car vous n’oubliez pas que vous Ă©tiez dĂ©jĂ  morts, que vos vies Ă©taient terminĂ©es. Vous ĂȘtes venus ici pour vivre une nouvelle vie pour laquelle vous deviez payer avec la mort. Vous ĂȘtes venus pour mourir. »

— MillĂĄn-Astray, salut adressĂ© aux soldats incorporĂ©s dans la premiĂšre compagnie de la LĂ©gion[119] - [120].

LĂ©gionnaires au Maroc, tenant les tĂȘtes de Marocains qu'ils ont capturĂ©s et dĂ©capitĂ©s.

En 1920, le projet de LĂ©gion espagnole fut enfin acceptĂ© par le gouvernement espagnol[121], qui y voyait le meilleur moyen de faire la guerre en Afrique sans y envoyer de recrues espagnoles[122]. Le Tercio d’Étrangers, comme ce corps se dĂ©nommait Ă  l’origine, fut donc fondĂ© le sur ordre du ministre de la Guerre JosĂ© Villalba Riquelme[123]. La LĂ©gion se distinguait par sa discipline de fer, la brutalitĂ© des chĂątiments infligĂ©s Ă  la troupe et, sur le champ de bataille, par sa fonction de troupe de choc ; en contrepartie, en guise de soupape d’échappement, les abus commis par des lĂ©gionnaires contre la population civile Ă©taient traitĂ©s avec indulgence, et le haut commandement tolĂ©rait les nombreuses irrĂ©gularitĂ©s, tels que les charivaris quotidiens ou la prostitution dans les casernes (exercĂ©e par des femmes, des hommes et mĂȘme par des mineurs). Les legionarias, cantiniĂšres et femmes Ă  soldats (soldaduras) accompagnaient les troupes dans leurs opĂ©rations ; quelques-unes dĂ©barqueront Ă  Al HoceĂŻma, d’autres seront dans les Asturies en 1934, et il y en aura qui parcourront toute l’Espagne pendant la guerre civile[124]. La LĂ©gion se signalait aussi par les brutalitĂ©s commises Ă  l’encontre de l’ennemi vaincu ; les sĂ©vices physiques et la dĂ©capitation de prisonniers suivie de l’exhibition des tĂȘtes coupĂ©es comme trophĂ©es Ă©taient rĂ©guliĂšrement pratiquĂ©s[125]. La duchesse de la Victoria, dame philanthrope qui avait organisĂ© une Ă©quipe d’infirmiĂšres, reçut de la part de la LĂ©gion en guise de prĂ©sent une corbeille de roses avec en son milieu deux tĂȘtes de maure tranchĂ©es. Lorsque le dictateur Primo de Rivera visita le Maroc en 1926, il fut horrifiĂ© par la vue d’un bataillon de la LĂ©gion, rassemblĂ© pour un passage en revue, et arborant des tĂȘtes fichĂ©es sur les baĂŻonnettes[126].

JosĂ© MillĂĄn-Astray partageait avec Franco la mĂȘme croyance dans la supĂ©rioritĂ© de la sociĂ©tĂ© militaire sur la sociĂ©tĂ© civile et avait tĂŽt compris que Franco avait des qualitĂ©s complĂ©mentaires des siennes[127]. Compte tenu que MillĂĄn-Astray manquait de dons d’organisateur, il fut rapidement dĂ©cidĂ© que Franco, connu pour son habiletĂ© Ă  dresser, organiser et discipliner les troupes, serait son collaborateur[121]. Bien que le pĂšre de Carmen Polo eĂ»t cessĂ© de s’opposer Ă  des fiançailles officielles, Franco accepta sans barguigner ce poste et retourna en Afrique, au sein d’un corps oĂč il pourrait exiger de ses hommes davantage encore que des RĂ©guliers indigĂšnes[121]. Pour en faire des troupes d’élite, il fallait mater ces hommes, et Franco s’engagea avec bonheur dans cette tĂąche[128]. Le , Franco fut nommĂ© chef de son premier bataillon (bandera) — la LĂ©gion Ă©tant en effet constituĂ©e de trois banderas ou bataillons — et le , les premiers lĂ©gionnaires, au nombre de deux centaines, arrivĂšrent Ă  Ceuta. Le mĂȘme soir, les lĂ©gionnaires terrorisaient la ville ; une prostituĂ©e et un chef de la garde furent assassinĂ©s, et les Ă©chauffourĂ©es subsĂ©quentes feront deux morts de plus[123].

En peu de temps, le Tercio acquit la renommĂ©e d’ĂȘtre l’unitĂ© de combat la plus endurante et la mieux prĂ©parĂ©e de toute l’armĂ©e espagnole[121]. Si les volontaires venaient de pays trĂšs diffĂ©rents, la grande majoritĂ© Ă©tait des Espagnols. MillĂĄn-Astray avait Ă©laborĂ© Ă  leur intention un code d’honneur spĂ©cial, le dĂ©nommĂ© CrĂ©do lĂ©gionnaire[129], dĂ©calogue inspirĂ© tout Ă  la fois des traditions les plus exigeantes des tercios du XVIe siĂšcle, des ordonnances militaires de Charles III, et du code des samouraĂŻs japonais[130]. Franco imposa Ă  ses hommes une discipline implacable, les soumettant Ă  un entraĂźnement intensif afin de rompre les corps Ă  l’effort, Ă  la faim et Ă  la soif, et leur forgeant un moral indestructible. Il sut se faire Ă  la fois craindre, respecter et mĂȘme aimer des lĂ©gionnaires, parce qu’il connaissait chacun d’eux et s’efforçait d’ĂȘtre juste. Il se montrait impitoyable, appliquant sans Ă©tats d’ñme la loi du talion, autorisant les lĂ©gionnaires Ă  mutiler les Marocains qui tombaient entre leurs mains, parce qu’il avait vu Ă  Nador et Ă  ZĂ©louan les cadavres de soldats espagnols atrocement mutilĂ©s. Il laissait ses hommes piller les douars, poursuivre et violer les femmes, donnait l’ordre d’incendier les villages, de ne pas faire de prisonniers[131]. La violence, la cruautĂ©, la mĂ©diocritĂ© des affrontements Ă©taient le lot quotidien de la vie militaire au Maroc[132].

Franco raconte dans Diario de una bandera :

« À midi, j’obtins l’autorisation du gĂ©nĂ©ral d’aller punir les villages Ă  partir desquels l’ennemi nous harcĂšle. À notre droite, le terrain descend de maniĂšre accidentĂ©e jusqu’à la plage, en bas on trouve une large bande de petits douars. Tandis qu’une section, ouvrant le feu sur les maisons, protĂšge la manƓuvre, une autre se glisse par un raccourci et, encerclant les villages, exĂ©cute les habitants Ă  l’arme blanche. Les flammes s’élĂšvent des toits des maisons, les lĂ©gionnaires poursuivent les habitants[133]. »

AndrĂ©e Bachoud relĂšve que « ces pratiques appartiennent Ă  l’histoire coloniale avant d’ĂȘtre le fait d’un homme. Tout au plus ces mĂ©thodes peuvent-elles le caractĂ©riser comme membre d’un groupe clairement dĂ©fini par l’histoire, mais ne le marquent nullement d’une monstruositĂ© exceptionnelle »[134]. Ce comportement prĂ©figure la duretĂ© et l’esprit de vengeance affichĂ©s par Franco pendant et aprĂšs la Guerre civile. En mĂȘme temps, il affirmait une autoritĂ© naturelle et des dons exceptionnels de meneur d’hommes[135].

Le dĂ©sastre d’Anoual (1921)

À la fin de la PremiĂšre Guerre mondiale, l’Espagne craignait que la France, dĂ©sormais affranchie du poids du conflit continental, ne reprenne ses projets d’expansion au dĂ©triment de l’Espagne. Pour parer Ă  toute Ă©ventualitĂ©, le comte de Romanones dĂ©cida d’occuper intĂ©gralement la zone impartie Ă  l’Espagne par le traitĂ© de 1912. À cet effet, Alphonse XIII dĂ©signa pour commander Ă  Melilla le gĂ©nĂ©ral de division Manuel FernĂĄndez Silvestre[136], et l’Espagne travailla Ă  mettre en place un rĂ©seau de fortins interconnectĂ©s pour contrĂŽler le territoire. Ce dispositif supposait la prĂ©sence de nombreuses troupes statiques, que devaient ravitailler d’interminables colonnes d’approvisionnement, y compris en eau potable. Dans la partie occidentale, Berenguer dĂ©ployait ses troupes en consolidant ses positions Ă  mesure qu’il avançait, au contraire de Silvestre, qui laissait ses postes d’avant-garde sans appui ni protection[137] - [138]. En outre, l’indigence matĂ©rielle et technique de l’armĂ©e s’était aggravĂ©e encore, et les hommes de troupe, mobilisĂ©s contre leur grĂ©, Ă©taient sans instruction militaire et totalement dĂ©motivĂ©s, Ă  quoi s’ajoutait l’incurie sanitaire, alors qu’en face la capacitĂ© de rĂ©sistance des Kabyles s’était multipliĂ©e sous la direction d’Abdelkrim. Silvestre, qui ne cessait d’affirmer qu’il n’avait pas besoin de renforts, prit l’initiative d’ouvrir la route entre Melilla et Al HoceĂŻma (Alhucemas en espagnol)[137].

Le général Silvestre avec ses officiers prÚs de Melilla le .

Les attaques rifaines commencĂšrent le , plus violentes que jamais auparavant, et le , les positions espagnoles les plus avancĂ©es se mirent Ă  tomber comme des dominos, forçant les Espagnols Ă  reculer de plus de 150 kilomĂštres la frontiĂšre de la zone sous leur domination, jusqu’à Melilla. Dans la perspective de combats trĂšs durs, le commandement espagnol avait mis ses espoirs dans les Regulares et dans la police indigĂšne, mais la quasi-totalitĂ© des effectifs indigĂšnes de la zone orientale dĂ©serta[139] - [140] et passa dans le camp d’Abdelkrim. Le , une colonne tomba en embuscade entre Anoual et Igueriben ; les renforts envoyĂ©s depuis Anoual arrivĂšrent trop tard et ne purent empĂȘcher un premier carnage. BientĂŽt, la place d’Anoual elle-mĂȘme fut assiĂ©gĂ©e ; la retraite, trop tardive, dĂ©gĂ©nĂ©ra en dĂ©bandade. Plus de 14 000 hommes furent massacrĂ©s avec sauvagerie. Des renforts furent dĂ©pĂȘchĂ©s de Ceuta, mais se heurtĂšrent Ă  la rĂ©sistance kabyle. Les Espagnols, assiĂ©gĂ©s Ă  Al Aroui, finirent pas se rendre le , mais seront exterminĂ©s Ă  leur tour[141].

Une des premiĂšres rĂ©actions du haut commandement fut de transfĂ©rer une partie de la LĂ©gion vers la zone orientale alors en situation critique. Franco, qui se trouvait Ă  la tĂȘte de sa bandera dans la rĂ©gion de Larache, fut rĂ©clamĂ© d’urgence en renfort pour dĂ©fendre Melilla sous le commandement de MillĂĄn-Astray. Le bataillon de Franco dut d’abord parcourir 50 km Ă  marche forcĂ©e pour atteindre TĂ©touan, et plusieurs hommes moururent d’épuisement en cours de route ; ensuite, tous les hommes furent transportĂ©s en train puis en bateau jusqu’à Melilla, pour empĂȘcher la ville d’ĂȘtre envahie et mise Ă  sac[142]. Une fois assurĂ©e la dĂ©fense de la ville, les unitĂ©s de la LĂ©gion se muĂšrent en fer de lance d’une contre-offensive limitĂ©e qui sur ordre de Berenguer fut lancĂ©e le , dans le but de reprendre les positions abandonnĂ©es. Le jour mĂȘme, MillĂĄn-Astray, blessĂ© au combat, cĂ©da Ă  Franco le commandement, ce qui lui permit d’entrer victorieux dans Nador Ă  la tĂȘte de la LĂ©gion[142] - [143]. Franco participa Ă  la reconquĂȘte du territoire jusqu’en , avec la prise de Driouch. Il fut dĂ©corĂ© de la mĂ©daille militaire et proposĂ© au grade de lieutenant-colonel[142].

Entre-temps, ces dĂ©sastres avaient embrasĂ© la MĂ©tropole et Ă©veillĂ© une fureur vengeresse dirigĂ©e tour Ă  tour contre les troupes d’Abdelkrim, contre les militaires incapables, et contre la monarchie[144]. À l'inverse, la LĂ©gion rĂ©cemment crĂ©Ă©e, ayant Ă©tĂ© la premiĂšre force armĂ©e Ă  dĂ©barquer Ă  Melilla, Ă  consolider la place et Ă  rĂ©cupĂ©rer quelques positions, acquit du prestige dans la PĂ©ninsule. En mĂȘme temps, des comptes Ă©taient demandĂ©s aux officiers jugĂ©s responsables, par leur impĂ©ritie, du dĂ©sastre. Franco Ă©tait persuadĂ© que les francs-maçons espagnols Ă©taient derriĂšre ces critiques contre l’armĂ©e, qu’il considĂ©rait immĂ©ritĂ©es. De cette Ă©poque pourrait dater sa fĂ©roce hostilitĂ© Ă  la franc-maçonnerie, dans laquelle il percevait une force extraordinairement occulte et dominante, en particulier dans les pays catholiques[145]. De nouveau, Franco Ă©tait venu Ă  se trouver au centre d’un Ă©vĂ©nement de grand retentissement, grĂące auquel il rehaussa son propre prestige et devint un hĂ©ros aux yeux de l’opinion publique[146].

Dans la zone orientale, il rencontra Ă  quelques reprises son frĂšre RamĂłn. Dans les campements militaires marocains, celui-ci se laisser aller Ă  pratiquer le nudisme, se promenant sous le soleil sans autre piĂšce vestimentaire que le chapeau Ă  larges bords fourni aux soldats par l’armĂ©e ; d’autres fois, il s’enveloppait d’une djellaba de bĂ©douin. Au contraire de son frĂšre, il se mit Ă  l’arabe et en savait suffisamment pour donner des cours de cette langue Ă  ses camarades officiers. Mais il ne tarda pas Ă  se lasser de l’infanterie et sollicita de pouvoir entrer dans la petite force aĂ©rienne espagnole. Ayant Ă©tĂ© acceptĂ©, il devint bientĂŽt un pilote expert des nouveaux hydravions, Ă  bord desquels il survolait le territoire, en compagnie de son frĂšre Paco, pour Ă©tudier le terrain et les positions ennemies Ă  l’ouest de Melilla[145].

Francisco et RamĂłn Franco, Maroc, 1925.

Lors de ses diffĂ©rentes permissions, qu’il mit Ă  profit pour se rendre Ă  Oviedo et rendre visite Ă  sa future femme, Franco Ă©tait accueilli en hĂ©ros et invitĂ© Ă  des banquets et aux mondanitĂ©s de l’aristocratie locale[147]. Pour la premiĂšre fois, la presse s’intĂ©ressait Ă  lui : le , le journal ABC faisait sa couverture avec la photo de l’« As de la LĂ©gion »[144], et il Ă©tait acclamĂ© par les journaux comme un personnage de haut rang et comme hĂ©ros national. En 1923, Alphonse XIII lui dĂ©cerna une dĂ©coration en mĂȘme temps que la distinction rare de « gentilhomme de chambre ». À Oviedo fut cĂ©lĂ©brĂ©e en mars une grande rĂ©ception en son honneur. Le pĂšre de Carmen Polo avait fini par consentir au mariage de sa fille, dont la date fut fixĂ©e en juin[147]. Une promotion au grade de lieutenant-colonel, proposĂ©e par JosĂ© Sanjurjo, fut toutefois dĂ©clinĂ©e, l’enquĂȘte sur les Ă©vĂ©nements d’Anoual Ă©tant encore en cours[146]. En 1922 parut un livre signĂ© de Franco — quoique derriĂšre la signature pourrait se cacher le journaliste JuliĂĄn FernĂĄndez Piñedo[148] — et intitulĂ© Diario de una Bandera (littĂ©r. Carnets d’un bataillon de la LĂ©gion), dans lequel il narre les Ă©vĂ©nements vĂ©cus par lui Ă  cette Ă©poque en Afrique[149].

MillĂĄn-Astray, Ă  la suite de quelques dĂ©clarations oĂč il rĂ©agissait avec dĂ©sinvolture Ă  la dĂ©signation d’une commission d’enquĂȘte chargĂ©e de cerner les responsabilitĂ©s des dĂ©boires en Afrique — la dĂ©nommĂ©e commission Picasso, du nom de Juan Picasso, auteur du rapport final, et oncle du peintre Pablo Picasso —, fut destituĂ© comme commandant de la LĂ©gion, et remplacĂ© Ă  son poste par le lieutenant-colonel Valenzuela, jusque-lĂ  Ă  la tĂȘte d’une des banderas. Franco, dĂ©pitĂ© de ne pas s’ĂȘtre vu offrir le poste de chef de la LĂ©gion, au motif qu’il n’avait pas le grade requis, sollicita sa mutation vers la PĂ©ninsule, et fut Ă  nouveau versĂ© dans le rĂ©giment du Prince Ă  Oviedo[146] - [147]. Mais aprĂšs que Valenzuela eut Ă©tĂ© tuĂ© au combat le , Franco, successeur logique, fut proposĂ© pour le remplacer[146]. Une fois Ă©levĂ© au rang de lieutenant-colonel avec effet rĂ©troactif, Franco fut donc dĂ©signĂ© le , sur recommandation d’Alphonse XIII, commandant en chef de la LĂ©gion, ce qui impliquait son dĂ©part immĂ©diat pour l’Afrique et l’ajournement de son mariage[150]. Franco reprit donc le chemin pour le Maroc et y restera encore cinq mois, se vouant Ă  rĂ©former la LĂ©gion, avec des normes de conduite plus exigeants, en particulier pour les officiers. Ensuite, le , il retourna Ă  Oviedo, oĂč ses Ă©pousailles furent cĂ©lĂ©brĂ©es le , vĂ©ritable Ă©vĂ©nement mondain[151] - [152]. PrĂ©alablement, il avait fait escale Ă  Madrid pour demander au roi Alphonse XIII de bien vouloir ĂȘtre le parrain de son mariage[152] ; le roi ayant accĂ©dĂ© Ă  cette requĂȘte, Francisco Franco et Carmen Polo purent faire le leur entrĂ©e dans l’église San Juan el Real d’Oviedo sous dais royal, accompagnĂ©s du gouverneur militaire en reprĂ©sentation du roi. À l’occasion de la cĂ©rĂ©monie, un journal de Madrid publia un article intitulĂ© Les Noces d’un hĂ©roĂŻque caudillo, appellation que Franco se voyait alors attribuer pour la premiĂšre fois[153] - [154]. Les frĂšres NicolĂĄs et RamĂłn, alors « en service », ne purent assister Ă  la cĂ©rĂ©monie, tandis que le pĂšre de Franco en fut sans doute dĂ©libĂ©rĂ©ment Ă©cartĂ©[153]. Le jeune couple vĂ©cut une brĂšve et modeste lune de miel dans la maison de campagne de la famille Polo aux environs d’Oviedo. En route vers leur nouvelle rĂ©sidence Ă  Melilla, les jeunes mariĂ©s firent escale Ă  Madrid, pour y ĂȘtre reçus en audience spĂ©ciale par le couple royal[152].

Le , un coup d’État inaugura la dictature de Primo de Rivera, envers laquelle Franco se montra circonspect, car il Ă©tait notoire que le nouveau chef de l'État Ă©tait favorable Ă  ce que l’Espagne se retire du Maroc[155]. Primo de Rivera confia Ă  Franco la direction de la Revista de tropas coloniales, dont le premier numĂ©ro parut en . Franco y exposera sa conception de la guerre, selon laquelle il convenait d’éliminer l’adversaire, la nĂ©gociation ou la politique ne pouvant avoir d’autre effet que de prolonger inutilement les affrontements[153]. Il estimait que l’Espagne pratiquait au Maroc une politique erronĂ©e, faite de demi-mesures, trĂšs coĂ»teuse en hommes et Ă©quipements, et prĂ©conisait une opĂ©ration de grande envergure propre Ă  Ă©tablir un protectorat solide et Ă  en finir avec Abdelkrim, qui s’était proclamĂ© Ă©mir. L’Espagne ne contrĂŽlait vraiment que la zone de Melilla et les villes de Ceuta, Larache, TĂ©touan et Chefchaouen[156].

Ajustement de la politique marocaine et redéploiement militaire

Primo de Rivera s’était toujours opposĂ© Ă  la politique espagnole au Maroc et prĂ©conisait depuis 1909 l’abandon de ce Rif ingouvernable[157] ; Franco au contraire estimait que la prĂ©sence espagnole au Maroc faisait partie de la mission historique de l’Espagne[158] et considĂ©rait, Ă  l’encontre de l’attitude abandonniste de Primo de Rivera, la conservation du protectorat comme un objectif prioritaire et fondamental[159]. Si Franco reconnaissait certes la nĂ©cessitĂ© d’un repli militaire momentanĂ©, ce ne pouvait ĂȘtre que dans le but de lancer ensuite une offensive dĂ©finitive visant Ă  occuper tout le Rif et Ă  Ă©craser pour de bon l’insurrection[160]. En , il aurait, de concert avec Queipo de Llano, caressĂ© l’idĂ©e de tenter un coup d’État contre Primo de Rivera, mais aurait finalement dĂ©cidĂ© de se tenir Ă  la discipline militaire[161].

Entre-temps, Franco Ă©tait occupĂ© Ă  des opĂ©rations de pacification. Abdelkrim, qui avait proclamĂ© en 1921 la rĂ©publique du Rif et cherchait Ă  donner une dimension internationale Ă  sa revendication, ne cessa jusqu’en 1925 de harceler l’occupant espagnol, contraignant celui-ci Ă  adopter une constante attitude dĂ©fensive et Ă  se terrer dans des casemates Ă©parpillĂ©es. Franco, souvent chargĂ© de missions difficiles Ă  la tĂȘte de ses troupes aguerries, rĂ©ussit le Ă  libĂ©rer Tifarouine assiĂ©gĂ©e — opĂ©ration certes mineure, mais qui rompait un cycle de dĂ©faites, et lui valut un nouveau renom[158].

Primo de Rivera aspirait Ă  mettre fin aux opĂ©rations au Maroc, de prĂ©fĂ©rence par la nĂ©gociation, mais l’intransigeance d’Abdelkrim empĂȘchait la signature de la paix envisagĂ©e[162]. Abdelkrim en effet ne dĂ©mordait pas de son objectif d’indĂ©pendance, dĂ©clina la proposition espagnole d’une autonomie interne, et installa une sorte de gouvernement en tentant de surmonter la dĂ©sunion tribale. DĂ©but 1924, il commença Ă  se rendre maĂźtre de la partie centrale du protectorat, et se mit ensuite Ă  pĂ©nĂ©trer dans la partie occidentale[163]. Ces mouvements provoquĂšrent le revirement de Primo de Rivera, qui dĂ©cida alors de mener Ă  outrance le combat contre Abdelkrim, influencĂ© en cela, non seulement par Franco et la plupart des officiers d’Afrique, mais aussi par la perspective d’une collaboration avec la France et par sa conviction qu’Abdelkrim incarnait une offensive islamo-bolchevique[164].

En , lorsque Primo de Rivera se rendit personnellement au Maroc pour expliquer son plan de repli stratĂ©gique, Franco accueillit Primo de Rivera avec ces mots : « Ce sol que nous foulons est un sol espagnol. [
] Nous repoussons l’idĂ©e d’une retraite, persuadĂ©s que l’Espagne peut Ă©tablir son autoritĂ© sur cette zone [
] »[162] - [160]. Primo de Rivera mit alors en Ɠuvre une importante rĂ©organisation du dispositif militaire, consistant Ă  maintenir dans l’est, pour protĂ©ger les communications entre TĂ©touan, Tanger et la frontiĂšre française, une ligne d’occupation limitĂ©e, concomitamment Ă  une retraite plus vaste dans l’ouest, en prĂ©vision d’une ultĂ©rieure contre-offensive espagnole. Dans ce schĂ©ma, il dĂ©cida de regrouper ses troupes sur la cĂŽte et de dĂ©garnir les multiples positions isolĂ©es dans l'arriĂšre-pays. Les opĂ©rations commencĂšrent en , et Franco et ses lĂ©gionnaires furent chargĂ©s de protĂ©ger les retraites successives de quelque 400 positions mineures, notamment d’Oued Laou, et surtout de mener Ă  bien l’opĂ©ration la plus complexe et la plus pĂ©rilleuse, la retirada vers TĂ©touan de la ville de Chefchaouen assiĂ©gĂ©e depuis un mois, ce qui fut pour Franco une expĂ©rience triste et amĂšre. Ses troupes, exposĂ©es aux attaques et aux embuscades continuelles des hommes d’Abdelkrim, accomplirent ces opĂ©rations, qui prirent plus d’un mois, avec tĂ©nacitĂ© et compĂ©tence, sans dĂ©sordre ni panique[165] - [156] - [166]. Le , la bonne marche de la manƓuvre lui apporta une nouvelle promotion, au grade de colonel[167] - [165] - [166].

La retraite de Chefchaouen fut le dernier Ă©pisode d’une politique attentiste, laquelle avait encouragĂ© Abdelkrim Ă  se livrer Ă  de nouvelles attaques, Ă  surestimer ses forces, et Ă  prĂ©senter des revendications toujours plus ambitieuses, et Ă  commettre l’erreur de lancer des raids sur les positions françaises en menaçant FĂšs dont il annonça l’occupation pour , forgeant ainsi contre lui une collaboration franco-espagnole[168] - [169]. Les deux puissances europĂ©ennes, reprĂ©sentĂ©es par Primo de Rivera et par le marĂ©chal PĂ©tain — qui avait obtenu le dĂ©part de Lyautey, hostile Ă  une coopĂ©ration avec l’Espagne — signĂšrent Ă  TĂ©touan en un pacte de coopĂ©ration militaire pour Ă©craser une bonne fois la rĂ©bellion rifaine[168] - [170]. Franco assista Ă  l’entrevue entre PĂ©tain et Primo de Rivera, oĂč finalement le plan espagnol fut retenu, celui-lĂ  mĂȘme que Franco avait dĂ©fendu devant le roi et Primo de Rivera, et Ă  l’élaboration duquel il avait pris part[169]. Il fut convenu qu’une armĂ©e française de 160 000 hommes ferait mouvement depuis le sud, tandis qu’un corps expĂ©ditionnaire espagnol attaquerait les rebelles depuis le nord. L’opĂ©ration clef serait l’invasion amphibie de la baie d’Al HoceĂŻma, au cƓur de la zone insurgĂ©e[170] - [171].

Guerre franco-espagnole du Rif et dĂ©barquement d’Al HoceĂŻma (1925)

Primo de Rivera, aprĂšs s’ĂȘtre nommĂ© lui-mĂȘme haut-commissaire au Maroc, prit ses quartiers Ă  TĂ©touan, d’oĂč il se proposait de surveiller l’opĂ©ration dite du « dĂ©barquement d’Alhucemas », dirigĂ©e par le gĂ©nĂ©ral Sanjurjo. Franco — avec la LĂ©gion, les RĂ©guliers de TĂ©touan, et les harkas de Muñoz Grandes — Ă©tait chargĂ© d’arriver par la mer le , puis de pousser l’offensive sur les montagnes cĂŽtiĂšres[13]. Le plan avait de meilleures chances de succĂšs car il bĂ©nĂ©ficiait du soutien logistique de la flotte française pendant le dĂ©barquement et de l’offensive terrestre des troupes françaises par le sud[169]. Il s’agissait de la premiĂšre opĂ©ration conjointe des trois armes (terre, mer, air) menĂ©e avec succĂšs au XXe siĂšcle[169] - [170]. Avec perspicacitĂ©, le commandement espagnol dĂ©cida de ne pas dĂ©barquer dans la baie elle-mĂȘme, Ă  coup sĂ»r trĂšs fortement dĂ©fendue, mais sur la pointe d’une presqu'Ăźle proche. De mĂȘme que d’autres officiers de haut rang, Franco avait eu l’occasion auparavant d’étudier le champ d’opĂ©ration Ă  bord d’un hydravion pilotĂ© par son frĂšre[170]. À la tĂȘte de la force d’attaque initiale, il s’illustra une fois de plus par sa dĂ©termination : au mĂ©pris du commandement naval, qui avait donnĂ© ordre de se retirer, il insista Ă  poursuivre l’opĂ©ration malgrĂ© les mauvaises conditions de la mer, qui avaient fait chavirer quelques vaisseaux et envoyĂ© plusieurs autres se fracasser sur les rochers. Comme les pĂ©niches de dĂ©barquement n’arrivaient pas Ă  franchir les bancs de sable, il sauta avec ses hommes dans l’eau, continua Ă  pied, et ne tarda pas Ă  Ă©tablir une tĂȘte de pont sur la terre ferme[171] - [13] - [169] - [170]. Au dĂ©but, ses troupes ne se heurtĂšrent qu’à une faible opposition, cependant les unitĂ©s durent se retrancher pendant plusieurs jours, car, en raison de la mer dĂ©montĂ©e, il ne fut pas possible dans un premier temps de dĂ©barquer toutes les troupes ni d’amener les Ă©quipements. Les , ils eurent Ă  repousser diverses attaques, puis l’avancĂ©e dĂ©finitive commença le 23, avec Franco au commandement d’une des cinq colonnes, et avec l’avant-garde du colonel Goded[172] - [173]. Ainsi, par une avancĂ©e progressive et constante, le cƓur de l’insurrection fut atteint, pendant que dans le mĂȘme temps, les forces françaises progressaient dans le sud, piĂ©geant Abdelkrim entre deux feux. La campagne se poursuivit pendant sept mois, jusqu’à la reddition du chef rifain en [173] - [174].

Le dĂ©barquement d’Al Hoceima, d’aprĂšs une peinture de JosĂ© Moreno Carbonero. Sont figurĂ©s sur ce tableau : Primo de Rivera (debout sur le pont, saluant), Sanjurjo (plus Ă  droite, veste bleue) et la montagne Morro Nuevo (littĂ©r. Morne Neuf, Ă  l'arriĂšre-plan Ă  droite).

Franco fut le seul chef Ă  recevoir une mention spĂ©ciale dans le rapport officiel Ă©tabli par son gĂ©nĂ©ral de brigade[173]. Sa bravoure et son efficacitĂ© lui valurent d’ĂȘtre citĂ© Ă  l’ordre de la nation. Promu gĂ©nĂ©ral de brigade le , Ă  l’ñge de 33 ans, il devint le plus jeune gĂ©nĂ©ral d’Espagne et de toutes les armĂ©es d’Europe et la figure la plus connue de l’armĂ©e espagnole. Il fut ensuite nommĂ© chef de la premiĂšre brigade de la premiĂšre division d’infanterie de Madrid, poste d’un haut prestige[174] - [172] - [175], et sera choisi pour accompagner le roi et la reine au cours de leur voyage officiel en Afrique en 1927[172]. La France aussi lui rendra hommage en lui dĂ©cernant la LĂ©gion d’honneur[13] - [172], qui lui sera Ă©pinglĂ©e fin Ă  l’AcadĂ©mie de Saragosse par AndrĂ© Maginot, ministre français de la Guerre[176].

Pour Franco, la lutte en Afrique, plus particuliĂšrement le dĂ©barquement d’Al HoceĂŻma, fut une expĂ©rience qu’il devait par la suite se rappeler avec nostalgie et qui deviendra son sujet de conversation favori pour le restant de sa vie[175]. Si Franco Ă©tait devenu un spĂ©cialiste Ă©minent de la guerre contre-insurrectionnelle, il n’avait jamais commandĂ© un effectif de plus de 10 000 hommes Ă  la fois et n’avait aucune expĂ©rience dans le commandement plus complexe de forces numĂ©riquement supĂ©rieures ou dans le combat contre des adversaires de plus haut niveau technique et dotĂ©s d’armes modernes. La poignĂ©e de chars d’assaut utilisĂ©s durant sa derniĂšre annĂ©e au Maroc n’avait jouĂ© qu’un rĂŽle insignifiant[177].

Franco, Primo de Rivera et Sanjurjo (de gauche Ă  droite) Ă  Al HoceĂŻma, en 1925.

Plus tard, Ă  Madrid, puis Ă  Saragosse, en 1928, il rĂ©digea ses RĂ©flexions politiques, oĂč il esquisse un projet de dĂ©veloppement du Protectorat qui tienne compte des rĂ©alitĂ©s indigĂšnes, soulignant l’intĂ©rĂȘt de crĂ©er des fermes modĂšles, insistant sur les distributions de semences de cĂ©rĂ©ales, sur l’amĂ©lioration des races de bĂ©tail, sur l’opportunitĂ© d’un crĂ©dit Ă  bon marchĂ©, sur le soin Ă  apporter dans le choix des administrateurs militaires, , etc.[178]

Le jour oĂč fut annoncĂ© l’ascension de Francisco Franco au grade de gĂ©nĂ©ral, son succĂšs fut Ă©clipsĂ© par la spectaculaire couverture donnĂ©e par la presse nationale Ă  son frĂšre cadet RamĂłn, lui aussi accueilli en hĂ©ros, comme le premier pilote espagnol ayant traversĂ© l’Atlantique, Ă  bord de l’hydravion Plus Ultra, en compagnie notamment du futur cofondateur de la Phalange, Julio Ruiz de Alda[178]. Une commission fut mise sur pied Ă  Ferrol en vue d’organiser divers Ă©vĂ©nements d’hommage en l’honneur des deux frĂšres, dont un jour chĂŽmĂ©, un Te Deum, et le dĂ©voilement d’une plaque sur le mur de leur maison natale[179] - [180] - [178]. À cette Ă©poque, Franco se montrait beaucoup plus extraverti, parlait volontiers, racontait des anecdotes, faisant mĂȘme preuve d’humour, assez loin du cynisme froid qu’il affichera plus tard[181].

Durant sa pĂ©riode en Afrique, Franco s’était joint au groupe africaniste de l’armĂ©e espagnole, groupe qui allait jouer plus tard un rĂŽle de premier plan dans les diverses conspirations contre la RĂ©publique. Les africanistes s’étaient constituĂ©s en un groupe trĂšs soudĂ©, gardaient continuellement le contact entre eux, et se soutenaient les uns les autres face aux officiers pĂ©ninsulaires ; ils conspirĂšrent contre la RĂ©publique depuis ses dĂ©buts et, ultĂ©rieurement, furent Ă  la tĂȘte du soulĂšvement Ă  l’origine de la Guerre civile. Sanjurjo, Mola, Orgaz, Goded, YagĂŒe, Varela et Franco lui-mĂȘme Ă©taient de notables africanistes et les principaux promoteurs du coup d’État. DĂšs cette Ă©poque, Franco Ă©tait conscient de sa destinĂ©e privilĂ©giĂ©e :

« Depuis que l’on m’avait fait gĂ©nĂ©ral Ă  33 ans, l’on m’avait placĂ© sur la voie de grandes responsabilitĂ©s pour le futur. »

— Francisco Franco, Apuntes autobiográficos[182].

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Notes et références

Notes

  1. « Il n’y avait jamais eu une jeunesse aussi torturĂ©e que la nĂŽtre par la menace marocaine, ni sacrifiĂ©e si stupidement dans une aventure sans gloire, sans grandeur, triste, sinistre, opaque, honteuse, qui remplissait la vie espagnole d’une odeur de cantine, de sardines oxydĂ©es des rations de campagne, de poux, de cadavĂ©rine », propos de Carlos EsplĂĄ, Ă©crivain et secrĂ©taire de Blasco Ibåñez, rapportĂ©s par G. NerĂ­n i Abad (2005), p. 73.
  2. Dans une Ă©mission sur RNE de 2010, intitulĂ©e La guerra de los banqueros, Francisco Bergasa explique : « Pour dĂ©fendre les intĂ©rĂȘts financiers de quelques groupes espagnols oligarchiques de pouvoir, intĂ©rĂȘts qui se trouvaient aux mains des GĂŒell, du marquis de Comillas, du comte de Romanones, lesquels dĂ©tenaient en collaboration avec des sociĂ©tĂ©s françaises dans le Rif un ensemble d’intĂ©rĂȘts miniers, attaquĂ©s par les Kabyles du Rif ».
  3. SofĂ­a, quoique ne se dĂ©partissant pas de son ultra-catholicisme, ne se maria jamais et vĂ©cut obsĂ©dĂ©e par un frĂšre mort trĂšs jeune dans le Rif en 1923. Elle passa 40 ans Ă  Saragosse, transformĂ©e en une sorte de moniale cloĂźtrĂ©e, se vouant Ă  Ă©grener le rosaire et s’abstenant de partager ses souvenirs. Selon le journaliste et metteur en scĂšne de cinĂ©ma Emilio Ruiz Barrachina, Carmen Polo, l’épouse de Franco, fut jalouse de SofĂ­a pendant de longues annĂ©es. Cf. (es) « “Le ordeno a usted que me quiera”, las cartas de un amor (frustrado) de Francisco Franco », ClarĂ­n, Buenos Aires,‎ (lire en ligne, consultĂ© le ).
  4. Plus tard, lors de son intĂ©gration dans la LĂ©gion, prĂ©occupĂ© par une vague d’indiscipline, il sollicita de MillĂĄn-Astray l’autorisation de recourir aux exĂ©cutions. MillĂĄn-Astray lui rĂ©pondit que les peines de mort ne devaient se dĂ©crĂ©ter que dans le respect des strictes ordonnances contenues dans le Code de justice militaire. Quelques jours plus tard, Franco rĂ©unit le peloton d’exĂ©cution aprĂšs qu’un lĂ©gionnaire eut refusĂ© de manger et eut lancĂ© le repas sur un officier. Il le fusilla et fit dĂ©filer le bataillon devant le cadavre. Cf. : P. Preston (2004), p. 58 et S. Payne & J. Palacios (2014), p. 54.
  5. « L’historien officiel de la Garde civile fait rĂ©fĂ©rence Ă  Franco comme Ă  l’homme responsable d’avoir rĂ©tabli l’ordre. À l’encontre de la vision de plusieurs personnes affirmant que son action Ă  cette Ă©poque fut de nature Ă  renforcer sa fiabilitĂ© aux yeux de la bourgeoisie locale, Franco lui-mĂȘme devait dĂ©clarer quelques annĂ©es plus tard devant un vaste public de mineurs asturiens que sa colonne n’était pas entrĂ©e en action. [...] À l’opposĂ© des souvenirs paternalistes de Franco, Manuel Llaneza, le dirigeant modĂ©rĂ© du syndicat des mineurs asturiens, Ă©crivit Ă  cette Ă©poque sur la haine africaine que s’était dĂ©chaĂźnĂ©e contre les villages miniers, en une orgie de violations, de pillage, de violence et de torture. » (P. Preston (2004), p. 52).

Références

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  68. A. Bachoud (1997), p. 43.
  69. B. Bennassar (1999), p. 140-141.
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