RĂ©volte de Quebra-Quilos
La révolte de Quebra-Quilos (litt., en portugais, révolte de Brise-kilos[note 1]) est une révolte paysanne diffuse survenue dans plusieurs villes et bourgs du Nordeste Brésilien, entre la fin de 1874 et le milieu de 1875.
Date | Octobre 1874 â aoĂ»t 1875 |
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Lieu | Nordeste (provinces du Pernambouc, de la ParaĂba, du Rio Grande do Norte et d'Alagoas), Empire du BrĂ©sil |
Résultat | Protestations paysannes diffuses contre les taxations excessives et le nouveau systÚme de poids et mesures. Révolte étranglée par les forces de l'ordre locales avec le renfort de l'armée nationale. |
Les soulĂšvements, qui commencĂšrent le dans le bourg campagnard de Fagundes, dans la province nordestine de la ParaĂba, et sâĂ©tendirent bientĂŽt Ă la ville de Campina Grande proche, se rĂ©pandirent ensuite par contagion dans les zones rurales Ă travers toute la province, avant de se propager aux deux provinces adjacentes du Pernambouc et du Rio Grande do Norte, puis plus au sud encore, jusquâĂ la province dâAlagoas. Les Ă©meutiers, qui Ă©taient pour la plupart de petits paysans, mais aussi des artisans, des vendeurs de marchĂ© et des sans-emploi, sâen prenaient aux Ă©quipements (balances, poids, Ă©talons de volume, etc.) du systĂšme mĂ©trique nouvellement entrĂ© en vigueur dans tout le pays, dĂ©truisirent les dossiers de lâadministration fiscale ainsi que les documents et affiches de la conscription militaire, sâen prirent çà et lĂ aux objets et symboles maçonniques, et proclamaient quâils refuseraient dĂ©sormais de sâacquitter de la taxe foraine pour vendre leurs produits sur les marchĂ©s. Ces jacqueries paysannes, si elles suivirent toutes un schĂ©ma semblable, apparaissent cependant comme des turbulences sporadiques, attribuables Ă des groupes dâĂ©meutiers agissant en ordre dispersĂ©, indĂ©pendamment les uns des autres, certes emmenĂ©s par quelques meneurs identifiĂ©s, mais dĂ©nuĂ©es dâorganisation gĂ©nĂ©rale sous la direction dâun chef unique.
La cause de ces insurrections Ă©tait un ensemble complexe de facteurs, au premier rang desquels la stagnation Ă©conomique de la rĂ©gion provoquant une baisse des recettes fiscales et une subsĂ©quente hausse de taxations de toutes sortes, dont la taxe foraine, principale cible des insurgĂ©s ; sur ce mobile principal vinrent se greffer dâautres motivations, liĂ©es Ă la question religieuse opposant alors lâĂglise brĂ©silienne Ă lâĂtat impĂ©rial (Ă propos de la rĂ©forme du clergĂ©, de la dĂ©nationalisation â et romanisation â de lâĂglise brĂ©silienne, et surtout du rĂŽle de lâĂglise dans lâĂtat) et Ă la nouvelle loi de conscription militaire. Cette derniĂšre, en tant quâelle rendait automatique lâenrĂŽlement dans lâarmĂ©e et vaine par consĂ©quent toute intervention de type clientĂ©liste, mettait Ă mal le traditionnel systĂšme patriarcal du sertĂŁo brĂ©silien et constituait en quelque sorte une rupture de lâantique contrat social, suscitant ainsi lâopposition des petits paysans et mĂ©tayers, lesquels pensaient trouver leur compte dans le rapport clientĂ©liste avec le grand propriĂ©taire terrien, rapport fait de familiaritĂ© et dâinterdĂ©pendance ; Quebra-Quilos nâĂ©tait donc pas une rĂ©volte contre le systĂšme social, Ă telle enseigne que dans certains cas, lâon vit de grands propriĂ©taires, qui avaient besoin du soutien de leurs paysans lors des Ă©lections, se joindre Ă la rĂ©bellion ou, pendant la phase de rĂ©pression, chercher Ă soustraire leurs clients Ă la justice.
Quant aux motivations religieuses, elles ont pu servir de caution morale Ă la dĂ©sobĂ©issance civique. Plusieurs prĂȘtres catholiques jouĂšrent, par leurs prĂ©dications dĂ©signant Ă la vindicte publique lâĂtat impĂ©rial comme Ă©tant sous la coupe de la franc-maçonnerie, un rĂŽle dâinstigateur ; quelques prĂȘtres furent mis en dĂ©tention, certains Ă tort. Cependant, quand mĂȘme les autoritĂ©s choisirent de donner Ă ces Ă©vĂ©nements lâappellation de Quebra-Quilo en rĂ©fĂ©rence au rejet du systĂšme mĂ©trique, dont câĂ©tait en effet lâaspect le plus visible et le plus curieux, il demeure que ces jacqueries furent avant tout une protestation contre une pression fiscale devenue insupportable et vexatoire, dont la cause premiĂšre Ă©tait le dĂ©clin Ă©conomique du Nordeste, plus spĂ©cifiquement de la culture de la canne Ă sucre.
La rĂ©pression, qui mobilisa les forces de police, la garde nationale et les forces armĂ©es impĂ©riales, frappa durement la ParaĂba (oĂč fut dĂ©pĂȘchĂ© un corps expĂ©ditionnaire), moins les autres provinces, et fit invariablement passer en jugement les meneurs (quand ils purent ĂȘtre identifiĂ©s) et enrĂŽler de force dans lâarmĂ©e les autres participants. Si les soulĂšvements sâĂ©teignirent dĂšs les premiers mois de 1875, les protestations contre le recrutement militaire perdurĂšrent encore pendant plusieurs mois, et rendirent la loi de conscription inapplicable dans les faits.
Historiquement et sociologiquement, le mouvement Quebra-Quilos est Ă caractĂ©riser comme une forme primitive ou archaĂŻque dâagitation sociale ; dans certaines villes, il est davantage quâun tumulte, mais moins quâune rĂ©volte, dans dâautres, il apparaĂźt comme une rĂ©volte presque articulĂ©e, dans laquelle viennent interfĂ©rer les pouvoirs locaux (juges, ecclĂ©siastiques, et, en retrait, les intĂ©rĂȘts de la grande propriĂ©tĂ© terrienne) et la dichotomie politique bipartisane (Parti conservateur contre Parti libĂ©ral) nationale[1]. Lâabsence de commandement unique du mouvement rĂ©sulte en partie des intĂ©rĂȘts contradictoires des diffĂ©rents acteurs (quâils agissent au grand jour ou quâils se tiennent dans lâombre) et de la frilositĂ© des Ă©lites nordestines, de quelque bord quâelles fussent, face Ă toute remise en cause fondamentale de lâordre Ă©tabli. Lâune des manifestations les plus patentes de ces ambiguĂŻtĂ©s est la rĂ©volte des esclaves noirs de Campina Grande, lesquels entrevirent dans le Quebra-Quilos lâoccasion de leur libĂ©ration, rĂ©volte qui fut promptement matĂ©e par une milice privĂ©e mise sur pied impromptu par des membres de lâaristocratie fonciĂšre et composĂ©e y compris dâĂ©meutiers du Quebra-Quilos. Au-delĂ de lâĂ©ventail complexe des motivations, les idĂ©es sous-tendant le mouvement avaient la mĂȘme tonalitĂ© commune Ă toutes les revendications sociales des classes infĂ©rieures dans le passĂ©, et exprimaient avec acuitĂ© les frustrations politiques, dâimpuissantes protestations religieuses et une rĂ©volte sociale Ăąpre et dĂ©sordonnĂ©e. Dans leur ensemble, les Ă©pisodes asymĂ©triques du Quebra-Quilos composent une rĂ©volution sociale procĂ©dant dâune crise de structure et de production[2].
ArriĂšre-plan historique
Crise de la canne Ă sucre et du coton
Pour certains auteurs, la rĂ©volte de Quebra-Quilos nâĂ©tait pas un mouvement de protestation politique ou religieux, mais sâexplique entiĂšrement par la situation Ă©pouvantable des populations de lâintĂ©rieur, lesquelles, privĂ©es de leurs moyens de subsistance par la crise Ă©conomique dans les campagnes, rĂ©agirent en prenant pour cible les nouvelles taxations, aussi multiples que vexantes[3]. Ă leur tour, ces taxations Ă©taient la consĂ©quence directe de la crise Ă©conomique qui frappa la partie nord-est du BrĂ©sil tout au long de la dĂ©cennie 1870, et en particulier dans les annĂ©es prĂ©cĂ©dant immĂ©diatement la rĂ©volte de Quebra-Quilos[4].
Depuis le milieu du XVIe siĂšcle jusquâĂ grosso modo 1650, le BrĂ©sil connut une expansion considĂ©rable de son activitĂ© sucriĂšre et parvint Ă dominer le marchĂ© mondial du sucre. Cependant, les possessions dâoutremer britanniques et françaises, et Ă©galement hollandaises, favorisĂ©es par une attitude protectionniste de leur mĂ©tropole respective tendant chacune Ă acheter leur sucre auprĂšs de leurs propres colonies, arrivĂšrent bientĂŽt Ă dĂ©passer le BrĂ©sil et Ă le supplanter sur le marchĂ©. Certes, le dĂ©clin fut progressif, et le sucre de canne demeura le produit dâexportation central du BrĂ©sil tout au long de la pĂ©riode coloniale, reprĂ©sentant 56 % de lâensemble de ses exportations[5]. Dans le dernier quart du XVIIIe siĂšcle eut lieu une embellie temporaire, aprĂšs que la RĂ©volution amĂ©ricaine eut interrompu le commerce entre les Antilles et lâEurope, ce qui provoqua une hausse des prix du sucre dans la dĂ©cennie 1780[6]. Les prix repartiront une nouvelle fois Ă la hausse, en particulier de 1805 Ă 1814, lorsque NapolĂ©on eut instaurĂ© le blocus continental en Europe[7] - [8] - [9] - [10].
Mais vers 1850, les exportations et les prix du sucre recommencĂšrent Ă baisser en une spirale descendante. Dans la dĂ©cennie 1850, le BrĂ©sil ne produisait plus que 10 % du sucre consommĂ© sur les marchĂ©s extĂ©rieurs et les revenus tirĂ©s du sucre Ă©taient en mĂȘme temps affectĂ©s par une baisse des prix[11]. Ă cela, trois raisons principales peuvent ĂȘtre identifiĂ©es. Il y eut premiĂšrement une augmentation de la production mondiale au cours de la seconde moitiĂ© du XIXe siĂšcle, provoquant un recul des prix ; ensuite commença Ă se propager en Europe septentrionale la culture de la betterave sucriĂšre, laquelle avait un meilleur rendement car permettant la rotation culturale. La troisiĂšme explication enfin tient Ă lâutilisation insuffisante des innovations techniques. Les autres pays producteurs de canne Ă sucre, comme les Ătats-Unis et Cuba, surent tirer parti des avancĂ©es techniques, telles que le transport ferroviaire de la canne Ă destination des moulins, la machine Ă vapeur dans la transformation de la canne, et les techniques industrielles modernes de transformation de la canne dont le rendement Ă©tait bien supĂ©rieur Ă celui des procĂ©dĂ©s traditionnels de vaporisation et de cuisson. Le BrĂ©sil en revanche nâeut recours Ă ces nouvelles techniques que fort tardivement et dans une mesure trop faible[12] - [13]. Dans les dĂ©cennies 1850 et 1860, des investisseurs britanniques entreprirent de financer la construction de chemins de fer dans le Pernambouc afin de rĂ©duire les frais de transport ; cependant, sur 440 moulins recourant aux services de la Compagnie ferroviaire de Recife et de SĂŁo Francisco pour expĂ©dier leur production de sucre de canne, seuls 6 % utilisaient la propulsion Ă vapeur[14].
Le dĂ©clin de lâactivitĂ© sucriĂšre dans le Nordeste entraĂźna un endettement accru des propriĂ©taires-planteurs. Les taux dâintĂ©rĂȘts en augmentation constante incitĂšrent les planteurs de canne Ă sucre nordestins Ă revendre leurs esclaves aux patrons cafĂ©iers du sud-est du pays[15]. Entre-temps pourtant, les planteurs de canne du Nordeste continuaient Ă cultiver et Ă exporter du sucre de canne Ă des prix en constante diminution, dans lâespoir que le marchĂ© se ressaisirait. Une des raisons Ă cela est la relative difficultĂ© quâil y a Ă faire de rapides transitions de la canne Ă sucre vers dâautres cultures : la canne Ă sucre devait ĂȘtre replantĂ©e de 18 mois en 18 mois et, attendu quâil fallait de 12 Ă 15 mois pour la voir arriver Ă maturitĂ©, elle nĂ©cessitait, e.a. pour effectuer les indispensables sarclages, une main-d'Ćuvre nombreuse[16]. Ensuite, Ă la fin de la saison des pluies, c'est-Ă -dire en aoĂ»t ou octobre, la coupe devait se faire promptement, par les esclaves, et la rĂ©colte devait ĂȘtre acheminĂ©e sans dĂ©lai au moulin pour y ĂȘtre broyĂ©e puis transformĂ©e, tout cela dans un laps de temps de 48 heures, sous peine de voir la qualitĂ© du sucre commencer Ă se dĂ©tĂ©riorer[17].
En , un patron sucrier (senhor de engenho) observa que les coĂ»ts de production du sucre de canne pouvaient sâestimer Ă 2160 reis, soit peu ou prou le prix de vente sur le marchĂ©, prix tout juste suffisant donc Ă amortir les coĂ»ts, Ă supposer que le planteur nâeĂ»t pas de dettes de surcroĂźt. Cependant, les prix continuaient de chuter, atteignant en novembre 2000 reis et en dĂ©cembre 1500 reis. Tout au long de cette pĂ©riode, seulement 169 337 tonnes annuelles de sucre furent exportĂ©es, Ă©quivalant Ă 11,8 % du total des exportations du BrĂ©sil, Ă mettre en regard des 216 120 tonnes annuelles de cafĂ©, Ă©gales Ă 52 % du total des exportations[18]. La consĂ©quence immĂ©diate en fut lâapparition dâun vaste contingent de travailleurs sans emploi et, pour ceux qui en avaient un, une forte baisse de leur salaire, ce qui les contraignait Ă sâadonner Ă des cultures de subsistance basĂ©es sur la vente de coton[19].
Quant au coton, lâautre des deux principaux produits dâexportation du Nordeste, la Companhia de ParĂĄ e MaranhĂŁo, constituĂ©e en 1755 et pourvu de privilĂšges par le marquis de Pombal, sâĂ©tait attachĂ©e Ă encourager lâactivitĂ© cotonniĂšre dans le nord brĂ©silien. Toutefois, le coton, Ă lâĂ©gal du sucre de canne, Ă©tait, Ă la fin de la pĂ©riode coloniale, tributaire du marchĂ© mondial et des relations entre Grande-Bretagne et Ătats-Unis, et pareillement, le marchĂ© du coton ne cessait de dĂ©cliner. Le BrĂ©sil mit Ă profit la guerre de SĂ©cession, qui interdit aux Ătats sudistes dâacheminer leur production cotonniĂšre vers lâEurope, pour reconquĂ©rir sa part sur les marchĂ©s internationaux, comme du reste elle lâavait fait aussi lors de la RĂ©volution amĂ©ricaine et de la guerre de 1812. Ainsi, entre 1861 et 1865, les exportations au dĂ©part du seul port de Recife bondirent-elles de 2 000 Ă 19 000 tonnes[20] - [21] - [22]. Malheureusement, Ă cette hausse succĂ©da, Ă lâissue de la guerre de SĂ©cession, une dĂ©cennie de dĂ©clin. Lâeffondrement de lâactivitĂ© cotonniĂšre put ĂȘtre Ă©vitĂ© grĂące Ă la guerre de la Triple-Alliance, dans laquelle le BrĂ©sil sâengagea en 1865 et qui dĂ©termina une forte demande dâuniformes et dâautres biens textiles. Cette embellie, basĂ©e en rĂ©alitĂ© sur des prix artificiellement Ă©levĂ©s, ne fut cependant que temporaire et capable seulement de diffĂ©rer lâĂ©clatement de la crise. ParallĂšlement Ă la mĂ©canique simple de lâoffre et de la demande de coton sur le marchĂ© international, le BrĂ©sil subit aussi les consĂ©quences de lâacquisition onĂ©reuse, faite Ă lâĂ©tranger, de navires de guerre et de matĂ©riel militaire, nĂ©cessaires Ă la poursuite de la guerre du Paraguay[22].
Un Ă©lĂ©ment Ă prendre en considĂ©ration est le fait que dans le Nordeste, la plupart du coton produit ne provenait pas de la zone cĂŽtiĂšre (zona da mata), mais de petits paysans du sertĂŁo[note 2], lesquels sâĂ©taient convertis dans la culture du coton mais pratiquaient pour une large part une agriculture de subsistance ; au dĂ©but des annĂ©es 1870, les paysans du sertĂŁo vinrent ainsi Ă dĂ©pendre de la vente du coton en Ă©change de biens quâils Ă©taient incapables de produire sur place. Sây ajouta, vers la fin de la dĂ©cennie 1860, une baisse des salaires des travailleurs non qualifiĂ©s, sans doute en partie par lâarrivĂ©e sur le marchĂ© du travail de muletiers tombĂ©s sans travail par suite de la mise en service de chemins de fer[23] - [24]. La culture du coton demeurait, sauf exceptions, une activitĂ© agricole peu rentable, dâautant plus que les lieux de production Ă©taient distants de plus de deux cents ou trois cents kilomĂštres des ports dâembarquement[22].
Ainsi, en 1874, concomitamment avec lâeffondrement du sucre, le coton sâeffondra-t-il lui aussi. Avant la guerre de SĂ©cession, c'est-Ă -dire dans les annĂ©es 1858-1859, les exportations de coton via Recife Ă©taient de 83 000 arrobes[25]. En 1865-1866, donc avant le dĂ©clin du coton, le Pernambouc exportait 15,5 tonnes de ce produit pour un montant de 16,7 milliards de reis, tandis quâen 1874-75, les exportations baissĂšrent Ă 11,1 tonnes, en mĂȘme temps que les prix obtenus diminuaient plus avant jusquâĂ un montant total de 4,9 milliards[26]. Dans le ParaĂba sâobservaient les mĂȘmes Ă©volutions. Les moulins Ă coton suivaient la mĂȘme tendance ; si en 1866, six des neuf moulins brĂ©siliens se trouvaient dans le Nordeste, il nâen restait plus en 1875 que quatre, alors que pour le BrĂ©sil dans son ensemble ce chiffre avait augmentĂ© Ă trente[27]. Dans la dĂ©cennie 1870-1880, le fisc impĂ©rial continuait de taxer le coton et le sucre aux mĂȘmes taux que ceux prĂ©valant aux Ă©poques oĂč ces produits se vendaient de 3 Ă 12 milreis[28]. La crise se transforma en un mal chronique, et pour la conjurer, le prĂ©sident du Pernambouc, Henrique Pereira de Lucena, rĂ©solut dâencourager la culture cafĂ©iĂšre dans sa province ; la municipalitĂ© de Bonito en produisit bientĂŽt suffisamment que pour lâexporter vers Recife[29].
Le cafĂ© suivait une pente ascendante, et avait commencĂ© Ă dominer les exportations brĂ©siliennes dĂšs 1830. Dans la dĂ©cennie 1830, le cafĂ© prenait Ă son compte 43,8 % des exportations brĂ©siliennes, tandis que le sucre avait rĂ©gressĂ© Ă 24 % et le coton Ă 10,8 %[30]. Ces Ă©volutions Ă©conomiques eurent deux consĂ©quences importantes : le cafĂ© sâempara du statut de principal produit dâexportation du BrĂ©sil, et le centre de gravitĂ© politique et Ă©conomique du pays se dĂ©plaça vers les rĂ©gions cafĂ©iĂšres du centre-sud. En effet, pendant la pĂ©riode 1845-1846, les zones cafĂ©iĂšres du sud reprĂ©sentaient 56 % des recettes de lâĂtat, alors que lâapport du Nordeste ne se montait plus quâĂ 31 %[31] - [32].
De par leur nature, ces activitĂ©s requĂ©raient des investissements et donc nĂ©cessitaient dâimportants emprunts, comme mise de fonds autant que pour financer la poursuite de lâactivitĂ©, emprunts assortis de lâengagement de rembourser aprĂšs rĂ©colte et vente de la production. Les prĂȘts accordĂ©s aux planteurs de cafĂ© portaient des intĂ©rĂȘts excĂ©dant rarement les 10 Ă 12 %, alors que les planteurs de canne Ă sucre et de coton se voyaient rarement concĂ©der des prĂȘts Ă des taux dâintĂ©rĂȘts infĂ©rieurs Ă 18-24 %[33].
Les plantations de cafĂ©, Ă lâinstar de celles de canne Ă sucre, utilisĂšrent des esclaves comme main-dâĆuvre tout au long du XIXe siĂšcle. En dĂ©pit de tentatives de leur substituer des salariĂ©s libres, notamment par la formation de sociĂ©tĂ©s dâimmigration, les planteurs de cafĂ© sâaccordaient pour estimer quâils avaient besoin de davantage dâesclaves. Cependant, la loi Aberdeen, adoptĂ©e par le parlement britannique en , dĂ©clarait pour pirate tout vaisseau transportant des esclaves sur lâocĂ©an Atlantique et autorisait la marine anglaise Ă lâarraisonner. En 1850, le gouvernement brĂ©silien ayant dĂ©cidĂ©, Ă la suite de cette loi, et pour le coup de façon effective, lâabolition de la traite esclavagiste (non de lâesclavage)[34], et les planteurs de cafĂ© du sud se voyant par lĂ coupĂ© de leur source de main-dâĆuvre, de nombreux planteurs de canne du Nordeste se mirent Ă vendre leurs esclaves aux planteurs du sud, dans le but dâacquitter ainsi une partie de leurs dettes. Ă partir de 1852, le gouvernement provincial du Pernambouc, dĂ©sireux de capitaliser sur ce phĂ©nomĂšne comme source de recettes fiscales, commença de percevoir des taxes sur chaque esclave vendu[35].
Ă partir de 1870, les propriĂ©taires nâĂ©taient plus en mesure de payer leur salaire ordinaire aux travailleurs des campagnes. Cette circonstance provoqua une hausse du nombre de bras disponibles, entraĂźnant Ă son tour chĂŽmage et baisse des salaires[12].
Ă cette Ă©volution se superposa malencontreusement la dĂ©pression Ă©conomique mondiale, qui dĂ©buta en 1873, vidant davantage encore les coffres des provinces brĂ©siliennes. Celles-ci jugĂšrent nâavoir dâautre ressource que de sâadresser aux populations rurales et de taxer les biens de consommation courante[36].
LâĂtat financier des Provinces, document publiĂ© par la PrĂ©sidence du Conseil des ministres en 1886, permet de se faire une idĂ©e des finances nationales de lâĂ©poque. Il en appert en particulier que dĂ©jĂ en 1876-1877 le Pernambouc et la ParaĂba souffraient dâun sĂ©rieux dĂ©ficit, et quâils continueraient Ă en souffrir. Quelques passages de ce document relatifs au Nordeste sont significatifs, ainsi p.ex. :
« Les provinces de Sergipe, dâAlagoas, du Rio Grande do Norte et de la ParaĂba et dâautres du nord de lâEmpire luttent plus ou moins contre la crise Ă©conomique qui les afflige et qui procĂšde de la dĂ©prĂ©ciation de leurs principaux produits dâexportation et, pour une large part, de la raretĂ© de ceux-ci ; les dettes du Sergipe et de la ParaĂba, dĂ©jĂ considĂ©rables en regard de leurs ressources respectives, le sont davantage encore dans le cas de la derniĂšre citĂ©e, peut-ĂȘtre par suite dâune mĂ©gestion de ses finances publiques. Elles ont des activitĂ©s variĂ©es, desquelles elles tirent des ressources, sous la forme de contributions directes, et y ont dâailleurs puisĂ© autant quâil est possible ; avec une agriculture traditionnelle et limitĂ©e, et peu de produits dâexportation, et alors justement ceux qui rencontrent une terrifiante concurrence sur les marchĂ©s de consommation ; sans attrait ni ressources pour attirer Ă soi de nouvelles industries, ces provinces ne peuvent pas se considĂ©rer sur la voie de la prospĂ©ritĂ©, bien plutĂŽt courent-elles le risque de voir leur situation sâaggraver. »
Les provinces du Pernambouc et de la Bahia sont particuliĂšrement dans le viseur de cette analyse financiĂšre, lâauteur, Carlos de Figueiredo, affirmant en effet que « ce sont elles qui, par la position importante quâelles occupaient parmi les plus prospĂšres de lâEmpire, se signalent de façon frappante dans les rangs de celles qui aujourdâhui se dĂ©battent avec les effets de la crise Ă©conomique, effets qui dans ces deux provinces produisent les secousses les plus sensibles, par cela mĂȘme quâelles sâĂ©taient accoutumĂ©es Ă la vie des temps prospĂšres. De lĂ rĂ©sulte quâelles exagĂšrent leurs impositions au point que, ne pouvant pas augmenter plus avant les impĂŽts qui oppriment les industries et la production locale, elles durent se tourner ouvertement vers les impĂŽts sur les produits importĂ©s, impĂŽts du reste non autorisĂ©s au regard de notre droit constitutionnel, tandis que les dĂ©penses des deux provinces ne reculaient pas, au contraire se poursuivirent sans quâon y prĂźt garde, conduisant Ă ce que le dĂ©ficit budgĂ©taire sâĂ©lĂšve au double de ce quâil Ă©tait en 1876-77 »[37].
Pour surmonter ces dĂ©ficits furent Ă©mis des emprunts au taux de 7 %, solution dâurgence pour assainir les finances, Ă la douteuse efficacitĂ©, quoique trĂšs en vogue dans les Ă©conomies europĂ©ennes de lâĂ©poque et dĂ©jĂ expĂ©rimentĂ© par le gouvernement impĂ©rial[38].
Il est indĂ©niable que les mesures prises par Lucena pour restaurer les finances de sa province, le Pernambouc, allĂšrent dans le sens dâun assainissement. En dĂ©pit de la rĂ©sistance tant de ses amis que de ses adversaires, et mĂȘme de lâinspecteur du TrĂ©sor municipal et du procureur fiscal, il crĂ©a des offices de taxation dans toutes les communes. Si dâun cĂŽtĂ© la mise en place de ces offices permettait de rationaliser la perception de lâimpĂŽt et de faciliter la besogne du fisc, elle confronta de lâautre la population inculte des campagnes Ă la machine gouvernementale sous ses aspects les plus abhorrĂ©s. Cela explique sans doute pourquoi dans lâarriĂšre-pays du Pernambouc le saccage du bureau de perception occupera invariablement une place centrale dans chaque Ă©meute des quebra-quilos[39].
Hausse de la pression fiscale
LâimpĂ©cuniositĂ© des provinces du nord-est dĂ©coulait du fait que les recettes publiques, tant au niveau national que provincial, provenaient en majoritĂ© des droits perçus sur les exportations et les importations. Cependant, les hausses dâimpĂŽts et de taxes qui conduisirent Ă la rĂ©volte de Quebra-Quilos furent dĂ©cidĂ©s essentiellement aux niveaux provincial et municipal.
Les recettes provinciales dans le nord-est baissĂšrent dâenviron 30 % vers le milieu de la dĂ©cennie 1870. Selon le quotidien A Provincia, la province de la ParaĂba connut fin 1874 un dĂ©ficit de plus de 800 millions de reis, dont une grande partie empruntĂ©e Ă des banques de Rio de Janeiro. Le personnel administratif ne pouvant plus par consĂ©quent ĂȘtre payĂ©, les services publics cessĂšrent de fonctionner[40]. Dans le Pernambouc, les impĂŽts collectĂ©s diminuĂšrent dâun tiers entre 1872 et 1878[41]. Pour y remĂ©dier, une sĂ©rie de nouvelles lois fiscales furent adoptĂ©es par les assemblĂ©es provinciales. Il est Ă noter ici que les taxations provinciales aussi bien que celles municipales devaient dâabord ĂȘtre approuvĂ©es par lâassemblĂ©e provinciale. Le Pernambouc p.ex. Ă©tablit 14 nouvelles impositions entre 1863 et 1869 ; cependant, la crise Ă©conomique continuant de sâaggraver, le gouvernement provincial crĂ©a 32 impĂŽts supplĂ©mentaires entre 1870 et 1875, tout en augmentant dans le mĂȘme temps les impĂŽts dĂ©jĂ existants : au cours de la pĂ©riode 1863-1869 furent augmentĂ©s 17 impĂŽts et taxes, et 29 dans la pĂ©riode 1870-1875[42]. Ces impositions ciblaient plus particuliĂšrement les produits alimentaires, car, Ă©tant de premiĂšre nĂ©cessitĂ©, ceux-ci garantissaient du moins un certain montant de recette fiscale. Le hachĂ© de bĆuf, la morue et la farine de manioc, denrĂ©es de premiĂšre importance pour les paysans, furent les produits privilĂ©giĂ©s par le fisc[43]. Fut visĂ© Ă©galement le tabac, dont le gouvernement augmenta la taxe de 50 % puis, en 1874, la renforça encore, pour atteindre alors 200 % ; la consĂ©quence en fut que les commerces spĂ©cialisĂ©s et les manufactures de cigarettes eurent bientĂŽt Ă fermer leurs portes[44]. En moyenne, les taxes et impĂŽts levĂ©s par lâassemblĂ©e provinciale du Pernambouc en 1874 frappaient au taux de 30 % les marchandises dâorigine nationale, non de premiĂšre nĂ©cessitĂ©, et de 10 % les marchandises dâorigine Ă©trangĂšre, ou le cas Ă©chĂ©ant au taux de 30 %, lĂ oĂč lâon voulait protĂ©ger un produit Ă©quivalent fabriquĂ© au BrĂ©sil[45]. Bien davantage que par les taxes dâimportation et dâexportation, qui ne touchaient pas spĂ©cifiquement les paysans, ceux-ci se sentaient affectĂ©s plus particuliĂšrement par la taxe dite imposto do chĂŁo (litt. impĂŽt du sol, entendre : pour un emplacement sur le champ de foire, soit une taxe foraine), que lâassemblĂ©e provinciale de la ParaĂba vota dĂšs 1873, taxe municipale adoptĂ©e ensuite par les autres lĂ©gislatures provinciales Ă lâintention de leurs municipalitĂ©s[46].
La taxe foraine
Il y a lieu de sâattarder sur lâimposto do chĂŁo, instaurĂ© dans la province de ParaĂba en 1873, soit un an avant l'insurrection. Le petit paysan (matuto) nordestin fut toujours la proie des intermĂ©diaires, appelĂ©s Ă lâĂ©poque vampires ou traverseurs (atravessadores), qui lui imposaient de bas prix pour ses produits agricoles. Le gouvernement lui-mĂȘme tenta plusieurs fois dâinterdire lâactivitĂ© de ces individus, mais chaque fois avec cet irrĂ©alisme et cette impraticabilitĂ© qui caractĂ©risaient alors les mesures Ă©conomiques relatives Ă lâapprovisionnement public. Dans cette optique, vendre sa production directement sur le marchĂ© non seulement sâinscrivait dans la continuitĂ© dâune tradition, mais constituait aussi une nĂ©cessitĂ© Ă©conomique de survie pour le petit producteur[47]. Cependant, les marchĂ©s hebdomadaires, organisĂ©s et montĂ©s tĂŽt le matin, ne pouvaient dĂ©sormais plus dĂ©marrer que les commis municipaux et les percepteurs de taxe ne se fussent dâabord rendus sur les lieux et eussent prĂ©alablement fait la tournĂ©e des Ă©tals et des Ă©choppes pour collecter les taxes[48]. Le montant de la taxe foraine variait dâun marchĂ© Ă lâautre, en fonction des taux dĂ©finis par la province ainsi que par le district.
Pour la collecte des taxes, lâon faisait gĂ©nĂ©ralement appel Ă des fermiers ; le droit de recueillir les taxes faisait alors lâobjet dâacquisitions par tiers et de ventes et reventes. Il sâensuivit que les taxes nâĂ©taient pas collectĂ©es correctement et quâil apparaissait y avoir un grand Ă©cart entre les montants recueillis auprĂšs des forains dâune part et les montants encaissĂ©s par les autoritĂ©s dâautre part[49] - [50].
ConsĂ©quence de ce que lâimposto do chĂŁo Ă©tait lâimposition qui frappait spĂ©cifiquement les populations rurales, quasi tous les insurgĂ©s de Quebra-Quilos Ă©taient des rĂ©fractaires Ă cette taxe, affirmaient leur intention de ne plus la payer Ă lâavenir, et entreprirent de dĂ©truire tous les registres de taxation sur lesquels ils purent mettre la main. Si, comme cela Ă©tait parfois le cas, la liste Ă©numĂ©rant soit les taxes Ă acquitter, soit les noms de ceux en dĂ©faut de les payer, se trouvait affichĂ©e en quelque lieu en vue (les autoritĂ©s en effet ne manquant pas, chaque fois que de nouvelles taxes avaient Ă©tĂ© dĂ©crĂ©tĂ©es ou des anciennes augmentĂ©es, dâen donner avis Ă la population par voie dâaffiches apposĂ©es en quelque lieu public, dâordinaire sur le portail de lâĂ©glise principale), ces listes furent elles aussi prises pour cible par les Ă©meutiers, lacĂ©rĂ©es, arrachĂ©es et dĂ©truites[51]. Parmi les autres taxes introduites dans le Nordeste sont Ă relever la taxe personnelle[52], ainsi que la taxe sur le systĂšme mĂ©trique, mais la rumeur publique, totalement dĂ©bridĂ©e, en annonçait dâautres encore, entre autres une taxe supposĂ©e, dont la rumeur atteignit la localitĂ© de Bom Jardim en dĂ©cembre, qui aurait Ă ĂȘtre perçue sur les femmes peignant leurs cheveux et se les laissant pousser longs[53] - [54]. Dans lâĂtat de la ParaĂba, Ă©crivit un journal de lâĂ©poque, « le poids des impĂŽts et la façon barbare de les collecter et les extorsions en tous genres infligĂ©es aux gens afin de satisfaire le tourbillon insatiable nommĂ© nĂ©cessitĂ©s publiques, finit par Ă©puiser leur patience, et les jeta sur les routes pour se rĂ©volter [âŠ]. Le gouvernement de lâEmpereur veut tuer le peuple par la faim, le peuple ne trouva aucun recours auprĂšs de ses reprĂ©sentants et du gouverneur, qui ne sont que des instruments dudit gouvernement ; il nâa pas le courage de se laisser tuer, et se sert du triste, mais unique recours qui lui reste â la force. Il est dans son droit, car il dĂ©fend sa vie. »[55].
Contexte politique et social
LâEmpire du BrĂ©sil Ă son dĂ©clin, dĂ©jĂ fortement sclĂ©rosĂ©, se rĂ©vĂ©la incapable de mener des rĂ©formes politiques et sociales. Le phĂ©nomĂšne Quebra-Quilos reprĂ©senta, dans le Nordeste, une dimension de la crise que le rĂ©gime, de par son immobilisme, ne sut ni ne put Ă©viter. Pourtant, les consĂ©quences sociales de la concentration fonciĂšre avaient Ă©tĂ© dĂ©noncĂ©es ; en effet, lâun des prĂ©dĂ©cesseurs dâHenrique Pereira de Lucena au poste de gouverneur de la province de Pernambouc, Diogo Velho Cavalcante de Albuquerque, originaire de la ParaĂba, mais qui fut gouverneur du Pernambouc en 1871, avait soulignĂ©, Ă travers un rapport rĂ©digĂ© Ă lâintention de lâassemblĂ©e provinciale, combien Ă©tait nĂ©faste la prĂ©pondĂ©rance de la grande propriĂ©tĂ© terrienne sur le territoire de son ressort :
« RĂ©ellement, il y a une partie de notre population qui est profondĂ©ment dĂ©moralisĂ©e, voire perdue ; mais il reste une grande masse, dâoĂč peuvent sortir des bras utiles. Cependant, quelles garanties celle-ci trouve-t-elle quant Ă ses droits, quelle assurance pour les services quâelle accomplit, quels encouragements pour persister dans les bonnes pratiques ? La constitution de notre propriĂ©tĂ© territoriale, infĂ©odant de trĂšs vastes domaines fonciers aux mains des privilĂ©giĂ©s de la fortune, ne permit quâexceptionnellement au pauvre la possession ou la dĂ©tention de quelques arpents de terre. En rĂšgle gĂ©nĂ©rale, il est mĂ©tayer, agregado, journalier ou tout ce que vous voudrez ; et alors, son sort est presque celui dâun ancien serf de la glĂšbe[56]. »
Ă la pauvretĂ© nordestine sâajoutait dans lâadministration brĂ©silienne la vieille et habituelle erreur dâune centralisation asphyxiante. La tutelle pointilleuse exercĂ©e par le gouvernement impĂ©rial affectait jusquâaux activitĂ©s intellectuelles[57]. Une machinerie parlementaire avait Ă©tĂ© imposĂ©e au pays qui servit Ă faire passer une rĂ©forme centralisatrice et permettre une anesthĂ©sie politique se traduisant par la fameuse conciliation de 1853, impulsĂ©e et orientĂ©e par le marquis de ParanĂĄ. Les prĂ©sidents de province Ă©taient nommĂ©s par la Cour et les cabinets ministĂ©riels se relayaient sous la surveillance de lâEmpereur, pendant quâune grande part de la population, esclaves et hommes libres de basse condition, actifs dans lâagriculture, laquelle est le principal support de lâĂ©conomie nationale, restaient en marge de tout le processus politique[58].
Bipartisme institutionnel
En 1868, lâempereur Dom Pedro II congĂ©dia le cabinet ministĂ©riel libĂ©ral et convoqua un cabinet conservateur, qui occupa ensuite le pouvoir jusquâen 1875. AprĂšs quâeut Ă©clatĂ© la rĂ©volte de Quebra-Quilos, la faction libĂ©rale fut accusĂ©e de vouloir exploiter ce soulĂšvement pour discrĂ©diter le gouvernement conservateur alors au pouvoir. Lâon se plaisait Ă citer lâexemple dâun Ă©meutier qui avait cherchĂ© refuge au logis dâun dirigeant libĂ©ral connu, le major de cavalerie Antonio Guedes e Alcoforado, et sâĂ©tait placĂ© sous sa protection[59]. Les dirigeants libĂ©raux faisaient observer que le major Alcoforado en recueillant un blessĂ© ne rejoignait pas pour autant les rangs ennemis, mais faisait simplement « Ćuvre de charitĂ© ». Les libĂ©raux Ă©taient restĂ©s neutres, affirmaient-ils, et dans cet esprit sâĂ©taient confinĂ©s Ă leurs domiciles, nâaidant ni les autoritĂ©s ni les Ă©meutiers. Dans un manifeste officiel paru dans le journal O Despertador, le directoire du Parti libĂ©ral se dĂ©clara complĂštement Ă©tranger aux mouvements populaires survenus dans la Paraiba[60]. En rĂ©alitĂ©, mĂȘme si certains dâentre eux dĂ©clarĂšrent que le mouvement de Quebra-Quilos Ă©tait « une maniĂšre violente et rude dont le peuple ignorant manifeste contre le gouvernement qui lâopprime et le rĂ©duit en esclavage »[61], les libĂ©raux Ă©taient, tout autant que leurs rivaux politiques, des patriciens et Ă ce titre tentaient eux aussi de prĂ©server leurs clients du service militaire rendu obligatoire par une nouvelle loi de conscription (voir ci-aprĂšs)[62]. NĂ©anmoins, plusieurs libĂ©raux furent emprisonnĂ©s[63].
Silvino ElvĂdio Carneiro da Cunha, prĂ©sident de la province de la Paraiba, qui sur un ton de dĂ©solation avait dĂ©clarĂ© se trouver « sans forces armĂ©es pour manĆuvrer, sans moyens pour poursuivre les fauteurs de dĂ©sordre qui, certains de notre faiblesse, nous menacent Ă chaque instant », ne sera pas pour autant Ă©pargnĂ© par ses ennemis. Dans les colonnes polĂ©miques et contondantes du journal A ProvĂncia, lâĂ©cho de ses lamentations sera cruel :
« Le gouvernement nâaffirmait-il pas, et ne continue-t-il pas dâaffirmer, quâil bĂ©nĂ©ficie de lâappui dĂ©terminĂ© de la nation ? Le voilĂ Ă prĂ©sent quâil sâavoue faible et repoussĂ© par le peuple. Il est regrettable que ce ne soit quâaussi tardivement que monsieur Silvino reconnaĂźt son impuissance, sans moyens pour poursuivre les victimes des impĂŽts crĂ©Ă©s par lui, et plus encore par ce gouvernement vĂ©reux, qui malmĂšne le pays pour jouir de lâabondance, du confort, du luxe et de tous les moyens de corruption. (...) Impuissants, faibles et rejetĂ©s par lâopinion publique, ils tremblent dans leurs taniĂšres, et demandent de la troupe, plus de troupe â unique recours des despotes[64]. »
Si le Parti libĂ©ral, parti dâopposition mais institutionalisĂ©, considĂ©rait cette insurrection populaire avec les plus grandes rĂ©serves, nombre de libĂ©raux nĂ©anmoins acceptaient, Ă titre individuel, la lĂ©gitimitĂ© sociale de la rĂ©volte[65].
Il est vrai que la frontiĂšre entre conservateurs et libĂ©raux Ă©tait presque toujours davantage partidaire quâidĂ©ologique, ce qui poussa lâhistorien Oliveira Viana Ă porter ce jugement sĂ©vĂšre : « les deux vieux partis nâont pas dâopinion, de mĂȘme quâils nâavaient pas de programmes ; leur objectif Ă©tait de conquĂ©rir le pouvoir et, celui-ci une fois conquis, de le conserver Ă tout prix. Rien de plus. CâĂ©tait lĂ le principal programme des libĂ©raux, comme câĂ©tait aussi celui des conservateurs », jugement dâautant plus sĂ©vĂšre quâil se complĂšte, plus loin dans le texte, par lâobservation caustique quâau BrĂ©sil les partis « ne se disputent pas le pouvoir pour rĂ©aliser des idĂ©es ; le pouvoir est disputĂ© pour les bĂ©nĂ©fices quâil dispense aux hommes politiques et Ă leurs clans. Il y a les bĂ©nĂ©fices moraux, que donne toujours la dĂ©tention de lâautoritĂ© ; mais il y a aussi les avantages matĂ©riels que cette dĂ©tention peut prodiguer. Soit dit entre nous, la politique est avant tout un moyen dâexistence ; lâon vit de lâĂtat comme lâon vit de lâagriculture, du commerce et de lâindustrie, et tous trouvent infiniment plus doux de vivre de lâĂtat que de quoi que ce soit dâautre. CâĂ©tait ainsi jusquâau dernier jour de lâEmpire et le peuple ne sây trompera pas totalement »[66].
La premiĂšre action en dĂ©fense des quebra-quilos eut lieu le , sous la forme dâune feuille volante distribuĂ©e dans la ville de Recife. Il sâagit dâune tentative entortillĂ©e et paradoxale dâidentifier les quebra-quilos aux intĂ©rĂȘts des grands nĂ©gociants de Recife. Les auteurs de ce texte manifestement partidaire ne cachaient pas leur dĂ©sir de liguer lâopinion publique contre les conservateurs. Les quebra-quilos y sont prĂ©sentĂ©s comme des groupes pacifiques qui se rĂ©unissent tranquillement pour protester contre les impĂŽts « inconstitutionnels » Ă travers lesquels un gouvernement despotique dĂ©voilerait son visage autocratique, en ordonnant les taxations les plus sĂ©vĂšres[67]. Les libĂ©raux, adversaires du pouvoir en place, iront jusquâĂ proposer aux quebra-quilos une plateforme politique et un ample programme de revendications : A ProvĂncia, aprĂšs avoir remĂ©morĂ© les « cris pour la libertĂ© de 1817, 1822, 1824, et encore de 1848 », esquissa, dans son Ă©dition du , un « programme plus prompt, plus urgent, consistant en la libertĂ© dans la loi Ă©lectorale ; en la libertĂ© dans les lois judiciaires ; en la libertĂ© dans le service militaire ou lâabolition de lâenrĂŽlement ; en la libertĂ© pour la milice citoyenne ou lâabolition de la Garde nationale, et enfin en la libertĂ© pour lâĂ©lĂ©ment servile ou lâĂ©mancipation des esclaves »[68].
En comparant entre eux les comptes rendus contradictoires de la presse de lâĂ©poque, lâon sâaperçoit notamment quâun journal comme Diario de Pernambuco, organe conservateur appuyant le gouvernement, prĂ©tendait minimiser lâinsurrection, affirmant p.ex. dans son Ă©dition du que « le mouvement armĂ© de la ParaĂba Ă©tait en train de se terminer ». Les dirigeants libĂ©raux au contraire sâĂ©vertueront, du moins dans la premiĂšre phase, Ă dĂ©montrer que le mouvement Ă©tait essentiellement populaire et que le parti libĂ©ral nâavait strictement rien Ă voir avec lâinsurrection. Les contradictions au sein de la mouvance libĂ©rale de lâĂ©poque se manifesteront tout au long des publications, des Ă©ditoriaux et des nouvelles, oĂč le parti libĂ©ral tantĂŽt sâauto-intitulait « colonnes de la monarchie », tantĂŽt proclamait « câest nous, nous sommes le peuple ». Cependant, selon les notes officielles du parti libĂ©ral (et, Ă coup sĂ»r, cette vision des choses Ă©tait correcte), la rĂ©volte de Quebra-Quilos ne fut pas un mouvement de parti ni mĂȘme prĂ©mĂ©ditĂ©, mais une rĂ©ponse populaire spontanĂ©e Ă une situation prĂ©valant alors, quand bien mĂȘme le fait quâĂ©taient prises pour cible des rĂ©alitĂ©s locales dĂ©coulant de politiques menĂ©es par des gouverneurs de province dâobĂ©dience conservatrice pouvait faire naĂźtre lâimpression dâun mouvement dirigĂ© contre les conservateurs[69].
Sous ce mĂȘme rapport, il est intĂ©ressant de noter quâĂ plusieurs reprises des juges de canton (juizes de direito) furent accusĂ©s de protĂ©ger des sĂ©ditieux. De telles accusations avaient les origines les plus variĂ©es et dĂ©rivaient en gĂ©nĂ©ral de rivalitĂ©s politiques locales affleurant sous forme de dĂ©nonciations destinĂ©es Ă discrĂ©diter aux yeux du gouvernement certains magistrats[70].
Coronélisme
Le penseur et journaliste pernamboucain AntĂŽnio Pedro de Figueiredo Ă©crivit dans la revue O Progresso[71] :
« La majeure partie du territoire de notre province (le Pernambouc) est divisĂ©e en grandes propriĂ©tĂ©s, fragments des anciennes sesmarias, desquelles fort peu ont Ă©tĂ© subdivisĂ©es. Le propriĂ©taire ou exploitant occupe une partie de celles-ci, et cĂšde, moyennant une modique indemnitĂ©, le droit de demeurer dans lâautre partie et de la cultiver, Ă cent, deux cents, et parfois Ă quatre cents familles de mulĂątres et de noirs libres, de qui il se fait le protecteur naturel ; mais il exige aussi dâeux lâobĂ©issance absolue et exerce sur eux le plus complet despotisme. Il en rĂ©sulte que les garanties de la loi ne valent pas pour ces infortunĂ©s, qui du reste composent la majeure partie de la population de la province, mais bien pour ces propriĂ©taires, de qui 3 ou 4, rĂ©unis par les liens du sang, de lâamitiĂ© ou de lâambition, suffisent pour annihiler, dans la vaste Ă©tendue de terres, les forces et les influences du gouvernement. »
Les officiers de la Garde nationale Ă©taient choisis principalement parmi les propriĂ©taires terriens et les fonctionnaires du gouvernement[72], d'oĂč l'appellation de coronel (colonel, en portugais) appliquĂ© aux membres de l'aristocratie fonciĂšre du sertĂŁo.
Question religieuse
La dĂ©nommĂ©e question religieuse fut bien davantage quâune commotion au sein de la seule structure ecclĂ©siastique. LâĂglise catholique, jusque-lĂ liĂ©e et identifiĂ©e au gouvernement impĂ©rial, instance de contrĂŽle et dâorientation de lâopinion publique, se mit Ă un certain moment Ă dĂ©fier le pouvoir, et ce faisant bouleversa et scinda la sociĂ©tĂ© brĂ©silienne. Si, dâune part, lâanticlĂ©ricalisme prĂ©existant se revigora, la solidaritĂ© de divers secteurs de la sociĂ©tĂ© envers lâĂglise â qui de structure triomphante passa au statut dâorgane persĂ©cutĂ© âconfĂ©ra dâautre part au clergĂ© un crĂ©dit de confiance compensatoire. Cela explique que certaines revendications politiques et sociales, non attribuables en principe au clergĂ© brĂ©silien, purent apparaĂźtre comme Ă©tant de son estoc dans la presse de lâĂ©poque[73].
Durant le Premier Empire (1822-1831) et sous la RĂ©gence (1831-1840), lâĂglise se trouvait divisĂ©e sur la question de la tutelle impĂ©riale sur lâĂglise et de lâautoritĂ© de lâĂtat sur le clergĂ©, et, a contrario, sur la question de lâautonomie de lâĂglise brĂ©silienne ou de son obĂ©dience exclusive Ă lâautoritĂ© du Vatican. Sous le Second Empire (1840-1889), le clivage entre Ătat et Ăglise allait sâexacerber encore jusquâĂ aboutir Ă un point de rupture et provoquer la dĂ©nommĂ©e question religieuse. Celle-ci comportait une dimension politique, expression de la cĂ©sure historique entre les Ă©lites gouvernementales et une Ăglise nouvelle, soucieuse de suivre sa propre voie[74].
La question religieuse peut se rĂ©sumer comme suit. DĂšs la RĂ©gence (1831-1840), lâĂglise au BrĂ©sil avait commencĂ© Ă ĂȘtre Ă©cartĂ©e du pouvoir politique. La quatriĂšme lĂ©gislature (1838-1841) de lâAssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale comptait parmi ses dĂ©putĂ©s 12 ecclĂ©siastiques, dont trois Ă©vĂȘques ; Ă la dixiĂšme lĂ©gislature (1857-1860), il nây eut plus que 7 prĂȘtres, et de la onziĂšme lĂ©gislature jusquâĂ la fin de lâEmpire, le nombre moyen des hommes dâĂglise dans les AssemblĂ©es gĂ©nĂ©rales nâĂ©tait plus que de deux[75]. Il en rĂ©sulta Ă partir de 1840 une « romanisation » progressive de lâĂglise brĂ©silienne, celle-ci tendant Ă se faire moins nationale, plus conservatrice, et Ă faire opposition aux idĂ©es modernes et libĂ©rales. La communautĂ© catholique se dĂ©composait alors en trois tendances : une traditionnelle, une tridentine et une ultramontane[76]. Les rĂ©formateurs tridentins, mettant lâaccent sur les sacrements et le clergĂ©, sâattachaient Ă rĂ©intĂ©grer les membres du clergĂ© dans la vie quotidienne de leurs ouailles, en ramenant ceux-ci Ă la sainte messe et Ă la confession. Le nombre croissant de prĂȘtres disposĂ©s Ă adopter les rĂ©formes tridentines renforça le phĂ©nomĂšne de romanisation, en mĂȘme temps que lâĂglise brĂ©silienne commençait Ă favoriser une Ăglise hiĂ©rarchisĂ©e aux dĂ©pens du catholicisme populaire, Ă exercer un contrĂŽle plus strict sur la formation des prĂȘtres, Ă avoir recours Ă des ecclĂ©siastiques Ă©trangers pour aider Ă mettre en Ćuvre ces rĂ©formes, et surtout Ă subordonner lâĂglise brĂ©silienne Ă lâautoritĂ© du Vatican et du souverain pontife[77]. Le tridentisme se recoupait en grande partie avec la troisiĂšme forme de catholicisme, lâultramontanisme, qui tenait Rome plutĂŽt que Rio de Janeiro pour chef de lâĂglise catholique du BrĂ©sil, dĂ©fendait le dogme de lâinfaillibilitĂ© pontificale, et sâemployait Ă dĂ©nationaliser plus avant lâĂglise brĂ©silienne. Cependant, lâultramontanisme se caractĂ©rise en outre par ceci quâil prĂŽnait la subordination de la raison humaine Ă la foi, la philosophie Ă la thĂ©ologie, et la nature au surnaturel, et quâil sâopposait Ă la modernitĂ© sous toutes ses formes, que ce soit le primat de la science positive, le libĂ©ralisme, le socialisme, etc.[78]. Les ultramontains rejetaient ouvertement lâingĂ©rence de lâĂtat dans les affaires de lâĂglise[79].
La lutte entre les jĂ©suites et la franc-maçonnerie marqua en 1873 lâhistoire de la ville de Recife. Le , Ă la suite dâun rassemblement maçonnique sur la place Conde dâEu (actuelle place Maciel Pinheiro), un groupe dâexaltĂ©s se rendit au collĂšge de jĂ©suites, alors sis au no 32 de la rue de lâHospice (rua do HospĂcio) et saccagea ses installations. Peu aprĂšs, un autre groupe ravagea le journal A UniĂŁo, qui avait remplacĂ© O Catholico dans le rĂŽle dâorgane de diffusion de lâĂglise, et au sein duquel les jĂ©suites exerçaient une importante influence intellectuelle. Tout lâĂ©quipement graphique, un numĂ©ro du journal dĂ©jĂ prĂȘt et quelques meubles furent traĂźnĂ©s hors de la salle de rĂ©daction et des bureaux du journal, situĂ©s rua da UniĂŁo, puis aussitĂŽt jetĂ©s par la foule dans le fleuve Capibaribe. Deux jours plus tard, aprĂšs convocation par voie de feuillets, rĂ©pandus pendant la soirĂ©e dans toute la ville, les francs-maçons, libĂ©raux, rĂ©publicains et anti-jĂ©suites tinrent une grande assemblĂ©e sur le Campo das Princesas (actuelle Praça da RepĂșblica), laquelle assemblĂ©e fut dispersĂ©e manu militari par le brigadier Manuel da Cunha Vanderlei, commandant des forces armĂ©es[80].
Certains auteurs, en particulier contemporains de la rĂ©volte, voulurent voir dans les motivations religieuses la principale, sinon la seule, cause des jacqueries de Quebra-Quilos. Il est vrai que cet Ă©lĂ©ment eut une part, Ă tout le moins comme justification idĂ©ologique, dans la plupart de ces soulĂšvements, mais non dans tous, et il est indĂ©niable que le clergĂ© y joua un certain rĂŽle[81]. Mais Quebra-Quilos ne saurait ĂȘtre rĂ©duit Ă une simple retombĂ©e de ce quâil est convenu dâappeler la question religieuse au BrĂ©sil[82].
Ainsi est-ce aux cris de « vive la religion et mort aux francs-maçons » que les Ă©meutiers attaquĂšrent le bourg dâIngĂĄ, Ă lâest de Fagundes[83] - [84]. Le mĂȘme jour, les kiloclastes qui avaient envahi Areia, lâune des principales villes de lâintĂ©rieur de la province de ParaĂba, dĂ©molirent le thĂ©Ăątre de la ville, considĂ©rĂ© par eux comme un Ă©difice maçonnique. AprĂšs y avoir brisĂ© tous les objets « maçonniques », ils se rendirent au bĂątiment du conseil municipal, oĂč ils dĂ©crochĂšrent et dĂ©truisirent le portrait de lâempereur Pierre II, responsable selon eux de lâarrestation de deux Ă©vĂȘques nordestins notables[85] - [86] - K. Richardson (2008), p. 36. Ils tentĂšrent aussi, quoiquâils en furent empĂȘchĂ©s, de dĂ©terrer les restes du juge cantonal dĂ©cĂ©dĂ© Francisco de AraĂșjo Barros, au motif que celui-ci aurait appartenu Ă la franc-maçonnerie et ne pouvait donc pas ĂȘtre inhumĂ© en terre consacrĂ©e[87] - [84]. Dans la localitĂ© de Vertentes, les incidents prirent aussi une tournure religieuse, que la presse de lâĂ©poque rĂ©percuta : selon le journal Jornal do Recife, le groupe qui fit irruption dans le bourg donna de trĂ©pidants vivats Ă la religion catholique et portait par devant lui un drapeau blanc sur lequel Ă©taient peintes des images de Notre-Dame et de Notre Seigneur crucifiĂ©[88].
Ă Queimadas, les Ă©meutiers se rendirent Ă lâimmeuble oĂč la sociĂ©tĂ© maçonnique Segredo e Lealdade (Secret et LoyautĂ©) avait coutume de tenir ses rĂ©unions. AprĂšs y avoir saisi des ouvrages ainsi quâun crucifix, ils les apportĂšrent Ă lâĂ©glise paroissiale pour remettre le tout au curĂ©[89]. Ă ItambĂ©, dans le Pernambouc, les insurgĂ©s refusĂšrent dâĂ©couter le prĂȘtre, allant mĂȘme jusquâĂ lâaccuser dâĂȘtre franc-maçon, en raison du fait que la croix de JĂ©sus quâil portait en sautoir sâinclinait vers la gauche. Dans le Pernambouc encore, un groupe dâĂ©meutiers envahit la municipalitĂ© de Limoeiro le , se rĂ©unirent dans lâĂ©glise, puis, arborant un drapeau et les effigies de la Vierge Marie et du Christ crucifiĂ©, entreprirent de convaincre les marchands forains de ne plus payer aucune taxe et de refuser dâutiliser le systĂšme mĂ©trique[90]. Il y eut dâautres cas oĂč lâĂ©glise fut utilisĂ©e comme lieu de rassemblement, notamment par le groupe de 300 personnes environ qui attaqua la localitĂ© de Santo Antonio, dans le Rio Grande do Norte, au dĂ©but du mois de : rĂ©unis devant lâĂ©glise, ils clamĂšrent des « vivats » au saint patron, pour ensuite dĂ©truire tous les registres administratifs qui leur venaient entre les mains[91]. Un autre groupe, Ă lâinverse, en arrivant Ă Caruaru, vers le , cria « Ă la libertĂ©, Ă la religion, Ă lâordre public, et aux chĂšres autoritĂ©s populaires », mais sâappliqua nĂ©anmoins dans la suite Ă brĂ»ler les archives de la municipalitĂ©[91].
Les cris de « vive la religion » et « mort aux francs-maçons » sâentendaient lors de quasi chacune des attaques, en particulier dans les soulĂšvements de la ParaĂba et du Pernambouc[92] - [93], Ă telle enseigne que tant le gouvernement provincial que celui central Ă Rio de Janeiro allaient attribuer le mouvement de Quebra-Quilos au « fanatisme religieux » et faire le lien avec la question religieuse alors pendante au BrĂ©sil[86] - [93].
Guerre du Paraguay et loi militaire
Le , au terme de dizaines dâannĂ©es de dĂ©bats, le gouvernement central adopta une nouvelle loi portant rĂ©forme du systĂšme de recrutement militaire Ă travers tout lâEmpire du BrĂ©sil. Connue sous le nom de loi du , de loi de recrutement, de loi du tirage au sort (Lei de Sorteios), ou de loi de captivitĂ© (Lei de Cativeiro), cette loi fut finalement proclamĂ©e par voie dâaffiches le mois suivant dans les campagnes de lâarriĂšre-pays nordestin[94]. Les toutes premiĂšres Ă©meutes de Quebra-Quilos, Ă Fagundes et Campina Grande, ne donnĂšrent pas tout dâabord Ă entendre de protestations contre cette loi, toutefois, Ă partir de novembre, lâopposition au service militaire occupera une place centrale dans les soulĂšvements et quasi tous les observateurs officiels en feront Ă©tat comme lâun des principaux griefs des paysans et lâun des principaux mobiles de leur rĂ©bellion[95].
Cette loi menaçait de bouleverser le systĂšme patriarcal et clientĂ©liste brĂ©silien traditionnel, et si lâon Ă©choua finalement Ă la faire entrer en vigueur, câest parce quâelle allait Ă lâencontre des coutumes et des normes morales des paysans, sâajoutant aux autres entorses aux mĆurs traditionnelles (imposto do chĂŁo, taxes, systĂšme mĂ©trique), contre lesquelles les protestations Ă©taient dĂ©jĂ en cours. Ce qui rendait cette nouvelle loi de conscription particuliĂšrement menaçante Ă©tait le fait quâelle tendait Ă saper la protection traditionnellement assurĂ©e aux petits paysans par le systĂšme clientĂ©liste, dit coronĂ©lisme, laquelle protection comportait la dispense de service militaire[96].
La loi de conscription, et dans une certaine mesure la rĂ©volte de Quebra-Quilos, est Ă situer dans le contexte de la tension quâil y eut, tout au long de lâhistoire du BrĂ©sil, y compris Ă lâĂ©poque coloniale, entre les tentatives de centralisation du pouvoir et la rĂ©sistance qui lui fut opposĂ©e au niveau local et rĂ©gional, rĂ©sistance qui prit la forme soit dâune consolidation du pouvoir entre des mains privĂ©es, soit â sous lâEmpire â de mouvements fĂ©dĂ©ralistes. Cette tension se cristallisa dans la question des forces armĂ©es. Pour apaiser les craintes que lâarmĂ©e nationale pĂ»t servir au gouvernement central Ă rĂ©duire les libertĂ©s provinciales, lâon crĂ©a la Garde nationale, qui, placĂ©e sous le commandement du ministre de la Justice[97], faisait office dâune sorte de gendarmerie nationale Ă laquelle pouvaient faire appel le juge de paix[98], les justices pĂ©nales, les prĂ©sidents de province, et le ministre de la Justice. Elle Ă©tait divisĂ©e en deux sections : lâactive et la rĂ©serve. De la seconde Ă©taient habilitĂ©s Ă faire partie les fonctionnaires, les membres de professions libĂ©rales, les Ă©tudiants, les ecclĂ©siastiques, les officiers dâarmĂ©e, le personnel hospitalier, les propriĂ©taires dâesclaves (Ă condition dâen dĂ©tenir plus de cinquante), les propriĂ©taires agricoles (sâils possĂ©daient au moins cinquante tĂȘtes de bĂ©tail), tandis que pouvaient prĂ©tendre au rang de garde actif les membres des classes infĂ©rieures ou des classes moyennes infĂ©rieures (sous rĂ©serve de pouvoir justifier dâun certain niveau de revenu)[99]. Au dĂ©but, les officiers de la Garde nationale Ă©taient Ă©lus, mais aux termes de la loi no 602 de , ils Ă©taient nommĂ©s par les prĂ©sidents de province ou par le ministre de la Justice[100].
Les Ă©lections, et la maniĂšre dont elles Ă©taient manipulĂ©es, sont un Ă©lĂ©ment clef du clientĂ©lisme au BrĂ©sil[101]. Lors des Ă©lections, les propriĂ©taires fonciers regroupaient leurs paysans et les emmenaient au juge de paix, qui dĂ©terminait sâils avaient un revenu suffisant pour ĂȘtre acceptĂ©s comme Ă©lecteurs. Ensuite, ils se rendaient Ă lâĂ©glise oĂč le scrutin se tenait et votaient pour le candidat soutenu par le propriĂ©taire. Les paysans Ă©taient ainsi admis Ă vivre sur le domaine agricole du patron-propriĂ©taire terrien en Ă©change de leur loyautĂ©, celle-ci consistant notamment Ă voter dans le sens souhaitĂ© par le patron. Au lien patron-client ainsi crĂ©Ă© se mĂȘlaient souvent de surcroĂźt des relations plus intimes, le patron consentant p.ex. Ă devenir le parrain des enfants de ses clients[102]. Si les deux grands camps politiques dâalors â conservateurs et libĂ©raux â poussaient leurs subordonnĂ©s Ă voter les jours dâĂ©lection, ceux des patrons soutenant le parti du premier ministre voyaient la plupart de leurs clients jugĂ©s dâun revenu suffisant et donc admis au scrutin, alors que beaucoup des subordonnĂ©s de la partie adverse se voyaient disqualifiĂ©s. Les patrons donc accordaient protection et terres Ă leurs clients en Ă©change de leur loyautĂ© et de leur soutien Ă©lectoral ; Ă lâinverse, toute perfidie ou dĂ©fection Ă©tait sanctionnĂ©e notamment par lâenrĂŽlement dans les forces armĂ©es[103].
Aussi bien pendant la pĂ©riode coloniale que sous lâindĂ©pendance, la vaste majoritĂ© des hommes enrĂŽlĂ©s dans lâarmĂ©e lâĂ©taient par la contrainte. Les recrues une fois entre les mains de lâarmĂ©e, les officiers daignaient (pendant la pĂ©riode dite dâexamen) prĂȘter lâoreille aux subterfuges ou aux raisons valables pour lesquelles telle recrue estimait devoir ĂȘtre dispensĂ©e de service militaire. Par exemple, les recruteurs avaient pour consigne « dâĂ©pargner un fils de chaque fermier, les gardiens de bĂ©tail qui conduisent le bĆuf sur pied vers les villes, les maĂźtres artisans, les marins-pĂȘcheurs, les marchands dâesclaves, les clercs », et les miliciens[104]. Mais ce qui importait le plus pour un jeune homme aux prises avec les forces armĂ©es, câĂ©tait dâavoir lâappui dâun patron capable de convaincre les autoritĂ©s de le rĂ©former[105].
Un dĂ©cret impĂ©rial de 1822 portait que tous ceux vivant en « oisivetĂ© criminelle », câest-Ă -dire, en pratique, qui nâavaient pas de patron pour les protĂ©ger, Ă©taient sujets Ă enrĂŽlement dans lâarmĂ©e[106]. Le service militaire valait chĂątiment pour des dĂ©lits, comme celui, vaguement dĂ©fini, de vagabondage[107]. Les recrues pouvaient se dĂ©rober en proposant un remplaçant ou en payant une amende de 400 milreis. En 1852, chaque province avait un quota annuel dâhommes Ă fournir Ă lâarmĂ©e. Cette tĂąche fut souvent dĂ©lĂ©guĂ©e Ă des recruteurs, qui seraient aprĂšs 1858 indemnisĂ©s 10 milreis pour chaque enrĂŽlement forcĂ© et 20 milreis pour chaque volontaire[108]. Mais le gros du travail dâenrĂŽlement fut confiĂ© Ă la Garde nationale. Or, les patrons dâune part prĂ©servaient leurs clients dâĂȘtre recrutĂ©s dans lâarmĂ©e ou la marine, et dâautre part briguaient pour eux-mĂȘmes des postes dâofficier dans la Garde nationale[109]. Pendant la guerre de la Triple-Alliance (appelĂ©e au BrĂ©sil guerre du Paraguay), la Garde nationale, jusque-lĂ assimilable Ă une force de gendarmerie intĂ©rieure plutĂŽt quâĂ un corps expĂ©ditionnaire, avait Ă©tĂ© elle aussi envoyĂ©e au front, alors que traditionnellement ceux qui avait rejoint la Garde nationale avaient Ă©tĂ© exemptĂ©s du service militaire dans lâarmĂ©e[110]. CâĂ©tait lĂ la premiĂšre fois que la Garde nationale eut Ă se battre en dehors du BrĂ©sil ; 14796 Gardes nationaux furent appelĂ©s dans le seul mois de , dont 6 000 de la province de Minas Gerais et 3 000 de SĂŁo Paulo. En , 10 000 hommes supplĂ©mentaires furent appelĂ©s sous les drapeaux, puis encore 8 000, ce qui laisse supposer des formes extrĂȘmes dâenrĂŽlement dans la Garde nationale[111].
En , les autoritĂ©s brĂ©siliennes cessĂšrent de recruter sur une base volontaire, et les officiers revinrent Ă la vieille mĂ©thode Ă©prouvĂ©e du recrutement forcĂ©, mais rehaussĂ© Ă un niveau jamais atteint auparavant au BrĂ©sil[112]. Ă lâissue de la guerre de la Triple Alliance, le gouvernement fut amenĂ© Ă concevoir et Ă appliquer une rĂ©forme du systĂšme de recrutement militaire[113]. La nouvelle lĂ©gislation signait la fin du rĂŽle de force de sĂ©curitĂ© strictement intĂ©rieure de la Garde nationale et mettait Ă mal le clientĂ©lisme comme moyen de se soustraire au service militaire.
Politique de modernisation
Dans la dĂ©cennie 1870, le gouvernement impĂ©rial du BrĂ©sil entreprit une sĂ©rie de modernisations du pays, en commençant par une abolition graduelle de lâesclavage, sous la forme de la loi dite Rio Branco (du nom du premier ministre d'alors, le vicomte de Rio Branco, 1871), puis en instaurant en 1872 le systĂšme mĂ©trique Ă travers tout le BrĂ©sil. Cependant, au cours des derniĂšres dĂ©cennies du XIXe siĂšcle, et jusque dans les premiĂšres du siĂšcle suivant, nombre de personnes allaient sâopposer, Ă des degrĂ©s variĂ©s, Ă ces modernisations. Les rĂ©voltes de Canudos, du Contestado, du CaldeirĂŁo, et les protestations contre la vaccination de 1904 Ă©taient, au moins partiellement, anti-modernistes ; Quebra-Quilos en Ă©tait sans doute la plus importante[114].
La guerre de la Triple Alliance terminĂ©e, le gouvernement du vicomte de Rio Branco, connu sous le nom de cabinet du , inaugura une nouvelle pĂ©riode de rĂ©formes pour le BrĂ©sil. Furent ainsi dĂ©cidĂ©s e.a. une rĂ©forme de lâenseignement, une abolition progressive de lâesclavage, le subventionnement des chemins de fer, le premier recensement national de la population, la mise en place dâune liaison tĂ©lĂ©graphique intercontinentale sous-marine, et lâintroduction du systĂšme mĂ©trique[115].
Une loi portant instauration du systĂšme mĂ©trique fut adoptĂ©e en 1862, mais mĂ©nageait une pĂ©riode de tolĂ©rance de dix ans[116]. En , dix ans aprĂšs la promulgation, Francisco do Rego Barros Barreto, alors ministre de lâAgriculture, publia un dĂ©cret prescrivant lâadoption officielle immĂ©diate du systĂšme mĂ©trique ; les Instructions (no 5089), publiĂ©es avec la loi dâexĂ©cution no 1157 et exĂ©cutoires le , prĂ©voyaient en cas de violation des sanctions de cinq Ă dix jours dâemprisonnement et une amende de 10 000 Ă 20 000 reis[117] - [118].
Dans les annĂ©es 1850, les routes et chemins de fer apparaissaient comme les Ă©lĂ©ments les plus emblĂ©matiques de la modernisation en cours. Le BrĂ©sil sâadressa Ă des Ă©trangers, plus spĂ©cialement aux Anglais, pour en prendre en charge la rĂ©alisation. Le centre-sud â si lâon prend comme critĂšre la construction ferroviaire â se modernisa prestement ; le nord-est en revanche, lieu de lâancienne richesse du BrĂ©sil durant la pĂ©riode coloniale, se modernisait beaucoup plus lentement. LĂ aussi, câest aux Britanniques que fut confiĂ© le soin dâamĂ©nager les chemins de fer. En fait, la Compagnie ferroviaire de Recife et du SĂŁo Francisco fut la premiĂšre sociĂ©tĂ© de chemins de fer au BrĂ©sil, quoique lâobjectif de relier Recife et le fleuve SĂŁo Francisco prĂźt des dĂ©cennies Ă ĂȘtre atteint et que la compagnie fĂ»t dĂ©passĂ©e en importance et efficacitĂ© par celles opĂ©rant dans le centre-sud. La Compagnie ferroviaire de la Bahia et du SĂŁo Francisco, mise sur pied en 1852, commença ses activitĂ©s en 1860, et, Ă lâinstar de la Compagnie ferroviaire de Recife et du SĂŁo Francisco, ne remplirait son objectif quâau prix dâune immense dĂ©pense de temps et dâĂ©nergie, nâatteignant le fleuve SĂŁo Francisco quâen 1896[119].
Lâempereur Pierre II lui-mĂȘme, patron des sciences et des arts, sâattela Ă rĂ©former le BrĂ©sil. Ă cet effet, il fit modifier, par le biais de la fiscalitĂ©, les rĂšgles du mĂ©tayage, encouragea lâimmigration, fit mettre en Ćuvre des mĂ©thodes agricoles scientifiques, Ă©tendit le droit de vote, et fit finalement abolir lâesclavage[120]. Pour introduire le BrĂ©sil dans la modernitĂ© et montrer au monde que le pays progressait, les Ă©lites brĂ©siliennes sâattachaient aux signes extĂ©rieurs du progrĂšs : routes, chemins de fer, Ă©clairage au gaz, etc. Comme indiquĂ© ci-haut, le BrĂ©sil voulut Ă©galement rĂ©former son systĂšme de poids et mesures, dans le but de combattre la corruption des commerçants et des percepteurs, mais aussi pour stimuler la participation du BrĂ©sil aux Ă©changes internationaux[121]. En 1854, au terme dâune pĂ©riode de transition, le Portugal adopta le systĂšme mĂ©trique, et en 1861, le royaume dâItalie nouvellement constituĂ© fit de mĂȘme, avec une pĂ©riode de transition de 18 mois. En 1862, il y eut une vague dâadoptions en AmĂ©rique latine, lâUruguay, le Chili, le PĂ©rou, le BrĂ©sil et lâArgentine sâapprĂȘtant Ă lâadopter Ă leur tour[122]. Cette mesure de modernisation avait en apparence lâavantage, et ceci dâattrayant, quâelle bĂ©nĂ©ficierait Ă tous les BrĂ©siliens sans mettre en cause les institutions traditionnelles et conservatrices du pays[123]. La lĂ©gislation brĂ©silienne affĂ©rente nâapparaĂźt du reste nullement prĂ©cipitĂ©e ni radicale, mais au contraire prĂ©cautionneuse, puisquâelle prenait soin de prĂ©ciser que la substitution devait se faire graduellement, disposant que lâusage lĂ©gal des anciennes mesure ne devait cesser totalement quâau bout de dix annĂ©es de transition. En 1872, Rio Branco suggĂ©ra au ministre de lâAgriculture, Francisco do Rego Barros Barreto, que fussent publiĂ©es des instructions pour lâexĂ©cution de la loi, votĂ©e dĂ©jĂ dix ans plus tĂŽt. Il fut alors dĂ©terminĂ© quâĂ compter du , les marchandises offertes Ă la vente devaient ĂȘtre mesurĂ©es ou pesĂ©es en accord avec le nouveau systĂšme de poids et mesures. Toute utilisation de lâancien systĂšme serait punie dâune peine de prison de cinq Ă dix jours ou dâune amende de 10 Ă 20 milreis. Ces instructions du mitigeaient ainsi les sanctions prĂ©vues par la lĂ©gislation, qui comportaient des peines jusquâĂ un mois d'emprisonnement et des amendes jusquâĂ 100 milreis. Ce fut le baron de Capanema qui formula la premiĂšre grande critique Ă cette rĂ©solution gouvernementale, publiant, dans le journal A Reforma dĂ©but 1873, un article oĂč il reprochait aux autoritĂ©s de nâavoir pas eu la prĂ©caution de distribuer les nouveaux Ă©talons de mesure. Quoi quâil en soit, les amendes et les peines dâemprisonnement confĂ©raient Ă cette loi, dirigĂ©e contre des coutumes et habitudes venues des temps de la colonie, une aura de violence[124].
Causes
Cause principale : les taxations
Si les paysans des campagnes de lâintĂ©rieur bravĂšrent lâautoritĂ©, câĂ©tait au tout premier chef pour protester contre une sĂ©rie incessante de nouvelles impositions, provinciales et municipales, trop lourdes pour la vaste majoritĂ© des sertanejos pauvres, mĂȘme si â ainsi que lâindique le nom mĂȘme de la rĂ©volte â lâinstauration du systĂšme mĂ©trique joua Ă©galement un rĂŽle important.
Lâanalyse de lâĂ©volution de la fiscalitĂ© dans la pĂ©riode qui prĂ©cĂšde la rĂ©volte de Quebra-Quilos montre que, dans la Pernambouc, pour les annĂ©es qui vont de 1870 Ă 1874, il fut crĂ©Ă© 32 impĂŽts nouveaux et supprimĂ© 13, que le taux fut baissĂ© pour 59 impĂŽts et rehaussĂ© pour 36[125]. Lâaugmentation du prix du coton, consĂ©cutive Ă la guerre de SĂ©cession aux Ătats-Unis, provoqua une hausse des recettes provinciales, Ă la faveur desquelles furent engagĂ©es des dĂ©penses importantes de nature permanente, sans prĂ©vision du futur et sans que lâon pĂ»t ĂȘtre assurĂ© de la pĂ©rennitĂ© de cette conjoncture favorable. De maniĂšre gĂ©nĂ©rale, lâimposition au BrĂ©sil Ă©tait Ă©levĂ©e si on la compare avec celle des autres pays. Une Ă©tude comparative des impĂŽts perçus, vers le milieu du XIXe siĂšcle, au BrĂ©sil et dans les autres Ătats, indique que la charge fiscale se situait au BrĂ©sil toujours au-delĂ des possibilitĂ©s contributaires du pays[126].
La localitĂ© de Fagundes, prĂšs de la ville sertaneja de Campina Grande, dans la ParaĂba, fut la premiĂšre Ă se rĂ©volter. Significativement, câest sur le territoire de cette localitĂ© que la culture du coton avait connu son plus grand essor et que lâon subissait donc de plein fouet les effets de la crise cotonniĂšre. SâapprĂȘtant Ă envahir la ville de Campina Grande voisine, lâun des meneurs identifiĂ©s du mouvement, JoĂŁo Vieira, alias Carga dâAgua, non seulement fit connaĂźtre ses desseins, Ă savoir « brĂ»ler les papiers des impĂŽts », mais sâefforça aussi de rassembler autour de lui le plus de monde possible pour lâassister[127]. Une bonne part des vendeurs de marchĂ© Ă©taient en retard de paiement pour la taxe foraine ; lorsque le groupe protestataire menĂ© par JoĂŁo Nunes attaqua le foirail de Fagundes, ils sâen prirent Ă la liste recensant les personnes en retard de paiement des taxes provinciales, liste qui Ă©tait apposĂ©e Ă la porte de la boucherie et quâils dĂ©tachĂšrent et mirent en lambeaux[51]. Ă Campina Grande, les diffĂ©rents groupes dâĂ©meutiers vinrent tous dans la mĂȘme intention (en plus de dĂ©truire les poids et mesures du systĂšme mĂ©trique nouvellement rendu obligatoire) dâempĂȘcher la perception des taxes provinciales et municipales, jugĂ©es excessives[128].
Les Ă©meutiers dirigeaient leur rage non seulement contre les taxes, mais aussi contre ceux qui en assuraient la perception. Bien quâil nây eĂ»t que fort peu de collecteurs dâimpĂŽts tuĂ©s pendant la rĂ©volte de Quebra-Quilos, une exception cependant est Ă signaler qui survint Ă la mi-dĂ©cembre quand un groupe de 400 Ă©meutiers attaqua Bom Conselho, pĂ©nĂ©trĂšrent par effraction dans lâoffice du collecteur dâimpĂŽts et assassinĂšrent son greffier[129] - [130] â mais câĂ©tait lĂ certes un cas exceptionnel, non la rĂšgle gĂ©nĂ©rale[131]. Bien plutĂŽt, les insurgĂ©s sâen prenaient aux bureaux oĂč les registres de taxation Ă©taient conservĂ©s ; ceux-ci Ă©taient alors jetĂ©s hors du bĂątiment et Ă©parpillĂ©s par les rues, pour y ĂȘtre brĂ»lĂ©s ou rĂ©duits en laniĂšres. Les Ă©meutiers en particulier qui se trouvaient rĂ©pertoriĂ©s pour arriĂ©rĂ©s dâimpĂŽts se montraient les plus ardents Ă dĂ©truire ces registres[132]. Tous autres documents financiers, tels que p.ex. les titres dâhypothĂšque, connurent le mĂȘme sort[127]. Si dâautres mobiles peuvent ĂȘtre invoquĂ©s comme causes de la rĂ©volte de Quebra-Quilos, il demeure que les Ă©meutiers ont tous indiquĂ© cette raison particuliĂšre â les taxes â pour motif de leur soulĂšvement.
Exacerbation de la question religieuse par la mise sous Ă©crou de deux Ă©vĂȘques et opposition Ă la franc-maçonnerie
En contrepoint des Ă©volutions que traversait lâĂglise, il y a lieu de sâattarder Ă la franc-maçonnerie brĂ©silienne. Si celle-ci Ă©tait certes associĂ©e avec les idĂ©es libĂ©rales, elle nâavait garde de cĂ©der Ă lâanticlĂ©ricalisme, comptant mĂȘme des ecclĂ©siastiques parmi ses membres. Cependant, au fur et Ă mesure que lâĂglise Ă©tait Ă©cartĂ©e des centres de pouvoir et que les ecclĂ©siastiques adhĂ©raient moins au libĂ©ralisme, les hommes dâĂglise cessĂšrent de s'affilier aux loges. De plus, Rome commençait alors Ă condamner la franc-maçonnerie, de sorte que, plus lâĂglise brĂ©silienne se « romanisait », plus sa rhĂ©torique se faisait anti-maçonnique[133]. En 1864, Rome fit paraĂźtre lâencyclique Syllabus errorum, oĂč quatre-vingts « principales erreurs de notre temps » Ă©taient dĂ©finies, et dans un addendum de laquelle, intitulĂ© Quanta Cura, se trouvait exposĂ©e lâopposition de la papautĂ© Ă la franc-maçonnerie. Ensuite, lors du concile Vatican I (1869-70), Rome formula le dogme de lâinfaillibilitĂ© papale. Ces positions portĂšrent le BrĂ©sil Ă sĂ©culariser les cimetiĂšres, de mettre sur pied un service dâĂ©tat civil, et mĂȘme de reconnaĂźtre le mariage civil[134] - [133]. En 1871, le vicomte de Rio Branco fit adopter la loi dite des Ventres libres, en vertu de laquelle tout enfant nĂ© dâune esclave aprĂšs la promulgation de cette loi serait dâoffice affranchi Ă lâĂąge de 21 ans, moyennant toutefois que cet enfant eĂ»t servi le maĂźtre de sa mĂšre Ă partir de lâĂąge de huit ans jusquâĂ lâĂąge de son affranchissement. Le vicomte de Rio Branco se trouvait ĂȘtre Ă ce moment-lĂ grand-maĂźtre de lâune des deux grandes loges maçonniques de Rio de Janeiro ; Ă lâoccasion dâune rĂ©ception donnĂ©e en lâhonneur de Rio Branco, le pĂšre Almeida Martins, franc-maçon lui-mĂȘme, prononça son Ă©loge, ce qui incita son Ă©vĂȘque, Pedro Maria de Lacerda, de lui ordonner de quitter la franc-maçonnerie. Cependant, attendu que la franc-maçonnerie nâavait jamais Ă©tĂ© condamnĂ©e par lâĂtat brĂ©silien, et quâaucune des encycliques rejetant la franc-maçonnerie nâavait jamais reçu le placet impĂ©rial et quâaucune par consĂ©quent nâavait force de loi au BrĂ©sil, le pĂšre se crut en droit de refuser. LâĂ©vĂȘque Lacerda rĂ©pliqua en suspendant Almeida de sa facultĂ© de prĂȘcher et d'entendre les confessions. En rĂ©action, Almeida se pourvut devant le Conseil dâĂtat[135].
Dans le Pernambouc, lâĂ©vĂȘque dâOlinda nouvellement nommĂ©, le capucin Vital Maria Gonçalves de Oliveira, ayant eu vent de ce que le une messe serait cĂ©lĂ©brĂ©e Ă lâoccasion de la fondation dâun ordre maçonnique local, publia la circulaire ReservadĂssima interdisant la tenue de cette messe. Gonçalves de Oliveira ordonna Ă tous les prĂȘtres dâabjurer la franc-maçonnerie et Ă toutes les congrĂ©gations dâexpulser de leur sein tout membre qui sây refuserait. Dans le mĂȘme temps, lâĂ©vĂȘque du ParĂĄ, Dom AntĂŽnio de Macedo Costa, dĂ©cida dâadopter une position semblable et publia le une lettre pastorale, dans laquelle lui aussi condamnait la franc-maçonnerie et dĂ©crĂ©ta que tout franc-maçon ayant refusĂ© dâabjurer la franc-maçonnerie eĂ»t Ă ĂȘtre banni de sa congrĂ©gation. Pas moins de cinq associations religieuses furent suspendues en consĂ©quence. En , le Vatican, pour assurer Dom Vital de son appui, publia lâencyclique Quamquam Dolores, qui toutefois nâeut point le placet impĂ©rial. Le ministre de lâintĂ©rieur, JoĂŁo Alfredo Correia de Oliveira, adressa en une missive Ă Dom Vital lui rappelant que « selon notre loi, les bulles nâayant pas reçu le placet ne peuvent ĂȘtre appliquĂ©es dans lâEmpire » ; nĂ©anmoins, Dom Vital continua de publier des encycliques sans lâaval de lâEmpereur[136] - [137]. En , le Conseil dâĂtat ordonna Ă Dom Vital de lever avant 30 jours lâinterdit jetĂ© sur les congrĂ©gations. Dom Vital nâayant pas obtempĂ©rĂ© Ă lâexpiration de ce dĂ©lai, le Tribunal de Justice accusa le de la mĂȘme annĂ©e Dom Vital de violer lâarticle 96 du code criminel et ordonna son arrestation immĂ©diate. Dom AntĂŽnio de Macedo Costa devait tomber sous le coup dâune incrimination similaire en mars de lâannĂ©e suivante. DĂ©fĂ©rĂ© devant la Cour suprĂȘme le , Dom Vital fut condamnĂ© Ă 21 ans de travaux forcĂ©s. Dom AntĂŽnio de Macedo Costa, mis en jugement dans des circonstances similaires le , se vit signifier un verdict analogue le [138] - [139]. Ces sentences furent ensuite toutes deux commuĂ©es en incarcĂ©ration ordinaire par ordre de lâempereur Pierre II, et tous deux allaient purger leur peine pendant un an et demi, avant de bĂ©nĂ©ficier dâune amnistie impĂ©riale gĂ©nĂ©rale le . La rĂ©volte de Quebra-Quilos cependant Ă©clata, en partie du moins, en soutien Ă ces deux Ă©vĂȘques emprisonnĂ©s[140].
Attendu que lors de lâinsurrection toute la documentation relative aux impĂŽts municipaux de Campina Grande fut dĂ©truite, aucune trace ne subsiste quant au total perçu au titre de lâimposto do chĂŁo (taxe foraine). Toutefois, tout laisse supposer que les sommes Ă©taient loin dâĂȘtre considĂ©rables ; mais il sâagissait, aux yeux des quebra-quilos, dâun impĂŽt de franc-maçon, un impĂŽt excommuniĂ©, impie, contre la religion, voire contre Dieu. La religion des anciens colonisateurs sâinscrit syncrĂ©tiquement dans lâunivers critique et moral des caboclos du Nordeste, dans leur vision primitive des choses ; dans ce syncrĂ©tisme, la rĂ©bellion en lâespĂšce nâest pas une transgression, mais « au contraire reprĂ©sente une confiscation, une appropriation lĂ©gitime et juste des biens de lâoppresseur par lâopprimĂ©. La religion, comme la place publique, appartient au peuple »[141].
Le (ou le 26, selon les sources) 1874, câest-Ă -dire un mois aprĂšs les premiĂšres agitations de Fagundes, des Ă©meutiers dĂ©ferlĂšrent dans la ville sertaneja dâAreia, Ă©galement dans la ParaĂba[139]. En 1859, ce bourg avait fait bĂątir un thĂ©Ăątre, dotĂ© de dix loges, dâune centaine de siĂšges et dâune galerie[142] - [87]. Les Ă©meutiers, sur la foi de ce que « sây trouvait un livre bleu contre lâĂglise », croyaient quâil sâagissait en fait dâun temple maçonnique et se mirent par consĂ©quent en devoir de le dĂ©molir[143]. Ceci accompli, ils se rendirent Ă la mairie, oĂč ils arrachĂšrent de dessus le mur puis dĂ©coupĂšrent en laniĂšres le portrait de Dom Pedro II, Ă qui ils imputaient lâarrestation des deux Ă©vĂȘques susnommĂ©s[144] - [143]. Ces mĂȘmes Ă©meutiers tentĂšrent dâautre part dâexhumer le cadavre du juge cantonal, Francisco de AraĂșjo Barros, au motif que, vu quâil avait Ă©tĂ© franc-maçon, il nâavait pas droit Ă ĂȘtre inhumĂ© en terre consacrĂ©e[87] - [143]. Il apparaĂźt donc, en partie du moins, que les paysans se servirent de la dĂ©tention des deux Ă©vĂȘques, et de façon gĂ©nĂ©rale, de motivations religieuses, comme justificatif moral de leur soulĂšvement anti-impĂŽts, afin de rendre Ă©thiquement acceptables leur refus de sâacquitter des taxes et leur non-respect de la loi[143].
RĂŽle des mouvements missionnaires
Le rĂŽle (et lâutilisation) de la religion dans cette rĂ©volte sâinscrit dans la droite ligne des prĂ©dications menĂ©es dans le nord-est par des prĂȘtres locaux affiliĂ©s aux mouvements missionnaires. Ces prĂ©dications tendaient Ă un renouveau religieux et Ă des rĂ©formes sociales et Ă©taient notamment dirigĂ©es contre la franc-maçonnerie. Ă Granito, par exemple, le pĂšre Manoel Antonio de Jesus sâemployait Ă exhorter les masses Ă la rĂ©bellion, notamment en prĂȘchant Ă propos de lâĂ©pineuse question religieuse et en flĂ©trissant lâarrestation de lâĂ©vĂȘque Vital Maria Gonçalves de Oliveira[145].
Dans les dĂ©cennies 1860 et 1870, lâon vit dĂ©ferler par vagues, sur les campagnes brĂ©siliennes, des missions de prĂ©dication dirigĂ©es entre autres par le pĂšre JosĂ© AntĂŽnio Maria Ibiapina. Ce dernier, avocat de formation, affectĂ© par la misĂšre dans le nord-est, entreprit une sĂ©rie de missions dans la rĂ©gion, lesquelles, se prolongeant sur environ douze jours et visant chacune une ville ou bourgade particuliĂšre, sâattachaient aussi bien aux aspects matĂ©riels que spirituels. Le prĂ©dicateur sâefforçait de rassembler la population autour de lui, dans le but de construire des hĂŽpitaux, des maisons de charitĂ© (Casa de Caridade), des cimetiĂšres, des Ă©glises, et des retenues dâeau pour lâirrigation[146]. Ibiapina, qui Ă©pinglait la vanitĂ© comme pĂ©chĂ©, fit construire par les populations rurales, entre 1860 et 1872, vingt-deux de ces maisons de charitĂ©. Lâune dâelles, Ă©difiĂ©e dans le CearĂĄ en 1865, appelĂ©e MissĂŁo Velha, pouvait recueillir des orphelins et des malades, avait un jardin de fleurs avec une citerne dâeau et une salle pour enseigner aux enfants. Dix de ces maisons furent Ă©tablies dans la ParaĂba; la premiĂšre, la Casa de Santa FĂ©, fut fondĂ©e en 1866 et comprenait un barrage et un cimetiĂšre, puis dâautres furent Ă©tablies Ă Pocinhos et Ă Pombal. Dans dâautres zones, Ibiapina construisit des hĂŽpitaux, notamment Ă Areia en 1862 et Ă Alagoa Nova en 1869, lesquels seront convertis plus tard en maisons de charitĂ©[147]. La presque totalitĂ© des villages appelĂ©s Ă participer Ă la rĂ©bellion de Quebra-Quilos avaient auparavant Ă©tĂ© desservis par les missions dâIbiapina[148].
Le pĂšre Calixto Correia de NĂłbrega, curĂ© de Campina Grande, qui tentait de convaincre ses paroissiens des mĂ©faits de la franc-maçonnerie, sollicita lâassistance du pĂšre Ibiapina, lequel, arrivĂ© dans la ville dĂ©but et inaugurant sa mission le lendemain, prĂȘcha que les habitants de Campina Grande ne devaient pas obĂ©ir aux autoritĂ©s municipales, en tant quâelles avaient Ă©tĂ© nommĂ©es par un gouvernement maçonnique. Ibiapina ajouta que « ce serait la mĂȘme chose de tuer un franc-maçon ou des chiens damnĂ©s ». Ă Fagundes, selon un tĂ©moignage, Ibiapina prĂȘcha « depuis la chaire que le fils ne devait pas obĂ©ir au pĂšre sâil Ă©tait franc-maçon [âŠ] et que lâĂ©pouse pouvait quitter son mari⊠[et] que les gens ne devaient pas obĂ©ir au gouvernement »[149] - [150].
Lâimposto do chĂŁo (taxe foraine), principale cible du soulĂšvement, Ă©tait rĂ©putĂ©e « loi maçonnique » chez les insurgĂ©s, ou au moins loi instaurĂ©e par des francs-maçons, au mĂȘme titre que les poids et mesures du systĂšme mĂ©trique[151]. Câest dâailleurs au pĂšre NĂłbrega que Joao Carga dâAgua, meneur dâun des groupes dâĂ©meutiers, sâadressa spĂ©cifiquement pour lui remettre les poids et mesures « maçonniques » quâils avaient saisis. Vers le , l'agitateur Manoel de Barros, quand il retourna en ville avec ses hommes, et aprĂšs quâil eut tirĂ© de prison son pĂšre Joao de Barros, attaqua le lieu de rĂ©union de la sociĂ©tĂ© Segredo e Lealdade, sâempara du crucifix et des livres qui sây trouvaient et se rendit, lui aussi, chez NĂłbrega pour les lui remettre[152].
Ibiapina apparaĂźt dans la documentation officielle sur Quebra-Quilos comme extrĂȘmement suspect. Pour Manuel Caldas Barreto, chef commissaire de police du Pernambouc, le pĂšre Calixto da NĂłbrega est la soutane la plus dangereuse et la plus subversive de son ordre ; il aurait insufflĂ© dans le peuple des « idĂ©es anarchistes, qui furent plus dâune fois Ă lâorigine de troubles et de blessures »[153]. Il y a lieu toutefois de distinguer entre sa prĂ©dication anti-maçonnique, entrelardĂ©e de dures critiques contre le gouvernement, et un hypothĂ©tique rĂŽle dirigeant chez les Ă©meutiers. Il Ă©tait certes impliquĂ© dans la premiĂšre ; quant au second, sa personne Ă©chappe Ă la logique des Ă©vĂ©nements. Dans la ParaĂba comme dans le Pernambouc, le commandement des quebra-quilos fut toujours alĂ©atoire, dĂ©sarticulĂ© et transitoire. TantĂŽt ce fut un major de lâarmĂ©e, AntĂŽnio Lelis de Sousa Pontes, originaire dâIngĂĄ, qui avait Ă©tĂ© dĂ©putĂ© provincial sous la lĂ©gislature 1870-1871, tantĂŽt un vicaire, Calixto Correia da NĂłbrega, Ă Campina Grande, qui sâĂ©vertua Ă tirer parti de la dynamique contestataire des quebra-quilos. La dĂ©cision de prendre la tĂȘte du mouvement se prenait toujours en fonction de questions et de problĂ©matiques locales, de sympathies et antipathies purement rĂ©gionales. Dans le cas prĂ©cis de lâimplication des deux prĂ©lats Ibiapina et Calixto, il y eut le facteur dĂ©terminant la dimension de lâantagonisme majeur entre Ăglise et franc-maçonnerie[154].
Les pĂšres NĂłbrega et Ibiapina furent donc pendant un temps considĂ©rĂ©s comme les chefs de file du soulĂšvement â le , le prĂ©sident de la province de ParaĂba Ă©crivit Ă son confrĂšre du Pernambouc que « les pĂšres Ibiapina et Calixto [curĂ© de Campina Grande] Ă©taient les principaux auteurs de cette agitation »[155] â, raison pour laquelle NĂłbrega allait ĂȘtre interpellĂ© et traduit en justice comme meneur du mouvement de Quebra-Quilos[156]. Cependant, dĂ©fendu par un sien ami, lâavocat Geraldo Irineu JĂłffily, NĂłbrega fut bientĂŽt mis hors de cause et relĂąchĂ© aprĂšs son interrogatoire[157] - [158]. Peu aprĂšs, le commissaire en chef de la police ordonna de nouveau son arrestation, alors que lâintĂ©ressĂ©, aprĂšs sa mission Ă Campina Grande, sâĂ©tait entre-temps retirĂ© Ă Santa FĂ©, dans la premiĂšre de ses maisons de charitĂ© dans la ParaĂba, et sây trouvait encore lorsquâil apprit le mandat d'arrĂȘt lancĂ© contre lui ; toutefois, son arrestation nâeut jamais lieu[159] - [158] ; sans doute, eu Ă©gard au prestige attachĂ© Ă son nom auprĂšs de la population nordestine, le gouvernement renonça-t-il Ă le mettre en dĂ©tention. En effet, ainsi que le note Joffily, il eĂ»t Ă©tĂ© plus risquĂ© de toucher au « padre mestre » (pĂšre maĂźtre) que dâarrĂȘter lâĂ©vĂȘque Dom Vital[159] - [160] - [157].
RÎle des jésuites et des capucins
Dans le Pernambouc, les autoritĂ©s sâĂ©vertuĂšrent Ă dĂ©signer la question religieuse comme la cause de la rĂ©volte de Quebra-Quilos. Comme en tĂ©moigne une lettre dâHenrique Pereira de Lucena, prĂ©sident du Pernambouc, adressĂ©e au ministre de la Justice, les jĂ©suites Ă©taient vouĂ©s Ă jouer en grande partie le rĂŽle de bouc Ă©missaire, tant pour la question religieuse que pour Quebra-Quilos[160]. Les jĂ©suites avaient Ă©tĂ© expulsĂ©s du BrĂ©sil au XIXe siĂšcle, mais revinrent Ă Recife, sous lâĂ©gide de lâĂ©vĂȘque Manuel Medeiros, mais cette fois prudemment sous lâappellation de pĂšres de Saint-François-Xavier, et collaborĂšrent au Journal O CathĂłlico. Dans son premier numĂ©ro, ce journal prĂ©sentait le point central de son programme idĂ©ologique : la « nĂ©cessitĂ© urgente de dĂ©fendre, dans le cadre actuel, la religion chrĂ©tienne et lâĂglise ». Le journal ne voulait se mettre au service dâaucun parti politique. Comme responsable unique de tous les articles publiĂ©s apparaissait le nom du conselheiro Pedro Autran da Mata Albuquerque, cependant lâindication quâil se trouvait « sous les auspices de lâĂ©vĂȘque Dom Francisco Cardoso Ayres » confĂ©rait au journal le statut dâorgane officiel. Dans ses colonnes est perceptible la prĂ©sence jĂ©suitique ; le langage utilisĂ© est parfois vĂ©hĂ©ment, en particulier quand il est question de la franc-maçonnerie. Il adoptait par ailleurs des positions anti-libĂ©rales[161]. Si dans le passĂ© le jĂ©suitisme, dâun cĂŽtĂ©, rechercha, et obtint plusieurs fois, le pouvoir politique, de lâautre, la rĂ©action Ă son influence fut Ă©galement vive. Quelques prĂȘtres de lâintĂ©rieur avaient dans des sermons du dimanche critiquĂ© le gouvernement pour sa position dans lâaffaire des Ă©vĂȘques Dom Vital et Dom Macedo Costa ; mais ce ne furent gĂ©nĂ©ralement pas des jesuites qui firent montre dâun tel courage, mais la plupart du temps de simples prĂȘtres sĂ©culiers ou des membres dâautres ordres[162]. NĂ©anmoins, un lien matĂ©riel complet et prĂ©cis entre Quebra-Quilos et clergĂ© ne peut pas ĂȘtre Ă©tabli. Dans cette Ăglise catholique rancuniĂšre, qui se dĂ©solait de lâincarcĂ©ration de ses Ă©vĂȘques, lâattitude des prĂȘtres apparaĂźt en gĂ©nĂ©ral, dans les villes et bourgs oĂč le mouvement se manifesta avec une intensitĂ© plus ou moins forte, dâune variabilitĂ© telle que lâidĂ©e sâimpose naturellement Ă lâhistorien que câĂ©taient les situations locales, les points de vue personnels en matiĂšre politique, les liens dâamitiĂ© ou dâinimitiĂ© avec les autoritĂ©s qui fondamentalement conditionnĂšrent les positions prises par les curĂ©s de lâintĂ©rieur vis-Ă -vis de la rĂ©volte, de la sĂ©dition ou des simples tumultes des quebra-quilos. Cela vaut du moins pour le clergĂ© sĂ©culier ; quant aux ignatiens, et quand bien mĂȘme le gouvernement eĂ»t Ă©tĂ© convaincu du contraire, il nâa Ă©tĂ© trouvĂ© aucune preuve directe, conclusive, documentĂ©e, de lâaction des jĂ©suites contre les institutions. Quoique revanchiste, lâĂglise brĂ©silienne joua dans la rĂ©volte de Quebra-Quilos un rĂŽle asymĂ©trique et plus dâune fois contradictoire. Si Ibiapina prĂȘcha contre lâEmpire Ă Campina Grande, si des jĂ©suites furent faits prisonniers dans la Paraiba et Ă Recife pour avoir dĂ©tenu des « papiers compromettants », si Onorati et Aragnetti furent expulsĂ©s de leurs paroisses par le gouvernement provincial, dâun autre cĂŽtĂ©, un grand nombre de prĂȘtres exhortĂšrent les Ă©meutiers enragĂ©s Ă ne pas brĂ»ler les bureaux de lâadministration, Ă payer les impĂŽts et Ă respecter les autoritĂ©s[163].
DĂšs le dĂ©but, Rio Branco suspecta les jĂ©suites dâĂȘtre les auteurs dâun vaste plan de subversion, bien dissimulĂ©, et dans une lettre adressĂ©e Ă lâEmpereur, datĂ©e du , il Ă©crivit : « Il me paraĂźt, comme Ă M. le ministre de la Justice, quâil y a des indices solides, mais non des preuves suffisantes, de la culpabilitĂ© des pĂšres jĂ©suites (âŠ) ; ou bien les pĂšres sont des chefs de la sĂ©dition, ce qui doit se savoir par les moyens judiciaires, ou non »[164]. Les informations communiquĂ©es Ă lâEmpereur par Rio Branco le indiquent que la sĂ©dition nâĂ©tait pas encore Ă©touffĂ©e et que Lucena insistait que les jĂ©suites fussent expulsĂ©s. Le , Rio Branco Ă©tait pleinement convaincu, par les tĂ©lĂ©grammes que lui adressait Lucena, que le plan dâagitation qui perturbait le Pernambouc et la ParaĂba Ă©tait jĂ©suitique, avec la collaboration de quelques politiciens du Parti libĂ©ral. DâoĂč le tĂ©lĂ©gramme de Rio Branco Ă Lucena, avec ce message Ă©nergique, catĂ©gorique, inquiet, et farouchement anti-jĂ©suite : « LâautoritĂ© ne doit pas reculer. Les jĂ©suites de Triunfo sont les plus dangereux ; ils prĂ©parent le mouvement de la ParaĂba et du Pernambouc, dâintelligence avec Ibiapina et dâautres missionnaires. Il semble que lĂ se trouve le foyer principal de la sĂ©dition. [âŠ] Quâil soit annoncĂ© (non en guise de compromis) que les Ă©glises seront fermĂ©es, mais que les jĂ©suites soient apprĂ©hendĂ©s et quâils sâen aillent. Faiblir, en ce cas, câest attiser de nouvelles rĂ©sistances, et tout perdre[165]. »
Il y a lieu dâĂ©voquer le cas particulier des prĂȘtres jĂ©suites de Triunfo et de Flores, qui agirent dâune maniĂšre singuliĂšre. Dans ces deux villes, oĂč les jĂ©suites Onorati et Aragnetti « prĂ©paraient des missions », les Ă©vĂ©nements prirent une tournure particuliĂšre, sans aucun doute Ă la suite de lâaction indirecte des prĂȘtres. Lorsquâil fut connu que les deux jĂ©suites italiens sâĂ©taient vu intimer lâordre de comparaĂźtre devant le secrĂ©tariat de police de la capitale provinciale, la population se mit, selon le juge cantonal, en « complet alarme et se disposait Ă sâopposer aux ordres du gouvernement quand celui-ci sâapprĂȘtait Ă Ă©loigner lesdits jĂ©suites, lesquels avaient rĂ©ussi Ă les fanatiser ». Toutefois, le sĂ©jour dâOnorati et dâAragnetti Ă Triunfo ne coĂŻncida pas avec les habituelles attaques des quebra-quilos contre les bureaux de lâadministration ou avec la destruction violente des nouveaux poids et mesures. Lâagitation se limita, selon le tĂ©moignage du juge cantonal, Ă un appui personnel aux deux missionnaires italiens et Ă une condamnation de la franc-maçonnerie et, par extension, du gouvernement « maçonnique et impie »[166].
En , une perquisition fut menĂ©e au domicile du curĂ© Francisco Araujo, dĂ©marche justifiĂ©e par le fait que celui-ci aurait reçu des visiteurs de Rio de Janeiro. Selon la police, le jĂ©suite chapelain du collĂšge Sainte-DorothĂ©e habitait au domicile de JoĂŁo de Barros ; lĂ , des rĂ©unions se seraient tenues nuitamment certains jours de la semaine. Lors de la perquisition, un ensemble de lettres fut dĂ©couvert qui « dĂ©montrait lâinfluence des jĂ©suites dans le Quebra-Quilos » ; en particulier, trois de ces lettres avaient Ă©tĂ© Ă©crites en italien par le jĂ©suite supĂ©rieur de la province, ce qui prouverait que « les jĂ©suites ont exercĂ©, Ă propos de la question religieuse, une puissante influence auprĂšs de la Curie romaine, laquelle a alors dĂ©pĂȘchĂ© leur ordre, ainsi quâil appert des lettres de lâĂ©vĂȘque Dom Vital »[167]. Le , la veille de lâarrestation des jĂ©suites, le prĂ©sident Lucena disposait de cinq autres lettres supposĂ©es fournir la preuve de la subversion des jĂ©suites. En rĂ©alitĂ©, fort peu, sinon aucune preuve nâavait pu ĂȘtre trouvĂ©e. Les accusations portĂ©es contre les jĂ©suites Ă©taient trĂšs mal Ă©tayĂ©es et les tentatives gouvernementales visant Ă prouver que les jĂ©suites avaient trempĂ© directement dans Quebra-Quilos Ă©chouĂšrent[168] - [169].
Ce nonobstant, malgrĂ© lâabsence de preuves formelles, Lucena considĂ©ra que le sĂ©jour des ignatiens dans la province de Pernambouc Ă©tait dangereuse pour la paix et la tranquillitĂ© publiques, et annonça que les jĂ©suites Ă©trangers seraient expulsĂ©s. Les termes utilisĂ©s dans la dĂ©cision officielle de Lucena relativement aux activitĂ©s exercĂ©es par les jĂ©suites dĂ©montrent que le prĂ©sident du Pernambouc accrĂ©ditait fermement lâexistence dâun plan gĂ©nĂ©ral dâinsurrection, conçu par les jĂ©suites, et dans lequel serait exploitĂ© le charisme dâIbiapina[170]. Les mandats dâarrĂȘts furent lancĂ©s le [171]. Sept jĂ©suites ayant supposĂ©ment jouĂ© un rĂŽle de premier plan furent apprĂ©hendĂ©s, Ă savoir le pĂšre Silvestre JosĂ© da Rocha Pinto, le seul BrĂ©silien du groupe, et ses compagnons, tous ressortissants italiens. Lâon eut plus de peine Ă capturer les deux jĂ©suites restants, Antonio Aragnetti et Onoratti. Le premier nommĂ© avait travaillĂ© comme missionnaire dans le Pernambouc jusquâau au moins ; au moment oĂč le mandat dâarrĂȘt fut dĂ©livrĂ©, il apparut quâil avait plongĂ© dans la clandestinitĂ©, mais son portrait fut diffusĂ© qui permit de le dĂ©couvrir dĂ©guisĂ© le et de le livrer Ă la capitale provinciale[172]. Quant au pĂšre Onoratti, lâon fut plus long encore Ă le capturer ; on le dĂ©couvrit dans la nuit du , en compagnie de deux portefaix, voyageant apparemment de la bourgade de PajeĂș de Flores en direction de la capitale pour sây mettre Ă la disposition des autoritĂ©s. Le , le prĂ©sident Lucena le fit embarquer sur une corvette en attendant son expulsion hors de lâEmpire[173].
Entre-temps cependant, des lettres affluĂšrent Ă lâoffice du prĂ©sident Lucena dĂ©nonçant les arrestations. Lâopinion publique de lâĂ©poque nâĂ©tait en effet pas entiĂšrement convaincue de la culpabilitĂ© des jĂ©suites dans les dĂ©sordres de lâintĂ©rieur[174]. Ă une lettre de lâĂ©vĂȘchĂ© dâOlinda qui affirmait que les prĂȘtres jĂ©suites avaient vĂ©cu pacifiquement parmi eux pendant neuf ans, enseignant assidĂ»ment Ă la jeunesse, Lucena dĂ©clara que les jĂ©suites Ă©taient des « agents du fanatisme et de lâanarchie », des « prĂȘtres Ă©trangers devenus dangereux pour lâĂtat ». Le colonel Severiano Martins da Fonseca devait plus tard prĂ©tendre que les sĂ©minaires dâOlinda avaient propagĂ© des idĂ©es subversives Ă la suite de « lâemprisonnement des deux principaux reprĂ©sentants de lâĂglise de lâEmpire ». Aussi les jĂ©suites furent-ils derechef chassĂ©s du BrĂ©sil[175].
Les capucins, Ă lâinstar du pĂšre Ibiapina, avaient Ă©galement effectuĂ© des missions de prĂ©dication. En 1874, douze missions furent organisĂ©es dans le seul Pernambouc. Ces missions attiraient habituellement entre cinq et douze mille personnes et sâappliquaient aussi « Ă prodiquer des bienfaits matĂ©riels », tels quâune nouvelle Ă©glise dans la ville dâEscada ou un nouveau cimetiĂšre Ă SĂŁo Bento[176].
Pendant les jacqueries, les autoritĂ©s du Pernambouc et de la ParaĂba demandĂšrent le concours des missionnaires capucins pour contenir la rĂ©bellion. Le ministre de la Guerre Ă©crivit Ă Lucena le pour « lâencourager Ă continuer Ă soutenir ces missionnaires afin quâils continuent de pacifier les Ă©meutiers de cette province et de celle de la ParaĂba du nord »[177]. Les prĂȘtres capucins y parvinrent en quelques occasions, et Ă©chouĂšrent en dâautres, p.ex. le , lorsque de 300 Ă 400 Ă©meutiers assaillirent le bourg dâItambĂ© dans le Pernambouc et que les autoritĂ©s municipales firent appel aux missionnaires capucins pour convaincre les masses de leur erreur, mais oĂč leurs efforts furent vains[178]. LĂ oĂč les capucins nâavaient pu ĂȘtre entraĂźnĂ©s Ă affronter les Ă©meutiers, les autoritĂ©s sâempressaient de cacher les registres officiels dans les Ă©glises, oĂč elles les croyaient Ă lâabri[179].
Loi de conscription
Lâune des raisons pour lesquelles les registres municipaux furent dĂ©truits par les quebra-quilos Ă©tait la volontĂ© dâĂ©liminer les listes de ceux qui, en application dâune nouvelle loi adoptĂ©e en , Ă©taient susceptibles dâĂȘtre enrĂŽlĂ©s dans les forces armĂ©es. Si des dolĂ©ances en rapport avec cet Ă©lĂ©ment ne furent pas exprimĂ©es dans toutes les Ă©meutes, et si le grief principal touchait dans tous les cas Ă la fiscalitĂ©, des protestations contre le service militaire sâentendirent dans une grande majoritĂ© de ces Ă©meutes. Lors des soulĂšvements dans la ParaĂba, la destruction des matricules nĂ©cessaires Ă la mise en Ćuvre de la loi de recrutement, et donc le dĂ©sir dâempĂȘcher son application, est un Ă©lĂ©ment que lâon retrouve presque universellement dans les jacqueries nordestines. P.ex., le Ă TimbaĂșba, les Ă©meutiers, aprĂšs avoir molestĂ© les percepteurs, dirigĂšrent leur colĂšre sur les documents conservĂ©s dans le bureau du secrĂ©taire du dĂ©lĂ©guĂ© de lâassemblĂ©e ainsi que du greffier du juge de paix, ce dernier dĂ©tenant en effet la liste de ceux admissibles au recrutement militaire[180]. Les Ă©meutiers agirent de mĂȘme dans les Ătats dâAlagoas et du Rio Grande do Norte, notamment Ă SĂŁo Bras, en Alagoas, le , et Ă Jardim do SeridĂł, dans le Rio Grande do Norte, le [181].
RĂ©forme du recrutement militaire
JoĂŁo JosĂ© de Oliveira Junqueira, devenu ministre de la Guerre en 1871, entreprit une sĂ©rie de rĂ©formes du recrutement militaire. Dans un premier temps, en 1873, il parvint Ă convaincre le parlement dâadopter la loi no 2395 du rĂ©organisant la Garde nationale ; si celle-ci, abstraction faite de la guerre de la Triple Alliance, exerçait auparavant des fonctions de police, la nouvelle loi retirait les tĂąches policiĂšres de la liste de ses compĂ©tences, pour ne garder que ses missions de lutte contre les rĂ©bellions, sĂ©ditions et insurrections, et de combat dans les guerres extĂ©rieures. En somme, la Garde nationale Ă©tait destinĂ©e Ă disparaĂźtre en temps de paix, et ne referait son apparition quâune fois lâan, pour passer la revue, recevoir ses instructions, et replonger ensuite dans son Ă©tat dâhibernation[182]. Junqueira restructura la formation militaire (1874), rĂ©duisant la durĂ©e des Ă©tudes Ă deux ans pour les officiers combattants et Ă cinq ans pour les ingĂ©nieurs militaires, et convertissant lâancienne Ăcole centrale en un institut polytechnique. Cependant, en ce qui concerne Quebra-Quilos, lâaspect le plus important de ses rĂ©formes fut le vote de la loi de concription de 1874[183], laquelle poursuivait deux buts : premiĂšrement, rendre le service militaire moins pĂ©nible en le dĂ©barrassant de ses formes les plus extrĂȘmes de chĂątiment corporel ; deuxiĂšmement, comme son intitulĂ© lâindique, de rĂ©former le systĂšme dâenrĂŽlement. Selon les nouvelles dispositions, tous les hommes entre 18 et 30 ans devaient ĂȘtre recensĂ©s en vue du service militaire ; seraient exemptĂ©s de la conscription les prĂȘtres, les policiers, les sĂ©minaristes, et les Ă©tudiants en mĂ©decine et en droit, que le pays fĂ»t ou non en guerre. En temps de paix, certaines autres catĂ©gories de personnes pouvaient se soustraire Ă lâimmatriculation militaire : les marins-pĂȘcheurs, les marins de la marine marchande, les directeurs dâusine, les machinistes des chemins de fer et de la navigation Ă vapeur, les salariĂ©s des usines « importantes », les gardiens de bĂ©tail ayant Ă leur charge plus de 50 tĂȘtes de bĂ©tail, les propriĂ©taires, rĂ©gisseurs ou reprĂ©sentants dâun domaine agricole employant plus de 10 travailleurs, et les comptables de maisons de commerce dâune valeur dĂ©passant les 10 000 milrĂ©is[184]. Chaque paroisse aurait Ă rĂ©unir une commission, dite junta paroquial, composĂ©e du juge de paix, de son greffier, des autoritĂ©s policiĂšres et du curĂ©. En cas de besoin, il serait procĂ©dĂ© Ă un tirage au sort, et ceux ainsi sĂ©lectionnĂ©s serviraient pendant six ans ; les volontaires sâengageraient Ă©galement pour six ans. Cette junta paroquial devint la cible privilĂ©giĂ©e des opposants Ă la nouvelle loi militaire[185]. SitĂŽt promulguĂ©e ladite loi, une vaste campagne de recrutement fut mise sur pied.
Appartenir au parti dâopposition, câĂ©tait, bon grĂ©, mal grĂ©, ĂȘtre candidat Ă lâenrĂŽlement dans les forces armĂ©es, du moins si votre statut socio-Ă©conomique ne vous permettait pas dâobtenir quelque exemption lĂ©gale. Au demeurant, la noblesse fonciĂšre ne se souciait guĂšre de la nouvelle loi de conscription, sujet de toutes les conversations ; elle savait en effet, par expĂ©rience historique, quâelle serait dispensĂ©e de cet impĂŽt du sang, car la tradition voulait que seuls les dĂ©sĆuvrĂ©s fussent appelĂ©s sous les drapeaux comme soldats. La plĂšbe en revanche avait de bonnes raisons dâĂȘtre sur ses gardes ; les plus anciens gardaient un triste souvenir de leur service militaire, avec ses sĂ©vices corporels et ses prĂ©jugĂ©s sociaux[186].
Cependant, la nouvelle loi militaire se rĂ©vĂ©la bientĂŽt inapplicable, notamment Ă cause de la rĂ©volte de Quebra-Quilos, et sa mise en Ćuvre nâallait pas ĂȘtre rĂ©envisagĂ©e avant la chute de lâEmpire en 1889. Cette impossibilitĂ© de mettre en application une loi dĂ©cidĂ©e au sommet de lâĂtat, si elle Ă©tait dâune part lâexpression dâune faiblesse dans le systĂšme politique impĂ©rial, risquait dâautre part de compromettre lâantique systĂšme patriarcal dans les campagnes nordestines et dâentamer le pouvoir des coroneis, et ce Ă un moment crucial : la dĂ©pression Ă©conomique et le conflit entre lâĂtat et lâĂglise[187].
Lorsque le mouvement de Quebra-Quilos Ă©clata, beaucoup de propriĂ©taires terriens saisirent lâoccasion pour inciter leurs paysans Ă se rĂ©volter aussi contre la loi de conscription. Il advint que quelques coroneis influents furent accusĂ©s dâĂȘtre des meneurs de la rĂ©volte ; cependant, Ă©tant donnĂ© le rĂ©seau compliquĂ© de clientĂ©lisme qui liait tant de gros propriĂ©taires et de dirigeants politiques dans les sertĂ”es, et attendu que les coroneis Ă©taient Ă leur tour les clients de patrons plus puissants, tous ces acteurs sâinscrivant dans une chaĂźne patriarcale remontant Ă Dom Pedro II lui-mĂȘme, la condamnation Ă©ventuelle de propriĂ©taires puissants eĂ»t signifiĂ© pour les politiciens la perte de potentiels clients ; si au contraire les propriĂ©taires fonciers Ă©taient exemptĂ©s de poursuites judiciaires pour avoir poussĂ© leurs subordonnĂ©s Ă sâopposer aux nouvelles taxes, aux poids et mesures, et Ă la lâenrĂŽlement forcĂ© dans lâarmĂ©e, les personnalitĂ©s politiques sâassuraient une loyautĂ© durable de la part des coroneis en vue notamment de futures Ă©lections. Lâon comprend alors aisĂ©ment que si maint coronel influent fut soupçonnĂ© dâavoir encouragĂ© la rĂ©volte, peu furent effectivement inculpĂ©s[188].
Lors de la phase de rĂ©pression de la rĂ©volte de Quebra-Quilos, le service militaire servit de chĂątiment contre les rebelles[189]. Le colonel Fonseca, envoyĂ© dans la ParaĂba avec ses hommes pour Ă©craser la rĂ©bellion, commença par mettre en Ă©tat dâarrestation tous les Ă©meutiers, avĂ©rĂ©s et prĂ©sumĂ©s. Ainsi p.ex., se rendant par la route au district dâIngĂĄ, se saisit-il de tous ceux quâil rencontra dans un rayon de quatre lieues (une lieue valant six kilomĂštres au BrĂ©sil)[190]. Ensuite, Fonseca ordonna Ă son subordonnĂ©, le capitaine Antonio Carlos da Silva Piragibe, dâarrĂȘter tous les accusĂ©s et « de procĂ©der dans le mĂȘme temps Ă un vigoureux recrutement ». En dĂ©cembre, le ministre de la Guerre supplĂ©ant, JoĂŁo JosĂ© Junqueira, avait Ă©crit au prĂ©sident Lucena du Pernambouc pour spĂ©cifier que seuls les chefs du mouvement sĂ©ditieux devaient ĂȘtre mis en examen et comparaĂźtre devant le tribunal, les autres dĂ©tenus devant, sauf exemption de service militaire, ĂȘtre enrĂŽlĂ©s dans la troupe et expĂ©diĂ©s Ă Rio de Janeiro dĂšs que possible. Un flux continu de nouvelles recrues fut alors envoyĂ© par le commissaire de police AraĂșjo tout au long de ce mois[191].
Lâun des aspects les plus importants de lâenrĂŽlement, outre lâavantage pour lâarmĂ©e de se constituer des effectifs, Ă©tait sa fonction de contrĂŽle social. Telle personne, une fois dĂ©tenue et promise au recrutement, nâaura rien de plus pressĂ© que de justifier de quelque dispense lĂ©gale. La voie la plus aisĂ©e pour y parvenir Ă©tait de contacter le patron, lequel se porterait alors au secours de lâintĂ©ressĂ© (du moins si celui-ci sâĂ©tait montrĂ© un client loyal) et sâemploierait Ă prouver quâil avait droit Ă une exemption lĂ©gale[191].
Il incombait aux autoritĂ©s provinciales, non aux locales, de dĂ©terminer en dernier ressort, avant de lâenvoyer Ă Rio de Janeiro, si la recrue Ă©tait apte au service. Souvent, la police provinciale venait visiter les prisons des diffĂ©rentes municipalitĂ©s pour sâassurer de la culpabilitĂ© des dĂ©tenus, puis autoriser quâils soient transfĂ©rĂ©s Ă la capitale provinciale pour y ĂȘtre enrĂŽlĂ©s[192].
Rejet du systÚme métrique et des innovations
Au cours de la dĂ©cennie 1860, il apparut que trĂšs peu de gens, en particulier dans les zones rurales, sâĂ©taient appropriĂ© le nouveau systĂšme. En dĂ©pit de la prescription lĂ©gale, les systĂšmes traditionnels restaient en usage et lâon continuait dâutiliser les anciennes unitĂ©s de mesure telles que paumes (palmos, environ 0,22 mĂštre), verges (jardas), pouces (polegadas) ou coudĂ©es (cĂŽvados), et Ă exprimer le poids des marchandises en livres et arrobes. Outre ces unitĂ©s de mesure Ă proscrire officiellement, il y avait encore au BrĂ©sil vers 1874 une grande variĂ©tĂ© dâautres poids et mesures, tels que le pied (pĂ©s, Ă©quivalant approximativement Ă un pied anglais), la brasse (braça, env. 2,20 mĂštres), la lieue (lĂ©gua), la botte (feixe), le grain (grĂŁo), lâonce (onça), le quintal (idem) et nombre dâautres, qui Ă©taient utilisĂ©es depuis de nombreuses gĂ©nĂ©rations et auxquelles la population Ă©tait habituĂ©e[193].
Ă lâopposĂ©, les nouvelles unitĂ©s de mesure Ă©taient perçues comme « Ă©trangĂšres ». Les expressions de « systĂšme mĂ©trique français » ou de « systĂšme dĂ©cimal français », utilisĂ©es pour en souligner la nature non brĂ©silienne, sâentendaient frĂ©quemment. Le fait que les Ă©trangers, en particulier les marchands Ă©trangers, furent une cible privilĂ©giĂ©e des kiloclastes indique que les paysans ressentaient le nouveau systĂšme comme une chose imposĂ©e du dehors.
Des nombreuses rĂ©clamations Ă©manaient des chambres municipales pour non arrivĂ©e des nouveaux Ă©talons de mesure dans leur commune. Si par contre ces Ă©talons Ă©taient bien disponibles partout dans la capitale du Pernambouc, il y eut en contrepartie de sĂ©rieux problĂšmes de fraude, Ă telle enseigne que la PrĂ©sidence provinciale dut recommander Ă la Chambre municipale de Recife dâexhorter ses agents Ă une vigilance constante lors de lâĂ©talonnage des poids et mesures, le gouvernement soupçonnant ceux-ci dâĂȘtre souvent falsifiĂ©s[126].
Pendant les rĂ©voltes de Quebra-Quilos, les paysans sâen prirent chaque foisâ Ă quelques rares exceptions prĂšs (comme lâattaque de la prison de Campina Grande par la famille Barros) â aux poids et aux balances du nouveau systĂšme mĂ©trique, qui Ă leurs yeux symbolisaient « la hausse des taxes et la tyrannie du gouvernement »[194]. Maints propriĂ©taires terriens perçurent dans lâinstauration du systĂšme mĂ©trique une tentative du gouvernement central de rĂ©duire les pouvoirs de lâaristocratie fonciĂšre au profit du gouvernement central Ă Rio de Janeiro[195].
Si les autoritĂ©s prĂ©textaient la lutte contre la fraude et affirmaient que le nouveau systĂšme bĂ©nĂ©ficierait Ă tous, les paysans restaient convaincus quâil sâagissait pour le gouvernement dâaugmenter ses recettes, et maintenaient que les gens Ă©taient contraints de se procurer ces balances sans en avoir appris lâusage, raison pour laquelle les fraudes continuaient[196]. En consĂ©quence, les insurgĂ©s non seulement dĂ©truisaient les poids et les balances sur les marchĂ©s, mais sâen prenaient aussi Ă tous les commerçants et Ă©tablissements de commerce qui utilisaient les nouveaux Ă©talons. Les estaminets furent notamment visĂ©s, et aussi les boutiques de boucher, dont les exploitants furent sommĂ©s par les Ă©meutiers de leur remettre les nouveaux Ă©quipements. Certains de ces commerçants sâobstinĂšrent Ă ne pas les remettre aux insurgĂ©s[197] et quelques-uns furent battus en consĂ©quence. Dans quelques cas, les Ă©meutiers eux-mĂȘmes furent blessĂ©s ou tuĂ©s par des commerçants dĂ©terminĂ©s Ă protĂ©ger leurs Ă©quipements de pesage[198].
Le , Ă Fagundes, les Ă©meutiers se divisĂšrent en petits groupes de 50 Ă 200 et se mirent Ă la recherche des poids et mesures du nouveau systĂšme mĂ©trique dans lâintention de les dĂ©truire. Ils contraignirent le commissaire de police non seulement de signer un engagement Ă mettre fin aux taxes, mais aussi de faire cesser lâapplication des nouveaux poids et mesures[199] - [200]. Les bourgs dâIngĂĄ et dâAreia, tous deux dans lâĂtat de la ParaĂba, eurent leurs poids et mesures dĂ©truits le , et la ville de Campina Grande, Ă©galement dans la ParaĂba, les vit dĂ©truits sept fois entre le et le [200].
Les insurgĂ©s pernamboucais, qui se manifestĂšrent pour la premiĂšre fois le , eurent dâabord Ă cĆur, tout de mĂȘme que leurs camarades de la ParaĂba voisine, de dĂ©truire les poids et mesures, sâattaquant, comme dans beaucoup dâautres villes et bourgades, aux marchands du marchĂ© qui utilisaient ces nouveaux Ă©quipements[201]. Les mĂȘmes passaient ensuite aux commerces du bourg, dont ils dĂ©truisaient les poids et mesures[202]. Ailleurs, les paysans attaquĂšrent les estaminets oĂč le nouveau systĂšme mĂ©trique Ă©tait utilisĂ©. Dans nombre de cas, les boutiques de boucher, en tant que symbolisant la hausse des prix des denrĂ©es alimentaires, furent la cible des attaques, notamment Ă AngĂ©lica et Ă Bezerros dans le Pernambouc, et Ă Goianinha dans le Rio Grande do Norte[203].
Par ailleurs, les paysans poursuivirent de leur haine les commerçants, dont ils dĂ©pendaient pour acquĂ©rir certaines marchandises. Afin de pouvoir utiliser le systĂšme mĂ©trique, les commerçants eurent Ă se procurer (soit en en faisant lâacquisition, soit en les louant) les nouveaux poids et mesures, puis, pour les faire calibrer et dĂ©clarer conformes aux Ă©talons officiels, durent sâacquitter dâune taxe municipale. Il se trouva que de façon gĂ©nĂ©rale les unitĂ©s de mesure du nouveau systĂšme â kilos, litres et mĂštres â Ă©taient en moyenne environ 10 % infĂ©rieures aux unitĂ©s traditionnelles. Pour compenser les taxes dĂ©sormais redevables, les commerçants sâingĂ©niĂšrent Ă maintenir leurs prix inchangĂ©s, mais pour une quantitĂ© moindre de produit, se dĂ©gageant ainsi de cette charge financiĂšre nouvelle sur le consommateur[204]. Par dĂ©pit, les Ă©meutiers, aprĂšs avoir dĂ©truit les poids et mesures sur le marchĂ©, dĂ©truisaient ensuite ceux des boutiques de commerçant[205].
Les reprĂ©sentants de lâautoritĂ© municipale, en tant quâagents officiels chargĂ©s de faire appliquer le systĂšme mĂ©trique, furent visĂ©s eux aussi, ainsi quâil advint le Ă Lagoa dos Gatos, oĂč un groupe de 300 Ă©meutiers envahit la ville, brisa les poids et mesures, puis rĂ©clama auprĂšs du juge de paix tous les Ă©talons des balances et le forcĂšrent, sous les cris et les insultes, Ă leur remettre les archives et les contrats de la Chambre municipale[206]. Ă Garanhuns, dans le Pernambouc, un groupe de 50 Ă 100 individus, auxquels se joignirent approximativement 600 personnes, se mit Ă attaquer la maison du capitaine Pedro de Rego Chaves, aprĂšs que celui-ci, requis de remettre ses poids et mesures, eut refusĂ© dâobtempĂ©rer. Dâautres officiers, rapidement venus Ă la rescousse, tentĂšrent de convaincre les Ă©meutiers de nâen rien faire, mais en vain. Le lieutenant voulut se dĂ©fendre avec son Ă©pĂ©e, mais le chef quebra-quilo, Joaquim Bener dâOliveira, le terrassa par un profond coup de faux dans lâomoplate. La lutte sâengagea, et des gens armĂ©s chargĂ©s de protĂ©ger la maison du capitaine Chaves partirent les premiers coups de feu. Les insurgĂ©s, au contraire de ce qui avait Ă©tĂ© le cas dans les autres localitĂ©s, nâĂ©taient pas seulement armĂ©s de faux et de gourdins ; beaucoup Ă©taient porteurs de tromblons et, sâĂ©tant retranchĂ©s, ripostĂšrent au feu adverse, lequel fut aussitĂŽt renforcĂ© par les hommes de la force de police qui gardait la mairie, les bureaux de lâadministration et lâoffice de taxation. Dans la bataille moururent les deux chefs quebra-quilos et un soldat, et de nombreux Ă©meutiers furent blessĂ©s. Les quebra-quilos se dĂ©bandĂšrent aprĂšs quâils eurent vu leurs chefs tuĂ©s[207] - [208]. Lâun des deux, Vitoriano Reinaldo de Freitas, nâĂ©tait pas du bas peuple ; il Ă©tait le frĂšre du lieutenant EulĂĄlio IfigĂȘnio Freitas Vilela[209]. Du reste, le district tout entier fut en Ă©tat de panique. Les notables de la ville Ă©taient Ă prĂ©sent disposĂ©s Ă aider les autoritĂ©s Ă rĂ©tablir lâordre et le prĂ©sident de la province Mello Filho leur dĂ©pĂȘcha 25 piĂšces dâarmement et des munitions[210]. Sur le foirail de Quebrangulo, en Alagoas, les Ă©meutiers firent Ă©galement face Ă de lâopposition lorsquâun groupe de 300 des leurs, voulant mener une attaque le , se heurtĂšrent Ă la rĂ©sistance des marchands et vendeurs, quoique ces derniers fussent finalement dĂ©bordĂ©s et les poids et balances dĂ©truits ; dix personnes furent tuĂ©es dans ces incidents, et un grand nombre blessĂ©es[211].
Ă la suite de ces attaques, les commerçants â que leurs magasins eussent ou non Ă©tĂ© attaquĂ©s â sâenfuirent de leur bourgades[212]. La foule exigeait Ă prĂ©sent que toutes les marchandises fussent dĂ©sormais, sur le marchĂ© aussi bien que dans les boutiques, vendues selon lâancien systĂšme traditionnel. Ă Fagundes, les Ă©meutiers complĂ©tĂšrent leur action de destruction des poids et mesures en imposant lâobligation « pour chacun de vendre et dâacheter avec les anciens poids et mesures ». Selon les tĂ©moignages, les Ă©meutiers obtinrent, pour un certain temps du moins, que les marchandises fussent achetĂ©es et vendues avec le systĂšme traditionnel[213]. En rĂ©action, le capitaine Capistrano fit distribuer de nouveaux poids et balances sur les marchĂ©s du Pernambouc, puis plaça en faction quelques soldats et le commissaire de police pour surveiller le marchĂ©. Ceux qui refusaient dâutiliser les nouveaux Ă©quipements furent interpellĂ©s et, sauf exemption lĂ©gale, enrĂŽlĂ©s dans lâarmĂ©e[214].
DĂ©roulement
Les Ă©meutes
La vitesse de propagation du mouvement quebra-quilos dans la ParaĂba et le Pernambouc, en un laps de temps de seulement quelques jours, fut telle que les petits dĂ©calages chronologiques tendent Ă sâestomper, pour ne laisser subsister que la similitude, le schĂ©ma rĂ©pĂ©titf des Ă©vĂ©nements : destruction des poids et mesures, et attaques lancĂ©es contre les bureaux de lâadministration et les Chambres municipales. Cette quasi-simultanĂ©itĂ© suggĂšre une identitĂ© de situations Ă©conomiques sous-tendant toute la structure sociale. Les incidents de Fagundes, dĂ©clenchĂ©s par le premier cri de rĂ©bellion dâun presque inconnu, Marcolino ou Marcos de tal (Marcos Untel), ne fut que le dĂ©tonateur dâune charge explosive existante. Ce Marcos de tal, de qui lâon ne connaĂźt pas le nom avec prĂ©cision, fut probablement le premier quebra-quilo nordestin. De ce petit paysan, lâon sait seulement quâil Ă©tait un modeste rĂ©sident de Piabas ; il entre dans lâhistoire du Nordeste et en disparaĂźt presque aussitĂŽt sans laisser dâautre trace[215].
Le nombre de participants aux groupes armĂ©s qui envahirent les foires, dĂ©truisant les poids et mesures et faisant un bĂ»cher des documents administratifs, est assez variable ; tantĂŽt il ne dĂ©passe pas la trentaine, tantĂŽt il atteint les trois centaines de personnes, selon ce quâil appert de la vaste documentation laissĂ©e par les autoritĂ©s municipales, sous la forme de lettres, de plaintes et de comptes rendus adressĂ©s aux gouvernements provinciaux. Il est probable cependant que la plupart de ces documents soient entachĂ©s dâexagĂ©rations[216].
Dans la ParaĂba
Lors du marchĂ© qui se tenait, comme cela Ă©tait la tradition, le Ă Fagundes, bourgade non loin de la ville de Campina Grande, dans lâĂtat de la ParaĂba, les habituelles tractations commerciales furent accompagnĂ©es de grommellements et de clameurs, Ă travers lesquels certaines personnes manifestaient leur intention de ne plus sâacquitter dĂ©sormais de la taxe foraine â de lâimposto do chĂŁo, entrĂ© en vigueur en 1873. Cette taxe, payable au collecteur municipal aussitĂŽt quâil se prĂ©senterait, Ă©tait de 100 reis pour chaque charge de marchandise (par volume) et de 200 reis pour chaque unitĂ© de poids. Les cris sâaccrurent Ă mesure que de plus en plus de gens rejoignaient le groupe des protestataires, et le collecteur finit par ĂȘtre chassĂ© du marchĂ©. La foule entreprit ensuite dâarracher toutes les affiches Ă©numĂ©rant les taxes provinciales quâils purent trouver et commença Ă briser les balances et mesures du systĂšme mĂ©trique nouvellement mis en place, Ă©quipements pour lâutilisation desquels une taxe devait ĂȘtre payĂ©e[217].
Le fait que Fagundes fut le point de dĂ©part de la rĂ©volte peut sâexpliquer par une tradition de rĂ©volte acquise Ă lâoccasion du « bourdonnement dâabeille » (Ronco da Abelha), sous la prĂ©sidence provinciale dâAntĂŽnio Coelho de SĂĄ e Albuquerque, au dĂ©but des annĂ©es 1850. Dans le rapport quâAlbuquerque prĂ©senta Ă lâAssemblĂ©e concernant lâapplication de la nouvelle lĂ©gislation sur lâenregistrement des naissances et des dĂ©cĂšs, il signala quâil y eut des troubles Ă lâordre public. Nâayant pas compris ce Ă quoi visait cette loi de recensement, connue plus tard sous le nom de « loi de captivitĂ© » (lei do cativeiro), la population furieuse sâorganisa en groupes qui ravagĂšrent plusieurs maisons, lâun de ces groupes, composĂ© de plus de deux cents personnes, parvenant Ă envahir aussi le bourg dâIngĂĄ, oĂč ils dĂ©truisirent tous les livres et papiers prĂ©sents dans la maison du juge de paix. Les petites gens, dâaprĂšs Albuquerque, avaient appris des seigneurs de la terre eux-mĂȘmes lâexemple de la contestation, du refus et de la haine politique. « La politique de Fagundes Ă©tait, au temps de lâEmpire », Ă©crivit ElpĂdio de Almeida, « plus extrĂȘme que dans le chef-lieu. Les politiciens se dĂ©testaient et demeuraient Ă©loignĂ©s les uns des autres »[218].
Le mouvement de protestation se rĂ©pandit prestement Ă la ville de Campina Grande proche, puis dans toute la rĂ©gion nordestine, câest-Ă -dire dans les provinces de la ParaĂba, du Pernambouc, dâAlagoas et du Rio Grande do Norte, et se transforma en une rĂ©bellion au plein sens de ce terme[219].
Tous les tĂ©moignages concordent Ă dire quâĂ Fagundes le mouvement fut « spontanĂ©, sans plan et sans chef »[220], mais quâĂ Campina Grande, ville vers laquelle il essaima tout dâabord, tous les rebelles suivaient des meneurs identifiables, sept individus en particulier ayant Ă©tĂ© remarquĂ©s en train dâemmener des groupes dâagitateurs. Cependant, au grand dĂ©pit du gouvernement central (et des historiens par la suite), aucun chef gĂ©nĂ©ral ne put ĂȘtre dĂ©signĂ© comme ayant dirigĂ© le mouvement dans son ensemble.
DâaprĂšs un des officiels, le colonel Fonseca, les paysans de Fagundes et des villages circonvoisins attaquĂšrent cette ville de nouveau les 14, 21, 23 et et les 2, 4 et . Lors de la premiĂšre de ces attaques, le , le juge cantonal, secondĂ© par le curĂ©, se prĂ©cipitĂšrent sur les lieux pour tenter, mais en vain, de convaincre les Ă©meutiers que les taxes quâils payaient nâĂ©taient pas excessives et quâils devaient par consĂ©quent renoncer[221].
En deux semaines, la jacquerie contre les taxes se rĂ©pandit bien au-delĂ de Fagundes ; le , presque tous les villages limitrophes de Fagundes furent attaquĂ©s, sans pour autant quâil y ait eu dâaction concertĂ©e[222]. Ce mĂȘme , qui Ă©tait un samedi, prĂšs de 800 hommes en armes descendirent sur la ville dâIngĂĄ, Ă lâest de Fagundes, et, tout en proclamant quâils refusaient dorĂ©navant de payer des taxes, fouillĂšrent les archives de la municipalitĂ© et brĂ»lĂšrent tous les registres officiels servant Ă la collecte des taxes. Ensuite, ils entrĂšrent par effraction dans la maison cantonale (casa da comarca) et dĂ©truisirent lĂ aussi tous les documents quâils purent trouver. Les Ă©meutiers, ne se bornant pas Ă brĂ»ler les registres dâimpĂŽt, forcĂšrent le commissaire de police, Aranha, de signer un papier par lequel il sâengageait, entre autres exigences, dâannuler toutes les nouvelles taxes[199] - [222]. Aranha remit le commandement au lieutenant de police et sâenfuit de la ville, peut-ĂȘtre pour obtenir du secours de la part du gouvernement, et sans doute parce quâil craignait pour sa vie[223].
Ce mĂȘme samedi, la ville dâAreia voisine fut attaquĂ©e elle aussi[144] - [224]. De nouveau, les autoritĂ©s, y compris le juge cantonal, JoĂŁo da Mata Correia Lima, ne furent pas en mesure de sâopposer aux assaillants, ni de les convaincre de renoncer. Les Ă©meutiers eurent tĂŽt fait de dĂ©sarmer les forces de police, pour entreprendre ensuite de brĂ»ler les papiers de la municipalitĂ© et les registres.
Les Ă©meutiers sâen prirent une nouvelle fois Ă Campina Grande, ville sise au sud-ouest dâAreia et au nord-ouest dâIngĂĄ. Derechef, les registres dâimpĂŽts furent brĂ»lĂ©s[224]. Des Ă©meutiers devaient attaquer Campina Grande plusieurs fois encore aprĂšs cet incident. Ă lâune de ces occasions, le 27 ou le , un groupe dâĂ©meutiers fit irruption dans la ville et se rendit au domicile du percepteur provincial et Ă celui du percepteur gĂ©nĂ©ral (supposĂ©ment chargĂ© de collecter les impĂŽts impĂ©riaux), de qui ils dĂ©truisirent les registres. Ils avaient enfoncĂ© la porte du domicile dâun des deux percepteurs et s'Ă©taient mis Ă fouiller la maison de fond en comble en quĂȘte de registres dâimpĂŽt. Les Ă©meutiers, dirigĂ©s cette fois par lâun dâentre eux, Caboclo AntĂŽnio, se dirigĂšrent ensuite vers la maison du juge cantonal et fracassĂšrent la porte dâentrĂ©e Ă lâaide dâune hache. Selon le mĂȘme schĂ©ma, ils envahirent et fouillĂšrent la maison, brĂ»lant tout document qui leur tombait entre les mains. Ils se rendirent ensuite Ă la mairie, dont ils forcĂšrent la porte au moyen dâune barre de fer ; trouvant fermĂ©e Ă clef la salle visĂ©e, ils en fracassĂšrent la porte et se mirent Ă brĂ»ler tous les papiers quâils purent dĂ©couvrir. Enfin, ils allĂšrent au logis du secrĂ©taire communal. Selon diffĂ©rentes sources se trouvaient Ă©galement, parmi les documents dĂ©truits par ce groupe au cours de cette soirĂ©e, les registres dâĂ©tat civil, les casiers judiciaires, les documents du juge de paix, et les titres de propriĂ©tĂ©[225].
Dans le Pernambouc
Le mĂȘme jour (le ) oĂč la ParaĂba entra en rĂ©bellion, sa voisine du sud, la province du Pernambouc, eut elle aussi Ă faire face Ă un dĂ©but de soulĂšvement. Dans la ville de TimbaĂșba, situĂ©e au sud-est et non loin de Fagundes, une Ă©meute Ă©clata, quand des agitateurs commencĂšrent Ă exhorter les habitants Ă ne pas payer les taxes municipales. Un fonctionnaire du trĂ©sor, venant Ă se trouver en ville Ă ce moment-lĂ , fut pris Ă partie et brutalisĂ© par les Ă©meutiers, qui venaient dĂ©jĂ de faire un bĂ»cher des papiers du secrĂ©tariat du sous-commissaire ainsi que de ceux du juge de paix[226].
Le 21 ou le , plusieurs groupes dâĂ©meutiers armĂ©s de gourdins attaquĂšrent ItambĂ©, la ville pernamboucaise la plus proche de la frontiĂšre de la ParaĂba. La garde locale stationnĂ©e dans la ville se rĂ©vĂ©lant incapable de leur barrer la route et dâempĂȘcher le subsĂ©quent saccage de la ville, oĂč se produisirent, selon le juge cantonal, « des Ă©vĂ©nements trĂšs graves »[227], Lucena, prĂ©sident de la province du Pernambouc, se vit obligĂ© de dĂ©pĂȘcher en renfort le quarante hommes des troupes de ligne[228]. Ces forces rĂ©guliĂšres, placĂ©es sous le commandement du capitaine Pedro de AlcĂąntara TibĂ©ria Capistrano, furent embarquĂ©es en hĂąte sur le vapeur Goyanna[229], puis firent mouvement Ă marche forcĂ©e sur ItambĂ©[230]. ItambĂ©, proche de la frontiĂšre avec la Paraiba, fut rĂ©ellement un des points de contact des quebra-quilos de la ParaĂba avec la province de Pernambouc voisine. La premiĂšre incursion sera limitĂ©e, menĂ©e par 63 hommes seulement, quasi tous vĂȘtus de cuir, qui entreprirent de dĂ©truire les nouveaux poids et mesures quâils vinrent Ă trouver dans les maisons de commerce ainsi que quelques documents rencontrĂ©s dans la petite maison qui servait de bureau dâimpĂŽts[231]. Le , la foire locale se dĂ©roula dĂ©jĂ sous la plus stricte surveillance de la police. AprĂšs la distribution des mesures mĂ©trico-dĂ©cimales, pour lesquelles dâailleurs les forains Ă©taient obligĂ©s de payer, il nây eut aucune rĂ©action et les taxes municipales furent perçues sans problĂšmes majeurs, si ce nâest lâostensible mauvaise volontĂ© Ă sâen acquitter. Le commissaire resta avec quelques soldats parmi les marchands, afin de prĂ©venir la rĂ©pĂ©tition des incidents survenus lors des foires antĂ©rieures. Ayant reçu des renseignements selon lesquels quelque chose Ă nouveau se tramait, il nâhĂ©sita pas Ă procĂ©der Ă des dĂ©tentions. Les autoritĂ©s locales jugĂšrent que deux parmi ces dĂ©tenus Ă©taient des meneurs du mouvement sĂ©ditieux, lesquels meneurs furent donc maintenus sous surveillance Ă©troite. Les autres, attendu quâils Ă©taient aptes au service militaire, furent enrĂŽlĂ©s de force dans lâarmĂ©e et dans la marine[232].
La localitĂ© de Pilar, dans la ParaĂba, fut attaquĂ©e au mĂȘme moment, avec des rĂ©sultats semblables. Des Ă©meutiers munis dâun armement de fortune se dirigĂšrent vers les administrations cantonales et se mirent Ă dĂ©chiqueter et Ă brĂ»ler les documents et les registres quâils y trouvĂšrent[233]. Le capitaine Capistrano, arrivĂ© entre-temps Ă la tĂȘte de ses quarante hommes, commença Ă patrouiller sur le marchĂ© Ă partir du , pour y assurer la paix et la tranquillitĂ© ; aussi, sous la surveillance des soldats, les quelque 600 marchands forains se tinrent-ils calmes, mĂȘme lorsque le commissaire de police de la municipalitĂ© fit son entrĂ©e sur le marchĂ© avec quelques policiers et se mit en devoir de recueillir les taxes dues[234].
La semaine suivante, lors des marchĂ©s du dimanche dans le canton de NazarĂ©, des groupes de personnes « plus ou moins nombreuses » firent une descente sur les marchĂ©s, attaquant AngĂ©lica, Aliança et VicĂȘncia[235]. Dans cette derniĂšre localitĂ©, les Ă©meutiers tentĂšrent dâincendier le bureau du greffier du juge de paix[236].
Le , un groupe de 60 hommes armĂ©s, en tenue de cuir, dĂ©ferlĂšrent de Barra de Matuba et attaquĂšrent le village de Bom Jardim, dans le Pernambouc. Ils se rendirent dâabord aux archives du percepteur et des secrĂ©taires, dĂ©truisant la documentation quâils y trouvĂšrent, quoiquâĂ ce moment dĂ©jĂ tous les documents importants eussent Ă©tĂ© retirĂ©s des archives et dissimulĂ©s. Ils se mirent ensuite Ă la recherche du procureur cantonal et du percepteur, dans lâintention de les assassiner, sans quâil ait pu ĂȘtre Ă©tabli sâils y rĂ©ussirent effectivement[237].
La semaine suivante, le , cinq Ă huit dizaines dâĂ©meutiers, dont quelques-uns Ă©taient originaires de la Paraiba, firent leur apparition dans la municipalitĂ© de Limoeiro[238]. ArrivĂ©s sur le marchĂ©, ils incitĂšrent les vendeurs Ă se joindre Ă eux et Ă refuser dâacquitter les taxes[239]. La ville ne disposait que de 16 gardes, mais nĂ©anmoins il n'y eut pas de tumulte[240]. Le lendemain , la localitĂ© de Caruaru fit touchĂ©e Ă son tour. Ă 8 heures du matin, alors que se tenait le marchĂ©, lâon apprit quâun grand groupe dâĂ©meutiers, fort de 200 Ă 400 personnes, se dirigeait vers la localitĂ© dans lâintention de dĂ©truire tous les documents quâils trouveraient[241] - [242]. Ils « accomplirent un autodafĂ© » des papiers trouvĂ©s dans les archives de lâadministration municipale[243], puis, selon les autoritĂ©s, aprĂšs approximativement six heures de brĂ»lage et de destruction, et avoir Ă©tĂ© les maĂźtres de la ville, sâen allĂšrent enfin vers 4 heures de lâaprĂšs-midi, mais en promettant de revenir avec davantage de personnes encore si la perception des taxes se poursuivait. Les autoritĂ©s notĂšrent que « quelques-uns donnĂšrent suite au rappel Ă lâordre, lançant des vivats Ă la libertĂ©, Ă la religion, Ă lâordre public et aux autoritĂ©s, toutefois la masse des sĂ©ditieux sâaugmenta des usagers du foirail et d'un grand nombre de prolĂ©taires de cette ville, qui criaient quâils nâobĂ©iraient Ă personne et quâils voulaient lâabolition des impĂŽts et du systĂšme mĂ©trique et quâils lutteraient pour cela jusquâĂ la mort »[244]. AprĂšs Caruaru, ce mĂȘme groupe, comptant Ă prĂ©sent 400 Ă©meutiers, sâachemina vers le bourg de Bezerros, oĂč ils crĂ©Ăšrent des troubles et oĂč, de nouveau, ils empĂȘchĂšrent la perception des taxes, toutefois sans molester physiquement les collecteurs de taxes et se contentant de les houspiller[245] - [88]. Il faut signaler, dans ce mĂȘme bourg, le cas particulier du lieutenant Bernardo JosĂ© Brayner, qui avait acquis (contre argent) le droit de collecter les impĂŽts. Mettant Ă profit le tumulte des quebra-quilos, Brayner sâintroduisit dans la mairie et en fit disparaĂźtre les lettres par lesquelles il sâĂ©tait engagĂ©, Ă titre de percepteur, Ă payer 820 000 reis, la premiĂšre tranche, dâun montant de 205 000 reis, Ă©tant dâailleurs dĂ©jĂ arrivĂ©e Ă Ă©chĂ©ance. Pour obtenir la confiance et lâappui des quebra-quilos, Brayner leur tenait le langage que la mairie Ă©tait responsable de tout ce qui Ă©tait perçu dans la ville et que le peuple serait libĂ©rĂ© du paiement des impĂŽts sâil parvenait Ă mettre la main sur les papiers de la mairie et Ă les dĂ©truire. Ainsi mystifiĂ©s, les quebra-quilos favorisĂšrent le dessein de Brayner, sans que le prĂ©sident JoĂŁo Francisco de Vasconcelos pĂ»t rien y faire. Cependant, le prĂ©sident provincial, mis au courant de lâaffaire, donna instruction le au juge municipal de Bezerros de procĂ©der Ă la dĂ©tention immĂ©diate du lieutenant et Ă son transfert Ă la prison de VitĂłria (actuel VitĂłria de Santo AntĂŁo)[246].
Le , Ă Bonito, ville qui disposait de seulement 20 soldats de ligne et de douze gardes locaux, les collecteurs de taxes, accompagnĂ©s du juge, du juge cantonal, du commissaire de police, du procureur et dâun officier de la garde locale, vinrent recueillir la taxe sur la viande sĂ©chĂ©e (carne do sertĂŁo). Un campagnard occupĂ© Ă vendre de cette viande fut sommĂ© dâacquitter 360 reis de taxe. Le vendeur refusa, et se vit bientĂŽt entourĂ© dâun grand nombre de gens prĂȘts Ă le dĂ©fendre. Aussi, en dĂ©pit de la prĂ©sence de reprĂ©sentants de lâautoritĂ© officielle, beaucoup de forains, dont quelques-uns armĂ©s, refusĂšrent de payer la taxe municipale. Les autoritĂ©s, confrontĂ©s Ă une foule en colĂšre, durent se retirer prestement[247]. En rĂ©action, le prĂ©sident Lucena, mis au courant, envoya 30 Ă 40 hommes de la garde nationale, 20 hommes des troupes de ligne, ainsi quâun officier, des fusils et des munitions[248]. Aussi, lorsque les Ă©meutiers attaquĂšrent Ă nouveau le et allĂšrent au domicile du percepteur, se trouvĂšrent-ils face Ă face avec les soldats. Un Ă©meutier lança un projectile en direction des soldats, qui blessa mortellement lâun dâeux Ă la tĂȘte. DâaprĂšs le prĂ©sident Lucena, cet acte donna lieu Ă une confrontation ouverte, qui fit deux morts de plus : un Ă©meutier, AntĂŽnio JosĂ© Henriques, propriĂ©taire du domaine Lua Redonda (Lune ronde), fut tuĂ© ainsi que le capitaine de la Garde nationale. Dâautres personnes encore, dont trois citoyens qui sâĂ©taient rangĂ©s aux cĂŽtĂ©s des soldats, furent blessĂ©es, tandis que les Ă©meutiers sâefforçaient Ă prĂ©sent dâatteindre les archives du percepteur provincial, en sâattaquant aux portes et fenĂȘtres. Cependant, avec lâaide des gardes locaux et des soldats, les autoritĂ©s rĂ©ussirent à « repousser les perturbateurs et empĂȘcher la destruction des papiers du percepteur »[249].
Ă la suite de rumeurs selon lesquelles de nouvelles taxes Ă©taient en passe dâĂȘtre instaurĂ©es, plus onĂ©reuses encore que les prĂ©cĂ©dentes, le bourg de Bom Conselho, toujours dans le Pernambouc, fut Ă son tour la cible dâattaques le . Quatre centaines dâhommes envahirent la ville, armĂ©s de coutelas, de carabines et de courroies, et sâapprĂȘtaient Ă attaquer le bureau des impĂŽts et les archives et Ă dĂ©truire tous les poids et mesures quâils trouveraient. Un frĂšre capucin, que le juge avait fait mander en urgence, sut empĂȘcher, par des paroles diplomatiques, les dĂ©prĂ©dations de se produire, et que lâon eĂ»t pas pu empĂȘcher autrement, vu le nombre des Ă©meutiers. La promesse prononcĂ©e par beaucoup quâils reviendraient lors de la prochaine foire ainsi que les doutes quant Ă la rĂ©pĂ©tition du prodige rĂ©alisĂ© par le capucin, que le magistrat appela « notre ange tutĂ©laire », conduisirent les autoritĂ©s Ă faire transporter vers Ăguas Belas les documents de lâadministration fiscale. Le , la ville subit sa deuxiĂšme invasion, lors de laquelle les Ă©meutiers forcĂšrent d'emblĂ©e lâentrĂ©e de la chambre municipale. La petite force de police entra alors en action et, dans la fusillade qui suivit, tua quatre quebra-quilos, qui avaient entre-temps rĂ©ussi Ă tuer un soldat et Ă en blesser griĂšvement deux autres, dont un devait plus tard succomber Ă ses blessures ; il y eut dâautre part un grand nombre de soldats et de quebra-quilos lĂ©gĂšrement blessĂ©s. Les meneurs allaient ĂȘtre identifiĂ©s par la suite ; le premier Ă©tait lâinspecteur de quartier Clemente Nunes Pereira, tandis que les autres se perdent dans lâanonymat d'une sĂ©rie de noms humbles, tel « un dĂ©nommĂ© Antonio Rodrigues qui se prĂ©senta en vocifĂ©rant contre le gouvernement », ou lâavocat sans titre Lourenço de Carvalho AraĂșjo, qui, pour ĂȘtre le fils naturel du chef du parti libĂ©ral, Manuel Cavalcanti de Albuquerque, servit dâargument au juge pour affirmer au prĂ©sident provincial quâil Ă©tait « certain que le parti libĂ©ral de la localitĂ© nâĂ©tait pas Ă©trangĂšre Ă ces mouvements »[250].
Dans la colonie de BrejĂŁo, appartenant Ă la municipalitĂ© de Garanhuns, prĂšs de Bom Conselho, un groupe de 200 personnes sâĂ©tait rassemblĂ© et projetait dâattaquer au milieu de la nuit. Le juge cantonal sâen alla, porteur de cette information, au domicile du curĂ© de Bom Conselho et chez le chapelain du collĂšge de Bom Conselho et les sollicita, au cas oĂč les Ă©meutiers viendraient, de se porter au-devant dâeux et de leur parler. Cependant, quand le groupe de 400 assaillirent la bourgade, les deux prĂȘtres furent dĂ©daignĂ©s[251].
BuĂque fut attaquĂ©e par les quebra-quilos le . Le juge JosĂ© Maria Moscoso da Veiga Pessoa donna une description dĂ©taillĂ©e et singuliĂšre de cette invasion. Un groupe de deux cents individus, emmenĂ©s par 20 ou 25 meneurs, lâun dâeux se tenant par devant et battant une grosse caisse de guerre, se dirigea au bureau gĂ©nĂ©ral des impĂŽts, qui servait Ă©galement de bureau de poste, et y dĂ©chirĂšrent tous les papiers quâils purent trouver et brisĂšrent les meubles. Cette besogne achevĂ©e, ils sâen furent aux archives de lâadministration avec les mĂȘmes intentions, mais se laissĂšrent raisonner par quelques personnes et Ă©pargnĂšrent ces archives. Les Ă©meutiers se rendirent ensuite dans presque tous les Ă©tablissements commerciaux du lieu, oĂč ils inutilisĂšrent les poids et mesures. Ă cinq heures de lâaprĂšs-midi, jugeant leur mission accomplie, ils se retirĂšrent. Une circonstance remarquable fut le fait quâils poussĂšrent des vivats Ă saint FĂ©lix[252].
La municipalitĂ© de Panelas, â ou plus exactement ceux des hameaux de cette commune qui Ă©taient dĂ©pourvus de protection policiĂšre â, fut la proie, principalement les jours de marchĂ©, des habituelles attaques avec bris de poids et mesures ; il en sera ainsi du hameau de Queimadas, dont le marchĂ© fut pris pour cible le , attaque qui fera sept blessĂ©s, parmi lesquels le propre fils de lâinspecteur qui parviendra Ă apprĂ©hender le dĂ©linquant impliquĂ© Claudino Domingos da Rocha[206]. Le bourg lui-mĂȘme en revanche, placĂ© sous la protection du commandant JoĂŁo Vieira de Melo e Silva, membre du commandement supĂ©rieur de la Garde nationale des comarques de Caruaru et Panelas, ne fut pas attaquĂ©. Le rapport officiel, datĂ© du , sâattarde Ă dĂ©crire lâĂ©tat de panique des habitants de la ville : la menace dâune invasion par plus de 300 hommes, qui avaient dĂ©jĂ pris position dans le canton de Brejo, Ă seulement huit lieues du chef-lieu de la commune, avait incitĂ© la plupart des familles locales Ă quitter leur domicile. Pourtant, le marchĂ© du se dĂ©roula sans incidents, encore que lâaffluence fĂ»t faible pour une veille de NoĂ«l, et les taxes purent ĂȘtre collectĂ©es normalement[253].
Entre-temps, le prĂ©sident de province Lucena sâirrita de lâattitude de ses fonctionnaires de lâintĂ©rieur et communiqua : « si, comme vous dites, le peuple qui a perpĂ©trĂ© de telles insanitĂ©s nâĂ©tait en majoritĂ© armĂ© que de gourdins, la force publique prĂ©sente Ă©tait plus que suffisante pour contrer les trublions, et je ne puis approuver la façon dâagir des autoritĂ©s qui ont concouru Ă neutraliser lâaction de la force publique, laquelle en de telles occasions ne peut et ne doit rester impassible[254]. » Les provocations et accusations du journal dâopposition A ProvĂncia, allant de critiques politiques Ă des soupçons de corruption, et surtout la gravitĂ© de la situation dans lâintĂ©rieur de sa province, portĂšrent Lucena Ă adresser, Ă lâattention Ă la fois des autoritĂ©s et de la population du Pernambouc, une longue communication sur la position de son gouvernement face Ă la crise en cours. La lecture de ce texte est indispensable Ă la comprĂ©hension de la politique menĂ©e par Lucena, de sa philosophie de gouvernement, et de son positionnement conservateur[255]. En Ă©voquant les « faux amis du peuple », Lucena laissait entendre que la sĂ©dition nâĂ©tait pas spontanĂ©e ; la masse en effet agirait Ă lâinstigation des jĂ©suites et des libĂ©raux, trompĂ©e par des astuces qui couvraient tout lâĂ©ventail de la subversion, de la corruption dĂ©moralisatrice, jusquâĂ la sape de lâordre social[208]. En mĂȘme temps, il envoya au vicomte de Rio Branco un rapport plus complet de ce qui se passait dans sa province. Relativement Ă la fiscalitĂ© disproportionnĂ©e, il assurait avec insistance Ă Rio Branco quâon ne faisait pas peser sur la population des « impositions exagĂ©rĂ©es ou vexatoires » ; sâil reconnaissait, presque en sâexcusant, quâil existait « assurĂ©ment quelques impĂŽts un peu augmentĂ©s, mais pas Ă ce point-lĂ lourds et oppressifs, ni capables dâengendrer la dĂ©sespĂ©rance de la population », il ajoutait que « tout ce bruit que lâon fait autour des impositions de cette province est dĂ©pourvu de fondement, et rĂ©sulte dâun stratagĂšme politique ». Ainsi Lucena Ă©cartait-il, devant le prĂ©sident du Conseil des ministres, la thĂšse que les impĂŽts fussent la principale cause du Quebra-Quilos ; les perturbations seraient en rĂ©alitĂ© la consĂ©quence dâ« idĂ©es viles gravĂ©es dans lâĂąme du peuple ignorant par ceux qui tirent des calamitĂ©s publiques des bĂ©nĂ©fices pour leur cause »[256].
En Alagoas et dans le Rio Grande do Norte
Le mouvement Quebra-Quilos n'atteignit la province dâAlagoas que le , lorsqu'un groupe dâĂ©meutiers, armĂ©s de gourdins et de couteaux, attaqua la justice de paix et la sous-dĂ©lĂ©gation de police de la municipalitĂ© dâImperatriz, en brĂ»la les archives et rendit inutilisables les poids et mesures du systĂšme mĂ©trique afin dâempĂȘcher la collecte des taxes tant provinciales que municipales sur le marchĂ© local de la colonie de MundaĂș-Meirim. Ce mĂȘme jour, La contestation des taxes se rĂ©pandit Ă travers toute la province dâAlagoas, et les villes de MaceiĂł, la capitale provinciale, de Quebrangulo, de Pilar (Ă 35 km de la capitale provinciale), de Porto Calvo, de ColĂŽnia Leopoldina et dâAtalaia soit se soulevĂšrent effectivement, soit furent sur le point de se rĂ©volter pendant cette pĂ©riode[257]. Le , Quebrangulo fut assailliĂ© Ă son tour, par 300 hommes qui se mirent Ă briser les poids et mesures, et dont neuf perdirent la vie dans le combat qui sâensuivit. Le lieutenant-colonel Firmino Rabelo Torres Maia, Ă la tĂȘte de 400 hommes de troupe, dĂ©cida dâoccuper le bĂątiment de lâassemblĂ©e municipale Ă titre prĂ©ventif. Le climat gĂ©nĂ©ral dâagitation incita ensuite des dĂ©sĆuvrĂ©s et des marginaux de MaceiĂł Ă provoquer des dĂ©sordres dans les nuits de NoĂ«l et du Nouvel-An. La jacquerie fut promptement rĂ©primĂ©e et ne sâĂ©tendit pas plus avant. Ne pouvant se faire une idĂ©e exacte de lâampleur de ces Ă©vĂ©nements, le prĂ©sident de lâAlagoas sollicita son collĂšgue pernamboucain de lâaider. La corvette Vital de Oliveira fit alors voile pour MaceiĂł afin dây attendre lâarrivĂ©e de la canonniĂšre Henrique Dias et de la corvette Ipiranga[258].
Lâauteur dâun rapport au prĂ©sident provincial JoĂŁo Vieira de AraĂșjo sur les incidents de MundaĂș-meirim, se penchant sur leurs causes, eut bien conscience des raisons Ă©conomiques du Quebra-Quilos, et sâinterrogeait :
« Je ne puis affirmer que les Ă©meutiers trouvent leur raison dâexister dans le fanatisme qui ces temps derniers a entachĂ© le sentiment religieux du pays ; ou dans la rĂ©pugnance Ă accepter le nouveau systĂšme de poids et mesures adoptĂ© par les nations civilisĂ©es ; ou dans lâaction ignoble et fourbe des factions qui, souillant la politique du pays, sâappliquent Ă faire obstacle Ă la rĂ©alisation du bien public ; ou dans les faibles moissons faites rĂ©cemment ; ou dans les prix rĂ©duits et mĂ©diocres que les deux principaux produits de la province ont obtenu sur les marchĂ©s europĂ©ens ; ou dans les nouveaux impĂŽts provinciaux, lesquels, sâappliquant Ă toutes les classes, sont de façon presque insensible payĂ©s par lâindividu[259]. »
Le chef de la police de MaceiĂł, Joaquim Guedes Correia Gondim, Ă©crivit le quâil considĂ©rait la paix comme rĂ©tablie dans la province, et expliqua Ă la prĂ©sidence que lâune des causes des conflits Ă©tait « lâinstauration de certains impĂŽts entiĂšrement nouveaux, lesquels sont rĂ©putĂ©s antipathiques, plausiblement, et vexatoires, fallacieusement ». Dâautre part, des marchands peu scrupuleux (« mercadores ratoneiros ») auraient su tirer parti du nouveau systĂšme de poids et mesures pour se faire de petits profits illicites. La rĂ©volte de Quebra-Quilos aurait Ă©clatĂ© en Alagoas en une pĂ©riode de mutation des classes et couches sociales de la province, situation bien perçue par lâhistorien Douglas Apratto TenĂłrio quand il signala quâ« aux cĂŽtĂ©s de la prĂ©Ă©minente classe des seigneurs fonciers et de celle des esclaves et des journaliers sâest insinuĂ©e une classe moyenne urbaine, constituĂ©e dâĂ©lĂ©ments liĂ©s au commerce, de lâimmense fonctionnariat, des professions libĂ©rales, de mĂȘme que dâun contingent ouvrier qui travaille dans des activitĂ©s de modernisation ou dans les industries dĂ©butantes de MaceiĂł ». Toutefois, Ă la diffĂ©rence du Pernambouc, la province des Alagoas ne prĂ©sentait pas, au moment oĂč Ă©clatait le Quebra-Quilos, de dĂ©ficit budgĂ©taire[260].
Dans le Rio Grande do Norte, lâeffet du mouvement insurrectionnel commença Ă se faire sentir dâabord dans les villes et bourgs les plus proches de la ParaĂba, dont plusieurs adhĂ©rĂšrent au mouvement. Fin , les habitants de la municipalitĂ© de Jardim do SeridĂł se mirent Ă se rassembler dans les parties est et sud de la commune, c'est-Ă -dire les deux portions les plus proches de la ParaĂba, dans lâintention de briser les balances et de brĂ»ler les archives de lâadministration communale et du bureau des impĂŽts, pour se soustraire aux taxes. Tout au long du mois retentirent les cris de « brisez les kilos » et de « ne payez plus les 400 reis dâimpĂŽt foncier ». Dâautre part, ils sâefforcĂšrent dâempĂȘcher que la loi sur le recensement pĂ»t ĂȘtre proclamĂ©e, les paysans voyant dans ce recensement officiel une tentative dâaugmenter les impĂŽts et « dâasservir » les paysans ; ainsi, dans la colonie de Barriguda, un groupe surgit devant lâĂ©glise pour empĂȘcher que soit donnĂ© lecture de la loi, avant de se rĂ©pandre ensuite dans les rues pour briser les poids et mesures[261].
Le , un groupe de quelque 200 hommes se rĂ©unit Ă peu de lieues de la bourgade de Santana do Matos, projetant dâenvahir la localitĂ© le 19 pour y briser les poids et mesures et y brĂ»ler les archives de la municipalitĂ© et les registres du collecteur dâimpĂŽts. Ce mĂȘme jour cependant, le groupe fut dĂ©couvert, ce qui conduisit le juge cantonal Ă mettre aussitĂŽt sur pied une force dâune centaine dâhommes issus de la communautĂ© pour dĂ©fendre celle-ci[262]. Il fut rapportĂ© au gouvernement du Rio Grande do Norte, par les soins du pĂšre JoĂŁo JerĂŽnimo da Cunha, quâun groupe nombreux de sĂ©ditieux sâĂ©tait postĂ© sur le domaine Bom Jardim, Ă une lieue de Goianinha, « avec lâintention de lâassaillir ». Ils Ă©taient 300, hommes et femmes, tous armĂ©s, disposĂ©s Ă affronter les troupes du capitaine JoĂŁo Paulo Marfins Naninguer. Celui-ci, mis au courant quâun autre groupe se constituait Ă Piaui, rĂ©solut alors, dâun commun accord avec le juge cantonal et le commissaire de police, de les affronter avant quâils nâattaquent la ville. Un rapport envoyĂ© Ă la Cour par le prĂ©sident de la province, relatant les Ă©vĂ©nements sur la base des informations fournies par le capitaine Martins Naninguer, indiquait que les rebelles accueillirent les soldats Ă balles et que la section commandĂ©e par le sous-lieutenant Francisco de Paula Moreira, simulant une attaque Ă la baĂŻonnette, sâimmobilisa Ă deux brasses de distance des rebelles « pour ne pas les offenser ni sacrifier la troupe ». Cette tentative de dissuasion cependant sâavĂ©ra futile, le groupe maintenant son « attitude menaçante » et rejetant probablement les propositions qui lui Ă©taient faites. Les soldats ouvrirent alors le feu ; Ă la premiĂšre charge, deux sĂ©ditieux tombĂšrent morts et cinq autres furent griĂšvement blessĂ©s, de qui trois femmes. La dĂ©bandade des quebra-quilos fut ensuite gĂ©nĂ©rale ; quoique armĂ©s, ils ne disposaient pas dâorganisation militaire, et ceux qui ne rĂ©ussirent pas Ă prendre la fuite furent immĂ©diatement faits prisonniers.
On enregistra des attaques de quebra-quilos Ă©galement dans la ville de Jardim do SeridĂł, dans les districts de VitĂłria et de LuĂs Gomes, Ă Poço Limpo (aujourd'hui dans la commune de SĂŁo Gonçalo do Amarante, dans la ville du PrĂncipe, de Vila do Acari (actuelle ville de CaicĂł), de MossorĂł, de Patu et de Barriguda (actuelle Alexandria)[263].
Participants et meneurs
En rĂšgle gĂ©nĂ©rale, les participants aux jacqueries de Quebra-Quilos Ă©taient des gens humbles, qui souvent se perdent dans lâanonymat et lâanalphabĂ©tisme. Leurs chefs sont divisĂ©s et tenaient un discours mal dĂ©fini, quand dĂ©jĂ ils professaient leurs idĂ©es. Dans certaines zones pourtant apparaissent des noms dâun certain prestige social et il serait naĂŻf en outre de ne pas percevoir, reflĂ©tĂ©s dans le mouvement, les ressentiments liĂ©s Ă la question religieuse qui secoua le pays en 1873. Les plus instruits parmi les Ă©meutiers appartenaient au milieu marginal et nâavaient pas pour habitude de mettre leurs idĂ©es par Ă©crit. Ceux de catĂ©gorie sociale supĂ©rieure Ă©taient extrĂȘmement circonspects et agissaient plutĂŽt comme des opportunistes et des profiteurs, que comme des agents actifs[264].
Le gouvernement avait recommandĂ© avec insistance que lâon identifiĂąt les meneurs[265]. Cependant, le problĂšme central de la rĂ©volte de Quebra-Quilos est lâabsence dâune personnalitĂ© dirigeante globale. Les autoritĂ©s provinciales, qui avaient de la peine Ă imaginer quâun soulĂšvement de cette ampleur eĂ»t pu ĂȘtre suscitĂ© et menĂ© par les paysans eux-mĂȘmes, dĂ©couvrirent bientĂŽt que le mouvement nâavait aucun chef gĂ©nĂ©ral ; tout au plus y eut-il de petits meneurs locaux dirigeant tel groupe dâĂ©meutiers, et ce dans les quatre provinces concernĂ©es[266].
Lâun des principaux meneurs locaux Ă©tait JoĂŁo Vieira, caboclo (c'est-Ă -dire mĂ©lange de blanc, noir et Indien, type racial dĂ©nommĂ© Ă©galement cabra escuro, litt. chĂšvre obscure) surnommĂ© JoĂŁo Carga dâAgua. Ce personnage sera accusĂ© par les Ă©meutiers Ă©crouĂ©s dâavoir non seulement participĂ© au soulĂšvement du Ă Fagundes, mais encore de sâĂȘtre targuĂ© de tuer le commissaire de police venu rĂ©primer la rĂ©bellion[267]. Carga dâAgua dirigeait des groupes dâagitateurs dĂšs les premiĂšres phases du soulĂšvement en octobre, encore que les comptes rendus officiels ne lâidentifiaient pas comme meneur avant le . Ce jour-lĂ , Carga dâAgua sâĂ©tait portĂ© Ă la tĂȘte dâun groupe dâapproximativement 50 individus armĂ©s qui se rendait au marchĂ© de Campina Grande. ArrivĂ©s Ă destination, ils sâemployĂšrent Ă dĂ©truire tous les poids et mesures du nouveau systĂšme mĂ©trique qui leur tombaient sous les yeux. Carga dâAgua les conduisit ensuite Ă la demeure du curĂ© Calixto da NĂłbrega ; ici, les tĂ©moignages divergent : selon les uns, dâAgua fit irruption dans le logis du curĂ©, dâautres au contraire affirment que le curĂ© Ă©tait de mĂšche avec Carga dâAgua et que le groupe ne sâĂ©tait rendu Ă son domicile que pour lui remettre les poids et mesures et des documents[268] - [269].
Entre les 25 et , JoĂŁo Carga dâAgua refit par deux fois irruption dans Campina Grande, escortĂ©, Ă chacune de ces incursions, par une bande dâenviron 80 compagnons, pour la plupart originaires de VĂĄrzea Alegre, dans le CearĂĄ voisin[270].
Mais Carga dâAgua et son groupe nâen Ă©tait quâun parmi un grand nombre dâautres. Dans la seule journĂ©e du , Manoel Piaba, Manoel (Neco) de Barros, JosĂ© Esteves, Antonio Martins de Souza, et un autre personnage dĂ©signĂ© sous le nom de Marcos Untel (Marcos de tal, ou Marcolino de tal), lancĂšrent chacun une bande dâĂ©meutiers contre Campina Grande. Plus tĂŽt, le , il avait Ă©tĂ© dĂ©cidĂ© quâil nây aurait pas de chefs, mais que les Ă©meutiers se diviseraient en groupes entre 50 et 200 hommes chargĂ©s de dĂ©truire les poids et mesures et les registres municipaux[271].
La famille Barros reprĂ©sente un cas Ă part. AntĂŽnio de Barros ou lâun de ses fils, Manoel ou JosĂ© de Barros, prit la tĂȘte dâun soulĂšvement le Ă Campina Grande. JoĂŁo de Barros, frĂšre dâAntĂŽnio, Ă©tait dĂ©tenu dans la prison de Campina Grande sur lâinculpation dâhomicide. JoĂŁo de Barros et son fils Manoel (souvent dĂ©signĂ© sous le surnom de Nico ou Neco) rĂ©solurent de le faire Ă©vader de prison. Ă la tĂȘte dâun groupe de huit ou dix hommes, ils attaquĂšrent la prison cette mĂȘme nuit du , et rĂ©ussirent Ă libĂ©rer JoĂŁo de Barros de sa cellule[272]. Ayant forcĂ© lâentrĂ©e de la maison dâarrĂȘt, Barros et ses acolytes Ă©largirent par la mĂȘme occasion presque tous les quelque vingt prisonniers masculins qui sây trouvaient. Les tĂ©moins dĂ©clarĂšrent ensuite que tous ces prisonniers se joignirent au groupe des Barros, et quelques-uns seulement clamĂšrent avoir refusĂ© dâadhĂ©rer Ă la bande[271].
Le groupe qui lança lâattaque contre Caruaru, dans le Pernambouc, se composait de 200 Ă 400 hommes[273], dirigĂ©s par Vicente et Manoel Tenorio, tous deux de la municipalitĂ© de Brejo (actuelle Brejo da Madre de Deus), et par JoĂŁo Barradas, originaire de la ville de Caruaru. Quant Ă la bande qui assaillit la colonie de MundaĂș-Meirim, dans la municipalitĂ© dâImperatriz, les dĂ©positions en vue du procĂšs devaient dĂ©signer (ou du moins accuser) comme chef de ce groupe AntĂŽnio Thomaz de Aquino, marchand de coton de Breja-Grande, concomitamment avec son frĂšre Manoel Thomaz. Ă leurs cĂŽtĂ©s se trouvaient Joaquim Thomas ainsi que JoĂŁo Torres, Manoel Nico et ses frĂšres Euclydes et JoĂŁo[274]. NĂ©anmoins, il devint bientĂŽt Ă©vident quâAntĂŽnio Thomaz Ă©tait le vĂ©ritable meneur ; en effet, aprĂšs son arrestation par le capitaine Floriano Vieira de Melo, commissaire de police de la municipalitĂ© dâImperatriz, lâenquĂȘte allait « Ă©tablir quâAntĂŽnio Thomaz de Aquino Ă©tait, sinon le meneur, du moins lâun des chefs de la sĂ©dition qui le dernier sâĂ©leva contre la colonie »[275].
La bande dâune centaine dâĂ©meutiers bien armĂ©s qui descendit sur le bourg de Bezerros, dans le Pernambouc, Ă©tait emmenĂ© par le lieutenant Bernardo JosĂ© Brayner. Tant celui-ci que son fils JosĂ© Brayner furent reconnus comme Ă©tant les meneurs[276]. Plus tard cependant, Mello Filho, prĂ©sident de la province du Rio Grande do Norte, affirma que Benedito Saldanha et Serafim Raposo agirent comme « protecteurs » de ce groupe, mais quâil Ă©tait impossible de dĂ©terminer quels en avaient Ă©tĂ© les chefs[277].
Dans le bourg de NazarĂ©, si lâon en croit une lettre Ă©crite par le baron Vanderlei, accusant les fils et le gendre de la « maĂźtresse du domaine sucrier CangaĂș », la rĂ©volte de Quebra-Quilos eut la caractĂ©ristique, peu commune, de nâavoir pas impliquĂ© seulement des petits paysans pauvres, analphabĂštes, petits travailleurs sur les terres dâautrui, incitĂ©s Ă la rĂ©volte par lâexcessive taxation et par lâemprisonnement dâĂ©vĂȘques de son Ă©glise Ă laquelle Ă©tait culturellement liĂ©, mais aussi des fils et un gendre d'un propriĂ©taire de domaine, gens probablement lettrĂ©s, animĂ©s par des intĂ©rĂȘts Ă©conomiques bien diffĂ©rents de ceux de leurs autres compagnons de rĂ©volte[278]. Le juge Pergentino GalvĂŁo de NazarĂ© conclut son rapport par une observation qui inquiĂ©ta le gouvernement pernamboucain : « le mouvement est sympathique Ă presque tous et trouve des adhĂ©sions ; il devient ainsi plus redoutable et ira sâamplifiant jour aprĂšs jour sâils ne sont pas tenacement poursuivis et les lieux les plus menacĂ©s bien dĂ©fendus »[279].
Dans lâenquĂȘte menĂ©e Ă TimbaĂșba (Pernambouc) Ă lâissue des troubles, le nom de Vicente Ferreira da Silva Maia fut citĂ© comme lâun des meneurs. Il avait Ă©tĂ© le troisiĂšme supplĂ©ant du juge municipal. Dans la mĂȘme zone surgira Ă©galement un nom trĂšs connu dans la rĂ©gion, celui du patron sucrier du domaine de Lages, VirgĂnio HorĂĄcio de Freitas, dĂ©signĂ© lui aussi comme lâun des chefs de lâagitation du Ă ItambĂ©. Freitas fut apprĂ©hendĂ© sur ses propres terres et mis en prison Ă sept heures du matin le [280].
Ă Pilar, de nombreux travailleurs des domaines agricoles et sucriers rejoignirent les rangs des quebra-quilos. Selon Delmiro de Andrade, leur chef principal Ă©tait un patron sucrier, InĂĄcio Bento, toujours accompagnĂ©, dans ses courses Ă cheval Ă travers les foires et dans les rituels violents du bris de poids et mesures, par un Ă©meutier connu sous le sobriquet de Bilinguim. Ses mobiles Ă©taient probablement politiques, mais on ignore toutefois le niveau et la portĂ©e de sa contestation, ou si celle-ci allait au-delĂ dâun don-quichottisme consistant Ă ĂȘtre sans cesse contre le gouvernement. Il est certain aussi que le domaine sucrier Sant'Ana, dans la commune de VĂĄrzea, Ă©tait un foyer de rĂ©bellion. Il nây a pas de preuves cependant de lâexistence dâun commandement conscient, objectif, coordonnĂ©, agissant en fonction dâune problĂ©matique bien dĂ©finie[281].
Ă Lagoa dos Gatos, un au moins des assaillants nâĂ©tait pas un campagnard pauvre et sans terre : Carlos Muniz de Sousa Ă©tait un « homme de quelque influence en tant quâappartenant Ă la grande famille quâil avait au lieu-dit Piripiri, dans le canton dont il Ă©tait rĂ©sident »[206].
Dans le hameau dâAfogados, dans les environs dâIngazeira, distant d'une soixantaine de kilomĂštres seulement de Triunfo, les Ă©meutes de Quebra-Quilos eurent une caractĂ©ristique particuliĂšre : le chef Ă©tait un capitaine de la Garde nationale, JordĂŁo da Cunha França e Brito[282]. Ă Bonito figurait parmi les morts AntĂŽnio JosĂ© Henrique, capitaine de la Garde nationale, dâidĂ©ologie libĂ©rale et dâune certaine influence politique dans la municipalitĂ©, mais il reste trĂšs difficile Ă dĂ©terminer si le capitaine dirigeait ou non lâattaque. Selon le tĂ©moignage de JoĂŁo BrĂĄulio Correia e Silva, le capitaine nâĂ©tait pas armĂ©. Le point de dĂ©part de son adhĂ©sion aux quebra-quilos aurait Ă©tĂ© une discussion quâil eut avec lâun des soldats qui gardaient le bureau des impĂŽts, et Ă qui il aurait dit, peut-ĂȘtre pour Ă©viter une effusion de sang, de laisser le peuple entrer. Cet Ă©pisode de Bonito eut un Ă©cho dans la presse de Rio de Janeiro. La mort dâun libĂ©ral de renom Ă la tĂȘte de quebra-quilos et attaquant un bureau de perception, sera pour quelques politiciens une preuve que la rĂ©volte Ă©tait dâinspiration libĂ©rale[283].
Il est Ă relever quâĂ Brejo, le juge JoĂŁo Ălvares Pereira de Lessa nâavait pas grande confiance dans la Garde nationale, et fit observer au prĂ©sident provincial qu'Ă©tant « composĂ©e dâhommes du peuple, elle peut facilement se laisser emporter par la supposition fallacieuse que ces sĂ©ditieux sont les libĂ©rateurs du peuple, ainsi quâils sâen targuaient, Ă preuve le fait que lĂ oĂč elle arrivait se trouvait toujours [au sein de la Garde nationale] un grand groupe pour se lier avec eux ». Son opinion rejoignait celle du procureur Augusto Coelho de Morais, aux yeux de qui « la Garde nationale ne peut inspirer aucune confiance ». DâaprĂšs ses informations en effet, des individus de ce corps faisaient cause commune avec les rebelles et ne voulaient plus payer dâimpĂŽts[284].
Dans une lettre Ă Lucena, JoĂŁo Francisco da Silva Braga, commissaire de police dâItambĂ©, note quâil « nâignorait pas lâappui moral que de toutes parts [les quebra-quilos] rencontraient de la part dâun nombre croissant de citoyens nantis et prestigieux, appui qui ne contribuera que trop Ă favoriser, rapidement, lâaugmentation en nombre, lâaudace et lâexaltation des sĂ©ditieux »[231]. Ă TimbaĂșba, selon la relation de Pires Ferreira, « ce qui est sĂ»r, câest que, Ă lâexception dâun petit nombre de personnes de ce bourg, comprenant les autoritĂ©s de celui-ci, bien compĂ©nĂ©trĂ©es de leurs devoirs, et celles de la Paraiba, tous les autres habitants se montraient favorables Ă la cause du peuple et lui donnaient raison, applaudissant Ă ses exactions »[285].
Dans le district de Jurema do Brejo, le sous-commissaire local dĂ©clara, impuissant : « je puis affirmer que le nombre de personnes ne partageant pas les mĂȘmes sentiments que les sĂ©ditieux Ă©tait trĂšs limitĂ©, tant et si bien quâil nây eut personne pour payer dâimpĂŽt, de quelque nature que ce fĂ»t »[286]. Dans ce mĂȘme district, le procureur rapporta quâil Ă©tait notable que les personnes rĂ©unies dans les lieux attaquĂ©s Ă lâoccasion de la foire, quand elles nâadoptaient pas une position hostile vis-Ă -vis des intĂ©rĂȘts de lâordre public et ne sâidentifiaient pas de la sorte aux invahisseurs, prenaient une attitude neutre, refusant leur appui aux autoritĂ©s, qui dĂšs lors se voyaient isolĂ©es[287].
Le cas particulier de la famille Chacon mĂ©rite Ă©galement mention. Les Chacon, dans la ParaĂba, Ă©taient divisĂ©s : si, dâun cĂŽtĂ©, le lieutenant-colonel Francisco AntĂŽnio Aranha Chacon, Ă la tĂȘte de cinquante hommes de troupe, sâefforça de contenir les kiloclastes Ă IngĂĄ, de lâautre, Matias de Holanda Chacon, Ă Alagoa Nova, fut signalĂ© comme quebra-quilo, en mĂȘme temps que trois autres meneurs[288].
Ă Bom Jardim, le procureur Manuel Tertuliano de Arruda rapporta au prĂ©sident provincial que dans la comarque, le chef de la sĂ©dition contre la levĂ©e des impĂŽts aurait Ă©tĂ© le juge Austerliano Correia de Castro, juge municipal et juge cantonal supplĂ©ant. Le nom du juge Ă©tait, dans lâacte dâaccusation, accompagnĂ© de celui dâautres personnes de renom dans la localitĂ© : le sous-lieutenant Manuel d'Assunção e Santiago, le licenciĂ© en droit (bacharel) AntĂŽnio JosĂ© de Alcona, en plus de ceux qui sâĂ©vanouissent dans lâanonymat de la plĂšbe campagnarde. Cependant, la participation du juge Correia de Castro au mouvement, ou de simples sympathies de sa part pour les quebra-quilos, sont fort peu probables. Alors quâil se trouavit encore Ă Bom Jardim, le , il communiqua que, le 24, il avait cessĂ© dâexercer la charge de juge supplĂ©ant et exposa lâintrigue du drame municipal : le percepteur Barbosa da Silva, ennemi implacable du juge, aurait lancĂ© contre celui-ci une campagne de calomnies en le dĂ©signant comme « auxiliaire des Ă©meutiers ». Son absence de la comarque fut bien exploitĂ©e par ses ennemis : PompĂlio da Rocha Moreira engagea une enquĂȘte policiĂšre, en plus de rĂ©diger lâun des documents les plus longs sur la sĂ©dition Ă Bom Jardim, dans lequel le juge Ă©tait identifiĂ©, sur la foi de tĂ©moignages plus ou moins suspects, comme chef de la sĂ©dition[289]. Quant au sous-lieutenant Manuel d'Assunção e Santiago, lâenquĂȘte et le procĂšs intentĂ© contre lui susciteront, en raison de sa position sociale, des dizaines dâarticles de presse, dâavis dâexpert et de rapports officiels. Santiago en effet nâĂ©tait pas un plĂ©bĂ©ien ; en plus dâĂȘtre sous-lieutenant rĂ©formĂ© de lâarmĂ©e, il Ă©tait avocat agrĂ©Ă© (sans titre) Ă IngĂĄ, oĂč il paraissait ĂȘtre bien considĂ©rĂ©[290]. Fait prisonnier le Ă Bom Jardim, et transfĂ©rĂ© au fort de Brum Ă Recife, il avait requis, par la voix du licenciĂ© Ăšs lois Eliseu de Sousa Martins, un habeas corpus, faisant valoir quâil nâavait jamais Ă©tĂ© pris en flagrant dĂ©lit, mais inculpĂ© sur la base des seules dĂ©nonciations faites par ses ennemis politiques. Lucena tenta de faire obstacle aux pourvois des amis de Santiago en vue de sa libĂ©ration, mais le prĂ©sident de la cour dâappel ne cĂ©da pas aux pressions du prĂ©sident de province, et Santiago fut Ă©largi le , sur avis juridique du juriste renommĂ© Maciel Pinheiro contestant en droit lâinculpation de sĂ©dition[291].
Significativement, Ă Caruaru, le juge municipal AntĂŽnio Paulino Cavalcanti d'Albuquerque devait Ă©crire le au prĂ©sident provincial, en pesant soigneusement ses mots, quâil avait confiance que le procureur « saura accomplir son devoir en dĂ©pit des entraves qui pourraient surgir, attendu que des personnes influentes et ayant de lâentregent se trouvent compromises dans la sĂ©dition »[286]. Les propriĂ©taires terriens du lieu pourtant apportĂšrent une aide substantielle aux troupes de LuĂs Albuquerque MaranhĂŁo, lui prĂȘtant des hommes et lui donnant libre disposition de leurs terres, selon les dĂ©clarations de lâofficier[292].
Quant aux esclaves, ils Ă©taient marginalisĂ©s dans le mouvement, comme l'atteste ce qui se passa Ă Campina Grande (voir ci-dessous) : un rapport de Caldas Barreto indique que lâun des meneurs de la rĂ©volte dans cette ville, « Ă lâoccasion de lâinsurrection des esclaves, dont neuf lui appartenaient, manda Neco de Barros, lequel se prĂ©senta avec un groupe sĂ©ditieux de Queimadas et de Baixa Verde pour sâopposer Ă ces mĂȘmes esclaves insurgĂ©s »[293].
Il y eut quelques liens entre le cangaço â type particulier de banditisme rural dans le Nordeste â et le Quebra-Quilos. Au plus haut des troubles, câest-Ă -dire en , il fut souvent signalĂ© que des bandits sâĂ©taient infiltrĂ©s dans les groupes de quebra-quilos. Cependant, les quebra-quilos avaient une idĂ©ologie, aussi contradictoire et primitive fĂ»t-elle ; en revanche, le bandit rural venu se joindre Ă eux nâavait, de façon gĂ©nĂ©rale, aucune idĂ©ologie, et son agitation nâavait aucun sens antifiscal ou religieux. Produit de lâisolement de rĂ©gions de difficile accĂšs pour le pouvoir judiciaire, ce type de banditisme Ă©tait endĂ©mique lorsquâĂ©clata le mouvement quebra-quilos. Souvent, les cangaceiros bĂ©nĂ©ficiaient de protection, par crainte ou par convenance, et, dans dâautres cas plus rares, par patronage, de la part de propriĂ©taires terriens procĂ©dant du mĂȘme univers culturel. Il Ă©tait rare au demeurant que le bandit rural fĂ»t un quebra-quilos. En gĂ©nĂ©ral, ses accointances sociales nâallaient que rarement dans un sens de contestation dâun ordre social qu'il aurait rĂ©prouvĂ© pour des raisons idĂ©ologiques. Le bandit CesĂĄrio, cangaceiro dĂ©jĂ bien connu, objet de haine et cause dâhumiliation pour le commissaire de police, Ă©pargna contre toute attente le bourg de SĂŁo Bento, mais envahit par contre Canhotinho, le , mais se bornant Ă dĂ©sarmer la garde de la maison dâarrĂȘt et Ă en libĂ©rer trois prisonniers[294].
De façon analogue, le cĂ©lĂšbre cangaceiro JesuĂno Brilhante prit part Ă lâassaut contre la prison de Campina Grande, laissa sâĂ©vader 43 dĂ©tenus, et sut ainsi augmenter lâeffectif de sa bande ; le commissaire de Pombal, le lieutenant Ricardo AntĂŽnio da Silva Barros, fut assassinĂ© par ces mĂȘmes bandits. En agissant de la sorte en marge des quebra-quilos, les cangaceiros rendent malaisĂ© le travail historique nĂ©cessaire consistant Ă faire le dĂ©part, dans les tumultes quebra-quilos, entre crimes de droit commun et contestation sociale. Par ailleurs, il arrivait parfois que les forces de rĂ©pression gouvernementales fissent dans la ParaĂba concurrence Ă ceux quâils avaient mission de poursuivre, en pillant eux-mĂȘmes les domaines fermiers et les plantations sucriĂšres[54].
RĂ©pression
La rĂ©volte de Quebra-Quilos sâexpliquant par un mĂ©lange complexe de banditisme social, de motifs religieux, de rejet des modernisations, et dâopposition Ă la rupture du contrat social entre petits paysans, aristocratie fonciĂšre et gouvernement central que constituait le coronĂ©lisme, il sera impossible aux forces de rĂ©pression de dĂ©signer un quelconque comitĂ© dirigeant gĂ©nĂ©ral ; aussi ne put-on, au fil des mois, trouver aucun meneur, ou groupe de meneurs, global. Il y eut certes quelques chefs individuels authentifiĂ©s, mais qui ne commandaient quâun groupe rĂ©duit et dont la dĂ©termination de lâidentitĂ© et du lieu de refuge exigea quâune forte coercition fĂ»t exercĂ©e par les contingents militaires dĂ©pĂȘchĂ©s dans les campagnes pour rĂ©primer les jacqueries. Les rigueurs rĂ©pressives, plus ou moins efficaces, des autoritĂ©s retombĂšrent donc sur les simples paysans ayant participĂ© aux troubles[295].
Dans la ParaĂba
Les provinces du Pernambouc, dâAlagoas et du Rio Grande do Norte rejetĂšrent toutes les trois la faute de ces soulĂšvements sur la province de la ParaĂba, qui en aurait Ă©tĂ© Ă lâorigine. Câest aussi vers cette province que le gouvernement central de Rio de Janeiro dĂ©cida dâenvoyer un corps expĂ©ditionnaire pour Ă©craser la sĂ©dition.
Quand les Ă©meutes commencĂšrent, et que les officiels des villes et bourgs se virent dĂ©bordĂ©s, beaucoup parmi eux quittĂšrent leur poste pour sâenfuir vers les capitales provinciales. Un rapport indique quâen dĂ©cembre « nombre dâautoritĂ©s civiles de lâintĂ©rieur de la ParaĂba [ont] fui vers la capitale »[296], et le colonel Fonseca, dĂ©pĂȘchĂ© dans le sertĂŁo pour rĂ©primer le soulĂšvement, nota que ceux des officiels qui nâavaient pas fui vers la capitale sâĂ©taient rĂ©fugiĂ©s dans les forĂȘts. Du reste, beaucoup dâautres habitants firent de mĂȘme. Silvino ElvĂdio Carneiro da Cunha, prĂ©sident de la ParaĂba, rĂ©agit immĂ©diatement Ă ces Ă©meutes et Ă ces fuites en envoyant un certain nombre dâĂ©missaires, y compris son propre secrĂ©taire, par terre et par mer, en direction de Recife, capitale du Pernambouc, pour requĂ©rir de lâaide du prĂ©sident Lucena, sous la forme de troupes de ligne et dâun navire de guerre. Dâautre part, des tĂ©lĂ©grammes furent expĂ©diĂ©s Ă Rio de Janeiro, lesquels, en plus dâexagĂ©rer la menace des jacqueries, Ă©taient prompts Ă en dĂ©nombrer les auteurs et Ă dĂ©signer les causes des troubles : « les motifs allĂ©guĂ©s par les Ă©meutiers, dont le nombre sâĂ©levait Ă un millier, sont la question religieuse et les nouveaux poids et mesures ». Sans aide immĂ©diate, Ă©tait-il ajoutĂ©, il serait Ă craindre que cette rĂ©volte ne se propage au Pernambouc et au Rio Grande do Norte. Le , le prĂ©sident Lucena rĂ©pondit Ă cet appel en dĂ©pĂȘchant une force dâinfanterie composĂ©e de soldats de ligne, en plus dâun dĂ©tachement de la marine impĂ©riale Ă bord dâun navire de charge ; de surcroĂźt, une corvette (la Paraense) et le 18e bataillon dâinfanterie se prĂ©paraient Ă venir en aide Ă la ParaĂba[297] - [298].
Le ministre de la Guerre, qui avait reçu ces tĂ©lĂ©grammes le , ordonna dĂšs le lendemain que le vapeur Calderon appareillĂąt pour la ParaĂba avec escale dans le Pernambouc, emportant un contingent dâartillerie et dâinfanterie ainsi que des Ă©quipements, dont 200 mousquets et 20 000 cartouches, destinĂ©s Ă la Garde nationale Ă mobiliser. Le but de lâescale dans le Pernambouc serait dâembarquer un supplĂ©ment de poudre et de projectiles dâartillerie. En cours de route cependant, vu que Herculano Sanches da Silva Pedra, commandant de lâexpĂ©dition nommĂ© par le ministre, se trouvait alors dans la Bahia, le Calderon eut Ă faire un autre dĂ©tour pour lui permettre de sâembarquer. En mĂȘme temps que cet officier prirent place dans le navire 400 soldats de ligne du 14e bataillon dâinfanterie et une demi-batterie dâartillerie, y compris trois canons de montagne et, pour les manĆuvrer, 22 hommes de troupe et deux officiers[299] - [300].
Toutefois, ce ne sera pas Silva Pedra, mais le colonel Severiano Martins da Fonseca, frĂšre de Deodoro da Fonseca, le gĂ©nĂ©ral dâarmĂ©e qui allait proclamer la rĂ©publique en 1889, qui le se verra confier la mission de rĂ©primer la rĂ©volte dans la province de la ParaĂba. Le , accompagnĂ© dâune partie du 14e bataillon dâinfanterie, il mit donc le cap sur cette province. Le corps expĂ©ditionnaire comprenait 750 soldats et 47 officiers, auxquels vinrent se joindre les forces de police dĂ©jĂ prĂ©sentes dans la ParaĂba, pour constituer un effectif total de 1 023 hommes[301] - [144] - [302] - [303].
Les troupes du colonel Fonseca empruntĂšrent deux itinĂ©raires principaux, lâun par le nord et lâautre plus central. En cours de route, tous les participants Ă la rĂ©volte de Quebra-Quilos, en particulier les meneurs, auraient Ă ĂȘtre apprĂ©hendĂ©s. Le prĂ©sident de province Carneiro da Cunha crut pouvoir affirmer que les pĂšres Ibiapina et Calixto da NĂłbrega Ă©taient les principaux instigateurs de cette agitation. Quoiquâil y eĂ»t peu dâĂ©lĂ©ments Ă lâappui de cette allĂ©gation, le colonel Fonseca procĂ©da Ă lâarrestation du pĂšre Ibiapina[note 3].
ArrivĂ© Ă IngĂĄ le , le colonel Fonseca, sâil trouva une ville tranquille et paisible, apprit que Serra Redonda et Serra do Pontes, non loin de lĂ , Ă©taient infestĂ©s dâĂ©meutiers armĂ©s. AussitĂŽt, Fonseca envoya directement Ă Serra Redonda un dĂ©tachement de soldats, qui, sous le commandement du capitaine Piragibe et avec lâordre dâarrĂȘter tous ceux impliquĂ©s dans les troubles dâIngĂĄ, encerclĂšrent la bourgade et, en dĂ©pit de la rĂ©sistance des habitants, rĂ©ussirent Ă effectuer de nombreuses arrestations. Dans la foulĂ©e, le capitaine Piragibe dĂ©cida de faire route sur le hameau de Cafula et de RiachĂŁo ; ses troupes dĂ©couvrirent les Ă©meutiers cachĂ©s dans une ravine et dans les bois. Vu que ceux-ci rĂ©sistaient Ă leur arrestation, quelques coups de feu furent tirĂ©s, mais il nây eut pas dâeffusion de sang. Les soldats firent mouvement ensuite sur RiachĂŁo, procĂ©dant Ă des arrestations en cours de route, et rencontrant trĂšs peu de rĂ©sistance. Au moment oĂč ils pĂ©nĂ©trĂšrent dans RiachĂŁo, la troupe traĂźnait derriĂšre elle 56 prisonniers soupçonnĂ©s dâavoir jouĂ© un rĂŽle de premier plan (« moteurs ») dans les soulĂšvements de Quebra-Quilos. Ces 56 dĂ©tenus furent prestement expĂ©diĂ©s Ă la capitale provinciale afin que le prĂ©sident Da Cunha pĂ»t y statuer sur leur sort. La troupe, aprĂšs un bref temps de repos, entreprit ensuite de « pacifier » le reste de la population[304] - [305].
Le corps expĂ©ditionnaire poursuivit sa route vers Campina Grande, faisant en chemin autant dâarrestations quâil Ă©tait possible, de sorte que quand Fonseca pĂ©nĂ©tra dans Campina Grande dans la matinĂ©e du , il emmenait avec lui « un grand nombre dâhommes faits prisonniers dans les endroits que [nous] avons traversĂ©s ».
Parvenus dans la municipalitĂ© de Pocinhos, les soldats se virent confrontĂ©s Ă des Ă©meutiers armĂ©s retranchĂ©s dans les collines et les prenant pour cible. Impuissants tout dâabord Ă riposter, les troupes de Piragibe surent persuader les citoyens du lieu Ă leur prĂȘter main-forte, ce qui permit aux soldats de poursuivre et dâapprĂ©hender un certain nombre des rebelles[306].
Peut-ĂȘtre dĂšs le , Fonseca avait confiĂ© au capitaine JosĂ© Longuinho da Costa Leite, connu pour sa cruautĂ©, la mission dâĂ©liminer les rebelles de la ville dâAreia. Au moment oĂč Longuinho apparut Ă Areia, ainsi que le fit observer HorĂĄcio de Almeida, lâordre avait dĂ©jĂ Ă©tĂ© rĂ©tabli, ou peu sâen fallait. Mais, ayant reçu lâinstruction dâarrĂȘter les coupables, Longuinho procĂ©da, comme le signala le mĂȘme Almeida, Ă des arrestations de masse et Ă une persĂ©cution aveugle et inhumaine, retenant prisonniĂšres de nombreuses personnes qui nâavaient pris aucune part aux agitations[307]. Impuissant Ă mettre la main sur les coupables, Longuinho donna lâordre Ă ses soldats de se saisir des pĂšres et des enfants et de les soumettre Ă la torture afin dâapprendre de leur bouche lâendroit oĂč se tenaient les fugitifs[301] - [308] - [309]. Selon le tĂ©moignage dâAlmino Ălvares Afonso, Longuinho, une fois que les arrestations eurent Ă©tĂ© effectuĂ©es, imagina la colete de couro (veste de cuir), torture consistant Ă se servir dâune large laniĂšre de cuir prĂ©alablement humidifiĂ©e pour en « emballer la malheureuse victime du cou jusquâau ventre »[310] - [309] - [87], aprĂšs quoi les dĂ©tenus Ă©taient envoyĂ©s Ă la capitale de province ; cependant, en cours de route, le cuir se mettait Ă sĂ©cher et par lĂ Ă se rĂ©trĂ©cir, Ă©crasant les organes internes de la victime, laquelle, asphyxiĂ©e, commençait Ă saigner de la bouche[301] - [309]. Des centaines dâhommes furent ainsi faits prisonniers, soumis au colete de couro et envoyĂ©s finalement Ă Rio de Janeiro[311] - [309]. SitĂŽt arrivĂ©s dans la capitale de province, on les emmenait devant le prĂ©sident Carneiro da Cunha pour les enrĂŽler ensuite, « quâils fussent de jeunes garçons ou de vieux hommes, coupables ou innocents », dans lâarmĂ©e[312] - [309].
Des exactions ont Ă©tĂ© signalĂ©es qui auraient Ă©tĂ© commises par la soldatesque contre des femmes et des enfants. Afonso fut tĂ©moin de la mort dâun « enfant de quatre mois qui fut brutalement hachĂ© en morceaux⊠et abandonnĂ© dans la forĂȘt en pĂąture aux corbeaux et aux chiens »[313] - [314]. Plus frĂ©quemment, des cas de viol furent dĂ©noncĂ©s[314]. Ces atrocitĂ©s vinrent bientĂŽt Ă la connaissance du colonel Fonseca. Longuinho nia avoir envoyĂ© des enfants ou des innocents Ă la capitale, mais seulement ceux qui avaient trempĂ© dans la sĂ©dition ou qui avaient Ă©tĂ© reconnus coupables de vol et de meurtre ; ces prisonniers Ă©taient coupables et par consĂ©quent « il nây avait pas lieu de leur donner la moindre considĂ©ration ». Du reste, les accusations de forfaiture ne concernaient pas que les seuls soldats, mais aussi les forces de police et la Garde nationale. Câest assurĂ©ment dans la ParaĂba que, parmi toutes les provinces concernĂ©es, la rĂ©pression fut la plus sanglante[315].
La troisiĂšme semaine de janvier, le commissaire de police en chef, qui en avait terminĂ© avec les inculpĂ©s Ă IngĂĄ, se dĂ©plaça Ă Campina Grande, puis Ă Alagoa Nova, Alagoa Grande, et enfin Ă IndĂ©pendĂȘncia (actuelle Guarabira), oĂč, Ă la fin fĂ©vrier, il avait achevĂ© de passer en jugement lâensemble des suspects[316].
Lorsquâil sâagit, pour le corps expĂ©ditionnaire, dâenquĂȘter pour dĂ©couvrir les meneurs, il leur fallut constater que non seulement il nây avait pas eu de chef global du mouvement, mais encore que les meneurs improvisĂ©s, tels que JoĂŁo Carga dâAgua, Ă©taient difficiles Ă saisir et que le mouvement, en raison de cette absence de chef, ne pourrait pas ĂȘtre jugulĂ© rapidement ni rĂ©primĂ© Ă peu de frais. Paradoxalement donc, cette rĂ©volte, de par son caractĂšre relativement peu violent et son absence de coordination, suscita une violente rĂ©pression de la part des autoritĂ©s, jusquâĂ ce que, vers fĂ©vrier, les jacqueries commencĂšrent Ă sâĂ©teindre. Les meneurs furent tous Ă©crouĂ©s et mis en jugement, et les autres participants, non dĂ©signĂ©s comme meneurs, furent immatriculĂ©s dans lâarmĂ©e[317].
Dans le Pernambouc
Dans le Pernambouc, la rĂ©pression des soulĂšvements se passa dâune maniĂšre totalement diffĂ©rente de la rĂ©pression exercĂ©e dans la ParaĂba, principalement en raison de lâabsence dâune force expĂ©ditionnaire ; en effet, si le prĂ©sident Lucena sollicita bien lâaide de Rio de Janeiro, et si celle-ci arriva effectivement, ce fut sous la forme de troupes de ligne, non dâun corps expĂ©ditionnaire. Au contraire dâun tel corps, ces troupes de ligne, sâajoutant aux gardes nationaux rappelĂ©s et Ă une mobilisation intensive des forces de police, dut se contenter de rĂ©primer cette insurrection de façon sporadique, et renoncer Ă organiser une rĂ©pression concertĂ©e de grande envergure. Ainsi, Pernambouc rĂ©agit au coup par coup et combattit chaque soulĂšvement individuel sĂ©parĂ©ment[317].
La province rejeta la faute sur la ParaĂba, allĂ©guant que beaucoup des Ă©meutiers provenaient de cette province voisine. Lucena avait dâailleurs envoyĂ© un renfort de 45 hommes de troupe pour assister son collĂšgue de la ParaĂba, Carneiro da Cunha. Mais peu aprĂšs, le soulĂšvement sâĂ©tait propagĂ© dans le Pernambouc, oĂč, tout comme dans la ParaĂba, les autoritĂ©s se trouvĂšrent bientĂŽt dĂ©bordĂ©es par les contestataires, et dĂ©pourvues de forces armĂ©es suffisantes pour les contenir.
Ă ItambĂ©, les citoyens « paisibles » implorĂšrent lâaide des autoritĂ©s, Ă dĂ©faut de quoi ils seraient les suivants Ă ĂȘtre attaquĂ©s, et faisaient valoir que « si une force respectable ne venait pas ici immĂ©diatement, il se produira des choses terribles ». Nonobstant que Lucena eĂ»t sans tarder envoyĂ© des troupes pour soutenir la bourgade, celles-ci se rĂ©vĂ©lĂšrent insuffisantes, et maints habitants avaient commencĂ© Ă abandonner leurs maisons et Ă rechercher refuge dans les environs[318]. Lucena dĂ©pĂȘcha des troupes, Ă la fois par terre et par mer, et ordonna lâarrestation de tous ceux reconnus coupables dâavoir menĂ© une rĂ©volte. DĂšs lâarrivĂ©e de ses troupes dans telle localitĂ©, le commandant de la force publique, le capitaine Capistrano, sâemployait Ă distribuer des nouveaux poids et mesures, le commissaire de police se tenant alors Ă lâarriĂšre avec quelques hommes de troupe afin de sâassurer du respect du nouveau systĂšme, en plus de se saisir des nombreux individus suspectĂ©s dâavoir Ă©tĂ© Ă la tĂȘte des insurrections[319].
Bom Jardim fut attaquĂ© Ă son tour le , de grand matin, par une soixantaine dâhommes armĂ©s, qui dĂ©foncĂšrent le bureau des impĂŽts, oĂč ils dĂ©chirĂšrent quelques papiers sans importance, avant de se retirer aussitĂŽt. Comme nombre dâautres officiels, le juge de district avait pris la fuite, et Ă©tait supplĂ©Ă© par le juge cantonal. Selon des rapports ultĂ©rieurs, il agit dâune façon telle que sa « loyautĂ© et son comportement apparaissent suspects » et que sa conduite fit lâobjet dâun examen[320] - [265]. Peut-ĂȘtre Ă©tait-ce lĂ lâune des raisons pour lesquelles beaucoup de titulaires de lâautoritĂ© prĂ©fĂ©rĂšrent sâenfuir ; il sera en effet souvent reprochĂ© Ă ceux qui Ă©taient restĂ©s de nâavoir pas Ă©tĂ© capables de rĂ©primer les Ă©meutes efficacement[321]. On peut citer les cas du lieutenant Cleodon Pereira et du major Lelis, qui avaient rĂ©ussi Ă empĂȘcher lâincendie du bureau dâimpĂŽts par les quebra-quilos Ă Areia, mais de qui lâautoritĂ© morale dont ils avaient fait montre en face de la foule enragĂ©e fut interprĂ©tĂ©e a posteriori comme un rĂŽle de meneur des rĂ©voltĂ©s[288]. Ă mentionner Ă©galement le cas du licenciĂ© en droit AntĂŽnio da Trindade Henriques, accusĂ© par Barreto de connivence avec les insurgĂ©s parce quâil Ă©tait sorti de la comarque en compagnie du pĂšre Calixto da NĂłbrega, personnage compromis aux yeux des autoritĂ©s, et quâil avait remis en libertĂ© lâun des plus Ă©minents chefs de quebra-quilos, AntĂŽnio Martins de Sousa[322].
Le ministre de la Guerre ordonna le que tous les chefs de la sĂ©dition fussent mis sous les verrous et les autres participants aux troubles enrĂŽlĂ©s dans lâarmĂ©e (« sous rĂ©serve quâils fassent Ă©tat dâexemptions ») et envoyĂ©s Ă Rio de Janeiro « Ă la premiĂšre occasion »[323]. Chaque gros bourg ou presque, en particulier ceux limitrophes de la ParaĂba, fut placĂ© sous la protection conjointe de la Garde nationale et des troupes rĂ©guliĂšres. Les appelĂ©s de la Garde nationale avaient en gĂ©nĂ©ral plus de sympathie envers les Ă©meutiers que les autoritĂ©s gouvernementales[324].
Dans la mesure du possible, il fut fait appel aux citoyens loyaux pour aider Ă combattre les Ă©meutes. Ă NazarĂ©, le baron de TracunhaĂ©m, grand propriĂ©taire terrien dans le Pernambouc, avait armĂ© une centaine dâhommes et formĂ© ainsi sa milice personnelle contre les quebra-quilos, parallĂšle Ă la force publique ; il sâadressa Ă Lucena pour lui offrir ses services et proposer d'emmener des groupes de citoyens volontaires contre les agitateurs. Lucena accepta lâoffre et lui fit parvenir armes et munitions, lesquelles furent remises aux citoyens dĂ©sireux de se porter au secours des autoritĂ©s[325] - [279]. Il se trouva aussi un grand nombre de propriĂ©taires fonciers disposĂ©s Ă prĂȘter volontairement leurs mĂ©tayers et ouvriers agricoles (moradores et agregados) pour que ceux-ci fussent employĂ©s Ă la rĂ©pression[25].
Le prĂ©sident Lucena dĂ©pĂȘcha autant de troupes quâil lui semblait possible, mais en ayant soin de maintenir en permanence quatre centaines dâhommes pour protĂ©ger la capitale Recife. Aussi presque tous les bourgs de lâintĂ©rieur rendirent-ils grĂące Ă Lucena, par la voix des dĂ©putĂ©s et commissaires de police, et un millier au moins de gardes nationaux rĂ©pondirent Ă lâappel pour soutenir les quelque cinq cents policiers Ă©parpillĂ©s dans la province[326]. Le juge de district de Caruaru, par exemple, fut reconnaissant des 50 hommes de troupe que Lucena lui avait envoyĂ©s le , mais, affirma-t-il en mĂȘme temps, le public Ă©tait encore en Ă©tat dâagitation et des Ă©meutiers menaçaient toujours dâenvahir sa ville, ce pourquoi il sollicitait un fort supplĂ©ment de soldats[327]. ConfrontĂ© Ă toutes ces demandes dâaide, Lucena se tourna vers la Bahia, la province la plus proche et Ă©pargnĂ©e jusque-lĂ par la rĂ©volte de Quebra-Quilos, laquelle province dĂ©pĂȘcha en rĂ©ponse un demi-bataillon[328].
Ă Bonito, le , des Ă©meutiers « attaquaient par portes et fenĂȘtres » pour mettre la main sur les archives municipales. Lucena avait dĂ©jĂ envoyĂ© un certain nombre de soldats vers cette ville, qui rĂ©ussirent Ă repousser les Ă©meutiers, toutefois non sans violences graves, au cours desquelles un soldat fut griĂšvement blessĂ© Ă la tĂȘte par un projectile[329]. Des troupes supplĂ©mentaires furent alors promptement envoyĂ©es qui, avec le commissaire de police et le procureur de district, sâefforcĂšrent de rĂ©tablir lâordre et dâapprĂ©hender les responsables, notamment par des arrestations opĂ©rĂ©es nuitamment, ce qui eut pour effet dâexacerber la rĂ©sistance[330].
Les autoritĂ©s locales, auparavant confrontĂ©es Ă des Ă©meutes quâils Ă©chouĂšrent Ă endiguer, sâappuyaient Ă prĂ©sent sur les soldats nouvellement arrivĂ©s pour convaincre les paysans de payer Ă nouveau leurs taxesâ ainsi p.ex. sur le marchĂ© de Capoeiras, oĂč une vingtaine de soldats tentaient, usant de la menace et de la force, dâamener les vendeurs Ă recommencer Ă payer leurs taxes[331].
Le , le procureur de NazarĂ© communiqua que toutes les arrestations avaient Ă©tĂ© accomplies et que lâon Ă©tait prĂȘt maintenant Ă lancer les procĂ©dures judiciaires. La semaine suivante, cette bourgade avait ses deux prisons remplies de condamnĂ©s, tous vouĂ©s Ă lâimmatriculation dans les forces armĂ©es. Le lendemain eut lieu lâune des derniĂšres flambĂ©es de Quebra-Quilos : alors quâune foule nombreuse â 4 000 personnes selon le chef de dĂ©tachement â attendaient le dĂ©but de la messe, un groupe de 400 Ă 500 Ă©meutiers surgit et attaqua le juge de district, qui, nâayant que quatre soldats pour le protĂ©ger ce jour-lĂ , fut forcĂ© de se retirer sans combattre[332].
Une fois que les troubles eurent cessĂ©, les recherches pour dĂ©pister les meneurs sâintensifiĂšrent. La quasi-totalitĂ© des arrestations eurent lieu au milieu de la nuit. Les 2, 3, 4 et , le capitaine du dĂ©tachement volant, AntĂŽnio Raimundo Lins Caldas, faisait irruption dans les maisons et perquisitionnait Ă la recherche de ceux accusĂ©s de participation aux Ă©meutes. Cependant, les paysans Ă©taient maintenant dĂ©terminĂ©s Ă rĂ©sister ; le , Antonio JosĂ© de Andrade, commissaire de police du district de Floresta, fut informĂ© de ce que beaucoup dâhabitants de son district sâĂ©taient conseillĂ© mutuellement de se munir, Ă lâinstar des Ă©meutiers, de fusils, de poudre et de cartouches pour se protĂ©ger contre la troupe. Le gouvernement, affirmaient-ils, essayait de se dĂ©barrasser de la religion, de capturer les gens, dâaffranchir le reste des esclaves, et de sâemparer de tout leur bĂ©tail[333]. Des points de peuplement, comme Itapissuma, furent occupĂ©s par la troupe, et le journal A Provincia se plaignit le que les soldats jetaient tout le monde en prison Ă VitĂłria, y compris des enfants de sept ans, mĂȘme si ces derniers fussent promptement relĂąchĂ©s[334]. Par suite de tĂ©moignages sur les soldats violant les filles Ă Caruaru, la bourgade fut bientĂŽt vidĂ©e de ses habitants[335].
En janvier, le gouvernement avait Ă©tĂ© Ă mĂȘme de requĂ©rir gardes nationaux et soldats de ligne en nombre suffisant, et dâarmer assez de citoyens loyaux que pour Ă©touffer lâinsurrection. Le gouvernement pernamboucais, bien quâil ne mĂźt pas en place un dispositif centralisĂ© de rĂ©pression comme ce fut le cas dans la ParaĂba, fut nĂ©anmoins en mesure de juguler les agitations, Ă telle enseigne quâĂ la mi-, les rapports des officiels sur place faisaient de plus en plus souvent Ă©tat dâune action rĂ©ussie, dâune reprise de la collecte effective des taxes, et de la rĂ©instauration du systĂšme mĂ©trique. Les arrestations cependant se poursuivirent tout au long de janvier et de fĂ©vrier, les prisonniers ne cessant de se dĂ©verser dans les villes Ă partir des localitĂ©s circonvoisines et de remplir les prisons. Ces dĂ©tenus Ă©taient ensuite soit inculpĂ©s et mis en jugement, soit envoyĂ©s Ă la capitale de province pour y ĂȘtre enrĂŽlĂ©s dans lâarmĂ©e.
Enfin, on commença Ă dissoudre les dĂ©tachements de la Garde nationale, et le , les effectifs restants reçurent leur congĂ©, tandis que lâun des derniers contingents de prisonniers attendaient leur transfert vers la capitale provinciale[336].
Il y a lieu dâĂ©voquer le cas particulier de Goiana. En 1872 dĂ©jĂ , cette ville fut secouĂ©e, le , par des agitations plus ou moins graves contre des commerçants portugais et italiens. Une pasquinade de lâĂ©poque relevait que dans la ville rĂ©sidaient 49 Portugais et plus de 20 Italiens, dont la plupart Ă©taient mariĂ©s Ă des BrĂ©siliennes. Ă lâoccasion des premiĂšres flambĂ©es dâagitation de Quebra-Quilos dans la ville, les commerçants portugais furent les victimes prĂ©fĂ©rentielles, comme en informa le juge Francisco Teixeira de SĂĄ au prĂ©sident de province. Les Ă©vĂ©nements de Goiana illustrent lâĂ©tiologie variĂ©e et complexe du Quebra-Quilos, Ă©tiologie prenant en lâespĂšce la forme dâune rĂ©action de petits producteurs et vendeurs, de forains et du petit peuple contre le monopole des commerçants Ă©trangers, en particulier des Portugais, lesquels en rĂšgle gĂ©nĂ©rale ne sâadonnaient pas Ă lâagriculture, dont quelques-uns Ă©taient patron sucrier, et dont les revenus Ă©taient liĂ©s Ă la pratique jugĂ©e facile de lâacheter et du vendre, en gros et en dĂ©tail[337].
En Alagoas
En Alagoas, la rĂ©volte de Quebra-Quilos prĂ©senta les particularitĂ©s suivantes. Dâabord, les troubles commencĂšrent plus tard en Alagoas que dans le Pernambouc voisin, oĂč ils nâavaient commencĂ© quâaprĂšs ceux dans la ParaĂba. Le prĂ©sident JoĂŁo Vieira de AraĂșjo, prĂ©sident provincial dâAlagoas, imputera dâailleurs Ă la ParaĂba et au Pernambouc ainsi quâau Rio Grande do Norte lâapparition des Ă©meutes dans sa province[338]. DeuxiĂšmement, les soulĂšvements en Alagoas ne furent ni aussi intenses, ni aussi localisĂ©es que dans la ParaĂba ou le Pernambouc, de sorte que les troubles en Alagoas tiennent davantage dâune agitation que dâune rĂ©volte ou dâune insurrection. TroisiĂšmement enfin, attendu que les agitations de Quebra-Quilos furent moins vives, la rĂ©pression fut beaucoup moins dure et intense que dans chacune des autres provinces concernĂ©es[339].
Des troubles et des soulĂšvements commencĂšrent Ă voir le jour en Alagoas dans la troisiĂšme semaine de , portant le prĂ©sident provincial AraĂșjo Ă envoyer des renforts militaires dans lâintĂ©rieur pour Ă©craser toute vellĂ©itĂ© de rĂ©bellion. La Garde nationale mit sur pied un dĂ©tachement volant propre Ă rĂ©primer les petits soulĂšvements.
La premiĂšre Ă©meute dâampleur eut lieu lorsquâun groupe de 200 personnes descendit sur la localitĂ© de MundaĂș-Mirim, en partie sous la direction du nĂ©gociant en coton AntĂŽnio Thomaz de Aquino. Ensuite, les manifestations se rĂ©pandirent Ă travers la province entiĂšre, et le prĂ©sident AraĂșjo sâempressa de dĂ©pĂȘcher toutes les troupes Ă sa disposition pour tenter dâĂ©touffer lâinsurrection dans lâĆuf. Furent ainsi mobilisĂ©s un total de 221 gardes nationaux, comprenant les 163 cantonnĂ©s dans la capitale, les 40 Ă Imperatriz et les 18 Ă Vila de Assembleia (actuel Riacho do Meio, quartier de Pau dos Ferros). Le prĂ©sident AraĂșjo adressa des demandes dâaide au prĂ©sident Lucena, lequel en rĂ©ponse lui envoya quelques vaisseaux pour aider Ă protĂ©ger la capitale[340].
Le , Floriano Vieira de Mello put communiquer que la plupart des individus ayant jouĂ© un rĂŽle de premier plan dans les rares Ă©meutes survenues dans la province se trouvaient sous les verrous. La gravitĂ© moindre des soulĂšvements en Alagoas explique sans doute quâil y eĂ»t relativement peu dâaccusations dâexactions ou de cruautĂ©s commises par les forces de rĂ©pression. Les troupes se retirĂšrent bientĂŽt dans les villes, en continuant de faire prisonniers tous les habitants impliquĂ©s dans les soulĂšvements mais ayant Ă©chappĂ© aux premiĂšres vagues dâarrestations. Ă la mi-janvier, les agitations, pour peu importantes quâelles eussent Ă©tĂ©, apparaissaient toutes rĂ©primĂ©es. Le , le prĂ©sident AraĂșjo put annoncer que la capitale aussi bien que « lâintĂ©rieur [Ă©taient] Ă prĂ©sent totalement pacifiĂ©s »[341].
Tout au long du reste de ce mois de , des arrestations continuĂšrent dâavoir lieu et des procĂ©dures judiciaires dâĂȘtre lancĂ©es. Le prĂ©sident AraĂșjo sâattacha Ă faire incarcĂ©rer tous les acteurs clef du soulĂšvement.
En juillet, un nouveau soulĂšvement Ă©clata, mais allait ĂȘtre enrayĂ© rapidement. AraĂșjo Ă©crivit Ă son collĂšgue Lucena pour le solliciter de dĂ©pĂȘcher en urgence au moins cinquante hommes des forces rĂ©guliĂšres pour le soutenir ; Lucena en envoya 25, qui se rĂ©vĂ©lĂšrent suffisants ; cinq insurgĂ©s furent emprisonnĂ©s[342].
Dans le Rio Grande do Norte
Le Rio Grande do Norte fut confrontĂ© Ă des Ă©meutes de Quebra-Quilos dĂ©but , troubles qui, bien que la province soit contiguĂ« Ă la ParaĂba, ressemblaient beaucoup plus Ă ceux dâAlagoas que du Pernambouc. Comme de juste, lâintensitĂ© de la rĂ©pression par les forces armĂ©es fut moindre que dans chacune des autres provinces touchĂ©es. Cependant, le Rio Grande do Norte allait continuer Ă avoir affaire Ă des protestations contre la loi de conscription, mais vers la fin de 1875, la plupart des soulĂšvements contre cette loi devaient cesser Ă leur tour[343].
Ă partir des 4 et , les localitĂ©s les plus proches de la ParaĂba se mirent Ă se rebeller. Les trois premiĂšres touchĂ©es furent la ville de SĂŁo JosĂ© de Mipibu et les bourgs de Goianinha et de Canguaretama.
Le prĂ©sident de province JoĂŁo Capistrano Bandeira de Melo Filho dĂ©pĂȘcha sur les lieux tous les soldats dont il disposait, Ă la fois pour rĂ©primer les Ă©meutes et prĂ©venir lâavĂšnement dâautres au dĂ©part de la ParaĂba[344], et accrut le nombre de gardes nationaux dans la capitale Ă 60 hommes ; en outre, et bien que nâeĂ»t requis du CearĂĄ voisin que 10 soldats de ligne, 32 de ces soldats ainsi que deux enseignes lui furent envoyĂ©s en renfort. Mais Ă cette date, le , il Ă©tait trop tard dĂ©jĂ , des dizaines de villes, bourgs et villages se trouvant dĂ©jĂ confrontĂ©s Ă des soulĂšvements de Quebra-Quilos. Le prĂ©sident Mello Filho concentra ses forces sur le rĂ©tablissement de lâordre et la mise sous Ă©crou des meneurs, et les autoritĂ©s entreprirent de faire de nombreuses arrestations et dâenrĂŽler dans lâarmĂ©e tous ceux incapables de justifier sur-le-champ dâune exemption lĂ©gale[345]. Vers le Rio Grande do Norte fut transfĂ©rĂ© Ă partir du MaranhĂŁo, par le vaisseau Werneck, le 5e bataillon dâinfanterie, comprenant six officiers et cent hommes, et au dĂ©part de Rio de Janeiro fut expĂ©diĂ© un lot de « fusils filetĂ©s de 14,8 avec baĂŻonnettes adaptĂ©es et leurs Ă©tuis, bandouliĂšres, crans de sĂ©curitĂ© et autres accessoires »[263].
Le commissaire en chef de la police Luis Ignacio de Mello Barretto, escortĂ© de gardes nationaux, parcourut la province, procĂ©dant Ă des arrestations et sâefforçant de juguler les rĂ©bellions. Dans chaque bourg quâil traversait, il chercha contact avec les « bons citoyens » et tĂącha de les convaincre dâaider les autoritĂ©s. Il commença ensuite ses arrestations, envoyant se faire enrĂŽler tous ceux qui « lui semblaient valoir dâĂȘtre recrutĂ©s dans lâarmĂ©e »[346].
Le prĂ©sident Mello Filho dĂ©pĂȘcha vers lâintĂ©rieur toutes les troupes disponibles â soixante hommes vers Santana do Matos et soixante vers Jardim â, crĂ©a entre les 20 et des dĂ©tachements volants pour patrouiller les campagnes, et Ă©leva le nombre total de gardes nationaux Ă 100, mesures grĂące auxquelles il rĂ©ussit, au moins temporairement, Ă mettre fin aux troubles dans les campagnes. Toutefois, se plaignait-il, beaucoup continuent de refuser de payer leurs taxes ou de se servir du nouveau systĂšme mĂ©trique. Il mit sur pied en outre deux corps expĂ©ditionnaires principaux, composĂ©s chacun de 45 soldats et dâun officier, et ayant pour consigne de pourchasser les bandes armĂ©es, dont il Ă©tait signalĂ© quâils sillonnaient les campagnes, de les apprĂ©hender, et de les remettre aux autoritĂ©s de police pour interrogatoire ; une fois quâils auraient tous Ă©tĂ© interrogĂ©s, les chefs devaient passer en jugement devant les autoritĂ©s judiciaires, tandis que tous les autres devaient ĂȘtre enrĂŽlĂ©s dans lâarmĂ©e sous rĂ©serve quâils eussent une dispense lĂ©gale[347].
Le , le prĂ©sident Mello Filho estima la rĂ©volte largement rĂ©primĂ©e, Ă telle enseigne quâil donna ordre de diminuer de moitiĂ© les effectifs mobilisĂ©s de la Garde nationale, rĂ©duisant ainsi le nombre dâhommes Ă 50[348].
Persistance des protestations contre la loi militaire
Les Ă©meutes contre la loi militaire persistĂšrent jusque bien avant dans lâannĂ©e 1875. Le 1er aoĂ»t de cette annĂ©e, dans le bourg de Goianinha, dans le Rio Grande do Norte, 200 hommes et femmes, armĂ©s de fusils, de gourdins et de coutelas, arrachĂšrent des murailles les listes recensant les citoyens destinĂ©s au service militaire et dĂ©truisirent les listes dâĂ©lecteurs apposĂ©s sur les murs de lâĂ©glise. Dans la journĂ©e du , Ă Canguaretama, lorsque la commission paroissiale rĂ©unie dĂ©buta ses travaux, un groupe dâenviron 400 personnes, hommes et femmes, emmenĂ©s par AntĂŽnio HilĂĄrio Pereira, fit irruption dans le local oĂč se tenait la rĂ©union et menaça de tuer le juge cantonal et tous les membres de la commission dâenrĂŽlement, si la loi de conscription, quâils appelaient « loi pour asservir le peuple », Ă©tait mise Ă exĂ©cution dans la paroisse. ĂpouvantĂ©s, les membres de la commission ajournĂšrent la rĂ©union, et le lendemain le sous-lieutenant Ferreira de Oliveira, Ă la tĂȘte dâenviron 60 soldats, accomplit la mission qui lui avait Ă©tĂ© confiĂ©e Ă la suite de la dissolution de la commission paroissiale : il apprĂ©henda AntĂŽnio HilĂĄrio Pereira ainsi quâune quarantaine de sĂ©ditieux. Pereira et ses hommes cependant ne se laissĂšrent pas faire prisonniers sans rĂ©sistance. Quatre des soldats du sous-lieutenant Oliveira furent blessĂ©s. LâincarcĂ©ration de Pereira toutefois nâeut pas l'effet dâinterrompre lâagitation. PrĂ©voyant de nouveaux conflits, le juge cantonal requit la prĂ©sence immĂ©diate dans sa comarque du capitaine JoĂŁo Paulo Martins Naninguer, commandant des forces en opĂ©ration dans les comarques de Canguaretama, SĂŁo JosĂ© et Goianinha. Il sâensuivit alors une rĂ©pression militaro-policiĂšre redoublĂ©e. Les tentatives de raisonner la foule ne furent dâaucun effet. Une charge Ă la baĂŻonnette, qui fut alors ordonnĂ©e, blessa plusieurs sĂ©ditieux et permit lâemprisonnement immĂ©diat de dix-neuf hommes[349]. Le mĂȘme type dâincident sâĂ©tant reproduit plusieurs autres fois ce mĂȘme mois, notamment le , de nouveau Ă Goianinha, le commissaire en chef supplĂ©ant de la police, affectĂ© alors Ă Canguaretama, fut envoyĂ© dans le bourg rĂ©fractaire pour y rĂ©tablir lâordre. Le nouveau prĂ©sident de province, le Dr JosĂ© Bernardo GalvĂŁo Alcoforado Junior, en poste depuis , dĂ©pĂȘcha 23 soldats supplĂ©mentaires en renfort des sept dĂ©jĂ prĂ©sent Ă Goianinha, vingt Ă Papary, et neuf Ă Aviz pour appuyer les neuf dĂ©jĂ sur place. Ă Canguaretama, alors que les effectifs assignĂ©s Ă cette localitĂ© y avaient dĂ©jĂ installĂ© leurs quartiers, un groupe de 300 personnes sâapprocha de la bourgade. Lâenseigne Moreira fit ouvrir le feu sur eux, ce qui provoqua la mort de deux hommes et de trois femmes, en regard des trois hommes seulement parmi la troupe Ă ĂȘtre blessĂ©s « lĂ©gĂšrement ». Entre-temps, le prĂ©sident de la province du Rio Grande do Norte avait fixĂ© le comme la nouvelle date Ă laquelle la commission dâimmatriculation devait reprendre ses activitĂ©s, et donna ordre aux autoritĂ©s de police de se procurer de nouvelles listes de recrutement[350]. Cependant, dans une lettre quâil envoya au ministre de la Justice, il laissa percer des doutes quâil pĂ»t jamais faire appliquer cette loi[351].
Il y eut des incidents semblables dans la ville de SĂŁo JosĂ© de Mipibu et dans la localitĂ© de VĂĄrzea, toutes deux Ă©galement sises dans le Rio Grande do Norte ; lĂ aussi, des groupes dâhommes et de femmes armĂ©s de gourdins, de faux, de pistolets, de fusils, etc. se rassemblaient dans les mĂȘmes intentions. Le prĂȘtre JoĂŁo JerĂłnimo et le lieutenant-colonel Antonio Bento tentĂšrent de persuader ces gens de renoncer « pour lâamour de Dieu » et de rentrer chez eux. LâĂ©meute dĂ©gĂ©nĂ©ra, sans que le dĂ©roulement des Ă©vĂ©nements soit tout Ă fait clair. Le groupe, dĂ©crit comme comptant Ă ce moment-lĂ 300 personnes, fut attaquĂ© par les forces gouvernementales ; lorsque des coups de feu furent tirĂ©s sur les soldats, une fusillade Ă©clata, tuant deux hommes, en blessant griĂšvement deux autres, blessant trois femmes, et blessant lĂ©gĂšrement trois soldats. LâĂ©tat dâagitation cependant persista dans le bourg, les paysans en effet ne voulant pas permettre les enrĂŽlements de se poursuivre, et se promettant de rĂ©sister aux soldats[352].
Il est difficile de ne pas voir dans le rejet violent de la conscription par les populations du Rio Grande do Norte un effet tardif de la mĂ©canique contestataire des quebra-quilos. En tout Ă©tat de cause, les tensions ainsi crĂ©Ă©es mettaient le gouvernement provincial en grave difficultĂ©[353]. Tout de mĂȘme, en septembre, les soulĂšvements contre la loi de conscription apparaissaient avoir finalement cessĂ© dans la province[354].
En Alagoas, si les paysans se rĂ©signĂšrent, Ă lâextinction de leur rĂ©volte, Ă payer leurs taxes et acceptĂšrent finalement dâutiliser le systĂšme mĂ©trique, ils refusĂšrent en revanche de permettre Ă la nouvelle rĂ©glementation sur le service militaire de continuer Ă sâappliquer. Le , trois centaines dâindividus armĂ©s, hommes et femmes, attaquĂšrent la localitĂ© de Porto Real do ColĂ©gio, situĂ© dans le district de Penedo, en Alagoas, dans le dessein dâempĂȘcher lâexĂ©cution de la loi de conscription[355]. En accord avec cette loi, un avis devait ĂȘtre placardĂ© dans un lieu public (dâordinaire Ă la porte de lâĂ©glise), visible pour tous ; dans la localitĂ© susnommĂ©e, le greffier du juge de paix, chargĂ© de placarder le dĂ©cret, fut cernĂ© et agressĂ© par ce groupe de 300 personnes, qui se mit aussitĂŽt Ă arracher lâaffiche. Le groupe se rendit ensuite au domicile du juge de paix, Francisco Ferreira de Carvalho Patriota, et lui enjoignit de « leur remettre la loi de tirage au sort » (lei de sorteio), seuls documents dont, selon ses dires, il disposait se rapportant Ă cette loi. La rĂ©bellion se rĂ©pandit ensuite dans les districts de SalomĂ© et dâIgreja Nova, oĂč les habitants, censĂ©s communiquer le nom de ceux de leurs enfants qui Ă©taient visĂ©s par la loi Ă lâinspecteur de quartier â personnage non salariĂ©, chargĂ© de transmettre ensuite ces noms au commissaire de police â, sây refusaient. Le prĂ©sident de province dĂ©pĂȘcha un contingent de cinquante soldats de ligne, et ordonna au procureur cantonal de les accompagner avec le chef de la police jusquâĂ la localitĂ© de Porto Real de ColĂȘgio. LâexpĂ©dition cependant fut un Ă©chec ; quoiquâil eĂ»t Ă©tĂ© ordonnĂ© dâapprĂ©hender les meneurs, seuls trois parmi plusieurs furent effectivement Ă©crouĂ©s et il ne put se trouver que six tĂ©moins[356].
Ă Panelas, dans le Pernambouc, des affiches apposĂ©es sur le bureau des impĂŽts furent tachĂ©es de sang par des groupes de personnes qui, Ă©tant analphabĂštes, les confondirent avec des listes de recrutement[357]. Ă SĂŁo Bento, la contestation fut mieux organisĂ©e ; ne se contentant pas de lacĂ©rer les placards, les protestataires remplacĂšrent celles-ci par une proclamation imprimĂ©e, qui nâest malheureusement pas parvenue jusquâĂ nous, incitant la population non seulement Ă ne pas donner de noms, mais encore Ă sâopposer Ă lâexĂ©cution de la loi de conscription[358].
Le bourg de Garanhuns fut abandonnĂ© par la population Ă la suite des troubles. Dans son rapport, le prĂ©sident de province, dĂ©peignant lâambiance politico-sociale de la ville sous des couleurs dramatiques, indiqua que « les affiches furent dĂ©chirĂ©es, des rumeurs circulaient selon lesquelles la commission serait dispersĂ©e Ă coups de feu, au cas oĂč elle se rĂ©unirait. La terreur, qui Ă©tait gĂ©nĂ©rale, sâempara des habitants du bourg au point que celui-ci demeura quasi dĂ©sert, les hommes ruraux qui auraient pu par leur prestige aider efficacement les autoritĂ©s ayant eux aussi abandonnĂ© le bourg et Ă©migrĂ© vers dâautres lieux ». Ă la demande du juge, le sous-commissaire de Palmeirina, avec soixante hommes armĂ©s, fit mouvement vers Garanhuns pour restaurer lâordre dans la ville semi-dĂ©serte. La commission de recrutement nĂ©anmoins prĂ©fĂ©ra prudemment ajourner ses travaux. Ă Triunfo, parallĂšlement aux entraves opposĂ©es par la population unie contre lâexĂ©cution de la loi, lâon usa dâun subterfuge commode et singulier pour Ă©chapper Ă la conscription : le mariage. Le juge de la comarque se plaignait de ne pouvoir constituer de listes, et estimait quâil ne pourrait procĂ©der au recrutement que sâil pouvait y inclure les hommes mariĂ©s, car dans les seuls deux derniers mois avaient Ă©tĂ© conclus plus de deux cents mariages dâhommes de 19 Ă 30 ans[359].
CabrobĂł connut des incidents plus graves. La commission de recrutement, rĂ©unie dans lâĂ©glise paroissiale, fut agressĂ©e par un groupe de gens armĂ©s de bĂątons et de couteaux, emmenĂ©s par Lino da Costa AraĂșjo, qui se saisit de tous les papiers qui sây trouvaient. Lors du combat qui sâensuivit, lâun des assaillants trouva la mort. AussitĂŽt, le gouvernement de Pernambouc dĂ©pĂȘcha vers Penedo (Alagoas), par un vaisseau de la Companhia Pernambucana, vingt soldats de ligne, sous le commandement dâun officier « dâentiĂšre confiance », avec lâinstruction de se joindre Ă Paracatu Ă la force dĂ©tachĂ©e lĂ -bas, et de faire mouvement Ă partir de lĂ sur Leopoldina, Boa Vista, Ouricuri et Exu, et de rester dans ces villes tout le temps nĂ©cessaire pour que les commissions respectives pussent y accomplir leurs travaux[359].
Les jacqueries et attaques contre les commissions paroissiales de recrutement se rĂ©pandirent dans les autres provinces nordestines, notamment dans la ParaĂba (Ă Alagoa Grande, Alagoa Nova, IngĂĄ, Campina Grande et Pilar), dans la Bahia (Ă Camamu), et dans le CearĂĄ (Ă Acarape, Limoeiro, QuixadĂĄ, Boa Viagem, BaturitĂ© et Saboeiro). Les Ă©pisodes de la ParaĂba se rĂ©pĂ©tĂšrent dans la province du CearĂĄ, sans doute avec une gravitĂ© moindre, mais avec une caractĂ©ristique curieuse : ce furent les femmes qui sâopposaient violemment Ă la conscription, dĂ©chirant les listes et insultant les membres des commissions. Les violences les plus graves eurent lieu dans le bourg dâAcarape, dans le CearĂĄ, oĂč non seulement des femmes, mais aussi une cinquantaine de « fauteurs de dĂ©sordre », armĂ©s de gourdins et de faux, sâen prirent Ă la force publique, dĂ©clenchant un Ăąpre combat qui dura environ une demi-heure, coĂ»ta la vie Ă lâun des assaillants et blessa griĂšvement plusieurs personnes[360].
MĂȘme dans le centre-sud du pays, les Ă©meutes contre le service militaire trouvĂšrent un Ă©cho favorable, et des contestations, y compris ouvertes, contre la loi de conscription eurent lieu dans les provinces de Rio de Janeiro, des Minas Gerais et de SĂŁo Paulo, notamment dans les districts de Franca, Batatais et Caconde[361]. Ces Ă©meutes avaient des implications majeures, et il serait erronĂ© de les considĂ©rer seulement comme une phase tardive ou un dĂ©doublement de la rĂ©volte de Quebra-Quilos. Certaines rĂ©gions du sud, plongĂ©es dans le mĂȘme climat dâinsatisfaction sociale qui caractĂ©risait la mutation que traversait alors le BrĂ©sil, Ă la veille de lâAbolition et de la RĂ©publique, connurent, isolĂ©ment, des rĂ©actions contre le gouvernement et ses institutions[362]. Il y eut une forte agitation Ă Serro, dans le Minas gerais, oĂč, sous de grandes clameurs, les sĂ©ditieux dĂ©chiquetĂšrent les papiers dâenrĂŽlement affichĂ©s Ă la porte de lâĂ©glise, tout en flĂ©trissant la loi de tirage au sort et en lançant des vivats Ă la souverainetĂ© et Ă la religion catholique[363]. Ă Ponte Nova et Ă Rio Turvo, les femmes mineiras dĂ©ployĂšrent lors des troubles une intense activitĂ©. Dans la premiĂšre localitĂ©, elles ont pu peut-ĂȘtre compter sur une certaine complicitĂ©, ou pour le moins, sur la sympathie du juge de paix, et sur lâhostilitĂ© dĂ©clarĂ©e du procureur. Le juge municipal manda dâinterpeller le curĂ©, convaincu que celui-ci participait Ă la subversion. La population de Ponte Nova cependant ne pardonna pas Ă son procureur et bouta le feu Ă sa maison.
Ă Cabo Verde, Ă©galement dans le Minas Gerais, une bande de 200 personnes, quasiment tous Ă cheval et armĂ©s de laniĂšres, de fusils et de coutelas, se rendirent en ville en rangs serrĂ©s et sâarrĂȘtĂšrent devant le domicile du citoyen Theodoro Candido de Vasconcellos, sous-commissaire de police et membre de la commission de recrutement militaire. LĂ , ils criĂšrent Ă lâunisson : « quâon nous remette les listes, nous voulons les dĂ©chirer ». Le sous-commissaire, avisant le grand nombre dâhommes et comprenant que toute rĂ©sistance Ă©tait vaine, sortit et fut bientĂŽt cernĂ© par les sĂ©ditieux, qui le conduisirent par les rues du bourg jusquâĂ la maison du secrĂ©taire de la commission, oĂč se trouvaient les documents et les registres de conscription. Il en fut fait un bĂ»cher en face de lâĂ©glise paroissiale. CâĂ©taient des gens connus, et le juge nâeut dĂšs lors aucune peine Ă connaĂźtre le nom des meneurs[364].
Lâapplication de la loi militaire semblait ainsi vouĂ©e Ă Ă©chouer.
Quebra-Quilos et rĂ©volte dâesclaves Ă Campina Grande
Contexte
Au moment oĂč Ă©clatait la rĂ©volte de Quebra-Quilos, lâesclavage Ă©tait dĂ©jĂ une institution en dĂ©liquescence au BrĂ©sil[365]. Elle subissait les contrecoups des Ă©vĂ©nements extĂ©rieurs, dâabord de lâinterdiction de la traite nĂ©griĂšre, imposĂ©e par lâAngleterre, puis de lâabolition de l'esclavage dĂ©cidĂ©e dans un nombre grandissant de pays. Sur le plan intĂ©rieur, la guerre du Paraguay, ou la fin de celle-ci, apparaĂźt comme un moment charniĂšre ; jusque-lĂ , le problĂšme de lâesclavage avait pu ĂȘtre Ă©ludĂ© par la mobilisation et lâeffort de guerre, mais ensuite dĂ©buta une pĂ©riode de vifs dĂ©bats entre esclavocrates, politiciens, juristes, esclaves, affranchis, etc., qui contribua Ă dĂ©lĂ©gitimer plus avant encore cette institution. Certains dans les Ă©lites propriĂ©taires redoutaient que la discussion publique Ă ce sujet ne parvĂźnt aux oreilles des esclaves et pĂ»t se transformer en actions politiques et se traduire par un renforcement de la rĂ©sistance, pouvant conduire en particulier Ă des soulĂšvements collectifs[366].
Les Ă©vĂ©nements de Quebra-Quilos furent presque concomitants avec la discussion Ă lâassemblĂ©e de la loi dite du Ventre libre (Lei do Ventre Livre) et avec sa subsĂ©quente approbation. Les Ă©lites et les autoritĂ©s constituĂ©es mettaient tout en Ćuvre pour entraver la divulgation de lois qui, directement ou indirectement, avaient pour vocation de rĂ©glementer la vie en captivitĂ©, compte tenu que les esclaves avaient pris la « mauvaise habitude » de les interprĂ©ter Ă leur maniĂšre. Presque toujours en effet, les esclaves sâingĂ©niaient Ă y trouver pour eux-mĂȘmes davantage que ce que disposait la lettre de la loi[367]. Ce nâest pas un hasard si Ă partir de 1871 lâon enregistra une hausse significative des actions en justice intentĂ©es par les esclaves contre leur maĂźtre en vue de leur propre affranchissement. Dans ces procĂšs, les esclaves sâappuyaient sur les motifs les plus divers : mauvais traitements, possession dâun pĂ©cule permettant lâaffranchissement, dĂ©faut dâenregistrement au matricule de 1872, mise en esclavage illĂ©gale, etc., autant de situations prĂ©vues par la loi et susceptibles de justifier une action en justice[368].
On peut formuler lâhypothĂšse que certains esclaves de Campina Grande se lancĂšrent dans le mouvement des quebra-quilos en rĂ©action Ă une dĂ©tĂ©rioration de leurs conditions de vie. Devant la grave crise de lâĂ©conomie locale, en particulier du secteur cotonnier, les propriĂ©taires tentaient de faire face par une intensification de lâexploitation des travailleurs pauvres libres et des esclaves, impliquant, pour ces derniers, un allongement de la journĂ©e de travail, une augmentation des chĂątiments physiques, une rĂ©duction de la libertĂ© de mouvement, etc. ParallĂšlement sâĂ©laborait une lĂ©gislation draconienne contre le vagabondage, tandis quâon assistait Ă une augmentation significative de la criminalitĂ© (en particulier celle imputable Ă des esclaves) dans la municipalitĂ© de Campina Grande[369]. Sây ajoutait Ă cette Ă©poque un intense trafic dâesclaves interprovincial : les esclaves locaux Ă©taient horrifiĂ©s Ă lâidĂ©e quâils pussent ĂȘtre quelque jour vendus Ă un domaine cafĂ©ier de SĂŁo Paulo, de Rio de Janeiro ou de Minas Gerais, les esclaves ayant construit sur place dans la ParaĂba, au long des dĂ©cennies, au sein du systĂšme esclavagiste, des espaces de survie auxquels ils Ă©taient habituĂ©s[370].
Dans cette conjoncture de transformations Ă©conomiques et sociales, la population esclave de Campina Grande sâamenuisait dâannĂ©e en annĂ©e. En 1850, la commune comptait 3 446 esclaves, nombre qui en 1872 Ă©tait tombĂ© Ă 1 105. Lâune des raisons principales de cette chute Ă©tait le transfert dâesclaves vers dâautres rĂ©gions. Peut-ĂȘtre les esclaves voulurent-ils mettre Ă profit la situation de crise du Quebra-Quilos pour tenter de conjurer la menace de devoir un jour, selon le bon vouloir de leur maĂźtre, quitter leur milieu familier. Ce nâest peut-ĂȘtre pas une coĂŻncidence que dans les annĂ©es qui suivirent immĂ©diatement lâinsurrection, la population des esclaves de Campina Grande tendit Ă se stabiliser et que le flux dâesclaves transfĂ©rĂ©s vers dâautres rĂ©gions sâinterrompit pour quelque temps[371] - [372].
En tout Ă©tat de cause, il apparaĂźt malaisĂ© de dresser un parallĂšle entre la rĂ©volte de Quebra-Quilos Ă proprement parler, en tant que soulĂšvement prĂ©-politique et primitif, et les rĂ©voltes noires. Quebra-Quilos nâĂ©tait pas une rĂ©bellion dâesclaves, mais en Ă©tait au contraire une dâhommes libres. Parmi les quebra-quilos figuraient certes des noirs et des mulĂątres, mais la libertĂ©, acquise de façon si dĂ©sordonnĂ©e par la destruction dâarchives administratives, en sera tout au plus une consĂ©quence plutĂŽt que d'en avoir Ă©tĂ© le mobile[373].
Prélude à la révolte
Il convient dâĂ©voquer un Ă©pisode apparemment anodin, mais qui prend une signification particuliĂšre Ă la lumiĂšre des Ă©vĂ©nements de 1874. Dans la soirĂ©e du , plusieurs esclaves appartenant Ă des propriĂ©taires de la localitĂ© de Fagundes, dans le canton de Campina Grande, se rĂ©unirent, au terme dâune rude journĂ©e de travail, dans la case dâun dâentre eux et se mirent Ă y boire de lâeau-de-vie. Peu aprĂšs se joignirent Ă eux des personnes libres et sâadonnĂšrent Ă©galement aux libations, quâĂ©gayaient en outre la prĂ©sence dâinstruments de musique et des chants. Ă un moment, quelquâun eut lâidĂ©e de proposer aux prĂ©sents de lancer « quelques vivats » contre lâesclavage et la monarchie, Ă quoi consentit la majoritĂ©[374]. Ă lâaube du jour suivant, alors que la rĂ©union se poursuivait, le sous-commissaire de police de Fagundes, le capitaine JosĂ© Constantino Cavalcanti de Albuquerque, rĂ©solut de se rendre sur les lieux dans lâintention de mettre un terme Ă la petite fĂȘte des esclaves. Mis au courant de cette descente de police, l'esclave Vicente et ses compagnons se mirent Ă crier que nul ne pourrait les disperser, mieux : ils promirent de se rĂ©unir Ă nouveau le samedi suivant pour lancer dâautres « vivats », en mettant au dĂ©fi le sous-commissaire de venir les en empĂȘcher, ce qui, mĂȘme sâils ne devaient pas mettre Ă exĂ©cution leur dessein, montre bien lâaudace de ces esclaves. Ă lâissue de lâenquĂȘte policiĂšre et des interrogatoires, le sous-commissaire manda chercher les quatre rĂ©calcitrants et ordonna de les mener « dans une salle servant de prison dans la localitĂ© de Fagundes pour 24 heures ». Le lendemain, il les fit remettre « Ă leurs maĂźtres, adressant Ă ceux-ci une sĂ©rieuse mise en garde quant Ă la persistance de pareils abus de la part de leurs esclaves ». Le commissaire de police du chef-lieu de canton Campina Grande, ayant fini par avoir eu connaissance de lâaffaire, la jugea suffisamment grave pour mener une instruction Ă son tour. Cependant, lâaffaire en resta lĂ . Lâesprit de rĂ©volte qui se manifesta fin 1874 semble donc avoir dĂ©jĂ Ă©tĂ© prĂ©sent chez les esclaves campinenses plusieurs annĂ©es auparavant[375].
DĂ©roulement
Il y eut un dĂ©calage de plus dâun mois entre le dĂ©but de la rĂ©volte de Quebra-Quilos, le , et lâentrĂ©e en scĂšne des esclaves, le . Le signal du soulĂšvement fut donnĂ© lorsquâun groupe dâesclaves se dirigea vers un domaine agricole nommĂ© TimbaĂșba. Ă la suite de lâassaut donnĂ© par les quebra-quilos Ă la prison de Campina Grande, la ville sâĂ©tait vidĂ©e de ses notables et demeura acĂ©phale pendant un certain temps, la plupart des personnalitĂ©s locales ayant prĂ©fĂ©rĂ© se rĂ©fugier dans leurs propriĂ©tĂ©s respectives des campagnes environnantes. Ce fut le cas notamment du prĂ©sident de la chambre municipale, le libĂ©ral Bento Gomes Pereira Luna, qui rejoignit sa parentĂšle dans la propriĂ©tĂ© de sa famille, le domaine sucrier TimbaĂșba. Outre Bento Luna sây rĂ©fugiĂšrent Ă©galement le tabellion, le rĂ©dacteur du bureau des impĂŽts, le secrĂ©taire et le procureur de la chambre municipale[376].
Les esclaves virent sans doute dans ces incidents lâoccasion de leur affranchissement. Selon une version, les bĂątiments du domaine agricole Timbauba, distant de deux lieues (environ 13 km) de cette ville, furent encerclĂ©s par un groupe de trente Ă quarante esclaves, tous armĂ©s, qui avaient rĂ©pondu Ă lâappel du noir Manuel (ou Manoel) do Carmo ; dans ces bĂątiments se trouvait le gĂ©rant avec sa famille, qui dut promettre aux esclaves de leur remettre le livre de la libertĂ© et fut forcĂ© dans ce but de se rendre en ville, sous la surveillance notamment du redoutĂ© Firmino, esclave aux antĂ©cĂ©dents criminels, propriĂ©tĂ© dâAlexandrino Cavalcanti de Albuquerque, prĂȘt Ă tirer sur quiconque tenterait dâĂ©chapper ; arrivĂ©s en ville, ils se saisirent du livre de classification dâesclaves et lâapportĂšrent au curĂ© Calixto da NĂłbrega pour quâil le leur lĂ»t, celui-ci ayant en effet toute leur confiance. Le curĂ© leur dĂ©clara alors quâil nâexistait aucun livre contre leur libertĂ©[377]. Un autre rĂ©cit du mĂȘme incident[378] indique que le nĂšgre Manuel do Carmo lança le cri de la rĂ©volte et amena plus de trois cents esclaves Ă le suivre au corps de logis de lâexploitation sucriĂšre TimbaĂșba, oĂč se tenait le prĂ©sident du conseil municipal, Bento Gomes Pereira, et oĂč sâengagea bientĂŽt une vive discussion entre les deux parties : dâun cĂŽtĂ©, les esclaves qui, sur un ton menaçant, armĂ©s de gourdins, de faux et de quelques armes Ă feu, affirmaient ĂȘtre libres Ă partir de ce moment et exigeaient donc les « papiers de la libertĂ© », et de lâautre, les autoritĂ©s Ă©pouvantĂ©es, cherchant Ă gagner du temps et prĂ©tendant nâĂȘtre pas habilitĂ©es Ă dĂ©cider de lâaffranchissement de leurs interlocuteurs[379]. Les rebelles dirent Ă Bento Gomes Pereira quâils voulaient le « livre de lâĂ©mancipation oĂč Ă©taient inscrits les nouveaux jeunes esclaves », et reçurent, prĂ©tendument en rĂ©ponse Ă cet ordre, un livre quelconque ; aucun dâeux ne sachant lire, on croyait pouvoir les berner facilement. Lorsquâils sâaperçurent de la supercherie, les esclaves contraignirent tout le monde Ă quitter la propriĂ©tĂ© et Ă retourner dans la ville de Campina Grande, non sans avoir au prĂ©alable dĂ»ment ligotĂ© leurs otages, soumettant ainsi leurs maĂźtres au mĂȘme traitement que ceux-ci avaient coutume de leur faire subir. Ainsi les reprĂ©sentants de lâautoritĂ© furent-ils attachĂ©s un Ă un sur les flancs des chevaux. Les tĂ©moignages sâaccordent pour indiquer que les Noirs Ă©taient fort agitĂ©s et invectivaient et insultaient leurs prisonniers, en plus de menacer de tirer sur quiconque tenterait de fuir. Ă leur arrivĂ©e en ville, les plus de trois cents esclaves proclamĂšrent leur propre mot dâordre de « vive la libertĂ© » et firent mouvement vers la rĂ©sidence du procureur de la chambre municipale pour sâemparer du livre dâĂ©mancipation des esclaves. Entretemps, un nouveau contingent dâesclaves, dirigĂ©s par lâaffranchi Benedicto, Ă©tait venu grossir les rangs des insurgĂ©s. Tous ensemble, et toujours accompagnĂ©s de leurs prisonniers, ils se rendirent au domicile du curĂ© Calixto da NĂłbrega, qui leur expliqua que ces personnes nâavaient pas pu leur donner la libertĂ©. Les esclaves demandĂšrent au prĂȘtre le « livre de baptĂȘme des enfants esclaves libres »[380]. Le curĂ© cependant sâefforça dâapaiser les esprits, affirmant que ce nâĂ©tait point lĂ la meilleure maniĂšre dâobtenir la libertĂ©, et leur conseillant de retourner au domaine de leurs maĂźtres. Il ne semble pas pourtant que les esclaves aient baissĂ© la tĂȘte, car ils sâen allĂšrent en direction du bourg dâAlagoa Nova, distant de quelques kilomĂštres de Campina Grande, pour y rejoindre dâautres esclaves qui les attendaient[381].
Il y a lieu de relever lâattitude ambiguĂ« du curĂ© Da NĂłbrega dans cette affaire. Son engagement dans la problĂ©matique esclavagiste allait encore le poursuivre dans les annĂ©es suivantes. En plus de prononcer, Ă lâapogĂ©e de la question religieuse, ses prĂȘches habituels contre la franc-maçonnerie et le gouvernement athĂ©e de Pedro II, le curĂ© de Campina fut Ă©galement accusĂ© lors de lâenquĂȘte relative Ă la sĂ©dition du Quebra-Quilos dâavoir tenu, du haut de sa chaire, les propos suivants : « Esclaves, affranchissez-vous du joug de vos maĂźtres, sâil se trouve que le pĂšre, le mari ou le seigneur est un franc-maçon »[382]. Ă prĂ©sent, et Ă la faveur de la convulsion sociale dans laquelle la ville se trouvait plongĂ©e, les esclaves cherchaient dans les paroles du curĂ© une lĂ©gitimation de leurs actions pour leur libĂ©ration personnelle. Mais dĂšs que les Noirs mirent en pratique ces paroles, le rĂ©vĂ©rend pĂšre sâappliqua alors Ă les amadouer et se fit lâintransigeant dĂ©fenseur de lâordre esclavagiste. Au lieu de leur apporter son appui, il sâemploya Ă les persuader de se disperser, allĂ©guant que ce nâest pas par la rĂ©bellion quâils rĂ©ussiraient Ă se libĂ©rer du joug de leurs maĂźtres. Ces tentatives de les raisonner demeurĂšrent toutefois sans effet, car les Noirs, comme nous lâavons vu, poursuivirent leur soulĂšvement et sâen allĂšrent rejoindre un autre groupe dâesclaves rĂ©voltĂ©s Ă Alagoa Nova, en vue de nouveaux assauts[383].
Lâexigence exprimĂ©e par les rĂ©voltĂ©s au domicile du curĂ© de se voir remettre le livre de baptĂȘme sâexplique par la rĂ©cente entrĂ©e en vigueur de la loi du Ventre libre. Pour quelques artisans de cette loi, celle-ci devait agir comme un rempart propre Ă contrarier la mobilisation en cours contre lâesclavage, et de fait, la loi fut manipulĂ©e Ă grande Ă©chelle par les propriĂ©taires dâesclaves et par des fonctionnaires civils et ecclĂ©siastiques peu scrupuleux, au point dâaboutir Ă de vĂ©ritables farces dans un certain nombre de cas[383]. Ainsi p.ex. les propriĂ©taires, restĂ©s en dĂ©pit de la crise de lâesclavage fortement attachĂ©s Ă cette institution, eurent-ils recours Ă lâexpĂ©dient de falsifier la date de naissance des enfants esclaves ; une historienne trouva dans la province de Pernambouc voisine plusieurs exemples dâenfants enregistrĂ©s illĂ©galement par leurs maĂźtres, et couverts par le tampon de validation de curĂ©s et de fonctionnaires du gouvernement[384].
Malheureusement pour les propriĂ©taires dâesclaves, les registres qui, dans la nouvelle situation lĂ©gislative, attestaient, ou non, de la possession lĂ©gale dâesclaves (câest-Ă -dire les livres de matricule et de classification, et les registres de naissance et de dĂ©cĂšs dâenfants esclaves), furent en partie dĂ©truits Ă Campina Grande pendant les troubles ; certains maĂźtres eurent par la suite des difficultĂ©s Ă prouver quâils Ă©taient les propriĂ©taires lĂ©gitimes de leurs esclaves. Quant Ă ces derniers, il y a des Ă©lĂ©ments indiquant quâils surent tirer parti de cette situation nouvelle pour accĂ©der captieusement Ă la libertĂ©[385].
Il existe des indices laissant Ă penser que des contacts prĂ©alables avaient Ă©tĂ© Ă©tablis entre les esclaves demeurant dans les cases de la propriĂ©tĂ© de TimbaĂșba et les meneurs de la rĂ©bellion. Des liens de parentĂ© et dâamitiĂ© ont certainement facilitĂ© les intelligences. Le choix de cette propriĂ©tĂ© ne fut sans doute pas fortuit : les insurgĂ©s devaient savoir que lĂ se tenaient les personnages clefs nĂ©cessaires Ă la rĂ©alisation de leur objectif, Ă savoir le prĂ©sident et le secrĂ©taire de la chambre municipale, ainsi que le directeur du bureau des impĂŽts, gardien Ă ce titre des tant convoitĂ©s papiers relatifs Ă la libertĂ©[386].
Les sources divergent quant au nombre dâesclaves ayant pris part au soulĂšvement de Campina Grande. Un tĂ©moin direct, le procureur de la chambre municipale, assura que ce nombre se situait entre trente et quarante â estimation basse sans doute, car peut-ĂȘtre son dĂ©compte ne couvrait-il que le groupe qui cerna le domaine TimbaĂșba. Ă lâautre extrĂȘme, on dispose des donnĂ©es fournies par un chroniqueur local, qui affirma que « les esclaves sâattroupĂšrent jusquâĂ former un effectif de presque quatre cents » ; cependant, cet auteur nâindique pas sa source. Lâon peut postuler toutefois que le nombre des esclaves insurgĂ©s dut dĂ©passer la centaine, si lâon additionne les trois groupes distincts qui sâengagĂšrent dans lâinsurrection dans lâune ou lâautre de ses phases, chacun de ces groupes comptant au moins trente Ă quarante rebelles[387].
Meneurs
Plusieurs chefs rebelles peuvent ĂȘtre identifiĂ©s, en premier lieu le dĂ©jĂ mentionnĂ© Firmino, esclave marron particuliĂšrement redoutĂ© par les patrons et les autoritĂ©s policiĂšres de la rĂ©gion. Son premier propriĂ©taire Ă©tait DamiĂŁo Delgado, rĂ©sident dâun hameau proche de Campina Grande. La vie de Firmino fut bouleversĂ©e lorsque, jeune encore, il fut vendu Ă son deuxiĂšme maĂźtre, Alexandrino Cavalcante de Albuquerque, et donc forcĂ© de sâĂ©loigner de sa parentĂšle et de ses amis, pour aller travailler dorĂ©navant dans une grande plantation de coton. Ce nonobstant, il allait visiter de temps Ă autre sa famille, en particulier Manoel do Carmo, son frĂšre. Sa vie prit cependant un nouveau tournant aprĂšs que son nouveau maĂźtre eut dĂ©cidĂ© en de le vendre Ă un acquĂ©reur hors de la province, faisant appel, pour rĂ©gler la transaction, Ă la mĂ©diation dâun certain Antonio Freire de Andrade, agriculteur et nĂ©gociant, chargĂ© en lâoccurrence de vendre, en Ă©change dâune commission, deux esclaves, dont Firmino, vers la province de Pernambouc voisine, ce qui anĂ©antirait toute possibilitĂ© de contact entre Firmino et sa famille. Du reste, cette intention de vente prit par surprise les deux esclaves, qui nâen avaient Ă aucun moment Ă©tĂ© informĂ©s, probablement parce que le propriĂ©taire voulait prĂ©venir tout rĂ©action indĂ©sirable, telle quâune fugue ou un acte de violence. Ayant pris conscience de ce qui les attendait, les deux esclaves machinĂšrent la mort du commissionnaire, et le , Firmino lâattaqua et le blessa de deux coups dâun petit couteau, aprĂšs quoi le duo rĂ©ussit Ă disparaĂźtre dans la garrigue proche. La victime en rĂ©chappa, mais lors du procĂšs, lâesclave Antonio, capturĂ© entre-temps, plaidant nâavoir jouĂ© quâun rĂŽle secondaire, fut condamnĂ© Ă une peine de cent coups de fouet et Ă porter un carcan durant six ans, tandis que Firmino se mua en hors-la-loi[388]. Fin , Firmino fut impliquĂ© dans un autre crime retentissant, dont la victime succomba peu de jours aprĂšs, mais non sans avoir eu le temps de dĂ©clarer avant de mourir Ă ses familiers et voisins que derriĂšre lâattentat se cachait Manoel Pereira de AraĂșjo, agissant, selon divers tĂ©moignages, Ă lâinstigation dâArthur Cavalcante de Albuquerque, neveu dâAlexandrino Cavalcante, le maĂźtre de Firmino, sur fond de diffĂ©rend personnel Ă propos dâaccusations de vol de bĂ©tail et dâune affaire sentimentale â en dâautres termes, Firmino se serait fait homme de main de son ancien maĂźtre. Toutefois, Firmino lui-mĂȘme aurait dĂ©clarĂ© Ă quelquâun quâil avait agressĂ© la victime parce que celle-ci lâespionnait pour le compte de la police[389]. Tout au long de ses annĂ©es comme fugitif, oĂč il vĂ©cut dissimulĂ© dans les maquis et les montagnes autour de Campina Grande, Firmino reprĂ©senta une vĂ©ritable terreur pour les responsables de lâordre public. Il est possible quâil ait jouĂ© depuis la mi-1872 un rĂŽle fondamental Ă convaincre ses compagnons esclaves et Ă coordonner leur lutte pour la libertĂ©. Dans cet intervalle de temps, il acquit de lâexpĂ©rience dans lâusage des armes Ă feu, eut le loisir de reconnaĂźtre le terrain oĂč Ă prĂ©sent il se dĂ©plaçait avec dĂ©sinvolture, et surtout ne perdit pas le contact avec les esclaves des cases, mettant en place un ample rĂ©seau souterrain de solidaritĂ© et de complicitĂ©. Si pour les classes dominantes locales, il incarnait la terreur, pour ses compagnons de destin il figurait comme modĂšle de hardiesse et comme stratĂšge qui sut mettre Ă profit un moment historique, oĂč seigneurs et autoritĂ©s se trouvaient acculĂ©s et nâavaient plus guĂšre les moyens de dĂ©fendre lâordre public alors menacĂ© par dâautres pĂ©rils[390].
Un deuxiĂšme meneur identifiable Ă©tait Manoel do Carmo, frĂšre du premier, et, de mĂȘme que celui-ci, impliquĂ© dans des crimes de sang. Les deux Ă©taient nĂ©s et avaient grandi sur le mĂȘme domaine seigneurial. La premiĂšre vente de Firmino ne les sĂ©para pas, puisquâils continuĂšrent Ă se rendre des visites. Devenus hors-la-loi, ils allĂšrent grossir les rangs dâun groupe de noirs que la documentation de lâĂ©poque nomme « negros do mato » (litt. nĂšgres des broussailles), contre-pied rebelle de la sinistre figure du capitĂŁo-do-mato (chasseur de primes se chargeant de capturer contre argent les nĂšgres marrons), et de qui tout laisse supposer quâil sâagissait dâesclaves Ă©chappĂ©s des domaines agricoles environnants, qui pĂ©riodiquement faisaient de petites incursions dans les propriĂ©tĂ©s et dans les auberges locales, et qui au moment du soulĂšvement se joignirent aux rebelles[391].
Un autre personnage dont le nom fut liĂ© au mouvement Ă©tait le noir affranchi Benedicto JosĂ© Domingues de Figueiredo, qui devait avoir en 1874 dans les 27 ans et vivait de son mĂ©tier de cordonnier. Il conquit son statut dâaffranchi au prix de grands efforts et de force tractations avec son ancien maĂźtre. Il connut ensuite, comme maints autres anciens esclaves brĂ©siliens du XIXe siĂšcle, lâexpĂ©rience typique et hautement contradictoire de ceux vivant Ă mi-chemin entre esclavage et libertĂ© : en effet, mĂȘme aprĂšs l'affranchissement, les blancs continuaient dâexiger dâeux obĂ©issance, travail et humilitĂ©. De surcroĂźt, la plupart de ses proches et connaissances Ă©taient maintenus en Ă©tat dâesclavage, en particulier sa propre femme, quâil hĂ©bergeait dans sa maison en mĂȘme temps que sa mĂšre, affranchie comme lui, et qui restait propriĂ©tĂ© de Bento Gomes Pereira Luna, soit lâun de ceux justement que les insurgĂ©s devaient faire prisonniers lors de la rĂ©volte. Peut-ĂȘtre vit-il dans cette ambiance de dĂ©sordres diffus et de dislocation sociale lâoccasion dâarracher la libertĂ© non seulement pour son Ă©pouse, mais aussi pour dâautres esclaves. Le type dâoccupation professionnelle a sans doute constituĂ© un facteur important dans la planification et lâexĂ©cution du mouvement dâinsurrection, dans la mesure oĂč il a pu agir dans la ville de Campina Grande comme agent de liaison entre les diffĂ©rents groupes dâesclaves des propriĂ©tĂ©s rurales de la municipalitĂ©. Dans la documentation, il apparaĂźt en effet comme le principal agitateur du groupe qui, Ă lâarrivĂ©e en ville des captifs du domaine TimbaĂșba, vint prestement sâassocier au mouvement de rĂ©volte. Fait singulier, dans la phase de rĂ©pression du Quebra-Quilos, Benedicto put tirer profit du feu croisĂ© de paroles et dâintĂ©rĂȘts qui suivit les turbulences et mit aux prises le juge cantonal et le commissaire de police sur fond de divergences politiques et de conflit dâautoritĂ©, aboutissant quelques jours plus tard Ă sa remise en libertĂ©[392].
RĂ©pression
Câest au sus-Ă©voquĂ© coronel Alexandrino Cavalcante de Albuquerque quâil revint dâorganiser les forces de la rĂ©pression. Ă cela, ce patron de domaine avait de bonnes raisons, notamment le fait que neuf de ses propres esclaves avaient intĂ©grĂ© les effectifs du mouvement rebelle, y compris le noir Firmino. Dans son empressement Ă sauvegarder ses intĂ©rĂȘts et ceux de sa classe, il eut recours Ă un expĂ©dient inusitĂ© : il constitua une milice privĂ©e[393], en y enrĂŽlant des groupes de quebra-quilos, laquelle troupe, de concert avec les forces lĂ©gales sous les ordres du commissaire de police local, se mit Ă la chasse des insurgĂ©s noirs. Prenant peur, les esclaves se dĂ©bandĂšrent et, sans pratiquer de dĂ©sordres ni de dĂ©prĂ©dations, sâĂ©parpillĂšrent par petits groupes dans le sertĂŁo[394]. La plupart des rebelles furent probablement capturĂ©s, tandis que dâautres ont pu trouver le moyen de fuir pour quelque temps. Aussi les esclaves furent-ils, quoiquâayant Ă©tĂ© les derniers Ă entrer en scĂšne, les premiers Ă subir les effets de la rĂ©pression contre le Quebra-Quilos. En , lorsque les forces militaires dĂ©pĂȘchĂ©es par le pouvoir central et commandĂ©es par le colonel Severiano da Fonseca arrivĂšrent sur place, le sort du mouvement Ă©tait dĂ©jĂ scellĂ©[395].
Ce qui contribua Ă lâefficacitĂ© de la rĂ©pression fut la circonstance que les intĂ©rĂȘts esclavagistes Ă©taient encore suffisamment dĂ©terminants que pour fĂ©dĂ©rer sous une mĂȘme banniĂšre grands, petits et moyens propriĂ©taires. Ă Campina Grande, tout de mĂȘme que dans les autres municipalitĂ©s du BrĂ©sil esclavagiste, la structure de la dĂ©tention dâesclaves Ă©tait suffisamment Ă©lastique et diversifiĂ©e que pour obtenir ce front uni, le propriĂ©taire local typique Ă©tant en effet un maĂźtre possĂ©dant de un Ă quatre esclaves. La plupart de ces petits propriĂ©taires dâesclaves dĂ©pendaient directement du travail de leurs rares esclaves pour survivre, a fortiori par temps de crise Ă©conomique et sociale. Nombre dâentre eux qui avait initialement adhĂ©rĂ© au mouvement Quebra-Quilos voyaient Ă prĂ©sent avec prĂ©occupation et Ă©pouvante lâentrĂ©e en action des esclaves, lesquels avaient saisi Ă la volĂ©e, sans y ĂȘtre conviĂ©, lâoccasion offerte par les manifestations populaires du Quebra-Quilos environ un mois aprĂšs leur dĂ©clenchement[396].
Les esclaves se rĂ©voltĂšrent contre les effets pour eux nĂ©fastes induits par la rĂ©organisation des activitĂ©s Ă©conomiques locales, spĂ©cialement lâintroduction de la culture du coton. Ils protestĂšrent en outre contre le trafic interprovincial des esclaves, prĂ©judiciable Ă leur vie sociale et Ă celle de leur famille et compagnons dâinfortune. Avant tout, ils luttĂšrent pour prĂ©server, Ă©tendre ou conquĂ©rir leur libertĂ©, en particulier Ă travers les possibilitĂ©s ouvertes par la loi dite du Ventre libre de 1871[397].
Interprétation
Le mouvement Quebra-Quilos nâavait pas dâorganisation durable et lâidĂ©ologie des insurgĂ©s Ă©tait vague et imprĂ©cise. Les positions dirigeantes y Ă©taient Ă©phĂ©mĂšres, tandis que le banditisme social surbroda de violences passagĂšres la rĂ©bellion dâhommes et de femmes ordinairement pacifiques, rĂ©signĂ©s et pour ainsi dire sans revendications. De nature archaĂŻque, apparaissant souvent comme une sĂ©dition prĂ©-politique, le mouvement Quebra-Quilos ne saurait ĂȘtre mis en corrĂ©lation avec les idĂ©es rĂ©publicaines et abolitionnistes qui agitĂšrent le BrĂ©sil dans les derniĂšres dĂ©cennies du XIXe siĂšcle. Ses revendications en faveur de lâabolition, si tant est quâelles existaient, furent timides, et trĂšs confuses ses exigences de protection sociale[398].
Dans plusieurs villes, le Quebra-Quilos nâatteint pas le stade de la sĂ©dition et ne dĂ©passe souvent mĂȘme pas le niveau de lâĂ©meute. Si ce terme dâĂ©meute, Ă©lastique et polyvalent, sâapplique dans la plupart des cas Ă des mouvements prĂ©-politiques urbains, la circonstance particuliĂšre que les groupes de quebra-quilos, agriculteurs en leur grande majoritĂ©, vivaient Ă la pĂ©riphĂ©rie des villes ou des bourgs et que les Ă©vĂ©nements marquants de leur action se produisirent lors de foires, dans les Ă©glises et dans les bureaux administratifs, câest-Ă -dire dans les centres Ă©conomiques et sociaux de communautĂ©s urbaines prĂ©-industrielles, cette circonstance donc dĂ©termina que la subversion de lâordre Ă©tabli se situait prĂ©cisĂ©ment Ă ce niveau. Les soulĂšvements des quebra-quilos, considĂ©rĂ©s dans toute leur pluralitĂ©, en tenant compte de leur distribution variĂ©e en un grand nombre d'endroits diffĂ©rents, pourraient ĂȘtre Ă©tiquetĂ©s comme rĂ©formistes, mais seulement de maniĂšre restreinte. Rarement les campagnards qui prirent part Ă lâagitation envisageaient-ils lâĂ©dification dâune sociĂ©tĂ© nouvelle. Ce quâils rĂ©clamaient, dans leur univers mental et politique limitĂ©, Ă©tait la correction de ce qui leur paraissait des anormalitĂ©s et des injustices du vieil ordre traditionnel[399]. Mouvement typiquement prĂ©-politique, le Quebra-Quilos ne sâen prit jamais Ă lâEmpereur, rĂ©putĂ© toujours trĂšs distant et responsable de façon seulement indirecte des injustices sociales de son temps[216].
Ă lâinverse, lâappui ouvert apportĂ© par des personnes influentes interdit de retenir cette simplification historique consistant Ă considĂ©rer les sĂ©ditieux de 1874 comme de simples bandits, voleurs, assassins, tous unis par la totale ignorance des avantages de lâapplication dâun nouveau systĂšme de poids et mesures. Le Nordeste en effet connaĂźt plusieurs exemples de conflits dĂ©clenchĂ©s par la rivalitĂ© entre conservateurs et libĂ©raux, conflits qui Ă©voluĂšrent ensuite, par leur dynamique propre, en direction dâidĂ©es sĂ©paratistes ; il est naturel Ă©galement que lâon tente de cadrer le mouvement dans la grande et hĂ©tĂ©rogĂšne conspiration libĂ©rale-rĂ©publicaine-catholique, qui Ă©tait anti-maçonnique par esprit de contradiction, compte tenu de lâosmose historique entre Empire et francs-maçons. Il y a lieu de garder Ă lâesprit que les rĂ©publicains se sont alliĂ©s indiffĂ©remment avec lâĂglise ou la franc-maçonnerie ou les deux, de la mĂȘme façon que les grands propriĂ©taires conclurent des alliances de circonstance avec les abolitionnistes, avec les militaires et avec les ennemis du militarisme[400].
On pourrait qualifier le mouvement de Quebra-Quilos de rĂ©volution mal dĂ©finie. Cette indĂ©finition provient de la peur historique des Ă©lites brĂ©siliennes face Ă lâochlocratie et explique la persistance, par delĂ la singularitĂ© du mouvement, de ces caractĂ©ristiques gĂ©nĂ©rales dĂ©celĂ©es par Oliveira Viana dans chacun des soulĂšvements populaires du nord brĂ©silien, « au-dessus dâaucun desquels lâon ne voit planer lâautoritĂ© de chefs visibles reprĂ©sentant des Ă©lĂ©ments de prestige, dâĂ©lite. Les vĂ©ritables guides de ces mouvements, leurs instigateurs moraux, nâapparaissent jamais, restent dans lâombre et laissent la populace se dĂ©fouler librement dans sa furie subversive contre la lĂ©galitĂ© et le pouvoir »[401].
Comme le fit observer lâhistorien AntĂŽnio Freire[402], il manque au Quebra-Quilos un Euclides da Cunha. La tragĂ©die des quebra-quilos resta relĂ©guĂ©e dans lâobscuritĂ© des Ă©pisodes historiques peu Ă©tudiĂ©s, et la complexitĂ© de sa mĂ©canique sociale dĂ©courage les travaux approfondis sur le sujet. Cependant, les quebra-quilos sont souvent des types sociaux pareils aux jagunços dâAntĂŽnio Conselheiro ; leurs motivations Ă©tant quasi les mĂȘmes, et leur façon dâapprĂ©hender les institutions remontant aux mĂȘmes prĂ©misses, il a pu ĂȘtre dit et rĂ©pĂ©tĂ©, avec plus ou moins dâassurance, que la principale cause de la rĂ©volte de Quebra-Quilos fut donc Ă©galement lâignorance, que celle-ci fut Ă lâorigine du rejet par les populations sertanejas de la conscription militaire, qui leur paraissait inique, des impĂŽts nouveaux, et de lâinstauration du systĂšme de poids et mesures basĂ© sur le systĂšme mĂ©trique dĂ©cimal français. Au demeurant, lâexpression quebra-quilos nâest mĂȘme pas dâorigine nordestine : elle surgit Ă Rio de Janeiro Ă lâoccasion des turbulences urbaines de 1871, quand quelques groupes de marginaux et de dĂ©sĆuvrĂ©s se livrĂšrent Ă des dĂ©prĂ©dations dans les maisons commerciales qui utilisaient le nouveau systĂšme de poids et mesures ; comme ils sâĂ©criaient « Quebra os quilos! Quebra os quilos! » (Brisez les kilos !), lâexpression vint Ă dĂ©signer gĂ©nĂ©riquement tous les participants aux mouvements de contestation anti-gouvernementale, que ce soit contre lâenrĂŽlement dans lâarmĂ©e, la levĂ©e dâimpĂŽts ou lâadoption du systĂšme mĂ©trique dĂ©cimal. Lâacte dĂ©prĂ©dataire de casser les mesures et Ă©talons du nouveau systĂšme de poids et mesures lors de foires et marchĂ©s acquit peu Ă peu, auprĂšs des quebra-quilos, valeur de rituel propre Ă les identifier dĂ©sormais comme tels dans les villes et bourgs nordestins. Toutefois, quelque ignorants et ingĂ©nus quâils fussent, ils ne se leurraient pas sur le fait que la simple destruction des kilos et des Ă©talons de volume affĂ©rents empĂȘcherait leur rĂ©introduction ultĂ©rieure. La dĂ©prĂ©dation Ă©tait comme un cĂ©rĂ©monial de solidaritĂ©, par la participation Ă laquelle ils tissaient des liens entre eux et qui leur permettait dâacquĂ©rir de lâexpĂ©rience contestataire en vue des vagues objectifs quâils se proposaient dâatteindre â une façon de baptĂȘme[403].
AprĂšs que les quebra-quilos eurent attaquĂ© des bourgs et hameaux de lâintĂ©rieur, les Ă©ditoriaux de la presse pernamboucaine de lâĂ©poque faisaient de constantes allusions aux violations du droit de propriĂ©tĂ©. Pourtant, des revendications sur la terre n'ont jamais Ă©tĂ© exprimĂ©es de maniĂšre bien dĂ©finie et explicite dans le mouvement Quebra-Quilos ; la propriĂ©tĂ© fonciĂšre dans le Nordeste ne fit jamais lâobjet dâune forte contestation populaire, et lâidĂ©e de rĂ©forme agraire sâentendait toujours comme un simple processus de modification des techniques agricoles, comme une extension du crĂ©dit rural et comme une amĂ©lioration des voies de communication. Historiquement, le systĂšme latifondiaire, totalement abouti et immuable, nâadmettait pour lâheure aucune prĂ©tention de rĂ©forme autre que des transformations Ă la marge, telle que lâĂ©mancipation des esclaves, encore quâau prix dâune Ăąpre rĂ©sistance[404].
Le mouvement Quebra-Quilos, â qui prenait des traits diffĂ©rents dans chaque localitĂ© et procĂ©dait de raisons diverses allant de lâignorance et du fanatisme religieux aux songes libĂ©raux de prise du pouvoir, avec toutes les gradations de nuance rĂ©publicaines, des tonalitĂ©s jĂ©suitiques, des couleurs sociales de protestation contre des impĂŽts excessifs, et des contours plus nets sâagissant de la conscription â, produisit lors des Ă©pisodes dâAlagoinha et de Cimbres lâune de ses manifestations les plus typiques. Ă Cimbres (actuelle Pesqueira), dans le Pernambouc, le juge veilla Ă ce que les documents les plus importants des archives fussent placĂ©s en lieu sĂ»r, et obtint de ses amis dans les deux partis quâils lâaidassent Ă Ă©viter autant que possible le « rassemblement du peuple ». Les meneurs apprĂ©hendĂ©s avaient auparavant « proclamĂ© Ă grands cris la souverainetĂ© du peuple ». Pour le procureur cependant, ils nâĂ©taient pas seuls, mais « Ă©taient soutenus par dâautres, comme le lieutenant-colonel Joaquim de Carvalho Cavalcanti, le major Emydio Camello Pessoa de Siqueira, et par Antonio Pessoa de Siqueira Cavalcanti, ancien percepteur de la localitĂ©, personnellement intĂ©ressĂ© Ă la destruction du procĂšs dans lequel son nom Ă©tait citĂ© ». Dans le cadre gĂ©nĂ©ral dâune Ă©poque en crise, les cas dâAlagoinha et de Cimbres reflĂšte la prĂ©dominance des grandes familles locales soucieuses de dĂ©fendre les intĂ©rĂȘts politiques de leur milieu social, oĂč libĂ©raux et conservateurs, selon une alternance conflictuelle factice, luttaient au fond de concert pour la prĂ©servation des mĂȘmes avantages Ă©conomiques et privilĂšges. CâĂ©tait lâavatar local du problĂšme social gĂ©nĂ©ral brĂ©silien tel que signalĂ© par lâhistorien Marc Jay Hoffnagel dans son Ă©tude du Parti libĂ©ral dans le Pernambouc : « lâacquisition et la distribution du patronage politique et administratif, plutĂŽt que la satisfaction de revendications idĂ©ologiques, constitue le principal mobile de lâactivitĂ© des libĂ©raux tout au long de cette pĂ©riode ». Les slogans en faveur de la souverainetĂ© populaire, la formation dâun dĂ©tachement de 50 Indiens pauvres et analphabĂštes pour aider Ă empĂȘcher celle-ci, les vivats au gouvernement impĂ©rial lancĂ©s par de petits commerçants et par des fonctionnaires de deuxiĂšme Ă©chelon, face aux dĂ©sirs des grands propriĂ©taires terriens qui Ă©taient redevables en tout Ă lâEmpire, composent un tableau hĂ©tĂ©roclite qui permet de prendre la mesure des contradictions des libĂ©raux et dâarriver au constat historique que le Quebra-Quilos fut une rĂ©volution incapable de se dĂ©finir par manque dâun commandement supĂ©rieur. Les quebra-quilos Ă©taient philojĂ©suites autant quâAntĂŽnio Conselheiro plus tard sera monarchiste. Il a pu y avoir de vagues allĂ©geances idĂ©ologiques, rĂ©sultant tout au plus dâune certaine convergence dâintĂ©rĂȘts, dont dâailleurs ni Conselheiro ni les quebra-quilos nâavaient une conscience claire[405].
Certains historiens, sâils reconnaissent que les facteurs Ă©conomiques et sociaux mentionnĂ©s ci-haut eurent assurĂ©ment tous leur part dâinfluence dans le dĂ©clenchement des rĂ©voltes, jugent cependant cruciale, pour les apprĂ©hender pleinement, la prise en compte de la dimension proprement culturelle de ces Ă©vĂ©nements. Il nây a pas lieu dâadmettre lâexistence dâune muraille entre le matĂ©riel et le culturel, car derriĂšre tout conflit Ă enjeu matĂ©riel se tient nĂ©cessairement une valeur, dans chaque besoin gĂźt une conscience, une coutume de haute antiquitĂ© que lâon entend faire respecter, ou quelque expĂ©rience collective commune Ă la population concernĂ©e. Si la communautĂ© rurale nâavait pas partagĂ© les mĂȘmes notions morales, les mĂȘmes habitudes et traditions, elle nâeĂ»t pas Ă©tĂ© capable, soulignent ces historiens, de sâagglutiner dans une insurrection ; la rĂ©volte de Quebra-Quilos Ă©clata avant tout au nom de valeurs et de coutumes, lorsque les hommes libres pauvres perçurent, Ă travers lâimposition du systĂšme mĂ©trique, lâingĂ©rence directe du gouvernement impĂ©rial dans leur quotidien[406]. Les insurgĂ©s rĂ©agirent « contre un gouvernement qui blessait leurs valeurs, leurs traditions, leurs coutumes sĂ©culaires, incarnĂ©es par lâĂglise, qui leur donnait la mesure de lâesprit, et par le systĂšme de poids, que leur donnait la mesure des choses »[407]. Il sera dâautant plus difficile pour une population donnĂ©e de renoncer Ă son ancien systĂšme que celui-ci fait partie de sa culture, câest-Ă -dire des « normes de comportement [âŠ], historiquement constituĂ©es par des gĂ©nĂ©rations successives, puis assimilĂ©es et sĂ©lectionnĂ©es par la communautĂ© humaine qui les transmet de gĂ©nĂ©ration Ă gĂ©nĂ©ration »[408]. Autrement dit, le systĂšme traditionnel de poids et mesures avait acquis une valeur symbolique dans la vie de la population, qui sây Ă©tait adaptĂ©e et en connaissait le maniement en fonction de ses besoins, et qui voyait le passage au systĂšme mĂ©trique français comme une rupture avec ses anciennes coutumes, ses anciennes maniĂšres dâagir, en sus de la difficultĂ© technique, pour une population en majoritĂ© analphabĂšte, Ă apprendre Ă convertir les poids dâun systĂšme Ă un autre. En promulguant une loi qui signifiait une fracture avec les valeurs et coutumes de la population, sans que celle-ci en eĂ»t saisi la nĂ©cessitĂ©, les raisons et les objectifs, et qui sâen mĂ©fiait, le pouvoir impĂ©rial brĂ©silien perdit une partie de sa lĂ©gitimitĂ©[409].
Des annĂ©es plus tard, la perception des rĂ©voltes de Quebra-Quilos par les Ă©lites urbaines se modifia, ce qui se traduisit notamment par le fait que les instituts dâhistoire, en particulier dans la ParaĂba et dans le Pernambouc, se mirent Ă publier des articles dans leurs revues oĂč le courage et la bravoure des insurgĂ©s Ă©taient dĂ©sormais mis en exergue, et oĂč les quebra-quilos cessaient dâĂȘtre des sauvages, des bandits, des Ă©meutiers, des vandales et des dĂ©linquants, pour devenir des exemples dâhommes tĂ©mĂ©raires et courageux luttant pour leurs droits, sans craindre la mort[410].
Sous la PremiĂšre RĂ©publique, lâon tenta, par une sĂ©rie de dĂ©crets, de rĂ©glementer le systĂšme de mesures, en particulier le dĂ©cret portant crĂ©ation dâune Commission de mĂ©trologie dans le pays. Cependant, la conversion du systĂšme de poids et mesures vers le systĂšme mĂ©trique se rĂ©vĂ©la beaucoup plus difficile que ce qui avait Ă©tĂ© imaginĂ©, et la population persistera pendant de longues annĂ©es encore Ă recourir Ă lâancien systĂšme. Les rĂ©voltes de Quebra-Quilos nâauront pas Ă©tĂ© vaines, en ce sens quâelles avaient mis en lumiĂšre les difficultĂ©s Ă©prouvĂ©es par la population majoritairement pauvre et analphabĂšte Ă comprendre et accepter un tel systĂšme. En dĂ©pit des punitions prĂ©vues par la loi, â mais que lâon sâabstint semble-t-il de jamais mettre en application, ayant gardĂ© en mĂ©moire les anciennes rĂ©voltes, et en considĂ©ration des rĂ©sistances quâelles avaient rĂ©vĂ©lĂ©es â, les deux systĂšmes allaient coexister encore pendant de nombreuses annĂ©es au BrĂ©sil. En effet, une enquĂȘte rĂ©alisĂ©e par lâInstitut brĂ©silien de gĂ©ographie et de statistiques (IBGE) apprit quâen 1948 des unitĂ©s de mesure non dĂ©cimales, principalement agraires, Ă©taient toujours en usage au BrĂ©sil. Il Ă©tait constatĂ© dâabord que les mesures agraires avaient entre elles un plus grand degrĂ© de concordance que les mesures de poids et de capacitĂ©, lesquelles variaient beaucoup plus dâun lieu Ă lâautre ; ensuite, il fut mis au jour que le systĂšme dĂ©cimal Ă©tait peu utilisĂ© pour exprimer la superficie des terres, et que la substitution sâaccomplissait ici avec grande lenteur. Outre la confusion qui rĂ©gnait dans tout le pays pour ce qui Ă©tait des poids et mesures, lâenquĂȘte montra Ă©galement que les unitĂ©s de mesure se distribuaient en accord avec les coutumes de chaque rĂ©gion et quâen 1945, on comptait au BrĂ©sil 143 unitĂ©s non dĂ©cimales encore en usage[410].
Quebra-Quilos et Canudos
La tragĂ©die de Canudos est dâune certaine maniĂšre, par son Ă©tiologie, la rĂ©pĂ©tition du drame des quebra-quilos. Parmi les premiers adeptes dâAntĂŽnio Conselheiro figuraient de petits paysans qui se rebellaient contre les impĂŽts. Selon Euclides da Cunha, le premier incident en ce sens survint Ă Bom Conselho, lors de la foire, quand AntĂŽnio Conselheiro ordonna Ă ses adeptes dâarracher les affiches portant les avis fiscaux et dâen faire un bĂ»cher en place publique. Le refus de payer lâimpĂŽt fut lâune des positions les plus dĂ©finies du Conselheiro, dans ses dĂ©buts comme chef rebelle. Il sut ainsi sâattirer la sympathie non seulement des dĂ©shĂ©ritĂ©s qui ne possĂ©daient rien mais Ă©taient nĂ©anmoins assujettis Ă lâimpĂŽt, mais aussi des petits propriĂ©taires, qui survivaient Ă peine sur leur terre ingrate, avec leur maigre bĂ©tail et de mĂ©diocres cultures, et que le fisc ne manquait de presser dâune mĂȘme main de fer. Il nâest pas inutile de rappeler Ă cet Ă©gard que le Conselheiro, avant de fonder sa communautĂ© sur le domaine de Canudos, dans le nord de la Bahia, avait sĂ©journĂ© dans le Pernambouc, prĂ©cisĂ©ment en 1874, et avait cĂŽtoyĂ© les sertanejos qui participaient au Quebra-Quilos ; il apparaĂźt donc lĂ©gitime dâadmettre une influence de ces derniers sur lâattitude rĂ©fractaire quâil dĂ©veloppera par la suite. Rappelons quâen , le journal O Paiz, qui Ă©tait publiĂ© Ă Rio de Janeiro et Ă©tait Ă lâĂ©poque sans doute le journal Ă la plus grande diffusion du BrĂ©sil, soulignait que le chef des jagunços « incitait le peuple Ă ne pas payer dâimpĂŽts ». Ces informations de O Paiz sâaccordent avec le rapport du chef de police de la Bahia, rĂ©digĂ© aprĂšs la campagne de Canudos, qui indique « quâils empĂȘchent Ă main armĂ©e la levĂ©e des impĂŽts »[411].
LâĂ©crivain et journaliste pernamboucain Manoel BenĂcio, qui vivait Ă NiterĂłi lorsque commença la guerre de Canudos et qui avait Ă©tĂ© envoyĂ© dans le sertĂŁo bahiannais comme correspondant de guerre pour le Jornal do Commercio, fit paraĂźtre aprĂšs le conflit, en 1899, un livre hybride, mi-ouvrage documentaire, mi Ćuvre de fiction, intitulĂ© O Rei dos jagunços, dans lequel lâauteur, pour illustrer lâattitude du Conselheiro vis-Ă -vis du recouvrement des taxes municipales, Ă©voqua lâĂ©pisode suivant :
« Ă la foire arriva une pauvre vieille pour vendre une paillasse quâelle Ă©tala sur le sol. Le prĂ©posĂ© aux taxes lui rĂ©clama cent rĂ©is pour la portion de terrain que la paillasse et la pauvre vieille occupaient. Celle-ci, qui estimait la valeur de la paillasse Ă quatre-vingts rĂ©is, se rebiffa, se plaignit Ă voix haute auprĂšs du peuple, pleurant, se lamentant. Dâautres gens arrivĂšrent et tous donnaient raison Ă la petite vieille, car comment pourrait-elle payer un tostĂŁo [100 rĂ©is] de taxe, quand tout ce quâelle vend vaut quatre vintĂ©ns, disaient-ils ? Le Conselheiro, dans le prĂȘche quâil tint dans la soirĂ©e fit rĂ©fĂ©rence au cas de la vieille, dĂ©clarant : âVoilĂ bien ce quâest la RĂ©publique : la servitude, travailler uniquement pour le gouvernement. Câest lâesclavage, annoncĂ© par les cartes [du recensement], qui commence. Nâavez-vous pas vu la tante Benta [nom de la vieille], elle est religieuse et blanche ; câest donc bien que lâesclavage ne respecte personne ? »[412]!
Quebra-Quilos dans la presse et la littérature
Les jacqueries de Quebra-Quilos inspira Ă la presse dâalors, Ă cĂŽtĂ© dâarticles alarmistes, des quatrains facĂ©tieux dâallure populaire. La presse de Recife notamment, par inadvertance Ă quelques occasions, intentionnellement Ă dâautres, dĂ©ploya le rude humour populaire dans ses colonnes[413]. A Provincia, en sa qualitĂ© de journal dâopposition combattif, mitigea souvent par de lâhumour ses comptes rendus des violences. Les rĂ©dacteurs, ayant lâintuition que la dĂ©rision pouvait ĂȘtre une arme efficace contre le gouvernement, firent paraĂźtre, dans les premiers jours de , un texte sarcastique dont se rĂ©gala tout Recife et dont le titre, As duas aranhas (les Deux AraignĂ©es), Ă©tait une rĂ©fĂ©rence comique Ă lâaction de deux commandants de police, Aranha Chacon, de la ParaĂba, et Aranha Carneiro, du Pernambouc[414].
Quebra-quilos fit Ă©galement lâobjet, par les soins du thĂ©Ăątre Santo AntĂŽnio Ă Recife, dâune adaptation scĂ©nique burlesque, qui fut Ă lâaffiche le et comprenait une sĂ©rie de saynĂštes au titre souvent Ă double sens[415].
En ce temps-lĂ , les paquets de cigarettes Ă©taient un support oĂč lâesprit critique pouvait sâenhardir Ă sâexprimer tout en atteignant un large public. Les Ă©vĂ©nements les plus importants de lâĂ©poque, y compris ceux de nature politique, donnaient lieu Ă la crĂ©ation de marques, Ă©phĂ©mĂšres ou durables, de cigarettes. Le retentissement du Quebra-quilos porta les fabricants de cigarettes Ă lancer entre autres les marques Pega os Quebra Kilos (Attrapez les quebra-quilos) et Aos Quebra Kilos (Sus aux quebra-quilos). Pour la premiĂšre, lâon avait crĂ©Ă© une Ă©tiquette oĂč apparaissait la figure dâun homme avec barbe, bottes, casaque et chapeau haut-de-forme, tenant Ă la main un marteau auquel sâagrippait un cobra ; Ă lâarriĂšre-plan sâapercevaient des soldats en marche et des quebra-quilos en fuite ; dans la partie supĂ©rieure Ă droite Ă©taient dessinĂ©s des Ă©talons de poids et mesures. L'emballage des cigarettes Aos Quebra Kilos reprĂ©sentait une figure Ă©questre au galop, dont le chapeau portait le mot Kilo. Les cigarettes d'une marque identique, mais dâun autre fabricant, montraient sur leurs paquets un homme ventripotent, portant bottes et haut-de-forme, tenant dans sa main droite un gros bĂąton et dĂ©signant de la main gauche un ensemble de poids et mesures. L'Ă©tiquette des cigarettes Pega os Quebra Kilos dâune autre firme Ă©taient illustrĂ©es dâune figure dâhomme, muni de bottes et dâĂ©perons, courant et portant dans la main gauche un Ă©talon de volume et un poids et dans la main droite un gourdin ; son visage Ă©tait marquĂ© par la terreur, et sur son gibus, qui tombait Ă terre, se lisait le mot Kilo ; en toile de fond se battaient un quebra-quilo et un soldat, mais en une lutte inĂ©gale, car cinq autres militaires se tenaient Ă proximitĂ©. Sur la quasi-totalitĂ© de ces Ă©tiquettes, le personnage reprĂ©sentĂ© possĂ©dait les traits caractĂ©ristiques de Henrique Pereira de Lucena, tel quâil apparaĂźt sur les photographies, et lâidĂ©e sâimpose que le personnage que les dessinateurs ont voulu mettre en scĂšne est le prĂ©sident de la province du Pernambouc[416].
Ătiquette de la marque de cigarettes Aos Quebra-Kilos. Le personnage Ă cheval figure sans doute le prĂ©sident provincial Lucena. |
Ătiquette de la marque de cigarettes Pega os Quebra-Kilos, Ă©galement avec un personnage dans lequel on reconnaĂźt Lucena. |
Ătiquette de la marque de cigarettes Pega os Quebra-Kilos, d'un autre fabricant, avec un personnage semblable au centre. |
LâĂ©crivain paraĂbain Ariano Suassuna Ă©crivit deux Ćuvres de fiction inspirĂ©es de Quebra-Quilos : en 1976, un conte fantastique intitulĂ© As conchambranças de Quaderna, qui donne une vision magique de la rĂ©volte, et O rei degolado, qui met en scĂšne le personnage de Carga dâAgua[417].
Un roman historique de Rodolfo TeĂłfilo, Os Brilhantes, de 1895, traite des liens entre les quebra-quilos et le cangaceiro JesuĂno Brilhante[54].
En 2008, une piĂšce de thĂ©Ăątre de MĂĄrcio Marciano, intitulĂ©e Quebra-Quilos, fut reprĂ©sentĂ©e par la troupe Companhia do LatĂŁo au thĂ©Ăątre Lima Penante Ă JoĂŁo Pessoa, dans une mise en scĂšne de lâauteur. La piĂšce, qui fonctionne sur un mode souvent comique et dans un langage dialectal, donne la parole Ă des quebra-quilos, Ă leurs femmes et Ă quelques soldats qui les combattent.
Notes et références
Notes
- En portugais, revolta do Quebra-Quilos. En français, on trouve dans la littérature aussi la forme révolte du Quebra-Quilos (par analogie avec le portugais) ou des Quebra-Quilos. En portugais, on rencontre également, mais plus rarement, les graphies Quebra-quilos (sans majuscule àquilos) et Quebra-Kilos.
- Zona de mata (principalement culture de canne Ă sucre, 5 % de la superficie, bande cĂŽtiĂšre), zona agreste (principalement Ă©levage, 5 %), sertĂŁo (Ă©levage, sisal, maĂŻs et coton, 20 % de la population).
- Selon Irineu JĂłfilly, tĂ©moin direct des troubles, la sĂ©dition de Quebra-Quilos nâa pas Ă©tĂ© fomentĂ©e par le clergĂ© ou, nommĂ©ment et principalement, par le missionnaire padre Ibiapina. Câest lâintroduction des nouveaux impĂŽts provinciaux qui, affirme-t-il, fut la principale cause du mouvement, Ă cĂŽtĂ© de lâignorance dâune population pauvre et dĂ©semparĂ©e. Pour JĂłffily, les troubles auraient commencĂ© dans les montagnes du BodopitĂĄ, Ă quatre lieues au sud de Campina Grande. Il nâindique pas exactement le premier foyer, mais la circonstance ne lui avait pas Ă©chappĂ© que les quebra-quilos nâavaient pas de chef pour les diriger. Celso Mariz, dans sa biographie du pĂšre Ibiapina, souligne qu'Ibiapina « nâattaqua jamais les institutions ni les gouvernements » (Ibiapina, um apĂłstolo do Nordeste, 1942, p. 145) ; toutefois, il convient de nuancer cette assertion de Mariz, car Ibiapina attaqua souvent la franc-maçonnerie, alors fort influente, et ne mĂ©nagea pas le gouvernement. Cf. A. Souto Maior (1978), p. 32.
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- A. Souto Maior (1978), p. 41, citant Roberto Mota AlcĂąntara (II), dans Diario de Pernambuco, 4 avril 1975.
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- (pt) Georgette Desrochers et Eduardo Hoornaert, Padre Ibiapina e a Igreja dos pobres, São Paulo, EdiçÔes Paulinas / Comisión de Estudios de Historia de la Iglesia en Latinoamérica, coll. « O Povo quer viver (volume 8) », , 185 p. (ISBN 978-8505001647, lire en ligne), p. 66. Cité par K. Richardson (2008), p. 89.
- G. Desrochers & E. Hoornaert (1984), p. 123. Cité par K. Richardson (2008), p. 89.
- K. Richardson (2008), p. 88-89.
- Lettre de Carneiro da Cunha à Duarte de Azevedo du (AN). Cité par K. Richardson (2008), p. 90-91.
- A. Souto Maior (1978), p. 45.
- R. J. Barman (1977), p. 414. Cité par K. Richardson (2008), p. 91.
- Lettre de Carneiro da Cunha à Duarte de Azevedo du (AN). Cité par K. Richardson (2008), p. 92.
- A. Souto Maior (1978), p. 40-41.
- A. Souto Maior (1978), p. 32.
- Lettre de Carneiro da Cunha à Lucena du (AN). Cité par K. Richardson (2008), p. 92.
- Lettre de Caldas Barreto à Carneiro da Cunha du (AN). Cité par K. Richardson (2008), p. 93.
- A. Souto Maior (1978), p. 51.
- K. Richardson (2008), p. 93.
- (pt) Celso Mariz, Ibiapina, um apóstolo do Nordeste, João Pessoa, A União EditÎra, , 319 p., p. 144 et 147 (rééd. chez Editora Universitåria UFPb, João Pessoa 1980.
- K. Richardson (2008), p. 94.
- A. Souto Maior (1978), p. 73.
- A. Souto Maior (1978), p. 74.
- A. Souto Maior (1978), p. 78-79.
- A. Souto Maior (1978), p. 69.
- A. Souto Maior (1978), p. 70.
- A. Souto Maior (1978), p. 80-81.
- Lettre de Correia de Araujo à Lucena du 5 décembre 1874 (AN). Citée par K. Richardson (2008), p. 95. Cf. aussi analyse détaillée dans A. Souto Maior (1978), p. 86-89.
- A. Souto Maior (1978), p. 80.
- K. Richardson (2008), p. 95-96.
- A. Souto Maior (1978), p. 90.
- Lettre de Lucena à Duarte de Azevedo du (AN). Citée par K. Richardson (2008), p. 97.
- Lettres de Candido Alfredo de Amorim Caldas (commandant dâune comagnie dâinfanterie de ligne) Ă Lucena des 4 et (AN). CitĂ©es par K. Richardson (2008), p. 98.
- K. Richardson (2008), p. 98.
- A. Souto Maior (1978), p. 91.
- K. Richardson (2008), p. 99.
- K. Richardson (2008), p. 100.
- Lettre de J. M. Lopes da Costa (ministre du Commerce et de la Guerre Ă Lucena du 28 novembre 1874 (Arquivo PĂșblico Estadual JordĂŁo Emerenciano, archives publiques de lâĂtat du Pernambouc, ci-aprĂšs APEJE). CitĂ©e par K. Richardson (2008), p. 100.
- Rapport de Ceciliano dos Santos Barros à Lucena, 20 décembre 1874. Cité par K. Richardson (2008), p. 101.
- K. Richardson (2008), p. 102.
- Lettre de Lucena à Duarte de Azevedo du . Citée par K. Richardson (2008), p. 34.
- Diverses correspondances, dont lettre de Vieira de Araujo à Duarte de Azevedo du (AN). Citées par K. Richardson (2008), p. 35.
- S. Buarque de Holanda (1960), p. 347-348. Cité par K. Richardson (2008), p. 124.
- K. Richardson (2008), p. 124.
- P. M. Beattie (2001), p. 74-75. Cité par K. Richardson (2008), p. 125.
- K. Richardson (2008), p. 125.
- A. Souto Maior (1978), p. 181.
- K. Richardson (2008), p. 126.
- K. Richardson (2008), p. 127.
- A. Souto Maior (1978), p. 183.
- Quebra-Kilos: Relatorio do commandante, 103-4, cité par K. Richardson (2008), p. 137, note 426.
- K. Richardson (2008), p. 137-138.
- Lettre de Joaquim Rosa da Costa (commissaire de police de Limoeiro) à Lucena du (APEJE). Citée par K. Richardson (2008), p. 140.
- (en) Zephyr L. Frank, Dutraâs World: Wealth and Family in Nineteenth-Century Rio de Janeiro, Albuquerque, University of New Mexico Press, coll. « DiĂĄlogos », , 246 p. (ISBN 978-0826334114), page xv. CitĂ© par K. Richardson (2008), p. 151.
- J. D. Needell (1999), p. 5. Cité par K. Richardson (2008), p. 152.
- R. J. Barman (1977), p. 418. Cité par K. Richardson (2008), p. 154.
- Millet, Quebra-Quilos, p. 55. Cité par K. Richardson (2008), p. 154.
- Lettre de Silva-Santos à Mello Barretto du 9 décembre 1874. Citée par K. Richardson (2008), p. 155.
- K. Richardson (2008), p. 154-156.
- A. Souto Maior (1978), p. 24.
- K. Richardson (2008), p. 29.
- K. Richardson (2008), p. 31.
- Lettre de Lucena à Duarte de Azevedo du (AN). Citée par K. Richardson (2008), p. 30.
- Notamment rapport du baron de Tracunhãem, commissaire de police de Nazaré à Lucena du (AN). Cité par K. Richardson (2008), p. 30.
- R. J. Barman (1977), p. 414-415. Cité par K. Richardson (2008), p. 151.
- Lettre de Carneiro da Cunha à Duarte de Azevedo du (AN). Cité par K. Richardson (2008), p. 29.
- A. Souto Maior (1978), p. 149.
- Rapport de Correia de Silva à Lucena du (AN). Cité par K. Richardson (2008), p. 31.
- A. Souto Maior (1978), p. 144.
- A. Souto Maior (1978), p. 145.
- Lettres de Mello Filho à Lucena des 15 et (AN). Citées par K. Richardson (2008), p. 32.
- Cf. notamment un tĂ©lĂ©gramme du juge de district dâAtalaia Ă Vieira de Araujo du (AN). CitĂ© par K. Richardson (2008), p. 33.
- Lettre de Mello Filho à Duarte de Azevedo du (AN). Citée par K. Richardson (2008), p. 157.
- Lettre de Carneiro da Cunha à Duarte de Azevedo du (AN). Citée par K. Richardson (2008), p. 157.
- Lettre de Vasconcelos à Lucena du (AN). Citée par K. Richardson (2008), p. 157.
- A. Souto Maior (1978), p. 36 & 41.
- A. Souto Maior (1978), p. 58.
- K. Richardson (2008), p. 11.
- ElpĂdio de Almeida, HistĂłria de Camina Grande, Ă©d. Pedrosa, Campina Grande, p. 403, citĂ© par A. Souto Maior (1978), p. 36.
- K. Richardson (2008), p. 12.
- Rapport du président de la Paraiba Silvino Elvidio Carneiro da Cunha au ministre de la Justice Manuel Antonio Duarte de Azevedo, , p. 31-32 (Archives nationales), cité par K. Richardson (2008), p. 11.
- K. Richardson (2008), p. 14.
- K. Richardson (2008), p. 15.
- Journal A Provincia, éd. du . Cité par K. Richardson (2008), p. 16.
- K. Richardson (2008), p. 16.
- K. Richardson (2008), p. 18.
- Lettre de Lucena à Duarte de Azevedo du (AN). Citée par K. Richardson (2008), p. 19.
- Selon un rapport de JoĂŁo Francisco da Silva Braga, commissaire de police dâItambĂ©, Ă Lucena du (AN). CitĂ©e par K. Richardson (2008), p. 20. Rapport citĂ© in extenso dans A. Souto Maior (1978), p. 101-102.
- Rapport de Lucena à Duarte de Azevedo du (AN). Cité par K. Richardson (2008), p. 20
- En 1874, les communications par terre entre Recife et ItambĂ© nâĂ©taient pas faciles. Câest la raison pour laquelle lâenvoi dâune force de 40 soldats de ligne fut accomplie par mer, jusquâĂ proximitĂ© de la ville de Goiana, sur le vapeur Emperor, mis Ă disposition gratuitement par son propriĂ©taire, cf. A. Souto Maior (1978), p. 103.
- Cf. notamment rapport du capitaine Pedro de Alcantara Tiberio Capistrano, commandant des troupes à Itambé, à Lucena du (AN). Citée par K. Richardson (2008), p. 20.
- A. Souto Maior (1978), p. 104.
- A. Souto Maior (1978), p. 102.
- K. Richardson (2008), p. 20.
- Rapport de Vasconcelos à Lucena du (AN). Cité par A. Souto Maior (1978), p. 106. Aussi K. Richardson (2008), p. 21.
- K. Richardson (2008), p. 47.
- K. Richardson (2008), p. 21.
- Lettre de Lucena à Duarte de Azevedo du (AN). Citée par K. Richardson (2008), p. 22.
- Rapport de Joaquim Appidio Rosa da Costa, commissaire de police de Limoeiro, à Correia de Araujo du 19 décembre 1874. Cité par A. Souto Maior (1978), p. 141. Aussi K. Richardson (2008), p. 22.
- Lettre de Lucena à Duarte de Azevedo du (AN). Citée par K. Richardson (2008), p. 22.
- A. Souto Maior (1978), p. 141.
- A. Souto Maior (1978), p. 124-125.
- Rapport de Duarte à Lucena du (AN). Cité par K. Richardson (2008), p. 22.
- En particulier lettre dâAntonio Victor da Silva Vieira, prĂ©sident du conseil municipal de Caruaru, Ă Lucena du 15 dĂ©cembre 1874. CitĂ©e par K. Richardson (2008), p. 22.
- A. Souto Maior (1978), p. 125.
- Rapport de Duarte à Lucena du (AN). Cité par K. Richardson (2008), p. 23.
- A. Souto Maior (1978), p. 143.
- Lettre de João Mauricio Correia e Silva, juge des probations de Bonito, à Lucena du (AN). Citée par K. Richardson (2008), p. 23.
- Lettre de Duarte à Lucena du (AN). Citée par K. Richardson (2008), p. 24.
- K. Richardson (2008), p. 24.
- A. Souto Maior (1978), p. 166-167.
- Lettre de Ceciliano dos Santos Barros, juge cantonal de Bom Conselho, à Lucena du (AN). Citée par K. Richardson (2008), p. 25.
- Archives publiques de lâĂtat du Pernambouc, citĂ©es par A. Souto Maior (1978), p. 147.
- A. Souto Maior (1978), p. 150.
- A. Souto Maior (1978), p. 148.
- A. Souto Maior (1978), p. 110.
- A. Souto Maior (1978), p. 115.
- Notamment lettres de Vieira de Araujo à Duarte de Azevedo des 15 et (AN). Citées par K. Richardson (2008), p. 26.
- A. Souto Maior (1978), p. 174.
- Archives publiques de lâĂtat dâAlagoas, passage citĂ© par A. Souto Maior (1978), p. 172.
- (pt) Douglas Apratto TenĂłrio, A imprensa alagoana nos arquivos de Pernambuco, MaceiĂł, Academia Alagoana de Letras, , p. 3 ; Estado Financeiro das ProvĂncias. Quadro comparativo no 1, PresidĂȘncia do Conselho de Ministros, Rio de Janeiro 1886. CitĂ©s par A. Souto Maior (1978), p. 174.
- Rapports de Mello Filho à Duarte de Azevedo du et (AN). Cités par K. Richardson (2008), p. 28.
- K. Richardson (2008), p. 28.
- A. Souto Maior (1978), p. 177.
- A. Souto Maior (1978), p. 2.
- A. Souto Maior (1978), p. 130.
- K. Richardson (2008), p. 39.
- Lettre de Carneiro da Cunha à Duarte de Azevedo du 10 mars 1875 (AN). Citée par K. Richardson (2008), p. 39.
- Rapport du prĂ©sident de la ParaĂba au ministre de la Justice Duarte de Azevedo du (AN). CitĂ© par K. Richardson (2008), p. 39-40.
- A. Souto Maior (1978), p. 46.
- Lettre de Carneiro da Cunha à Duarte de Azevedo du (AN). Cité par K. Richardson (2008), p. 40.
- K. Richardson (2008), p. 41.
- Rapport de Carneiro da Cunha à Duarte de Azevedo du (AN). Cité par K. Richardson (2008), p. 41.
- E.a. lettre de Da Silva à Lucena du (AN). Citée par K. Richardson (2008), p. 42.
- Lettre de Lucena à Duarte de Azevedo du (AN). Citée par K. Richardson (2008), p. 42.
- Selon une lettre de Firmino Rebello de Torres Maio, premier substitut du juge de district, à Vieira de Araujo du (AN). Citée par K. Richardson (2008), p. 42.
- K. Richardson (2008), p. 42.
- K. Richardson (2008), p. 43.
- A. Souto Maior (1978), p. 119.
- A. Souto Maior (1978), p. 118.
- A. Souto Maior (1978), p. 107.
- A. Souto Maior (1978), p. 37.
- A. Souto Maior (1978), p. 81.
- A. Souto Maior (1978), p. 152.
- Archives publiques de lâĂtat du Pernambouc, documents citĂ©s par A. Souto Maior (1978), p. 127.
- A. Souto Maior (1978), p. 109.
- A. Souto Maior (1978), p. 126.
- A. Souto Maior (1978), p. 128.
- A. Souto Maior (1978), p. 42.
- A. Souto Maior (1978), p. 133-134.
- Archives publiques de lâĂtat du Pernambouc, citĂ© par A. Souto Maior (1978), p. 134.
- A. Souto Maior (1978), p. 135-141.
- A. Souto Maior (1978), p. 131.
- Rapport de Caldas Barreto, cité par A. Souto Maior (1978), p. 47.
- A. Souto Maior (1978), p. 165.
- K. Richardson (2008), p. 159-160.
- Selon des articles de A Provincia du et . Cités par K. Richardson (2008), p. 160.
- A. Souto Maior (1978), p. 27 & 60.
- K. Richardson (2008), p. 161.
- A. Souto Maior (1978), p. 30.
- K. Richardson (2008), p. 162.
- H. de Almeida (1958), p. 144.
- K. Richardson (2008), p. 164.
- A. Souto Maior (1978), p. 27 & 30.
- A. Souto Maior (1978), p. 28.
- K. Richardson (2008), p. 165.
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- N. Pereira (1966), p. 166.
- K. Richardson (2008), p. 167.
- (pt) Almino Ălvares Afonso, Uma nota sobre o Quebra-Quilos da ParaĂba do Norte, MossorĂł, Fundação GuimarĂŁes Duque / Fundação Vingt-un Rosado (rĂ©Ă©d.), coll. « Coleção mossoroense », 1875 (rĂ©Ă©d. 2002), 83 p., p. 36.
- (pt) Irineu Joffily, Notas Sobre a Parahyba, Rio de Janeiro, Typographia do « Jornal do Commercio » de Rodrigues & C., , 257 p. (lire en ligne), p. 187.
- A. Ălvares Afonso (1875), p. 21.
- A. Ălvares Afonso (1875), p. 16.
- K. Richardson (2008), p. 168.
- K. Richardson (2008), p. 169-170.
- Lettre de Carneiro da Cunha au vicomte de Rio Branco du (AN). Citée par K. Richardson (2008), p. 170.
- K. Richardson (2008), p. 171.
- Rapport de Lucena à Duarte de Azevedo du (AN). Cité par K. Richardson (2008), p. 172.
- K. Richardson (2008), p. 172.
- Rapport de Lucena à Duarte de Azevedo du (AN). Cité par K. Richardson (2008), p. 173.
- K. Richardson (2008), p. 173.
- A. Souto Maior (1978), p. 48-49.
- Rapport de Vasconcellos à Lucena du 8 décembre 1874 (APEJE). Cité par K. Richardson (2008), p. 174.
- K. Richardson (2008), p. 175.
- Rapport de Mello Filho à Lucena du (AN). Cité par K. Richardson (2008), p. 176.
- H. de Mattos Monteiro (1980), p. 148. Cité par K. Richardson (2008), p. 177.
- Rapport de Duarte de Azevedo à Lucena du (AN). Cité par K. Richardson (2008), p. 178.
- Journal A Provincia, éd. du 10 décembre 1874. Cité par K. Richardson (2008), p. 178.
- Rapport de PessÎa de Cunha à Lucena du (AN). Cité par K. Richardson (2008), p. 178.
- Rapport de Correia de Silva à Lucena du (AN). Cité par K. Richardson (2008), p. 178.
- Rapport de Francisco Carneiro Machado Rios, chef de la police de Capoeiras, à Lucena du (AN). Cité par K. Richardson (2008), p. 179.
- Rapport de José Benedicto Bages Ramos, commandant du détachement de Triunpho, à Lucena du (AN). Cité par K. Richardson (2008), p. 179.
- K. Richardson (2008), p. 180.
- Journal A Provincia, éd. du 6 et 9 janvier 1875. Cité par K. Richardson (2008), p. 180.
- K. Richardson (2008), p. 181.
- K. Richardson (2008), p. 181-182.
- A. Souto Maior (1978), p. 122-123.
- Rapport de Correia de Araujo à Duarte de Azevedo du (AN). Cité par K. Richardson (2008), p. 183.
- K. Richardson (2008), p. 183.
- Journal A Provincia, éd. du 5 janvier 1875. Cité par K. Richardson (2008), p. 184.
- Rapport de Vieira de AraĂșjo Ă Duarte de Azevedo du (AN). CitĂ© par K. Richardson (2008), p. 185.
- Rapport de Correia Gondom à Vieira de Araujo du (AN). Cité par K. Richardson (2008), p. 185-186.
- K. Richardson (2008), p. 186-187.
- Rapport de Mello Filho à Duarte de Azevedo du (AN). Cité par K. Richardson (2008), p. 187.
- Rapport de Mello Filho à Duarte de Azevedo du (AN). Cité par K. Richardson (2008), p. 188.
- Rapport de Mello Baretto à Mello Filho du (AN). Cité par K. Richardson (2008), p. 188.
- Rapports de Mello Filho à Duarte de Azevedo des 3 et (AN). Cités par K. Richardson (2008), p. 189.
- K. Richardson (2008), p. 190.
- A. Souto Maior (1978), p. 178-179.
- K. Richardson (2008), p. 190-191.
- Rapport de Mello Filho à Duarte de Azevedo du (AN). Cité par K. Richardson (2008), p. 134.
- K. Richardson (2008), p. 135.
- A. Souto Maior (1978), p. 192.
- K. Richardson (2008), p. 129.
- Cf. entre autres lettre de Calvalcante de Albuquerque à Duarte de Azevedo du (AN). Citée par K. Richardson (2008), p. 131.
- K. Richardson (2008), p. 132-133.
- A. Souto Maior (1978), p. 185.
- A. Souto Maior (1978), p. 186.
- A. Souto Maior (1978), p. 187.
- A. Souto Maior (1978), p. 188.
- K. Richardson (2008), p. 135-136.
- A. Souto Maior (1978), p. 189.
- A. Souto Maior (1978), p. 190.
- A. Souto Maior (1978), p. 191.
- A. Souto Maior (1978), p. 202. Sur la situation des esclaves dans le Nordeste, voir aussi lâarticle Negros do Norte, de Luciano Mendonça de Lima.
- L. Mendonça de Lima (2004), p. 168.
- L. Mendonça de Lima (2004), p. 174.
- (pt) Luciano Mendonça de Lima, A ParaĂba no ImpĂ©rio e na RepĂșblica: estudos de histĂłria social e cultural (ouvrage collectif sous la direction dâAlarcon Agra do Ă), JoĂŁo Pessoa, IdĂ©ia, , 230 p. (ISBN 978-8575390894), « Uma porta estreita para a liberdade: as açÔes cĂveis e alguns aspectos do cotidiano escravo na Campina Grande do sĂ©culo XIX », p. 47-76. MentionnĂ© par lâauteur dans L. Mendonça de Lima (2004), p. 175.
- L. Mendonça de Lima (2004), p. 181.
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- L. Mendonça de Lima (2004), p. 182-183.
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- Vilma Almada, Escravismo e transição: o EspĂrito Santo (1850/1888), Rio de Janeiro, Graal, 1984, p. 169-172 CitĂ© par L. Mendonça de Lima (2004), p. 178.
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- Sous le commandement de Belarmino Ferreira da Silva, grand propriétaire foncier de Cacimbas, selon A. Souto Maior (1978), p. 202.
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- A. Souto Maior (1978), p. 3.
- A. Souto Maior (1978), p. 4.
- A. Souto Maior (1978), p. 44. En ce qui concerne le « sĂ©paratisme », Souto Maior fait ici allusion sans doute au mouvement rĂ©publicain et sĂ©paratiste dĂ©nommĂ© ConfĂ©dĂ©ration de l'Ăquateur, survenu en 1824 dans le Nordeste.
- Oliveira Viana, PopulaçÔes meridionais do Brasil, éd. José Olympio, Rio de Janeiro 1952, cité par A. Souto Maior (1978), p. 44-45.
- AntÎnio Freire, Revolta do Quebra-quilos. Discurso de posse no Instituto Histórico e Geogråfico Paraibano, 26 mai 1971, João Pessoa, 1971. Cité par A. Souto Maior (1978), p. 56.
- A. Souto Maior (1978), p. 56.
- A. Souto Maior (1978), p. 146.
- A. Souto Maior (1978), p. 168-169.
- V. de Oliveira Lima (2009), p. 6.
- JosĂ© Murilo de Carvalho, Pontos e Bordados: Escritos de histĂłria e polĂtica, Ă©d. UFMG, Belo Horizonte 1998, p. 113.
- Ciro F. Cardoso, Sociedade e cultura: comparação e confronto, Estudos Ibero-Americanos, éd. PUCRS, vol. XXIX, n° 2, décembre 2003, p. 44.
- V. de Oliveira Lima (2009), p. 7.
- V. de Oliveira Lima (2009), p. 8.
- A. Souto Maior (1978), p. 203-204.
- Manoel BenĂcio, O rei dos jagunços, p. 163. CitĂ© par JosĂ© Calasans, Quase biografias de jagunços, chap. Os beatos, p. 13, Ă©galement par Marco Antonio Villa, Canudos, o povo da terra, Ă©d. Ătica, SĂŁo Paulo 1999, 3e Ă©dition, p. 52.
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- A. Souto Maior (1978), p. 194.
- A. Souto Maior (1978), p. 195.
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- A. Souto Maior (1978), p. 47 & 198.
Bibliographie et liens externes
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