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Propriété

La propriété est la possession d'un bien meuble ou immeuble ou d'une production intellectuelle, reconnue et consacrée par une autorité (divine ou humaine), la société, la loi, la raison générale ou le consentement universel, etc. C'est selon Pierre-Joseph Proudhon une usucapion ou une usurpation[1].

La Révolution française a exalté le droit de propriété : inviolable et sacrée, selon l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Cet absolutisme de principe issu du mansipium romain sera dans les faits accompagné de limites de plus en plus nombreuses[2].

En France la propriété est définie, par l'article 544 du Code civil, comme « le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ». Le propriétaire en droit français ne perd pas son droit de propriété par le non-usage de la chose, la propriété a un caractère imprescriptible et ce droit de propriété peut être transmis aux héritiers[3]. La propriété qui s'exerce sur des biens accepte son corollaire[4] par lequel il est des choses qui n'appartiennent à personne et dont l'usage est commun à tous (Des lois de police règlent la manière d'en jouir), consacré par l'Article 714 du Code civil[5].

Le terme « propriété », du latin juridique exproprias « propriété, caractère propre, spécifique » et « droit de possession, chose possédée » à l'époque impériale[6], conserve actuellement les deux mêmes sens. On traite ici du second, socialement plus important et plus disputé[7] : un ensemble de droits qui confèrent des prérogatives exclusives à une ou plusieurs personnes sur des territoires, des objets, des êtres, des idées ou des méthodes, ainsi que les choses visées.

Propriété au sens juridique

Les juristes du Moyen Âge et de l'époque moderne, à partir de textes épars du droit romain, ont formulé une conception absolutiste de la propriété qui découlerait de la notion romaine. Les glossateurs de l'époque médiévale ont extrapolé un texte du Digeste de Justinien - D. 5, 3, 25, 11, re sua abuti putant - pour en tirer la formule ius uterini et abutendi. La définition sera reprise par Pothier, la toute-puissance du propriétaire s'exprimant dans la trilogie des pouvoirs d'usus, fructus et abusus[2].

La propriété est un droit qui s'exerce sur un bien meuble ou immeuble, corporel ou incorporel. Elle se divise donc traditionnellement en trois droits réels :

  • le fructus : le droit de recueillir les fruits du bien (le profit) ;
  • l'usus : le droit de l'utiliser (l’usage) ;
  • l'abusus : le droit d'en disposer c'est-à-dire de le détruire en tout ou partie, de le modifier, ou de le céder à un autre, c'est-à-dire de l'aliéner.

Ces trois droits peuvent être séparés, démembrant la propriété. Il peut en résulter un usufruit, un usage, une emphytéose ou une servitude.

Le propriétaire peut supporter différentes servitudes, souvent anodines (comme l'obligation de laisser passer les ondes radios), mais parfois plus contraignantes (droit de passage).

Le propriétaire est responsable de ses propriétés, notamment en cas de dommage sur autrui.

Caractéristiques de la propriété

Le bien, objet de la propriété, peut être matériel ou immatériel :

  • La propriété matérielle est la plus intuitive : elle traduit le fait qu'une chose ne peut généralement servir qu'à une personne à la fois.
  • La propriété intellectuelle est une invention moderne, pour désigner un artifice juridique qui transforme en élément caractéristique une chose immatérielle, et qui par ce fait est duplicable sans priver le détenteur initial de sa chose. Par exemple : le contenu d'un livre, un procédé technique (brevet), une chanson.

Le détenteur de la propriété intellectuelle ne détient pas nécessairement la propriété matérielle, elle a même un rôle surtout si le propriétaire intellectuel cède un objet matériel représentatif de cette propriété (un livre, un CD-ROM, etc.) sans pour autant la céder en même temps.

Historique de la propriété

En droit romain, la propriété était divisée en biens meubles et biens immeubles. En droit anglo-saxon (common law), il y a une distinction à peu près semblable entre biens personnels (propriété personnelle) et biens immeubles (propriété immobilière).

Dans son Deuxième traité du gouvernement civil, John Locke formalise le premier la notion de propriété présentée comme un droit naturel :

« Tout homme possède une propriété sur sa propre personne. À cela personne n'a aucun Droit que lui-même. Le travail de son corps et l'ouvrage de ses mains, nous pouvons dire qu'ils lui appartiennent en propre. Tout ce qu'il tire de l'état où la nature l'avait mis, il y a mêlé son travail et ajouté quelque chose qui lui est propre, ce qui en fait par là même sa propriété. Comme elle a été tirée de la situation commune où la nature l'avait placé, elle a du fait de ce travail quelque chose qui exclut le Droit des autres hommes. En effet, ce travail étant la propriété indiscutable de celui qui l'a exécuté, nul autre que lui ne peut avoir de Droit sur ce qui lui est associé. »

Il assortit cette définition d'une clause de légitimité exigeant, en parlant de la terre et notamment des terres agricoles, qu'après chaque appropriation privée il doit « en rester assez, d'une qualité aussi bonne, et même plus que ne pouvaient utiliser les individus qui n'étaient pas encore pourvus. » (ibid.).

La Révolution a exalté le droit de propriété : inviolable et sacrée, selon l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Elle classe le droit de propriété parmi les « droits naturels et imprescriptibles de l'Homme ».

L'article 1 du protocole additionnel de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales consacre aussi ce droit au niveau européen.

Preuve de la propriété

En droit français, la preuve de la propriété s'exerce par tous moyens, c'est-à-dire que le juge est susceptible d'examiner tous les arguments ou indices avancés par les parties d'un litige qui s'opposent sur la propriété d'un bien. Parmi ces indices peuvent figurer un témoignage, le paiement des impôts... L'acte authentique relatif à l'achat du bien est un indice particulièrement fort mais ce n'est pas une preuve absolue : il prouve que l'on a acheté le bien à une autre personne, mais il reste à démontrer que cette personne en était le propriétaire légitime.

Propriété et philosophie politique

La propriété est un élément qui structure toutes les évolutions sociales, et est donc particulièrement présente dans les réflexions et les polémiques politiques.

Sur le plan théorique, la notion a été critiquée de différentes manières. Globalement on peut dire que le statut donné à la propriété, et surtout à la propriété privée, scinde les courants politiques en deux camps, qu'on peut qualifier grossièrement de socialistes et libéraux. Les libéraux ont tendance à défendre farouchement le droit de propriété, au nom de la défense de la liberté individuelle, tandis que les socialistes ont plutôt tendance à restreindre et limiter le droit de propriété, au nom de l'équité, des Droits de l'homme, de l'intérêt général, ou aujourd'hui de l'écologie politique et des droits des générations futures.

Sur le plan pratique, pendant longtemps, c'est la propriété foncière qui a été l'objet de l'attention (avec, dès l'antiquité, le thème de la réforme agraire). Les physiocrates pensaient ainsi que la propriété de la terre était la base de toute économie, voire que l'on pouvait remplacer tous les impôts par une taxe unique sur le foncier.

Avec la modernisation de l'économie, d'autres éléments ont pris de l'importance : les mines, les manufactures, et enfin les procédés techniques.

La propriété sujet de rivalités et de guerres

La propriété peut aussi s'entendre comme un droit d'accès à un espace maritime, pour une exploitation des ressources. Au XVIIe siècle, les rivalités entre puissances maritimes, notamment entre les Provinces-Unies et l'Angleterre, ont engendré les premières réflexions sur le droit naturel et le droit international, avec Hugo Grotius.

Toute guerre naît d'une prétention commune à la même propriété, remarque Denis Diderot dans le Supplément au voyage de Bougainville. L'homme civilisé se retrouve souvent avec le désir de posséder la propriété d'autrui. Ce qui engendre le vol. Alors que si l'objet était disponible, il n'y aurait plus de vol et plus de procès pour soustraction frauduleuse.

Jean-Jacques Rousseau formalisa le droit de propriété dans Du contrat social. Dans la seconde partie du Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, il écrit :

« Le premier qui, ayant enclos un terrain, s'avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d'horreurs n'eut point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant un fossé, eût crié à ses semblables : Gardez-vous d'écouter cet imposteur ; vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n'est à personne »

« La propriété, c'est le vol »

Si, pour les auteurs de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, comme pour ceux de la déclaration universelle des droits de l'homme, la propriété est un droit naturel et un droit de l'homme, pour certains, « la propriété, c'est le vol ! », selon la célèbre formule de Proudhon dans Qu'est-ce que la propriété ?.

Selon l'analyse anarchiste proudhonienne, il ne peut y avoir de propriété sans un système légal perfectionné. Ainsi, loin d'être une évidence naturelle de l'individu, la propriété est une relation sociale, interindividuelle, qui ne peut être justifiée dans son principe ou son origine. Il n'y a alors pas de différence de nature entre la contrainte exercée par un « propriétaire » et celle exercée par un « voleur », seulement une différence de forme. Ce serait alors l'usage d'un bien qui créerait le droit de possession, et non la propriété qui permettrait d'user et d'abuser de ce bien. D'autant que les différences sociales s'amplifient naturellement au fil des générations, notamment dans un système social qui applique le droit d'aînesse, ce qui concentre les droits et les propriétés sur une seule tête.

À l'opposé de cette vision, les libéraux soutiennent que la propriété est nécessaire à la liberté de l'individu, qui permet d'opposer à l'État et à la société le droit de poursuivre ses propres fins. Proudhon lui-même précisa à plusieurs reprises sa position et justifia en particulier la propriété individuelle (limitée dans son esprit à la possession) par la protection qu'elle offre contre l'État[8]. En Chine, pays qui a légiféré une loi le entendant garantir la propriété privée, même si la terre n'est pas concernée[9], des paysans revendiquent la propriété privée de leur terre contre le pouvoir de l'État qui souhaite les exproprier pour construire des hôtels[10]. Pour Hernando de Soto, c'est l'absence de système juridique protégeant la propriété qui empêche les habitants des pays pauvres de participer à l'activité économique et de s'intégrer dans la mondialisation capitaliste. Pour Soto, « La propriété, ce n'est pas seulement jouir d'un bien, ça c'est l'idéologie "petite-bourgeoise". Elle est avant tout un système de droits et de devoirs »[11].

Propriété et capitalisme

La naissance du capitalisme s'est accompagnée d'un mouvement général de privatisation de ressources antérieurement communes (notamment l'espace), résultant de conquêtes (l'arrivée européenne en Amérique) ou détenues historiquement par l'Église ou la noblesse (voir féodalité).

Ce mouvement a donné une rentabilité à des opérations d'amélioration, qui auparavant n'auraient pas profité qu'aux maîtres d'œuvre, renforçant la capitalisation.

Pour Bernard Friot, c'est la propriété lucrative qui est une caractéristique du capitalisme, qu'il distingue de la propriété d'usage[12] : la propriété d'usage est le droit d'user de son patrimoine et de décider de l'usage qui en est fait ; la propriété lucrative est augmentée du droit de tirer un revenu de son patrimoine en tant que propriétaire (exemples : rente, loyer, dividendes, taux d'intérêt, etc.), ce qui se fait nécessairement en ponctionnant la valeur qu'autrui produit par l'utilisation de ce patrimoine, puisque seul le travail produit de la valeur.

Point de vue de l'Église catholique

Pour l'Église catholique, le droit de propriété subit deux formes de limitations[13] :

  • d'une part, la propriété ne peut s'appuyer uniquement sur le travail, ce qui distingue la position de l'Église de la perspective lockéenne ;
  • d'autre part, la propriété est subordonnée au principe de destination universelle des biens : les biens possédés par les hommes contiennent des ressources matérielles que les hommes n’ont pas créées, mais qui ont été créées par Dieu pour l’usage commun selon le besoin de chacun.

Propriété intellectuelle et secret

Une propriété est un élément caractéristique. En toute rigueur, dans un domaine non matériel, c'est donc une chose inconnue des non-propriétaires (sans quoi, elle cesse d'être spécifique aux propriétaires), c'est-à-dire un secret.

Le secret n'a pas que des avantages :

  • celui qui possède un secret peut le perdre à tout moment (soit en l'oubliant, soit en égarant les éléments matériels qui en portent la trace)
  • il reste exposé à sa redécouverte par un autre, ou même à son « vol » (consultation d'éléments matériels portant les traces du secret). Il perd alors son avantage relatif.
  • le secret interdit par définition les échanges entre détenteurs, échanges qui permettraient de nouvelles découvertes.
  • la conservation d'un secret collectif implique une forte limitation du nombre de détenteurs et des contraintes parfois lourdes (limitations de mouvements, restrictions des contacts avec les étrangers, etc.) : cela implique des coûts et parfois des limites aux fabrications alors que la demande est plus forte, ce qui réduit les bénéfices du secret.
  • etc.

Les sociétés ont donc mis au point l'idée d'un échange :

  • l'auteur d'une découverte bénéficie d'un privilège temporaire ;
  • la société prend connaissance de cette découverte et peut l'exploiter plus largement.

Ce type d'échange suppose un système légal perfectionné, capable de faire supporter aux tiers l'idée de devoir attendre pour profiter de ce qu'on leur dit aujourd'hui, y compris à l'étranger. Il suppose également un système capable de bien faire la différence entre ce qui mérite ce type de protection et ce qui ne le mérite pas. Les controverses actuelles sur les logiciels ou sur les informations génétiques, mais aussi sur les chansons et les films, montrent que la question n'a pas encore trouvé de réponse consensuelle.

Limitations de la propriété

Dans les pays de l'OCDE, la propriété est soumise à des limitations[14]. En France, par exemple, dans le secteur du logement en particulier, la propriété est divisée en "usufruit" et "nue-propriété". L'usufruit est un simple droit d'usage qui accorde à son bénéficiaire (le conjoint du défunt) des avantages limités (habiter, ou encaisser un revenu) mais non pas le droit de vendre le bien sous-jacent (l'habitation). Ce droit appartient aux propriétaires (les descendants immédiats) qui bénéficient de la nue-propriété[14].

Notes et références

  1. Pierre-Joseph Proudhon, Théorie de la propriété, Paris, A. Lacroix, Verboeckhover et Cie., (lire sur Wikisource), « Chapitre II. », p. 67-75
  2. Coriat Jean-Pierre. La notion romaine de propriété : une vue d'ensemble. In: Le sol et l’immeuble. Les formes dissociées de propriété immobilière dans les villes de France et d’Italie (XIIe – XIXe siècle) Rome : École Française de Rome, 1995. p. 17-26. (Publications de l'École française de Rome, 206) lire en ligne
  3. Sur doc-du-juriste.com
  4. droit-cours.fr
  5. Article 714 Créé par Loi 1803-04-19 promulguée le 29 avril 1803. legifrance.gouv.fr
  6. Trésor de la langue française informatisé
  7. On peut toutefois dire que les deux sens sont deux modalités de la même chose, traitée respectivement sur le mode "être" et sur le mode "avoir"
  8. « la propriété, c'est la liberté » ; « la propriété est la seule force qui puisse servir de contre-poids à l'État »in Théorie de la propriété, 1863-1864, posthume
  9. Rapporté par Le Monde daté du 17 mars 2007, dépêche AFP du 16 mars 2007.
  10. lemonde.fr, Le Monde 23/02/08, Cette terre est à nous, foi de paysans
  11. Hernando de Soto : "Il faut faire fructifier la richesse des pauvres", Le Monde 2, 07/11/08
  12. L'enjeu du salaire, et "Faut-il fixer des limites à la propriété ?", ou Entretien "#2 Bernard Friot : Définitions et distinctions fondamentales", 1 min 06 s à 6 min.
  13. CERAS - Doctrine sociale de l'Église catholique - Propriété
  14. Jean-Pierre Delas, Économie contemporaine, Faits, concepts, théories, Paris, Éditions Ellipses, 751 p., p. 22-23

Annexes

Articles connexes

Liens externes

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