Manuel Romerales Quintero
Manuel Romerales Quintero (Madrid, 1875 - Melilla, 1936) était un militaire espagnol, exécuté par les nationalistes au début de la Guerre civile pour avoir refusé de se rallier à la rébellion de .
Manuel Romerales Quintero | |
Naissance | Madrid |
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DĂ©cĂšs | (Ă 60 ans) Melilla |
Allégeance | République espagnole |
Arme | armée de terre |
Grade | Général |
AnnĂ©es de service | â |
Conflits | |
Autres fonctions | Enseignant notamment Ă lâAcadĂ©mie dâinfanterie de TolĂšde |
AprĂšs diverses affectations dans lâarmĂ©e, tant au sein dâunitĂ©s combattantes (guerre hispano-amĂ©ricaine et guerre du Rif) quâĂ des postes de commandement ou dâenseignement dans la mĂ©tropole, il fut nommĂ© commandant en chef de la circonscription militaire orientale du Maroc espagnol, avec siĂšge Ă Melilla. Câest Ă ce titre quâil fut tĂ©moin de lâagitation sociale consĂ©cutive Ă la victoire Ă©lectorale du Front populaire de et quâil assista â candide et imprĂ©voyant â aux prĂ©paratifs de coup dâĂtat menĂ©s dans son entourage.
Lorsquâeut Ă©clatĂ© Ă Melilla le soulĂšvement militaire de , un groupe dâofficiers et de hauts gradĂ©s rebelles investit le bĂątiment de commandement oĂč se trouvaient le gĂ©nĂ©ral Romerales, restĂ© fidĂšle Ă la RĂ©publique et attachĂ© Ă la lĂ©galitĂ©, et son Ă©tat-major, dont la plus grande partie avait dâores et dĂ©jĂ rejoint lâinsurrection ; Romerales fut contraint sous la menace de se rendre et de cĂ©der le commandement, puis mis en dĂ©tention. Une procĂ©dure judiciaire dite sumarĂsimo (accĂ©lĂ©rĂ©e), entachĂ©e de partialitĂ© et de vices de forme, fut alors engagĂ©e contre lui, parodie de justice culminant le par sa comparution, sur lâaccusation de rĂ©bellion militaire et de trahison, devant le conseil de guerre, qui prononça le verdict de mort.
Biographie
Formation et carriĂšre militaire
Manuel Romerales Quintero fut inscrit Ă lâĂąge de dix-huit ans Ă lâAcadĂ©mie dâinfanterie de TolĂšde, dont il sortit diplĂŽmĂ© et dotĂ© du grade de lieutenant en second. Il prit part Ă la guerre hispano-amĂ©ricaine sur lâĂźle de Cuba, oĂč il resta jusquâĂ la fin du conflit. De 1901 Ă 1903, il fut attachĂ© Ă lâAcadĂ©mie dâinfanterie, oĂč, aprĂšs son ascension au grade de capitaine en , il Ă©tait chargĂ© de remplir quelques missions dâenseignement. En 1909, il passa au CollĂšge des orphelins, puis, lâannĂ©e suivante, fut mutĂ© Ă la sous-inspection de la 1re rĂ©gion militaire, oĂč il demeura jusquâen 1913, date Ă laquelle, ayant Ă©tĂ© destinĂ© au bataillon de chasseurs Las Navas, il vint Ă participer, dans le cadre de la guerre du Rif, aux opĂ©rations militaires aux alentours de Larache, dans le protectorat du Maroc[1]. Promu commandant en , il reçut diffĂ©rentes destinations, telles que la Commission mixte de Ciudad Real, le bataillon de chasseurs dâEstella et le CollĂšge des orphelins Marie-Christine. Entre et , il occupa Ă nouveau un poste Ă lâAcadĂ©mie dâinfanterie, puis, montĂ© au rang de lieutenant-colonel, fut chargĂ© du commandement du bataillon de chasseurs de montagne Alphonse XII, au sein duquel il participa en Ă la campagne du Maroc, Ă nouveau dans la zone de Larache. DĂ©corĂ© Ă de multiples reprises, promu colonel en pour mĂ©rites de guerre, il fut par la suite affectĂ© Ă la maison dâarrĂȘt militaire de Port Mahon, puis chargĂ© de commander la PremiĂšre Brigade de la deuxiĂšme division de montagne[1]. Ă partir de la fin de 1933 jusquâau [2], il exerça une premiĂšre fois comme commandant en chef de la circonscription militaire orientale du protectorat du Maroc, dont le siĂšge Ă©tait situĂ© Ă Melilla, et alla occuper une seconde fois le mĂȘme poste le [1].
La rébellion militaire au Maroc et à Melilla
En , le sommet de la structure hiĂ©rarchique militaire au Maroc espagnol se composait du commandant en chef des forces armĂ©es du Maroc, le gĂ©nĂ©ral AgustĂn GĂłmez Morato, et des commandants des circonscriptions Occidental et Oriental, resp. les gĂ©nĂ©raux Oswaldo Capaz Montes et Manuel Romerales Quintero. Le haut commandement militaire, qui relevait hiĂ©rarchiquement du haut-commissaire Arturo Ălvarez Buylla, avait ses quartiers Ă TĂ©touan et Ă©tait assistĂ© dâun Ă©tat-major confiĂ© au colonel Francisco MartĂn Moreno. Le poste de commandement de Ceuta, avec pour chef dâĂ©tat-major le lieutenant-colonel JosĂ© Reigada, et celui de Melilla, avec pour chef dâĂ©tat-major le lieutenant-colonel Emilio Peñuelas, Ă©taient subordonnĂ©s au commandement suprĂȘme. Si le haut commandement, câest-Ă -dire les gĂ©nĂ©raux GĂłmez Morato, Capaz et Romerales, Ă©tait loyal au gouvernement rĂ©publicain en place, la plupart des gradĂ©s ayant des troupes sous leur commandement se trouvaient impliquĂ©s dans la conspiration et la rĂ©bellion, plus particuliĂšrement les lieutenants-colonels Juan YagĂŒe, alors Ă la tĂȘte de la DeuxiĂšme LĂ©gion Ă Ceuta, et Carlos Asensio Cabanillas, qui avait sous ses ordres les Regulares de TĂ©touan. Câest pourquoi le soulĂšvement, une fois dĂ©clenchĂ© Ă Melilla, lâemporta aisĂ©ment ensuite dans le reste du Protectorat[3].
Ă Melilla, un groupe dâofficiers dâĂ©tat-major, emmenĂ© par le lieutenant-colonel Ă la retraite Juan SeguĂ Almuzara, Ă©taient les animateurs de la conspiration, et dans la suite, les auteurs de la mise en dĂ©tention de Romerales. Faisaient partie des putschistes Ă Melilla, outre SeguĂ, les lieutenants-colonels Gazapo et Maximino Bartomeu (les deux premiers citĂ©s officiers dâĂ©tat-major, le dernier officier dâinfanterie) et le commandant dâĂ©tat-major Luis ZanĂłn, qui figurait de fait comme le personnage clef de la conspiration au sein de lâĂ©tat-major de Romerales. Lâofficier appelĂ© Ă remplacer Romerales une fois le coup dâĂtat consommĂ© Ă©tait le colonel dâinfanterie Luis Solans LabedĂĄn[4].
Quelques gradĂ©s de la garnison de Melilla nâappartenaient pas au noyau du complot, mais Ă©taient considĂ©rĂ©s comme des Ă©lĂ©ments sĂ»rs, de qui il Ă©tait escomptĂ© quâils se joindraient au soulĂšvement ; il sâagissait principalement de Solans et du chef dâĂ©tat-major de Romerales, le lieutenant-colonel Emilio Peñuelas[4], qui ne devait pas ĂȘtre informĂ© de la conspiration avant le [5]. Ce mĂȘme , lors du rapport de service dont Peñuelas sâacquitta auprĂšs du gĂ©nĂ©ral Romerales, le premier aprĂšs quâil eut Ă©tĂ© mis au courant de ce qui se tramait, Peñuelas eut soin, en concertation avec le commandant ZanĂłn, de ne pas faire Ă©tat de la liste des permissions dâĂ©tĂ© dĂ©jĂ accordĂ©es par le ministĂšre, afin dâĂ©viter que beaucoup de ces permissionnaires, ignorant les prĂ©paratifs de lâinsurrection, s'embarquent pour la mĂ©tropole dans lâaprĂšs-midi, ce qui aurait privĂ© le mouvement de lâapport de nombreux gradĂ©s[6].
Il Ă©tait prĂ©vu Ă lâorigine que le mouvement militaire soit mis en marche Ă Ceuta, cependant, Ă la suite de lâincident survenu aprĂšs quâeut Ă©tĂ© Ă©ventĂ©e la constitution dâune provision dâarmes dans le bĂątiment de la Commission des frontiĂšres le , câest Ă Melilla que lâinsurrection militaire fut enclenchĂ©e[3]. Le lendemain 17 juillet commença ainsi la Guerre civile, aprĂšs que se fut rebellĂ©e lâarmĂ©e dâAfrique, sans aucun doute la force militaire la mieux entraĂźnĂ©e et Ă©quipĂ©e de la RĂ©publique espagnole. En un peu plus de seize heures, tout le Protectorat ainsi que les places de souverainetĂ© espagnole se retrouvĂšrent aux mains des insurgĂ©s[7]. Du reste, le soulĂšvement Ă Ceuta, sous le contrĂŽle direct de YagĂŒe, se dĂ©roula sans que soit tirĂ© le moindre coup de feu[4].
Refus de Romerales de rallier le soulĂšvement
Dans la matinĂ©e du , un chargement de pistolets destinĂ© Ă armer les phalangistes de Melilla fut dĂ©posĂ© dans le bĂątiment de la Commission gĂ©ographique des frontiĂšres dâAfrique, lieu placĂ© sous la tutelle des officiers du corps dâĂ©tat-major, nommĂ©ment le lieutenant-colonel DarĂo Gazapo et le capitaine Carmelo Medrano. Un des agents de liaison chargĂ©s de rĂ©partir les armes vendit la mĂšche, ce qui porta la Commission des frontiĂšres Ă Ă©mettre une demande de procĂšs-verbal. Cependant, les conspirateurs rĂ©unis dans le bĂątiment, assistĂ©s par des soldats du casernement de la LĂ©gion, situĂ© non loin de lĂ , rĂ©ussirent Ă maĂźtriser les gardes dâassaut chargĂ©s du procĂšs-verbal. Cet incident marqua le dĂ©but de lâinsurrection et reprĂ©sente de fait le premier acte violent de la Guerre civile, quoiquâil ait Ă©tĂ© commis sans effusion de sang[8] - [9].
Mis au fait de lâincident Ă la Commission des frontiĂšres et ayant eu communication dâindices sur lâĂ©tat de rĂ©bellion de plusieurs unitĂ©s, Romerales sâempressa de convoquer les hauts gradĂ©s dans son office du haut commandement. Ă cette rĂ©union assistaient notamment, outre le chef dâĂ©tat-major Peñuelas, le subordonnĂ© de celui-ci, le capitaine dâĂ©tat-major Emilio Bonaplata, et les commandants dâinfanterie Seco et Ferrer, loyaux au gĂ©nĂ©ral. Plus tard, on vit pĂ©nĂ©trer dans le bureau le commandant ZanĂłn, lâun des meneurs du mouvement, qui en des termes vifs fit part Ă Romerales du soulĂšvement de la garnison tout entiĂšre, et le colonel Solans, futur remplaçant de Romerales. Selon la dĂ©position de Peñuelas, consignĂ©e dans les actes du procĂšs de Romerales, le premier aurait tentĂ© de persuader le second de se dessaisir du commandement. Lâaide de camp de Romerales, le capitaine Rotger, aurait alors demandĂ© des explications sur la nature et le sens du mouvement en cours, afin que son supĂ©rieur et lui-mĂȘme puissent prendre une rĂ©solution ; en effet, Rotger se serait dirigĂ© au capitaine Bonaplata, un sien camarade de lâĂcole supĂ©rieure de guerre, « quâil exhorta, au nom de la camaraderie incarnĂ©e par lâĂ©charpe bleue, de sâexpliquer sur la portĂ©e du mouvement ». Puis Rotger, dans son rĂŽle de loyal assistant du gĂ©nĂ©ral, frappant rageusement la table, aurait conseillĂ© Ă celui-ci de ne pas se dĂ©mettre. Romerales aurait cependant fini par se rĂ©signer Ă lâinexorable et Ă remettre le commandement au colonel Solans, peu avant que le lieutenant-colonel SeguĂ, chef de lâinsurrection, ne fasse irruption dans le bureau pistolet au poing et escortĂ© dâun peloton de Regulares[10] - [11] - [12]. Romerales fut contraint, sous la menace dâĂȘtre exĂ©cutĂ© sur-le-champ, de se rendre et de cĂ©der le commandement, aprĂšs quoi il fut mis, ainsi que ceux qui lâaccompagnaient, en dĂ©tention[13]. La seule rĂ©sistance armĂ©e dans la zone de Melilla allait ĂȘtre celle menĂ©e par le capitaine Virgilio Leret, commandant de la base dâhydravions de lâAtalayĂłn, fusillĂ© dĂšs le lendemain [10] - [14].
Passage en conseil de guerre
Le , sur la foi de la dĂ©claration de lâenseigne GutiĂ©rrez Lanzas Ă propos dâune prĂ©tendue conspiration rĂ©volutionnaire de gauche visant à « provoquer un soulĂšvement contre le rĂ©gime rĂ©publicain », et considĂ©rant que le fait pour Romerales de nâavoir adoptĂ© aucune mesure face Ă un « ennemi aussi contraire Ă la civilisation comme lâest le communisme », ainsi que son soutien verbal au manifeste communiste rĂ©digĂ© Ă lâoccasion du , constituaient un dĂ©lit dĂ©fini Ă lâarticle 255 du Code de justice militaire, un acte dâinculpation fut dressĂ© contre lui et son procĂšs mis en branle. Le mĂȘme jour, Romerales choisit pour son dĂ©fenseur, parmi les noms qui sâoffraient Ă lui, le colonel AndrĂ©s Arce Llevada[15].
Instruction judiciaire
La procĂ©dure dâinstruction contre le gĂ©nĂ©ral Romerales fut lancĂ©e le , câest-Ă -dire vingt-quatre jours aprĂšs lâinsurrection militaire dans la place de Melilla, et un jour aprĂšs que se fut tenu le premier conseil de guerre cĂŽtĂ© rĂ©publicain, en lâoccurrence contre le gĂ©nĂ©ral Goded, Ă lâissue duquel celui-ci fut condamnĂ© Ă mort. Ce mĂȘme jour encore, le lieutenant-colonel dâinfanterie Maximino Bartomeu, lâun des chefs de file de la conspiration dans le Protectorat, fut dĂ©signĂ© juge chargĂ© dâinstruire lâaffaire[16].
Lors des interrogatoires des tĂ©moins, qui Ă©taient au nombre de trente et furent appelĂ©s Ă dĂ©poser entre le 13 et le , le juge dâinstruction se signala en particulier par la formulation biaisĂ©e et tendancieuse des questions par lui posĂ©es. Ainsi note-t-on p. ex. la rĂ©pĂ©tition systĂ©matique de certaines questions se rapportant au comportement militaire que Romerales, en sa qualitĂ© de gĂ©nĂ©ral en chef de la circonscription orientale, aurait manifestĂ© avant le coup dâĂtat ; concrĂštement, il Ă©tait demandĂ© aux tĂ©moins dâĂ©valuer lâaction de leur supĂ©rieur au regard de ses opinions politiques, de sa loyautĂ© et de son sens de lâhonneur dans lâexercice de sa fonction, et de son patriotisme, alors quâun juge dâinstruction est censĂ© sâintĂ©resser aux faits et aux circonstances, et non pas aux opinions personnelles des dĂ©posants, ni aux jugements de valeur[15] - [16]. Toutes les questions de Bartomeu poursuivaient le mĂȘme but : mettre en Ă©vidence la mauvaise idĂ©e que les militaires citĂ©s Ă tĂ©moigner avaient de Romerales, dĂ©montrer sa connivence sinon sa servilitĂ© vis-Ă -vis des dirigeants du Front populaire, mettre au jour son irrĂ©solution face Ă de supposĂ©es manĆuvres Ă tendance rĂ©volutionnaire, et illustrer sa trahison Ă lâarmĂ©e et Ă la patrie[15] - [note 1]. En consĂ©quence, les dĂ©positions des officiers interrogĂ©s allaient pour la plupart en dĂ©faveur de Romerales et lui reprochaient notamment : son manque de dĂ©cision devant les informations parvenues quelques semaines avant le coup dâĂtat sur lâexistence de complots de sous-officiers et de gradĂ©s liĂ©s Ă lâUMRA et occupĂ©s Ă prĂ©parer des actions de rĂ©sistance contre dâĂ©ventuels mouvements militaires de droite ; sa dĂ©cision de destituer des commandants sans autre motif que de se plier aux desiderata du gouvernement en place ; la fermeture du casino militaire Ă la suite dâagressions et de provocations de la part de jeunes membres des partis de Front populaire, etc.[16]
Lâun de ces tĂ©moins, Jaime FernĂĄndez Gil de Terradillos, dĂ©lĂ©guĂ© supplĂ©ant du gouvernement, franc-maçon, qui rĂ©ussit ensuite Ă sâĂ©chapper par Tanger et partit en exil au Mexique, dĂ©clara plus tard dans ses mĂ©moires que le jugement Ă©tait fondĂ© sur des accusations portant sur lâattitude, sur la façon de penser, non sur des faits concrets, et que la dĂ©fense Ă©tait menĂ©e « sans chaleur, sans arguments, Ă seule fin que le pauvre Arce [le dĂ©fenseur] puisse se tirer dâaffaire, obligĂ© quâil avait Ă©tĂ© de remplir pareil rĂŽle dans cette farce tragique ». Câest en rĂ©alitĂ© le gĂ©nĂ©ral lui-mĂȘme qui, au milieu dâune salle dâaudience remplie de militaires hostiles et de phalangistes, prit sur lui de se dĂ©fendre sur un ton « valeureux, assurĂ© et digne », en sâĂ©rigeant contre le qualificatif injuste de traĂźtre[15].
Toujours selon FernĂĄndez Gil, il vit Romerales le , le lendemain de son retour de manĆuvres â temps dâabsence de leur supĂ©rieur que les putschistes avaient mis Ă profit pour rĂ©gler les derniers dĂ©tails de lâimminent coup dâĂtat â et discuta alors avec lui du tĂ©lĂ©gramme reçu de Madrid et mettant en garde contre un soulĂšvement militaire en gestation, et lui avoua ne pas avoir confiance ni dans la Garde civile, ni dans la police ; cependant, le gĂ©nĂ©ral Romerales de son cĂŽtĂ© ne percevait aucun danger. Tandis que tous Ă©taient conscients de ce qui se tramait depuis les Ă©lections de fĂ©vrier 1936, Romerales quant Ă lui persista jusquâau dernier moment Ă ne pas croire possible une telle chose. Aussi SeguĂ put-il, vu la totale absence de prĂ©cautions de dĂ©fense de Romerales, dĂ©jouer tous les contrĂŽles et, escortĂ© dâun groupe de Regulares, se prĂ©cipiter dans son bureau pistolet au poing et le mettre en dĂ©tention[15]. Plus tĂŽt encore, dĂ©but , le gouvernement de Madrid avait dĂ©pĂȘchĂ© le commissaire Antonio Lozano Cano avec mission dâenquĂȘter sur le complot fasciste, ce qui permit de recueillir bon nombre de renseignements ; mais malgrĂ© cela, aucune action nâavait Ă©tĂ© entreprise et les nouvelles nominations allaient Ă©choir Ă des personnes impliquĂ©es dans la conjuration. Le , quand on eut appris par des confidents que tout Ă©tait fin prĂȘt pour le soulĂšvement, contact fut Ă nouveau pris avec le gĂ©nĂ©ral, qui finit de mauvaise grĂące par accepter dâenvisager de prendre certaines mesures. DâaprĂšs ce quâavait appris FernĂĄndez Gil, le coup dâĂtat devait ĂȘtre dĂ©clenchĂ© Ă 5 heures de lâaprĂšs-midi, mais jusquâĂ une demi-heure avant le coup de force, Romerales sâabstenait toujours de prendre des mesures urgentes pour le prĂ©venir. Il apparaĂźt aussi quâil avait une connaissance disproportionnĂ©e de ce qui se passait autour de lui : ce quâil savait sur le prĂ©sumĂ© mouvement subversif de gauche des sous-officiers avait pour effet de le dĂ©tourner de la conspiration vĂ©ritable qui se tramait[15].
Inculpation et procĂšs sumarĂsimo
Le , une fois achevĂ©s les interrogatoires, la procĂ©dure se transforma en procĂšs dit sumarĂsimo (littĂ©r. trĂšs sommaire, câest-Ă -dire en procĂ©dure accĂ©lĂ©rĂ©e), ce qui supposait une rĂ©duction substantielle du nombre dâĂ©tapes du procĂšs. Le choix de cette procĂ©dure, prĂ©vue aux termes du Code de justice militaire de 1890, Ă©tait conditionnĂ©e, premiĂšrement, par le caractĂšre dâ« immĂ©diatetĂ© » des faits reprochĂ©s et, deuxiĂšmement, par lâexceptionnelle gravitĂ© des actes, puisquâen effet, suivant lâart. 651, ceux-ci Ă©taient supposĂ©s entraĂźner la peine capitale[17]. En lâespĂšce cependant, un procĂšs sumarĂsimo ne pouvait se justifier, attendu que les faits incriminĂ©s ne rĂ©pondaient pas Ă lâimpĂ©ratif indispensable dâĂȘtre flagrants, lâinterprĂ©tation correcte de la norme requĂ©rant en effet que le prĂ©venu soit surpris aussitĂŽt aprĂšs avoir commis le dĂ©lit, alors que tous les faits allĂ©guĂ©s sâĂ©taient produits avec un ample dĂ©calage temporel â plus dâun mois et demi â par rapport Ă la mise en dĂ©tention du prĂ©venu dans la soirĂ©e du 17 au [18].
Le fut nommĂ© prĂ©sident du conseil de guerre le gĂ©nĂ©ral de rĂ©serve Manuel de GĂĄndara Sierra, et dĂ©signĂ© comme dĂ©fenseur de Romerales le colonel AndrĂ©s Arce Llevada. Sans dĂ©lai, la procĂ©dure passa aux mains du procureur, qui dĂ©finit les chefs dâaccusation et prĂ©senta les faits reprochĂ©s comme constitutifs du dĂ©lit de trahison et de sĂ©dition[note 2]. Dans son acte dâaccusation, le procureur considĂ©rait que « le gĂ©nĂ©ral connaissait la sĂ©dition de la troupe par des officiers rĂ©publicains en vue de commettre des actes contre la patrie et de favoriser les desseins de lâennemi, tellement contraires Ă la civilisation, notamment par des affiliĂ©s du Parti communiste, et nâa adoptĂ© aucune rĂ©solution tendant au chĂątiment immĂ©diat ou Ă la dĂ©tention desdits Ă©lĂ©ments », et aussi que « le gĂ©nĂ©ral a commentĂ© Ă haute voix et en prĂ©sence de militaires et de civils quâil ne verrait pas le moindre inconvĂ©nient Ă souscrire au manifeste communiste publiĂ© ce jour-lĂ [le premier mai 1936] »[19]. Ă ses yeux, ce dernier fait suffisait « pour brosser la silhouette morale du gĂ©nĂ©ral Romerales ». Romerales aurait supposĂ©ment fait cette dĂ©claration en prĂ©sence de Gazapo et dâUrzĂĄiz, alors que ce dernier, ainsi que le souligna le dĂ©fenseur, affirmait nâavoir rien entendu. Romerales ne se souvenait plus dâavoir tenu de tels propos, mais reconnut toutefois que quelques jours plus tard, lorsquâon lui apporta le manifeste dans son bureau, il « le trouva rĂ©digĂ© en des termes modĂ©rĂ©s », constatant que le texte « conseillait dâaimer lâarmĂ©e »[15].
Par ailleurs, le procĂšs Ă©tait entachĂ© de plusieurs vices de forme. La procĂ©dure adoptĂ©e le Ă©tait celle dite de Consejo de Guerra de Oficiales Generales (« conseil de guerre dâofficiers gĂ©nĂ©raux »), or, aux termes de la loi, la procĂ©dure aurait dĂ» ĂȘtre de type Consejo de Guerra en Pleno, Reunido y Sala (littĂ©r. « conseil de guerre plĂ©nier, rĂ©uni et chambre »), seule modalitĂ© procĂ©durale habilitĂ©e Ă connaĂźtre de dĂ©lits de lĂšse-majestĂ© et de trahison commis par un commandant militaire Ă la tĂȘte dâune force armĂ©e. Aux dates oĂč eut lieu le jugement, il Ă©tait impossible dans la zone nationaliste de mettre en place un conseil de guerre de ce type, dâabord en raison de ce que le Tribunal suprĂȘme, organe auquel ressortissaient ces jugements, avait son siĂšge Ă Madrid, câest-Ă -dire pour lors encore dans la zone rĂ©publicaine, ensuite par lâabsence de mĂ©canisme juridictionnel dans la zone insurgĂ©e qui ait permis la mise sur pied dâun nouveau Conseil suprĂȘme de guerre et marine, pour la crĂ©ation duquel il aurait fallu attendre lâavĂšnement dans la zone insurgĂ©e dâune nouvelle juridiction militaire, crĂ©Ă©e seulement plus tard, en vertu des dĂ©crets ad hoc du , restituant aux autoritĂ©s militaires la juridiction naguĂšre perdue sous la RĂ©publique, ainsi que du dĂ©cret dâ portant crĂ©ation du Haut Tribunal de justice. En lâabsence dâun organisme judiciaire compĂ©tent et des moyens de tenir un conseil de guerre en conformitĂ© avec la loi, il fut donc dĂ©cidĂ©, faute de mieux, de juger le gĂ©nĂ©ral Romerales selon la modalitĂ© du Consejo de Guerra de Oficiales Generales[20] - [note 3].
En outre, le Conseil devait se composer dâun prĂ©sident et de six jurĂ©s, qui tous devaient ĂȘtre des « officiers gĂ©nĂ©raux », et ĂȘtre prĂ©sidĂ© par lâofficier gĂ©nĂ©ral Ă la personnalitĂ© la plus prestigieuse et Ă lâanciennetĂ© la plus Ă©levĂ©e. Cette condition ne fut pas remplie en lâespĂšce, puisque le jury ne comprenait quâun seul gĂ©nĂ©ral, Ă cĂŽtĂ© de colonels et de lieutenants-colonels[20].
En rĂ©sumĂ©, on note un certain nombre dâirrĂ©gularitĂ©s de nature Ă mettre en question lâimpartialitĂ© et la transparence de la procĂ©dure ouverte contre Romerales, car si la nomination du lieutenant-colonel Bartomeu comme juge dâinstruction Ă©tait irrĂ©guliĂšre, sont Ă qualifier dâirrĂ©guliers Ă©galement les interrogatoires effectuĂ©s par celui-ci des tĂ©moins citĂ©s, de viciĂ©e lâadoption de la procĂ©dure accĂ©lĂ©rĂ©e (sumarĂsimo) pour le procĂšs selon les critĂšres du Code de justice militaire, et de non conforme la composition de la chambre appelĂ©e Ă juger le gĂ©nĂ©ral Romerales[21].
Chefs dâaccusation
Comme indiquĂ© ci-haut, Romerales comparaissait pour le dĂ©lit de trahison et de sĂ©dition. Dans lâacte dâaccusation rĂ©digĂ© par Bartomeu, le quatriĂšme chef dâaccusation concernait le dĂ©faut dâopposition de Romerales Ă une association dâofficiers et de gens de troupe animĂ©e par des idĂ©es « dissolvantes » ; dans le cinquiĂšme, il lui Ă©tait imputĂ© de nâavoir pas rĂ©agi face au complot de sous-officiers du bataillon no 7 et aux rĂ©unions tenues sur lâaĂ©rodrome de Tahuima ; le sixiĂšme lui reprochait dâavoir Ă©loignĂ© de Melilla la Compagnie de mer (« CompañĂa de Mar ») ; le septiĂšme portait sur ses dĂ©clarations faites dans le parc GarcĂa HernĂĄndez Ă propos du manifeste communiste, sur les injures Ă lâadresse de lâarmĂ©e profĂ©rĂ©es lors de lâhommage rendu Ă Romerales le , et sur lâordre Ă©dictĂ© par lui de ne pas rĂ©agir aux agressions et provocations de la population civile[22].
Quant au premier chef dâaccusation (dĂ©faut dâopposition aux associations militaires extrĂ©mistes de gauche), il a pu ĂȘtre Ă©tabli que Romerales, par des rapports de ses services de renseignements, avait eu connaissance notamment : de rĂ©unions dâofficiers et de soldats de troupe qui sâappliquaient Ă recueillir des informations dans les casernes et leurs dĂ©pendances et Ă dresser les listes des officiers engagĂ©s dans la conspiration nationaliste, dans le but de permettre une rĂ©action appropriĂ©e des forces de gauche dans lâĂ©ventualitĂ© dâun soulĂšvement militaire ; de prĂ©lĂšvements dâarmes et dâexplosifs dans le parc dâartillerie effectuĂ©s sans lâautorisation des supĂ©rieurs compĂ©tents ; et de certaines opĂ©rations nocturnes, commises dans la nuit du 9 au . En outre, Romerales savait que lesdits groupes sâefforçaient dâattirer Ă leur cause le personnel de diffĂ©rentes unitĂ©s et organisaient des assemblĂ©es dans les cantines, dans des domiciles privĂ©s et en particulier dans le bar « La Peña », vĂ©ritable point de rencontre des militaires rĂ©publicains[22].
Quant au renvoi de la CompañĂa de Mar, le commandant de celle-ci, le lieutenant Arturo MorĂĄn, accusa dans sa dĂ©position le gĂ©nĂ©ral Romerales dâavoir mutĂ© Ă des fins politiques cette unitĂ© de Melilla vers Villa Sanjurjo, afin de rĂ©duire la prĂ©sence dans la place de Melilla dâunitĂ©s engagĂ©es dans la conspiration nationaliste. Toutefois, cette allĂ©gation non seulement fut rĂ©futĂ©e par Romerales, qui indiqua quâil avait Ă©mis cet ordre pour mettre fin Ă lâusage abusif qui Ă©tait fait de cette unitĂ© pour des opĂ©rations de chargement et de dĂ©chargement dans le port sans rapport avec sa fonction rĂ©glementaire, mais encore Ă©tait contredite par la faible importance de cette force de marine au sein dâune place militaire totalement rĂ©gie par lâarmĂ©e de terre comme lâĂ©tait alors Melilla[23].
Quant au complot de sous-officiers, ce supposĂ© mouvement subversif de sous-officiers sous lâĂ©gide de quelques officiers, qui aurait Ă©tĂ© mis au jour fin , aprĂšs que Romerales eut donnĂ© mission dâenquĂȘter, parmi dâautres, au commandant Meziane, puis plus tard, pendant une nuit de , lorsque plusieurs militaires impliquĂ©s dans le futur coup dâĂtat passĂšrent en revue les compagnies dont les sous-officiers se rĂ©unissaient clandestinement. Les sous-officiers et soldats concernĂ©s furent alors accusĂ©s de se rassembler dans une cantine pour Ă©couter Radio Moscou et commenter la situation politique espagnole, ce qui se solda par une mutation pour quelques-uns et Ă une mise Ă pied pour dâautres. Cependant, la manĆuvre de diversion Ă©tait tellement limpide que Romerales lui-mĂȘme nây ajouta aucune crĂ©ance. Lâinvocation de cette affaire lors de lâinstruction du procĂšs nâavait dâautre but que de dĂ©montrer que Romerales avait observĂ© une attitude passive face Ă une situation de cette nature. Cette affaire aboutit finalement Ă ce que des mesures furent prises et que la rĂ©pression vint Ă sâabattre sur les sous-officiers et sur leurs prĂ©sumĂ©s contacts ; ainsi notamment le capitaine Luis Casado Escudero sera-t-il fusillĂ© peu de jours aprĂšs le coup dâĂtat[15].
Quant Ă la fermeture du Casino militaire, Romerales avait dĂ» sây rĂ©soudre en raison de lâattitude provocatrice de certains militaires qui, vĂȘtus en civil et armĂ©s, avaient cru opportun dây faire une dĂ©monstration de force, et dans le but dâĂ©viter des incidents avec les manifestants de gauche. En effet, aprĂšs quâil lui avait Ă©tĂ© communiquĂ© par des militants de gauche quâun groupe dâofficiers avaient investi le Casino « avec des intentions subversives » â information que lâon Ă©tait tenu de transmettre Ă Madrid â, Romerales dĂ©cida dâenvoyer la police de sĂ©curitĂ© pour le cas oĂč se produiraient des attaques de la part dâactivistes de gauche, puis ordonna le lendemain la fermeture du Casino pour quelques jours, avant dâadresser le un tĂ©lĂ©gramme au gouvernement, dans lequel il Ă©tait fait Ă©tat que le jour concernĂ© une demi-centaine de militaires armĂ©s et habillĂ©s en civil sâĂ©taient concentrĂ©s dans ce lieu sous le prĂ©texte que les Jeunesses socialistes et communistes se proposaient de le prendre dâassaut (ce qui allait se rĂ©vĂ©ler faux), en raison de quoi il avait Ă©tĂ© dĂ©cidĂ© dây dĂ©pĂȘcher des forces de sĂ©curitĂ© ; de plus, selon le mĂȘme tĂ©lĂ©gramme, il sâagissait dâune « alarme intentionnelle provoquĂ©e par des Ă©lĂ©ments sympathisants du fascisme appartenant Ă diffĂ©rents corps »[15]. Il est Ă rappeler que la rĂ©alitĂ© sociale telle que vĂ©cue alors Ă Melilla, comme dans le reste de lâEspagne, depuis la victoire du Front populaire, Ă©tait propice aux exaltations politiques et aux provocations rĂ©ciproques entre les groupes idĂ©ologiques diffĂ©rents et en particulier Ă lâencontre dâune caste militaire qui tendait Ă se radicaliser de plus en plus. Câest ce qui explique la dĂ©cision de Romerales, concrĂ©tisĂ©e par un ordre, dâinterdire, face aux insultes profĂ©rĂ©es par des civils Ă lâadresse des officiers, toute rĂ©action violente, prescrivant Ă ses hommes de se limiter Ă identifier les agresseurs et de prendre note de la plaque dâimmatriculation des vĂ©hicules dâoĂč provenaient les offenses. Cette dĂ©cision de ne pas rĂ©agir aux outrages avait pour but dâĂ©viter que le personnel de lâarmĂ©e se laisse entraĂźner Ă participer Ă des incidents violents, en canalisant le mĂ©contentement justifiĂ© des militaires vers les autoritĂ©s politiques compĂ©tentes chargĂ©es de maintenir lâordre public. Lorsque les faits dĂ©passaient les limites dâun simple incident, comme ce fut le cas avec lâassaut contre la rĂ©sidence dâofficiers « La HĂpica » et avec la fermeture du Casino, Romerales ne manquait pas dâen faire rapport de façon dĂ©taillĂ©e aux autoritĂ©s de TĂ©touan, et de convoquer parallĂšlement les chefs de corps pour leur communiquer ses instructions[24]. Romerales insista bien dans sa dĂ©position au juge dâinstruction quâil nâavait pas donnĂ© consigne aux officiers de ne pas rĂ©agir aux insultes, mais de sâattacher Ă Ă©luder tout heurt et de se limiter Ă signaler le fait. Cependant, pendant le procĂšs, les militaires putschistes sâingĂ©niĂšrent Ă interprĂ©ter comme suit cette dĂ©cision : « si dans la rue ils subissaient des vexations, [qui allaient] jusquâĂ porter atteinte Ă leurs sentiments les plus sacrĂ©s, il leur Ă©tait enjoint de ne pas rĂ©agir et de se borner Ă noter le nom de lâindividu et le numĂ©ro du vĂ©hicule »[15].
Quant Ă lâimputation dâavoir reçu un hommage public de la part du Front populaire « tout en Ă©coutant les avanies profĂ©rĂ©es contre les militaires sans faire la moindre objection », ce chef dâaccusation se rĂ©fĂšre aux festivitĂ©s du , jour oĂč fut cĂ©lĂ©brĂ© le cinquiĂšme anniversaire de la RĂ©publique. Pourtant, on ne peut infĂ©rer, des articles parus Ă cette occasion dans la presse de Melilla, lâexistence dâaucune tension politique ou sociale particuliĂšre, nulle mention en effet nây Ă©tant faite de provocations ou de cris hostiles aux forces armĂ©es. De surcroĂźt, cette impression de normalitĂ© se trouve confirmĂ©e par lâabsence de compte rendu sur les cĂ©rĂ©monies de Melilla dans les journaux de la mĂ©tropole, tandis que les annonces dâincidents survenus avec des militaires le jour anniversaire de la RĂ©publique furent au contraire fort nombreuses dans le reste de lâEspagne[23].
AprĂšs que lâinculpĂ© eut entendu lecture de lâacte dâaccusation, celui-ci se limita Ă marquer son dĂ©saccord avec les chefs dâaccusation, qui nâĂ©taient selon lui que pures conjectures. Il sollicita par ailleurs que les tĂ©moins contresignent leurs dĂ©positions, afin que son dĂ©fenseur puisse les interroger en temps voulu, et que soit versĂ©e au dossier une sĂ©rie de documents aptes Ă dĂ©montrer son souci permanent de lâordre public et de la sĂ©curitĂ© de la garnison tout au long des quelques mois quâil avait Ă©tĂ© en poste Ă Melilla (câest-Ă -dire de mars Ă ), de mĂȘme quâune copie du tĂ©lĂ©gramme relatif Ă la fermeture du Casino militaire[15].
Tous les tĂ©moins appelĂ©s Ă la barre confirmĂšrent leurs dires, et nâeurent face Ă eux que lâapathie du dĂ©fenseur Arce, dont le rĂŽle se limitait Ă obtenir que la peine, au cas oĂč Romerales ne serait pas acquittĂ©, soit attĂ©nuĂ©e[15].
Verdict
Le tribunal considĂ©ra comme Ă©tabli que le gĂ©nĂ©ral Romerales, en accord avec les autoritĂ©s civiles et avec le gouvernement de Front populaire, « non seulement sâopposa Ă des idĂ©aux aussi purs, mais encore rabaissa son autoritĂ©, allant jusquâĂ partager celle-ci avec les directives politiques marxistes et communistes » et avait soumis le corps dâofficiers à « de constantes vexations, inacceptables pour lâhonneur et la dignitĂ© de quiconque appartient aux institutions armĂ©es » ; quâil ne sâĂ©tait pas comportĂ© comme il Ă©tait de son devoir face Ă la supposĂ©e conspiration dĂ©noncĂ©e par lâenseigne GutiĂ©rrez Lanzas, quâil Ă©tait « un instrument servile de la politique quâimposaient les marxistes Ă Melilla, et Ă considĂ©rer comme traĂźtre Ă la collectivitĂ© dont il Ă©tait le chef [âŠ] », et quâil agissait comme protecteur des militaires impliquĂ©s dans les rĂ©unions rĂ©volutionnaires des sous-officiers. En foi de quoi les membres du tribunal tenaient pour prouvĂ©es les charges contre Romerales, constitutives des dĂ©lits de trahison et de sĂ©dition[15].
La justification du tribunal pour amalgamer le dĂ©lit de trahison Ă celui de sĂ©dition se limitait Ă deux considĂ©rants, qui postulaient laconiquement que : « Les faits dĂ©crits ci-dessus sont constitutifs des dĂ©lits mentionnĂ©s, ceux-ci Ă©tant prĂ©vus et sanctionnĂ©s aux articles 225, correspondant au 22, alinĂ©a 5Âș du Code de justice militaire, et 248, correspondant au 243 du mĂȘme texte lĂ©gal, et les effets de pĂ©nalitĂ© sont Ă comprendre comme rĂ©alisĂ©s sans solution de continuitĂ©, vu que tous ses actes sont le fruit dâun mĂȘme esprit et dâune mĂȘme volontĂ© dĂ©lictueux, en considĂ©ration de quoi le Conseil estime que ces deux dĂ©lits sont Ă sanctionner comme un seul, Ă savoir comme le plus grave des deux, celui de trahison »[25].
Toutefois, sâil est possible de qualifier comme constitutives de dĂ©lit de trahison une action commise pendant des conflits civils armĂ©s, dĂšs lors que lâautoritĂ© qui applique les normes du code pĂ©nal est dĂ©tentrice de la lĂ©galitĂ© en vigueur, il se trouve que pendant la Guerre civile les deux camps se considĂ©raient lâun et lâautre comme dĂ©positaires de cette lĂ©gitimitĂ©, encore quâaucun des deux ne lâait respectĂ©e et mise en Ćuvre. Compte tenu que la RĂ©publique incarnait le pouvoir lĂ©gitimement constituĂ©, les insurgĂ©s sâabstinrent dans un premier temps de dĂ©finir leur action comme « antirĂ©publicaine » et la qualifiaient dâopposĂ©e au gouvernement de Front populaire, et entendaient le code de justice militaire en fonction de leurs propres traditions ; câest dans ce cadre quâallait ĂȘtre introduit le dĂ©lit de trahison. Cependant, selon le Code de justice militaire, des actes ne peuvent ĂȘtre retenus comme constitutifs de trahison quâĂ condition que deux Ă©lĂ©ments essentiels soient rĂ©unis lors de leur commission, Ă savoir : que les faits aient eu lieu durant un conflit armĂ©, et que lâaccusĂ© ait tenu lâune ou lâautre conduite active ou passive correspondant Ă celles dĂ©crites dans la loi. Cependant, aucun des faits sur lesquels le tribunal de Melilla appuyait son accusation contre Romerales ne pouvait ĂȘtre assimilĂ© Ă ceux rĂ©pertoriĂ©s dans le Code, Ă©tant donnĂ© aussi que tous les faits imputĂ©s Ă Romerales Ă©taient antĂ©rieurs Ă la dĂ©claration dâĂ©tat de guerre du [26].
Lâhistorien Gil Honduvilla conclut :
« De tout cela on peut dĂ©duire que, lors mĂȘme quâon tiendrait pour prouvĂ©s les faits estimĂ©s tels par le tribunal, ceux-ci ne seraient pas pour autant constitutifs de lâune des catĂ©gories pĂ©nales les plus graves du Code de justice militaire, comme lâest celle de trahison. La conduite du gĂ©nĂ©ral [Romerales] aurait pu ĂȘtre rangĂ©e dans dâautres catĂ©gories de gravitĂ© moindre, mais jamais sous les articles 222 et suivants du Code. Ni ce qui sâest passĂ© ne fut comme le dĂ©crit le tribunal dans la sentence, ni ce qui est dĂ©crit Ă©tait constitutif dâun dĂ©lit de trahison. Ce que nous avons relatĂ© jusquâici nâest autre quâune tentative de confĂ©rer une forme lĂ©gale Ă ce qui ne fut simplement et carrĂ©ment quâune exĂ©cution, en dĂ©pit de ce que le procĂšs ait Ă©tĂ© ornĂ© dâune sĂ©rie de garanties lĂ©gales inexistantes[27]. »
Exécution de Romerales et contexte judiciaire au début de la Guerre civile
Le sort du gĂ©nĂ©ral Romerales Ă©tait conditionnĂ© par la situation dans laquelle se trouvait le pouvoir judiciaire dans les premiers jours du soulĂšvement militaire de [28]. En effet, Romerales fut condamnĂ© par un conseil de guerre tenu le , câest-Ă -dire Ă un moment de plus grande anarchie dans le camp insurgĂ©. Ce chaos des premiers jours de la guerre, quand le camp nationaliste nâavait pas encore eu le loisir de rebĂątir les hautes instances du pouvoir judiciaire capables dâunifier les diffĂ©rentes normes alors existantes, pourrait ĂȘtre dĂ©signĂ© par « phase de justice des gĂ©nĂ©raux », soit la pĂ©riode oĂč sâĂ©panouit tout lâensemble dâirrĂ©gularitĂ©s formelles survenues dans les dĂ©buts de la guerre civile[29]. Dans cette phase, le chĂątiment infligĂ© par leurs compagnons dâarmes aux militaires non insurgĂ©s dĂ©pendait, entre autres facteurs, de lâamitiĂ© ou de lâinimitiĂ© entre lâinculpĂ© et le chef militaire qui le gardait prisonnier, de lâappui dont il jouissait chez les officiers insurgĂ©s, des tensions entre les diffĂ©rents gĂ©nĂ©raux rebelles au moment de dĂ©limiter leurs sphĂšres de pouvoir respectives, et de lâoccurrence antĂ©rieure, dans le camp adverse, dâimportantes irrĂ©gularitĂ©s Ă lâencontre de militaires insurgĂ©s tombĂ©s au pouvoir des rĂ©publicains[30].
Ironiquement, ou peut-ĂȘtre Ă la suite dâune prise de conscience des graves vices de procĂ©dure et des irrĂ©gularitĂ©s pĂ©nales dont Ă©tait entachĂ© le sumarĂsimo contre Romerales, le ComitĂ© de dĂ©fense nationale (Junta de Defensa Nacional) de Burgos rendit le , soit sept jours aprĂšs lâexĂ©cution du gĂ©nĂ©ral, son dĂ©cret no 79, par lequel, entre autres rĂ©formes du Code de justice militaire, Ă©tait crĂ©Ă©e la possibilitĂ© dâinstituer la procĂ©dure accĂ©lĂ©rĂ©e (sumarĂsimo) sans quâil soit requis dĂ©sormais de prendre lâinculpĂ© en flagrant dĂ©lit, ni dâimposer comme unique sentence admissible celle de mort ou de rĂ©clusion Ă perpĂ©tuitĂ©, et par lequel aussi Ă©tait dĂ©sormais considĂ©rĂ©e comme « place militaire subissant un blocus ou assiĂ©gĂ©e » les ports ou places « qui pour les besoins du service militaire [...] seraient considĂ©rĂ©s tels par les gĂ©nĂ©raux en chef de lâarmĂ©e » â stipulations qui auraient rendu « lĂ©gale » la procĂ©dure engagĂ©e contre Romerales et compĂ©tent le jury qui lâavait jugĂ©[27]. Mais avant que ces nouvelles dispositions soient entrĂ©es en vigueur, des officiers supĂ©rieurs comme Campins, Salcedo, Romerales, NĂșñez del Prado, Caridad Pita, et, plus tard (en 1937), Batet, avaient Ă©tĂ© condamnĂ©s Ă la peine capitale et exĂ©cutĂ©s dans la zone nationaliste, pour des faits similaires Ă ceux pour lesquels eurent au contraire la vie sauve dâautres officiers rĂ©calcitants dans la mĂȘme zone, tels que Villa-Abrille, LĂłpez Viota, GĂłmez Morato et Molero[31].
Romerales fut condamné à mort et fusillé le à 8 h 0 sur le champ de tir du fort de Rostrogordo à Melilla[32] - [27], aprÚs dégradation[15].
Notes et références
Notes
- Ă titre dâexemple, voici, extraite du dossier dâinstruction, lâune des questions du juge dâinstruction Ă un militaire : « InterrogĂ© si, lors des rĂ©unions tant privĂ©es quâofficielles avec le gĂ©nĂ©ral Romerales, il avait pu juger si ses actions Ă©taient comme telles aussi claires et patriotiques quâil convenait quâelles soient⊠», le militaire concernĂ© rĂ©pondait fatalement quâelles « nâĂ©taient ni claires ni patriotiques ». Cf. F. Espinosa Maestre (2020).
- Dans la juridiction militaire espagnole, il convient de ne pas confondre le dĂ©lit de sĂ©dition militaire avec les manifestations collectives de militaires Ă portĂ©e politique que lâon peut typiquement ranger sous le libellĂ© de rĂ©bellion militaire, ou sous les dĂ©lits de rĂ©bellion ou de sĂ©dition dans le code ordinaire. Aux termes de la norme pĂ©nale commune, distincte du Code militaire, la sĂ©dition constitue un dĂ©lit sâinscrivant dans les atteintes Ă la sĂ©curitĂ© extĂ©rieure de lâĂtat, et recouvre des conduites constitutives des soulĂšvements, insurrections et dĂ©sobĂ©issances civiles et de nature Ă compromettre de façon turbulente lâordre public ; la sĂ©dition au sens militaire en revanche, si elle se rattache Ă cette catĂ©gorie (civile) par le commun critĂšre dâĂȘtre le fait dâune collectivitĂ© de sujets actifs, sâen diffĂ©rence par la nature du bien juridique affectĂ©, en lâoccurrence la discipline. Cf. J. Gil Honduvilla (2004), p. 104 & 111.
- Rappelons quâau dĂ©but de la RĂ©publique, dĂšs avant lâadoption de la Constitution de 1931, le nouveau ministre de la Guerre Manuel Azaña procĂ©da, dans le cadre de sa rĂ©forme des forces armĂ©es, Ă une rĂ©forme complexe et prĂ©cautionneuse de la juridiction militaire pour mettre fin notamment Ă lâexcessive militarisation de la justice depuis la Restauration et la dictature de Primo de Rivera. Ă cette fin fut promulguĂ©e en mai 1931 un dĂ©cret portant dĂ©finition du champ de compĂ©tence des tribunaux de Guerre et Marine â lequel champ Ă©tait rĂ©duit aux dĂ©lits de nature essentiellement militaire â et abolissant le Conseil suprĂȘme de Guerre et Marine, dont la compĂ©tence passa Ă la nouvelle Chambre de justice militaire du Tribunal suprĂȘme, en vertu de quoi les capitaines gĂ©nĂ©raux se retrouvaient privĂ©s de leurs prĂ©rogatives judiciaires, transfĂ©rĂ©es aux auditorats respectifs, seuls habilitĂ©s dĂ©sormais à « dĂ©signer les juges, assigner les compĂ©tences, gĂ©rer les tours de rĂŽle dans la composition des Conseils, et interjeter appel [...] ». Cf. J. Gil Honduvilla (2004), p. 101.
Références
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- (es) « (sans titre) », Diario Oficial del Ministerio de la Guerra, no 176,â .
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- (es) « La rebeliĂłn en Ăfrica. El general Romerales y la justicia facciosa », ABC,â , p. 14 (lire en ligne, consultĂ© le ).
Bibliographie
- (es) JoaquĂn Gil Honduvilla, « AnatomĂa de un procedimiento, sumarĂsimo instruido al general Romerales con ocasiĂłn de los hechos acaecidos el 17 de julio de 1936 », HumanĂstica, Jerez de la Frontera, IES Santa Isabel de HungrĂa, no 13,â 2002-2003, p. 213-253.
- (es) JoaquĂn Gil Honduvilla, « La sublevaciĂłn de Julio de 1936 : Proceso militar al general Romerales », Historia Actual Online (HAOL), no 4,â , p. 99-113 (ISSN 1696-2060, lire en ligne).
- (es) JoaquĂn Gil Honduvilla, Marruecos ÂĄ17 a las 17!, SĂ©ville, Guadalturia, , 540 p. (ISBN 9788493686741), p. 19-24 & 78-95.
Liens externes
- (es) Francisco Saro Gandarillas, « Manuel Romerales Quintero », sur Diccionario biogråfico español, Madrid, Real Academia de la Historia, (consulté le )
- (es) Francisco Espinosa Maestre, « La justicia militar al servicio del terror : El consejo de guerra contra el general Manuel Romerales Quintero », sur Conversación sobre la Historia, .
- (es) Arturo GarcĂa Ălvarez-Coque, « Los militares de Estado Mayor en la Guerra Civil española (1936-1939) », Madrid, universitĂ© Complutense de Madrid / facultĂ© de gĂ©ographie et histoire / dĂ©partement dâhistoire contemporaine, , p. 148-151 (thĂšse de doctorat, sous la direction de Juan Pablo Fusi AizpurĂșa et dâĂngel Bahamonde Magro).