Ley de Jurisdicciones
La Ley de Jurisdicciones (« Loi des Juridictions ») est une loi votée en Espagne en 1906 et maintenue jusqu'en 1931, qui plaçait sous juridiction militaire les offenses faites oralement ou par écrit à l'unité de la patrie, au drapeau et à l'honneur de l'armée espagnole[1]. Elle fut impulsée par le président du Conseil des ministres, Segismundo Moret[1], et le ministre de l'Intérieur, le comte de Romanones, avec le plein soutien du roi Alphonse XIII.
La loi fut votĂ©e en rĂ©action aux incidents du ¡Cu-Cut! survenus en , au cours desquels des militaires avaient saccagĂ© la rĂ©daction d'une revue catalaniste[2]. Plusieurs de ses articles supposaient une atteinte importante aux libertĂ©s publiques, en particulier Ă la libertĂ© d'expression. Elle fut interprĂ©tĂ©e par les nationalistes catalans comme une attaque envers leur communautĂ©. La polĂ©mique autour du ¡Cu-Cut! avait dĂ©jĂ provoquĂ© le dĂ©part du prĂ©cĂ©dent prĂ©sident, Eugenio Montero RĂos, qui avait tentĂ© de sanctionner les militaires, mais rencontrĂ© l'opposition du roi. Le , l'opposition finit par quitter le Congrès des dĂ©putĂ©s afin de protester contre le discrĂ©dit ainsi jetĂ© sur le gouvernement. Du cĂ´tĂ© des intellectuels, Miguel de Unamuno tint une confĂ©rence contre la loi au Théâtre de la Zarzuela, le . MalgrĂ© tout, la loi fut approuvĂ©e — le au SĂ©nat et le au Congrès[1] —, puis les Cortes furent dissoutes.
Le l'état d'exception fut levé à Barcelone, et un hommage aux parlementaires de Solidaritat Catalana qui avaient voté contre la loi fut rendu.
En Catalogne, l'opposition à cette loi entraina l'union des partis politiques catalans (aussi bien catalanistes que non catalanistes, comme le Parti carliste et les républicains fédéraux) dans la coalition Solidaritat Catalana[1]. Seuls les partisans de Lerroux et les partis dynastiques (Parti libéral et Parti conservateur) ne l'intégrèrent pas. Dès lors le panorama politique catalan évolua radicalement, les partis dynastiques de la Restauration disparaissant de la scène pour être remplacé par des partis opposés au régime, essentiellement la Lliga Regionalista et les partis républicains.
La nouvelle loi constitue un antécédents des régimes d’exception qu’instaureront la dictature de Primo de Rivera (1923-1929) puis celle du général Franco (1939-1977)[2].
La loi « sera à l’origine […] de l'affrontement direct entre l’armée et les nationalismes périphériques. Par ce biais, elle deviendra juge et partie d’un conflit où l’on débattait le sens même du concept de « Nation espagnole ». C’est à partir de ce moment-là que l’institution militaire s’érige en seul défenseur et unique interprète de ce qu’elle considère comme la véritable essence de la Nation et de la Patrie espagnoles. […] l'armée devient de facto l'ennemi déclarée de tous les nationalismes qui, par le fait de l'être, mettaient en cause le fondement même de « la Nation » »[3].
Elle resta en vigueur jusqu'au lorsque, dans l'un de ses premiers décrets, le ministre de la Guerre du gouvernement provisoire de la Seconde République, Manuel Azaña, l'abrogea.
Notes et références
- Mestre i Campi 2004, p. 598.
- MartĂnez Vasseur 2002, loc 1790.
- MartĂnez Vasseur 2002, p. 1800.
Annexes
Articles connexes
Bibliographie
- (es) Ricardo Lezcano, La Ley de Jurisdicciones. 1905- 1906. (Una batalla perdida por la libertad de expresiĂłn), Madrid, Akal, 1978
- [MartĂnez Vasseur 2002] Pilar MartĂnez Vasseur, « La question nationale et l’armĂ©e en Espagne au cours des XIXe et XXe siècles », dans Francisco Campuzano, Les Nationalismes espagnols (1876-1978), Montpellier, Presses universitaires de la MĂ©diterranĂ©e, (ISBN 978-2-84269-527-9).
- (ca) Jesús Mestre i Campi (dir.), Diccionari d'història de Catalunya, Barcelone, Edicions 62, , 6e éd. (1re éd. 1992), 1147 p. (ISBN 978-84-412-1885-7), p. 598
- (ca) Francesc Santolaria, El Banquet de la Victòria i els fets de ¡Cu-Cut! : Cent anys de l’esclat catalanista de 1905, Barcelone, Meteorα,‎ , 234 p. (ISBN 84-95623-38-2)
Liens externes
- (es) Ricardo Lezcano, « La ley de Jurisdicciones es un problema no resuelto », El PaĂs, 19/09/1978
- Gaceta de Madrid, nĂşm. 114, martes 24 de abril de 1906, p. 317-318