Dictature de DĂĄmaso Berenguer
La dictature de DĂĄmaso Berenguer est le rĂ©gime politique dictatorial en vigueur en Espagne entre le 28 janvier 1930, date oĂč le roi Alphonse XIII nomme le gĂ©nĂ©ral DĂĄmaso Berenguer Ă la tĂȘte du gouvernement, et la dĂ©mission de ce dernier le 14 fĂ©vrier 1931.
Faisant suite Ă la dictature de Primo de Rivera, elle est vigoureusement dĂ©noncĂ©e par la classe politique et les intellectuels du pays qui considĂšrent quâelle constitue un discrĂ©dit dĂ©finitif pour le monarque, incapable dâassurer un retour Ă la normalitĂ© constitutionnelle ; elle marque lâĂ©tape finale de la Restauration bourbonienne commencĂ©e en dĂ©cembre 1874 et se caractĂ©rise par une montĂ©e constante du rĂ©publicanisme[1]. Ă la suite du dĂ©part de Berenguer, le roi convoque des Ă©lections municipales le 12 avril 1931 dans le but de se redonner un semblant de lĂ©gitimitĂ©, mais abandonne finalement le pays deux jours plus tard face Ă des rĂ©sultats trĂšs dĂ©favorables dans une grande partie du pays et alors que la rĂ©publique est proclamĂ©e par certaines municipalitĂ©s, dont Madrid et Barcelone, dĂšs le lendemain du scrutin.
La presse de lâĂ©poque utilise lâappellatif de « dictablanda » (littĂ©ralement « dictamolle ») pour dĂ©signer ce rĂ©gime, critiquant ainsi le manque de dĂ©finition et de volontarisme du gouvernement Berenguer, qui marque une rupture avec la dictature autoritaire antĂ©rieure tout en ne rĂ©tablissant pas le rĂ©gime constitutionnel parlementaire de 1876 et en ignorant les revendications de convocation dâune assemblĂ©e constituante[2].
Berenguer a Ă©crit un livre sur son Ă©tape Ă la tĂȘte du gouvernement du pays intitulĂ© De la Dictadura a la RepĂșblica, publiĂ© en 1946 [3].
Contexte
Au dĂ©but des annĂ©es 1920, le rĂ©gime de la Restauration entre dans une crise grave : les partis dynastiques â Parti conservateur et Parti libĂ©ral â sont totalement discrĂ©ditĂ©s aux yeux de l'opinion publique et sont jugĂ©s responsables de la corruption du rĂ©gime, le mouvement ouvrier est Ă lâorigine dâimportantes tensions et lâimpopularitĂ© des opĂ©rations militaires dans le Rif se trouve galvanisĂ©e avec le dĂ©sastre d'Anoual en juillet 1921. Dans un contexte oĂč les idĂ©es autoritaires sont en essor en Europe (stalinisme en URSS et fascisme en Italie), lâidĂ©e dâun homme providentiel seul capable de rĂ©gĂ©nĂ©rer la nation en dirigeant le pays dâune main de fer rencontre un Ă©cho favorable, notamment auprĂšs de certains secteurs de la bougeoisie. Lorsque le gĂ©nĂ©ral Primo de Rivera mĂšne un coup d'Ătat en septembre 1923, le roi Alphonse XIII rejette la demande du gouvernement en fonction de le condamner et dĂ©cide au contraire de lui confier le pouvoir.
Celui-ci instaure un rĂ©gime dictatorial et autoritariste. Le parlement est aboli et ne sera remplacĂ© en 1927 que par une assemblĂ©e consultative. Le syndicalisme ouvrier est rĂ©primĂ© et de nombreux intellectuels sont contraints Ă lâexil.
MalgrĂ© les rĂ©formes entreprises, le rĂ©gime se rĂ©vĂšle incapable de surmonter une situation difficile sur le plan intĂ©rieur, avec une grave crise Ă©conomique liĂ©e Ă la Grande DĂ©pression mondiale, en dĂ©pit dâun succĂšs de la guerre en Afrique â dĂ©barquement d'Al HoceĂŻma en 1927 â. En janvier 1930, le roi oblige Primo de Rivera Ă dĂ©missionner, espĂ©rant ainsi sauver la monarchie.
Ătapes de la dictature
Formation du gouvernement et premiÚres tentatives de réformes
Le 28 janvier 1930, Alphonse XIII nomme le gĂ©nĂ©ral DĂĄmaso Berenguer Ă la tĂȘte dâun nouveau gouvernement et une amnistie gĂ©nĂ©rale est dĂ©crĂ©tĂ©e[4]. Militaire honnĂȘte mais maladif â il doit parfois se dĂ©placer en chaise roulante et refusera toutes les photographies au cours de son mandat â, il est choisi en raison dâune relative popularitĂ© et pour la dĂ©sapprobation quâil avait manifestĂ©e envers les mĂ©thodes autoritaires du rĂ©gime antĂ©rieur[5]. Le roi charge le gĂ©nĂ©ral de rĂ©tablir au plus vite la Constitution de 1876 aprĂšs 6 ans de dictadure primorivĂ©riste, tout en prĂ©tendant Ă©luder la question de sa responsabilitĂ© dans lâavĂšnement de cette derniĂšre[6] - [7]. Or, dans lâopinion publique, la monarchie est Ă prĂ©sent identifĂ©e au militarisme, le rĂ©gime de la Restauration a liĂ© son sort Ă celui de la dictature prĂ©cĂ©dente, et la chute de cette derniĂšre rĂ©clame lâinstauration dâun rĂ©gime nouveau qui marque une rupture nette avec la corruption et la lente dĂ©liquescence amorcĂ©e depuis le dĂ©but du siĂšcle[8] - [4] - [9].
Ainsi, les hommes politiques rĂ©publicains, les « monarchistes sans roi » et de nombreux juristes dĂ©noncent lâimpossibilitĂ© de revenir Ă la « normalitĂ© constitutionnelle ». Le juriste Mariano GĂłmez Ă©crit le 12 octobre que « LâEspagne vit sans Constitution. ». Ce dernier affirme que la dictature de Primo de Rivera, en violant la constitution de 1876, avait marquĂ© une rupture et le retour Ă la normalitĂ© politique requĂ©rait dĂšs lors la tenue dâun processus nouveau, dirigĂ© par un pouvoir neutre qui se trouverait hors du conflit ouvert par la dictature et qui garantirait le respect des libertĂ©s fondamentales, afin dâassurer lâinstauration dâune nouvelle lĂ©galitĂ© par le biais dâune assemblĂ©e constituante souveraine[10]. Les idĂ©es rĂ©publicaines ont fait leur chemin et ne font plus peur[4]. Quelques jours aprĂšs la nomination de Berenguer, Miguel Maura, fils dâAntonio Maura, lâune des principales figures politiques conservatrices des derniĂšres annĂ©es de la Restauration, se dĂ©clare ouvertement rĂ©publicain[4].
Berenguer rencontre de nombreuses difficultĂ©s pour former un gouvernement, car les deux partis dynastiques, qui Ă©taient davantage des rĂ©seaux clientĂ©listes alternant au pouvoir grĂące lâinfluence des caciques locaux dans un systĂšme ayant institutionnalisĂ© la fraude Ă©lectorale que des partis politiques classiques, ont cessĂ© dâexister au cours de la dictature[11] - [12]. La plupart de leurs figures politiques se refusent Ă collaborer Ă titre individuel, prĂ©fĂ©rant demeurer dans une quasi-clandestinitĂ© et une posture protestatrice, et Berenguer ne peut sâappuyer que sur les secteurs les plus rĂ©actionnaires de lâancien Parti conservateur, menĂ©s par Gabino Bugallal[8]. Pour sa part, lâUnion patriotique, parti unique de lâancienne dictature qui devient en 1930 lâUnion monarchique nationale, nâapporte pas non plus un soutien clair au nouveau chef de gouvernement. LâassemblĂ©e consultative est dissoute[4] et la monarchie ne dispose dâaucune organisation susceptible de mener un processus de transition politique[13]. Le gouvernement formĂ©, loin dâĂȘtre neutre comme la situation lâexige, est en rĂ©alitĂ© « franchement conservateur », selon les mots de Berenguer lui-mĂȘme[5].
La lenteur avec laquelle sont approuvĂ©es les mesures pour revenir Ă la lĂ©galitĂ© constitutionnelle â notamment la convocation trĂšs tardive de nouvelles Ă©lections â fait douter des intentions rĂ©elles du gouvernement. Câest dans ce contexte de grande impopularitĂ© que la presse commence Ă qualifier le nouveau pouvoir de « dictablanda » (« dictamolle » ou « dictadouce »). La situation de la monarchie s'aggrave, elle perd encore davantage de ses soutiens politiques, le mĂ©contentement de la population atteint des niveaux critiques et l'Espagne vit dans un climat « prĂ©rĂ©volutionnaire »[5] - [8].
Comme il s'en expliquera plus tard, Berenguer prĂ©tendait en rĂ©alitĂ© laisser du temps aux anciens partis dynastiques pour se reconstituer afin de convoquer des Ă©lections gĂ©nĂ©rales manipulĂ©es selon les usages du turno de la Restauration, Ă lâencontre des exigences d'un scrutin rĂ©gulier de la part des anciens libĂ©raux reprĂ©sentĂ©s par Romanones[5]. Il reconnaĂźtra mĂȘme avoir fait une prĂ©vision de rĂ©partition â l'encasillado â des dĂ©putĂ©s dans la future assemblĂ©e Ă la fin de lâĂ©tĂ© 1930 : 93 conservateurs, 70 libĂ©raux, 34 monarchistes indĂ©pendants, 27 partisans de GarcĂa Prieto, 20 partisans de mauristes, 18 partisans de de la Cierva, 18 partisans de Alba, 16 indĂ©pendants indĂ©finis, 15 partisans de Romanones, 8 rĂ©formistes, 8 rĂ©publicains ou socialistes, 7 rĂ©gionalistes catalans et 4 reprĂ©sentants de lâUnion monarchique nationale, laissant 68 districts libres, concentrĂ©s dans les grandes capitales. Câest pourquoi il refuse de convoquer d'abord des Ă©lections municipales, contrairement Ă ce que rĂ©clament des figures politiques influentes comme Romanones et Alba[14].
Convocation dâĂ©lections gĂ©nĂ©rales
Le 13 novembre, le Conseil des ministres approuve la convocation dâĂ©lections lĂ©gislatives pour le 1er mars suivant. Quelques jours plus tard, le ministre de lâIntĂ©rieur, le gĂ©nĂ©ral Enrique Marzo Balaguer, dĂ©missionne, apparemment Ă la suite de troubles survenus Ă Madrid lors de lâenterrement de plusieurs ouvriers morts dans des accidents de travail. Le gĂ©nĂ©ral Mola, alors directeur gĂ©nĂ©ral de la SĂ©curitĂ©, qualifiera plus tard ce mois de novembre comme « dâun point de vue prolĂ©taire [âŠ] le plus violent depuis la grĂšve gĂ©nĂ©rale de 1917 ». Berenguer tente en vain de confier le poste vacant Ă une figure en vue des anciens partis dynastiques, si bien quâil se rĂ©sout finalement Ă nommer JoaquĂn Montes Jovellar, jusquâalors sous-secrĂ©taire du ministĂšre[15].
Les Ă©lections sont prĂ©sentĂ©es comme un moyen de constituer un parlement souverain qui renouerait la continuitĂ© avec celui de 1923 et rĂ©tablirait lâancienne constitution[16]. Il ne sâagit donc pas de former une assemblĂ©e constituante ni mĂȘme de mener une rĂ©forme de la Constitution, si bien que la convocation reçoit peu de soutien, y compris parmi les monarchistes des partis dynastiques[17]. Le gouvernement agit comme si la dictature de Primo de Rivera, soutenue par le roi, nâavait pas eu lieu. Pour cette raison, certains hommes politiques des anciens partis dynastiques se dĂ©finissent comme « monarchistes sans roi », tandis que dâautres rejoignent le camp rĂ©publicain, comme le conservateur Niceto AlcalĂĄ-Zamora qui se prononce pour une rĂ©publique dĂšs le 13 avril 1930 et fonde le parti Droite libĂ©rale rĂ©publicaine, immĂ©diatement rejoint par Miguel Maura[8] - [4].
« Lâerreur Berenguer »
Le 15 novembre 1930, deux jours aprĂšs lâannonce de la convocation des Ă©lections gĂ©nĂ©rales (qui nâauront en rĂ©alitĂ© jamais lieu), le quotidien El Sol publie en une un article de lâintellectuel JosĂ© Ortega y Gasset intitulĂ© « El error Berenguer » (« lâerreur Berenguer ») qui aura une immense rĂ©percussion[18] - [4].
Dans celui-ci, Ortega fustige la tentative du rĂ©gime monarchique de fermer la parenthĂšse de la dictature de Primo de Rivera comme si de rien nâĂ©tait, de « mettre en Ćuvre la politique du il ne s'est rien passĂ© ici ». Il dĂ©nonce lâ« inexistence » de lâĂtat espagnol ainsi que la rupture totale entre les institutions et les citoyens[18]. Il qualifie le rĂ©gime de « solitaire, encerclĂ©, comme lĂ©preux dans un lazaret ». Lâarticle se termine par un appel explicite Ă lâabolition de la monarchie : « Espagnols, votre Ătat n'existe pas ! Reconstruisez-le ! Delenda est Monarchia » (« la monarchie doit ĂȘtre dĂ©truite » en latin[19])[20].
Perte dâappuis politiques et sociaux de la monarchie et essor du rĂ©publicanisme
Tout au long de 1930 sâaccumulent des signaux montrant quâil ne sera pas possible de revenir Ă la situation antĂ©rieure Ă 1923 car la monarchie se trouve trop isolĂ©e. Elle est peu Ă peu abandonnĂ©e de ses soutiens les plus fidĂšles comme la bourgeoisie entrepreunariale, qui ne croit pas en sa capacitĂ© de sortir dâun tel imbroglio. Elle nâa pas non plus lâappui des classes moyennes, de moins en moins soumises Ă lâinfluence de lâĂglise Ă la faveur des idĂ©es rĂ©publicaines et socialistes, ou des milieux Ă©tudiants qui expriment ouvertement leur rejet envers le roi[21].
En Catalogne, les groupes rĂ©publicains nationalistes ont essaimĂ© et mettent fin Ă lâhĂ©gĂ©monie de la Lliga, conservatrice et traditionnel appui du rĂ©gime monarchique[7].
LâĂglise catholique, reconnaissante envers la restauration de lui avoir permis de maintenir sa position traditionnelle dans la sociĂ©tĂ©, est lâun des rares soutiens de la monarchie, mais elle se trouve sur la dĂ©fensive face Ă la vague dĂ©mocratique et rĂ©publicaine que connait le pays[21].
LâexpĂ©rience du pouvoir militaire autoritaire a ouvert des brĂšches au sein de lâArmĂ©e et la fidĂ©litĂ© de celle-ci envers le roi se trouve fragilisĂ©e, notamment au sein du corps dâartillerie. Si l'hypothĂšse dâun coup militaire antimonarchique semble trĂšs improbable, il apparait Ă©galement trĂšs vraisemblable que lâArmĂ©e ne ferait rien pour sauver le rĂ©gime et rejoindrait les conspirateurs dans l'Ă©ventualitĂ© dâune insurrection populaire[22] - [23].
De façon gĂ©nĂ©rale, les changements sociaux survenus aprĂšs 1918 jouent en faveur des idĂ©es rĂ©publicaines : revendication dâune plus grande reprĂ©sentativitĂ© Ă©lectorale, meilleure visibilitĂ© des Ă©lites intellectuelles, sĂ©cularisation et perte de vigueur des valeurs traditionnelles et rurales (respect de lâĂglise et de lâaristocratie) Ă la faveur dâune plus grande urbanisation, constitution des premiers partis politiques de masse et des grands syndicats ouvriers[24].
Lâidentification de la monarchie Ă la dictature Ă la suite de la chute de Primo de Rivera explique lâessor sans prĂ©cĂ©dent du rĂ©publicanisme. Par contraposition, la rĂ©publique est perçue comme synonyme de dĂ©mocratie[25] - [26].
Pacte de Saint-SĂ©bastien
Le 17 aout 1930 se tient le dĂ©nommĂ© pacte de Saint-SĂ©bastien Ă lâinitiative dâAlianza Republicana, regroupement pro-rĂ©publicain constituĂ© au cours de la dictature de Primo de Rivera. Une stratĂ©gie pour mettre fin Ă la monarchie dâAlphonse XIII et la proclamation dâune rĂ©publique est convenue par des membres de plusieurs partis, personnalitĂ©s politiques et intellectuels[27] - [28]. En octobre de la mĂȘme annĂ©e, Ă Madrid, le Parti socialiste ouvrier espagnol et le syndicat Union gĂ©nĂ©rale des travailleurs se joignent au pacte afin dâorganiser une grĂšve gĂ©nĂ©rale accompagnĂ©e dâune insurrection militaire. Un comitĂ© rĂ©volutionnaire est constituĂ© pour diriger le processus, formĂ© de Niceto AlcalĂĄ-Zamora, Miguel Maura, Alejandro Lerroux, Diego MartĂnez Barrio, Manuel Azaña, Marcelino Domingo, Ălvaro de Albornoz, Santiago Casares Quiroga et LluĂs Nicolau d'Olwer pour les rĂ©publicains, et Indalecio Prieto, Fernando de los RĂos y Francisco Largo Caballero pour les socialistes[29]. Pour sa part, la CNT est encore en processus de rĂ©organisation limitĂ© au niveau provincial aprĂšs la fin de son interdiction mais accepte de sâentendre avec les rĂ©publicains[30] - [4] - [31].
Dans lâesprit des conspirateurs et du peuple, le recours Ă la violence armĂ©e contre le roi est lĂ©gitime[32].
Ăchec du soulĂšvement de dĂ©cembre 1930
Ă la mi-dĂ©cembre 1930, le comitĂ© rĂ©volutionnaire rend public un manifeste qui appelle Ă une insurrection ouverte afin de relĂ©guer la Monarchie, qui a refusĂ© dâentendre les demandes de rĂ©formes lĂ©gales, « dans les archives de lâHistoire » ; il assure que le soulĂšvement, faisant Ă©cho Ă la clameur populaire, remportera le soutien des « ateliers et des usines, des bureaux, des universitĂ©s, et mĂȘme des garnisons militaires » et souhaite lâĂ©tablissement dâune « rĂ©publique sur la base de la souverainetĂ© nationale reprĂ©sentĂ©e dans une assemblĂ©e constituante »[33].
Toutefois, la grĂšve gĂ©nĂ©rale nâest pas dĂ©clarĂ©e et le soulĂšvement, lancĂ© de façon prĂ©maturĂ©e le 12 dĂ©cembre Ă Jaca par les capitaines FermĂn GalĂĄn et Ăngel GarcĂa HernĂĄndez en raison dâune mauvaise communication, avorte[34]. Les deux militaires sont condamnĂ©s Ă mort et fusillĂ©s Ă lâisue dâun conseil de guerre sommaire[35]. L'exĂ©cution des deux capitaines, qui deviennent des martyrs de la future rĂ©publique, cause une grande commotion dans l'opinion publique du pays et avive le sentiment antimonarchique, matĂ©rialisĂ© dans le vote des Ă©lections municipales du [36] - [37] - [34]. Le 19 dĂ©cembre une grĂšve gĂ©nĂ©rale est menĂ©e pour protester contre la rĂ©pression[4],
Le 15 dĂ©cembre, le gĂ©nĂ©ral Gonzalo Queipo de Llano, chef du comitĂ© militaire, avec la collaboration de plusieurs officiers, prend lâaĂ©rodrome de Cuatro Vientos, mais est finalement contraint de lâabandonner Ă cause de la rĂ©ponse rapide des unitĂ©s militaires fidĂšles au gouvernement[38]. Six membres du comitĂ© rĂ©volutionnaire (AlcalĂĄ-Zamora, Albornoz, Maura, Largo Caballero, de los RĂos et Casares Quiroga) sont interpelĂ©s et mis en dĂ©tention. Les autres (Lerroux, Domingo, Azaña et Prieto) se cachent ou quittent lâEspagne[39].
Derniers désaveux et démission de Berenguer
Le 17 dĂ©cembre 1930, deux jours seulement aprĂšs l'Ă©chec du soulĂšvement rĂ©publicain, des figures politiques importantes de la monarchie dites « constitutionnalistes » rĂ©unies Ă lâHĂŽtel Ritz de Madrid, parmi lesquelles Rafael SĂĄnchez Guerra, MelquĂades Ălvarez et Manuel de Burgos y Mazo, rĂ©clament que le parlement formĂ© aprĂšs les Ă©lections convoquĂ©es pour le 1er mars ait un caractĂšre constituant, seule issue viable Ă la crise politique en cours selon eux[39]. Quelques autres, notamment JosĂ© Calvo Sotelo, semblent ne pas reconnaitre la gravitĂ© de la situation et pensent que les inquiĂ©tudes sâenvoleront dâelles-mĂȘmes[39].
Les prĂ©paratifs pour les Ă©lections se poursuivent nĂ©anmoins : des listes de candidats sont publiĂ©es et un semblant de campagne Ă©lectorale est menĂ©. Le gĂ©nĂ©ral Berenguer se montre confiant dans le fait que son gouvernement pourra mener Ă bien le processus Ă©lectoral car il pense que les districts ruraux, encore dominants dans le pays, conservent « la structure typique de notre organisation politique d'avant la dictature » et constituent une solide caution pour la Monarchie. Il considĂšre quâil est nĂ©cessaire de s'appuyer sur cet avantage pour Ă©viter de s'exposer au chaos social[40] et il apparait Ă©vident que le gouvernement s'apprĂȘte Ă manipuler les Ă©lections grĂące aux rĂ©seaux de caciques[41].
Le projet de Berenguer se trouve nĂ©anmoins rapidement contrariĂ©[42]. Le 29 janvier, les « constitutionnalistes » publient une note dans laquelle ils affirment quâils ne se prĂ©senteront pas aux Ă©lections car lâassemblĂ©e ne sera pas constituante. Le lendemain, les libĂ©raux monarchistes annoncent quâils participeront Ă la seule condition que le gouvernement renonce aux moyens dont il dispose pour manipuler les rĂ©sultats du scrutin. Le 31 janvier, câest au tour des rĂ©publicains dâannoncer leur retrait, puis les socialistes font de mĂȘme le 3 fĂ©vrier[43].
Le dĂ©cret de convocation des Ă©lections est nĂ©anmoins publiĂ© le 8 fĂ©vrier et lâarticle 13 de la constitution de 1876, qui garantit les libertĂ©s fondamentales, est rĂ©tabli[44] - [45]. Deux jours plus tard, le leader libĂ©ral Santiago Alba publie une note dans laquelle il soutient que des Ă©lections ordinaires, faisant comme si rien ne sâĂ©tait passĂ© depuis 1923, ne rĂšgleront rien. Le mĂȘme jour, les prestigieux intellectuels RamĂłn PĂ©rez de Ayala, Gregorio Marañón et JosĂ© Ortega y Gasset publient un manifeste favorable Ă la RĂ©publique. Ils finissent par former la AgrupaciĂłn al Servicio de la RepĂșblica (« Regroupement au service de la RĂ©publique ») pour rassembler les autres intellectuels du pays[36] - [45]. DorĂ©navant, la Monarchie doit faire face Ă des campagnes de communication hostiles et perd toute influence dans la presse hors des organes les plus conservateurs que sont ABC et El Debate, en dĂ©pit de la censure, dont lâeffectivitĂ© est limitĂ©e[46].
Les membres du gouvernement eux-mĂȘmes sont inquiets. Le 13 fĂ©vrier, le ministre de lâIntĂ©rieur Leopoldo Matos y Massieu fait part de ses doutes au Comte de Romanones au cours dâun entretien. Ce dernier prend immĂ©diatement contact avec Prieto et le rĂ©gionaliste catalan CambĂł pour Ă©laborer une note demandant au Gouvernement de donner un caractĂšre constituant au futur parlement. Autour de onze heures du soir, aprĂšs avoir remis la note Ă la presse, Romanones rend visite au gĂ©nĂ©ral Berenguer. Celui-ci contacte le roi par tĂ©lĂ©phone et prĂ©sente sa dĂ©mission le lendemain matin[47] - [4].
Gouvernement de lâamiral Aznar et chute de la Monarchie
Le 11 fĂ©vrier, le roi Alphonse XIII a un entretien tĂ©lĂ©phonique avec le leader catalaniste Francesc CambĂł. Au cours de celui-ci, rĂ©pondant aux questions du monarque quâil trouve inquiet mais « raisonnant froidement », CambĂł soutient quâil faut constituer un gouvernement de gauche, faire appel Ă Santiago Alba et quâil nây a pas dâautre alternative que de convoquer la formation dâune assemblĂ©e constituante. Selon ce dernier, le monarque lui confie ĂȘtre amer et déçu, et ressent souvent lâenvie de quitter lâEspagne. Le roi lui demande son avis sur lâidĂ©e de convoquer un plĂ©biscite au sujet de sâil devait abandonner la couronne et CambĂł soutient quâil peut lui certifier Ă l'avance que le rĂ©sultat serait un large dĂ©saveu pour lui[48].
En accord avec CambĂł, Alphonse XIII propose Ă Santiago Alba de prĂ©sider le gouvernement mais ce dernier refuse. Il fait ensuite la mĂȘme offre au « constitutionnaliste » Rafael SĂĄnchez Guerra qui accepte, avec lâespoir dâobtenir la participation de la droite rĂ©publicaine[43]. Dans ce but, il se rend Ă la prison Modelo de Barcelone oĂč se trouvent incarcĂ©rĂ©s AlcalĂĄ-Zamora et Maura, qui rejettent sans ambages sa proposition ; le dernier rĂ©torque « Nous, avec la monarchie, nâavons rien Ă faire ni rien Ă dire »[49] - [42]. En consĂ©quence SĂĄnchez Guerra prĂ©sente sa dĂ©mission au roi. Selon Maura, cette visite dĂ©sespĂ©rĂ©e de SĂĄnchez Guerra constitue « un coup mortel pour le rĂ©gime, car plus personne ne douta du sort qui lâattendait »[47] - [43].
SĂĄnchez Guerra conseille Ă Alphonse XIII dâoffrir la prĂ©sidence du gouvernement Ă MelquĂades Ălvarez, un autre « constitutionnaliste », mais celui-ci nâaccepte pas non plus[42]. Le gĂ©nĂ©ral Berenguer, alors encore prĂ©sident en fonction, rĂ©unit tous les leaders des diverses factions des partis dynastiques. AprĂšs un dĂ©bat de cinq heures est formĂ© un gouvernement « de concentration monarchique », avec Berenguer lui-mĂȘme au poste de ministre de la Guerre, trois anciens chefs de gouvernement (Romanones comme ministre dâĂtat, Prieto Ă la Justice et Gabino Bugallal Ă lâĂconomie), trois anciens ministres (Juan de la Cierva au DĂ©veloppement, lâamiral Rivera Ă la Marine et Joan Ventosa au Budget), JosĂ© GascĂłn y MarĂn Ă lâInstruction publique, le Marquis de Hoyos Ă lâIntĂ©rieur et Gabriel Maura Gamazo au Travail.
Le comte de Romanones, agissant comme sâil Ă©tait le vĂ©ritable chef de lâexĂ©cutif, choisit lâamiral Juan Bautista Aznar, sans expĂ©rience ni poids politique, pour prĂ©sider le gouvernement[50] - [51] - [52] - [36]. LâUnion monarchique nationale (UMN) se plaint de ce quâaucun de ses membres ne soit inclus dans ce gouvernement monarchique[53]
Le roi nâaccepte dans ce gouvernement que la prĂ©sence de « fidĂšles Ă sa personne »[54], fait confirmĂ© par Santiago Alba, qui affirme que celui-ci rĂ©pond Ă la « servitude palatine ». Alba invite Ă ne pas se « laisser duper par ce digne hĂ©ritier de Ferdinand VII » â un monarque honni dans lâopinion publique â. Le roi est confiant dans le fait que ce gouvernement serait en mesure de sauvegarder le rĂ©gime, comme le vĂ©rifie CambĂł lors du nouvel entretien quâil a avec lui le 24 fĂ©vrier, oĂč il le trouve insouciant, sans conscience de la faiblesse de lâexĂ©cutif. Dâautre part, lâinclusion de Ventosa, membre de la Lliga Regionalista, a comme objectif de rallier le soutien de la Catalogne, qu'il nâavait pu obtenir jusquâalors[55].
Le serment des membres du nouveau gouvernement a lieu le 18 fĂ©vrier et sa premiĂšre rĂ©union se tient le jour suivant, au cours de laquelle on dĂ©cide dâun nouveau calendrier Ă©lectoral : on dĂ©cide de cĂ©lĂ©brer dâabord des Ă©lections municipales le 12 avril, a priori moins dĂ©favorables Ă la monarchie[4], en appliquant la loi Ă©lectorale de 1877 et non le statut municipal approuvĂ© par la dictature en 1925, provoquant lâinsatisfaction de lâUMN, puis des Ă©lections lĂ©gislatives (le 7 juin au CongrĂšs et le 14 du mĂȘme mois au SĂ©nat[56]) qui auraient une valeur constituante, ouvrant la porte Ă la rĂ©vision en profondeur de la structure de lâĂtat et la rĂ©duction des prĂ©rogatives de la couronne. La prĂ©occupation principale est alors dâobtenir des Ă©lections reprĂ©sentatives avec une participation significative, afin de confĂ©rer au rĂ©gime quelque lĂ©gitimitĂ©[57].
Les partis monarchiques, convaincus quâils remporteront la victoire sans difficultĂ© en recourant aux mĂ©thodes Ă©culĂ©es de la Restauration et rĂ©confortĂ©s par les renseignements des gouverneurs civils, ne font pratiquement pas de campagne Ă©lectorale[4]. Ils prĂ©voient une large victoire dans lâensemble du pays, avec de courtes dĂ©faites dans quelques capitales de provinces[58]. Seule lâUMN dĂ©fend la nĂ©cessitĂ© de partir Ă la rencontre des partisans de la monarchie afin de les mobiliser et tente de mettre en garde activement, notamment au travers de son pĂ©riodique La NaciĂłn, contre la catastrophe que constituerait l'avĂšnement dâune rĂ©publique selon ses membres. Elle dĂ©nonce aussi les mĂ©thode de caciquisme employĂ©es par les partis dynastiques, notamment lâabus de lâarticle 29 de la loi Ă©lectorale, qui donnait automatiquement la victoire Ă une candidature unique sans nĂ©cessitĂ© de vote (environ un cinquiĂšme des postes de conseillers municipaux sont Ă©lus dâoffice dĂšs le 5 avril, au bĂ©nĂ©fice des monarchistes[56]) ou les menaces faites dans la Province dâOrense de priver les pauvres des Ćuvres de bienfaisance ou de priver certains petits commerçants de leurs kiosques sâils ne votaient pas pour le candidat Gabino Bugallal[59].
Le 20 mars, en pleine campagne Ă©lectorale, se tient le conseil de guerre contre le comitĂ© rĂ©volutionnaire qui a dirigĂ© le soulĂšvement citoyen et militaire de dĂ©cembre ayant Ă©chouĂ© aprĂšs le soulĂšvement de Jaca. Le procĂšs devient une grande manifestation favorable Ă la rĂ©publique Ă lâissue de laquelle les accusĂ©s sont libĂ©rĂ©s[60] - [42].
Les Ă©lections municipales du 12 avril apparaissant aux yeux de tous comme un plĂ©biscite sur le maintien de la Monarchie[56], lâannonce des rĂ©sultats du scrutin, oĂč les candidatures socialistes et rĂ©publicaines remportent 41 des 50 capitales de provinces, malgrĂ© une victoire des monarchistes dans les zones rurales oĂč le caciquisme fonctionne encore, est immĂ©diatement suivi dâun communiquĂ© du comitĂ© rĂ©volutionnaire qui affirme son intention dâagir rapidement pour implanter une rĂ©publique, conformĂ©ment aux aspirations manifestĂ©es dans le pays[61]. La chute de la monarchie se produit rapidement et sans heurts ; le « pronunciamiento nĂ©gatif » de lâArmĂ©e â son absence de rĂ©action â donne le coup fatal au rĂ©gime[62]. Mardi 14 avril, la Seconde rĂ©publique est proclamĂ©e depuis les balcons de nombreuses mairies et Alphonse XIII se voit contraint de quitter le pays. Le mĂȘme jour, le comitĂ© rĂ©volutionnaire devient le 1er gouvernement provisoire de la rĂ©publique[63].
Notes et références
- (es) Cet article est partiellement ou en totalitĂ© issu de lâarticle de WikipĂ©dia en espagnol intitulĂ© « Dictablanda de DĂĄmaso Berenguer » (voir la liste des auteurs).
- Fusi et Palafox 2003, p. 249
- Queipo de Llano 1997, p. 126-131
- de Lario et Linde 1999, p. 71.
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- « Le encontrĂ© hondamente preocupado pero razonando frĂamente, cosa que no se acostumbra a producir en Ă©l mĂĄs que en los momentos difĂciles. Me pregunta por la significaciĂłn del Gobierno que debĂa formar y yo le respondo, sin vacilar, que debĂa ser de izquierda. Me pregunta despuĂ©s si a mi entender debĂa llamar a Santiago Alba y le contesto que sĂ. Me consultĂł sobre la conveniencia de acelerar la convocatoria de unas Cortes Constituyentes y le contestĂ© que no creĂa que nadie aceptase el poder sin esta condiciĂłn, añadiĂ©ndole que no eran los momentos aquellos para imponer si no para aceptar.
Entonces me dice que estĂĄ amargado y decepcionado y que siente a menudo el deseo de irse de España. Me pregunta quĂ© me parecerĂa si convocase un plebiscito para que el pueblo dijese con un sĂ o con un no si habĂa de dejar la corona. Le respondĂ que puedo avanzarle el resultado: que Ă©ste serĂa en una gran mayorĂa en el sentido que dejase la corona. » â Francesc CambĂł in de Riquer 2013, p. 168. - Casanova 2007, p. 13
- Romanones dĂ©clara Ă son sujet « se le hizo venir de donde a la sazĂłn se encontraba; esto es, polĂticamente de la luna, geogrĂĄficamente de Cartagena »
- de Riquer 2013, p. 170.
- BullĂłn de Mendoza 2004, p. 272-273.
- BullĂłn de Mendoza 2004, p. 274
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- GarcĂa Queipo de Llano 1997, p. 131
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Annexes
Articles connexes
Bibliographie
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Liens externes
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