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RĂ©volte de Quebra-Quilos

La révolte de Quebra-Quilos (litt., en portugais, révolte de Brise-kilos[note 1]) est une révolte paysanne diffuse survenue dans plusieurs villes et bourgs du Nordeste Brésilien, entre la fin de 1874 et le milieu de 1875.

RĂ©volte de Quebra-Quilos
Description de cette image, également commentée ci-aprÚs
Photographie d'une Ă©meute de Quebra-Quilos en 1875.
Date Octobre 1874 – aoĂ»t 1875
Lieu Nordeste (provinces du Pernambouc, de la Paraíba, du Rio Grande do Norte et d'Alagoas), Drapeau du Brésil Empire du Brésil
Résultat Protestations paysannes diffuses contre les taxations excessives et le nouveau systÚme de poids et mesures. Révolte étranglée par les forces de l'ordre locales avec le renfort de l'armée nationale.

Les soulĂšvements, qui commencĂšrent le dans le bourg campagnard de Fagundes, dans la province nordestine de la ParaĂ­ba, et s’étendirent bientĂŽt Ă  la ville de Campina Grande proche, se rĂ©pandirent ensuite par contagion dans les zones rurales Ă  travers toute la province, avant de se propager aux deux provinces adjacentes du Pernambouc et du Rio Grande do Norte, puis plus au sud encore, jusqu’à la province d’Alagoas. Les Ă©meutiers, qui Ă©taient pour la plupart de petits paysans, mais aussi des artisans, des vendeurs de marchĂ© et des sans-emploi, s’en prenaient aux Ă©quipements (balances, poids, Ă©talons de volume, etc.) du systĂšme mĂ©trique nouvellement entrĂ© en vigueur dans tout le pays, dĂ©truisirent les dossiers de l’administration fiscale ainsi que les documents et affiches de la conscription militaire, s’en prirent çà et lĂ  aux objets et symboles maçonniques, et proclamaient qu’ils refuseraient dĂ©sormais de s’acquitter de la taxe foraine pour vendre leurs produits sur les marchĂ©s. Ces jacqueries paysannes, si elles suivirent toutes un schĂ©ma semblable, apparaissent cependant comme des turbulences sporadiques, attribuables Ă  des groupes d’émeutiers agissant en ordre dispersĂ©, indĂ©pendamment les uns des autres, certes emmenĂ©s par quelques meneurs identifiĂ©s, mais dĂ©nuĂ©es d’organisation gĂ©nĂ©rale sous la direction d’un chef unique.

La cause de ces insurrections Ă©tait un ensemble complexe de facteurs, au premier rang desquels la stagnation Ă©conomique de la rĂ©gion provoquant une baisse des recettes fiscales et une subsĂ©quente hausse de taxations de toutes sortes, dont la taxe foraine, principale cible des insurgĂ©s ; sur ce mobile principal vinrent se greffer d’autres motivations, liĂ©es Ă  la question religieuse opposant alors l’Église brĂ©silienne Ă  l’État impĂ©rial (Ă  propos de la rĂ©forme du clergĂ©, de la dĂ©nationalisation – et romanisation — de l’Église brĂ©silienne, et surtout du rĂŽle de l’Église dans l’État) et Ă  la nouvelle loi de conscription militaire. Cette derniĂšre, en tant qu’elle rendait automatique l’enrĂŽlement dans l’armĂ©e et vaine par consĂ©quent toute intervention de type clientĂ©liste, mettait Ă  mal le traditionnel systĂšme patriarcal du sertĂŁo brĂ©silien et constituait en quelque sorte une rupture de l’antique contrat social, suscitant ainsi l’opposition des petits paysans et mĂ©tayers, lesquels pensaient trouver leur compte dans le rapport clientĂ©liste avec le grand propriĂ©taire terrien, rapport fait de familiaritĂ© et d’interdĂ©pendance ; Quebra-Quilos n’était donc pas une rĂ©volte contre le systĂšme social, Ă  telle enseigne que dans certains cas, l’on vit de grands propriĂ©taires, qui avaient besoin du soutien de leurs paysans lors des Ă©lections, se joindre Ă  la rĂ©bellion ou, pendant la phase de rĂ©pression, chercher Ă  soustraire leurs clients Ă  la justice.

Quant aux motivations religieuses, elles ont pu servir de caution morale Ă  la dĂ©sobĂ©issance civique. Plusieurs prĂȘtres catholiques jouĂšrent, par leurs prĂ©dications dĂ©signant Ă  la vindicte publique l’État impĂ©rial comme Ă©tant sous la coupe de la franc-maçonnerie, un rĂŽle d’instigateur ; quelques prĂȘtres furent mis en dĂ©tention, certains Ă  tort. Cependant, quand mĂȘme les autoritĂ©s choisirent de donner Ă  ces Ă©vĂ©nements l’appellation de Quebra-Quilo en rĂ©fĂ©rence au rejet du systĂšme mĂ©trique, dont c’était en effet l’aspect le plus visible et le plus curieux, il demeure que ces jacqueries furent avant tout une protestation contre une pression fiscale devenue insupportable et vexatoire, dont la cause premiĂšre Ă©tait le dĂ©clin Ă©conomique du Nordeste, plus spĂ©cifiquement de la culture de la canne Ă  sucre.

La rĂ©pression, qui mobilisa les forces de police, la garde nationale et les forces armĂ©es impĂ©riales, frappa durement la ParaĂ­ba (oĂč fut dĂ©pĂȘchĂ© un corps expĂ©ditionnaire), moins les autres provinces, et fit invariablement passer en jugement les meneurs (quand ils purent ĂȘtre identifiĂ©s) et enrĂŽler de force dans l’armĂ©e les autres participants. Si les soulĂšvements s’éteignirent dĂšs les premiers mois de 1875, les protestations contre le recrutement militaire perdurĂšrent encore pendant plusieurs mois, et rendirent la loi de conscription inapplicable dans les faits.

Historiquement et sociologiquement, le mouvement Quebra-Quilos est Ă  caractĂ©riser comme une forme primitive ou archaĂŻque d’agitation sociale ; dans certaines villes, il est davantage qu’un tumulte, mais moins qu’une rĂ©volte, dans d’autres, il apparaĂźt comme une rĂ©volte presque articulĂ©e, dans laquelle viennent interfĂ©rer les pouvoirs locaux (juges, ecclĂ©siastiques, et, en retrait, les intĂ©rĂȘts de la grande propriĂ©tĂ© terrienne) et la dichotomie politique bipartisane (Parti conservateur contre Parti libĂ©ral) nationale[1]. L’absence de commandement unique du mouvement rĂ©sulte en partie des intĂ©rĂȘts contradictoires des diffĂ©rents acteurs (qu’ils agissent au grand jour ou qu’ils se tiennent dans l’ombre) et de la frilositĂ© des Ă©lites nordestines, de quelque bord qu’elles fussent, face Ă  toute remise en cause fondamentale de l’ordre Ă©tabli. L’une des manifestations les plus patentes de ces ambiguĂŻtĂ©s est la rĂ©volte des esclaves noirs de Campina Grande, lesquels entrevirent dans le Quebra-Quilos l’occasion de leur libĂ©ration, rĂ©volte qui fut promptement matĂ©e par une milice privĂ©e mise sur pied impromptu par des membres de l’aristocratie fonciĂšre et composĂ©e y compris d’émeutiers du Quebra-Quilos. Au-delĂ  de l’éventail complexe des motivations, les idĂ©es sous-tendant le mouvement avaient la mĂȘme tonalitĂ© commune Ă  toutes les revendications sociales des classes infĂ©rieures dans le passĂ©, et exprimaient avec acuitĂ© les frustrations politiques, d’impuissantes protestations religieuses et une rĂ©volte sociale Ăąpre et dĂ©sordonnĂ©e. Dans leur ensemble, les Ă©pisodes asymĂ©triques du Quebra-Quilos composent une rĂ©volution sociale procĂ©dant d’une crise de structure et de production[2].

ArriĂšre-plan historique

Crise de la canne Ă  sucre et du coton

Pour certains auteurs, la rĂ©volte de Quebra-Quilos n’était pas un mouvement de protestation politique ou religieux, mais s’explique entiĂšrement par la situation Ă©pouvantable des populations de l’intĂ©rieur, lesquelles, privĂ©es de leurs moyens de subsistance par la crise Ă©conomique dans les campagnes, rĂ©agirent en prenant pour cible les nouvelles taxations, aussi multiples que vexantes[3]. À leur tour, ces taxations Ă©taient la consĂ©quence directe de la crise Ă©conomique qui frappa la partie nord-est du BrĂ©sil tout au long de la dĂ©cennie 1870, et en particulier dans les annĂ©es prĂ©cĂ©dant immĂ©diatement la rĂ©volte de Quebra-Quilos[4].

Depuis le milieu du XVIe siĂšcle jusqu’à grosso modo 1650, le BrĂ©sil connut une expansion considĂ©rable de son activitĂ© sucriĂšre et parvint Ă  dominer le marchĂ© mondial du sucre. Cependant, les possessions d’outremer britanniques et françaises, et Ă©galement hollandaises, favorisĂ©es par une attitude protectionniste de leur mĂ©tropole respective tendant chacune Ă  acheter leur sucre auprĂšs de leurs propres colonies, arrivĂšrent bientĂŽt Ă  dĂ©passer le BrĂ©sil et Ă  le supplanter sur le marchĂ©. Certes, le dĂ©clin fut progressif, et le sucre de canne demeura le produit d’exportation central du BrĂ©sil tout au long de la pĂ©riode coloniale, reprĂ©sentant 56 % de l’ensemble de ses exportations[5]. Dans le dernier quart du XVIIIe siĂšcle eut lieu une embellie temporaire, aprĂšs que la RĂ©volution amĂ©ricaine eut interrompu le commerce entre les Antilles et l’Europe, ce qui provoqua une hausse des prix du sucre dans la dĂ©cennie 1780[6]. Les prix repartiront une nouvelle fois Ă  la hausse, en particulier de 1805 Ă  1814, lorsque NapolĂ©on eut instaurĂ© le blocus continental en Europe[7] - [8] - [9] - [10].

Mais vers 1850, les exportations et les prix du sucre recommencĂšrent Ă  baisser en une spirale descendante. Dans la dĂ©cennie 1850, le BrĂ©sil ne produisait plus que 10 % du sucre consommĂ© sur les marchĂ©s extĂ©rieurs et les revenus tirĂ©s du sucre Ă©taient en mĂȘme temps affectĂ©s par une baisse des prix[11]. À cela, trois raisons principales peuvent ĂȘtre identifiĂ©es. Il y eut premiĂšrement une augmentation de la production mondiale au cours de la seconde moitiĂ© du XIXe siĂšcle, provoquant un recul des prix ; ensuite commença Ă  se propager en Europe septentrionale la culture de la betterave sucriĂšre, laquelle avait un meilleur rendement car permettant la rotation culturale. La troisiĂšme explication enfin tient Ă  l’utilisation insuffisante des innovations techniques. Les autres pays producteurs de canne Ă  sucre, comme les États-Unis et Cuba, surent tirer parti des avancĂ©es techniques, telles que le transport ferroviaire de la canne Ă  destination des moulins, la machine Ă  vapeur dans la transformation de la canne, et les techniques industrielles modernes de transformation de la canne dont le rendement Ă©tait bien supĂ©rieur Ă  celui des procĂ©dĂ©s traditionnels de vaporisation et de cuisson. Le BrĂ©sil en revanche n’eut recours Ă  ces nouvelles techniques que fort tardivement et dans une mesure trop faible[12] - [13]. Dans les dĂ©cennies 1850 et 1860, des investisseurs britanniques entreprirent de financer la construction de chemins de fer dans le Pernambouc afin de rĂ©duire les frais de transport ; cependant, sur 440 moulins recourant aux services de la Compagnie ferroviaire de Recife et de SĂŁo Francisco pour expĂ©dier leur production de sucre de canne, seuls 6 % utilisaient la propulsion Ă  vapeur[14].

Le dĂ©clin de l’activitĂ© sucriĂšre dans le Nordeste entraĂźna un endettement accru des propriĂ©taires-planteurs. Les taux d’intĂ©rĂȘts en augmentation constante incitĂšrent les planteurs de canne Ă  sucre nordestins Ă  revendre leurs esclaves aux patrons cafĂ©iers du sud-est du pays[15]. Entre-temps pourtant, les planteurs de canne du Nordeste continuaient Ă  cultiver et Ă  exporter du sucre de canne Ă  des prix en constante diminution, dans l’espoir que le marchĂ© se ressaisirait. Une des raisons Ă  cela est la relative difficultĂ© qu’il y a Ă  faire de rapides transitions de la canne Ă  sucre vers d’autres cultures : la canne Ă  sucre devait ĂȘtre replantĂ©e de 18 mois en 18 mois et, attendu qu’il fallait de 12 Ă  15 mois pour la voir arriver Ă  maturitĂ©, elle nĂ©cessitait, e.a. pour effectuer les indispensables sarclages, une main-d'Ɠuvre nombreuse[16]. Ensuite, Ă  la fin de la saison des pluies, c'est-Ă -dire en aoĂ»t ou octobre, la coupe devait se faire promptement, par les esclaves, et la rĂ©colte devait ĂȘtre acheminĂ©e sans dĂ©lai au moulin pour y ĂȘtre broyĂ©e puis transformĂ©e, tout cela dans un laps de temps de 48 heures, sous peine de voir la qualitĂ© du sucre commencer Ă  se dĂ©tĂ©riorer[17].

En , un patron sucrier (senhor de engenho) observa que les coĂ»ts de production du sucre de canne pouvaient s’estimer Ă  2160 reis, soit peu ou prou le prix de vente sur le marchĂ©, prix tout juste suffisant donc Ă  amortir les coĂ»ts, Ă  supposer que le planteur n’eĂ»t pas de dettes de surcroĂźt. Cependant, les prix continuaient de chuter, atteignant en novembre 2000 reis et en dĂ©cembre 1500 reis. Tout au long de cette pĂ©riode, seulement 169 337 tonnes annuelles de sucre furent exportĂ©es, Ă©quivalant Ă  11,8 % du total des exportations du BrĂ©sil, Ă  mettre en regard des 216 120 tonnes annuelles de cafĂ©, Ă©gales Ă  52 % du total des exportations[18]. La consĂ©quence immĂ©diate en fut l’apparition d’un vaste contingent de travailleurs sans emploi et, pour ceux qui en avaient un, une forte baisse de leur salaire, ce qui les contraignait Ă  s’adonner Ă  des cultures de subsistance basĂ©es sur la vente de coton[19].

Quant au coton, l’autre des deux principaux produits d’exportation du Nordeste, la Companhia de ParĂĄ e MaranhĂŁo, constituĂ©e en 1755 et pourvu de privilĂšges par le marquis de Pombal, s’était attachĂ©e Ă  encourager l’activitĂ© cotonniĂšre dans le nord brĂ©silien. Toutefois, le coton, Ă  l’égal du sucre de canne, Ă©tait, Ă  la fin de la pĂ©riode coloniale, tributaire du marchĂ© mondial et des relations entre Grande-Bretagne et États-Unis, et pareillement, le marchĂ© du coton ne cessait de dĂ©cliner. Le BrĂ©sil mit Ă  profit la guerre de SĂ©cession, qui interdit aux États sudistes d’acheminer leur production cotonniĂšre vers l’Europe, pour reconquĂ©rir sa part sur les marchĂ©s internationaux, comme du reste elle l’avait fait aussi lors de la RĂ©volution amĂ©ricaine et de la guerre de 1812. Ainsi, entre 1861 et 1865, les exportations au dĂ©part du seul port de Recife bondirent-elles de 2 000 Ă  19 000 tonnes[20] - [21] - [22]. Malheureusement, Ă  cette hausse succĂ©da, Ă  l’issue de la guerre de SĂ©cession, une dĂ©cennie de dĂ©clin. L’effondrement de l’activitĂ© cotonniĂšre put ĂȘtre Ă©vitĂ© grĂące Ă  la guerre de la Triple-Alliance, dans laquelle le BrĂ©sil s’engagea en 1865 et qui dĂ©termina une forte demande d’uniformes et d’autres biens textiles. Cette embellie, basĂ©e en rĂ©alitĂ© sur des prix artificiellement Ă©levĂ©s, ne fut cependant que temporaire et capable seulement de diffĂ©rer l’éclatement de la crise. ParallĂšlement Ă  la mĂ©canique simple de l’offre et de la demande de coton sur le marchĂ© international, le BrĂ©sil subit aussi les consĂ©quences de l’acquisition onĂ©reuse, faite Ă  l’étranger, de navires de guerre et de matĂ©riel militaire, nĂ©cessaires Ă  la poursuite de la guerre du Paraguay[22].

Un Ă©lĂ©ment Ă  prendre en considĂ©ration est le fait que dans le Nordeste, la plupart du coton produit ne provenait pas de la zone cĂŽtiĂšre (zona da mata), mais de petits paysans du sertĂŁo[note 2], lesquels s’étaient convertis dans la culture du coton mais pratiquaient pour une large part une agriculture de subsistance ; au dĂ©but des annĂ©es 1870, les paysans du sertĂŁo vinrent ainsi Ă  dĂ©pendre de la vente du coton en Ă©change de biens qu’ils Ă©taient incapables de produire sur place. S’y ajouta, vers la fin de la dĂ©cennie 1860, une baisse des salaires des travailleurs non qualifiĂ©s, sans doute en partie par l’arrivĂ©e sur le marchĂ© du travail de muletiers tombĂ©s sans travail par suite de la mise en service de chemins de fer[23] - [24]. La culture du coton demeurait, sauf exceptions, une activitĂ© agricole peu rentable, d’autant plus que les lieux de production Ă©taient distants de plus de deux cents ou trois cents kilomĂštres des ports d’embarquement[22].

Ainsi, en 1874, concomitamment avec l’effondrement du sucre, le coton s’effondra-t-il lui aussi. Avant la guerre de SĂ©cession, c'est-Ă -dire dans les annĂ©es 1858-1859, les exportations de coton via Recife Ă©taient de 83 000 arrobes[25]. En 1865-1866, donc avant le dĂ©clin du coton, le Pernambouc exportait 15,5 tonnes de ce produit pour un montant de 16,7 milliards de reis, tandis qu’en 1874-75, les exportations baissĂšrent Ă  11,1 tonnes, en mĂȘme temps que les prix obtenus diminuaient plus avant jusqu’à un montant total de 4,9 milliards[26]. Dans le ParaĂ­ba s’observaient les mĂȘmes Ă©volutions. Les moulins Ă  coton suivaient la mĂȘme tendance ; si en 1866, six des neuf moulins brĂ©siliens se trouvaient dans le Nordeste, il n’en restait plus en 1875 que quatre, alors que pour le BrĂ©sil dans son ensemble ce chiffre avait augmentĂ© Ă  trente[27]. Dans la dĂ©cennie 1870-1880, le fisc impĂ©rial continuait de taxer le coton et le sucre aux mĂȘmes taux que ceux prĂ©valant aux Ă©poques oĂč ces produits se vendaient de 3 Ă  12 milreis[28]. La crise se transforma en un mal chronique, et pour la conjurer, le prĂ©sident du Pernambouc, Henrique Pereira de Lucena, rĂ©solut d’encourager la culture cafĂ©iĂšre dans sa province ; la municipalitĂ© de Bonito en produisit bientĂŽt suffisamment que pour l’exporter vers Recife[29].

Le cafĂ© suivait une pente ascendante, et avait commencĂ© Ă  dominer les exportations brĂ©siliennes dĂšs 1830. Dans la dĂ©cennie 1830, le cafĂ© prenait Ă  son compte 43,8 % des exportations brĂ©siliennes, tandis que le sucre avait rĂ©gressĂ© Ă  24 % et le coton Ă  10,8 %[30]. Ces Ă©volutions Ă©conomiques eurent deux consĂ©quences importantes : le cafĂ© s’empara du statut de principal produit d’exportation du BrĂ©sil, et le centre de gravitĂ© politique et Ă©conomique du pays se dĂ©plaça vers les rĂ©gions cafĂ©iĂšres du centre-sud. En effet, pendant la pĂ©riode 1845-1846, les zones cafĂ©iĂšres du sud reprĂ©sentaient 56 % des recettes de l’État, alors que l’apport du Nordeste ne se montait plus qu’à 31 %[31] - [32].

De par leur nature, ces activitĂ©s requĂ©raient des investissements et donc nĂ©cessitaient d’importants emprunts, comme mise de fonds autant que pour financer la poursuite de l’activitĂ©, emprunts assortis de l’engagement de rembourser aprĂšs rĂ©colte et vente de la production. Les prĂȘts accordĂ©s aux planteurs de cafĂ© portaient des intĂ©rĂȘts excĂ©dant rarement les 10 Ă  12 %, alors que les planteurs de canne Ă  sucre et de coton se voyaient rarement concĂ©der des prĂȘts Ă  des taux d’intĂ©rĂȘts infĂ©rieurs Ă  18-24 %[33].

Les plantations de cafĂ©, Ă  l’instar de celles de canne Ă  sucre, utilisĂšrent des esclaves comme main-d’Ɠuvre tout au long du XIXe siĂšcle. En dĂ©pit de tentatives de leur substituer des salariĂ©s libres, notamment par la formation de sociĂ©tĂ©s d’immigration, les planteurs de cafĂ© s’accordaient pour estimer qu’ils avaient besoin de davantage d’esclaves. Cependant, la loi Aberdeen, adoptĂ©e par le parlement britannique en , dĂ©clarait pour pirate tout vaisseau transportant des esclaves sur l’ocĂ©an Atlantique et autorisait la marine anglaise Ă  l’arraisonner. En 1850, le gouvernement brĂ©silien ayant dĂ©cidĂ©, Ă  la suite de cette loi, et pour le coup de façon effective, l’abolition de la traite esclavagiste (non de l’esclavage)[34], et les planteurs de cafĂ© du sud se voyant par lĂ  coupĂ© de leur source de main-d’Ɠuvre, de nombreux planteurs de canne du Nordeste se mirent Ă  vendre leurs esclaves aux planteurs du sud, dans le but d’acquitter ainsi une partie de leurs dettes. À partir de 1852, le gouvernement provincial du Pernambouc, dĂ©sireux de capitaliser sur ce phĂ©nomĂšne comme source de recettes fiscales, commença de percevoir des taxes sur chaque esclave vendu[35].

À partir de 1870, les propriĂ©taires n’étaient plus en mesure de payer leur salaire ordinaire aux travailleurs des campagnes. Cette circonstance provoqua une hausse du nombre de bras disponibles, entraĂźnant Ă  son tour chĂŽmage et baisse des salaires[12].

À cette Ă©volution se superposa malencontreusement la dĂ©pression Ă©conomique mondiale, qui dĂ©buta en 1873, vidant davantage encore les coffres des provinces brĂ©siliennes. Celles-ci jugĂšrent n’avoir d’autre ressource que de s’adresser aux populations rurales et de taxer les biens de consommation courante[36].

L’État financier des Provinces, document publiĂ© par la PrĂ©sidence du Conseil des ministres en 1886, permet de se faire une idĂ©e des finances nationales de l’époque. Il en appert en particulier que dĂ©jĂ  en 1876-1877 le Pernambouc et la ParaĂ­ba souffraient d’un sĂ©rieux dĂ©ficit, et qu’ils continueraient Ă  en souffrir. Quelques passages de ce document relatifs au Nordeste sont significatifs, ainsi p.ex. :

« Les provinces de Sergipe, d’Alagoas, du Rio Grande do Norte et de la ParaĂ­ba et d’autres du nord de l’Empire luttent plus ou moins contre la crise Ă©conomique qui les afflige et qui procĂšde de la dĂ©prĂ©ciation de leurs principaux produits d’exportation et, pour une large part, de la raretĂ© de ceux-ci ; les dettes du Sergipe et de la ParaĂ­ba, dĂ©jĂ  considĂ©rables en regard de leurs ressources respectives, le sont davantage encore dans le cas de la derniĂšre citĂ©e, peut-ĂȘtre par suite d’une mĂ©gestion de ses finances publiques. Elles ont des activitĂ©s variĂ©es, desquelles elles tirent des ressources, sous la forme de contributions directes, et y ont d’ailleurs puisĂ© autant qu’il est possible ; avec une agriculture traditionnelle et limitĂ©e, et peu de produits d’exportation, et alors justement ceux qui rencontrent une terrifiante concurrence sur les marchĂ©s de consommation ; sans attrait ni ressources pour attirer Ă  soi de nouvelles industries, ces provinces ne peuvent pas se considĂ©rer sur la voie de la prospĂ©ritĂ©, bien plutĂŽt courent-elles le risque de voir leur situation s’aggraver. »

Les provinces du Pernambouc et de la Bahia sont particuliĂšrement dans le viseur de cette analyse financiĂšre, l’auteur, Carlos de Figueiredo, affirmant en effet que « ce sont elles qui, par la position importante qu’elles occupaient parmi les plus prospĂšres de l’Empire, se signalent de façon frappante dans les rangs de celles qui aujourd’hui se dĂ©battent avec les effets de la crise Ă©conomique, effets qui dans ces deux provinces produisent les secousses les plus sensibles, par cela mĂȘme qu’elles s’étaient accoutumĂ©es Ă  la vie des temps prospĂšres. De lĂ  rĂ©sulte qu’elles exagĂšrent leurs impositions au point que, ne pouvant pas augmenter plus avant les impĂŽts qui oppriment les industries et la production locale, elles durent se tourner ouvertement vers les impĂŽts sur les produits importĂ©s, impĂŽts du reste non autorisĂ©s au regard de notre droit constitutionnel, tandis que les dĂ©penses des deux provinces ne reculaient pas, au contraire se poursuivirent sans qu’on y prĂźt garde, conduisant Ă  ce que le dĂ©ficit budgĂ©taire s’élĂšve au double de ce qu’il Ă©tait en 1876-77 »[37].

Pour surmonter ces dĂ©ficits furent Ă©mis des emprunts au taux de 7 %, solution d’urgence pour assainir les finances, Ă  la douteuse efficacitĂ©, quoique trĂšs en vogue dans les Ă©conomies europĂ©ennes de l’époque et dĂ©jĂ  expĂ©rimentĂ© par le gouvernement impĂ©rial[38].

Il est indĂ©niable que les mesures prises par Lucena pour restaurer les finances de sa province, le Pernambouc, allĂšrent dans le sens d’un assainissement. En dĂ©pit de la rĂ©sistance tant de ses amis que de ses adversaires, et mĂȘme de l’inspecteur du TrĂ©sor municipal et du procureur fiscal, il crĂ©a des offices de taxation dans toutes les communes. Si d’un cĂŽtĂ© la mise en place de ces offices permettait de rationaliser la perception de l’impĂŽt et de faciliter la besogne du fisc, elle confronta de l’autre la population inculte des campagnes Ă  la machine gouvernementale sous ses aspects les plus abhorrĂ©s. Cela explique sans doute pourquoi dans l’arriĂšre-pays du Pernambouc le saccage du bureau de perception occupera invariablement une place centrale dans chaque Ă©meute des quebra-quilos[39].

Hausse de la pression fiscale

L’impĂ©cuniositĂ© des provinces du nord-est dĂ©coulait du fait que les recettes publiques, tant au niveau national que provincial, provenaient en majoritĂ© des droits perçus sur les exportations et les importations. Cependant, les hausses d’impĂŽts et de taxes qui conduisirent Ă  la rĂ©volte de Quebra-Quilos furent dĂ©cidĂ©s essentiellement aux niveaux provincial et municipal.

Les recettes provinciales dans le nord-est baissĂšrent d’environ 30 % vers le milieu de la dĂ©cennie 1870. Selon le quotidien A Provincia, la province de la ParaĂ­ba connut fin 1874 un dĂ©ficit de plus de 800 millions de reis, dont une grande partie empruntĂ©e Ă  des banques de Rio de Janeiro. Le personnel administratif ne pouvant plus par consĂ©quent ĂȘtre payĂ©, les services publics cessĂšrent de fonctionner[40]. Dans le Pernambouc, les impĂŽts collectĂ©s diminuĂšrent d’un tiers entre 1872 et 1878[41]. Pour y remĂ©dier, une sĂ©rie de nouvelles lois fiscales furent adoptĂ©es par les assemblĂ©es provinciales. Il est Ă  noter ici que les taxations provinciales aussi bien que celles municipales devaient d’abord ĂȘtre approuvĂ©es par l’assemblĂ©e provinciale. Le Pernambouc p.ex. Ă©tablit 14 nouvelles impositions entre 1863 et 1869 ; cependant, la crise Ă©conomique continuant de s’aggraver, le gouvernement provincial crĂ©a 32 impĂŽts supplĂ©mentaires entre 1870 et 1875, tout en augmentant dans le mĂȘme temps les impĂŽts dĂ©jĂ  existants : au cours de la pĂ©riode 1863-1869 furent augmentĂ©s 17 impĂŽts et taxes, et 29 dans la pĂ©riode 1870-1875[42]. Ces impositions ciblaient plus particuliĂšrement les produits alimentaires, car, Ă©tant de premiĂšre nĂ©cessitĂ©, ceux-ci garantissaient du moins un certain montant de recette fiscale. Le hachĂ© de bƓuf, la morue et la farine de manioc, denrĂ©es de premiĂšre importance pour les paysans, furent les produits privilĂ©giĂ©s par le fisc[43]. Fut visĂ© Ă©galement le tabac, dont le gouvernement augmenta la taxe de 50 % puis, en 1874, la renforça encore, pour atteindre alors 200 % ; la consĂ©quence en fut que les commerces spĂ©cialisĂ©s et les manufactures de cigarettes eurent bientĂŽt Ă  fermer leurs portes[44]. En moyenne, les taxes et impĂŽts levĂ©s par l’assemblĂ©e provinciale du Pernambouc en 1874 frappaient au taux de 30 % les marchandises d’origine nationale, non de premiĂšre nĂ©cessitĂ©, et de 10 % les marchandises d’origine Ă©trangĂšre, ou le cas Ă©chĂ©ant au taux de 30 %, lĂ  oĂč l’on voulait protĂ©ger un produit Ă©quivalent fabriquĂ© au BrĂ©sil[45]. Bien davantage que par les taxes d’importation et d’exportation, qui ne touchaient pas spĂ©cifiquement les paysans, ceux-ci se sentaient affectĂ©s plus particuliĂšrement par la taxe dite imposto do chĂŁo (litt. impĂŽt du sol, entendre : pour un emplacement sur le champ de foire, soit une taxe foraine), que l’assemblĂ©e provinciale de la ParaĂ­ba vota dĂšs 1873, taxe municipale adoptĂ©e ensuite par les autres lĂ©gislatures provinciales Ă  l’intention de leurs municipalitĂ©s[46].

La taxe foraine

La rua Quebra-Quilos à Fagundes, dans la Paraíba. C'est dans ce bourg agricole que démarrÚrent les troubles de Quebra-Quilos fin octobre 1874.

Il y a lieu de s’attarder sur l’imposto do chĂŁo, instaurĂ© dans la province de ParaĂ­ba en 1873, soit un an avant l'insurrection. Le petit paysan (matuto) nordestin fut toujours la proie des intermĂ©diaires, appelĂ©s Ă  l’époque vampires ou traverseurs (atravessadores), qui lui imposaient de bas prix pour ses produits agricoles. Le gouvernement lui-mĂȘme tenta plusieurs fois d’interdire l’activitĂ© de ces individus, mais chaque fois avec cet irrĂ©alisme et cette impraticabilitĂ© qui caractĂ©risaient alors les mesures Ă©conomiques relatives Ă  l’approvisionnement public. Dans cette optique, vendre sa production directement sur le marchĂ© non seulement s’inscrivait dans la continuitĂ© d’une tradition, mais constituait aussi une nĂ©cessitĂ© Ă©conomique de survie pour le petit producteur[47]. Cependant, les marchĂ©s hebdomadaires, organisĂ©s et montĂ©s tĂŽt le matin, ne pouvaient dĂ©sormais plus dĂ©marrer que les commis municipaux et les percepteurs de taxe ne se fussent d’abord rendus sur les lieux et eussent prĂ©alablement fait la tournĂ©e des Ă©tals et des Ă©choppes pour collecter les taxes[48]. Le montant de la taxe foraine variait d’un marchĂ© Ă  l’autre, en fonction des taux dĂ©finis par la province ainsi que par le district.

Pour la collecte des taxes, l’on faisait gĂ©nĂ©ralement appel Ă  des fermiers ; le droit de recueillir les taxes faisait alors l’objet d’acquisitions par tiers et de ventes et reventes. Il s’ensuivit que les taxes n’étaient pas collectĂ©es correctement et qu’il apparaissait y avoir un grand Ă©cart entre les montants recueillis auprĂšs des forains d’une part et les montants encaissĂ©s par les autoritĂ©s d’autre part[49] - [50].

ConsĂ©quence de ce que l’imposto do chĂŁo Ă©tait l’imposition qui frappait spĂ©cifiquement les populations rurales, quasi tous les insurgĂ©s de Quebra-Quilos Ă©taient des rĂ©fractaires Ă  cette taxe, affirmaient leur intention de ne plus la payer Ă  l’avenir, et entreprirent de dĂ©truire tous les registres de taxation sur lesquels ils purent mettre la main. Si, comme cela Ă©tait parfois le cas, la liste Ă©numĂ©rant soit les taxes Ă  acquitter, soit les noms de ceux en dĂ©faut de les payer, se trouvait affichĂ©e en quelque lieu en vue (les autoritĂ©s en effet ne manquant pas, chaque fois que de nouvelles taxes avaient Ă©tĂ© dĂ©crĂ©tĂ©es ou des anciennes augmentĂ©es, d’en donner avis Ă  la population par voie d’affiches apposĂ©es en quelque lieu public, d’ordinaire sur le portail de l’église principale), ces listes furent elles aussi prises pour cible par les Ă©meutiers, lacĂ©rĂ©es, arrachĂ©es et dĂ©truites[51]. Parmi les autres taxes introduites dans le Nordeste sont Ă  relever la taxe personnelle[52], ainsi que la taxe sur le systĂšme mĂ©trique, mais la rumeur publique, totalement dĂ©bridĂ©e, en annonçait d’autres encore, entre autres une taxe supposĂ©e, dont la rumeur atteignit la localitĂ© de Bom Jardim en dĂ©cembre, qui aurait Ă  ĂȘtre perçue sur les femmes peignant leurs cheveux et se les laissant pousser longs[53] - [54]. Dans l’État de la ParaĂ­ba, Ă©crivit un journal de l’époque, « le poids des impĂŽts et la façon barbare de les collecter et les extorsions en tous genres infligĂ©es aux gens afin de satisfaire le tourbillon insatiable nommĂ© nĂ©cessitĂ©s publiques, finit par Ă©puiser leur patience, et les jeta sur les routes pour se rĂ©volter [
]. Le gouvernement de l’Empereur veut tuer le peuple par la faim, le peuple ne trouva aucun recours auprĂšs de ses reprĂ©sentants et du gouverneur, qui ne sont que des instruments dudit gouvernement ; il n’a pas le courage de se laisser tuer, et se sert du triste, mais unique recours qui lui reste — la force. Il est dans son droit, car il dĂ©fend sa vie. »[55].

Contexte politique et social

L’Empire du BrĂ©sil Ă  son dĂ©clin, dĂ©jĂ  fortement sclĂ©rosĂ©, se rĂ©vĂ©la incapable de mener des rĂ©formes politiques et sociales. Le phĂ©nomĂšne Quebra-Quilos reprĂ©senta, dans le Nordeste, une dimension de la crise que le rĂ©gime, de par son immobilisme, ne sut ni ne put Ă©viter. Pourtant, les consĂ©quences sociales de la concentration fonciĂšre avaient Ă©tĂ© dĂ©noncĂ©es ; en effet, l’un des prĂ©dĂ©cesseurs d’Henrique Pereira de Lucena au poste de gouverneur de la province de Pernambouc, Diogo Velho Cavalcante de Albuquerque, originaire de la ParaĂ­ba, mais qui fut gouverneur du Pernambouc en 1871, avait soulignĂ©, Ă  travers un rapport rĂ©digĂ© Ă  l’intention de l’assemblĂ©e provinciale, combien Ă©tait nĂ©faste la prĂ©pondĂ©rance de la grande propriĂ©tĂ© terrienne sur le territoire de son ressort :

« RĂ©ellement, il y a une partie de notre population qui est profondĂ©ment dĂ©moralisĂ©e, voire perdue ; mais il reste une grande masse, d’oĂč peuvent sortir des bras utiles. Cependant, quelles garanties celle-ci trouve-t-elle quant Ă  ses droits, quelle assurance pour les services qu’elle accomplit, quels encouragements pour persister dans les bonnes pratiques ? La constitution de notre propriĂ©tĂ© territoriale, infĂ©odant de trĂšs vastes domaines fonciers aux mains des privilĂ©giĂ©s de la fortune, ne permit qu’exceptionnellement au pauvre la possession ou la dĂ©tention de quelques arpents de terre. En rĂšgle gĂ©nĂ©rale, il est mĂ©tayer, agregado, journalier ou tout ce que vous voudrez ; et alors, son sort est presque celui d’un ancien serf de la glĂšbe[56]. »

À la pauvretĂ© nordestine s’ajoutait dans l’administration brĂ©silienne la vieille et habituelle erreur d’une centralisation asphyxiante. La tutelle pointilleuse exercĂ©e par le gouvernement impĂ©rial affectait jusqu’aux activitĂ©s intellectuelles[57]. Une machinerie parlementaire avait Ă©tĂ© imposĂ©e au pays qui servit Ă  faire passer une rĂ©forme centralisatrice et permettre une anesthĂ©sie politique se traduisant par la fameuse conciliation de 1853, impulsĂ©e et orientĂ©e par le marquis de ParanĂĄ. Les prĂ©sidents de province Ă©taient nommĂ©s par la Cour et les cabinets ministĂ©riels se relayaient sous la surveillance de l’Empereur, pendant qu’une grande part de la population, esclaves et hommes libres de basse condition, actifs dans l’agriculture, laquelle est le principal support de l’économie nationale, restaient en marge de tout le processus politique[58].

Bipartisme institutionnel

En 1868, l’empereur Dom Pedro II congĂ©dia le cabinet ministĂ©riel libĂ©ral et convoqua un cabinet conservateur, qui occupa ensuite le pouvoir jusqu’en 1875. AprĂšs qu’eut Ă©clatĂ© la rĂ©volte de Quebra-Quilos, la faction libĂ©rale fut accusĂ©e de vouloir exploiter ce soulĂšvement pour discrĂ©diter le gouvernement conservateur alors au pouvoir. L’on se plaisait Ă  citer l’exemple d’un Ă©meutier qui avait cherchĂ© refuge au logis d’un dirigeant libĂ©ral connu, le major de cavalerie Antonio Guedes e Alcoforado, et s’était placĂ© sous sa protection[59]. Les dirigeants libĂ©raux faisaient observer que le major Alcoforado en recueillant un blessĂ© ne rejoignait pas pour autant les rangs ennemis, mais faisait simplement « Ɠuvre de charitĂ© ». Les libĂ©raux Ă©taient restĂ©s neutres, affirmaient-ils, et dans cet esprit s’étaient confinĂ©s Ă  leurs domiciles, n’aidant ni les autoritĂ©s ni les Ă©meutiers. Dans un manifeste officiel paru dans le journal O Despertador, le directoire du Parti libĂ©ral se dĂ©clara complĂštement Ă©tranger aux mouvements populaires survenus dans la Paraiba[60]. En rĂ©alitĂ©, mĂȘme si certains d’entre eux dĂ©clarĂšrent que le mouvement de Quebra-Quilos Ă©tait « une maniĂšre violente et rude dont le peuple ignorant manifeste contre le gouvernement qui l’opprime et le rĂ©duit en esclavage »[61], les libĂ©raux Ă©taient, tout autant que leurs rivaux politiques, des patriciens et Ă  ce titre tentaient eux aussi de prĂ©server leurs clients du service militaire rendu obligatoire par une nouvelle loi de conscription (voir ci-aprĂšs)[62]. NĂ©anmoins, plusieurs libĂ©raux furent emprisonnĂ©s[63].

Silvino ElvĂ­dio Carneiro da Cunha, prĂ©sident de la province de la Paraiba, qui sur un ton de dĂ©solation avait dĂ©clarĂ© se trouver « sans forces armĂ©es pour manƓuvrer, sans moyens pour poursuivre les fauteurs de dĂ©sordre qui, certains de notre faiblesse, nous menacent Ă  chaque instant », ne sera pas pour autant Ă©pargnĂ© par ses ennemis. Dans les colonnes polĂ©miques et contondantes du journal A ProvĂ­ncia, l’écho de ses lamentations sera cruel :

« Le gouvernement n’affirmait-il pas, et ne continue-t-il pas d’affirmer, qu’il bĂ©nĂ©ficie de l’appui dĂ©terminĂ© de la nation ? Le voilĂ  Ă  prĂ©sent qu’il s’avoue faible et repoussĂ© par le peuple. Il est regrettable que ce ne soit qu’aussi tardivement que monsieur Silvino reconnaĂźt son impuissance, sans moyens pour poursuivre les victimes des impĂŽts crĂ©Ă©s par lui, et plus encore par ce gouvernement vĂ©reux, qui malmĂšne le pays pour jouir de l’abondance, du confort, du luxe et de tous les moyens de corruption. (...) Impuissants, faibles et rejetĂ©s par l’opinion publique, ils tremblent dans leurs taniĂšres, et demandent de la troupe, plus de troupe — unique recours des despotes[64]. »

Si le Parti libĂ©ral, parti d’opposition mais institutionalisĂ©, considĂ©rait cette insurrection populaire avec les plus grandes rĂ©serves, nombre de libĂ©raux nĂ©anmoins acceptaient, Ă  titre individuel, la lĂ©gitimitĂ© sociale de la rĂ©volte[65].

Il est vrai que la frontiĂšre entre conservateurs et libĂ©raux Ă©tait presque toujours davantage partidaire qu’idĂ©ologique, ce qui poussa l’historien Oliveira Viana Ă  porter ce jugement sĂ©vĂšre : « les deux vieux partis n’ont pas d’opinion, de mĂȘme qu’ils n’avaient pas de programmes ; leur objectif Ă©tait de conquĂ©rir le pouvoir et, celui-ci une fois conquis, de le conserver Ă  tout prix. Rien de plus. C’était lĂ  le principal programme des libĂ©raux, comme c’était aussi celui des conservateurs », jugement d’autant plus sĂ©vĂšre qu’il se complĂšte, plus loin dans le texte, par l’observation caustique qu’au BrĂ©sil les partis « ne se disputent pas le pouvoir pour rĂ©aliser des idĂ©es ; le pouvoir est disputĂ© pour les bĂ©nĂ©fices qu’il dispense aux hommes politiques et Ă  leurs clans. Il y a les bĂ©nĂ©fices moraux, que donne toujours la dĂ©tention de l’autoritĂ© ; mais il y a aussi les avantages matĂ©riels que cette dĂ©tention peut prodiguer. Soit dit entre nous, la politique est avant tout un moyen d’existence ; l’on vit de l’État comme l’on vit de l’agriculture, du commerce et de l’industrie, et tous trouvent infiniment plus doux de vivre de l’État que de quoi que ce soit d’autre. C’était ainsi jusqu’au dernier jour de l’Empire et le peuple ne s’y trompera pas totalement »[66].

La premiĂšre action en dĂ©fense des quebra-quilos eut lieu le , sous la forme d’une feuille volante distribuĂ©e dans la ville de Recife. Il s’agit d’une tentative entortillĂ©e et paradoxale d’identifier les quebra-quilos aux intĂ©rĂȘts des grands nĂ©gociants de Recife. Les auteurs de ce texte manifestement partidaire ne cachaient pas leur dĂ©sir de liguer l’opinion publique contre les conservateurs. Les quebra-quilos y sont prĂ©sentĂ©s comme des groupes pacifiques qui se rĂ©unissent tranquillement pour protester contre les impĂŽts « inconstitutionnels » Ă  travers lesquels un gouvernement despotique dĂ©voilerait son visage autocratique, en ordonnant les taxations les plus sĂ©vĂšres[67]. Les libĂ©raux, adversaires du pouvoir en place, iront jusqu’à proposer aux quebra-quilos une plateforme politique et un ample programme de revendications : A ProvĂ­ncia, aprĂšs avoir remĂ©morĂ© les « cris pour la libertĂ© de 1817, 1822, 1824, et encore de 1848 », esquissa, dans son Ă©dition du , un « programme plus prompt, plus urgent, consistant en la libertĂ© dans la loi Ă©lectorale ; en la libertĂ© dans les lois judiciaires ; en la libertĂ© dans le service militaire ou l’abolition de l’enrĂŽlement ; en la libertĂ© pour la milice citoyenne ou l’abolition de la Garde nationale, et enfin en la libertĂ© pour l’élĂ©ment servile ou l’émancipation des esclaves »[68].

En comparant entre eux les comptes rendus contradictoires de la presse de l’époque, l’on s’aperçoit notamment qu’un journal comme Diario de Pernambuco, organe conservateur appuyant le gouvernement, prĂ©tendait minimiser l’insurrection, affirmant p.ex. dans son Ă©dition du que « le mouvement armĂ© de la ParaĂ­ba Ă©tait en train de se terminer ». Les dirigeants libĂ©raux au contraire s’évertueront, du moins dans la premiĂšre phase, Ă  dĂ©montrer que le mouvement Ă©tait essentiellement populaire et que le parti libĂ©ral n’avait strictement rien Ă  voir avec l’insurrection. Les contradictions au sein de la mouvance libĂ©rale de l’époque se manifesteront tout au long des publications, des Ă©ditoriaux et des nouvelles, oĂč le parti libĂ©ral tantĂŽt s’auto-intitulait « colonnes de la monarchie », tantĂŽt proclamait « c’est nous, nous sommes le peuple ». Cependant, selon les notes officielles du parti libĂ©ral (et, Ă  coup sĂ»r, cette vision des choses Ă©tait correcte), la rĂ©volte de Quebra-Quilos ne fut pas un mouvement de parti ni mĂȘme prĂ©mĂ©ditĂ©, mais une rĂ©ponse populaire spontanĂ©e Ă  une situation prĂ©valant alors, quand bien mĂȘme le fait qu’étaient prises pour cible des rĂ©alitĂ©s locales dĂ©coulant de politiques menĂ©es par des gouverneurs de province d’obĂ©dience conservatrice pouvait faire naĂźtre l’impression d’un mouvement dirigĂ© contre les conservateurs[69].

Sous ce mĂȘme rapport, il est intĂ©ressant de noter qu’à plusieurs reprises des juges de canton (juizes de direito) furent accusĂ©s de protĂ©ger des sĂ©ditieux. De telles accusations avaient les origines les plus variĂ©es et dĂ©rivaient en gĂ©nĂ©ral de rivalitĂ©s politiques locales affleurant sous forme de dĂ©nonciations destinĂ©es Ă  discrĂ©diter aux yeux du gouvernement certains magistrats[70].

Coronélisme

Le penseur et journaliste pernamboucain AntĂŽnio Pedro de Figueiredo Ă©crivit dans la revue O Progresso[71] :

« La majeure partie du territoire de notre province (le Pernambouc) est divisĂ©e en grandes propriĂ©tĂ©s, fragments des anciennes sesmarias, desquelles fort peu ont Ă©tĂ© subdivisĂ©es. Le propriĂ©taire ou exploitant occupe une partie de celles-ci, et cĂšde, moyennant une modique indemnitĂ©, le droit de demeurer dans l’autre partie et de la cultiver, Ă  cent, deux cents, et parfois Ă  quatre cents familles de mulĂątres et de noirs libres, de qui il se fait le protecteur naturel ; mais il exige aussi d’eux l’obĂ©issance absolue et exerce sur eux le plus complet despotisme. Il en rĂ©sulte que les garanties de la loi ne valent pas pour ces infortunĂ©s, qui du reste composent la majeure partie de la population de la province, mais bien pour ces propriĂ©taires, de qui 3 ou 4, rĂ©unis par les liens du sang, de l’amitiĂ© ou de l’ambition, suffisent pour annihiler, dans la vaste Ă©tendue de terres, les forces et les influences du gouvernement. »

Les officiers de la Garde nationale Ă©taient choisis principalement parmi les propriĂ©taires terriens et les fonctionnaires du gouvernement[72], d'oĂč l'appellation de coronel (colonel, en portugais) appliquĂ© aux membres de l'aristocratie fonciĂšre du sertĂŁo.

Question religieuse

La dĂ©nommĂ©e question religieuse fut bien davantage qu’une commotion au sein de la seule structure ecclĂ©siastique. L’Église catholique, jusque-lĂ  liĂ©e et identifiĂ©e au gouvernement impĂ©rial, instance de contrĂŽle et d’orientation de l’opinion publique, se mit Ă  un certain moment Ă  dĂ©fier le pouvoir, et ce faisant bouleversa et scinda la sociĂ©tĂ© brĂ©silienne. Si, d’une part, l’anticlĂ©ricalisme prĂ©existant se revigora, la solidaritĂ© de divers secteurs de la sociĂ©tĂ© envers l’Église — qui de structure triomphante passa au statut d’organe persĂ©cutĂ© —confĂ©ra d’autre part au clergĂ© un crĂ©dit de confiance compensatoire. Cela explique que certaines revendications politiques et sociales, non attribuables en principe au clergĂ© brĂ©silien, purent apparaĂźtre comme Ă©tant de son estoc dans la presse de l’époque[73].

Durant le Premier Empire (1822-1831) et sous la RĂ©gence (1831-1840), l’Église se trouvait divisĂ©e sur la question de la tutelle impĂ©riale sur l’Église et de l’autoritĂ© de l’État sur le clergĂ©, et, a contrario, sur la question de l’autonomie de l’Église brĂ©silienne ou de son obĂ©dience exclusive Ă  l’autoritĂ© du Vatican. Sous le Second Empire (1840-1889), le clivage entre État et Église allait s’exacerber encore jusqu’à aboutir Ă  un point de rupture et provoquer la dĂ©nommĂ©e question religieuse. Celle-ci comportait une dimension politique, expression de la cĂ©sure historique entre les Ă©lites gouvernementales et une Église nouvelle, soucieuse de suivre sa propre voie[74].

La question religieuse dans une caricature d’époque. Les personnages reprĂ©sentĂ©s sont le pape Ă  droite et l’empereur Pierre II Ă  gauche, prĂŽnant respectivement le Syllabus, figurĂ© par un plat de macaronis, et la constitution brĂ©silienne, figurĂ©e par une feijoada, plat typiquement lusitanien. La lĂ©gende porte : « S.M. profita de l’occasion pour faire valoir, sans pour autant dĂ©daigner les macaronis du pape, les avantages et l’excellence d’une bonne feijoada ».

La question religieuse peut se rĂ©sumer comme suit. DĂšs la RĂ©gence (1831-1840), l’Église au BrĂ©sil avait commencĂ© Ă  ĂȘtre Ă©cartĂ©e du pouvoir politique. La quatriĂšme lĂ©gislature (1838-1841) de l’AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale comptait parmi ses dĂ©putĂ©s 12 ecclĂ©siastiques, dont trois Ă©vĂȘques ; Ă  la dixiĂšme lĂ©gislature (1857-1860), il n’y eut plus que 7 prĂȘtres, et de la onziĂšme lĂ©gislature jusqu’à la fin de l’Empire, le nombre moyen des hommes d’Église dans les AssemblĂ©es gĂ©nĂ©rales n’était plus que de deux[75]. Il en rĂ©sulta Ă  partir de 1840 une « romanisation » progressive de l’Église brĂ©silienne, celle-ci tendant Ă  se faire moins nationale, plus conservatrice, et Ă  faire opposition aux idĂ©es modernes et libĂ©rales. La communautĂ© catholique se dĂ©composait alors en trois tendances : une traditionnelle, une tridentine et une ultramontane[76]. Les rĂ©formateurs tridentins, mettant l’accent sur les sacrements et le clergĂ©, s’attachaient Ă  rĂ©intĂ©grer les membres du clergĂ© dans la vie quotidienne de leurs ouailles, en ramenant ceux-ci Ă  la sainte messe et Ă  la confession. Le nombre croissant de prĂȘtres disposĂ©s Ă  adopter les rĂ©formes tridentines renforça le phĂ©nomĂšne de romanisation, en mĂȘme temps que l’Église brĂ©silienne commençait Ă  favoriser une Église hiĂ©rarchisĂ©e aux dĂ©pens du catholicisme populaire, Ă  exercer un contrĂŽle plus strict sur la formation des prĂȘtres, Ă  avoir recours Ă  des ecclĂ©siastiques Ă©trangers pour aider Ă  mettre en Ɠuvre ces rĂ©formes, et surtout Ă  subordonner l’Église brĂ©silienne Ă  l’autoritĂ© du Vatican et du souverain pontife[77]. Le tridentisme se recoupait en grande partie avec la troisiĂšme forme de catholicisme, l’ultramontanisme, qui tenait Rome plutĂŽt que Rio de Janeiro pour chef de l’Église catholique du BrĂ©sil, dĂ©fendait le dogme de l’infaillibilitĂ© pontificale, et s’employait Ă  dĂ©nationaliser plus avant l’Église brĂ©silienne. Cependant, l’ultramontanisme se caractĂ©rise en outre par ceci qu’il prĂŽnait la subordination de la raison humaine Ă  la foi, la philosophie Ă  la thĂ©ologie, et la nature au surnaturel, et qu’il s’opposait Ă  la modernitĂ© sous toutes ses formes, que ce soit le primat de la science positive, le libĂ©ralisme, le socialisme, etc.[78]. Les ultramontains rejetaient ouvertement l’ingĂ©rence de l’État dans les affaires de l’Église[79].

La lutte entre les jĂ©suites et la franc-maçonnerie marqua en 1873 l’histoire de la ville de Recife. Le , Ă  la suite d’un rassemblement maçonnique sur la place Conde d’Eu (actuelle place Maciel Pinheiro), un groupe d’exaltĂ©s se rendit au collĂšge de jĂ©suites, alors sis au no 32 de la rue de l’Hospice (rua do HospĂ­cio) et saccagea ses installations. Peu aprĂšs, un autre groupe ravagea le journal A UniĂŁo, qui avait remplacĂ© O Catholico dans le rĂŽle d’organe de diffusion de l’Église, et au sein duquel les jĂ©suites exerçaient une importante influence intellectuelle. Tout l’équipement graphique, un numĂ©ro du journal dĂ©jĂ  prĂȘt et quelques meubles furent traĂźnĂ©s hors de la salle de rĂ©daction et des bureaux du journal, situĂ©s rua da UniĂŁo, puis aussitĂŽt jetĂ©s par la foule dans le fleuve Capibaribe. Deux jours plus tard, aprĂšs convocation par voie de feuillets, rĂ©pandus pendant la soirĂ©e dans toute la ville, les francs-maçons, libĂ©raux, rĂ©publicains et anti-jĂ©suites tinrent une grande assemblĂ©e sur le Campo das Princesas (actuelle Praça da RepĂșblica), laquelle assemblĂ©e fut dispersĂ©e manu militari par le brigadier Manuel da Cunha Vanderlei, commandant des forces armĂ©es[80].

Certains auteurs, en particulier contemporains de la rĂ©volte, voulurent voir dans les motivations religieuses la principale, sinon la seule, cause des jacqueries de Quebra-Quilos. Il est vrai que cet Ă©lĂ©ment eut une part, Ă  tout le moins comme justification idĂ©ologique, dans la plupart de ces soulĂšvements, mais non dans tous, et il est indĂ©niable que le clergĂ© y joua un certain rĂŽle[81]. Mais Quebra-Quilos ne saurait ĂȘtre rĂ©duit Ă  une simple retombĂ©e de ce qu’il est convenu d’appeler la question religieuse au BrĂ©sil[82].

Ainsi est-ce aux cris de « vive la religion et mort aux francs-maçons » que les Ă©meutiers attaquĂšrent le bourg d’IngĂĄ, Ă  l’est de Fagundes[83] - [84]. Le mĂȘme jour, les kiloclastes qui avaient envahi Areia, l’une des principales villes de l’intĂ©rieur de la province de ParaĂ­ba, dĂ©molirent le thĂ©Ăątre de la ville, considĂ©rĂ© par eux comme un Ă©difice maçonnique. AprĂšs y avoir brisĂ© tous les objets « maçonniques », ils se rendirent au bĂątiment du conseil municipal, oĂč ils dĂ©crochĂšrent et dĂ©truisirent le portrait de l’empereur Pierre II, responsable selon eux de l’arrestation de deux Ă©vĂȘques nordestins notables[85] - [86] - K. Richardson (2008), p. 36. Ils tentĂšrent aussi, quoiqu’ils en furent empĂȘchĂ©s, de dĂ©terrer les restes du juge cantonal dĂ©cĂ©dĂ© Francisco de AraĂșjo Barros, au motif que celui-ci aurait appartenu Ă  la franc-maçonnerie et ne pouvait donc pas ĂȘtre inhumĂ© en terre consacrĂ©e[87] - [84]. Dans la localitĂ© de Vertentes, les incidents prirent aussi une tournure religieuse, que la presse de l’époque rĂ©percuta : selon le journal Jornal do Recife, le groupe qui fit irruption dans le bourg donna de trĂ©pidants vivats Ă  la religion catholique et portait par devant lui un drapeau blanc sur lequel Ă©taient peintes des images de Notre-Dame et de Notre Seigneur crucifiĂ©[88].

À Queimadas, les Ă©meutiers se rendirent Ă  l’immeuble oĂč la sociĂ©tĂ© maçonnique Segredo e Lealdade (Secret et LoyautĂ©) avait coutume de tenir ses rĂ©unions. AprĂšs y avoir saisi des ouvrages ainsi qu’un crucifix, ils les apportĂšrent Ă  l’église paroissiale pour remettre le tout au curĂ©[89]. À ItambĂ©, dans le Pernambouc, les insurgĂ©s refusĂšrent d’écouter le prĂȘtre, allant mĂȘme jusqu’à l’accuser d’ĂȘtre franc-maçon, en raison du fait que la croix de JĂ©sus qu’il portait en sautoir s’inclinait vers la gauche. Dans le Pernambouc encore, un groupe d’émeutiers envahit la municipalitĂ© de Limoeiro le , se rĂ©unirent dans l’église, puis, arborant un drapeau et les effigies de la Vierge Marie et du Christ crucifiĂ©, entreprirent de convaincre les marchands forains de ne plus payer aucune taxe et de refuser d’utiliser le systĂšme mĂ©trique[90]. Il y eut d’autres cas oĂč l’église fut utilisĂ©e comme lieu de rassemblement, notamment par le groupe de 300 personnes environ qui attaqua la localitĂ© de Santo Antonio, dans le Rio Grande do Norte, au dĂ©but du mois de : rĂ©unis devant l’église, ils clamĂšrent des « vivats » au saint patron, pour ensuite dĂ©truire tous les registres administratifs qui leur venaient entre les mains[91]. Un autre groupe, Ă  l’inverse, en arrivant Ă  Caruaru, vers le , cria « Ă  la libertĂ©, Ă  la religion, Ă  l’ordre public, et aux chĂšres autoritĂ©s populaires », mais s’appliqua nĂ©anmoins dans la suite Ă  brĂ»ler les archives de la municipalitĂ©[91].

Les cris de « vive la religion » et « mort aux francs-maçons » s’entendaient lors de quasi chacune des attaques, en particulier dans les soulĂšvements de la ParaĂ­ba et du Pernambouc[92] - [93], Ă  telle enseigne que tant le gouvernement provincial que celui central Ă  Rio de Janeiro allaient attribuer le mouvement de Quebra-Quilos au « fanatisme religieux » et faire le lien avec la question religieuse alors pendante au BrĂ©sil[86] - [93].

Guerre du Paraguay et loi militaire

Le , au terme de dizaines d’annĂ©es de dĂ©bats, le gouvernement central adopta une nouvelle loi portant rĂ©forme du systĂšme de recrutement militaire Ă  travers tout l’Empire du BrĂ©sil. Connue sous le nom de loi du , de loi de recrutement, de loi du tirage au sort (Lei de Sorteios), ou de loi de captivitĂ© (Lei de Cativeiro), cette loi fut finalement proclamĂ©e par voie d’affiches le mois suivant dans les campagnes de l’arriĂšre-pays nordestin[94]. Les toutes premiĂšres Ă©meutes de Quebra-Quilos, Ă  Fagundes et Campina Grande, ne donnĂšrent pas tout d’abord Ă  entendre de protestations contre cette loi, toutefois, Ă  partir de novembre, l’opposition au service militaire occupera une place centrale dans les soulĂšvements et quasi tous les observateurs officiels en feront Ă©tat comme l’un des principaux griefs des paysans et l’un des principaux mobiles de leur rĂ©bellion[95].

Cette loi menaçait de bouleverser le systĂšme patriarcal et clientĂ©liste brĂ©silien traditionnel, et si l’on Ă©choua finalement Ă  la faire entrer en vigueur, c’est parce qu’elle allait Ă  l’encontre des coutumes et des normes morales des paysans, s’ajoutant aux autres entorses aux mƓurs traditionnelles (imposto do chĂŁo, taxes, systĂšme mĂ©trique), contre lesquelles les protestations Ă©taient dĂ©jĂ  en cours. Ce qui rendait cette nouvelle loi de conscription particuliĂšrement menaçante Ă©tait le fait qu’elle tendait Ă  saper la protection traditionnellement assurĂ©e aux petits paysans par le systĂšme clientĂ©liste, dit coronĂ©lisme, laquelle protection comportait la dispense de service militaire[96].

La loi de conscription, et dans une certaine mesure la rĂ©volte de Quebra-Quilos, est Ă  situer dans le contexte de la tension qu’il y eut, tout au long de l’histoire du BrĂ©sil, y compris Ă  l’époque coloniale, entre les tentatives de centralisation du pouvoir et la rĂ©sistance qui lui fut opposĂ©e au niveau local et rĂ©gional, rĂ©sistance qui prit la forme soit d’une consolidation du pouvoir entre des mains privĂ©es, soit — sous l’Empire — de mouvements fĂ©dĂ©ralistes. Cette tension se cristallisa dans la question des forces armĂ©es. Pour apaiser les craintes que l’armĂ©e nationale pĂ»t servir au gouvernement central Ă  rĂ©duire les libertĂ©s provinciales, l’on crĂ©a la Garde nationale, qui, placĂ©e sous le commandement du ministre de la Justice[97], faisait office d’une sorte de gendarmerie nationale Ă  laquelle pouvaient faire appel le juge de paix[98], les justices pĂ©nales, les prĂ©sidents de province, et le ministre de la Justice. Elle Ă©tait divisĂ©e en deux sections : l’active et la rĂ©serve. De la seconde Ă©taient habilitĂ©s Ă  faire partie les fonctionnaires, les membres de professions libĂ©rales, les Ă©tudiants, les ecclĂ©siastiques, les officiers d’armĂ©e, le personnel hospitalier, les propriĂ©taires d’esclaves (Ă  condition d’en dĂ©tenir plus de cinquante), les propriĂ©taires agricoles (s’ils possĂ©daient au moins cinquante tĂȘtes de bĂ©tail), tandis que pouvaient prĂ©tendre au rang de garde actif les membres des classes infĂ©rieures ou des classes moyennes infĂ©rieures (sous rĂ©serve de pouvoir justifier d’un certain niveau de revenu)[99]. Au dĂ©but, les officiers de la Garde nationale Ă©taient Ă©lus, mais aux termes de la loi no 602 de , ils Ă©taient nommĂ©s par les prĂ©sidents de province ou par le ministre de la Justice[100].

Les Ă©lections, et la maniĂšre dont elles Ă©taient manipulĂ©es, sont un Ă©lĂ©ment clef du clientĂ©lisme au BrĂ©sil[101]. Lors des Ă©lections, les propriĂ©taires fonciers regroupaient leurs paysans et les emmenaient au juge de paix, qui dĂ©terminait s’ils avaient un revenu suffisant pour ĂȘtre acceptĂ©s comme Ă©lecteurs. Ensuite, ils se rendaient Ă  l’église oĂč le scrutin se tenait et votaient pour le candidat soutenu par le propriĂ©taire. Les paysans Ă©taient ainsi admis Ă  vivre sur le domaine agricole du patron-propriĂ©taire terrien en Ă©change de leur loyautĂ©, celle-ci consistant notamment Ă  voter dans le sens souhaitĂ© par le patron. Au lien patron-client ainsi crĂ©Ă© se mĂȘlaient souvent de surcroĂźt des relations plus intimes, le patron consentant p.ex. Ă  devenir le parrain des enfants de ses clients[102]. Si les deux grands camps politiques d’alors — conservateurs et libĂ©raux — poussaient leurs subordonnĂ©s Ă  voter les jours d’élection, ceux des patrons soutenant le parti du premier ministre voyaient la plupart de leurs clients jugĂ©s d’un revenu suffisant et donc admis au scrutin, alors que beaucoup des subordonnĂ©s de la partie adverse se voyaient disqualifiĂ©s. Les patrons donc accordaient protection et terres Ă  leurs clients en Ă©change de leur loyautĂ© et de leur soutien Ă©lectoral ; Ă  l’inverse, toute perfidie ou dĂ©fection Ă©tait sanctionnĂ©e notamment par l’enrĂŽlement dans les forces armĂ©es[103].

Aussi bien pendant la pĂ©riode coloniale que sous l’indĂ©pendance, la vaste majoritĂ© des hommes enrĂŽlĂ©s dans l’armĂ©e l’étaient par la contrainte. Les recrues une fois entre les mains de l’armĂ©e, les officiers daignaient (pendant la pĂ©riode dite d’examen) prĂȘter l’oreille aux subterfuges ou aux raisons valables pour lesquelles telle recrue estimait devoir ĂȘtre dispensĂ©e de service militaire. Par exemple, les recruteurs avaient pour consigne « d’épargner un fils de chaque fermier, les gardiens de bĂ©tail qui conduisent le bƓuf sur pied vers les villes, les maĂźtres artisans, les marins-pĂȘcheurs, les marchands d’esclaves, les clercs », et les miliciens[104]. Mais ce qui importait le plus pour un jeune homme aux prises avec les forces armĂ©es, c’était d’avoir l’appui d’un patron capable de convaincre les autoritĂ©s de le rĂ©former[105].

Un dĂ©cret impĂ©rial de 1822 portait que tous ceux vivant en « oisivetĂ© criminelle », c’est-Ă -dire, en pratique, qui n’avaient pas de patron pour les protĂ©ger, Ă©taient sujets Ă  enrĂŽlement dans l’armĂ©e[106]. Le service militaire valait chĂątiment pour des dĂ©lits, comme celui, vaguement dĂ©fini, de vagabondage[107]. Les recrues pouvaient se dĂ©rober en proposant un remplaçant ou en payant une amende de 400 milreis. En 1852, chaque province avait un quota annuel d’hommes Ă  fournir Ă  l’armĂ©e. Cette tĂąche fut souvent dĂ©lĂ©guĂ©e Ă  des recruteurs, qui seraient aprĂšs 1858 indemnisĂ©s 10 milreis pour chaque enrĂŽlement forcĂ© et 20 milreis pour chaque volontaire[108]. Mais le gros du travail d’enrĂŽlement fut confiĂ© Ă  la Garde nationale. Or, les patrons d’une part prĂ©servaient leurs clients d’ĂȘtre recrutĂ©s dans l’armĂ©e ou la marine, et d’autre part briguaient pour eux-mĂȘmes des postes d’officier dans la Garde nationale[109]. Pendant la guerre de la Triple-Alliance (appelĂ©e au BrĂ©sil guerre du Paraguay), la Garde nationale, jusque-lĂ  assimilable Ă  une force de gendarmerie intĂ©rieure plutĂŽt qu’à un corps expĂ©ditionnaire, avait Ă©tĂ© elle aussi envoyĂ©e au front, alors que traditionnellement ceux qui avait rejoint la Garde nationale avaient Ă©tĂ© exemptĂ©s du service militaire dans l’armĂ©e[110]. C’était lĂ  la premiĂšre fois que la Garde nationale eut Ă  se battre en dehors du BrĂ©sil ; 14796 Gardes nationaux furent appelĂ©s dans le seul mois de , dont 6 000 de la province de Minas Gerais et 3 000 de SĂŁo Paulo. En , 10 000 hommes supplĂ©mentaires furent appelĂ©s sous les drapeaux, puis encore 8 000, ce qui laisse supposer des formes extrĂȘmes d’enrĂŽlement dans la Garde nationale[111].

En , les autoritĂ©s brĂ©siliennes cessĂšrent de recruter sur une base volontaire, et les officiers revinrent Ă  la vieille mĂ©thode Ă©prouvĂ©e du recrutement forcĂ©, mais rehaussĂ© Ă  un niveau jamais atteint auparavant au BrĂ©sil[112]. À l’issue de la guerre de la Triple Alliance, le gouvernement fut amenĂ© Ă  concevoir et Ă  appliquer une rĂ©forme du systĂšme de recrutement militaire[113]. La nouvelle lĂ©gislation signait la fin du rĂŽle de force de sĂ©curitĂ© strictement intĂ©rieure de la Garde nationale et mettait Ă  mal le clientĂ©lisme comme moyen de se soustraire au service militaire.

Politique de modernisation

Dans la dĂ©cennie 1870, le gouvernement impĂ©rial du BrĂ©sil entreprit une sĂ©rie de modernisations du pays, en commençant par une abolition graduelle de l’esclavage, sous la forme de la loi dite Rio Branco (du nom du premier ministre d'alors, le vicomte de Rio Branco, 1871), puis en instaurant en 1872 le systĂšme mĂ©trique Ă  travers tout le BrĂ©sil. Cependant, au cours des derniĂšres dĂ©cennies du XIXe siĂšcle, et jusque dans les premiĂšres du siĂšcle suivant, nombre de personnes allaient s’opposer, Ă  des degrĂ©s variĂ©s, Ă  ces modernisations. Les rĂ©voltes de Canudos, du Contestado, du CaldeirĂŁo, et les protestations contre la vaccination de 1904 Ă©taient, au moins partiellement, anti-modernistes ; Quebra-Quilos en Ă©tait sans doute la plus importante[114].

La guerre de la Triple Alliance terminĂ©e, le gouvernement du vicomte de Rio Branco, connu sous le nom de cabinet du , inaugura une nouvelle pĂ©riode de rĂ©formes pour le BrĂ©sil. Furent ainsi dĂ©cidĂ©s e.a. une rĂ©forme de l’enseignement, une abolition progressive de l’esclavage, le subventionnement des chemins de fer, le premier recensement national de la population, la mise en place d’une liaison tĂ©lĂ©graphique intercontinentale sous-marine, et l’introduction du systĂšme mĂ©trique[115].

Une loi portant instauration du systĂšme mĂ©trique fut adoptĂ©e en 1862, mais mĂ©nageait une pĂ©riode de tolĂ©rance de dix ans[116]. En , dix ans aprĂšs la promulgation, Francisco do Rego Barros Barreto, alors ministre de l’Agriculture, publia un dĂ©cret prescrivant l’adoption officielle immĂ©diate du systĂšme mĂ©trique ; les Instructions (no 5089), publiĂ©es avec la loi d’exĂ©cution no 1157 et exĂ©cutoires le , prĂ©voyaient en cas de violation des sanctions de cinq Ă  dix jours d’emprisonnement et une amende de 10 000 Ă  20 000 reis[117] - [118].

Dans les annĂ©es 1850, les routes et chemins de fer apparaissaient comme les Ă©lĂ©ments les plus emblĂ©matiques de la modernisation en cours. Le BrĂ©sil s’adressa Ă  des Ă©trangers, plus spĂ©cialement aux Anglais, pour en prendre en charge la rĂ©alisation. Le centre-sud — si l’on prend comme critĂšre la construction ferroviaire — se modernisa prestement ; le nord-est en revanche, lieu de l’ancienne richesse du BrĂ©sil durant la pĂ©riode coloniale, se modernisait beaucoup plus lentement. LĂ  aussi, c’est aux Britanniques que fut confiĂ© le soin d’amĂ©nager les chemins de fer. En fait, la Compagnie ferroviaire de Recife et du SĂŁo Francisco fut la premiĂšre sociĂ©tĂ© de chemins de fer au BrĂ©sil, quoique l’objectif de relier Recife et le fleuve SĂŁo Francisco prĂźt des dĂ©cennies Ă  ĂȘtre atteint et que la compagnie fĂ»t dĂ©passĂ©e en importance et efficacitĂ© par celles opĂ©rant dans le centre-sud. La Compagnie ferroviaire de la Bahia et du SĂŁo Francisco, mise sur pied en 1852, commença ses activitĂ©s en 1860, et, Ă  l’instar de la Compagnie ferroviaire de Recife et du SĂŁo Francisco, ne remplirait son objectif qu’au prix d’une immense dĂ©pense de temps et d’énergie, n’atteignant le fleuve SĂŁo Francisco qu’en 1896[119].

L’empereur Pierre II lui-mĂȘme, patron des sciences et des arts, s’attela Ă  rĂ©former le BrĂ©sil. À cet effet, il fit modifier, par le biais de la fiscalitĂ©, les rĂšgles du mĂ©tayage, encouragea l’immigration, fit mettre en Ɠuvre des mĂ©thodes agricoles scientifiques, Ă©tendit le droit de vote, et fit finalement abolir l’esclavage[120]. Pour introduire le BrĂ©sil dans la modernitĂ© et montrer au monde que le pays progressait, les Ă©lites brĂ©siliennes s’attachaient aux signes extĂ©rieurs du progrĂšs : routes, chemins de fer, Ă©clairage au gaz, etc. Comme indiquĂ© ci-haut, le BrĂ©sil voulut Ă©galement rĂ©former son systĂšme de poids et mesures, dans le but de combattre la corruption des commerçants et des percepteurs, mais aussi pour stimuler la participation du BrĂ©sil aux Ă©changes internationaux[121]. En 1854, au terme d’une pĂ©riode de transition, le Portugal adopta le systĂšme mĂ©trique, et en 1861, le royaume d’Italie nouvellement constituĂ© fit de mĂȘme, avec une pĂ©riode de transition de 18 mois. En 1862, il y eut une vague d’adoptions en AmĂ©rique latine, l’Uruguay, le Chili, le PĂ©rou, le BrĂ©sil et l’Argentine s’apprĂȘtant Ă  l’adopter Ă  leur tour[122]. Cette mesure de modernisation avait en apparence l’avantage, et ceci d’attrayant, qu’elle bĂ©nĂ©ficierait Ă  tous les BrĂ©siliens sans mettre en cause les institutions traditionnelles et conservatrices du pays[123]. La lĂ©gislation brĂ©silienne affĂ©rente n’apparaĂźt du reste nullement prĂ©cipitĂ©e ni radicale, mais au contraire prĂ©cautionneuse, puisqu’elle prenait soin de prĂ©ciser que la substitution devait se faire graduellement, disposant que l’usage lĂ©gal des anciennes mesure ne devait cesser totalement qu’au bout de dix annĂ©es de transition. En 1872, Rio Branco suggĂ©ra au ministre de l’Agriculture, Francisco do Rego Barros Barreto, que fussent publiĂ©es des instructions pour l’exĂ©cution de la loi, votĂ©e dĂ©jĂ  dix ans plus tĂŽt. Il fut alors dĂ©terminĂ© qu’à compter du , les marchandises offertes Ă  la vente devaient ĂȘtre mesurĂ©es ou pesĂ©es en accord avec le nouveau systĂšme de poids et mesures. Toute utilisation de l’ancien systĂšme serait punie d’une peine de prison de cinq Ă  dix jours ou d’une amende de 10 Ă  20 milreis. Ces instructions du mitigeaient ainsi les sanctions prĂ©vues par la lĂ©gislation, qui comportaient des peines jusqu’à un mois d'emprisonnement et des amendes jusqu’à 100 milreis. Ce fut le baron de Capanema qui formula la premiĂšre grande critique Ă  cette rĂ©solution gouvernementale, publiant, dans le journal A Reforma dĂ©but 1873, un article oĂč il reprochait aux autoritĂ©s de n’avoir pas eu la prĂ©caution de distribuer les nouveaux Ă©talons de mesure. Quoi qu’il en soit, les amendes et les peines d’emprisonnement confĂ©raient Ă  cette loi, dirigĂ©e contre des coutumes et habitudes venues des temps de la colonie, une aura de violence[124].

Causes

Cause principale : les taxations

Si les paysans des campagnes de l’intĂ©rieur bravĂšrent l’autoritĂ©, c’était au tout premier chef pour protester contre une sĂ©rie incessante de nouvelles impositions, provinciales et municipales, trop lourdes pour la vaste majoritĂ© des sertanejos pauvres, mĂȘme si ― ainsi que l’indique le nom mĂȘme de la rĂ©volte ― l’instauration du systĂšme mĂ©trique joua Ă©galement un rĂŽle important.

L’analyse de l’évolution de la fiscalitĂ© dans la pĂ©riode qui prĂ©cĂšde la rĂ©volte de Quebra-Quilos montre que, dans la Pernambouc, pour les annĂ©es qui vont de 1870 Ă  1874, il fut crĂ©Ă© 32 impĂŽts nouveaux et supprimĂ© 13, que le taux fut baissĂ© pour 59 impĂŽts et rehaussĂ© pour 36[125]. L’augmentation du prix du coton, consĂ©cutive Ă  la guerre de SĂ©cession aux États-Unis, provoqua une hausse des recettes provinciales, Ă  la faveur desquelles furent engagĂ©es des dĂ©penses importantes de nature permanente, sans prĂ©vision du futur et sans que l’on pĂ»t ĂȘtre assurĂ© de la pĂ©rennitĂ© de cette conjoncture favorable. De maniĂšre gĂ©nĂ©rale, l’imposition au BrĂ©sil Ă©tait Ă©levĂ©e si on la compare avec celle des autres pays. Une Ă©tude comparative des impĂŽts perçus, vers le milieu du XIXe siĂšcle, au BrĂ©sil et dans les autres États, indique que la charge fiscale se situait au BrĂ©sil toujours au-delĂ  des possibilitĂ©s contributaires du pays[126].

La localitĂ© de Fagundes, prĂšs de la ville sertaneja de Campina Grande, dans la ParaĂ­ba, fut la premiĂšre Ă  se rĂ©volter. Significativement, c’est sur le territoire de cette localitĂ© que la culture du coton avait connu son plus grand essor et que l’on subissait donc de plein fouet les effets de la crise cotonniĂšre. S’apprĂȘtant Ă  envahir la ville de Campina Grande voisine, l’un des meneurs identifiĂ©s du mouvement, JoĂŁo Vieira, alias Carga d’Agua, non seulement fit connaĂźtre ses desseins, Ă  savoir « brĂ»ler les papiers des impĂŽts », mais s’efforça aussi de rassembler autour de lui le plus de monde possible pour l’assister[127]. Une bonne part des vendeurs de marchĂ© Ă©taient en retard de paiement pour la taxe foraine ; lorsque le groupe protestataire menĂ© par JoĂŁo Nunes attaqua le foirail de Fagundes, ils s’en prirent Ă  la liste recensant les personnes en retard de paiement des taxes provinciales, liste qui Ă©tait apposĂ©e Ă  la porte de la boucherie et qu’ils dĂ©tachĂšrent et mirent en lambeaux[51]. À Campina Grande, les diffĂ©rents groupes d’émeutiers vinrent tous dans la mĂȘme intention (en plus de dĂ©truire les poids et mesures du systĂšme mĂ©trique nouvellement rendu obligatoire) d’empĂȘcher la perception des taxes provinciales et municipales, jugĂ©es excessives[128].

Les Ă©meutiers dirigeaient leur rage non seulement contre les taxes, mais aussi contre ceux qui en assuraient la perception. Bien qu’il n’y eĂ»t que fort peu de collecteurs d’impĂŽts tuĂ©s pendant la rĂ©volte de Quebra-Quilos, une exception cependant est Ă  signaler qui survint Ă  la mi-dĂ©cembre quand un groupe de 400 Ă©meutiers attaqua Bom Conselho, pĂ©nĂ©trĂšrent par effraction dans l’office du collecteur d’impĂŽts et assassinĂšrent son greffier[129] - [130] ― mais c’était lĂ  certes un cas exceptionnel, non la rĂšgle gĂ©nĂ©rale[131]. Bien plutĂŽt, les insurgĂ©s s’en prenaient aux bureaux oĂč les registres de taxation Ă©taient conservĂ©s ; ceux-ci Ă©taient alors jetĂ©s hors du bĂątiment et Ă©parpillĂ©s par les rues, pour y ĂȘtre brĂ»lĂ©s ou rĂ©duits en laniĂšres. Les Ă©meutiers en particulier qui se trouvaient rĂ©pertoriĂ©s pour arriĂ©rĂ©s d’impĂŽts se montraient les plus ardents Ă  dĂ©truire ces registres[132]. Tous autres documents financiers, tels que p.ex. les titres d’hypothĂšque, connurent le mĂȘme sort[127]. Si d’autres mobiles peuvent ĂȘtre invoquĂ©s comme causes de la rĂ©volte de Quebra-Quilos, il demeure que les Ă©meutiers ont tous indiquĂ© cette raison particuliĂšre — les taxes — pour motif de leur soulĂšvement.

Exacerbation de la question religieuse par la mise sous Ă©crou de deux Ă©vĂȘques et opposition Ă  la franc-maçonnerie

En contrepoint des Ă©volutions que traversait l’Église, il y a lieu de s’attarder Ă  la franc-maçonnerie brĂ©silienne. Si celle-ci Ă©tait certes associĂ©e avec les idĂ©es libĂ©rales, elle n’avait garde de cĂ©der Ă  l’anticlĂ©ricalisme, comptant mĂȘme des ecclĂ©siastiques parmi ses membres. Cependant, au fur et Ă  mesure que l’Église Ă©tait Ă©cartĂ©e des centres de pouvoir et que les ecclĂ©siastiques adhĂ©raient moins au libĂ©ralisme, les hommes d’Église cessĂšrent de s'affilier aux loges. De plus, Rome commençait alors Ă  condamner la franc-maçonnerie, de sorte que, plus l’Église brĂ©silienne se « romanisait », plus sa rhĂ©torique se faisait anti-maçonnique[133]. En 1864, Rome fit paraĂźtre l’encyclique Syllabus errorum, oĂč quatre-vingts « principales erreurs de notre temps » Ă©taient dĂ©finies, et dans un addendum de laquelle, intitulĂ© Quanta Cura, se trouvait exposĂ©e l’opposition de la papautĂ© Ă  la franc-maçonnerie. Ensuite, lors du concile Vatican I (1869-70), Rome formula le dogme de l’infaillibilitĂ© papale. Ces positions portĂšrent le BrĂ©sil Ă  sĂ©culariser les cimetiĂšres, de mettre sur pied un service d’état civil, et mĂȘme de reconnaĂźtre le mariage civil[134] - [133]. En 1871, le vicomte de Rio Branco fit adopter la loi dite des Ventres libres, en vertu de laquelle tout enfant nĂ© d’une esclave aprĂšs la promulgation de cette loi serait d’office affranchi Ă  l’ñge de 21 ans, moyennant toutefois que cet enfant eĂ»t servi le maĂźtre de sa mĂšre Ă  partir de l’ñge de huit ans jusqu’à l’ñge de son affranchissement. Le vicomte de Rio Branco se trouvait ĂȘtre Ă  ce moment-lĂ  grand-maĂźtre de l’une des deux grandes loges maçonniques de Rio de Janeiro ; Ă  l’occasion d’une rĂ©ception donnĂ©e en l’honneur de Rio Branco, le pĂšre Almeida Martins, franc-maçon lui-mĂȘme, prononça son Ă©loge, ce qui incita son Ă©vĂȘque, Pedro Maria de Lacerda, de lui ordonner de quitter la franc-maçonnerie. Cependant, attendu que la franc-maçonnerie n’avait jamais Ă©tĂ© condamnĂ©e par l’État brĂ©silien, et qu’aucune des encycliques rejetant la franc-maçonnerie n’avait jamais reçu le placet impĂ©rial et qu’aucune par consĂ©quent n’avait force de loi au BrĂ©sil, le pĂšre se crut en droit de refuser. L’évĂȘque Lacerda rĂ©pliqua en suspendant Almeida de sa facultĂ© de prĂȘcher et d'entendre les confessions. En rĂ©action, Almeida se pourvut devant le Conseil d’État[135].

Dans le Pernambouc, l’évĂȘque d’Olinda nouvellement nommĂ©, le capucin Vital Maria Gonçalves de Oliveira, ayant eu vent de ce que le une messe serait cĂ©lĂ©brĂ©e Ă  l’occasion de la fondation d’un ordre maçonnique local, publia la circulaire ReservadĂ­ssima interdisant la tenue de cette messe. Gonçalves de Oliveira ordonna Ă  tous les prĂȘtres d’abjurer la franc-maçonnerie et Ă  toutes les congrĂ©gations d’expulser de leur sein tout membre qui s’y refuserait. Dans le mĂȘme temps, l’évĂȘque du ParĂĄ, Dom AntĂŽnio de Macedo Costa, dĂ©cida d’adopter une position semblable et publia le une lettre pastorale, dans laquelle lui aussi condamnait la franc-maçonnerie et dĂ©crĂ©ta que tout franc-maçon ayant refusĂ© d’abjurer la franc-maçonnerie eĂ»t Ă  ĂȘtre banni de sa congrĂ©gation. Pas moins de cinq associations religieuses furent suspendues en consĂ©quence. En , le Vatican, pour assurer Dom Vital de son appui, publia l’encyclique Quamquam Dolores, qui toutefois n’eut point le placet impĂ©rial. Le ministre de l’intĂ©rieur, JoĂŁo Alfredo Correia de Oliveira, adressa en une missive Ă  Dom Vital lui rappelant que « selon notre loi, les bulles n’ayant pas reçu le placet ne peuvent ĂȘtre appliquĂ©es dans l’Empire » ; nĂ©anmoins, Dom Vital continua de publier des encycliques sans l’aval de l’Empereur[136] - [137]. En , le Conseil d’État ordonna Ă  Dom Vital de lever avant 30 jours l’interdit jetĂ© sur les congrĂ©gations. Dom Vital n’ayant pas obtempĂ©rĂ© Ă  l’expiration de ce dĂ©lai, le Tribunal de Justice accusa le de la mĂȘme annĂ©e Dom Vital de violer l’article 96 du code criminel et ordonna son arrestation immĂ©diate. Dom AntĂŽnio de Macedo Costa devait tomber sous le coup d’une incrimination similaire en mars de l’annĂ©e suivante. DĂ©fĂ©rĂ© devant la Cour suprĂȘme le , Dom Vital fut condamnĂ© Ă  21 ans de travaux forcĂ©s. Dom AntĂŽnio de Macedo Costa, mis en jugement dans des circonstances similaires le , se vit signifier un verdict analogue le [138] - [139]. Ces sentences furent ensuite toutes deux commuĂ©es en incarcĂ©ration ordinaire par ordre de l’empereur Pierre II, et tous deux allaient purger leur peine pendant un an et demi, avant de bĂ©nĂ©ficier d’une amnistie impĂ©riale gĂ©nĂ©rale le . La rĂ©volte de Quebra-Quilos cependant Ă©clata, en partie du moins, en soutien Ă  ces deux Ă©vĂȘques emprisonnĂ©s[140].

Attendu que lors de l’insurrection toute la documentation relative aux impĂŽts municipaux de Campina Grande fut dĂ©truite, aucune trace ne subsiste quant au total perçu au titre de l’imposto do chĂŁo (taxe foraine). Toutefois, tout laisse supposer que les sommes Ă©taient loin d’ĂȘtre considĂ©rables ; mais il s’agissait, aux yeux des quebra-quilos, d’un impĂŽt de franc-maçon, un impĂŽt excommuniĂ©, impie, contre la religion, voire contre Dieu. La religion des anciens colonisateurs s’inscrit syncrĂ©tiquement dans l’univers critique et moral des caboclos du Nordeste, dans leur vision primitive des choses ; dans ce syncrĂ©tisme, la rĂ©bellion en l’espĂšce n’est pas une transgression, mais « au contraire reprĂ©sente une confiscation, une appropriation lĂ©gitime et juste des biens de l’oppresseur par l’opprimĂ©. La religion, comme la place publique, appartient au peuple »[141].

Le (ou le 26, selon les sources) 1874, c’est-Ă -dire un mois aprĂšs les premiĂšres agitations de Fagundes, des Ă©meutiers dĂ©ferlĂšrent dans la ville sertaneja d’Areia, Ă©galement dans la ParaĂ­ba[139]. En 1859, ce bourg avait fait bĂątir un thĂ©Ăątre, dotĂ© de dix loges, d’une centaine de siĂšges et d’une galerie[142] - [87]. Les Ă©meutiers, sur la foi de ce que « s’y trouvait un livre bleu contre l’Église », croyaient qu’il s’agissait en fait d’un temple maçonnique et se mirent par consĂ©quent en devoir de le dĂ©molir[143]. Ceci accompli, ils se rendirent Ă  la mairie, oĂč ils arrachĂšrent de dessus le mur puis dĂ©coupĂšrent en laniĂšres le portrait de Dom Pedro II, Ă  qui ils imputaient l’arrestation des deux Ă©vĂȘques susnommĂ©s[144] - [143]. Ces mĂȘmes Ă©meutiers tentĂšrent d’autre part d’exhumer le cadavre du juge cantonal, Francisco de AraĂșjo Barros, au motif que, vu qu’il avait Ă©tĂ© franc-maçon, il n’avait pas droit Ă  ĂȘtre inhumĂ© en terre consacrĂ©e[87] - [143]. Il apparaĂźt donc, en partie du moins, que les paysans se servirent de la dĂ©tention des deux Ă©vĂȘques, et de façon gĂ©nĂ©rale, de motivations religieuses, comme justificatif moral de leur soulĂšvement anti-impĂŽts, afin de rendre Ă©thiquement acceptables leur refus de s’acquitter des taxes et leur non-respect de la loi[143].

RĂŽle des mouvements missionnaires

Le rĂŽle (et l’utilisation) de la religion dans cette rĂ©volte s’inscrit dans la droite ligne des prĂ©dications menĂ©es dans le nord-est par des prĂȘtres locaux affiliĂ©s aux mouvements missionnaires. Ces prĂ©dications tendaient Ă  un renouveau religieux et Ă  des rĂ©formes sociales et Ă©taient notamment dirigĂ©es contre la franc-maçonnerie. À Granito, par exemple, le pĂšre Manoel Antonio de Jesus s’employait Ă  exhorter les masses Ă  la rĂ©bellion, notamment en prĂȘchant Ă  propos de l’épineuse question religieuse et en flĂ©trissant l’arrestation de l’évĂȘque Vital Maria Gonçalves de Oliveira[145].

Dans les dĂ©cennies 1860 et 1870, l’on vit dĂ©ferler par vagues, sur les campagnes brĂ©siliennes, des missions de prĂ©dication dirigĂ©es entre autres par le pĂšre JosĂ© AntĂŽnio Maria Ibiapina. Ce dernier, avocat de formation, affectĂ© par la misĂšre dans le nord-est, entreprit une sĂ©rie de missions dans la rĂ©gion, lesquelles, se prolongeant sur environ douze jours et visant chacune une ville ou bourgade particuliĂšre, s’attachaient aussi bien aux aspects matĂ©riels que spirituels. Le prĂ©dicateur s’efforçait de rassembler la population autour de lui, dans le but de construire des hĂŽpitaux, des maisons de charitĂ© (Casa de Caridade), des cimetiĂšres, des Ă©glises, et des retenues d’eau pour l’irrigation[146]. Ibiapina, qui Ă©pinglait la vanitĂ© comme pĂ©chĂ©, fit construire par les populations rurales, entre 1860 et 1872, vingt-deux de ces maisons de charitĂ©. L’une d’elles, Ă©difiĂ©e dans le CearĂĄ en 1865, appelĂ©e MissĂŁo Velha, pouvait recueillir des orphelins et des malades, avait un jardin de fleurs avec une citerne d’eau et une salle pour enseigner aux enfants. Dix de ces maisons furent Ă©tablies dans la ParaĂ­ba; la premiĂšre, la Casa de Santa FĂ©, fut fondĂ©e en 1866 et comprenait un barrage et un cimetiĂšre, puis d’autres furent Ă©tablies Ă  Pocinhos et Ă  Pombal. Dans d’autres zones, Ibiapina construisit des hĂŽpitaux, notamment Ă  Areia en 1862 et Ă  Alagoa Nova en 1869, lesquels seront convertis plus tard en maisons de charitĂ©[147]. La presque totalitĂ© des villages appelĂ©s Ă  participer Ă  la rĂ©bellion de Quebra-Quilos avaient auparavant Ă©tĂ© desservis par les missions d’Ibiapina[148].

Le pĂšre Calixto Correia de NĂłbrega, curĂ© de Campina Grande, qui tentait de convaincre ses paroissiens des mĂ©faits de la franc-maçonnerie, sollicita l’assistance du pĂšre Ibiapina, lequel, arrivĂ© dans la ville dĂ©but et inaugurant sa mission le lendemain, prĂȘcha que les habitants de Campina Grande ne devaient pas obĂ©ir aux autoritĂ©s municipales, en tant qu’elles avaient Ă©tĂ© nommĂ©es par un gouvernement maçonnique. Ibiapina ajouta que « ce serait la mĂȘme chose de tuer un franc-maçon ou des chiens damnĂ©s ». À Fagundes, selon un tĂ©moignage, Ibiapina prĂȘcha « depuis la chaire que le fils ne devait pas obĂ©ir au pĂšre s’il Ă©tait franc-maçon [
] et que l’épouse pouvait quitter son mari
 [et] que les gens ne devaient pas obĂ©ir au gouvernement »[149] - [150].

L’imposto do chĂŁo (taxe foraine), principale cible du soulĂšvement, Ă©tait rĂ©putĂ©e « loi maçonnique » chez les insurgĂ©s, ou au moins loi instaurĂ©e par des francs-maçons, au mĂȘme titre que les poids et mesures du systĂšme mĂ©trique[151]. C’est d’ailleurs au pĂšre NĂłbrega que Joao Carga d’Agua, meneur d’un des groupes d’émeutiers, s’adressa spĂ©cifiquement pour lui remettre les poids et mesures « maçonniques » qu’ils avaient saisis. Vers le , l'agitateur Manoel de Barros, quand il retourna en ville avec ses hommes, et aprĂšs qu’il eut tirĂ© de prison son pĂšre Joao de Barros, attaqua le lieu de rĂ©union de la sociĂ©tĂ© Segredo e Lealdade, s’empara du crucifix et des livres qui s’y trouvaient et se rendit, lui aussi, chez NĂłbrega pour les lui remettre[152].

Ibiapina apparaĂźt dans la documentation officielle sur Quebra-Quilos comme extrĂȘmement suspect. Pour Manuel Caldas Barreto, chef commissaire de police du Pernambouc, le pĂšre Calixto da NĂłbrega est la soutane la plus dangereuse et la plus subversive de son ordre ; il aurait insufflĂ© dans le peuple des « idĂ©es anarchistes, qui furent plus d’une fois Ă  l’origine de troubles et de blessures »[153]. Il y a lieu toutefois de distinguer entre sa prĂ©dication anti-maçonnique, entrelardĂ©e de dures critiques contre le gouvernement, et un hypothĂ©tique rĂŽle dirigeant chez les Ă©meutiers. Il Ă©tait certes impliquĂ© dans la premiĂšre ; quant au second, sa personne Ă©chappe Ă  la logique des Ă©vĂ©nements. Dans la ParaĂ­ba comme dans le Pernambouc, le commandement des quebra-quilos fut toujours alĂ©atoire, dĂ©sarticulĂ© et transitoire. TantĂŽt ce fut un major de l’armĂ©e, AntĂŽnio Lelis de Sousa Pontes, originaire d’IngĂĄ, qui avait Ă©tĂ© dĂ©putĂ© provincial sous la lĂ©gislature 1870-1871, tantĂŽt un vicaire, Calixto Correia da NĂłbrega, Ă  Campina Grande, qui s’évertua Ă  tirer parti de la dynamique contestataire des quebra-quilos. La dĂ©cision de prendre la tĂȘte du mouvement se prenait toujours en fonction de questions et de problĂ©matiques locales, de sympathies et antipathies purement rĂ©gionales. Dans le cas prĂ©cis de l’implication des deux prĂ©lats Ibiapina et Calixto, il y eut le facteur dĂ©terminant la dimension de l’antagonisme majeur entre Église et franc-maçonnerie[154].

Les pĂšres NĂłbrega et Ibiapina furent donc pendant un temps considĂ©rĂ©s comme les chefs de file du soulĂšvement — le , le prĂ©sident de la province de ParaĂ­ba Ă©crivit Ă  son confrĂšre du Pernambouc que « les pĂšres Ibiapina et Calixto [curĂ© de Campina Grande] Ă©taient les principaux auteurs de cette agitation »[155] —, raison pour laquelle NĂłbrega allait ĂȘtre interpellĂ© et traduit en justice comme meneur du mouvement de Quebra-Quilos[156]. Cependant, dĂ©fendu par un sien ami, l’avocat Geraldo Irineu JĂłffily, NĂłbrega fut bientĂŽt mis hors de cause et relĂąchĂ© aprĂšs son interrogatoire[157] - [158]. Peu aprĂšs, le commissaire en chef de la police ordonna de nouveau son arrestation, alors que l’intĂ©ressĂ©, aprĂšs sa mission Ă  Campina Grande, s’était entre-temps retirĂ© Ă  Santa FĂ©, dans la premiĂšre de ses maisons de charitĂ© dans la ParaĂ­ba, et s’y trouvait encore lorsqu’il apprit le mandat d'arrĂȘt lancĂ© contre lui ; toutefois, son arrestation n’eut jamais lieu[159] - [158] ; sans doute, eu Ă©gard au prestige attachĂ© Ă  son nom auprĂšs de la population nordestine, le gouvernement renonça-t-il Ă  le mettre en dĂ©tention. En effet, ainsi que le note Joffily, il eĂ»t Ă©tĂ© plus risquĂ© de toucher au « padre mestre » (pĂšre maĂźtre) que d’arrĂȘter l’évĂȘque Dom Vital[159] - [160] - [157].

RÎle des jésuites et des capucins

Dans le Pernambouc, les autoritĂ©s s’évertuĂšrent Ă  dĂ©signer la question religieuse comme la cause de la rĂ©volte de Quebra-Quilos. Comme en tĂ©moigne une lettre d’Henrique Pereira de Lucena, prĂ©sident du Pernambouc, adressĂ©e au ministre de la Justice, les jĂ©suites Ă©taient vouĂ©s Ă  jouer en grande partie le rĂŽle de bouc Ă©missaire, tant pour la question religieuse que pour Quebra-Quilos[160]. Les jĂ©suites avaient Ă©tĂ© expulsĂ©s du BrĂ©sil au XIXe siĂšcle, mais revinrent Ă  Recife, sous l’égide de l’évĂȘque Manuel Medeiros, mais cette fois prudemment sous l’appellation de pĂšres de Saint-François-Xavier, et collaborĂšrent au Journal O CathĂłlico. Dans son premier numĂ©ro, ce journal prĂ©sentait le point central de son programme idĂ©ologique : la « nĂ©cessitĂ© urgente de dĂ©fendre, dans le cadre actuel, la religion chrĂ©tienne et l’Église ». Le journal ne voulait se mettre au service d’aucun parti politique. Comme responsable unique de tous les articles publiĂ©s apparaissait le nom du conselheiro Pedro Autran da Mata Albuquerque, cependant l’indication qu’il se trouvait « sous les auspices de l’évĂȘque Dom Francisco Cardoso Ayres » confĂ©rait au journal le statut d’organe officiel. Dans ses colonnes est perceptible la prĂ©sence jĂ©suitique ; le langage utilisĂ© est parfois vĂ©hĂ©ment, en particulier quand il est question de la franc-maçonnerie. Il adoptait par ailleurs des positions anti-libĂ©rales[161]. Si dans le passĂ© le jĂ©suitisme, d’un cĂŽtĂ©, rechercha, et obtint plusieurs fois, le pouvoir politique, de l’autre, la rĂ©action Ă  son influence fut Ă©galement vive. Quelques prĂȘtres de l’intĂ©rieur avaient dans des sermons du dimanche critiquĂ© le gouvernement pour sa position dans l’affaire des Ă©vĂȘques Dom Vital et Dom Macedo Costa ; mais ce ne furent gĂ©nĂ©ralement pas des jesuites qui firent montre d’un tel courage, mais la plupart du temps de simples prĂȘtres sĂ©culiers ou des membres d’autres ordres[162]. NĂ©anmoins, un lien matĂ©riel complet et prĂ©cis entre Quebra-Quilos et clergĂ© ne peut pas ĂȘtre Ă©tabli. Dans cette Église catholique rancuniĂšre, qui se dĂ©solait de l’incarcĂ©ration de ses Ă©vĂȘques, l’attitude des prĂȘtres apparaĂźt en gĂ©nĂ©ral, dans les villes et bourgs oĂč le mouvement se manifesta avec une intensitĂ© plus ou moins forte, d’une variabilitĂ© telle que l’idĂ©e s’impose naturellement Ă  l’historien que c’étaient les situations locales, les points de vue personnels en matiĂšre politique, les liens d’amitiĂ© ou d’inimitiĂ© avec les autoritĂ©s qui fondamentalement conditionnĂšrent les positions prises par les curĂ©s de l’intĂ©rieur vis-Ă -vis de la rĂ©volte, de la sĂ©dition ou des simples tumultes des quebra-quilos. Cela vaut du moins pour le clergĂ© sĂ©culier ; quant aux ignatiens, et quand bien mĂȘme le gouvernement eĂ»t Ă©tĂ© convaincu du contraire, il n’a Ă©tĂ© trouvĂ© aucune preuve directe, conclusive, documentĂ©e, de l’action des jĂ©suites contre les institutions. Quoique revanchiste, l’Église brĂ©silienne joua dans la rĂ©volte de Quebra-Quilos un rĂŽle asymĂ©trique et plus d’une fois contradictoire. Si Ibiapina prĂȘcha contre l’Empire Ă  Campina Grande, si des jĂ©suites furent faits prisonniers dans la Paraiba et Ă  Recife pour avoir dĂ©tenu des « papiers compromettants », si Onorati et Aragnetti furent expulsĂ©s de leurs paroisses par le gouvernement provincial, d’un autre cĂŽtĂ©, un grand nombre de prĂȘtres exhortĂšrent les Ă©meutiers enragĂ©s Ă  ne pas brĂ»ler les bureaux de l’administration, Ă  payer les impĂŽts et Ă  respecter les autoritĂ©s[163].

DĂšs le dĂ©but, Rio Branco suspecta les jĂ©suites d’ĂȘtre les auteurs d’un vaste plan de subversion, bien dissimulĂ©, et dans une lettre adressĂ©e Ă  l’Empereur, datĂ©e du , il Ă©crivit : « Il me paraĂźt, comme Ă  M. le ministre de la Justice, qu’il y a des indices solides, mais non des preuves suffisantes, de la culpabilitĂ© des pĂšres jĂ©suites (
) ; ou bien les pĂšres sont des chefs de la sĂ©dition, ce qui doit se savoir par les moyens judiciaires, ou non »[164]. Les informations communiquĂ©es Ă  l’Empereur par Rio Branco le indiquent que la sĂ©dition n’était pas encore Ă©touffĂ©e et que Lucena insistait que les jĂ©suites fussent expulsĂ©s. Le , Rio Branco Ă©tait pleinement convaincu, par les tĂ©lĂ©grammes que lui adressait Lucena, que le plan d’agitation qui perturbait le Pernambouc et la ParaĂ­ba Ă©tait jĂ©suitique, avec la collaboration de quelques politiciens du Parti libĂ©ral. D’oĂč le tĂ©lĂ©gramme de Rio Branco Ă  Lucena, avec ce message Ă©nergique, catĂ©gorique, inquiet, et farouchement anti-jĂ©suite : « L’autoritĂ© ne doit pas reculer. Les jĂ©suites de Triunfo sont les plus dangereux ; ils prĂ©parent le mouvement de la ParaĂ­ba et du Pernambouc, d’intelligence avec Ibiapina et d’autres missionnaires. Il semble que lĂ  se trouve le foyer principal de la sĂ©dition. [
] Qu’il soit annoncĂ© (non en guise de compromis) que les Ă©glises seront fermĂ©es, mais que les jĂ©suites soient apprĂ©hendĂ©s et qu’ils s’en aillent. Faiblir, en ce cas, c’est attiser de nouvelles rĂ©sistances, et tout perdre[165]. »

Il y a lieu d’évoquer le cas particulier des prĂȘtres jĂ©suites de Triunfo et de Flores, qui agirent d’une maniĂšre singuliĂšre. Dans ces deux villes, oĂč les jĂ©suites Onorati et Aragnetti « prĂ©paraient des missions », les Ă©vĂ©nements prirent une tournure particuliĂšre, sans aucun doute Ă  la suite de l’action indirecte des prĂȘtres. Lorsqu’il fut connu que les deux jĂ©suites italiens s’étaient vu intimer l’ordre de comparaĂźtre devant le secrĂ©tariat de police de la capitale provinciale, la population se mit, selon le juge cantonal, en « complet alarme et se disposait Ă  s’opposer aux ordres du gouvernement quand celui-ci s’apprĂȘtait Ă  Ă©loigner lesdits jĂ©suites, lesquels avaient rĂ©ussi Ă  les fanatiser ». Toutefois, le sĂ©jour d’Onorati et d’Aragnetti Ă  Triunfo ne coĂŻncida pas avec les habituelles attaques des quebra-quilos contre les bureaux de l’administration ou avec la destruction violente des nouveaux poids et mesures. L’agitation se limita, selon le tĂ©moignage du juge cantonal, Ă  un appui personnel aux deux missionnaires italiens et Ă  une condamnation de la franc-maçonnerie et, par extension, du gouvernement « maçonnique et impie »[166].

En , une perquisition fut menĂ©e au domicile du curĂ© Francisco Araujo, dĂ©marche justifiĂ©e par le fait que celui-ci aurait reçu des visiteurs de Rio de Janeiro. Selon la police, le jĂ©suite chapelain du collĂšge Sainte-DorothĂ©e habitait au domicile de JoĂŁo de Barros ; lĂ , des rĂ©unions se seraient tenues nuitamment certains jours de la semaine. Lors de la perquisition, un ensemble de lettres fut dĂ©couvert qui « dĂ©montrait l’influence des jĂ©suites dans le Quebra-Quilos » ; en particulier, trois de ces lettres avaient Ă©tĂ© Ă©crites en italien par le jĂ©suite supĂ©rieur de la province, ce qui prouverait que « les jĂ©suites ont exercĂ©, Ă  propos de la question religieuse, une puissante influence auprĂšs de la Curie romaine, laquelle a alors dĂ©pĂȘchĂ© leur ordre, ainsi qu’il appert des lettres de l’évĂȘque Dom Vital »[167]. Le , la veille de l’arrestation des jĂ©suites, le prĂ©sident Lucena disposait de cinq autres lettres supposĂ©es fournir la preuve de la subversion des jĂ©suites. En rĂ©alitĂ©, fort peu, sinon aucune preuve n’avait pu ĂȘtre trouvĂ©e. Les accusations portĂ©es contre les jĂ©suites Ă©taient trĂšs mal Ă©tayĂ©es et les tentatives gouvernementales visant Ă  prouver que les jĂ©suites avaient trempĂ© directement dans Quebra-Quilos Ă©chouĂšrent[168] - [169].

Ce nonobstant, malgrĂ© l’absence de preuves formelles, Lucena considĂ©ra que le sĂ©jour des ignatiens dans la province de Pernambouc Ă©tait dangereuse pour la paix et la tranquillitĂ© publiques, et annonça que les jĂ©suites Ă©trangers seraient expulsĂ©s. Les termes utilisĂ©s dans la dĂ©cision officielle de Lucena relativement aux activitĂ©s exercĂ©es par les jĂ©suites dĂ©montrent que le prĂ©sident du Pernambouc accrĂ©ditait fermement l’existence d’un plan gĂ©nĂ©ral d’insurrection, conçu par les jĂ©suites, et dans lequel serait exploitĂ© le charisme d’Ibiapina[170]. Les mandats d’arrĂȘts furent lancĂ©s le [171]. Sept jĂ©suites ayant supposĂ©ment jouĂ© un rĂŽle de premier plan furent apprĂ©hendĂ©s, Ă  savoir le pĂšre Silvestre JosĂ© da Rocha Pinto, le seul BrĂ©silien du groupe, et ses compagnons, tous ressortissants italiens. L’on eut plus de peine Ă  capturer les deux jĂ©suites restants, Antonio Aragnetti et Onoratti. Le premier nommĂ© avait travaillĂ© comme missionnaire dans le Pernambouc jusqu’au au moins ; au moment oĂč le mandat d’arrĂȘt fut dĂ©livrĂ©, il apparut qu’il avait plongĂ© dans la clandestinitĂ©, mais son portrait fut diffusĂ© qui permit de le dĂ©couvrir dĂ©guisĂ© le et de le livrer Ă  la capitale provinciale[172]. Quant au pĂšre Onoratti, l’on fut plus long encore Ă  le capturer ; on le dĂ©couvrit dans la nuit du , en compagnie de deux portefaix, voyageant apparemment de la bourgade de PajeĂș de Flores en direction de la capitale pour s’y mettre Ă  la disposition des autoritĂ©s. Le , le prĂ©sident Lucena le fit embarquer sur une corvette en attendant son expulsion hors de l’Empire[173].

Entre-temps cependant, des lettres affluĂšrent Ă  l’office du prĂ©sident Lucena dĂ©nonçant les arrestations. L’opinion publique de l’époque n’était en effet pas entiĂšrement convaincue de la culpabilitĂ© des jĂ©suites dans les dĂ©sordres de l’intĂ©rieur[174]. À une lettre de l’évĂȘchĂ© d’Olinda qui affirmait que les prĂȘtres jĂ©suites avaient vĂ©cu pacifiquement parmi eux pendant neuf ans, enseignant assidĂ»ment Ă  la jeunesse, Lucena dĂ©clara que les jĂ©suites Ă©taient des « agents du fanatisme et de l’anarchie », des « prĂȘtres Ă©trangers devenus dangereux pour l’État ». Le colonel Severiano Martins da Fonseca devait plus tard prĂ©tendre que les sĂ©minaires d’Olinda avaient propagĂ© des idĂ©es subversives Ă  la suite de « l’emprisonnement des deux principaux reprĂ©sentants de l’Église de l’Empire ». Aussi les jĂ©suites furent-ils derechef chassĂ©s du BrĂ©sil[175].

Les capucins, Ă  l’instar du pĂšre Ibiapina, avaient Ă©galement effectuĂ© des missions de prĂ©dication. En 1874, douze missions furent organisĂ©es dans le seul Pernambouc. Ces missions attiraient habituellement entre cinq et douze mille personnes et s’appliquaient aussi « Ă  prodiquer des bienfaits matĂ©riels », tels qu’une nouvelle Ă©glise dans la ville d’Escada ou un nouveau cimetiĂšre Ă  SĂŁo Bento[176].

Pendant les jacqueries, les autoritĂ©s du Pernambouc et de la ParaĂ­ba demandĂšrent le concours des missionnaires capucins pour contenir la rĂ©bellion. Le ministre de la Guerre Ă©crivit Ă  Lucena le pour « l’encourager Ă  continuer Ă  soutenir ces missionnaires afin qu’ils continuent de pacifier les Ă©meutiers de cette province et de celle de la ParaĂ­ba du nord »[177]. Les prĂȘtres capucins y parvinrent en quelques occasions, et Ă©chouĂšrent en d’autres, p.ex. le , lorsque de 300 Ă  400 Ă©meutiers assaillirent le bourg d’ItambĂ© dans le Pernambouc et que les autoritĂ©s municipales firent appel aux missionnaires capucins pour convaincre les masses de leur erreur, mais oĂč leurs efforts furent vains[178]. LĂ  oĂč les capucins n’avaient pu ĂȘtre entraĂźnĂ©s Ă  affronter les Ă©meutiers, les autoritĂ©s s’empressaient de cacher les registres officiels dans les Ă©glises, oĂč elles les croyaient Ă  l’abri[179].

Loi de conscription

L’une des raisons pour lesquelles les registres municipaux furent dĂ©truits par les quebra-quilos Ă©tait la volontĂ© d’éliminer les listes de ceux qui, en application d’une nouvelle loi adoptĂ©e en , Ă©taient susceptibles d’ĂȘtre enrĂŽlĂ©s dans les forces armĂ©es. Si des dolĂ©ances en rapport avec cet Ă©lĂ©ment ne furent pas exprimĂ©es dans toutes les Ă©meutes, et si le grief principal touchait dans tous les cas Ă  la fiscalitĂ©, des protestations contre le service militaire s’entendirent dans une grande majoritĂ© de ces Ă©meutes. Lors des soulĂšvements dans la ParaĂ­ba, la destruction des matricules nĂ©cessaires Ă  la mise en Ɠuvre de la loi de recrutement, et donc le dĂ©sir d’empĂȘcher son application, est un Ă©lĂ©ment que l’on retrouve presque universellement dans les jacqueries nordestines. P.ex., le Ă  TimbaĂșba, les Ă©meutiers, aprĂšs avoir molestĂ© les percepteurs, dirigĂšrent leur colĂšre sur les documents conservĂ©s dans le bureau du secrĂ©taire du dĂ©lĂ©guĂ© de l’assemblĂ©e ainsi que du greffier du juge de paix, ce dernier dĂ©tenant en effet la liste de ceux admissibles au recrutement militaire[180]. Les Ă©meutiers agirent de mĂȘme dans les États d’Alagoas et du Rio Grande do Norte, notamment Ă  SĂŁo Bras, en Alagoas, le , et Ă  Jardim do SeridĂł, dans le Rio Grande do Norte, le [181].

RĂ©forme du recrutement militaire

JoĂŁo JosĂ© de Oliveira Junqueira, devenu ministre de la Guerre en 1871, entreprit une sĂ©rie de rĂ©formes du recrutement militaire. Dans un premier temps, en 1873, il parvint Ă  convaincre le parlement d’adopter la loi no 2395 du rĂ©organisant la Garde nationale ; si celle-ci, abstraction faite de la guerre de la Triple Alliance, exerçait auparavant des fonctions de police, la nouvelle loi retirait les tĂąches policiĂšres de la liste de ses compĂ©tences, pour ne garder que ses missions de lutte contre les rĂ©bellions, sĂ©ditions et insurrections, et de combat dans les guerres extĂ©rieures. En somme, la Garde nationale Ă©tait destinĂ©e Ă  disparaĂźtre en temps de paix, et ne referait son apparition qu’une fois l’an, pour passer la revue, recevoir ses instructions, et replonger ensuite dans son Ă©tat d’hibernation[182]. Junqueira restructura la formation militaire (1874), rĂ©duisant la durĂ©e des Ă©tudes Ă  deux ans pour les officiers combattants et Ă  cinq ans pour les ingĂ©nieurs militaires, et convertissant l’ancienne École centrale en un institut polytechnique. Cependant, en ce qui concerne Quebra-Quilos, l’aspect le plus important de ses rĂ©formes fut le vote de la loi de concription de 1874[183], laquelle poursuivait deux buts : premiĂšrement, rendre le service militaire moins pĂ©nible en le dĂ©barrassant de ses formes les plus extrĂȘmes de chĂątiment corporel ; deuxiĂšmement, comme son intitulĂ© l’indique, de rĂ©former le systĂšme d’enrĂŽlement. Selon les nouvelles dispositions, tous les hommes entre 18 et 30 ans devaient ĂȘtre recensĂ©s en vue du service militaire ; seraient exemptĂ©s de la conscription les prĂȘtres, les policiers, les sĂ©minaristes, et les Ă©tudiants en mĂ©decine et en droit, que le pays fĂ»t ou non en guerre. En temps de paix, certaines autres catĂ©gories de personnes pouvaient se soustraire Ă  l’immatriculation militaire : les marins-pĂȘcheurs, les marins de la marine marchande, les directeurs d’usine, les machinistes des chemins de fer et de la navigation Ă  vapeur, les salariĂ©s des usines « importantes », les gardiens de bĂ©tail ayant Ă  leur charge plus de 50 tĂȘtes de bĂ©tail, les propriĂ©taires, rĂ©gisseurs ou reprĂ©sentants d’un domaine agricole employant plus de 10 travailleurs, et les comptables de maisons de commerce d’une valeur dĂ©passant les 10 000 milrĂ©is[184]. Chaque paroisse aurait Ă  rĂ©unir une commission, dite junta paroquial, composĂ©e du juge de paix, de son greffier, des autoritĂ©s policiĂšres et du curĂ©. En cas de besoin, il serait procĂ©dĂ© Ă  un tirage au sort, et ceux ainsi sĂ©lectionnĂ©s serviraient pendant six ans ; les volontaires s’engageraient Ă©galement pour six ans. Cette junta paroquial devint la cible privilĂ©giĂ©e des opposants Ă  la nouvelle loi militaire[185]. SitĂŽt promulguĂ©e ladite loi, une vaste campagne de recrutement fut mise sur pied.

Appartenir au parti d’opposition, c’était, bon grĂ©, mal grĂ©, ĂȘtre candidat Ă  l’enrĂŽlement dans les forces armĂ©es, du moins si votre statut socio-Ă©conomique ne vous permettait pas d’obtenir quelque exemption lĂ©gale. Au demeurant, la noblesse fonciĂšre ne se souciait guĂšre de la nouvelle loi de conscription, sujet de toutes les conversations ; elle savait en effet, par expĂ©rience historique, qu’elle serait dispensĂ©e de cet impĂŽt du sang, car la tradition voulait que seuls les dĂ©sƓuvrĂ©s fussent appelĂ©s sous les drapeaux comme soldats. La plĂšbe en revanche avait de bonnes raisons d’ĂȘtre sur ses gardes ; les plus anciens gardaient un triste souvenir de leur service militaire, avec ses sĂ©vices corporels et ses prĂ©jugĂ©s sociaux[186].

Cependant, la nouvelle loi militaire se rĂ©vĂ©la bientĂŽt inapplicable, notamment Ă  cause de la rĂ©volte de Quebra-Quilos, et sa mise en Ɠuvre n’allait pas ĂȘtre rĂ©envisagĂ©e avant la chute de l’Empire en 1889. Cette impossibilitĂ© de mettre en application une loi dĂ©cidĂ©e au sommet de l’État, si elle Ă©tait d’une part l’expression d’une faiblesse dans le systĂšme politique impĂ©rial, risquait d’autre part de compromettre l’antique systĂšme patriarcal dans les campagnes nordestines et d’entamer le pouvoir des coroneis, et ce Ă  un moment crucial : la dĂ©pression Ă©conomique et le conflit entre l’État et l’Église[187].

Lorsque le mouvement de Quebra-Quilos Ă©clata, beaucoup de propriĂ©taires terriens saisirent l’occasion pour inciter leurs paysans Ă  se rĂ©volter aussi contre la loi de conscription. Il advint que quelques coroneis influents furent accusĂ©s d’ĂȘtre des meneurs de la rĂ©volte ; cependant, Ă©tant donnĂ© le rĂ©seau compliquĂ© de clientĂ©lisme qui liait tant de gros propriĂ©taires et de dirigeants politiques dans les sertĂ”es, et attendu que les coroneis Ă©taient Ă  leur tour les clients de patrons plus puissants, tous ces acteurs s’inscrivant dans une chaĂźne patriarcale remontant Ă  Dom Pedro II lui-mĂȘme, la condamnation Ă©ventuelle de propriĂ©taires puissants eĂ»t signifiĂ© pour les politiciens la perte de potentiels clients ; si au contraire les propriĂ©taires fonciers Ă©taient exemptĂ©s de poursuites judiciaires pour avoir poussĂ© leurs subordonnĂ©s Ă  s’opposer aux nouvelles taxes, aux poids et mesures, et Ă  la l’enrĂŽlement forcĂ© dans l’armĂ©e, les personnalitĂ©s politiques s’assuraient une loyautĂ© durable de la part des coroneis en vue notamment de futures Ă©lections. L’on comprend alors aisĂ©ment que si maint coronel influent fut soupçonnĂ© d’avoir encouragĂ© la rĂ©volte, peu furent effectivement inculpĂ©s[188].

Lors de la phase de rĂ©pression de la rĂ©volte de Quebra-Quilos, le service militaire servit de chĂątiment contre les rebelles[189]. Le colonel Fonseca, envoyĂ© dans la ParaĂ­ba avec ses hommes pour Ă©craser la rĂ©bellion, commença par mettre en Ă©tat d’arrestation tous les Ă©meutiers, avĂ©rĂ©s et prĂ©sumĂ©s. Ainsi p.ex., se rendant par la route au district d’IngĂĄ, se saisit-il de tous ceux qu’il rencontra dans un rayon de quatre lieues (une lieue valant six kilomĂštres au BrĂ©sil)[190]. Ensuite, Fonseca ordonna Ă  son subordonnĂ©, le capitaine Antonio Carlos da Silva Piragibe, d’arrĂȘter tous les accusĂ©s et « de procĂ©der dans le mĂȘme temps Ă  un vigoureux recrutement ». En dĂ©cembre, le ministre de la Guerre supplĂ©ant, JoĂŁo JosĂ© Junqueira, avait Ă©crit au prĂ©sident Lucena du Pernambouc pour spĂ©cifier que seuls les chefs du mouvement sĂ©ditieux devaient ĂȘtre mis en examen et comparaĂźtre devant le tribunal, les autres dĂ©tenus devant, sauf exemption de service militaire, ĂȘtre enrĂŽlĂ©s dans la troupe et expĂ©diĂ©s Ă  Rio de Janeiro dĂšs que possible. Un flux continu de nouvelles recrues fut alors envoyĂ© par le commissaire de police AraĂșjo tout au long de ce mois[191].

L’un des aspects les plus importants de l’enrĂŽlement, outre l’avantage pour l’armĂ©e de se constituer des effectifs, Ă©tait sa fonction de contrĂŽle social. Telle personne, une fois dĂ©tenue et promise au recrutement, n’aura rien de plus pressĂ© que de justifier de quelque dispense lĂ©gale. La voie la plus aisĂ©e pour y parvenir Ă©tait de contacter le patron, lequel se porterait alors au secours de l’intĂ©ressĂ© (du moins si celui-ci s’était montrĂ© un client loyal) et s’emploierait Ă  prouver qu’il avait droit Ă  une exemption lĂ©gale[191].

Il incombait aux autoritĂ©s provinciales, non aux locales, de dĂ©terminer en dernier ressort, avant de l’envoyer Ă  Rio de Janeiro, si la recrue Ă©tait apte au service. Souvent, la police provinciale venait visiter les prisons des diffĂ©rentes municipalitĂ©s pour s’assurer de la culpabilitĂ© des dĂ©tenus, puis autoriser qu’ils soient transfĂ©rĂ©s Ă  la capitale provinciale pour y ĂȘtre enrĂŽlĂ©s[192].

Rejet du systÚme métrique et des innovations

Au cours de la dĂ©cennie 1860, il apparut que trĂšs peu de gens, en particulier dans les zones rurales, s’étaient appropriĂ© le nouveau systĂšme. En dĂ©pit de la prescription lĂ©gale, les systĂšmes traditionnels restaient en usage et l’on continuait d’utiliser les anciennes unitĂ©s de mesure telles que paumes (palmos, environ 0,22 mĂštre), verges (jardas), pouces (polegadas) ou coudĂ©es (cĂŽvados), et Ă  exprimer le poids des marchandises en livres et arrobes. Outre ces unitĂ©s de mesure Ă  proscrire officiellement, il y avait encore au BrĂ©sil vers 1874 une grande variĂ©tĂ© d’autres poids et mesures, tels que le pied (pĂ©s, Ă©quivalant approximativement Ă  un pied anglais), la brasse (braça, env. 2,20 mĂštres), la lieue (lĂ©gua), la botte (feixe), le grain (grĂŁo), l’once (onça), le quintal (idem) et nombre d’autres, qui Ă©taient utilisĂ©es depuis de nombreuses gĂ©nĂ©rations et auxquelles la population Ă©tait habituĂ©e[193].

À l’opposĂ©, les nouvelles unitĂ©s de mesure Ă©taient perçues comme « Ă©trangĂšres ». Les expressions de « systĂšme mĂ©trique français » ou de « systĂšme dĂ©cimal français », utilisĂ©es pour en souligner la nature non brĂ©silienne, s’entendaient frĂ©quemment. Le fait que les Ă©trangers, en particulier les marchands Ă©trangers, furent une cible privilĂ©giĂ©e des kiloclastes indique que les paysans ressentaient le nouveau systĂšme comme une chose imposĂ©e du dehors.

Des nombreuses rĂ©clamations Ă©manaient des chambres municipales pour non arrivĂ©e des nouveaux Ă©talons de mesure dans leur commune. Si par contre ces Ă©talons Ă©taient bien disponibles partout dans la capitale du Pernambouc, il y eut en contrepartie de sĂ©rieux problĂšmes de fraude, Ă  telle enseigne que la PrĂ©sidence provinciale dut recommander Ă  la Chambre municipale de Recife d’exhorter ses agents Ă  une vigilance constante lors de l’étalonnage des poids et mesures, le gouvernement soupçonnant ceux-ci d’ĂȘtre souvent falsifiĂ©s[126].

Pendant les rĂ©voltes de Quebra-Quilos, les paysans s’en prirent chaque fois― Ă  quelques rares exceptions prĂšs (comme l’attaque de la prison de Campina Grande par la famille Barros) ― aux poids et aux balances du nouveau systĂšme mĂ©trique, qui Ă  leurs yeux symbolisaient « la hausse des taxes et la tyrannie du gouvernement »[194]. Maints propriĂ©taires terriens perçurent dans l’instauration du systĂšme mĂ©trique une tentative du gouvernement central de rĂ©duire les pouvoirs de l’aristocratie fonciĂšre au profit du gouvernement central Ă  Rio de Janeiro[195].

Si les autoritĂ©s prĂ©textaient la lutte contre la fraude et affirmaient que le nouveau systĂšme bĂ©nĂ©ficierait Ă  tous, les paysans restaient convaincus qu’il s’agissait pour le gouvernement d’augmenter ses recettes, et maintenaient que les gens Ă©taient contraints de se procurer ces balances sans en avoir appris l’usage, raison pour laquelle les fraudes continuaient[196]. En consĂ©quence, les insurgĂ©s non seulement dĂ©truisaient les poids et les balances sur les marchĂ©s, mais s’en prenaient aussi Ă  tous les commerçants et Ă©tablissements de commerce qui utilisaient les nouveaux Ă©talons. Les estaminets furent notamment visĂ©s, et aussi les boutiques de boucher, dont les exploitants furent sommĂ©s par les Ă©meutiers de leur remettre les nouveaux Ă©quipements. Certains de ces commerçants s’obstinĂšrent Ă  ne pas les remettre aux insurgĂ©s[197] et quelques-uns furent battus en consĂ©quence. Dans quelques cas, les Ă©meutiers eux-mĂȘmes furent blessĂ©s ou tuĂ©s par des commerçants dĂ©terminĂ©s Ă  protĂ©ger leurs Ă©quipements de pesage[198].

Le , Ă  Fagundes, les Ă©meutiers se divisĂšrent en petits groupes de 50 Ă  200 et se mirent Ă  la recherche des poids et mesures du nouveau systĂšme mĂ©trique dans l’intention de les dĂ©truire. Ils contraignirent le commissaire de police non seulement de signer un engagement Ă  mettre fin aux taxes, mais aussi de faire cesser l’application des nouveaux poids et mesures[199] - [200]. Les bourgs d’IngĂĄ et d’Areia, tous deux dans l’État de la ParaĂ­ba, eurent leurs poids et mesures dĂ©truits le , et la ville de Campina Grande, Ă©galement dans la ParaĂ­ba, les vit dĂ©truits sept fois entre le et le [200].

Les insurgĂ©s pernamboucais, qui se manifestĂšrent pour la premiĂšre fois le , eurent d’abord Ă  cƓur, tout de mĂȘme que leurs camarades de la ParaĂ­ba voisine, de dĂ©truire les poids et mesures, s’attaquant, comme dans beaucoup d’autres villes et bourgades, aux marchands du marchĂ© qui utilisaient ces nouveaux Ă©quipements[201]. Les mĂȘmes passaient ensuite aux commerces du bourg, dont ils dĂ©truisaient les poids et mesures[202]. Ailleurs, les paysans attaquĂšrent les estaminets oĂč le nouveau systĂšme mĂ©trique Ă©tait utilisĂ©. Dans nombre de cas, les boutiques de boucher, en tant que symbolisant la hausse des prix des denrĂ©es alimentaires, furent la cible des attaques, notamment Ă  AngĂ©lica et Ă  Bezerros dans le Pernambouc, et Ă  Goianinha dans le Rio Grande do Norte[203].

Par ailleurs, les paysans poursuivirent de leur haine les commerçants, dont ils dĂ©pendaient pour acquĂ©rir certaines marchandises. Afin de pouvoir utiliser le systĂšme mĂ©trique, les commerçants eurent Ă  se procurer (soit en en faisant l’acquisition, soit en les louant) les nouveaux poids et mesures, puis, pour les faire calibrer et dĂ©clarer conformes aux Ă©talons officiels, durent s’acquitter d’une taxe municipale. Il se trouva que de façon gĂ©nĂ©rale les unitĂ©s de mesure du nouveau systĂšme ― kilos, litres et mĂštres ― Ă©taient en moyenne environ 10 % infĂ©rieures aux unitĂ©s traditionnelles. Pour compenser les taxes dĂ©sormais redevables, les commerçants s’ingĂ©niĂšrent Ă  maintenir leurs prix inchangĂ©s, mais pour une quantitĂ© moindre de produit, se dĂ©gageant ainsi de cette charge financiĂšre nouvelle sur le consommateur[204]. Par dĂ©pit, les Ă©meutiers, aprĂšs avoir dĂ©truit les poids et mesures sur le marchĂ©, dĂ©truisaient ensuite ceux des boutiques de commerçant[205].

Les reprĂ©sentants de l’autoritĂ© municipale, en tant qu’agents officiels chargĂ©s de faire appliquer le systĂšme mĂ©trique, furent visĂ©s eux aussi, ainsi qu’il advint le Ă  Lagoa dos Gatos, oĂč un groupe de 300 Ă©meutiers envahit la ville, brisa les poids et mesures, puis rĂ©clama auprĂšs du juge de paix tous les Ă©talons des balances et le forcĂšrent, sous les cris et les insultes, Ă  leur remettre les archives et les contrats de la Chambre municipale[206]. À Garanhuns, dans le Pernambouc, un groupe de 50 Ă  100 individus, auxquels se joignirent approximativement 600 personnes, se mit Ă  attaquer la maison du capitaine Pedro de Rego Chaves, aprĂšs que celui-ci, requis de remettre ses poids et mesures, eut refusĂ© d’obtempĂ©rer. D’autres officiers, rapidement venus Ă  la rescousse, tentĂšrent de convaincre les Ă©meutiers de n’en rien faire, mais en vain. Le lieutenant voulut se dĂ©fendre avec son Ă©pĂ©e, mais le chef quebra-quilo, Joaquim Bener d’Oliveira, le terrassa par un profond coup de faux dans l’omoplate. La lutte s’engagea, et des gens armĂ©s chargĂ©s de protĂ©ger la maison du capitaine Chaves partirent les premiers coups de feu. Les insurgĂ©s, au contraire de ce qui avait Ă©tĂ© le cas dans les autres localitĂ©s, n’étaient pas seulement armĂ©s de faux et de gourdins ; beaucoup Ă©taient porteurs de tromblons et, s’étant retranchĂ©s, ripostĂšrent au feu adverse, lequel fut aussitĂŽt renforcĂ© par les hommes de la force de police qui gardait la mairie, les bureaux de l’administration et l’office de taxation. Dans la bataille moururent les deux chefs quebra-quilos et un soldat, et de nombreux Ă©meutiers furent blessĂ©s. Les quebra-quilos se dĂ©bandĂšrent aprĂšs qu’ils eurent vu leurs chefs tuĂ©s[207] - [208]. L’un des deux, Vitoriano Reinaldo de Freitas, n’était pas du bas peuple ; il Ă©tait le frĂšre du lieutenant EulĂĄlio IfigĂȘnio Freitas Vilela[209]. Du reste, le district tout entier fut en Ă©tat de panique. Les notables de la ville Ă©taient Ă  prĂ©sent disposĂ©s Ă  aider les autoritĂ©s Ă  rĂ©tablir l’ordre et le prĂ©sident de la province Mello Filho leur dĂ©pĂȘcha 25 piĂšces d’armement et des munitions[210]. Sur le foirail de Quebrangulo, en Alagoas, les Ă©meutiers firent Ă©galement face Ă  de l’opposition lorsqu’un groupe de 300 des leurs, voulant mener une attaque le , se heurtĂšrent Ă  la rĂ©sistance des marchands et vendeurs, quoique ces derniers fussent finalement dĂ©bordĂ©s et les poids et balances dĂ©truits ; dix personnes furent tuĂ©es dans ces incidents, et un grand nombre blessĂ©es[211].

À la suite de ces attaques, les commerçants — que leurs magasins eussent ou non Ă©tĂ© attaquĂ©s — s’enfuirent de leur bourgades[212]. La foule exigeait Ă  prĂ©sent que toutes les marchandises fussent dĂ©sormais, sur le marchĂ© aussi bien que dans les boutiques, vendues selon l’ancien systĂšme traditionnel. À Fagundes, les Ă©meutiers complĂ©tĂšrent leur action de destruction des poids et mesures en imposant l’obligation « pour chacun de vendre et d’acheter avec les anciens poids et mesures ». Selon les tĂ©moignages, les Ă©meutiers obtinrent, pour un certain temps du moins, que les marchandises fussent achetĂ©es et vendues avec le systĂšme traditionnel[213]. En rĂ©action, le capitaine Capistrano fit distribuer de nouveaux poids et balances sur les marchĂ©s du Pernambouc, puis plaça en faction quelques soldats et le commissaire de police pour surveiller le marchĂ©. Ceux qui refusaient d’utiliser les nouveaux Ă©quipements furent interpellĂ©s et, sauf exemption lĂ©gale, enrĂŽlĂ©s dans l’armĂ©e[214].

DĂ©roulement

Les Ă©meutes

Carte du Nordeste brésilien, composé de neuf provinces. Les quatre provinces concernées par le Quebra-Quilos sont le Pernambouc (de forme oblongue et sinueuse, en gris bleu sur la carte, portant le no 6), la Paraíba (en jaune, no 5), l'Alagoas (en vert, no 7) et le Rio Grande do Norte (en gris sombre, no 4).

La vitesse de propagation du mouvement quebra-quilos dans la ParaĂ­ba et le Pernambouc, en un laps de temps de seulement quelques jours, fut telle que les petits dĂ©calages chronologiques tendent Ă  s’estomper, pour ne laisser subsister que la similitude, le schĂ©ma rĂ©pĂ©titf des Ă©vĂ©nements : destruction des poids et mesures, et attaques lancĂ©es contre les bureaux de l’administration et les Chambres municipales. Cette quasi-simultanĂ©itĂ© suggĂšre une identitĂ© de situations Ă©conomiques sous-tendant toute la structure sociale. Les incidents de Fagundes, dĂ©clenchĂ©s par le premier cri de rĂ©bellion d’un presque inconnu, Marcolino ou Marcos de tal (Marcos Untel), ne fut que le dĂ©tonateur d’une charge explosive existante. Ce Marcos de tal, de qui l’on ne connaĂźt pas le nom avec prĂ©cision, fut probablement le premier quebra-quilo nordestin. De ce petit paysan, l’on sait seulement qu’il Ă©tait un modeste rĂ©sident de Piabas ; il entre dans l’histoire du Nordeste et en disparaĂźt presque aussitĂŽt sans laisser d’autre trace[215].

Le nombre de participants aux groupes armĂ©s qui envahirent les foires, dĂ©truisant les poids et mesures et faisant un bĂ»cher des documents administratifs, est assez variable ; tantĂŽt il ne dĂ©passe pas la trentaine, tantĂŽt il atteint les trois centaines de personnes, selon ce qu’il appert de la vaste documentation laissĂ©e par les autoritĂ©s municipales, sous la forme de lettres, de plaintes et de comptes rendus adressĂ©s aux gouvernements provinciaux. Il est probable cependant que la plupart de ces documents soient entachĂ©s d’exagĂ©rations[216].

Dans la ParaĂ­ba

Lors du marchĂ© qui se tenait, comme cela Ă©tait la tradition, le Ă  Fagundes, bourgade non loin de la ville de Campina Grande, dans l’État de la ParaĂ­ba, les habituelles tractations commerciales furent accompagnĂ©es de grommellements et de clameurs, Ă  travers lesquels certaines personnes manifestaient leur intention de ne plus s’acquitter dĂ©sormais de la taxe foraine ― de l’imposto do chĂŁo, entrĂ© en vigueur en 1873. Cette taxe, payable au collecteur municipal aussitĂŽt qu’il se prĂ©senterait, Ă©tait de 100 reis pour chaque charge de marchandise (par volume) et de 200 reis pour chaque unitĂ© de poids. Les cris s’accrurent Ă  mesure que de plus en plus de gens rejoignaient le groupe des protestataires, et le collecteur finit par ĂȘtre chassĂ© du marchĂ©. La foule entreprit ensuite d’arracher toutes les affiches Ă©numĂ©rant les taxes provinciales qu’ils purent trouver et commença Ă  briser les balances et mesures du systĂšme mĂ©trique nouvellement mis en place, Ă©quipements pour l’utilisation desquels une taxe devait ĂȘtre payĂ©e[217].

Le fait que Fagundes fut le point de dĂ©part de la rĂ©volte peut s’expliquer par une tradition de rĂ©volte acquise Ă  l’occasion du « bourdonnement d’abeille » (Ronco da Abelha), sous la prĂ©sidence provinciale d’AntĂŽnio Coelho de SĂĄ e Albuquerque, au dĂ©but des annĂ©es 1850. Dans le rapport qu’Albuquerque prĂ©senta Ă  l’AssemblĂ©e concernant l’application de la nouvelle lĂ©gislation sur l’enregistrement des naissances et des dĂ©cĂšs, il signala qu’il y eut des troubles Ă  l’ordre public. N’ayant pas compris ce Ă  quoi visait cette loi de recensement, connue plus tard sous le nom de « loi de captivitĂ© » (lei do cativeiro), la population furieuse s’organisa en groupes qui ravagĂšrent plusieurs maisons, l’un de ces groupes, composĂ© de plus de deux cents personnes, parvenant Ă  envahir aussi le bourg d’IngĂĄ, oĂč ils dĂ©truisirent tous les livres et papiers prĂ©sents dans la maison du juge de paix. Les petites gens, d’aprĂšs Albuquerque, avaient appris des seigneurs de la terre eux-mĂȘmes l’exemple de la contestation, du refus et de la haine politique. « La politique de Fagundes Ă©tait, au temps de l’Empire », Ă©crivit ElpĂ­dio de Almeida, « plus extrĂȘme que dans le chef-lieu. Les politiciens se dĂ©testaient et demeuraient Ă©loignĂ©s les uns des autres »[218].

Le mouvement de protestation se rĂ©pandit prestement Ă  la ville de Campina Grande proche, puis dans toute la rĂ©gion nordestine, c’est-Ă -dire dans les provinces de la ParaĂ­ba, du Pernambouc, d’Alagoas et du Rio Grande do Norte, et se transforma en une rĂ©bellion au plein sens de ce terme[219].

Tous les tĂ©moignages concordent Ă  dire qu’à Fagundes le mouvement fut « spontanĂ©, sans plan et sans chef »[220], mais qu’à Campina Grande, ville vers laquelle il essaima tout d’abord, tous les rebelles suivaient des meneurs identifiables, sept individus en particulier ayant Ă©tĂ© remarquĂ©s en train d’emmener des groupes d’agitateurs. Cependant, au grand dĂ©pit du gouvernement central (et des historiens par la suite), aucun chef gĂ©nĂ©ral ne put ĂȘtre dĂ©signĂ© comme ayant dirigĂ© le mouvement dans son ensemble.

D’aprĂšs un des officiels, le colonel Fonseca, les paysans de Fagundes et des villages circonvoisins attaquĂšrent cette ville de nouveau les 14, 21, 23 et et les 2, 4 et . Lors de la premiĂšre de ces attaques, le , le juge cantonal, secondĂ© par le curĂ©, se prĂ©cipitĂšrent sur les lieux pour tenter, mais en vain, de convaincre les Ă©meutiers que les taxes qu’ils payaient n’étaient pas excessives et qu’ils devaient par consĂ©quent renoncer[221].

En deux semaines, la jacquerie contre les taxes se rĂ©pandit bien au-delĂ  de Fagundes ; le , presque tous les villages limitrophes de Fagundes furent attaquĂ©s, sans pour autant qu’il y ait eu d’action concertĂ©e[222]. Ce mĂȘme , qui Ă©tait un samedi, prĂšs de 800 hommes en armes descendirent sur la ville d’IngĂĄ, Ă  l’est de Fagundes, et, tout en proclamant qu’ils refusaient dorĂ©navant de payer des taxes, fouillĂšrent les archives de la municipalitĂ© et brĂ»lĂšrent tous les registres officiels servant Ă  la collecte des taxes. Ensuite, ils entrĂšrent par effraction dans la maison cantonale (casa da comarca) et dĂ©truisirent lĂ  aussi tous les documents qu’ils purent trouver. Les Ă©meutiers, ne se bornant pas Ă  brĂ»ler les registres d’impĂŽt, forcĂšrent le commissaire de police, Aranha, de signer un papier par lequel il s’engageait, entre autres exigences, d’annuler toutes les nouvelles taxes[199] - [222]. Aranha remit le commandement au lieutenant de police et s’enfuit de la ville, peut-ĂȘtre pour obtenir du secours de la part du gouvernement, et sans doute parce qu’il craignait pour sa vie[223].

Ce mĂȘme samedi, la ville d’Areia voisine fut attaquĂ©e elle aussi[144] - [224]. De nouveau, les autoritĂ©s, y compris le juge cantonal, JoĂŁo da Mata Correia Lima, ne furent pas en mesure de s’opposer aux assaillants, ni de les convaincre de renoncer. Les Ă©meutiers eurent tĂŽt fait de dĂ©sarmer les forces de police, pour entreprendre ensuite de brĂ»ler les papiers de la municipalitĂ© et les registres.

Les Ă©meutiers s’en prirent une nouvelle fois Ă  Campina Grande, ville sise au sud-ouest d’Areia et au nord-ouest d’IngĂĄ. Derechef, les registres d’impĂŽts furent brĂ»lĂ©s[224]. Des Ă©meutiers devaient attaquer Campina Grande plusieurs fois encore aprĂšs cet incident. À l’une de ces occasions, le 27 ou le , un groupe d’émeutiers fit irruption dans la ville et se rendit au domicile du percepteur provincial et Ă  celui du percepteur gĂ©nĂ©ral (supposĂ©ment chargĂ© de collecter les impĂŽts impĂ©riaux), de qui ils dĂ©truisirent les registres. Ils avaient enfoncĂ© la porte du domicile d’un des deux percepteurs et s'Ă©taient mis Ă  fouiller la maison de fond en comble en quĂȘte de registres d’impĂŽt. Les Ă©meutiers, dirigĂ©s cette fois par l’un d’entre eux, Caboclo AntĂŽnio, se dirigĂšrent ensuite vers la maison du juge cantonal et fracassĂšrent la porte d’entrĂ©e Ă  l’aide d’une hache. Selon le mĂȘme schĂ©ma, ils envahirent et fouillĂšrent la maison, brĂ»lant tout document qui leur tombait entre les mains. Ils se rendirent ensuite Ă  la mairie, dont ils forcĂšrent la porte au moyen d’une barre de fer ; trouvant fermĂ©e Ă  clef la salle visĂ©e, ils en fracassĂšrent la porte et se mirent Ă  brĂ»ler tous les papiers qu’ils purent dĂ©couvrir. Enfin, ils allĂšrent au logis du secrĂ©taire communal. Selon diffĂ©rentes sources se trouvaient Ă©galement, parmi les documents dĂ©truits par ce groupe au cours de cette soirĂ©e, les registres d’état civil, les casiers judiciaires, les documents du juge de paix, et les titres de propriĂ©tĂ©[225].

Dans le Pernambouc

Le mĂȘme jour (le ) oĂč la ParaĂ­ba entra en rĂ©bellion, sa voisine du sud, la province du Pernambouc, eut elle aussi Ă  faire face Ă  un dĂ©but de soulĂšvement. Dans la ville de TimbaĂșba, situĂ©e au sud-est et non loin de Fagundes, une Ă©meute Ă©clata, quand des agitateurs commencĂšrent Ă  exhorter les habitants Ă  ne pas payer les taxes municipales. Un fonctionnaire du trĂ©sor, venant Ă  se trouver en ville Ă  ce moment-lĂ , fut pris Ă  partie et brutalisĂ© par les Ă©meutiers, qui venaient dĂ©jĂ  de faire un bĂ»cher des papiers du secrĂ©tariat du sous-commissaire ainsi que de ceux du juge de paix[226].

Le 21 ou le , plusieurs groupes d’émeutiers armĂ©s de gourdins attaquĂšrent ItambĂ©, la ville pernamboucaise la plus proche de la frontiĂšre de la ParaĂ­ba. La garde locale stationnĂ©e dans la ville se rĂ©vĂ©lant incapable de leur barrer la route et d’empĂȘcher le subsĂ©quent saccage de la ville, oĂč se produisirent, selon le juge cantonal, « des Ă©vĂ©nements trĂšs graves »[227], Lucena, prĂ©sident de la province du Pernambouc, se vit obligĂ© de dĂ©pĂȘcher en renfort le quarante hommes des troupes de ligne[228]. Ces forces rĂ©guliĂšres, placĂ©es sous le commandement du capitaine Pedro de AlcĂąntara TibĂ©ria Capistrano, furent embarquĂ©es en hĂąte sur le vapeur Goyanna[229], puis firent mouvement Ă  marche forcĂ©e sur ItambĂ©[230]. ItambĂ©, proche de la frontiĂšre avec la Paraiba, fut rĂ©ellement un des points de contact des quebra-quilos de la ParaĂ­ba avec la province de Pernambouc voisine. La premiĂšre incursion sera limitĂ©e, menĂ©e par 63 hommes seulement, quasi tous vĂȘtus de cuir, qui entreprirent de dĂ©truire les nouveaux poids et mesures qu’ils vinrent Ă  trouver dans les maisons de commerce ainsi que quelques documents rencontrĂ©s dans la petite maison qui servait de bureau d’impĂŽts[231]. Le , la foire locale se dĂ©roula dĂ©jĂ  sous la plus stricte surveillance de la police. AprĂšs la distribution des mesures mĂ©trico-dĂ©cimales, pour lesquelles d’ailleurs les forains Ă©taient obligĂ©s de payer, il n’y eut aucune rĂ©action et les taxes municipales furent perçues sans problĂšmes majeurs, si ce n’est l’ostensible mauvaise volontĂ© Ă  s’en acquitter. Le commissaire resta avec quelques soldats parmi les marchands, afin de prĂ©venir la rĂ©pĂ©tition des incidents survenus lors des foires antĂ©rieures. Ayant reçu des renseignements selon lesquels quelque chose Ă  nouveau se tramait, il n’hĂ©sita pas Ă  procĂ©der Ă  des dĂ©tentions. Les autoritĂ©s locales jugĂšrent que deux parmi ces dĂ©tenus Ă©taient des meneurs du mouvement sĂ©ditieux, lesquels meneurs furent donc maintenus sous surveillance Ă©troite. Les autres, attendu qu’ils Ă©taient aptes au service militaire, furent enrĂŽlĂ©s de force dans l’armĂ©e et dans la marine[232].

La localitĂ© de Pilar, dans la ParaĂ­ba, fut attaquĂ©e au mĂȘme moment, avec des rĂ©sultats semblables. Des Ă©meutiers munis d’un armement de fortune se dirigĂšrent vers les administrations cantonales et se mirent Ă  dĂ©chiqueter et Ă  brĂ»ler les documents et les registres qu’ils y trouvĂšrent[233]. Le capitaine Capistrano, arrivĂ© entre-temps Ă  la tĂȘte de ses quarante hommes, commença Ă  patrouiller sur le marchĂ© Ă  partir du , pour y assurer la paix et la tranquillitĂ© ; aussi, sous la surveillance des soldats, les quelque 600 marchands forains se tinrent-ils calmes, mĂȘme lorsque le commissaire de police de la municipalitĂ© fit son entrĂ©e sur le marchĂ© avec quelques policiers et se mit en devoir de recueillir les taxes dues[234].

La semaine suivante, lors des marchĂ©s du dimanche dans le canton de NazarĂ©, des groupes de personnes « plus ou moins nombreuses » firent une descente sur les marchĂ©s, attaquant AngĂ©lica, Aliança et VicĂȘncia[235]. Dans cette derniĂšre localitĂ©, les Ă©meutiers tentĂšrent d’incendier le bureau du greffier du juge de paix[236].

Le , un groupe de 60 hommes armĂ©s, en tenue de cuir, dĂ©ferlĂšrent de Barra de Matuba et attaquĂšrent le village de Bom Jardim, dans le Pernambouc. Ils se rendirent d’abord aux archives du percepteur et des secrĂ©taires, dĂ©truisant la documentation qu’ils y trouvĂšrent, quoiqu’à ce moment dĂ©jĂ  tous les documents importants eussent Ă©tĂ© retirĂ©s des archives et dissimulĂ©s. Ils se mirent ensuite Ă  la recherche du procureur cantonal et du percepteur, dans l’intention de les assassiner, sans qu’il ait pu ĂȘtre Ă©tabli s’ils y rĂ©ussirent effectivement[237].

La semaine suivante, le , cinq Ă  huit dizaines d’émeutiers, dont quelques-uns Ă©taient originaires de la Paraiba, firent leur apparition dans la municipalitĂ© de Limoeiro[238]. ArrivĂ©s sur le marchĂ©, ils incitĂšrent les vendeurs Ă  se joindre Ă  eux et Ă  refuser d’acquitter les taxes[239]. La ville ne disposait que de 16 gardes, mais nĂ©anmoins il n'y eut pas de tumulte[240]. Le lendemain , la localitĂ© de Caruaru fit touchĂ©e Ă  son tour. À 8 heures du matin, alors que se tenait le marchĂ©, l’on apprit qu’un grand groupe d’émeutiers, fort de 200 Ă  400 personnes, se dirigeait vers la localitĂ© dans l’intention de dĂ©truire tous les documents qu’ils trouveraient[241] - [242]. Ils « accomplirent un autodafĂ© » des papiers trouvĂ©s dans les archives de l’administration municipale[243], puis, selon les autoritĂ©s, aprĂšs approximativement six heures de brĂ»lage et de destruction, et avoir Ă©tĂ© les maĂźtres de la ville, s’en allĂšrent enfin vers 4 heures de l’aprĂšs-midi, mais en promettant de revenir avec davantage de personnes encore si la perception des taxes se poursuivait. Les autoritĂ©s notĂšrent que « quelques-uns donnĂšrent suite au rappel Ă  l’ordre, lançant des vivats Ă  la libertĂ©, Ă  la religion, Ă  l’ordre public et aux autoritĂ©s, toutefois la masse des sĂ©ditieux s’augmenta des usagers du foirail et d'un grand nombre de prolĂ©taires de cette ville, qui criaient qu’ils n’obĂ©iraient Ă  personne et qu’ils voulaient l’abolition des impĂŽts et du systĂšme mĂ©trique et qu’ils lutteraient pour cela jusqu’à la mort »[244]. AprĂšs Caruaru, ce mĂȘme groupe, comptant Ă  prĂ©sent 400 Ă©meutiers, s’achemina vers le bourg de Bezerros, oĂč ils crĂ©Ăšrent des troubles et oĂč, de nouveau, ils empĂȘchĂšrent la perception des taxes, toutefois sans molester physiquement les collecteurs de taxes et se contentant de les houspiller[245] - [88]. Il faut signaler, dans ce mĂȘme bourg, le cas particulier du lieutenant Bernardo JosĂ© Brayner, qui avait acquis (contre argent) le droit de collecter les impĂŽts. Mettant Ă  profit le tumulte des quebra-quilos, Brayner s’introduisit dans la mairie et en fit disparaĂźtre les lettres par lesquelles il s’était engagĂ©, Ă  titre de percepteur, Ă  payer 820 000 reis, la premiĂšre tranche, d’un montant de 205 000 reis, Ă©tant d’ailleurs dĂ©jĂ  arrivĂ©e Ă  Ă©chĂ©ance. Pour obtenir la confiance et l’appui des quebra-quilos, Brayner leur tenait le langage que la mairie Ă©tait responsable de tout ce qui Ă©tait perçu dans la ville et que le peuple serait libĂ©rĂ© du paiement des impĂŽts s’il parvenait Ă  mettre la main sur les papiers de la mairie et Ă  les dĂ©truire. Ainsi mystifiĂ©s, les quebra-quilos favorisĂšrent le dessein de Brayner, sans que le prĂ©sident JoĂŁo Francisco de Vasconcelos pĂ»t rien y faire. Cependant, le prĂ©sident provincial, mis au courant de l’affaire, donna instruction le au juge municipal de Bezerros de procĂ©der Ă  la dĂ©tention immĂ©diate du lieutenant et Ă  son transfert Ă  la prison de VitĂłria (actuel VitĂłria de Santo AntĂŁo)[246].

Le , Ă  Bonito, ville qui disposait de seulement 20 soldats de ligne et de douze gardes locaux, les collecteurs de taxes, accompagnĂ©s du juge, du juge cantonal, du commissaire de police, du procureur et d’un officier de la garde locale, vinrent recueillir la taxe sur la viande sĂ©chĂ©e (carne do sertĂŁo). Un campagnard occupĂ© Ă  vendre de cette viande fut sommĂ© d’acquitter 360 reis de taxe. Le vendeur refusa, et se vit bientĂŽt entourĂ© d’un grand nombre de gens prĂȘts Ă  le dĂ©fendre. Aussi, en dĂ©pit de la prĂ©sence de reprĂ©sentants de l’autoritĂ© officielle, beaucoup de forains, dont quelques-uns armĂ©s, refusĂšrent de payer la taxe municipale. Les autoritĂ©s, confrontĂ©s Ă  une foule en colĂšre, durent se retirer prestement[247]. En rĂ©action, le prĂ©sident Lucena, mis au courant, envoya 30 Ă  40 hommes de la garde nationale, 20 hommes des troupes de ligne, ainsi qu’un officier, des fusils et des munitions[248]. Aussi, lorsque les Ă©meutiers attaquĂšrent Ă  nouveau le et allĂšrent au domicile du percepteur, se trouvĂšrent-ils face Ă  face avec les soldats. Un Ă©meutier lança un projectile en direction des soldats, qui blessa mortellement l’un d’eux Ă  la tĂȘte. D’aprĂšs le prĂ©sident Lucena, cet acte donna lieu Ă  une confrontation ouverte, qui fit deux morts de plus : un Ă©meutier, AntĂŽnio JosĂ© Henriques, propriĂ©taire du domaine Lua Redonda (Lune ronde), fut tuĂ© ainsi que le capitaine de la Garde nationale. D’autres personnes encore, dont trois citoyens qui s’étaient rangĂ©s aux cĂŽtĂ©s des soldats, furent blessĂ©es, tandis que les Ă©meutiers s’efforçaient Ă  prĂ©sent d’atteindre les archives du percepteur provincial, en s’attaquant aux portes et fenĂȘtres. Cependant, avec l’aide des gardes locaux et des soldats, les autoritĂ©s rĂ©ussirent Ă  « repousser les perturbateurs et empĂȘcher la destruction des papiers du percepteur »[249].

À la suite de rumeurs selon lesquelles de nouvelles taxes Ă©taient en passe d’ĂȘtre instaurĂ©es, plus onĂ©reuses encore que les prĂ©cĂ©dentes, le bourg de Bom Conselho, toujours dans le Pernambouc, fut Ă  son tour la cible d’attaques le . Quatre centaines d’hommes envahirent la ville, armĂ©s de coutelas, de carabines et de courroies, et s’apprĂȘtaient Ă  attaquer le bureau des impĂŽts et les archives et Ă  dĂ©truire tous les poids et mesures qu’ils trouveraient. Un frĂšre capucin, que le juge avait fait mander en urgence, sut empĂȘcher, par des paroles diplomatiques, les dĂ©prĂ©dations de se produire, et que l’on eĂ»t pas pu empĂȘcher autrement, vu le nombre des Ă©meutiers. La promesse prononcĂ©e par beaucoup qu’ils reviendraient lors de la prochaine foire ainsi que les doutes quant Ă  la rĂ©pĂ©tition du prodige rĂ©alisĂ© par le capucin, que le magistrat appela « notre ange tutĂ©laire », conduisirent les autoritĂ©s Ă  faire transporter vers Águas Belas les documents de l’administration fiscale. Le , la ville subit sa deuxiĂšme invasion, lors de laquelle les Ă©meutiers forcĂšrent d'emblĂ©e l’entrĂ©e de la chambre municipale. La petite force de police entra alors en action et, dans la fusillade qui suivit, tua quatre quebra-quilos, qui avaient entre-temps rĂ©ussi Ă  tuer un soldat et Ă  en blesser griĂšvement deux autres, dont un devait plus tard succomber Ă  ses blessures ; il y eut d’autre part un grand nombre de soldats et de quebra-quilos lĂ©gĂšrement blessĂ©s. Les meneurs allaient ĂȘtre identifiĂ©s par la suite ; le premier Ă©tait l’inspecteur de quartier Clemente Nunes Pereira, tandis que les autres se perdent dans l’anonymat d'une sĂ©rie de noms humbles, tel « un dĂ©nommĂ© Antonio Rodrigues qui se prĂ©senta en vocifĂ©rant contre le gouvernement », ou l’avocat sans titre Lourenço de Carvalho AraĂșjo, qui, pour ĂȘtre le fils naturel du chef du parti libĂ©ral, Manuel Cavalcanti de Albuquerque, servit d’argument au juge pour affirmer au prĂ©sident provincial qu’il Ă©tait « certain que le parti libĂ©ral de la localitĂ© n’était pas Ă©trangĂšre Ă  ces mouvements »[250].

Dans la colonie de BrejĂŁo, appartenant Ă  la municipalitĂ© de Garanhuns, prĂšs de Bom Conselho, un groupe de 200 personnes s’était rassemblĂ© et projetait d’attaquer au milieu de la nuit. Le juge cantonal s’en alla, porteur de cette information, au domicile du curĂ© de Bom Conselho et chez le chapelain du collĂšge de Bom Conselho et les sollicita, au cas oĂč les Ă©meutiers viendraient, de se porter au-devant d’eux et de leur parler. Cependant, quand le groupe de 400 assaillirent la bourgade, les deux prĂȘtres furent dĂ©daignĂ©s[251].

BuĂ­que fut attaquĂ©e par les quebra-quilos le . Le juge JosĂ© Maria Moscoso da Veiga Pessoa donna une description dĂ©taillĂ©e et singuliĂšre de cette invasion. Un groupe de deux cents individus, emmenĂ©s par 20 ou 25 meneurs, l’un d’eux se tenant par devant et battant une grosse caisse de guerre, se dirigea au bureau gĂ©nĂ©ral des impĂŽts, qui servait Ă©galement de bureau de poste, et y dĂ©chirĂšrent tous les papiers qu’ils purent trouver et brisĂšrent les meubles. Cette besogne achevĂ©e, ils s’en furent aux archives de l’administration avec les mĂȘmes intentions, mais se laissĂšrent raisonner par quelques personnes et Ă©pargnĂšrent ces archives. Les Ă©meutiers se rendirent ensuite dans presque tous les Ă©tablissements commerciaux du lieu, oĂč ils inutilisĂšrent les poids et mesures. À cinq heures de l’aprĂšs-midi, jugeant leur mission accomplie, ils se retirĂšrent. Une circonstance remarquable fut le fait qu’ils poussĂšrent des vivats Ă  saint FĂ©lix[252].

La municipalitĂ© de Panelas, — ou plus exactement ceux des hameaux de cette commune qui Ă©taient dĂ©pourvus de protection policiĂšre —, fut la proie, principalement les jours de marchĂ©, des habituelles attaques avec bris de poids et mesures ; il en sera ainsi du hameau de Queimadas, dont le marchĂ© fut pris pour cible le , attaque qui fera sept blessĂ©s, parmi lesquels le propre fils de l’inspecteur qui parviendra Ă  apprĂ©hender le dĂ©linquant impliquĂ© Claudino Domingos da Rocha[206]. Le bourg lui-mĂȘme en revanche, placĂ© sous la protection du commandant JoĂŁo Vieira de Melo e Silva, membre du commandement supĂ©rieur de la Garde nationale des comarques de Caruaru et Panelas, ne fut pas attaquĂ©. Le rapport officiel, datĂ© du , s’attarde Ă  dĂ©crire l’état de panique des habitants de la ville : la menace d’une invasion par plus de 300 hommes, qui avaient dĂ©jĂ  pris position dans le canton de Brejo, Ă  seulement huit lieues du chef-lieu de la commune, avait incitĂ© la plupart des familles locales Ă  quitter leur domicile. Pourtant, le marchĂ© du se dĂ©roula sans incidents, encore que l’affluence fĂ»t faible pour une veille de NoĂ«l, et les taxes purent ĂȘtre collectĂ©es normalement[253].

Entre-temps, le prĂ©sident de province Lucena s’irrita de l’attitude de ses fonctionnaires de l’intĂ©rieur et communiqua : « si, comme vous dites, le peuple qui a perpĂ©trĂ© de telles insanitĂ©s n’était en majoritĂ© armĂ© que de gourdins, la force publique prĂ©sente Ă©tait plus que suffisante pour contrer les trublions, et je ne puis approuver la façon d’agir des autoritĂ©s qui ont concouru Ă  neutraliser l’action de la force publique, laquelle en de telles occasions ne peut et ne doit rester impassible[254]. » Les provocations et accusations du journal d’opposition A ProvĂ­ncia, allant de critiques politiques Ă  des soupçons de corruption, et surtout la gravitĂ© de la situation dans l’intĂ©rieur de sa province, portĂšrent Lucena Ă  adresser, Ă  l’attention Ă  la fois des autoritĂ©s et de la population du Pernambouc, une longue communication sur la position de son gouvernement face Ă  la crise en cours. La lecture de ce texte est indispensable Ă  la comprĂ©hension de la politique menĂ©e par Lucena, de sa philosophie de gouvernement, et de son positionnement conservateur[255]. En Ă©voquant les « faux amis du peuple », Lucena laissait entendre que la sĂ©dition n’était pas spontanĂ©e ; la masse en effet agirait Ă  l’instigation des jĂ©suites et des libĂ©raux, trompĂ©e par des astuces qui couvraient tout l’éventail de la subversion, de la corruption dĂ©moralisatrice, jusqu’à la sape de l’ordre social[208]. En mĂȘme temps, il envoya au vicomte de Rio Branco un rapport plus complet de ce qui se passait dans sa province. Relativement Ă  la fiscalitĂ© disproportionnĂ©e, il assurait avec insistance Ă  Rio Branco qu’on ne faisait pas peser sur la population des « impositions exagĂ©rĂ©es ou vexatoires » ; s’il reconnaissait, presque en s’excusant, qu’il existait « assurĂ©ment quelques impĂŽts un peu augmentĂ©s, mais pas Ă  ce point-lĂ  lourds et oppressifs, ni capables d’engendrer la dĂ©sespĂ©rance de la population », il ajoutait que « tout ce bruit que l’on fait autour des impositions de cette province est dĂ©pourvu de fondement, et rĂ©sulte d’un stratagĂšme politique ». Ainsi Lucena Ă©cartait-il, devant le prĂ©sident du Conseil des ministres, la thĂšse que les impĂŽts fussent la principale cause du Quebra-Quilos ; les perturbations seraient en rĂ©alitĂ© la consĂ©quence d’« idĂ©es viles gravĂ©es dans l’ñme du peuple ignorant par ceux qui tirent des calamitĂ©s publiques des bĂ©nĂ©fices pour leur cause »[256].

En Alagoas et dans le Rio Grande do Norte

Le mouvement Quebra-Quilos n'atteignit la province d’Alagoas que le , lorsqu'un groupe d’émeutiers, armĂ©s de gourdins et de couteaux, attaqua la justice de paix et la sous-dĂ©lĂ©gation de police de la municipalitĂ© d’Imperatriz, en brĂ»la les archives et rendit inutilisables les poids et mesures du systĂšme mĂ©trique afin d’empĂȘcher la collecte des taxes tant provinciales que municipales sur le marchĂ© local de la colonie de MundaĂș-Meirim. Ce mĂȘme jour, La contestation des taxes se rĂ©pandit Ă  travers toute la province d’Alagoas, et les villes de MaceiĂł, la capitale provinciale, de Quebrangulo, de Pilar (Ă  35 km de la capitale provinciale), de Porto Calvo, de ColĂŽnia Leopoldina et d’Atalaia soit se soulevĂšrent effectivement, soit furent sur le point de se rĂ©volter pendant cette pĂ©riode[257]. Le , Quebrangulo fut assailliĂ© Ă  son tour, par 300 hommes qui se mirent Ă  briser les poids et mesures, et dont neuf perdirent la vie dans le combat qui s’ensuivit. Le lieutenant-colonel Firmino Rabelo Torres Maia, Ă  la tĂȘte de 400 hommes de troupe, dĂ©cida d’occuper le bĂątiment de l’assemblĂ©e municipale Ă  titre prĂ©ventif. Le climat gĂ©nĂ©ral d’agitation incita ensuite des dĂ©sƓuvrĂ©s et des marginaux de MaceiĂł Ă  provoquer des dĂ©sordres dans les nuits de NoĂ«l et du Nouvel-An. La jacquerie fut promptement rĂ©primĂ©e et ne s’étendit pas plus avant. Ne pouvant se faire une idĂ©e exacte de l’ampleur de ces Ă©vĂ©nements, le prĂ©sident de l’Alagoas sollicita son collĂšgue pernamboucain de l’aider. La corvette Vital de Oliveira fit alors voile pour MaceiĂł afin d’y attendre l’arrivĂ©e de la canonniĂšre Henrique Dias et de la corvette Ipiranga[258].

L’auteur d’un rapport au prĂ©sident provincial JoĂŁo Vieira de AraĂșjo sur les incidents de MundaĂș-meirim, se penchant sur leurs causes, eut bien conscience des raisons Ă©conomiques du Quebra-Quilos, et s’interrogeait :

« Je ne puis affirmer que les Ă©meutiers trouvent leur raison d’exister dans le fanatisme qui ces temps derniers a entachĂ© le sentiment religieux du pays ; ou dans la rĂ©pugnance Ă  accepter le nouveau systĂšme de poids et mesures adoptĂ© par les nations civilisĂ©es ; ou dans l’action ignoble et fourbe des factions qui, souillant la politique du pays, s’appliquent Ă  faire obstacle Ă  la rĂ©alisation du bien public ; ou dans les faibles moissons faites rĂ©cemment ; ou dans les prix rĂ©duits et mĂ©diocres que les deux principaux produits de la province ont obtenu sur les marchĂ©s europĂ©ens ; ou dans les nouveaux impĂŽts provinciaux, lesquels, s’appliquant Ă  toutes les classes, sont de façon presque insensible payĂ©s par l’individu[259]. »

Le chef de la police de MaceiĂł, Joaquim Guedes Correia Gondim, Ă©crivit le qu’il considĂ©rait la paix comme rĂ©tablie dans la province, et expliqua Ă  la prĂ©sidence que l’une des causes des conflits Ă©tait « l’instauration de certains impĂŽts entiĂšrement nouveaux, lesquels sont rĂ©putĂ©s antipathiques, plausiblement, et vexatoires, fallacieusement ». D’autre part, des marchands peu scrupuleux (« mercadores ratoneiros ») auraient su tirer parti du nouveau systĂšme de poids et mesures pour se faire de petits profits illicites. La rĂ©volte de Quebra-Quilos aurait Ă©clatĂ© en Alagoas en une pĂ©riode de mutation des classes et couches sociales de la province, situation bien perçue par l’historien Douglas Apratto TenĂłrio quand il signala qu’« aux cĂŽtĂ©s de la prĂ©Ă©minente classe des seigneurs fonciers et de celle des esclaves et des journaliers s’est insinuĂ©e une classe moyenne urbaine, constituĂ©e d’élĂ©ments liĂ©s au commerce, de l’immense fonctionnariat, des professions libĂ©rales, de mĂȘme que d’un contingent ouvrier qui travaille dans des activitĂ©s de modernisation ou dans les industries dĂ©butantes de MaceiĂł ». Toutefois, Ă  la diffĂ©rence du Pernambouc, la province des Alagoas ne prĂ©sentait pas, au moment oĂč Ă©clatait le Quebra-Quilos, de dĂ©ficit budgĂ©taire[260].

Dans le Rio Grande do Norte, l’effet du mouvement insurrectionnel commença Ă  se faire sentir d’abord dans les villes et bourgs les plus proches de la ParaĂ­ba, dont plusieurs adhĂ©rĂšrent au mouvement. Fin , les habitants de la municipalitĂ© de Jardim do SeridĂł se mirent Ă  se rassembler dans les parties est et sud de la commune, c'est-Ă -dire les deux portions les plus proches de la ParaĂ­ba, dans l’intention de briser les balances et de brĂ»ler les archives de l’administration communale et du bureau des impĂŽts, pour se soustraire aux taxes. Tout au long du mois retentirent les cris de « brisez les kilos » et de « ne payez plus les 400 reis d’impĂŽt foncier ». D’autre part, ils s’efforcĂšrent d’empĂȘcher que la loi sur le recensement pĂ»t ĂȘtre proclamĂ©e, les paysans voyant dans ce recensement officiel une tentative d’augmenter les impĂŽts et « d’asservir » les paysans ; ainsi, dans la colonie de Barriguda, un groupe surgit devant l’église pour empĂȘcher que soit donnĂ© lecture de la loi, avant de se rĂ©pandre ensuite dans les rues pour briser les poids et mesures[261].

Le , un groupe de quelque 200 hommes se rĂ©unit Ă  peu de lieues de la bourgade de Santana do Matos, projetant d’envahir la localitĂ© le 19 pour y briser les poids et mesures et y brĂ»ler les archives de la municipalitĂ© et les registres du collecteur d’impĂŽts. Ce mĂȘme jour cependant, le groupe fut dĂ©couvert, ce qui conduisit le juge cantonal Ă  mettre aussitĂŽt sur pied une force d’une centaine d’hommes issus de la communautĂ© pour dĂ©fendre celle-ci[262]. Il fut rapportĂ© au gouvernement du Rio Grande do Norte, par les soins du pĂšre JoĂŁo JerĂŽnimo da Cunha, qu’un groupe nombreux de sĂ©ditieux s’était postĂ© sur le domaine Bom Jardim, Ă  une lieue de Goianinha, « avec l’intention de l’assaillir ». Ils Ă©taient 300, hommes et femmes, tous armĂ©s, disposĂ©s Ă  affronter les troupes du capitaine JoĂŁo Paulo Marfins Naninguer. Celui-ci, mis au courant qu’un autre groupe se constituait Ă  Piaui, rĂ©solut alors, d’un commun accord avec le juge cantonal et le commissaire de police, de les affronter avant qu’ils n’attaquent la ville. Un rapport envoyĂ© Ă  la Cour par le prĂ©sident de la province, relatant les Ă©vĂ©nements sur la base des informations fournies par le capitaine Martins Naninguer, indiquait que les rebelles accueillirent les soldats Ă  balles et que la section commandĂ©e par le sous-lieutenant Francisco de Paula Moreira, simulant une attaque Ă  la baĂŻonnette, s’immobilisa Ă  deux brasses de distance des rebelles « pour ne pas les offenser ni sacrifier la troupe ». Cette tentative de dissuasion cependant s’avĂ©ra futile, le groupe maintenant son « attitude menaçante » et rejetant probablement les propositions qui lui Ă©taient faites. Les soldats ouvrirent alors le feu ; Ă  la premiĂšre charge, deux sĂ©ditieux tombĂšrent morts et cinq autres furent griĂšvement blessĂ©s, de qui trois femmes. La dĂ©bandade des quebra-quilos fut ensuite gĂ©nĂ©rale ; quoique armĂ©s, ils ne disposaient pas d’organisation militaire, et ceux qui ne rĂ©ussirent pas Ă  prendre la fuite furent immĂ©diatement faits prisonniers.

On enregistra des attaques de quebra-quilos également dans la ville de Jardim do Seridó, dans les districts de Vitória et de Luís Gomes, à Poço Limpo (aujourd'hui dans la commune de São Gonçalo do Amarante, dans la ville du Príncipe, de Vila do Acari (actuelle ville de Caicó), de Mossoró, de Patu et de Barriguda (actuelle Alexandria)[263].

Participants et meneurs

En rĂšgle gĂ©nĂ©rale, les participants aux jacqueries de Quebra-Quilos Ă©taient des gens humbles, qui souvent se perdent dans l’anonymat et l’analphabĂ©tisme. Leurs chefs sont divisĂ©s et tenaient un discours mal dĂ©fini, quand dĂ©jĂ  ils professaient leurs idĂ©es. Dans certaines zones pourtant apparaissent des noms d’un certain prestige social et il serait naĂŻf en outre de ne pas percevoir, reflĂ©tĂ©s dans le mouvement, les ressentiments liĂ©s Ă  la question religieuse qui secoua le pays en 1873. Les plus instruits parmi les Ă©meutiers appartenaient au milieu marginal et n’avaient pas pour habitude de mettre leurs idĂ©es par Ă©crit. Ceux de catĂ©gorie sociale supĂ©rieure Ă©taient extrĂȘmement circonspects et agissaient plutĂŽt comme des opportunistes et des profiteurs, que comme des agents actifs[264].

Le gouvernement avait recommandĂ© avec insistance que l’on identifiĂąt les meneurs[265]. Cependant, le problĂšme central de la rĂ©volte de Quebra-Quilos est l’absence d’une personnalitĂ© dirigeante globale. Les autoritĂ©s provinciales, qui avaient de la peine Ă  imaginer qu’un soulĂšvement de cette ampleur eĂ»t pu ĂȘtre suscitĂ© et menĂ© par les paysans eux-mĂȘmes, dĂ©couvrirent bientĂŽt que le mouvement n’avait aucun chef gĂ©nĂ©ral ; tout au plus y eut-il de petits meneurs locaux dirigeant tel groupe d’émeutiers, et ce dans les quatre provinces concernĂ©es[266].

L’un des principaux meneurs locaux Ă©tait JoĂŁo Vieira, caboclo (c'est-Ă -dire mĂ©lange de blanc, noir et Indien, type racial dĂ©nommĂ© Ă©galement cabra escuro, litt. chĂšvre obscure) surnommĂ© JoĂŁo Carga d’Agua. Ce personnage sera accusĂ© par les Ă©meutiers Ă©crouĂ©s d’avoir non seulement participĂ© au soulĂšvement du Ă  Fagundes, mais encore de s’ĂȘtre targuĂ© de tuer le commissaire de police venu rĂ©primer la rĂ©bellion[267]. Carga d’Agua dirigeait des groupes d’agitateurs dĂšs les premiĂšres phases du soulĂšvement en octobre, encore que les comptes rendus officiels ne l’identifiaient pas comme meneur avant le . Ce jour-lĂ , Carga d’Agua s’était portĂ© Ă  la tĂȘte d’un groupe d’approximativement 50 individus armĂ©s qui se rendait au marchĂ© de Campina Grande. ArrivĂ©s Ă  destination, ils s’employĂšrent Ă  dĂ©truire tous les poids et mesures du nouveau systĂšme mĂ©trique qui leur tombaient sous les yeux. Carga d’Agua les conduisit ensuite Ă  la demeure du curĂ© Calixto da NĂłbrega ; ici, les tĂ©moignages divergent : selon les uns, d’Agua fit irruption dans le logis du curĂ©, d’autres au contraire affirment que le curĂ© Ă©tait de mĂšche avec Carga d’Agua et que le groupe ne s’était rendu Ă  son domicile que pour lui remettre les poids et mesures et des documents[268] - [269].

Entre les 25 et , JoĂŁo Carga d’Agua refit par deux fois irruption dans Campina Grande, escortĂ©, Ă  chacune de ces incursions, par une bande d’environ 80 compagnons, pour la plupart originaires de VĂĄrzea Alegre, dans le CearĂĄ voisin[270].

Mais Carga d’Agua et son groupe n’en Ă©tait qu’un parmi un grand nombre d’autres. Dans la seule journĂ©e du , Manoel Piaba, Manoel (Neco) de Barros, JosĂ© Esteves, Antonio Martins de Souza, et un autre personnage dĂ©signĂ© sous le nom de Marcos Untel (Marcos de tal, ou Marcolino de tal), lancĂšrent chacun une bande d’émeutiers contre Campina Grande. Plus tĂŽt, le , il avait Ă©tĂ© dĂ©cidĂ© qu’il n’y aurait pas de chefs, mais que les Ă©meutiers se diviseraient en groupes entre 50 et 200 hommes chargĂ©s de dĂ©truire les poids et mesures et les registres municipaux[271].

La famille Barros reprĂ©sente un cas Ă  part. AntĂŽnio de Barros ou l’un de ses fils, Manoel ou JosĂ© de Barros, prit la tĂȘte d’un soulĂšvement le Ă  Campina Grande. JoĂŁo de Barros, frĂšre d’AntĂŽnio, Ă©tait dĂ©tenu dans la prison de Campina Grande sur l’inculpation d’homicide. JoĂŁo de Barros et son fils Manoel (souvent dĂ©signĂ© sous le surnom de Nico ou Neco) rĂ©solurent de le faire Ă©vader de prison. À la tĂȘte d’un groupe de huit ou dix hommes, ils attaquĂšrent la prison cette mĂȘme nuit du , et rĂ©ussirent Ă  libĂ©rer JoĂŁo de Barros de sa cellule[272]. Ayant forcĂ© l’entrĂ©e de la maison d’arrĂȘt, Barros et ses acolytes Ă©largirent par la mĂȘme occasion presque tous les quelque vingt prisonniers masculins qui s’y trouvaient. Les tĂ©moins dĂ©clarĂšrent ensuite que tous ces prisonniers se joignirent au groupe des Barros, et quelques-uns seulement clamĂšrent avoir refusĂ© d’adhĂ©rer Ă  la bande[271].

Le groupe qui lança l’attaque contre Caruaru, dans le Pernambouc, se composait de 200 Ă  400 hommes[273], dirigĂ©s par Vicente et Manoel Tenorio, tous deux de la municipalitĂ© de Brejo (actuelle Brejo da Madre de Deus), et par JoĂŁo Barradas, originaire de la ville de Caruaru. Quant Ă  la bande qui assaillit la colonie de MundaĂș-Meirim, dans la municipalitĂ© d’Imperatriz, les dĂ©positions en vue du procĂšs devaient dĂ©signer (ou du moins accuser) comme chef de ce groupe AntĂŽnio Thomaz de Aquino, marchand de coton de Breja-Grande, concomitamment avec son frĂšre Manoel Thomaz. À leurs cĂŽtĂ©s se trouvaient Joaquim Thomas ainsi que JoĂŁo Torres, Manoel Nico et ses frĂšres Euclydes et JoĂŁo[274]. NĂ©anmoins, il devint bientĂŽt Ă©vident qu’AntĂŽnio Thomaz Ă©tait le vĂ©ritable meneur ; en effet, aprĂšs son arrestation par le capitaine Floriano Vieira de Melo, commissaire de police de la municipalitĂ© d’Imperatriz, l’enquĂȘte allait « Ă©tablir qu’AntĂŽnio Thomaz de Aquino Ă©tait, sinon le meneur, du moins l’un des chefs de la sĂ©dition qui le dernier s’éleva contre la colonie »[275].

La bande d’une centaine d’émeutiers bien armĂ©s qui descendit sur le bourg de Bezerros, dans le Pernambouc, Ă©tait emmenĂ© par le lieutenant Bernardo JosĂ© Brayner. Tant celui-ci que son fils JosĂ© Brayner furent reconnus comme Ă©tant les meneurs[276]. Plus tard cependant, Mello Filho, prĂ©sident de la province du Rio Grande do Norte, affirma que Benedito Saldanha et Serafim Raposo agirent comme « protecteurs » de ce groupe, mais qu’il Ă©tait impossible de dĂ©terminer quels en avaient Ă©tĂ© les chefs[277].

Dans le bourg de NazarĂ©, si l’on en croit une lettre Ă©crite par le baron Vanderlei, accusant les fils et le gendre de la « maĂźtresse du domaine sucrier CangaĂș », la rĂ©volte de Quebra-Quilos eut la caractĂ©ristique, peu commune, de n’avoir pas impliquĂ© seulement des petits paysans pauvres, analphabĂštes, petits travailleurs sur les terres d’autrui, incitĂ©s Ă  la rĂ©volte par l’excessive taxation et par l’emprisonnement d’évĂȘques de son Ă©glise Ă  laquelle Ă©tait culturellement liĂ©, mais aussi des fils et un gendre d'un propriĂ©taire de domaine, gens probablement lettrĂ©s, animĂ©s par des intĂ©rĂȘts Ă©conomiques bien diffĂ©rents de ceux de leurs autres compagnons de rĂ©volte[278]. Le juge Pergentino GalvĂŁo de NazarĂ© conclut son rapport par une observation qui inquiĂ©ta le gouvernement pernamboucain : « le mouvement est sympathique Ă  presque tous et trouve des adhĂ©sions ; il devient ainsi plus redoutable et ira s’amplifiant jour aprĂšs jour s’ils ne sont pas tenacement poursuivis et les lieux les plus menacĂ©s bien dĂ©fendus »[279].

Dans l’enquĂȘte menĂ©e Ă  TimbaĂșba (Pernambouc) Ă  l’issue des troubles, le nom de Vicente Ferreira da Silva Maia fut citĂ© comme l’un des meneurs. Il avait Ă©tĂ© le troisiĂšme supplĂ©ant du juge municipal. Dans la mĂȘme zone surgira Ă©galement un nom trĂšs connu dans la rĂ©gion, celui du patron sucrier du domaine de Lages, VirgĂ­nio HorĂĄcio de Freitas, dĂ©signĂ© lui aussi comme l’un des chefs de l’agitation du Ă  ItambĂ©. Freitas fut apprĂ©hendĂ© sur ses propres terres et mis en prison Ă  sept heures du matin le [280].

À Pilar, de nombreux travailleurs des domaines agricoles et sucriers rejoignirent les rangs des quebra-quilos. Selon Delmiro de Andrade, leur chef principal Ă©tait un patron sucrier, InĂĄcio Bento, toujours accompagnĂ©, dans ses courses Ă  cheval Ă  travers les foires et dans les rituels violents du bris de poids et mesures, par un Ă©meutier connu sous le sobriquet de Bilinguim. Ses mobiles Ă©taient probablement politiques, mais on ignore toutefois le niveau et la portĂ©e de sa contestation, ou si celle-ci allait au-delĂ  d’un don-quichottisme consistant Ă  ĂȘtre sans cesse contre le gouvernement. Il est certain aussi que le domaine sucrier Sant'Ana, dans la commune de VĂĄrzea, Ă©tait un foyer de rĂ©bellion. Il n’y a pas de preuves cependant de l’existence d’un commandement conscient, objectif, coordonnĂ©, agissant en fonction d’une problĂ©matique bien dĂ©finie[281].

À Lagoa dos Gatos, un au moins des assaillants n’était pas un campagnard pauvre et sans terre : Carlos Muniz de Sousa Ă©tait un « homme de quelque influence en tant qu’appartenant Ă  la grande famille qu’il avait au lieu-dit Piripiri, dans le canton dont il Ă©tait rĂ©sident »[206].

Dans le hameau d’Afogados, dans les environs d’Ingazeira, distant d'une soixantaine de kilomĂštres seulement de Triunfo, les Ă©meutes de Quebra-Quilos eurent une caractĂ©ristique particuliĂšre : le chef Ă©tait un capitaine de la Garde nationale, JordĂŁo da Cunha França e Brito[282]. À Bonito figurait parmi les morts AntĂŽnio JosĂ© Henrique, capitaine de la Garde nationale, d’idĂ©ologie libĂ©rale et d’une certaine influence politique dans la municipalitĂ©, mais il reste trĂšs difficile Ă  dĂ©terminer si le capitaine dirigeait ou non l’attaque. Selon le tĂ©moignage de JoĂŁo BrĂĄulio Correia e Silva, le capitaine n’était pas armĂ©. Le point de dĂ©part de son adhĂ©sion aux quebra-quilos aurait Ă©tĂ© une discussion qu’il eut avec l’un des soldats qui gardaient le bureau des impĂŽts, et Ă  qui il aurait dit, peut-ĂȘtre pour Ă©viter une effusion de sang, de laisser le peuple entrer. Cet Ă©pisode de Bonito eut un Ă©cho dans la presse de Rio de Janeiro. La mort d’un libĂ©ral de renom Ă  la tĂȘte de quebra-quilos et attaquant un bureau de perception, sera pour quelques politiciens une preuve que la rĂ©volte Ă©tait d’inspiration libĂ©rale[283].

Il est Ă  relever qu’à Brejo, le juge JoĂŁo Álvares Pereira de Lessa n’avait pas grande confiance dans la Garde nationale, et fit observer au prĂ©sident provincial qu'Ă©tant « composĂ©e d’hommes du peuple, elle peut facilement se laisser emporter par la supposition fallacieuse que ces sĂ©ditieux sont les libĂ©rateurs du peuple, ainsi qu’ils s’en targuaient, Ă  preuve le fait que lĂ  oĂč elle arrivait se trouvait toujours [au sein de la Garde nationale] un grand groupe pour se lier avec eux ». Son opinion rejoignait celle du procureur Augusto Coelho de Morais, aux yeux de qui « la Garde nationale ne peut inspirer aucune confiance ». D’aprĂšs ses informations en effet, des individus de ce corps faisaient cause commune avec les rebelles et ne voulaient plus payer d’impĂŽts[284].

Dans une lettre Ă  Lucena, JoĂŁo Francisco da Silva Braga, commissaire de police d’ItambĂ©, note qu’il « n’ignorait pas l’appui moral que de toutes parts [les quebra-quilos] rencontraient de la part d’un nombre croissant de citoyens nantis et prestigieux, appui qui ne contribuera que trop Ă  favoriser, rapidement, l’augmentation en nombre, l’audace et l’exaltation des sĂ©ditieux »[231]. À TimbaĂșba, selon la relation de Pires Ferreira, « ce qui est sĂ»r, c’est que, Ă  l’exception d’un petit nombre de personnes de ce bourg, comprenant les autoritĂ©s de celui-ci, bien compĂ©nĂ©trĂ©es de leurs devoirs, et celles de la Paraiba, tous les autres habitants se montraient favorables Ă  la cause du peuple et lui donnaient raison, applaudissant Ă  ses exactions »[285].

Dans le district de Jurema do Brejo, le sous-commissaire local dĂ©clara, impuissant : « je puis affirmer que le nombre de personnes ne partageant pas les mĂȘmes sentiments que les sĂ©ditieux Ă©tait trĂšs limitĂ©, tant et si bien qu’il n’y eut personne pour payer d’impĂŽt, de quelque nature que ce fĂ»t »[286]. Dans ce mĂȘme district, le procureur rapporta qu’il Ă©tait notable que les personnes rĂ©unies dans les lieux attaquĂ©s Ă  l’occasion de la foire, quand elles n’adoptaient pas une position hostile vis-Ă -vis des intĂ©rĂȘts de l’ordre public et ne s’identifiaient pas de la sorte aux invahisseurs, prenaient une attitude neutre, refusant leur appui aux autoritĂ©s, qui dĂšs lors se voyaient isolĂ©es[287].

Le cas particulier de la famille Chacon mĂ©rite Ă©galement mention. Les Chacon, dans la ParaĂ­ba, Ă©taient divisĂ©s : si, d’un cĂŽtĂ©, le lieutenant-colonel Francisco AntĂŽnio Aranha Chacon, Ă  la tĂȘte de cinquante hommes de troupe, s’efforça de contenir les kiloclastes Ă  IngĂĄ, de l’autre, Matias de Holanda Chacon, Ă  Alagoa Nova, fut signalĂ© comme quebra-quilo, en mĂȘme temps que trois autres meneurs[288].

À Bom Jardim, le procureur Manuel Tertuliano de Arruda rapporta au prĂ©sident provincial que dans la comarque, le chef de la sĂ©dition contre la levĂ©e des impĂŽts aurait Ă©tĂ© le juge Austerliano Correia de Castro, juge municipal et juge cantonal supplĂ©ant. Le nom du juge Ă©tait, dans l’acte d’accusation, accompagnĂ© de celui d’autres personnes de renom dans la localitĂ© : le sous-lieutenant Manuel d'Assunção e Santiago, le licenciĂ© en droit (bacharel) AntĂŽnio JosĂ© de Alcona, en plus de ceux qui s’évanouissent dans l’anonymat de la plĂšbe campagnarde. Cependant, la participation du juge Correia de Castro au mouvement, ou de simples sympathies de sa part pour les quebra-quilos, sont fort peu probables. Alors qu’il se trouavit encore Ă  Bom Jardim, le , il communiqua que, le 24, il avait cessĂ© d’exercer la charge de juge supplĂ©ant et exposa l’intrigue du drame municipal : le percepteur Barbosa da Silva, ennemi implacable du juge, aurait lancĂ© contre celui-ci une campagne de calomnies en le dĂ©signant comme « auxiliaire des Ă©meutiers ». Son absence de la comarque fut bien exploitĂ©e par ses ennemis : PompĂ­lio da Rocha Moreira engagea une enquĂȘte policiĂšre, en plus de rĂ©diger l’un des documents les plus longs sur la sĂ©dition Ă  Bom Jardim, dans lequel le juge Ă©tait identifiĂ©, sur la foi de tĂ©moignages plus ou moins suspects, comme chef de la sĂ©dition[289]. Quant au sous-lieutenant Manuel d'Assunção e Santiago, l’enquĂȘte et le procĂšs intentĂ© contre lui susciteront, en raison de sa position sociale, des dizaines d’articles de presse, d’avis d’expert et de rapports officiels. Santiago en effet n’était pas un plĂ©bĂ©ien ; en plus d’ĂȘtre sous-lieutenant rĂ©formĂ© de l’armĂ©e, il Ă©tait avocat agrĂ©Ă© (sans titre) Ă  IngĂĄ, oĂč il paraissait ĂȘtre bien considĂ©rĂ©[290]. Fait prisonnier le Ă  Bom Jardim, et transfĂ©rĂ© au fort de Brum Ă  Recife, il avait requis, par la voix du licenciĂ© Ăšs lois Eliseu de Sousa Martins, un habeas corpus, faisant valoir qu’il n’avait jamais Ă©tĂ© pris en flagrant dĂ©lit, mais inculpĂ© sur la base des seules dĂ©nonciations faites par ses ennemis politiques. Lucena tenta de faire obstacle aux pourvois des amis de Santiago en vue de sa libĂ©ration, mais le prĂ©sident de la cour d’appel ne cĂ©da pas aux pressions du prĂ©sident de province, et Santiago fut Ă©largi le , sur avis juridique du juriste renommĂ© Maciel Pinheiro contestant en droit l’inculpation de sĂ©dition[291].

Significativement, Ă  Caruaru, le juge municipal AntĂŽnio Paulino Cavalcanti d'Albuquerque devait Ă©crire le au prĂ©sident provincial, en pesant soigneusement ses mots, qu’il avait confiance que le procureur « saura accomplir son devoir en dĂ©pit des entraves qui pourraient surgir, attendu que des personnes influentes et ayant de l’entregent se trouvent compromises dans la sĂ©dition »[286]. Les propriĂ©taires terriens du lieu pourtant apportĂšrent une aide substantielle aux troupes de LuĂ­s Albuquerque MaranhĂŁo, lui prĂȘtant des hommes et lui donnant libre disposition de leurs terres, selon les dĂ©clarations de l’officier[292].

Quant aux esclaves, ils Ă©taient marginalisĂ©s dans le mouvement, comme l'atteste ce qui se passa Ă  Campina Grande (voir ci-dessous) : un rapport de Caldas Barreto indique que l’un des meneurs de la rĂ©volte dans cette ville, « Ă  l’occasion de l’insurrection des esclaves, dont neuf lui appartenaient, manda Neco de Barros, lequel se prĂ©senta avec un groupe sĂ©ditieux de Queimadas et de Baixa Verde pour s’opposer Ă  ces mĂȘmes esclaves insurgĂ©s »[293].

Il y eut quelques liens entre le cangaço — type particulier de banditisme rural dans le Nordeste — et le Quebra-Quilos. Au plus haut des troubles, c’est-Ă -dire en , il fut souvent signalĂ© que des bandits s’étaient infiltrĂ©s dans les groupes de quebra-quilos. Cependant, les quebra-quilos avaient une idĂ©ologie, aussi contradictoire et primitive fĂ»t-elle ; en revanche, le bandit rural venu se joindre Ă  eux n’avait, de façon gĂ©nĂ©rale, aucune idĂ©ologie, et son agitation n’avait aucun sens antifiscal ou religieux. Produit de l’isolement de rĂ©gions de difficile accĂšs pour le pouvoir judiciaire, ce type de banditisme Ă©tait endĂ©mique lorsqu’éclata le mouvement quebra-quilos. Souvent, les cangaceiros bĂ©nĂ©ficiaient de protection, par crainte ou par convenance, et, dans d’autres cas plus rares, par patronage, de la part de propriĂ©taires terriens procĂ©dant du mĂȘme univers culturel. Il Ă©tait rare au demeurant que le bandit rural fĂ»t un quebra-quilos. En gĂ©nĂ©ral, ses accointances sociales n’allaient que rarement dans un sens de contestation d’un ordre social qu'il aurait rĂ©prouvĂ© pour des raisons idĂ©ologiques. Le bandit CesĂĄrio, cangaceiro dĂ©jĂ  bien connu, objet de haine et cause d’humiliation pour le commissaire de police, Ă©pargna contre toute attente le bourg de SĂŁo Bento, mais envahit par contre Canhotinho, le , mais se bornant Ă  dĂ©sarmer la garde de la maison d’arrĂȘt et Ă  en libĂ©rer trois prisonniers[294].

De façon analogue, le cĂ©lĂšbre cangaceiro JesuĂ­no Brilhante prit part Ă  l’assaut contre la prison de Campina Grande, laissa s’évader 43 dĂ©tenus, et sut ainsi augmenter l’effectif de sa bande ; le commissaire de Pombal, le lieutenant Ricardo AntĂŽnio da Silva Barros, fut assassinĂ© par ces mĂȘmes bandits. En agissant de la sorte en marge des quebra-quilos, les cangaceiros rendent malaisĂ© le travail historique nĂ©cessaire consistant Ă  faire le dĂ©part, dans les tumultes quebra-quilos, entre crimes de droit commun et contestation sociale. Par ailleurs, il arrivait parfois que les forces de rĂ©pression gouvernementales fissent dans la ParaĂ­ba concurrence Ă  ceux qu’ils avaient mission de poursuivre, en pillant eux-mĂȘmes les domaines fermiers et les plantations sucriĂšres[54].

RĂ©pression

La rĂ©volte de Quebra-Quilos s’expliquant par un mĂ©lange complexe de banditisme social, de motifs religieux, de rejet des modernisations, et d’opposition Ă  la rupture du contrat social entre petits paysans, aristocratie fonciĂšre et gouvernement central que constituait le coronĂ©lisme, il sera impossible aux forces de rĂ©pression de dĂ©signer un quelconque comitĂ© dirigeant gĂ©nĂ©ral ; aussi ne put-on, au fil des mois, trouver aucun meneur, ou groupe de meneurs, global. Il y eut certes quelques chefs individuels authentifiĂ©s, mais qui ne commandaient qu’un groupe rĂ©duit et dont la dĂ©termination de l’identitĂ© et du lieu de refuge exigea qu’une forte coercition fĂ»t exercĂ©e par les contingents militaires dĂ©pĂȘchĂ©s dans les campagnes pour rĂ©primer les jacqueries. Les rigueurs rĂ©pressives, plus ou moins efficaces, des autoritĂ©s retombĂšrent donc sur les simples paysans ayant participĂ© aux troubles[295].

Dans la ParaĂ­ba

Les provinces du Pernambouc, d’Alagoas et du Rio Grande do Norte rejetĂšrent toutes les trois la faute de ces soulĂšvements sur la province de la ParaĂ­ba, qui en aurait Ă©tĂ© Ă  l’origine. C’est aussi vers cette province que le gouvernement central de Rio de Janeiro dĂ©cida d’envoyer un corps expĂ©ditionnaire pour Ă©craser la sĂ©dition.

Quand les Ă©meutes commencĂšrent, et que les officiels des villes et bourgs se virent dĂ©bordĂ©s, beaucoup parmi eux quittĂšrent leur poste pour s’enfuir vers les capitales provinciales. Un rapport indique qu’en dĂ©cembre « nombre d’autoritĂ©s civiles de l’intĂ©rieur de la ParaĂ­ba [ont] fui vers la capitale »[296], et le colonel Fonseca, dĂ©pĂȘchĂ© dans le sertĂŁo pour rĂ©primer le soulĂšvement, nota que ceux des officiels qui n’avaient pas fui vers la capitale s’étaient rĂ©fugiĂ©s dans les forĂȘts. Du reste, beaucoup d’autres habitants firent de mĂȘme. Silvino ElvĂ­dio Carneiro da Cunha, prĂ©sident de la ParaĂ­ba, rĂ©agit immĂ©diatement Ă  ces Ă©meutes et Ă  ces fuites en envoyant un certain nombre d’émissaires, y compris son propre secrĂ©taire, par terre et par mer, en direction de Recife, capitale du Pernambouc, pour requĂ©rir de l’aide du prĂ©sident Lucena, sous la forme de troupes de ligne et d’un navire de guerre. D’autre part, des tĂ©lĂ©grammes furent expĂ©diĂ©s Ă  Rio de Janeiro, lesquels, en plus d’exagĂ©rer la menace des jacqueries, Ă©taient prompts Ă  en dĂ©nombrer les auteurs et Ă  dĂ©signer les causes des troubles : « les motifs allĂ©guĂ©s par les Ă©meutiers, dont le nombre s’élevait Ă  un millier, sont la question religieuse et les nouveaux poids et mesures ». Sans aide immĂ©diate, Ă©tait-il ajoutĂ©, il serait Ă  craindre que cette rĂ©volte ne se propage au Pernambouc et au Rio Grande do Norte. Le , le prĂ©sident Lucena rĂ©pondit Ă  cet appel en dĂ©pĂȘchant une force d’infanterie composĂ©e de soldats de ligne, en plus d’un dĂ©tachement de la marine impĂ©riale Ă  bord d’un navire de charge ; de surcroĂźt, une corvette (la Paraense) et le 18e bataillon d’infanterie se prĂ©paraient Ă  venir en aide Ă  la ParaĂ­ba[297] - [298].

Le ministre de la Guerre, qui avait reçu ces tĂ©lĂ©grammes le , ordonna dĂšs le lendemain que le vapeur Calderon appareillĂąt pour la ParaĂ­ba avec escale dans le Pernambouc, emportant un contingent d’artillerie et d’infanterie ainsi que des Ă©quipements, dont 200 mousquets et 20 000 cartouches, destinĂ©s Ă  la Garde nationale Ă  mobiliser. Le but de l’escale dans le Pernambouc serait d’embarquer un supplĂ©ment de poudre et de projectiles d’artillerie. En cours de route cependant, vu que Herculano Sanches da Silva Pedra, commandant de l’expĂ©dition nommĂ© par le ministre, se trouvait alors dans la Bahia, le Calderon eut Ă  faire un autre dĂ©tour pour lui permettre de s’embarquer. En mĂȘme temps que cet officier prirent place dans le navire 400 soldats de ligne du 14e bataillon d’infanterie et une demi-batterie d’artillerie, y compris trois canons de montagne et, pour les manƓuvrer, 22 hommes de troupe et deux officiers[299] - [300].

Toutefois, ce ne sera pas Silva Pedra, mais le colonel Severiano Martins da Fonseca, frĂšre de Deodoro da Fonseca, le gĂ©nĂ©ral d’armĂ©e qui allait proclamer la rĂ©publique en 1889, qui le se verra confier la mission de rĂ©primer la rĂ©volte dans la province de la ParaĂ­ba. Le , accompagnĂ© d’une partie du 14e bataillon d’infanterie, il mit donc le cap sur cette province. Le corps expĂ©ditionnaire comprenait 750 soldats et 47 officiers, auxquels vinrent se joindre les forces de police dĂ©jĂ  prĂ©sentes dans la ParaĂ­ba, pour constituer un effectif total de 1 023 hommes[301] - [144] - [302] - [303].

Les troupes du colonel Fonseca empruntĂšrent deux itinĂ©raires principaux, l’un par le nord et l’autre plus central. En cours de route, tous les participants Ă  la rĂ©volte de Quebra-Quilos, en particulier les meneurs, auraient Ă  ĂȘtre apprĂ©hendĂ©s. Le prĂ©sident de province Carneiro da Cunha crut pouvoir affirmer que les pĂšres Ibiapina et Calixto da NĂłbrega Ă©taient les principaux instigateurs de cette agitation. Quoiqu’il y eĂ»t peu d’élĂ©ments Ă  l’appui de cette allĂ©gation, le colonel Fonseca procĂ©da Ă  l’arrestation du pĂšre Ibiapina[note 3].

ArrivĂ© Ă  IngĂĄ le , le colonel Fonseca, s’il trouva une ville tranquille et paisible, apprit que Serra Redonda et Serra do Pontes, non loin de lĂ , Ă©taient infestĂ©s d’émeutiers armĂ©s. AussitĂŽt, Fonseca envoya directement Ă  Serra Redonda un dĂ©tachement de soldats, qui, sous le commandement du capitaine Piragibe et avec l’ordre d’arrĂȘter tous ceux impliquĂ©s dans les troubles d’IngĂĄ, encerclĂšrent la bourgade et, en dĂ©pit de la rĂ©sistance des habitants, rĂ©ussirent Ă  effectuer de nombreuses arrestations. Dans la foulĂ©e, le capitaine Piragibe dĂ©cida de faire route sur le hameau de Cafula et de RiachĂŁo ; ses troupes dĂ©couvrirent les Ă©meutiers cachĂ©s dans une ravine et dans les bois. Vu que ceux-ci rĂ©sistaient Ă  leur arrestation, quelques coups de feu furent tirĂ©s, mais il n’y eut pas d’effusion de sang. Les soldats firent mouvement ensuite sur RiachĂŁo, procĂ©dant Ă  des arrestations en cours de route, et rencontrant trĂšs peu de rĂ©sistance. Au moment oĂč ils pĂ©nĂ©trĂšrent dans RiachĂŁo, la troupe traĂźnait derriĂšre elle 56 prisonniers soupçonnĂ©s d’avoir jouĂ© un rĂŽle de premier plan (« moteurs ») dans les soulĂšvements de Quebra-Quilos. Ces 56 dĂ©tenus furent prestement expĂ©diĂ©s Ă  la capitale provinciale afin que le prĂ©sident Da Cunha pĂ»t y statuer sur leur sort. La troupe, aprĂšs un bref temps de repos, entreprit ensuite de « pacifier » le reste de la population[304] - [305].

Le corps expĂ©ditionnaire poursuivit sa route vers Campina Grande, faisant en chemin autant d’arrestations qu’il Ă©tait possible, de sorte que quand Fonseca pĂ©nĂ©tra dans Campina Grande dans la matinĂ©e du , il emmenait avec lui « un grand nombre d’hommes faits prisonniers dans les endroits que [nous] avons traversĂ©s ».

Parvenus dans la municipalitĂ© de Pocinhos, les soldats se virent confrontĂ©s Ă  des Ă©meutiers armĂ©s retranchĂ©s dans les collines et les prenant pour cible. Impuissants tout d’abord Ă  riposter, les troupes de Piragibe surent persuader les citoyens du lieu Ă  leur prĂȘter main-forte, ce qui permit aux soldats de poursuivre et d’apprĂ©hender un certain nombre des rebelles[306].

Peut-ĂȘtre dĂšs le , Fonseca avait confiĂ© au capitaine JosĂ© Longuinho da Costa Leite, connu pour sa cruautĂ©, la mission d’éliminer les rebelles de la ville d’Areia. Au moment oĂč Longuinho apparut Ă  Areia, ainsi que le fit observer HorĂĄcio de Almeida, l’ordre avait dĂ©jĂ  Ă©tĂ© rĂ©tabli, ou peu s’en fallait. Mais, ayant reçu l’instruction d’arrĂȘter les coupables, Longuinho procĂ©da, comme le signala le mĂȘme Almeida, Ă  des arrestations de masse et Ă  une persĂ©cution aveugle et inhumaine, retenant prisonniĂšres de nombreuses personnes qui n’avaient pris aucune part aux agitations[307]. Impuissant Ă  mettre la main sur les coupables, Longuinho donna l’ordre Ă  ses soldats de se saisir des pĂšres et des enfants et de les soumettre Ă  la torture afin d’apprendre de leur bouche l’endroit oĂč se tenaient les fugitifs[301] - [308] - [309]. Selon le tĂ©moignage d’Almino Álvares Afonso, Longuinho, une fois que les arrestations eurent Ă©tĂ© effectuĂ©es, imagina la colete de couro (veste de cuir), torture consistant Ă  se servir d’une large laniĂšre de cuir prĂ©alablement humidifiĂ©e pour en « emballer la malheureuse victime du cou jusqu’au ventre »[310] - [309] - [87], aprĂšs quoi les dĂ©tenus Ă©taient envoyĂ©s Ă  la capitale de province ; cependant, en cours de route, le cuir se mettait Ă  sĂ©cher et par lĂ  Ă  se rĂ©trĂ©cir, Ă©crasant les organes internes de la victime, laquelle, asphyxiĂ©e, commençait Ă  saigner de la bouche[301] - [309]. Des centaines d’hommes furent ainsi faits prisonniers, soumis au colete de couro et envoyĂ©s finalement Ă  Rio de Janeiro[311] - [309]. SitĂŽt arrivĂ©s dans la capitale de province, on les emmenait devant le prĂ©sident Carneiro da Cunha pour les enrĂŽler ensuite, « qu’ils fussent de jeunes garçons ou de vieux hommes, coupables ou innocents », dans l’armĂ©e[312] - [309].

Des exactions ont Ă©tĂ© signalĂ©es qui auraient Ă©tĂ© commises par la soldatesque contre des femmes et des enfants. Afonso fut tĂ©moin de la mort d’un « enfant de quatre mois qui fut brutalement hachĂ© en morceaux
 et abandonnĂ© dans la forĂȘt en pĂąture aux corbeaux et aux chiens »[313] - [314]. Plus frĂ©quemment, des cas de viol furent dĂ©noncĂ©s[314]. Ces atrocitĂ©s vinrent bientĂŽt Ă  la connaissance du colonel Fonseca. Longuinho nia avoir envoyĂ© des enfants ou des innocents Ă  la capitale, mais seulement ceux qui avaient trempĂ© dans la sĂ©dition ou qui avaient Ă©tĂ© reconnus coupables de vol et de meurtre ; ces prisonniers Ă©taient coupables et par consĂ©quent « il n’y avait pas lieu de leur donner la moindre considĂ©ration ». Du reste, les accusations de forfaiture ne concernaient pas que les seuls soldats, mais aussi les forces de police et la Garde nationale. C’est assurĂ©ment dans la ParaĂ­ba que, parmi toutes les provinces concernĂ©es, la rĂ©pression fut la plus sanglante[315].

La troisiĂšme semaine de janvier, le commissaire de police en chef, qui en avait terminĂ© avec les inculpĂ©s Ă  IngĂĄ, se dĂ©plaça Ă  Campina Grande, puis Ă  Alagoa Nova, Alagoa Grande, et enfin Ă  IndĂ©pendĂȘncia (actuelle Guarabira), oĂč, Ă  la fin fĂ©vrier, il avait achevĂ© de passer en jugement l’ensemble des suspects[316].

Lorsqu’il s’agit, pour le corps expĂ©ditionnaire, d’enquĂȘter pour dĂ©couvrir les meneurs, il leur fallut constater que non seulement il n’y avait pas eu de chef global du mouvement, mais encore que les meneurs improvisĂ©s, tels que JoĂŁo Carga d’Agua, Ă©taient difficiles Ă  saisir et que le mouvement, en raison de cette absence de chef, ne pourrait pas ĂȘtre jugulĂ© rapidement ni rĂ©primĂ© Ă  peu de frais. Paradoxalement donc, cette rĂ©volte, de par son caractĂšre relativement peu violent et son absence de coordination, suscita une violente rĂ©pression de la part des autoritĂ©s, jusqu’à ce que, vers fĂ©vrier, les jacqueries commencĂšrent Ă  s’éteindre. Les meneurs furent tous Ă©crouĂ©s et mis en jugement, et les autres participants, non dĂ©signĂ©s comme meneurs, furent immatriculĂ©s dans l’armĂ©e[317].

Dans le Pernambouc

Henrique Pereira de Lucena, président de la province du Pernambouc au moment du Quebra-Quilos. Il tendit à nier que les taxations excessives fussent à l'origine de l'insurrection, préférant imputer celle-ci aux intrigues politiques et à des mobiles religieux.

Dans le Pernambouc, la rĂ©pression des soulĂšvements se passa d’une maniĂšre totalement diffĂ©rente de la rĂ©pression exercĂ©e dans la ParaĂ­ba, principalement en raison de l’absence d’une force expĂ©ditionnaire ; en effet, si le prĂ©sident Lucena sollicita bien l’aide de Rio de Janeiro, et si celle-ci arriva effectivement, ce fut sous la forme de troupes de ligne, non d’un corps expĂ©ditionnaire. Au contraire d’un tel corps, ces troupes de ligne, s’ajoutant aux gardes nationaux rappelĂ©s et Ă  une mobilisation intensive des forces de police, dut se contenter de rĂ©primer cette insurrection de façon sporadique, et renoncer Ă  organiser une rĂ©pression concertĂ©e de grande envergure. Ainsi, Pernambouc rĂ©agit au coup par coup et combattit chaque soulĂšvement individuel sĂ©parĂ©ment[317].

La province rejeta la faute sur la ParaĂ­ba, allĂ©guant que beaucoup des Ă©meutiers provenaient de cette province voisine. Lucena avait d’ailleurs envoyĂ© un renfort de 45 hommes de troupe pour assister son collĂšgue de la ParaĂ­ba, Carneiro da Cunha. Mais peu aprĂšs, le soulĂšvement s’était propagĂ© dans le Pernambouc, oĂč, tout comme dans la ParaĂ­ba, les autoritĂ©s se trouvĂšrent bientĂŽt dĂ©bordĂ©es par les contestataires, et dĂ©pourvues de forces armĂ©es suffisantes pour les contenir.

À ItambĂ©, les citoyens « paisibles » implorĂšrent l’aide des autoritĂ©s, Ă  dĂ©faut de quoi ils seraient les suivants Ă  ĂȘtre attaquĂ©s, et faisaient valoir que « si une force respectable ne venait pas ici immĂ©diatement, il se produira des choses terribles ». Nonobstant que Lucena eĂ»t sans tarder envoyĂ© des troupes pour soutenir la bourgade, celles-ci se rĂ©vĂ©lĂšrent insuffisantes, et maints habitants avaient commencĂ© Ă  abandonner leurs maisons et Ă  rechercher refuge dans les environs[318]. Lucena dĂ©pĂȘcha des troupes, Ă  la fois par terre et par mer, et ordonna l’arrestation de tous ceux reconnus coupables d’avoir menĂ© une rĂ©volte. DĂšs l’arrivĂ©e de ses troupes dans telle localitĂ©, le commandant de la force publique, le capitaine Capistrano, s’employait Ă  distribuer des nouveaux poids et mesures, le commissaire de police se tenant alors Ă  l’arriĂšre avec quelques hommes de troupe afin de s’assurer du respect du nouveau systĂšme, en plus de se saisir des nombreux individus suspectĂ©s d’avoir Ă©tĂ© Ă  la tĂȘte des insurrections[319].

Bom Jardim fut attaquĂ© Ă  son tour le , de grand matin, par une soixantaine d’hommes armĂ©s, qui dĂ©foncĂšrent le bureau des impĂŽts, oĂč ils dĂ©chirĂšrent quelques papiers sans importance, avant de se retirer aussitĂŽt. Comme nombre d’autres officiels, le juge de district avait pris la fuite, et Ă©tait supplĂ©Ă© par le juge cantonal. Selon des rapports ultĂ©rieurs, il agit d’une façon telle que sa « loyautĂ© et son comportement apparaissent suspects » et que sa conduite fit l’objet d’un examen[320] - [265]. Peut-ĂȘtre Ă©tait-ce lĂ  l’une des raisons pour lesquelles beaucoup de titulaires de l’autoritĂ© prĂ©fĂ©rĂšrent s’enfuir ; il sera en effet souvent reprochĂ© Ă  ceux qui Ă©taient restĂ©s de n’avoir pas Ă©tĂ© capables de rĂ©primer les Ă©meutes efficacement[321]. On peut citer les cas du lieutenant Cleodon Pereira et du major Lelis, qui avaient rĂ©ussi Ă  empĂȘcher l’incendie du bureau d’impĂŽts par les quebra-quilos Ă  Areia, mais de qui l’autoritĂ© morale dont ils avaient fait montre en face de la foule enragĂ©e fut interprĂ©tĂ©e a posteriori comme un rĂŽle de meneur des rĂ©voltĂ©s[288]. À mentionner Ă©galement le cas du licenciĂ© en droit AntĂŽnio da Trindade Henriques, accusĂ© par Barreto de connivence avec les insurgĂ©s parce qu’il Ă©tait sorti de la comarque en compagnie du pĂšre Calixto da NĂłbrega, personnage compromis aux yeux des autoritĂ©s, et qu’il avait remis en libertĂ© l’un des plus Ă©minents chefs de quebra-quilos, AntĂŽnio Martins de Sousa[322].

Le ministre de la Guerre ordonna le que tous les chefs de la sĂ©dition fussent mis sous les verrous et les autres participants aux troubles enrĂŽlĂ©s dans l’armĂ©e (« sous rĂ©serve qu’ils fassent Ă©tat d’exemptions ») et envoyĂ©s Ă  Rio de Janeiro « Ă  la premiĂšre occasion »[323]. Chaque gros bourg ou presque, en particulier ceux limitrophes de la ParaĂ­ba, fut placĂ© sous la protection conjointe de la Garde nationale et des troupes rĂ©guliĂšres. Les appelĂ©s de la Garde nationale avaient en gĂ©nĂ©ral plus de sympathie envers les Ă©meutiers que les autoritĂ©s gouvernementales[324].

Dans la mesure du possible, il fut fait appel aux citoyens loyaux pour aider Ă  combattre les Ă©meutes. À NazarĂ©, le baron de TracunhaĂ©m, grand propriĂ©taire terrien dans le Pernambouc, avait armĂ© une centaine d’hommes et formĂ© ainsi sa milice personnelle contre les quebra-quilos, parallĂšle Ă  la force publique ; il s’adressa Ă  Lucena pour lui offrir ses services et proposer d'emmener des groupes de citoyens volontaires contre les agitateurs. Lucena accepta l’offre et lui fit parvenir armes et munitions, lesquelles furent remises aux citoyens dĂ©sireux de se porter au secours des autoritĂ©s[325] - [279]. Il se trouva aussi un grand nombre de propriĂ©taires fonciers disposĂ©s Ă  prĂȘter volontairement leurs mĂ©tayers et ouvriers agricoles (moradores et agregados) pour que ceux-ci fussent employĂ©s Ă  la rĂ©pression[25].

Le prĂ©sident Lucena dĂ©pĂȘcha autant de troupes qu’il lui semblait possible, mais en ayant soin de maintenir en permanence quatre centaines d’hommes pour protĂ©ger la capitale Recife. Aussi presque tous les bourgs de l’intĂ©rieur rendirent-ils grĂące Ă  Lucena, par la voix des dĂ©putĂ©s et commissaires de police, et un millier au moins de gardes nationaux rĂ©pondirent Ă  l’appel pour soutenir les quelque cinq cents policiers Ă©parpillĂ©s dans la province[326]. Le juge de district de Caruaru, par exemple, fut reconnaissant des 50 hommes de troupe que Lucena lui avait envoyĂ©s le , mais, affirma-t-il en mĂȘme temps, le public Ă©tait encore en Ă©tat d’agitation et des Ă©meutiers menaçaient toujours d’envahir sa ville, ce pourquoi il sollicitait un fort supplĂ©ment de soldats[327]. ConfrontĂ© Ă  toutes ces demandes d’aide, Lucena se tourna vers la Bahia, la province la plus proche et Ă©pargnĂ©e jusque-lĂ  par la rĂ©volte de Quebra-Quilos, laquelle province dĂ©pĂȘcha en rĂ©ponse un demi-bataillon[328].

À Bonito, le , des Ă©meutiers « attaquaient par portes et fenĂȘtres » pour mettre la main sur les archives municipales. Lucena avait dĂ©jĂ  envoyĂ© un certain nombre de soldats vers cette ville, qui rĂ©ussirent Ă  repousser les Ă©meutiers, toutefois non sans violences graves, au cours desquelles un soldat fut griĂšvement blessĂ© Ă  la tĂȘte par un projectile[329]. Des troupes supplĂ©mentaires furent alors promptement envoyĂ©es qui, avec le commissaire de police et le procureur de district, s’efforcĂšrent de rĂ©tablir l’ordre et d’apprĂ©hender les responsables, notamment par des arrestations opĂ©rĂ©es nuitamment, ce qui eut pour effet d’exacerber la rĂ©sistance[330].

Les autoritĂ©s locales, auparavant confrontĂ©es Ă  des Ă©meutes qu’ils Ă©chouĂšrent Ă  endiguer, s’appuyaient Ă  prĂ©sent sur les soldats nouvellement arrivĂ©s pour convaincre les paysans de payer Ă  nouveau leurs taxes— ainsi p.ex. sur le marchĂ© de Capoeiras, oĂč une vingtaine de soldats tentaient, usant de la menace et de la force, d’amener les vendeurs Ă  recommencer Ă  payer leurs taxes[331].

Le , le procureur de NazarĂ© communiqua que toutes les arrestations avaient Ă©tĂ© accomplies et que l’on Ă©tait prĂȘt maintenant Ă  lancer les procĂ©dures judiciaires. La semaine suivante, cette bourgade avait ses deux prisons remplies de condamnĂ©s, tous vouĂ©s Ă  l’immatriculation dans les forces armĂ©es. Le lendemain eut lieu l’une des derniĂšres flambĂ©es de Quebra-Quilos : alors qu’une foule nombreuse — 4 000 personnes selon le chef de dĂ©tachement — attendaient le dĂ©but de la messe, un groupe de 400 Ă  500 Ă©meutiers surgit et attaqua le juge de district, qui, n’ayant que quatre soldats pour le protĂ©ger ce jour-lĂ , fut forcĂ© de se retirer sans combattre[332].

Une fois que les troubles eurent cessĂ©, les recherches pour dĂ©pister les meneurs s’intensifiĂšrent. La quasi-totalitĂ© des arrestations eurent lieu au milieu de la nuit. Les 2, 3, 4 et , le capitaine du dĂ©tachement volant, AntĂŽnio Raimundo Lins Caldas, faisait irruption dans les maisons et perquisitionnait Ă  la recherche de ceux accusĂ©s de participation aux Ă©meutes. Cependant, les paysans Ă©taient maintenant dĂ©terminĂ©s Ă  rĂ©sister ; le , Antonio JosĂ© de Andrade, commissaire de police du district de Floresta, fut informĂ© de ce que beaucoup d’habitants de son district s’étaient conseillĂ© mutuellement de se munir, Ă  l’instar des Ă©meutiers, de fusils, de poudre et de cartouches pour se protĂ©ger contre la troupe. Le gouvernement, affirmaient-ils, essayait de se dĂ©barrasser de la religion, de capturer les gens, d’affranchir le reste des esclaves, et de s’emparer de tout leur bĂ©tail[333]. Des points de peuplement, comme Itapissuma, furent occupĂ©s par la troupe, et le journal A Provincia se plaignit le que les soldats jetaient tout le monde en prison Ă  VitĂłria, y compris des enfants de sept ans, mĂȘme si ces derniers fussent promptement relĂąchĂ©s[334]. Par suite de tĂ©moignages sur les soldats violant les filles Ă  Caruaru, la bourgade fut bientĂŽt vidĂ©e de ses habitants[335].

En janvier, le gouvernement avait Ă©tĂ© Ă  mĂȘme de requĂ©rir gardes nationaux et soldats de ligne en nombre suffisant, et d’armer assez de citoyens loyaux que pour Ă©touffer l’insurrection. Le gouvernement pernamboucais, bien qu’il ne mĂźt pas en place un dispositif centralisĂ© de rĂ©pression comme ce fut le cas dans la ParaĂ­ba, fut nĂ©anmoins en mesure de juguler les agitations, Ă  telle enseigne qu’à la mi-, les rapports des officiels sur place faisaient de plus en plus souvent Ă©tat d’une action rĂ©ussie, d’une reprise de la collecte effective des taxes, et de la rĂ©instauration du systĂšme mĂ©trique. Les arrestations cependant se poursuivirent tout au long de janvier et de fĂ©vrier, les prisonniers ne cessant de se dĂ©verser dans les villes Ă  partir des localitĂ©s circonvoisines et de remplir les prisons. Ces dĂ©tenus Ă©taient ensuite soit inculpĂ©s et mis en jugement, soit envoyĂ©s Ă  la capitale de province pour y ĂȘtre enrĂŽlĂ©s dans l’armĂ©e.

Enfin, on commença Ă  dissoudre les dĂ©tachements de la Garde nationale, et le , les effectifs restants reçurent leur congĂ©, tandis que l’un des derniers contingents de prisonniers attendaient leur transfert vers la capitale provinciale[336].

Il y a lieu d’évoquer le cas particulier de Goiana. En 1872 dĂ©jĂ , cette ville fut secouĂ©e, le , par des agitations plus ou moins graves contre des commerçants portugais et italiens. Une pasquinade de l’époque relevait que dans la ville rĂ©sidaient 49 Portugais et plus de 20 Italiens, dont la plupart Ă©taient mariĂ©s Ă  des BrĂ©siliennes. À l’occasion des premiĂšres flambĂ©es d’agitation de Quebra-Quilos dans la ville, les commerçants portugais furent les victimes prĂ©fĂ©rentielles, comme en informa le juge Francisco Teixeira de SĂĄ au prĂ©sident de province. Les Ă©vĂ©nements de Goiana illustrent l’étiologie variĂ©e et complexe du Quebra-Quilos, Ă©tiologie prenant en l’espĂšce la forme d’une rĂ©action de petits producteurs et vendeurs, de forains et du petit peuple contre le monopole des commerçants Ă©trangers, en particulier des Portugais, lesquels en rĂšgle gĂ©nĂ©rale ne s’adonnaient pas Ă  l’agriculture, dont quelques-uns Ă©taient patron sucrier, et dont les revenus Ă©taient liĂ©s Ă  la pratique jugĂ©e facile de l’acheter et du vendre, en gros et en dĂ©tail[337].

En Alagoas

En Alagoas, la rĂ©volte de Quebra-Quilos prĂ©senta les particularitĂ©s suivantes. D’abord, les troubles commencĂšrent plus tard en Alagoas que dans le Pernambouc voisin, oĂč ils n’avaient commencĂ© qu’aprĂšs ceux dans la ParaĂ­ba. Le prĂ©sident JoĂŁo Vieira de AraĂșjo, prĂ©sident provincial d’Alagoas, imputera d’ailleurs Ă  la ParaĂ­ba et au Pernambouc ainsi qu’au Rio Grande do Norte l’apparition des Ă©meutes dans sa province[338]. DeuxiĂšmement, les soulĂšvements en Alagoas ne furent ni aussi intenses, ni aussi localisĂ©es que dans la ParaĂ­ba ou le Pernambouc, de sorte que les troubles en Alagoas tiennent davantage d’une agitation que d’une rĂ©volte ou d’une insurrection. TroisiĂšmement enfin, attendu que les agitations de Quebra-Quilos furent moins vives, la rĂ©pression fut beaucoup moins dure et intense que dans chacune des autres provinces concernĂ©es[339].

Des troubles et des soulĂšvements commencĂšrent Ă  voir le jour en Alagoas dans la troisiĂšme semaine de , portant le prĂ©sident provincial AraĂșjo Ă  envoyer des renforts militaires dans l’intĂ©rieur pour Ă©craser toute vellĂ©itĂ© de rĂ©bellion. La Garde nationale mit sur pied un dĂ©tachement volant propre Ă  rĂ©primer les petits soulĂšvements.

La premiĂšre Ă©meute d’ampleur eut lieu lorsqu’un groupe de 200 personnes descendit sur la localitĂ© de MundaĂș-Mirim, en partie sous la direction du nĂ©gociant en coton AntĂŽnio Thomaz de Aquino. Ensuite, les manifestations se rĂ©pandirent Ă  travers la province entiĂšre, et le prĂ©sident AraĂșjo s’empressa de dĂ©pĂȘcher toutes les troupes Ă  sa disposition pour tenter d’étouffer l’insurrection dans l’Ɠuf. Furent ainsi mobilisĂ©s un total de 221 gardes nationaux, comprenant les 163 cantonnĂ©s dans la capitale, les 40 Ă  Imperatriz et les 18 Ă  Vila de Assembleia (actuel Riacho do Meio, quartier de Pau dos Ferros). Le prĂ©sident AraĂșjo adressa des demandes d’aide au prĂ©sident Lucena, lequel en rĂ©ponse lui envoya quelques vaisseaux pour aider Ă  protĂ©ger la capitale[340].

Le , Floriano Vieira de Mello put communiquer que la plupart des individus ayant jouĂ© un rĂŽle de premier plan dans les rares Ă©meutes survenues dans la province se trouvaient sous les verrous. La gravitĂ© moindre des soulĂšvements en Alagoas explique sans doute qu’il y eĂ»t relativement peu d’accusations d’exactions ou de cruautĂ©s commises par les forces de rĂ©pression. Les troupes se retirĂšrent bientĂŽt dans les villes, en continuant de faire prisonniers tous les habitants impliquĂ©s dans les soulĂšvements mais ayant Ă©chappĂ© aux premiĂšres vagues d’arrestations. À la mi-janvier, les agitations, pour peu importantes qu’elles eussent Ă©tĂ©, apparaissaient toutes rĂ©primĂ©es. Le , le prĂ©sident AraĂșjo put annoncer que la capitale aussi bien que « l’intĂ©rieur [Ă©taient] Ă  prĂ©sent totalement pacifiĂ©s »[341].

Tout au long du reste de ce mois de , des arrestations continuĂšrent d’avoir lieu et des procĂ©dures judiciaires d’ĂȘtre lancĂ©es. Le prĂ©sident AraĂșjo s’attacha Ă  faire incarcĂ©rer tous les acteurs clef du soulĂšvement.

En juillet, un nouveau soulĂšvement Ă©clata, mais allait ĂȘtre enrayĂ© rapidement. AraĂșjo Ă©crivit Ă  son collĂšgue Lucena pour le solliciter de dĂ©pĂȘcher en urgence au moins cinquante hommes des forces rĂ©guliĂšres pour le soutenir ; Lucena en envoya 25, qui se rĂ©vĂ©lĂšrent suffisants ; cinq insurgĂ©s furent emprisonnĂ©s[342].

Dans le Rio Grande do Norte

Le Rio Grande do Norte fut confrontĂ© Ă  des Ă©meutes de Quebra-Quilos dĂ©but , troubles qui, bien que la province soit contiguĂ« Ă  la ParaĂ­ba, ressemblaient beaucoup plus Ă  ceux d’Alagoas que du Pernambouc. Comme de juste, l’intensitĂ© de la rĂ©pression par les forces armĂ©es fut moindre que dans chacune des autres provinces touchĂ©es. Cependant, le Rio Grande do Norte allait continuer Ă  avoir affaire Ă  des protestations contre la loi de conscription, mais vers la fin de 1875, la plupart des soulĂšvements contre cette loi devaient cesser Ă  leur tour[343].

À partir des 4 et , les localitĂ©s les plus proches de la ParaĂ­ba se mirent Ă  se rebeller. Les trois premiĂšres touchĂ©es furent la ville de SĂŁo JosĂ© de Mipibu et les bourgs de Goianinha et de Canguaretama.

Le prĂ©sident de province JoĂŁo Capistrano Bandeira de Melo Filho dĂ©pĂȘcha sur les lieux tous les soldats dont il disposait, Ă  la fois pour rĂ©primer les Ă©meutes et prĂ©venir l’avĂšnement d’autres au dĂ©part de la ParaĂ­ba[344], et accrut le nombre de gardes nationaux dans la capitale Ă  60 hommes ; en outre, et bien que n’eĂ»t requis du CearĂĄ voisin que 10 soldats de ligne, 32 de ces soldats ainsi que deux enseignes lui furent envoyĂ©s en renfort. Mais Ă  cette date, le , il Ă©tait trop tard dĂ©jĂ , des dizaines de villes, bourgs et villages se trouvant dĂ©jĂ  confrontĂ©s Ă  des soulĂšvements de Quebra-Quilos. Le prĂ©sident Mello Filho concentra ses forces sur le rĂ©tablissement de l’ordre et la mise sous Ă©crou des meneurs, et les autoritĂ©s entreprirent de faire de nombreuses arrestations et d’enrĂŽler dans l’armĂ©e tous ceux incapables de justifier sur-le-champ d’une exemption lĂ©gale[345]. Vers le Rio Grande do Norte fut transfĂ©rĂ© Ă  partir du MaranhĂŁo, par le vaisseau Werneck, le 5e bataillon d’infanterie, comprenant six officiers et cent hommes, et au dĂ©part de Rio de Janeiro fut expĂ©diĂ© un lot de « fusils filetĂ©s de 14,8 avec baĂŻonnettes adaptĂ©es et leurs Ă©tuis, bandouliĂšres, crans de sĂ©curitĂ© et autres accessoires »[263].

Le commissaire en chef de la police Luis Ignacio de Mello Barretto, escortĂ© de gardes nationaux, parcourut la province, procĂ©dant Ă  des arrestations et s’efforçant de juguler les rĂ©bellions. Dans chaque bourg qu’il traversait, il chercha contact avec les « bons citoyens » et tĂącha de les convaincre d’aider les autoritĂ©s. Il commença ensuite ses arrestations, envoyant se faire enrĂŽler tous ceux qui « lui semblaient valoir d’ĂȘtre recrutĂ©s dans l’armĂ©e »[346].

Le prĂ©sident Mello Filho dĂ©pĂȘcha vers l’intĂ©rieur toutes les troupes disponibles — soixante hommes vers Santana do Matos et soixante vers Jardim —, crĂ©a entre les 20 et des dĂ©tachements volants pour patrouiller les campagnes, et Ă©leva le nombre total de gardes nationaux Ă  100, mesures grĂące auxquelles il rĂ©ussit, au moins temporairement, Ă  mettre fin aux troubles dans les campagnes. Toutefois, se plaignait-il, beaucoup continuent de refuser de payer leurs taxes ou de se servir du nouveau systĂšme mĂ©trique. Il mit sur pied en outre deux corps expĂ©ditionnaires principaux, composĂ©s chacun de 45 soldats et d’un officier, et ayant pour consigne de pourchasser les bandes armĂ©es, dont il Ă©tait signalĂ© qu’ils sillonnaient les campagnes, de les apprĂ©hender, et de les remettre aux autoritĂ©s de police pour interrogatoire ; une fois qu’ils auraient tous Ă©tĂ© interrogĂ©s, les chefs devaient passer en jugement devant les autoritĂ©s judiciaires, tandis que tous les autres devaient ĂȘtre enrĂŽlĂ©s dans l’armĂ©e sous rĂ©serve qu’ils eussent une dispense lĂ©gale[347].

Le , le prĂ©sident Mello Filho estima la rĂ©volte largement rĂ©primĂ©e, Ă  telle enseigne qu’il donna ordre de diminuer de moitiĂ© les effectifs mobilisĂ©s de la Garde nationale, rĂ©duisant ainsi le nombre d’hommes Ă  50[348].

Persistance des protestations contre la loi militaire

Les Ă©meutes contre la loi militaire persistĂšrent jusque bien avant dans l’annĂ©e 1875. Le 1er aoĂ»t de cette annĂ©e, dans le bourg de Goianinha, dans le Rio Grande do Norte, 200 hommes et femmes, armĂ©s de fusils, de gourdins et de coutelas, arrachĂšrent des murailles les listes recensant les citoyens destinĂ©s au service militaire et dĂ©truisirent les listes d’électeurs apposĂ©s sur les murs de l’église. Dans la journĂ©e du , Ă  Canguaretama, lorsque la commission paroissiale rĂ©unie dĂ©buta ses travaux, un groupe d’environ 400 personnes, hommes et femmes, emmenĂ©s par AntĂŽnio HilĂĄrio Pereira, fit irruption dans le local oĂč se tenait la rĂ©union et menaça de tuer le juge cantonal et tous les membres de la commission d’enrĂŽlement, si la loi de conscription, qu’ils appelaient « loi pour asservir le peuple », Ă©tait mise Ă  exĂ©cution dans la paroisse. ÉpouvantĂ©s, les membres de la commission ajournĂšrent la rĂ©union, et le lendemain le sous-lieutenant Ferreira de Oliveira, Ă  la tĂȘte d’environ 60 soldats, accomplit la mission qui lui avait Ă©tĂ© confiĂ©e Ă  la suite de la dissolution de la commission paroissiale : il apprĂ©henda AntĂŽnio HilĂĄrio Pereira ainsi qu’une quarantaine de sĂ©ditieux. Pereira et ses hommes cependant ne se laissĂšrent pas faire prisonniers sans rĂ©sistance. Quatre des soldats du sous-lieutenant Oliveira furent blessĂ©s. L’incarcĂ©ration de Pereira toutefois n’eut pas l'effet d’interrompre l’agitation. PrĂ©voyant de nouveaux conflits, le juge cantonal requit la prĂ©sence immĂ©diate dans sa comarque du capitaine JoĂŁo Paulo Martins Naninguer, commandant des forces en opĂ©ration dans les comarques de Canguaretama, SĂŁo JosĂ© et Goianinha. Il s’ensuivit alors une rĂ©pression militaro-policiĂšre redoublĂ©e. Les tentatives de raisonner la foule ne furent d’aucun effet. Une charge Ă  la baĂŻonnette, qui fut alors ordonnĂ©e, blessa plusieurs sĂ©ditieux et permit l’emprisonnement immĂ©diat de dix-neuf hommes[349]. Le mĂȘme type d’incident s’étant reproduit plusieurs autres fois ce mĂȘme mois, notamment le , de nouveau Ă  Goianinha, le commissaire en chef supplĂ©ant de la police, affectĂ© alors Ă  Canguaretama, fut envoyĂ© dans le bourg rĂ©fractaire pour y rĂ©tablir l’ordre. Le nouveau prĂ©sident de province, le Dr JosĂ© Bernardo GalvĂŁo Alcoforado Junior, en poste depuis , dĂ©pĂȘcha 23 soldats supplĂ©mentaires en renfort des sept dĂ©jĂ  prĂ©sent Ă  Goianinha, vingt Ă  Papary, et neuf Ă  Aviz pour appuyer les neuf dĂ©jĂ  sur place. À Canguaretama, alors que les effectifs assignĂ©s Ă  cette localitĂ© y avaient dĂ©jĂ  installĂ© leurs quartiers, un groupe de 300 personnes s’approcha de la bourgade. L’enseigne Moreira fit ouvrir le feu sur eux, ce qui provoqua la mort de deux hommes et de trois femmes, en regard des trois hommes seulement parmi la troupe Ă  ĂȘtre blessĂ©s « lĂ©gĂšrement ». Entre-temps, le prĂ©sident de la province du Rio Grande do Norte avait fixĂ© le comme la nouvelle date Ă  laquelle la commission d’immatriculation devait reprendre ses activitĂ©s, et donna ordre aux autoritĂ©s de police de se procurer de nouvelles listes de recrutement[350]. Cependant, dans une lettre qu’il envoya au ministre de la Justice, il laissa percer des doutes qu’il pĂ»t jamais faire appliquer cette loi[351].

Il y eut des incidents semblables dans la ville de SĂŁo JosĂ© de Mipibu et dans la localitĂ© de VĂĄrzea, toutes deux Ă©galement sises dans le Rio Grande do Norte ; lĂ  aussi, des groupes d’hommes et de femmes armĂ©s de gourdins, de faux, de pistolets, de fusils, etc. se rassemblaient dans les mĂȘmes intentions. Le prĂȘtre JoĂŁo JerĂłnimo et le lieutenant-colonel Antonio Bento tentĂšrent de persuader ces gens de renoncer « pour l’amour de Dieu » et de rentrer chez eux. L’émeute dĂ©gĂ©nĂ©ra, sans que le dĂ©roulement des Ă©vĂ©nements soit tout Ă  fait clair. Le groupe, dĂ©crit comme comptant Ă  ce moment-lĂ  300 personnes, fut attaquĂ© par les forces gouvernementales ; lorsque des coups de feu furent tirĂ©s sur les soldats, une fusillade Ă©clata, tuant deux hommes, en blessant griĂšvement deux autres, blessant trois femmes, et blessant lĂ©gĂšrement trois soldats. L’état d’agitation cependant persista dans le bourg, les paysans en effet ne voulant pas permettre les enrĂŽlements de se poursuivre, et se promettant de rĂ©sister aux soldats[352].

Il est difficile de ne pas voir dans le rejet violent de la conscription par les populations du Rio Grande do Norte un effet tardif de la mĂ©canique contestataire des quebra-quilos. En tout Ă©tat de cause, les tensions ainsi crĂ©Ă©es mettaient le gouvernement provincial en grave difficultĂ©[353]. Tout de mĂȘme, en septembre, les soulĂšvements contre la loi de conscription apparaissaient avoir finalement cessĂ© dans la province[354].

En Alagoas, si les paysans se rĂ©signĂšrent, Ă  l’extinction de leur rĂ©volte, Ă  payer leurs taxes et acceptĂšrent finalement d’utiliser le systĂšme mĂ©trique, ils refusĂšrent en revanche de permettre Ă  la nouvelle rĂ©glementation sur le service militaire de continuer Ă  s’appliquer. Le , trois centaines d’individus armĂ©s, hommes et femmes, attaquĂšrent la localitĂ© de Porto Real do ColĂ©gio, situĂ© dans le district de Penedo, en Alagoas, dans le dessein d’empĂȘcher l’exĂ©cution de la loi de conscription[355]. En accord avec cette loi, un avis devait ĂȘtre placardĂ© dans un lieu public (d’ordinaire Ă  la porte de l’église), visible pour tous ; dans la localitĂ© susnommĂ©e, le greffier du juge de paix, chargĂ© de placarder le dĂ©cret, fut cernĂ© et agressĂ© par ce groupe de 300 personnes, qui se mit aussitĂŽt Ă  arracher l’affiche. Le groupe se rendit ensuite au domicile du juge de paix, Francisco Ferreira de Carvalho Patriota, et lui enjoignit de « leur remettre la loi de tirage au sort » (lei de sorteio), seuls documents dont, selon ses dires, il disposait se rapportant Ă  cette loi. La rĂ©bellion se rĂ©pandit ensuite dans les districts de SalomĂ© et d’Igreja Nova, oĂč les habitants, censĂ©s communiquer le nom de ceux de leurs enfants qui Ă©taient visĂ©s par la loi Ă  l’inspecteur de quartier — personnage non salariĂ©, chargĂ© de transmettre ensuite ces noms au commissaire de police —, s’y refusaient. Le prĂ©sident de province dĂ©pĂȘcha un contingent de cinquante soldats de ligne, et ordonna au procureur cantonal de les accompagner avec le chef de la police jusqu’à la localitĂ© de Porto Real de ColĂȘgio. L’expĂ©dition cependant fut un Ă©chec ; quoiqu’il eĂ»t Ă©tĂ© ordonnĂ© d’apprĂ©hender les meneurs, seuls trois parmi plusieurs furent effectivement Ă©crouĂ©s et il ne put se trouver que six tĂ©moins[356].

À Panelas, dans le Pernambouc, des affiches apposĂ©es sur le bureau des impĂŽts furent tachĂ©es de sang par des groupes de personnes qui, Ă©tant analphabĂštes, les confondirent avec des listes de recrutement[357]. À SĂŁo Bento, la contestation fut mieux organisĂ©e ; ne se contentant pas de lacĂ©rer les placards, les protestataires remplacĂšrent celles-ci par une proclamation imprimĂ©e, qui n’est malheureusement pas parvenue jusqu’à nous, incitant la population non seulement Ă  ne pas donner de noms, mais encore Ă  s’opposer Ă  l’exĂ©cution de la loi de conscription[358].

Le bourg de Garanhuns fut abandonnĂ© par la population Ă  la suite des troubles. Dans son rapport, le prĂ©sident de province, dĂ©peignant l’ambiance politico-sociale de la ville sous des couleurs dramatiques, indiqua que « les affiches furent dĂ©chirĂ©es, des rumeurs circulaient selon lesquelles la commission serait dispersĂ©e Ă  coups de feu, au cas oĂč elle se rĂ©unirait. La terreur, qui Ă©tait gĂ©nĂ©rale, s’empara des habitants du bourg au point que celui-ci demeura quasi dĂ©sert, les hommes ruraux qui auraient pu par leur prestige aider efficacement les autoritĂ©s ayant eux aussi abandonnĂ© le bourg et Ă©migrĂ© vers d’autres lieux ». À la demande du juge, le sous-commissaire de Palmeirina, avec soixante hommes armĂ©s, fit mouvement vers Garanhuns pour restaurer l’ordre dans la ville semi-dĂ©serte. La commission de recrutement nĂ©anmoins prĂ©fĂ©ra prudemment ajourner ses travaux. À Triunfo, parallĂšlement aux entraves opposĂ©es par la population unie contre l’exĂ©cution de la loi, l’on usa d’un subterfuge commode et singulier pour Ă©chapper Ă  la conscription : le mariage. Le juge de la comarque se plaignait de ne pouvoir constituer de listes, et estimait qu’il ne pourrait procĂ©der au recrutement que s’il pouvait y inclure les hommes mariĂ©s, car dans les seuls deux derniers mois avaient Ă©tĂ© conclus plus de deux cents mariages d’hommes de 19 Ă  30 ans[359].

CabrobĂł connut des incidents plus graves. La commission de recrutement, rĂ©unie dans l’église paroissiale, fut agressĂ©e par un groupe de gens armĂ©s de bĂątons et de couteaux, emmenĂ©s par Lino da Costa AraĂșjo, qui se saisit de tous les papiers qui s’y trouvaient. Lors du combat qui s’ensuivit, l’un des assaillants trouva la mort. AussitĂŽt, le gouvernement de Pernambouc dĂ©pĂȘcha vers Penedo (Alagoas), par un vaisseau de la Companhia Pernambucana, vingt soldats de ligne, sous le commandement d’un officier « d’entiĂšre confiance », avec l’instruction de se joindre Ă  Paracatu Ă  la force dĂ©tachĂ©e lĂ -bas, et de faire mouvement Ă  partir de lĂ  sur Leopoldina, Boa Vista, Ouricuri et Exu, et de rester dans ces villes tout le temps nĂ©cessaire pour que les commissions respectives pussent y accomplir leurs travaux[359].

Les jacqueries et attaques contre les commissions paroissiales de recrutement se rĂ©pandirent dans les autres provinces nordestines, notamment dans la ParaĂ­ba (Ă  Alagoa Grande, Alagoa Nova, IngĂĄ, Campina Grande et Pilar), dans la Bahia (Ă  Camamu), et dans le CearĂĄ (Ă  Acarape, Limoeiro, QuixadĂĄ, Boa Viagem, BaturitĂ© et Saboeiro). Les Ă©pisodes de la ParaĂ­ba se rĂ©pĂ©tĂšrent dans la province du CearĂĄ, sans doute avec une gravitĂ© moindre, mais avec une caractĂ©ristique curieuse : ce furent les femmes qui s’opposaient violemment Ă  la conscription, dĂ©chirant les listes et insultant les membres des commissions. Les violences les plus graves eurent lieu dans le bourg d’Acarape, dans le CearĂĄ, oĂč non seulement des femmes, mais aussi une cinquantaine de « fauteurs de dĂ©sordre », armĂ©s de gourdins et de faux, s’en prirent Ă  la force publique, dĂ©clenchant un Ăąpre combat qui dura environ une demi-heure, coĂ»ta la vie Ă  l’un des assaillants et blessa griĂšvement plusieurs personnes[360].

MĂȘme dans le centre-sud du pays, les Ă©meutes contre le service militaire trouvĂšrent un Ă©cho favorable, et des contestations, y compris ouvertes, contre la loi de conscription eurent lieu dans les provinces de Rio de Janeiro, des Minas Gerais et de SĂŁo Paulo, notamment dans les districts de Franca, Batatais et Caconde[361]. Ces Ă©meutes avaient des implications majeures, et il serait erronĂ© de les considĂ©rer seulement comme une phase tardive ou un dĂ©doublement de la rĂ©volte de Quebra-Quilos. Certaines rĂ©gions du sud, plongĂ©es dans le mĂȘme climat d’insatisfaction sociale qui caractĂ©risait la mutation que traversait alors le BrĂ©sil, Ă  la veille de l’Abolition et de la RĂ©publique, connurent, isolĂ©ment, des rĂ©actions contre le gouvernement et ses institutions[362]. Il y eut une forte agitation Ă  Serro, dans le Minas gerais, oĂč, sous de grandes clameurs, les sĂ©ditieux dĂ©chiquetĂšrent les papiers d’enrĂŽlement affichĂ©s Ă  la porte de l’église, tout en flĂ©trissant la loi de tirage au sort et en lançant des vivats Ă  la souverainetĂ© et Ă  la religion catholique[363]. À Ponte Nova et Ă  Rio Turvo, les femmes mineiras dĂ©ployĂšrent lors des troubles une intense activitĂ©. Dans la premiĂšre localitĂ©, elles ont pu peut-ĂȘtre compter sur une certaine complicitĂ©, ou pour le moins, sur la sympathie du juge de paix, et sur l’hostilitĂ© dĂ©clarĂ©e du procureur. Le juge municipal manda d’interpeller le curĂ©, convaincu que celui-ci participait Ă  la subversion. La population de Ponte Nova cependant ne pardonna pas Ă  son procureur et bouta le feu Ă  sa maison.

À Cabo Verde, Ă©galement dans le Minas Gerais, une bande de 200 personnes, quasiment tous Ă  cheval et armĂ©s de laniĂšres, de fusils et de coutelas, se rendirent en ville en rangs serrĂ©s et s’arrĂȘtĂšrent devant le domicile du citoyen Theodoro Candido de Vasconcellos, sous-commissaire de police et membre de la commission de recrutement militaire. LĂ , ils criĂšrent Ă  l’unisson : « qu’on nous remette les listes, nous voulons les dĂ©chirer ». Le sous-commissaire, avisant le grand nombre d’hommes et comprenant que toute rĂ©sistance Ă©tait vaine, sortit et fut bientĂŽt cernĂ© par les sĂ©ditieux, qui le conduisirent par les rues du bourg jusqu’à la maison du secrĂ©taire de la commission, oĂč se trouvaient les documents et les registres de conscription. Il en fut fait un bĂ»cher en face de l’église paroissiale. C’étaient des gens connus, et le juge n’eut dĂšs lors aucune peine Ă  connaĂźtre le nom des meneurs[364].

L’application de la loi militaire semblait ainsi vouĂ©e Ă  Ă©chouer.

Quebra-Quilos et rĂ©volte d’esclaves Ă  Campina Grande

Contexte

Au moment oĂč Ă©clatait la rĂ©volte de Quebra-Quilos, l’esclavage Ă©tait dĂ©jĂ  une institution en dĂ©liquescence au BrĂ©sil[365]. Elle subissait les contrecoups des Ă©vĂ©nements extĂ©rieurs, d’abord de l’interdiction de la traite nĂ©griĂšre, imposĂ©e par l’Angleterre, puis de l’abolition de l'esclavage dĂ©cidĂ©e dans un nombre grandissant de pays. Sur le plan intĂ©rieur, la guerre du Paraguay, ou la fin de celle-ci, apparaĂźt comme un moment charniĂšre ; jusque-lĂ , le problĂšme de l’esclavage avait pu ĂȘtre Ă©ludĂ© par la mobilisation et l’effort de guerre, mais ensuite dĂ©buta une pĂ©riode de vifs dĂ©bats entre esclavocrates, politiciens, juristes, esclaves, affranchis, etc., qui contribua Ă  dĂ©lĂ©gitimer plus avant encore cette institution. Certains dans les Ă©lites propriĂ©taires redoutaient que la discussion publique Ă  ce sujet ne parvĂźnt aux oreilles des esclaves et pĂ»t se transformer en actions politiques et se traduire par un renforcement de la rĂ©sistance, pouvant conduire en particulier Ă  des soulĂšvements collectifs[366].

Les Ă©vĂ©nements de Quebra-Quilos furent presque concomitants avec la discussion Ă  l’assemblĂ©e de la loi dite du Ventre libre (Lei do Ventre Livre) et avec sa subsĂ©quente approbation. Les Ă©lites et les autoritĂ©s constituĂ©es mettaient tout en Ɠuvre pour entraver la divulgation de lois qui, directement ou indirectement, avaient pour vocation de rĂ©glementer la vie en captivitĂ©, compte tenu que les esclaves avaient pris la « mauvaise habitude » de les interprĂ©ter Ă  leur maniĂšre. Presque toujours en effet, les esclaves s’ingĂ©niaient Ă  y trouver pour eux-mĂȘmes davantage que ce que disposait la lettre de la loi[367]. Ce n’est pas un hasard si Ă  partir de 1871 l’on enregistra une hausse significative des actions en justice intentĂ©es par les esclaves contre leur maĂźtre en vue de leur propre affranchissement. Dans ces procĂšs, les esclaves s’appuyaient sur les motifs les plus divers : mauvais traitements, possession d’un pĂ©cule permettant l’affranchissement, dĂ©faut d’enregistrement au matricule de 1872, mise en esclavage illĂ©gale, etc., autant de situations prĂ©vues par la loi et susceptibles de justifier une action en justice[368].

On peut formuler l’hypothĂšse que certains esclaves de Campina Grande se lancĂšrent dans le mouvement des quebra-quilos en rĂ©action Ă  une dĂ©tĂ©rioration de leurs conditions de vie. Devant la grave crise de l’économie locale, en particulier du secteur cotonnier, les propriĂ©taires tentaient de faire face par une intensification de l’exploitation des travailleurs pauvres libres et des esclaves, impliquant, pour ces derniers, un allongement de la journĂ©e de travail, une augmentation des chĂątiments physiques, une rĂ©duction de la libertĂ© de mouvement, etc. ParallĂšlement s’élaborait une lĂ©gislation draconienne contre le vagabondage, tandis qu’on assistait Ă  une augmentation significative de la criminalitĂ© (en particulier celle imputable Ă  des esclaves) dans la municipalitĂ© de Campina Grande[369]. S’y ajoutait Ă  cette Ă©poque un intense trafic d’esclaves interprovincial : les esclaves locaux Ă©taient horrifiĂ©s Ă  l’idĂ©e qu’ils pussent ĂȘtre quelque jour vendus Ă  un domaine cafĂ©ier de SĂŁo Paulo, de Rio de Janeiro ou de Minas Gerais, les esclaves ayant construit sur place dans la ParaĂ­ba, au long des dĂ©cennies, au sein du systĂšme esclavagiste, des espaces de survie auxquels ils Ă©taient habituĂ©s[370].

Dans cette conjoncture de transformations Ă©conomiques et sociales, la population esclave de Campina Grande s’amenuisait d’annĂ©e en annĂ©e. En 1850, la commune comptait 3 446 esclaves, nombre qui en 1872 Ă©tait tombĂ© Ă  1 105. L’une des raisons principales de cette chute Ă©tait le transfert d’esclaves vers d’autres rĂ©gions. Peut-ĂȘtre les esclaves voulurent-ils mettre Ă  profit la situation de crise du Quebra-Quilos pour tenter de conjurer la menace de devoir un jour, selon le bon vouloir de leur maĂźtre, quitter leur milieu familier. Ce n’est peut-ĂȘtre pas une coĂŻncidence que dans les annĂ©es qui suivirent immĂ©diatement l’insurrection, la population des esclaves de Campina Grande tendit Ă  se stabiliser et que le flux d’esclaves transfĂ©rĂ©s vers d’autres rĂ©gions s’interrompit pour quelque temps[371] - [372].

En tout Ă©tat de cause, il apparaĂźt malaisĂ© de dresser un parallĂšle entre la rĂ©volte de Quebra-Quilos Ă  proprement parler, en tant que soulĂšvement prĂ©-politique et primitif, et les rĂ©voltes noires. Quebra-Quilos n’était pas une rĂ©bellion d’esclaves, mais en Ă©tait au contraire une d’hommes libres. Parmi les quebra-quilos figuraient certes des noirs et des mulĂątres, mais la libertĂ©, acquise de façon si dĂ©sordonnĂ©e par la destruction d’archives administratives, en sera tout au plus une consĂ©quence plutĂŽt que d'en avoir Ă©tĂ© le mobile[373].

Prélude à la révolte

Il convient d’évoquer un Ă©pisode apparemment anodin, mais qui prend une signification particuliĂšre Ă  la lumiĂšre des Ă©vĂ©nements de 1874. Dans la soirĂ©e du , plusieurs esclaves appartenant Ă  des propriĂ©taires de la localitĂ© de Fagundes, dans le canton de Campina Grande, se rĂ©unirent, au terme d’une rude journĂ©e de travail, dans la case d’un d’entre eux et se mirent Ă  y boire de l’eau-de-vie. Peu aprĂšs se joignirent Ă  eux des personnes libres et s’adonnĂšrent Ă©galement aux libations, qu’égayaient en outre la prĂ©sence d’instruments de musique et des chants. À un moment, quelqu’un eut l’idĂ©e de proposer aux prĂ©sents de lancer « quelques vivats » contre l’esclavage et la monarchie, Ă  quoi consentit la majoritĂ©[374]. À l’aube du jour suivant, alors que la rĂ©union se poursuivait, le sous-commissaire de police de Fagundes, le capitaine JosĂ© Constantino Cavalcanti de Albuquerque, rĂ©solut de se rendre sur les lieux dans l’intention de mettre un terme Ă  la petite fĂȘte des esclaves. Mis au courant de cette descente de police, l'esclave Vicente et ses compagnons se mirent Ă  crier que nul ne pourrait les disperser, mieux : ils promirent de se rĂ©unir Ă  nouveau le samedi suivant pour lancer d’autres « vivats », en mettant au dĂ©fi le sous-commissaire de venir les en empĂȘcher, ce qui, mĂȘme s’ils ne devaient pas mettre Ă  exĂ©cution leur dessein, montre bien l’audace de ces esclaves. À l’issue de l’enquĂȘte policiĂšre et des interrogatoires, le sous-commissaire manda chercher les quatre rĂ©calcitrants et ordonna de les mener « dans une salle servant de prison dans la localitĂ© de Fagundes pour 24 heures ». Le lendemain, il les fit remettre « Ă  leurs maĂźtres, adressant Ă  ceux-ci une sĂ©rieuse mise en garde quant Ă  la persistance de pareils abus de la part de leurs esclaves ». Le commissaire de police du chef-lieu de canton Campina Grande, ayant fini par avoir eu connaissance de l’affaire, la jugea suffisamment grave pour mener une instruction Ă  son tour. Cependant, l’affaire en resta lĂ . L’esprit de rĂ©volte qui se manifesta fin 1874 semble donc avoir dĂ©jĂ  Ă©tĂ© prĂ©sent chez les esclaves campinenses plusieurs annĂ©es auparavant[375].

DĂ©roulement

Il y eut un dĂ©calage de plus d’un mois entre le dĂ©but de la rĂ©volte de Quebra-Quilos, le , et l’entrĂ©e en scĂšne des esclaves, le . Le signal du soulĂšvement fut donnĂ© lorsqu’un groupe d’esclaves se dirigea vers un domaine agricole nommĂ© TimbaĂșba. À la suite de l’assaut donnĂ© par les quebra-quilos Ă  la prison de Campina Grande, la ville s’était vidĂ©e de ses notables et demeura acĂ©phale pendant un certain temps, la plupart des personnalitĂ©s locales ayant prĂ©fĂ©rĂ© se rĂ©fugier dans leurs propriĂ©tĂ©s respectives des campagnes environnantes. Ce fut le cas notamment du prĂ©sident de la chambre municipale, le libĂ©ral Bento Gomes Pereira Luna, qui rejoignit sa parentĂšle dans la propriĂ©tĂ© de sa famille, le domaine sucrier TimbaĂșba. Outre Bento Luna s’y rĂ©fugiĂšrent Ă©galement le tabellion, le rĂ©dacteur du bureau des impĂŽts, le secrĂ©taire et le procureur de la chambre municipale[376].

Les esclaves virent sans doute dans ces incidents l’occasion de leur affranchissement. Selon une version, les bĂątiments du domaine agricole Timbauba, distant de deux lieues (environ 13 km) de cette ville, furent encerclĂ©s par un groupe de trente Ă  quarante esclaves, tous armĂ©s, qui avaient rĂ©pondu Ă  l’appel du noir Manuel (ou Manoel) do Carmo ; dans ces bĂątiments se trouvait le gĂ©rant avec sa famille, qui dut promettre aux esclaves de leur remettre le livre de la libertĂ© et fut forcĂ© dans ce but de se rendre en ville, sous la surveillance notamment du redoutĂ© Firmino, esclave aux antĂ©cĂ©dents criminels, propriĂ©tĂ© d’Alexandrino Cavalcanti de Albuquerque, prĂȘt Ă  tirer sur quiconque tenterait d’échapper ; arrivĂ©s en ville, ils se saisirent du livre de classification d’esclaves et l’apportĂšrent au curĂ© Calixto da NĂłbrega pour qu’il le leur lĂ»t, celui-ci ayant en effet toute leur confiance. Le curĂ© leur dĂ©clara alors qu’il n’existait aucun livre contre leur libertĂ©[377]. Un autre rĂ©cit du mĂȘme incident[378] indique que le nĂšgre Manuel do Carmo lança le cri de la rĂ©volte et amena plus de trois cents esclaves Ă  le suivre au corps de logis de l’exploitation sucriĂšre TimbaĂșba, oĂč se tenait le prĂ©sident du conseil municipal, Bento Gomes Pereira, et oĂč s’engagea bientĂŽt une vive discussion entre les deux parties : d’un cĂŽtĂ©, les esclaves qui, sur un ton menaçant, armĂ©s de gourdins, de faux et de quelques armes Ă  feu, affirmaient ĂȘtre libres Ă  partir de ce moment et exigeaient donc les « papiers de la libertĂ© », et de l’autre, les autoritĂ©s Ă©pouvantĂ©es, cherchant Ă  gagner du temps et prĂ©tendant n’ĂȘtre pas habilitĂ©es Ă  dĂ©cider de l’affranchissement de leurs interlocuteurs[379]. Les rebelles dirent Ă  Bento Gomes Pereira qu’ils voulaient le « livre de l’émancipation oĂč Ă©taient inscrits les nouveaux jeunes esclaves », et reçurent, prĂ©tendument en rĂ©ponse Ă  cet ordre, un livre quelconque ; aucun d’eux ne sachant lire, on croyait pouvoir les berner facilement. Lorsqu’ils s’aperçurent de la supercherie, les esclaves contraignirent tout le monde Ă  quitter la propriĂ©tĂ© et Ă  retourner dans la ville de Campina Grande, non sans avoir au prĂ©alable dĂ»ment ligotĂ© leurs otages, soumettant ainsi leurs maĂźtres au mĂȘme traitement que ceux-ci avaient coutume de leur faire subir. Ainsi les reprĂ©sentants de l’autoritĂ© furent-ils attachĂ©s un Ă  un sur les flancs des chevaux. Les tĂ©moignages s’accordent pour indiquer que les Noirs Ă©taient fort agitĂ©s et invectivaient et insultaient leurs prisonniers, en plus de menacer de tirer sur quiconque tenterait de fuir. À leur arrivĂ©e en ville, les plus de trois cents esclaves proclamĂšrent leur propre mot d’ordre de « vive la libertĂ© » et firent mouvement vers la rĂ©sidence du procureur de la chambre municipale pour s’emparer du livre d’émancipation des esclaves. Entretemps, un nouveau contingent d’esclaves, dirigĂ©s par l’affranchi Benedicto, Ă©tait venu grossir les rangs des insurgĂ©s. Tous ensemble, et toujours accompagnĂ©s de leurs prisonniers, ils se rendirent au domicile du curĂ© Calixto da NĂłbrega, qui leur expliqua que ces personnes n’avaient pas pu leur donner la libertĂ©. Les esclaves demandĂšrent au prĂȘtre le « livre de baptĂȘme des enfants esclaves libres »[380]. Le curĂ© cependant s’efforça d’apaiser les esprits, affirmant que ce n’était point lĂ  la meilleure maniĂšre d’obtenir la libertĂ©, et leur conseillant de retourner au domaine de leurs maĂźtres. Il ne semble pas pourtant que les esclaves aient baissĂ© la tĂȘte, car ils s’en allĂšrent en direction du bourg d’Alagoa Nova, distant de quelques kilomĂštres de Campina Grande, pour y rejoindre d’autres esclaves qui les attendaient[381].

Il y a lieu de relever l’attitude ambiguĂ« du curĂ© Da NĂłbrega dans cette affaire. Son engagement dans la problĂ©matique esclavagiste allait encore le poursuivre dans les annĂ©es suivantes. En plus de prononcer, Ă  l’apogĂ©e de la question religieuse, ses prĂȘches habituels contre la franc-maçonnerie et le gouvernement athĂ©e de Pedro II, le curĂ© de Campina fut Ă©galement accusĂ© lors de l’enquĂȘte relative Ă  la sĂ©dition du Quebra-Quilos d’avoir tenu, du haut de sa chaire, les propos suivants : « Esclaves, affranchissez-vous du joug de vos maĂźtres, s’il se trouve que le pĂšre, le mari ou le seigneur est un franc-maçon »[382]. À prĂ©sent, et Ă  la faveur de la convulsion sociale dans laquelle la ville se trouvait plongĂ©e, les esclaves cherchaient dans les paroles du curĂ© une lĂ©gitimation de leurs actions pour leur libĂ©ration personnelle. Mais dĂšs que les Noirs mirent en pratique ces paroles, le rĂ©vĂ©rend pĂšre s’appliqua alors Ă  les amadouer et se fit l’intransigeant dĂ©fenseur de l’ordre esclavagiste. Au lieu de leur apporter son appui, il s’employa Ă  les persuader de se disperser, allĂ©guant que ce n’est pas par la rĂ©bellion qu’ils rĂ©ussiraient Ă  se libĂ©rer du joug de leurs maĂźtres. Ces tentatives de les raisonner demeurĂšrent toutefois sans effet, car les Noirs, comme nous l’avons vu, poursuivirent leur soulĂšvement et s’en allĂšrent rejoindre un autre groupe d’esclaves rĂ©voltĂ©s Ă  Alagoa Nova, en vue de nouveaux assauts[383].

L’exigence exprimĂ©e par les rĂ©voltĂ©s au domicile du curĂ© de se voir remettre le livre de baptĂȘme s’explique par la rĂ©cente entrĂ©e en vigueur de la loi du Ventre libre. Pour quelques artisans de cette loi, celle-ci devait agir comme un rempart propre Ă  contrarier la mobilisation en cours contre l’esclavage, et de fait, la loi fut manipulĂ©e Ă  grande Ă©chelle par les propriĂ©taires d’esclaves et par des fonctionnaires civils et ecclĂ©siastiques peu scrupuleux, au point d’aboutir Ă  de vĂ©ritables farces dans un certain nombre de cas[383]. Ainsi p.ex. les propriĂ©taires, restĂ©s en dĂ©pit de la crise de l’esclavage fortement attachĂ©s Ă  cette institution, eurent-ils recours Ă  l’expĂ©dient de falsifier la date de naissance des enfants esclaves ; une historienne trouva dans la province de Pernambouc voisine plusieurs exemples d’enfants enregistrĂ©s illĂ©galement par leurs maĂźtres, et couverts par le tampon de validation de curĂ©s et de fonctionnaires du gouvernement[384].

Malheureusement pour les propriĂ©taires d’esclaves, les registres qui, dans la nouvelle situation lĂ©gislative, attestaient, ou non, de la possession lĂ©gale d’esclaves (c’est-Ă -dire les livres de matricule et de classification, et les registres de naissance et de dĂ©cĂšs d’enfants esclaves), furent en partie dĂ©truits Ă  Campina Grande pendant les troubles ; certains maĂźtres eurent par la suite des difficultĂ©s Ă  prouver qu’ils Ă©taient les propriĂ©taires lĂ©gitimes de leurs esclaves. Quant Ă  ces derniers, il y a des Ă©lĂ©ments indiquant qu’ils surent tirer parti de cette situation nouvelle pour accĂ©der captieusement Ă  la libertĂ©[385].

Il existe des indices laissant Ă  penser que des contacts prĂ©alables avaient Ă©tĂ© Ă©tablis entre les esclaves demeurant dans les cases de la propriĂ©tĂ© de TimbaĂșba et les meneurs de la rĂ©bellion. Des liens de parentĂ© et d’amitiĂ© ont certainement facilitĂ© les intelligences. Le choix de cette propriĂ©tĂ© ne fut sans doute pas fortuit : les insurgĂ©s devaient savoir que lĂ  se tenaient les personnages clefs nĂ©cessaires Ă  la rĂ©alisation de leur objectif, Ă  savoir le prĂ©sident et le secrĂ©taire de la chambre municipale, ainsi que le directeur du bureau des impĂŽts, gardien Ă  ce titre des tant convoitĂ©s papiers relatifs Ă  la libertĂ©[386].

Les sources divergent quant au nombre d’esclaves ayant pris part au soulĂšvement de Campina Grande. Un tĂ©moin direct, le procureur de la chambre municipale, assura que ce nombre se situait entre trente et quarante — estimation basse sans doute, car peut-ĂȘtre son dĂ©compte ne couvrait-il que le groupe qui cerna le domaine TimbaĂșba. À l’autre extrĂȘme, on dispose des donnĂ©es fournies par un chroniqueur local, qui affirma que « les esclaves s’attroupĂšrent jusqu’à former un effectif de presque quatre cents » ; cependant, cet auteur n’indique pas sa source. L’on peut postuler toutefois que le nombre des esclaves insurgĂ©s dut dĂ©passer la centaine, si l’on additionne les trois groupes distincts qui s’engagĂšrent dans l’insurrection dans l’une ou l’autre de ses phases, chacun de ces groupes comptant au moins trente Ă  quarante rebelles[387].

Meneurs

Plusieurs chefs rebelles peuvent ĂȘtre identifiĂ©s, en premier lieu le dĂ©jĂ  mentionnĂ© Firmino, esclave marron particuliĂšrement redoutĂ© par les patrons et les autoritĂ©s policiĂšres de la rĂ©gion. Son premier propriĂ©taire Ă©tait DamiĂŁo Delgado, rĂ©sident d’un hameau proche de Campina Grande. La vie de Firmino fut bouleversĂ©e lorsque, jeune encore, il fut vendu Ă  son deuxiĂšme maĂźtre, Alexandrino Cavalcante de Albuquerque, et donc forcĂ© de s’éloigner de sa parentĂšle et de ses amis, pour aller travailler dorĂ©navant dans une grande plantation de coton. Ce nonobstant, il allait visiter de temps Ă  autre sa famille, en particulier Manoel do Carmo, son frĂšre. Sa vie prit cependant un nouveau tournant aprĂšs que son nouveau maĂźtre eut dĂ©cidĂ© en de le vendre Ă  un acquĂ©reur hors de la province, faisant appel, pour rĂ©gler la transaction, Ă  la mĂ©diation d’un certain Antonio Freire de Andrade, agriculteur et nĂ©gociant, chargĂ© en l’occurrence de vendre, en Ă©change d’une commission, deux esclaves, dont Firmino, vers la province de Pernambouc voisine, ce qui anĂ©antirait toute possibilitĂ© de contact entre Firmino et sa famille. Du reste, cette intention de vente prit par surprise les deux esclaves, qui n’en avaient Ă  aucun moment Ă©tĂ© informĂ©s, probablement parce que le propriĂ©taire voulait prĂ©venir tout rĂ©action indĂ©sirable, telle qu’une fugue ou un acte de violence. Ayant pris conscience de ce qui les attendait, les deux esclaves machinĂšrent la mort du commissionnaire, et le , Firmino l’attaqua et le blessa de deux coups d’un petit couteau, aprĂšs quoi le duo rĂ©ussit Ă  disparaĂźtre dans la garrigue proche. La victime en rĂ©chappa, mais lors du procĂšs, l’esclave Antonio, capturĂ© entre-temps, plaidant n’avoir jouĂ© qu’un rĂŽle secondaire, fut condamnĂ© Ă  une peine de cent coups de fouet et Ă  porter un carcan durant six ans, tandis que Firmino se mua en hors-la-loi[388]. Fin , Firmino fut impliquĂ© dans un autre crime retentissant, dont la victime succomba peu de jours aprĂšs, mais non sans avoir eu le temps de dĂ©clarer avant de mourir Ă  ses familiers et voisins que derriĂšre l’attentat se cachait Manoel Pereira de AraĂșjo, agissant, selon divers tĂ©moignages, Ă  l’instigation d’Arthur Cavalcante de Albuquerque, neveu d’Alexandrino Cavalcante, le maĂźtre de Firmino, sur fond de diffĂ©rend personnel Ă  propos d’accusations de vol de bĂ©tail et d’une affaire sentimentale — en d’autres termes, Firmino se serait fait homme de main de son ancien maĂźtre. Toutefois, Firmino lui-mĂȘme aurait dĂ©clarĂ© Ă  quelqu’un qu’il avait agressĂ© la victime parce que celle-ci l’espionnait pour le compte de la police[389]. Tout au long de ses annĂ©es comme fugitif, oĂč il vĂ©cut dissimulĂ© dans les maquis et les montagnes autour de Campina Grande, Firmino reprĂ©senta une vĂ©ritable terreur pour les responsables de l’ordre public. Il est possible qu’il ait jouĂ© depuis la mi-1872 un rĂŽle fondamental Ă  convaincre ses compagnons esclaves et Ă  coordonner leur lutte pour la libertĂ©. Dans cet intervalle de temps, il acquit de l’expĂ©rience dans l’usage des armes Ă  feu, eut le loisir de reconnaĂźtre le terrain oĂč Ă  prĂ©sent il se dĂ©plaçait avec dĂ©sinvolture, et surtout ne perdit pas le contact avec les esclaves des cases, mettant en place un ample rĂ©seau souterrain de solidaritĂ© et de complicitĂ©. Si pour les classes dominantes locales, il incarnait la terreur, pour ses compagnons de destin il figurait comme modĂšle de hardiesse et comme stratĂšge qui sut mettre Ă  profit un moment historique, oĂč seigneurs et autoritĂ©s se trouvaient acculĂ©s et n’avaient plus guĂšre les moyens de dĂ©fendre l’ordre public alors menacĂ© par d’autres pĂ©rils[390].

Un deuxiĂšme meneur identifiable Ă©tait Manoel do Carmo, frĂšre du premier, et, de mĂȘme que celui-ci, impliquĂ© dans des crimes de sang. Les deux Ă©taient nĂ©s et avaient grandi sur le mĂȘme domaine seigneurial. La premiĂšre vente de Firmino ne les sĂ©para pas, puisqu’ils continuĂšrent Ă  se rendre des visites. Devenus hors-la-loi, ils allĂšrent grossir les rangs d’un groupe de noirs que la documentation de l’époque nomme « negros do mato » (litt. nĂšgres des broussailles), contre-pied rebelle de la sinistre figure du capitĂŁo-do-mato (chasseur de primes se chargeant de capturer contre argent les nĂšgres marrons), et de qui tout laisse supposer qu’il s’agissait d’esclaves Ă©chappĂ©s des domaines agricoles environnants, qui pĂ©riodiquement faisaient de petites incursions dans les propriĂ©tĂ©s et dans les auberges locales, et qui au moment du soulĂšvement se joignirent aux rebelles[391].

Un autre personnage dont le nom fut liĂ© au mouvement Ă©tait le noir affranchi Benedicto JosĂ© Domingues de Figueiredo, qui devait avoir en 1874 dans les 27 ans et vivait de son mĂ©tier de cordonnier. Il conquit son statut d’affranchi au prix de grands efforts et de force tractations avec son ancien maĂźtre. Il connut ensuite, comme maints autres anciens esclaves brĂ©siliens du XIXe siĂšcle, l’expĂ©rience typique et hautement contradictoire de ceux vivant Ă  mi-chemin entre esclavage et libertĂ© : en effet, mĂȘme aprĂšs l'affranchissement, les blancs continuaient d’exiger d’eux obĂ©issance, travail et humilitĂ©. De surcroĂźt, la plupart de ses proches et connaissances Ă©taient maintenus en Ă©tat d’esclavage, en particulier sa propre femme, qu’il hĂ©bergeait dans sa maison en mĂȘme temps que sa mĂšre, affranchie comme lui, et qui restait propriĂ©tĂ© de Bento Gomes Pereira Luna, soit l’un de ceux justement que les insurgĂ©s devaient faire prisonniers lors de la rĂ©volte. Peut-ĂȘtre vit-il dans cette ambiance de dĂ©sordres diffus et de dislocation sociale l’occasion d’arracher la libertĂ© non seulement pour son Ă©pouse, mais aussi pour d’autres esclaves. Le type d’occupation professionnelle a sans doute constituĂ© un facteur important dans la planification et l’exĂ©cution du mouvement d’insurrection, dans la mesure oĂč il a pu agir dans la ville de Campina Grande comme agent de liaison entre les diffĂ©rents groupes d’esclaves des propriĂ©tĂ©s rurales de la municipalitĂ©. Dans la documentation, il apparaĂźt en effet comme le principal agitateur du groupe qui, Ă  l’arrivĂ©e en ville des captifs du domaine TimbaĂșba, vint prestement s’associer au mouvement de rĂ©volte. Fait singulier, dans la phase de rĂ©pression du Quebra-Quilos, Benedicto put tirer profit du feu croisĂ© de paroles et d’intĂ©rĂȘts qui suivit les turbulences et mit aux prises le juge cantonal et le commissaire de police sur fond de divergences politiques et de conflit d’autoritĂ©, aboutissant quelques jours plus tard Ă  sa remise en libertĂ©[392].

RĂ©pression

C’est au sus-Ă©voquĂ© coronel Alexandrino Cavalcante de Albuquerque qu’il revint d’organiser les forces de la rĂ©pression. À cela, ce patron de domaine avait de bonnes raisons, notamment le fait que neuf de ses propres esclaves avaient intĂ©grĂ© les effectifs du mouvement rebelle, y compris le noir Firmino. Dans son empressement Ă  sauvegarder ses intĂ©rĂȘts et ceux de sa classe, il eut recours Ă  un expĂ©dient inusitĂ© : il constitua une milice privĂ©e[393], en y enrĂŽlant des groupes de quebra-quilos, laquelle troupe, de concert avec les forces lĂ©gales sous les ordres du commissaire de police local, se mit Ă  la chasse des insurgĂ©s noirs. Prenant peur, les esclaves se dĂ©bandĂšrent et, sans pratiquer de dĂ©sordres ni de dĂ©prĂ©dations, s’éparpillĂšrent par petits groupes dans le sertĂŁo[394]. La plupart des rebelles furent probablement capturĂ©s, tandis que d’autres ont pu trouver le moyen de fuir pour quelque temps. Aussi les esclaves furent-ils, quoiqu’ayant Ă©tĂ© les derniers Ă  entrer en scĂšne, les premiers Ă  subir les effets de la rĂ©pression contre le Quebra-Quilos. En , lorsque les forces militaires dĂ©pĂȘchĂ©es par le pouvoir central et commandĂ©es par le colonel Severiano da Fonseca arrivĂšrent sur place, le sort du mouvement Ă©tait dĂ©jĂ  scellĂ©[395].

Ce qui contribua Ă  l’efficacitĂ© de la rĂ©pression fut la circonstance que les intĂ©rĂȘts esclavagistes Ă©taient encore suffisamment dĂ©terminants que pour fĂ©dĂ©rer sous une mĂȘme banniĂšre grands, petits et moyens propriĂ©taires. À Campina Grande, tout de mĂȘme que dans les autres municipalitĂ©s du BrĂ©sil esclavagiste, la structure de la dĂ©tention d’esclaves Ă©tait suffisamment Ă©lastique et diversifiĂ©e que pour obtenir ce front uni, le propriĂ©taire local typique Ă©tant en effet un maĂźtre possĂ©dant de un Ă  quatre esclaves. La plupart de ces petits propriĂ©taires d’esclaves dĂ©pendaient directement du travail de leurs rares esclaves pour survivre, a fortiori par temps de crise Ă©conomique et sociale. Nombre d’entre eux qui avait initialement adhĂ©rĂ© au mouvement Quebra-Quilos voyaient Ă  prĂ©sent avec prĂ©occupation et Ă©pouvante l’entrĂ©e en action des esclaves, lesquels avaient saisi Ă  la volĂ©e, sans y ĂȘtre conviĂ©, l’occasion offerte par les manifestations populaires du Quebra-Quilos environ un mois aprĂšs leur dĂ©clenchement[396].

Les esclaves se rĂ©voltĂšrent contre les effets pour eux nĂ©fastes induits par la rĂ©organisation des activitĂ©s Ă©conomiques locales, spĂ©cialement l’introduction de la culture du coton. Ils protestĂšrent en outre contre le trafic interprovincial des esclaves, prĂ©judiciable Ă  leur vie sociale et Ă  celle de leur famille et compagnons d’infortune. Avant tout, ils luttĂšrent pour prĂ©server, Ă©tendre ou conquĂ©rir leur libertĂ©, en particulier Ă  travers les possibilitĂ©s ouvertes par la loi dite du Ventre libre de 1871[397].

Interprétation

Le mouvement Quebra-Quilos n’avait pas d’organisation durable et l’idĂ©ologie des insurgĂ©s Ă©tait vague et imprĂ©cise. Les positions dirigeantes y Ă©taient Ă©phĂ©mĂšres, tandis que le banditisme social surbroda de violences passagĂšres la rĂ©bellion d’hommes et de femmes ordinairement pacifiques, rĂ©signĂ©s et pour ainsi dire sans revendications. De nature archaĂŻque, apparaissant souvent comme une sĂ©dition prĂ©-politique, le mouvement Quebra-Quilos ne saurait ĂȘtre mis en corrĂ©lation avec les idĂ©es rĂ©publicaines et abolitionnistes qui agitĂšrent le BrĂ©sil dans les derniĂšres dĂ©cennies du XIXe siĂšcle. Ses revendications en faveur de l’abolition, si tant est qu’elles existaient, furent timides, et trĂšs confuses ses exigences de protection sociale[398].

Dans plusieurs villes, le Quebra-Quilos n’atteint pas le stade de la sĂ©dition et ne dĂ©passe souvent mĂȘme pas le niveau de l’émeute. Si ce terme d’émeute, Ă©lastique et polyvalent, s’applique dans la plupart des cas Ă  des mouvements prĂ©-politiques urbains, la circonstance particuliĂšre que les groupes de quebra-quilos, agriculteurs en leur grande majoritĂ©, vivaient Ă  la pĂ©riphĂ©rie des villes ou des bourgs et que les Ă©vĂ©nements marquants de leur action se produisirent lors de foires, dans les Ă©glises et dans les bureaux administratifs, c’est-Ă -dire dans les centres Ă©conomiques et sociaux de communautĂ©s urbaines prĂ©-industrielles, cette circonstance donc dĂ©termina que la subversion de l’ordre Ă©tabli se situait prĂ©cisĂ©ment Ă  ce niveau. Les soulĂšvements des quebra-quilos, considĂ©rĂ©s dans toute leur pluralitĂ©, en tenant compte de leur distribution variĂ©e en un grand nombre d'endroits diffĂ©rents, pourraient ĂȘtre Ă©tiquetĂ©s comme rĂ©formistes, mais seulement de maniĂšre restreinte. Rarement les campagnards qui prirent part Ă  l’agitation envisageaient-ils l’édification d’une sociĂ©tĂ© nouvelle. Ce qu’ils rĂ©clamaient, dans leur univers mental et politique limitĂ©, Ă©tait la correction de ce qui leur paraissait des anormalitĂ©s et des injustices du vieil ordre traditionnel[399]. Mouvement typiquement prĂ©-politique, le Quebra-Quilos ne s’en prit jamais Ă  l’Empereur, rĂ©putĂ© toujours trĂšs distant et responsable de façon seulement indirecte des injustices sociales de son temps[216].

À l’inverse, l’appui ouvert apportĂ© par des personnes influentes interdit de retenir cette simplification historique consistant Ă  considĂ©rer les sĂ©ditieux de 1874 comme de simples bandits, voleurs, assassins, tous unis par la totale ignorance des avantages de l’application d’un nouveau systĂšme de poids et mesures. Le Nordeste en effet connaĂźt plusieurs exemples de conflits dĂ©clenchĂ©s par la rivalitĂ© entre conservateurs et libĂ©raux, conflits qui Ă©voluĂšrent ensuite, par leur dynamique propre, en direction d’idĂ©es sĂ©paratistes ; il est naturel Ă©galement que l’on tente de cadrer le mouvement dans la grande et hĂ©tĂ©rogĂšne conspiration libĂ©rale-rĂ©publicaine-catholique, qui Ă©tait anti-maçonnique par esprit de contradiction, compte tenu de l’osmose historique entre Empire et francs-maçons. Il y a lieu de garder Ă  l’esprit que les rĂ©publicains se sont alliĂ©s indiffĂ©remment avec l’Église ou la franc-maçonnerie ou les deux, de la mĂȘme façon que les grands propriĂ©taires conclurent des alliances de circonstance avec les abolitionnistes, avec les militaires et avec les ennemis du militarisme[400].

On pourrait qualifier le mouvement de Quebra-Quilos de rĂ©volution mal dĂ©finie. Cette indĂ©finition provient de la peur historique des Ă©lites brĂ©siliennes face Ă  l’ochlocratie et explique la persistance, par delĂ  la singularitĂ© du mouvement, de ces caractĂ©ristiques gĂ©nĂ©rales dĂ©celĂ©es par Oliveira Viana dans chacun des soulĂšvements populaires du nord brĂ©silien, « au-dessus d’aucun desquels l’on ne voit planer l’autoritĂ© de chefs visibles reprĂ©sentant des Ă©lĂ©ments de prestige, d’élite. Les vĂ©ritables guides de ces mouvements, leurs instigateurs moraux, n’apparaissent jamais, restent dans l’ombre et laissent la populace se dĂ©fouler librement dans sa furie subversive contre la lĂ©galitĂ© et le pouvoir »[401].

Comme le fit observer l’historien AntĂŽnio Freire[402], il manque au Quebra-Quilos un Euclides da Cunha. La tragĂ©die des quebra-quilos resta relĂ©guĂ©e dans l’obscuritĂ© des Ă©pisodes historiques peu Ă©tudiĂ©s, et la complexitĂ© de sa mĂ©canique sociale dĂ©courage les travaux approfondis sur le sujet. Cependant, les quebra-quilos sont souvent des types sociaux pareils aux jagunços d’AntĂŽnio Conselheiro ; leurs motivations Ă©tant quasi les mĂȘmes, et leur façon d’apprĂ©hender les institutions remontant aux mĂȘmes prĂ©misses, il a pu ĂȘtre dit et rĂ©pĂ©tĂ©, avec plus ou moins d’assurance, que la principale cause de la rĂ©volte de Quebra-Quilos fut donc Ă©galement l’ignorance, que celle-ci fut Ă  l’origine du rejet par les populations sertanejas de la conscription militaire, qui leur paraissait inique, des impĂŽts nouveaux, et de l’instauration du systĂšme de poids et mesures basĂ© sur le systĂšme mĂ©trique dĂ©cimal français. Au demeurant, l’expression quebra-quilos n’est mĂȘme pas d’origine nordestine : elle surgit Ă  Rio de Janeiro Ă  l’occasion des turbulences urbaines de 1871, quand quelques groupes de marginaux et de dĂ©sƓuvrĂ©s se livrĂšrent Ă  des dĂ©prĂ©dations dans les maisons commerciales qui utilisaient le nouveau systĂšme de poids et mesures ; comme ils s’écriaient « Quebra os quilos! Quebra os quilos! » (Brisez les kilos !), l’expression vint Ă  dĂ©signer gĂ©nĂ©riquement tous les participants aux mouvements de contestation anti-gouvernementale, que ce soit contre l’enrĂŽlement dans l’armĂ©e, la levĂ©e d’impĂŽts ou l’adoption du systĂšme mĂ©trique dĂ©cimal. L’acte dĂ©prĂ©dataire de casser les mesures et Ă©talons du nouveau systĂšme de poids et mesures lors de foires et marchĂ©s acquit peu Ă  peu, auprĂšs des quebra-quilos, valeur de rituel propre Ă  les identifier dĂ©sormais comme tels dans les villes et bourgs nordestins. Toutefois, quelque ignorants et ingĂ©nus qu’ils fussent, ils ne se leurraient pas sur le fait que la simple destruction des kilos et des Ă©talons de volume affĂ©rents empĂȘcherait leur rĂ©introduction ultĂ©rieure. La dĂ©prĂ©dation Ă©tait comme un cĂ©rĂ©monial de solidaritĂ©, par la participation Ă  laquelle ils tissaient des liens entre eux et qui leur permettait d’acquĂ©rir de l’expĂ©rience contestataire en vue des vagues objectifs qu’ils se proposaient d’atteindre — une façon de baptĂȘme[403].

AprĂšs que les quebra-quilos eurent attaquĂ© des bourgs et hameaux de l’intĂ©rieur, les Ă©ditoriaux de la presse pernamboucaine de l’époque faisaient de constantes allusions aux violations du droit de propriĂ©tĂ©. Pourtant, des revendications sur la terre n'ont jamais Ă©tĂ© exprimĂ©es de maniĂšre bien dĂ©finie et explicite dans le mouvement Quebra-Quilos ; la propriĂ©tĂ© fonciĂšre dans le Nordeste ne fit jamais l’objet d’une forte contestation populaire, et l’idĂ©e de rĂ©forme agraire s’entendait toujours comme un simple processus de modification des techniques agricoles, comme une extension du crĂ©dit rural et comme une amĂ©lioration des voies de communication. Historiquement, le systĂšme latifondiaire, totalement abouti et immuable, n’admettait pour l’heure aucune prĂ©tention de rĂ©forme autre que des transformations Ă  la marge, telle que l’émancipation des esclaves, encore qu’au prix d’une Ăąpre rĂ©sistance[404].

Le mouvement Quebra-Quilos, — qui prenait des traits diffĂ©rents dans chaque localitĂ© et procĂ©dait de raisons diverses allant de l’ignorance et du fanatisme religieux aux songes libĂ©raux de prise du pouvoir, avec toutes les gradations de nuance rĂ©publicaines, des tonalitĂ©s jĂ©suitiques, des couleurs sociales de protestation contre des impĂŽts excessifs, et des contours plus nets s’agissant de la conscription —, produisit lors des Ă©pisodes d’Alagoinha et de Cimbres l’une de ses manifestations les plus typiques. À Cimbres (actuelle Pesqueira), dans le Pernambouc, le juge veilla Ă  ce que les documents les plus importants des archives fussent placĂ©s en lieu sĂ»r, et obtint de ses amis dans les deux partis qu’ils l’aidassent Ă  Ă©viter autant que possible le « rassemblement du peuple ». Les meneurs apprĂ©hendĂ©s avaient auparavant « proclamĂ© Ă  grands cris la souverainetĂ© du peuple ». Pour le procureur cependant, ils n’étaient pas seuls, mais « Ă©taient soutenus par d’autres, comme le lieutenant-colonel Joaquim de Carvalho Cavalcanti, le major Emydio Camello Pessoa de Siqueira, et par Antonio Pessoa de Siqueira Cavalcanti, ancien percepteur de la localitĂ©, personnellement intĂ©ressĂ© Ă  la destruction du procĂšs dans lequel son nom Ă©tait citĂ© ». Dans le cadre gĂ©nĂ©ral d’une Ă©poque en crise, les cas d’Alagoinha et de Cimbres reflĂšte la prĂ©dominance des grandes familles locales soucieuses de dĂ©fendre les intĂ©rĂȘts politiques de leur milieu social, oĂč libĂ©raux et conservateurs, selon une alternance conflictuelle factice, luttaient au fond de concert pour la prĂ©servation des mĂȘmes avantages Ă©conomiques et privilĂšges. C’était l’avatar local du problĂšme social gĂ©nĂ©ral brĂ©silien tel que signalĂ© par l’historien Marc Jay Hoffnagel dans son Ă©tude du Parti libĂ©ral dans le Pernambouc : « l’acquisition et la distribution du patronage politique et administratif, plutĂŽt que la satisfaction de revendications idĂ©ologiques, constitue le principal mobile de l’activitĂ© des libĂ©raux tout au long de cette pĂ©riode ». Les slogans en faveur de la souverainetĂ© populaire, la formation d’un dĂ©tachement de 50 Indiens pauvres et analphabĂštes pour aider Ă  empĂȘcher celle-ci, les vivats au gouvernement impĂ©rial lancĂ©s par de petits commerçants et par des fonctionnaires de deuxiĂšme Ă©chelon, face aux dĂ©sirs des grands propriĂ©taires terriens qui Ă©taient redevables en tout Ă  l’Empire, composent un tableau hĂ©tĂ©roclite qui permet de prendre la mesure des contradictions des libĂ©raux et d’arriver au constat historique que le Quebra-Quilos fut une rĂ©volution incapable de se dĂ©finir par manque d’un commandement supĂ©rieur. Les quebra-quilos Ă©taient philojĂ©suites autant qu’AntĂŽnio Conselheiro plus tard sera monarchiste. Il a pu y avoir de vagues allĂ©geances idĂ©ologiques, rĂ©sultant tout au plus d’une certaine convergence d’intĂ©rĂȘts, dont d’ailleurs ni Conselheiro ni les quebra-quilos n’avaient une conscience claire[405].

Certains historiens, s’ils reconnaissent que les facteurs Ă©conomiques et sociaux mentionnĂ©s ci-haut eurent assurĂ©ment tous leur part d’influence dans le dĂ©clenchement des rĂ©voltes, jugent cependant cruciale, pour les apprĂ©hender pleinement, la prise en compte de la dimension proprement culturelle de ces Ă©vĂ©nements. Il n’y a pas lieu d’admettre l’existence d’une muraille entre le matĂ©riel et le culturel, car derriĂšre tout conflit Ă  enjeu matĂ©riel se tient nĂ©cessairement une valeur, dans chaque besoin gĂźt une conscience, une coutume de haute antiquitĂ© que l’on entend faire respecter, ou quelque expĂ©rience collective commune Ă  la population concernĂ©e. Si la communautĂ© rurale n’avait pas partagĂ© les mĂȘmes notions morales, les mĂȘmes habitudes et traditions, elle n’eĂ»t pas Ă©tĂ© capable, soulignent ces historiens, de s’agglutiner dans une insurrection ; la rĂ©volte de Quebra-Quilos Ă©clata avant tout au nom de valeurs et de coutumes, lorsque les hommes libres pauvres perçurent, Ă  travers l’imposition du systĂšme mĂ©trique, l’ingĂ©rence directe du gouvernement impĂ©rial dans leur quotidien[406]. Les insurgĂ©s rĂ©agirent « contre un gouvernement qui blessait leurs valeurs, leurs traditions, leurs coutumes sĂ©culaires, incarnĂ©es par l’Église, qui leur donnait la mesure de l’esprit, et par le systĂšme de poids, que leur donnait la mesure des choses »[407]. Il sera d’autant plus difficile pour une population donnĂ©e de renoncer Ă  son ancien systĂšme que celui-ci fait partie de sa culture, c’est-Ă -dire des « normes de comportement [
], historiquement constituĂ©es par des gĂ©nĂ©rations successives, puis assimilĂ©es et sĂ©lectionnĂ©es par la communautĂ© humaine qui les transmet de gĂ©nĂ©ration Ă  gĂ©nĂ©ration »[408]. Autrement dit, le systĂšme traditionnel de poids et mesures avait acquis une valeur symbolique dans la vie de la population, qui s’y Ă©tait adaptĂ©e et en connaissait le maniement en fonction de ses besoins, et qui voyait le passage au systĂšme mĂ©trique français comme une rupture avec ses anciennes coutumes, ses anciennes maniĂšres d’agir, en sus de la difficultĂ© technique, pour une population en majoritĂ© analphabĂšte, Ă  apprendre Ă  convertir les poids d’un systĂšme Ă  un autre. En promulguant une loi qui signifiait une fracture avec les valeurs et coutumes de la population, sans que celle-ci en eĂ»t saisi la nĂ©cessitĂ©, les raisons et les objectifs, et qui s’en mĂ©fiait, le pouvoir impĂ©rial brĂ©silien perdit une partie de sa lĂ©gitimitĂ©[409].

Des annĂ©es plus tard, la perception des rĂ©voltes de Quebra-Quilos par les Ă©lites urbaines se modifia, ce qui se traduisit notamment par le fait que les instituts d’histoire, en particulier dans la ParaĂ­ba et dans le Pernambouc, se mirent Ă  publier des articles dans leurs revues oĂč le courage et la bravoure des insurgĂ©s Ă©taient dĂ©sormais mis en exergue, et oĂč les quebra-quilos cessaient d’ĂȘtre des sauvages, des bandits, des Ă©meutiers, des vandales et des dĂ©linquants, pour devenir des exemples d’hommes tĂ©mĂ©raires et courageux luttant pour leurs droits, sans craindre la mort[410].

Sous la PremiĂšre RĂ©publique, l’on tenta, par une sĂ©rie de dĂ©crets, de rĂ©glementer le systĂšme de mesures, en particulier le dĂ©cret portant crĂ©ation d’une Commission de mĂ©trologie dans le pays. Cependant, la conversion du systĂšme de poids et mesures vers le systĂšme mĂ©trique se rĂ©vĂ©la beaucoup plus difficile que ce qui avait Ă©tĂ© imaginĂ©, et la population persistera pendant de longues annĂ©es encore Ă  recourir Ă  l’ancien systĂšme. Les rĂ©voltes de Quebra-Quilos n’auront pas Ă©tĂ© vaines, en ce sens qu’elles avaient mis en lumiĂšre les difficultĂ©s Ă©prouvĂ©es par la population majoritairement pauvre et analphabĂšte Ă  comprendre et accepter un tel systĂšme. En dĂ©pit des punitions prĂ©vues par la loi, — mais que l’on s’abstint semble-t-il de jamais mettre en application, ayant gardĂ© en mĂ©moire les anciennes rĂ©voltes, et en considĂ©ration des rĂ©sistances qu’elles avaient rĂ©vĂ©lĂ©es —, les deux systĂšmes allaient coexister encore pendant de nombreuses annĂ©es au BrĂ©sil. En effet, une enquĂȘte rĂ©alisĂ©e par l’Institut brĂ©silien de gĂ©ographie et de statistiques (IBGE) apprit qu’en 1948 des unitĂ©s de mesure non dĂ©cimales, principalement agraires, Ă©taient toujours en usage au BrĂ©sil. Il Ă©tait constatĂ© d’abord que les mesures agraires avaient entre elles un plus grand degrĂ© de concordance que les mesures de poids et de capacitĂ©, lesquelles variaient beaucoup plus d’un lieu Ă  l’autre ; ensuite, il fut mis au jour que le systĂšme dĂ©cimal Ă©tait peu utilisĂ© pour exprimer la superficie des terres, et que la substitution s’accomplissait ici avec grande lenteur. Outre la confusion qui rĂ©gnait dans tout le pays pour ce qui Ă©tait des poids et mesures, l’enquĂȘte montra Ă©galement que les unitĂ©s de mesure se distribuaient en accord avec les coutumes de chaque rĂ©gion et qu’en 1945, on comptait au BrĂ©sil 143 unitĂ©s non dĂ©cimales encore en usage[410].

Quebra-Quilos et Canudos

La tragĂ©die de Canudos est d’une certaine maniĂšre, par son Ă©tiologie, la rĂ©pĂ©tition du drame des quebra-quilos. Parmi les premiers adeptes d’AntĂŽnio Conselheiro figuraient de petits paysans qui se rebellaient contre les impĂŽts. Selon Euclides da Cunha, le premier incident en ce sens survint Ă  Bom Conselho, lors de la foire, quand AntĂŽnio Conselheiro ordonna Ă  ses adeptes d’arracher les affiches portant les avis fiscaux et d’en faire un bĂ»cher en place publique. Le refus de payer l’impĂŽt fut l’une des positions les plus dĂ©finies du Conselheiro, dans ses dĂ©buts comme chef rebelle. Il sut ainsi s’attirer la sympathie non seulement des dĂ©shĂ©ritĂ©s qui ne possĂ©daient rien mais Ă©taient nĂ©anmoins assujettis Ă  l’impĂŽt, mais aussi des petits propriĂ©taires, qui survivaient Ă  peine sur leur terre ingrate, avec leur maigre bĂ©tail et de mĂ©diocres cultures, et que le fisc ne manquait de presser d’une mĂȘme main de fer. Il n’est pas inutile de rappeler Ă  cet Ă©gard que le Conselheiro, avant de fonder sa communautĂ© sur le domaine de Canudos, dans le nord de la Bahia, avait sĂ©journĂ© dans le Pernambouc, prĂ©cisĂ©ment en 1874, et avait cĂŽtoyĂ© les sertanejos qui participaient au Quebra-Quilos ; il apparaĂźt donc lĂ©gitime d’admettre une influence de ces derniers sur l’attitude rĂ©fractaire qu’il dĂ©veloppera par la suite. Rappelons qu’en , le journal O Paiz, qui Ă©tait publiĂ© Ă  Rio de Janeiro et Ă©tait Ă  l’époque sans doute le journal Ă  la plus grande diffusion du BrĂ©sil, soulignait que le chef des jagunços « incitait le peuple Ă  ne pas payer d’impĂŽts ». Ces informations de O Paiz s’accordent avec le rapport du chef de police de la Bahia, rĂ©digĂ© aprĂšs la campagne de Canudos, qui indique « qu’ils empĂȘchent Ă  main armĂ©e la levĂ©e des impĂŽts »[411].

L’écrivain et journaliste pernamboucain Manoel BenĂ­cio, qui vivait Ă  NiterĂłi lorsque commença la guerre de Canudos et qui avait Ă©tĂ© envoyĂ© dans le sertĂŁo bahiannais comme correspondant de guerre pour le Jornal do Commercio, fit paraĂźtre aprĂšs le conflit, en 1899, un livre hybride, mi-ouvrage documentaire, mi Ɠuvre de fiction, intitulĂ© O Rei dos jagunços, dans lequel l’auteur, pour illustrer l’attitude du Conselheiro vis-Ă -vis du recouvrement des taxes municipales, Ă©voqua l’épisode suivant :

« À la foire arriva une pauvre vieille pour vendre une paillasse qu’elle Ă©tala sur le sol. Le prĂ©posĂ© aux taxes lui rĂ©clama cent rĂ©is pour la portion de terrain que la paillasse et la pauvre vieille occupaient. Celle-ci, qui estimait la valeur de la paillasse Ă  quatre-vingts rĂ©is, se rebiffa, se plaignit Ă  voix haute auprĂšs du peuple, pleurant, se lamentant. D’autres gens arrivĂšrent et tous donnaient raison Ă  la petite vieille, car comment pourrait-elle payer un tostĂŁo [100 rĂ©is] de taxe, quand tout ce qu’elle vend vaut quatre vintĂ©ns, disaient-ils ? Le Conselheiro, dans le prĂȘche qu’il tint dans la soirĂ©e fit rĂ©fĂ©rence au cas de la vieille, dĂ©clarant : “VoilĂ  bien ce qu’est la RĂ©publique : la servitude, travailler uniquement pour le gouvernement. C’est l’esclavage, annoncĂ© par les cartes [du recensement], qui commence. N’avez-vous pas vu la tante Benta [nom de la vieille], elle est religieuse et blanche ; c’est donc bien que l’esclavage ne respecte personne ? »[412]!

Quebra-Quilos dans la presse et la littérature

Les jacqueries de Quebra-Quilos inspira Ă  la presse d’alors, Ă  cĂŽtĂ© d’articles alarmistes, des quatrains facĂ©tieux d’allure populaire. La presse de Recife notamment, par inadvertance Ă  quelques occasions, intentionnellement Ă  d’autres, dĂ©ploya le rude humour populaire dans ses colonnes[413]. A Provincia, en sa qualitĂ© de journal d’opposition combattif, mitigea souvent par de l’humour ses comptes rendus des violences. Les rĂ©dacteurs, ayant l’intuition que la dĂ©rision pouvait ĂȘtre une arme efficace contre le gouvernement, firent paraĂźtre, dans les premiers jours de , un texte sarcastique dont se rĂ©gala tout Recife et dont le titre, As duas aranhas (les Deux AraignĂ©es), Ă©tait une rĂ©fĂ©rence comique Ă  l’action de deux commandants de police, Aranha Chacon, de la ParaĂ­ba, et Aranha Carneiro, du Pernambouc[414].

Quebra-quilos fit Ă©galement l’objet, par les soins du thĂ©Ăątre Santo AntĂŽnio Ă  Recife, d’une adaptation scĂ©nique burlesque, qui fut Ă  l’affiche le et comprenait une sĂ©rie de saynĂštes au titre souvent Ă  double sens[415].

En ce temps-lĂ , les paquets de cigarettes Ă©taient un support oĂč l’esprit critique pouvait s’enhardir Ă  s’exprimer tout en atteignant un large public. Les Ă©vĂ©nements les plus importants de l’époque, y compris ceux de nature politique, donnaient lieu Ă  la crĂ©ation de marques, Ă©phĂ©mĂšres ou durables, de cigarettes. Le retentissement du Quebra-quilos porta les fabricants de cigarettes Ă  lancer entre autres les marques Pega os Quebra Kilos (Attrapez les quebra-quilos) et Aos Quebra Kilos (Sus aux quebra-quilos). Pour la premiĂšre, l’on avait crĂ©Ă© une Ă©tiquette oĂč apparaissait la figure d’un homme avec barbe, bottes, casaque et chapeau haut-de-forme, tenant Ă  la main un marteau auquel s’agrippait un cobra ; Ă  l’arriĂšre-plan s’apercevaient des soldats en marche et des quebra-quilos en fuite ; dans la partie supĂ©rieure Ă  droite Ă©taient dessinĂ©s des Ă©talons de poids et mesures. L'emballage des cigarettes Aos Quebra Kilos reprĂ©sentait une figure Ă©questre au galop, dont le chapeau portait le mot Kilo. Les cigarettes d'une marque identique, mais d’un autre fabricant, montraient sur leurs paquets un homme ventripotent, portant bottes et haut-de-forme, tenant dans sa main droite un gros bĂąton et dĂ©signant de la main gauche un ensemble de poids et mesures. L'Ă©tiquette des cigarettes Pega os Quebra Kilos d’une autre firme Ă©taient illustrĂ©es d’une figure d’homme, muni de bottes et d’éperons, courant et portant dans la main gauche un Ă©talon de volume et un poids et dans la main droite un gourdin ; son visage Ă©tait marquĂ© par la terreur, et sur son gibus, qui tombait Ă  terre, se lisait le mot Kilo ; en toile de fond se battaient un quebra-quilo et un soldat, mais en une lutte inĂ©gale, car cinq autres militaires se tenaient Ă  proximitĂ©. Sur la quasi-totalitĂ© de ces Ă©tiquettes, le personnage reprĂ©sentĂ© possĂ©dait les traits caractĂ©ristiques de Henrique Pereira de Lucena, tel qu’il apparaĂźt sur les photographies, et l’idĂ©e s’impose que le personnage que les dessinateurs ont voulu mettre en scĂšne est le prĂ©sident de la province du Pernambouc[416].

Étiquette de la marque de cigarettes Aos Quebra-Kilos. Le personnage Ă  cheval figure sans doute le prĂ©sident provincial Lucena.
Étiquette de la marque de cigarettes Pega os Quebra-Kilos, Ă©galement avec un personnage dans lequel on reconnaĂźt Lucena.
Étiquette de la marque de cigarettes Pega os Quebra-Kilos, d'un autre fabricant, avec un personnage semblable au centre.

L’écrivain paraĂ­bain Ariano Suassuna Ă©crivit deux Ɠuvres de fiction inspirĂ©es de Quebra-Quilos : en 1976, un conte fantastique intitulĂ© As conchambranças de Quaderna, qui donne une vision magique de la rĂ©volte, et O rei degolado, qui met en scĂšne le personnage de Carga d’Agua[417].

Un roman historique de Rodolfo TeĂłfilo, Os Brilhantes, de 1895, traite des liens entre les quebra-quilos et le cangaceiro JesuĂ­no Brilhante[54].

En 2008, une piĂšce de thĂ©Ăątre de MĂĄrcio Marciano, intitulĂ©e Quebra-Quilos, fut reprĂ©sentĂ©e par la troupe Companhia do LatĂŁo au thĂ©Ăątre Lima Penante Ă  JoĂŁo Pessoa, dans une mise en scĂšne de l’auteur. La piĂšce, qui fonctionne sur un mode souvent comique et dans un langage dialectal, donne la parole Ă  des quebra-quilos, Ă  leurs femmes et Ă  quelques soldats qui les combattent.

Notes et références

Notes

  1. En portugais, revolta do Quebra-Quilos. En français, on trouve dans la littérature aussi la forme révolte du Quebra-Quilos (par analogie avec le portugais) ou des Quebra-Quilos. En portugais, on rencontre également, mais plus rarement, les graphies Quebra-quilos (sans majuscule à quilos) et Quebra-Kilos.
  2. Zona de mata (principalement culture de canne Ă  sucre, 5 % de la superficie, bande cĂŽtiĂšre), zona agreste (principalement Ă©levage, 5 %), sertĂŁo (Ă©levage, sisal, maĂŻs et coton, 20 % de la population).
  3. Selon Irineu JĂłfilly, tĂ©moin direct des troubles, la sĂ©dition de Quebra-Quilos n’a pas Ă©tĂ© fomentĂ©e par le clergĂ© ou, nommĂ©ment et principalement, par le missionnaire padre Ibiapina. C’est l’introduction des nouveaux impĂŽts provinciaux qui, affirme-t-il, fut la principale cause du mouvement, Ă  cĂŽtĂ© de l’ignorance d’une population pauvre et dĂ©semparĂ©e. Pour JĂłffily, les troubles auraient commencĂ© dans les montagnes du BodopitĂĄ, Ă  quatre lieues au sud de Campina Grande. Il n’indique pas exactement le premier foyer, mais la circonstance ne lui avait pas Ă©chappĂ© que les quebra-quilos n’avaient pas de chef pour les diriger. Celso Mariz, dans sa biographie du pĂšre Ibiapina, souligne qu'Ibiapina « n’attaqua jamais les institutions ni les gouvernements » (Ibiapina, um apĂłstolo do Nordeste, 1942, p. 145) ; toutefois, il convient de nuancer cette assertion de Mariz, car Ibiapina attaqua souvent la franc-maçonnerie, alors fort influente, et ne mĂ©nagea pas le gouvernement. Cf. A. Souto Maior (1978), p. 32.

Références

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  168. A. Souto Maior (1978), p. 80.
  169. K. Richardson (2008), p. 95-96.
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  173. K. Richardson (2008), p. 98.
  174. A. Souto Maior (1978), p. 91.
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  178. Rapport de Ceciliano dos Santos Barros à Lucena, 20 décembre 1874. Cité par K. Richardson (2008), p. 101.
  179. K. Richardson (2008), p. 102.
  180. Lettre de Lucena à Duarte de Azevedo du . Citée par K. Richardson (2008), p. 34.
  181. Diverses correspondances, dont lettre de Vieira de Araujo à Duarte de Azevedo du (AN). Citées par K. Richardson (2008), p. 35.
  182. S. Buarque de Holanda (1960), p. 347-348. Cité par K. Richardson (2008), p. 124.
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  200. K. Richardson (2008), p. 29.
  201. K. Richardson (2008), p. 31.
  202. Lettre de Lucena à Duarte de Azevedo du (AN). Citée par K. Richardson (2008), p. 30.
  203. Notamment rapport du baron de Tracunhãem, commissaire de police de Nazaré à Lucena du (AN). Cité par K. Richardson (2008), p. 30.
  204. R. J. Barman (1977), p. 414-415. Cité par K. Richardson (2008), p. 151.
  205. Lettre de Carneiro da Cunha à Duarte de Azevedo du (AN). Cité par K. Richardson (2008), p. 29.
  206. A. Souto Maior (1978), p. 149.
  207. Rapport de Correia de Silva à Lucena du (AN). Cité par K. Richardson (2008), p. 31.
  208. A. Souto Maior (1978), p. 144.
  209. A. Souto Maior (1978), p. 145.
  210. Lettres de Mello Filho à Lucena des 15 et (AN). Citées par K. Richardson (2008), p. 32.
  211. Cf. notamment un tĂ©lĂ©gramme du juge de district d’Atalaia Ă  Vieira de Araujo du (AN). CitĂ© par K. Richardson (2008), p. 33.
  212. Lettre de Mello Filho à Duarte de Azevedo du (AN). Citée par K. Richardson (2008), p. 157.
  213. Lettre de Carneiro da Cunha à Duarte de Azevedo du (AN). Citée par K. Richardson (2008), p. 157.
  214. Lettre de Vasconcelos à Lucena du (AN). Citée par K. Richardson (2008), p. 157.
  215. A. Souto Maior (1978), p. 36 & 41.
  216. A. Souto Maior (1978), p. 58.
  217. K. Richardson (2008), p. 11.
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  219. K. Richardson (2008), p. 12.
  220. Rapport du président de la Paraiba Silvino Elvidio Carneiro da Cunha au ministre de la Justice Manuel Antonio Duarte de Azevedo, , p. 31-32 (Archives nationales), cité par K. Richardson (2008), p. 11.
  221. K. Richardson (2008), p. 14.
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  223. Journal A Provincia, éd. du . Cité par K. Richardson (2008), p. 16.
  224. K. Richardson (2008), p. 16.
  225. K. Richardson (2008), p. 18.
  226. Lettre de Lucena à Duarte de Azevedo du (AN). Citée par K. Richardson (2008), p. 19.
  227. Selon un rapport de JoĂŁo Francisco da Silva Braga, commissaire de police d’ItambĂ©, Ă  Lucena du (AN). CitĂ©e par K. Richardson (2008), p. 20. Rapport citĂ© in extenso dans A. Souto Maior (1978), p. 101-102.
  228. Rapport de Lucena à Duarte de Azevedo du (AN). Cité par K. Richardson (2008), p. 20
  229. En 1874, les communications par terre entre Recife et ItambĂ© n’étaient pas faciles. C’est la raison pour laquelle l’envoi d’une force de 40 soldats de ligne fut accomplie par mer, jusqu’à proximitĂ© de la ville de Goiana, sur le vapeur Emperor, mis Ă  disposition gratuitement par son propriĂ©taire, cf. A. Souto Maior (1978), p. 103.
  230. Cf. notamment rapport du capitaine Pedro de Alcantara Tiberio Capistrano, commandant des troupes à Itambé, à Lucena du (AN). Citée par K. Richardson (2008), p. 20.
  231. A. Souto Maior (1978), p. 104.
  232. A. Souto Maior (1978), p. 102.
  233. K. Richardson (2008), p. 20.
  234. Rapport de Vasconcelos à Lucena du (AN). Cité par A. Souto Maior (1978), p. 106. Aussi K. Richardson (2008), p. 21.
  235. K. Richardson (2008), p. 47.
  236. K. Richardson (2008), p. 21.
  237. Lettre de Lucena à Duarte de Azevedo du (AN). Citée par K. Richardson (2008), p. 22.
  238. Rapport de Joaquim Appidio Rosa da Costa, commissaire de police de Limoeiro, à Correia de Araujo du 19 décembre 1874. Cité par A. Souto Maior (1978), p. 141. Aussi K. Richardson (2008), p. 22.
  239. Lettre de Lucena à Duarte de Azevedo du (AN). Citée par K. Richardson (2008), p. 22.
  240. A. Souto Maior (1978), p. 141.
  241. A. Souto Maior (1978), p. 124-125.
  242. Rapport de Duarte à Lucena du (AN). Cité par K. Richardson (2008), p. 22.
  243. En particulier lettre d’Antonio Victor da Silva Vieira, prĂ©sident du conseil municipal de Caruaru, Ă  Lucena du 15 dĂ©cembre 1874. CitĂ©e par K. Richardson (2008), p. 22.
  244. A. Souto Maior (1978), p. 125.
  245. Rapport de Duarte à Lucena du (AN). Cité par K. Richardson (2008), p. 23.
  246. A. Souto Maior (1978), p. 143.
  247. Lettre de João Mauricio Correia e Silva, juge des probations de Bonito, à Lucena du (AN). Citée par K. Richardson (2008), p. 23.
  248. Lettre de Duarte à Lucena du (AN). Citée par K. Richardson (2008), p. 24.
  249. K. Richardson (2008), p. 24.
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  332. Rapport de José Benedicto Bages Ramos, commandant du détachement de Triunpho, à Lucena du (AN). Cité par K. Richardson (2008), p. 179.
  333. K. Richardson (2008), p. 180.
  334. Journal A Provincia, éd. du 6 et 9 janvier 1875. Cité par K. Richardson (2008), p. 180.
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  338. Rapport de Correia de Araujo à Duarte de Azevedo du (AN). Cité par K. Richardson (2008), p. 183.
  339. K. Richardson (2008), p. 183.
  340. Journal A Provincia, éd. du 5 janvier 1875. Cité par K. Richardson (2008), p. 184.
  341. Rapport de Vieira de AraĂșjo Ă  Duarte de Azevedo du (AN). CitĂ© par K. Richardson (2008), p. 185.
  342. Rapport de Correia Gondom à Vieira de Araujo du (AN). Cité par K. Richardson (2008), p. 185-186.
  343. K. Richardson (2008), p. 186-187.
  344. Rapport de Mello Filho à Duarte de Azevedo du (AN). Cité par K. Richardson (2008), p. 187.
  345. Rapport de Mello Filho à Duarte de Azevedo du (AN). Cité par K. Richardson (2008), p. 188.
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  347. Rapports de Mello Filho à Duarte de Azevedo des 3 et (AN). Cités par K. Richardson (2008), p. 189.
  348. K. Richardson (2008), p. 190.
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  351. Rapport de Mello Filho à Duarte de Azevedo du (AN). Cité par K. Richardson (2008), p. 134.
  352. K. Richardson (2008), p. 135.
  353. A. Souto Maior (1978), p. 192.
  354. K. Richardson (2008), p. 129.
  355. Cf. entre autres lettre de Calvalcante de Albuquerque à Duarte de Azevedo du (AN). Citée par K. Richardson (2008), p. 131.
  356. K. Richardson (2008), p. 132-133.
  357. A. Souto Maior (1978), p. 185.
  358. A. Souto Maior (1978), p. 186.
  359. A. Souto Maior (1978), p. 187.
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  364. A. Souto Maior (1978), p. 191.
  365. A. Souto Maior (1978), p. 202. Sur la situation des esclaves dans le Nordeste, voir aussi l’article Negros do Norte, de Luciano Mendonça de Lima.
  366. L. Mendonça de Lima (2004), p. 168.
  367. L. Mendonça de Lima (2004), p. 174.
  368. (pt) Luciano Mendonça de Lima, A ParaĂ­ba no ImpĂ©rio e na RepĂșblica: estudos de histĂłria social e cultural (ouvrage collectif sous la direction d’Alarcon Agra do Ó), JoĂŁo Pessoa, IdĂ©ia, , 230 p. (ISBN 978-8575390894), « Uma porta estreita para a liberdade: as açÔes cĂ­veis e alguns aspectos do cotidiano escravo na Campina Grande do sĂ©culo XIX », p. 47-76. MentionnĂ© par l’auteur dans L. Mendonça de Lima (2004), p. 175.
  369. L. Mendonça de Lima (2004), p. 181.
  370. L. Mendonça de Lima (2004), p. 182.
  371. (pt) Marly de Almeida Gomes Vianna, « A estrutura de distribuição de terras no município de Campina Grande (1840/1905) », Campina Grande, Université fédérale de Paraíba (UFPB), , p. 191 (mémoire de maßtrise en économie rurale)
  372. L. Mendonça de Lima (2004), p. 182-183.
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  376. L. Mendonça de Lima (2004), p. 165.
  377. Appendice au rapport du chef de police Manuel Caldas Barreto à Silvino Elvídio Carneiro da Cunha, 23 février 1875, p. 10, cité par A. Souto Maior (1978), p. 202.
  378. Celui d’Aderbal Jurema, InsurreiçÔes negras no BrĂ©sil, Editora e Livraria Mozart, Recife 1935, p. 54 etss.
  379. L. Mendonça de Lima (2004), p. 166.
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  382. Vilma Almada, Escravismo e transição: o Espírito Santo (1850/1888), Rio de Janeiro, Graal, 1984, p. 169-172 Cité par L. Mendonça de Lima (2004), p. 178.
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  392. L. Mendonça de Lima (2004), p. 192-193.
  393. Sous le commandement de Belarmino Ferreira da Silva, grand propriétaire foncier de Cacimbas, selon A. Souto Maior (1978), p. 202.
  394. A. Souto Maior (1978), p. 202.
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  398. A. Souto Maior (1978), p. 3.
  399. A. Souto Maior (1978), p. 4.
  400. A. Souto Maior (1978), p. 44. En ce qui concerne le « sĂ©paratisme », Souto Maior fait ici allusion sans doute au mouvement rĂ©publicain et sĂ©paratiste dĂ©nommĂ© ConfĂ©dĂ©ration de l'Équateur, survenu en 1824 dans le Nordeste.
  401. Oliveira Viana, PopulaçÔes meridionais do Brasil, éd. José Olympio, Rio de Janeiro 1952, cité par A. Souto Maior (1978), p. 44-45.
  402. AntÎnio Freire, Revolta do Quebra-quilos. Discurso de posse no Instituto Histórico e Geogråfico Paraibano, 26 mai 1971, João Pessoa, 1971. Cité par A. Souto Maior (1978), p. 56.
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Bibliographie et liens externes

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  • (pt) Viviane de Oliveira Lima, Anais do 3Âș. SeminĂĄrio Nacional de HistĂłria da Historiografia (ouvrage collectif, sous la dir. de SĂ©rgio Ricardo da Mata, Helena Miranda Mollo et FlĂĄvia Florentino Varella), Ouro Preto, EdUFOP, (ISBN 978-85-288-0061-6, lire en ligne), « Aprendendo com a HistĂłria: o quebra-quilos na construção do imaginĂĄrio nordestino » (contribution de l’auteure au SĂ©minaire national d’histoire de l’historiographie tenu en 2009 sur le thĂšme Aprender com a histĂłria?).
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