Habitat lorrain
Lâhabitat lorrain dont lâaire sâĂ©tend au-delĂ de la rĂ©gion lorraine se dĂ©finit dans les grandes lignes par la prĂ©dominance du village-rue composĂ© de maisons blocs plus ou moins jointives. Lâorganisation interne de la maison unifaĂźtiĂšre se fait par des travĂ©es souvent profondes perpendiculaires Ă la rue. La cuisine dans la travĂ©e habitation occupe une place centrale comme lieu de vie spontanĂ© et comme espace distributeur vers les autres piĂšces. La maison dâesprit lorrain offre gĂ©nĂ©ralement le mur gouttereau cĂŽtĂ© rue de sorte que les ouvertures permettent de lire la façade travĂ©e par travĂ©e.
Son trait distinctif visible pour tout un chacun est le frontage public beaucoup plus large que dans les autres rĂ©gions historiques de lâEurope occidentale. De fait, le terrain privĂ© entre la limite de propriĂ©tĂ© et la façade de la maison est minuscule alors que le domaine public ou plutĂŽt communal occupe lâessentiel de lâespace entre deux riverains en vis-Ă -vis. Chaque propriĂ©taire riverain obtient nĂ©anmoins un droit dâusage ou usuaire[1] - [2] pour lâutilisation de la parcelle communale devant sa maison : cet usuaire prend localement le nom dâusoir pour dĂ©signer Ă la fois lâespace concernĂ© et la libertĂ© dâen jouir Ă des fins personnelles. Un autre trait distinctif de lâhabitat lorrain historique fut longtemps lâemploi de la tuile canal[3] pour la couverture des versants asymĂ©triques et peu inclinĂ©s des toits[4]; cela fait de la Lorraine un Ăźlot de la tuile canal au nord de la France puisquâelle est gĂ©nĂ©ralement plutĂŽt rĂ©pandue dans les rĂ©gions mĂ©diterranĂ©ennes[3]. Ceci Ă©tant, la tuile mĂ©canique a remplacĂ© Ă tort ou Ă raison la tuile canal traditionnelle Ă partir de la fin du XIXe siĂšcle.
Le schĂ©ma lorrain basique rĂ©sumĂ© ci-dessus par lâalignement, les travĂ©es modulables et le mur gouttereau face Ă la rue ne rĂ©siste toutefois pas aux contraintes du relief et de la fertilitĂ© des sols, ni ne peut sâaffranchir des influences architecturales des aires culturelles et historiques limitrophes. La Lorraine se caractĂ©rise en effet par sa vocation de terre de transition[5] entre le monde roman Ă lâouest et la sphĂšre germanique Ă lâest[6] - [7]. Pour cerner lâhabitat lorrain dans sa pluralitĂ© et apprendre Ă dĂ©chiffrer le bĂąti rural lorrain, et ainsi sâorienter plus facilement Ă lâintĂ©rieur de lâaire architecturale lorraine, il suffira dâobserver les variantes souvent flagrantes du modĂšle de base parmi lesquelles on retiendra surtout lâabandon de la mitoyennetĂ©, le choix du pignon sur rue, la prĂ©fĂ©rence pour un toit plus inclinĂ© avec ou sans croupe, lâextension par un appentis sur le frontage public, lâorientation divergente des travĂ©es, la prĂ©fĂ©rence pour la tuile Ă©caille de type alsacien[3] - [8] ou les bardeaux des zones montagneuses[9] - [10] ou bien encore la construction en pan de bois[11].
Outre l'architecture vernaculaire de la Lorraine fortement marquée par sa ruralité et son attachement profond aux traditions locales, quelques particularités souvent d'origine historiques émergent dans l'habitat urbain lorrain bien que, dans les grandes lignes, il faut reconnaßtre que la maison du citadin s'intÚgre à une aire architecturale beaucoup plus vaste au nord de la France.
Habitat lorrain avant le XVIIe siĂšcle
Précocité de la linéarité et du gouttereau sur rue
Comme lâhabitat rural lorrain est souvent ramenĂ© Ă la maison unifaĂźtiĂšre Ă structure longitudinale, perpendiculaire Ă la rue et quasi systĂ©matiquement jointive, la tentation dây voir un modĂšle historique plurisĂ©culaire est trĂšs grande. Les historiens de lâarchitecture ne peuvent pas remonter plus loin que le XVIe siĂšcle, pĂ©riode pour laquelle il reste quelques anciennes maisons et en particulier une trentaine de villages par colonisation agraire en Lorraine du Nord-Est construit entre 1504 et 1630. La maison bloc antĂ©rieure au XVIIe siĂšcle hĂ©berge plusieurs gĂ©nĂ©rations mais le phĂ©nomĂšne se poursuit jusquâau XIXe siĂšcle[12].
De fait, le cataclysme de la guerre de Trente Ans ayant ravagé[13] les régions françaises qui appartenaient à cette époque au Saint-Empire romain germanique fait figure de tournant historique dans de nombreux domaines[6] - [7]. Pour le bùti rural, les destructions massives des villages pillés, incendiés et parfois disparus ont provoqué une recolonisation colossale des terres pour restaurer les maisons abandonnées et pour en construire de nouvelles.
Ceci Ă©tant, lâĂ©vĂ©nement charniĂšre de la guerre de Trente Ans nâa pas provoquĂ© un bouleversement complet des habitudes architecturales mais plutĂŽt une gĂ©nĂ©ralisation ou un perfectionnement presque excessif du village-rue Ă partir du XVIIe siĂšcle. LâhypothĂšse dâune « romanisation » des terres germanophones Ă lâest de la frontiĂšre linguistique du XVIIe siĂšcle a Ă©tĂ© avancĂ©e pour expliquer le recul des maisons Ă pan de bois en Moselle : des colons venus du royaume de France se sont en effet installĂ©s dans des villages du nord-est de la Lorraine qui avaient besoin d'ĂȘtre repeuplĂ©s[6], sachant que ces individus provenaient de rĂ©gions oĂč la pierre de construction Ă©tait la norme.
Lâhistorien spĂ©cialiste de la Lorraine, Guy Cabourdin, a mis en avant la raretĂ© du gros fermier aisĂ© en Lorraine centrale par opposition Ă la gĂ©nĂ©ralisation de la petite et la moyenne propriĂ©tĂ©. Un laboureur, donc au sens local le propriĂ©taire le mieux placĂ© dans la hiĂ©rarchie sociale du village, se dĂ©finit par le nombre de charrue, de jours de terre, de fauchĂ©es de prĂ©s et au nombre de travĂ©es dans la maison. Le laboureur moyen possĂšde une charrue ou une demi-charrue, maximum 50 jours de terre (environ 10 ha), dix fauchĂ©es de prĂ©s, une chĂšneviĂšre et une maison Ă deux travĂ©es. Entre 8 et 12 ha sont nĂ©cessaires Ă cette Ă©poque pour vivre correctement quand on est une famille de 5 personnes[14]. Le laboureur aisĂ© se reconnaĂźt par consĂ©quent par sa maison Ă trois travĂ©es, ses terres plus importantes entre autres.
Au XVIe siĂšcle, lâinfluence de la ville sur la campagne croĂźt de plus en plus. En Lorraine, le noble campagnard vivant au milieu de la population paysanne nâest pas une tradition. Il possĂšde certes des fiefs ruraux dont il est le seigneur mais il nây habite pas en dehors des visites temporaires : ce sont en effet les fermiers qui cultivent la terre[14]. Les citadins qui se sont enrichis ont Ă©tĂ© Ă©galement acquis des biens dans les campagnes de sorte quâil nâest pas incongru de penser que les modes architecturales urbaines ont pu influencer le bĂąti rural.
AprĂšs la guerre de Trente Ans qui engendre une croissance dĂ©mographique et le retour Ă une prospĂ©ritĂ© stable qui aura tout de mĂȘme nĂ©cessitĂ© plus de trois dĂ©cennies, les villages sont en phase de reconstruction et repeuplement : lâancien bĂąti peut ĂȘtre repris ou occupĂ© par des nouveaux colons, les espaces encore vides sont occupĂ©s et la jointivitĂ© se gĂ©nĂ©ralise[12] - [n 1].
Les villages de colonisation de type agraire[15] construits ex nihilo principalement en Lorraine du Nord-Est Ă partir du XVIe siĂšcle reproduisent logiquement le schĂ©ma global des villages prĂ©existants Ă la seule diffĂ©rence prĂšs quâils appliquent Ă la lettre la rĂšgle de lâĂ©quitĂ© et de lâĂ©galitĂ© entre tous les membres de la communautĂ© villageoise[15]. Les lots Ă©gaux sur lesquels la maison sera bĂątie avec son mur gouttereau parallĂšle Ă la rue sont tirĂ©s au sort. La rue est extrĂȘmement large entre les rangĂ©es de maisons. Les unitĂ©s de mesure Ă©tant diffĂ©rentes entre la Lorraine romane et la Lorraine germanophone, la mitoyennetĂ© et la construction en profondeur se sont quasiment imposĂ©es dâelles-mĂȘmes en Lorraine romane puisque la largeur du terrain nâexcĂ©dait pas 6 toises lorraines, soit environ 17 m pour le laboureur.
La parcelle dâun laboureur dans un village de colonisation en terres romanes faisait par consĂ©quent 17 m de largeur et 150 Ă 200 m de profondeur. La ferme bĂątie sur ce terrain atteignait une surface de 250 Ă 400 m2. Le lot dâun manouvrier faisait environ 3 toises, soit 70 Ă 100 m de profondeur. En Lorraine germanophone, donc dans le bailliage d'Allemagne, la mitoyennetĂ© nâest pas encore systĂ©matique car la surface des lots est multipliĂ©e par quatre ; la largeur dâun lot sâĂ©lĂšve Ă 68 m.
Les exemplaires de maisons bĂąties avant le conflit europĂ©en de 1618-1648 convergent vers un modĂšle trĂšs proche de la maison du village-rue actuelle : il est de plan rectangulaire avec le mur gouttereau cĂŽtĂ© rue. La division en travĂ©es ou « rains » existe dĂ©jĂ et il sâagit dâune maison bloc. La seule grande divergence est la mitoyennetĂ©. Si les maisons Ă©taient jointives, elles lâĂ©taient par deux tout au plus[12]. Donc lâun des deux pignons Ă©tait percĂ© dâouvertures comme câest toujours le cas avec la maison des Vosges grĂ©seuses non jointive aujourdâhui. La mitoyennetĂ© par deux maisons pignon contre pignon rappelle Ă©galement le schĂ©ma de la maison Ă appentis (Schopphus) dâAlsace bossue dĂ©crite plus bas. Pour les maisons de manouvriers, la maison se composait au deux tiers de la grange et de lâĂ©table qui enserre la partie habitation plus rĂ©duite.
Construction en bois massif empilé
Lâarchitecte lunĂ©villois Charles-Augustin Piroux Ă©voque au XIXe siĂšcle dans son ouvrage consacrĂ© Ă la prĂ©vention des incendies dans lâhabitat lorrain lâexistence de 130 maisons forestiĂšres dans le pays de la VĂŽge, et particuliĂšrement les environs de Darney[16]. Il sâagit de bĂątisses en rondins empilĂ©s assemblĂ©s par enture Ă mi-bois en T aux angles de lâĂ©difice. Une fois terminĂ©es, les grumes sont revĂȘtues de terre. Il nâest pas exclu que ce type dâassemblage en bois massif remonte au Moyen Ăge[17]pour les rĂ©gions trĂšs boisĂ©es Ă lâĂ©cart des voies de communication majeures. De mĂȘme, rien nâinterdit de penser Ă une influence des artisans immigrĂ©s venus des pays des moyennes montagnes dâEurope centrale oĂč la construction en rondins Ă©tait trĂšs rĂ©pandue.
Non loin de Darney plus Ă l'est et plus en altitude, EugĂšne Viollet-le-Duc dĂ©crit et propose un croquis de la maison en rondins empilĂ©s des montagnes vosgiennes dans le secteur de GĂ©rardmer dans son Dictionnaire raisonnĂ© de lâarchitecture française du XIe au XVIe siĂšcle. Il brosse le portrait de cette maison-chalet en ces termes:
« En nous rapprochant des bords du Rhin, dans les provinces de l'Est, dans les montagnes des Vosges, prĂšs des petits lacs de GĂ©rardmer et de Retournemer, on voit encore des habitations de paysans qui prĂ©sentent tous les caractĂšres de la construction de bois par empilage. Basses, larges, bien faites pour rĂ©sister aux ouragans et pour supporter les neiges, elles ont un aspect robuste. Presque toujours ces maisons se composent de trois piĂšces Ă rez-de-chaussĂ©e et de quatre piĂšces sous comble. Le plan A d'une de ces maisons, prise au niveau du rez-de-chaussĂ©e, prĂ©sente en B la salle d'entrĂ©e, de laquelle on passe ou dans la grande salle C, ou dans l'arriĂšre-piĂšce D qui possĂšde l'unique escalier montant au premier Ă©tage sous comble. C'est dans la salle C, Ă©clairĂ©e par les deux bouts, que se rĂ©unit toute la maisonnĂ©e pour les repas et la veillĂ©e. C'est aussi dans cette piĂšce que se prĂ©parent les aliments. Une grande cheminĂ©e avec pieds-droits, contre-cĆur, manteau et tuyau en maçonnerie, traverse la toiture. C'est la seule partie du bĂątiment qui, avec les socles, ne soit pas en bois. La couverture est faite ou en tuiles, ou en grĂšs schisteux, ou en lames minces de grĂšs; de plus elle est chargĂ©e de pierres. Les maisons s'Ă©lĂšvent sur un soubassement de 1 m de hauteur environ, formĂ© de gros blocs de grĂšs. Un pan de bois composĂ© de troncs d'arbres assez grossiĂšrement Ă©quarris sĂ©pare la masure dans sa longueur par le milieu, et supporte l'extrĂ©mitĂ© supĂ©rieure des chevrons[18] »
D'un cÎté, on reconnaßt trÚs bien le caractÚre montagnard de cette bùtisse avec la surreprésentation du bois dans la construction, la disposition sur la pente face à la vallée et l'allure de chalet avec un large toit moyennement incliné et alourdi par des pierres comme dans les Alpes. De l'autre, le dessin peut surprendre un Haut-Vosgien contemporain à cause de la décoration du pignon qui rappelle davantage la maison norvégienne voire l'isba russe: on reconnaßt clairement le motif ornemental croisé au-dessus du pignon et le protomé à l'extrémité de la panne faßtiÚre qui traverse en saillie la croisée des deux chevrons extérieurs. Cet ornement double au sommet du pignon se retrouve dans les bùtiments principaux ou annexes des fermes norvégiennes jusqu'au XIXe siÚcle de maniÚre courante. Les chevrons ou planches de rive croisés ornent encore de nombreux bùtiments de Scandinavie à l'heure actuelle. Ceci étant, le croquis n'est pas assez précis pour déterminer de maniÚre univoque quel animal protecteur a été choisi dans cette maison-chalet vosgienne. Le protomé semble représenter un chat à cause des oreilles pointues alors que l'extrémité des poutres de rive croisées évoquent davantage le poisson ou le serpent. Autant les deux derniers animaux font partie des emblÚmes trÚs fréquents en Europe du Nord, autant le chat paraßt bizarre dans le contexte vosgien.
Un autre aspect dĂ©tonne par rapport Ă la maison haute-vosgienne actuelle : la couverture. Les laves de grĂšs Ă©taient certes rĂ©pandues dans la VĂŽge voisine mais les maisons qui nous sont parvenues jusqu'au dĂ©but du XXe siĂšcle dans les Hautes-Vosges disposaient plutĂŽt d'un toit de bardeaux Ă l'image des tavaillons jurassiens ou alpins. Le schiste et le grĂšs ne sont pas des roches particuliĂšrement prĂ©sentes dans les hautes vallĂ©es vosgiennes oĂč dominent les roches cristallines. Il Ă©tait plus facile pour un paysan haut-vosgien de se procurer et de travailler du sapin ou de l'Ă©picĂ©a pour fendre des bardeaux ou des "essins" que du grĂšs schisteux. Si es observations de Viollet-le-Duc sont exactes, les laves de grĂšs se seraient uniquement maintenues dans la zone relictuelle des forĂȘts de la VĂŽge aprĂšs avoir connu une aire d'extension plus vaste.
Le croquis des piĂšces pousse Ă penser qu'il ne s'agit pas forcĂ©ment d'une maison d'habitation en fond de vallĂ©e mais plutĂŽt d'une « grange » sur les hauteurs, mais pas encore sur les hautes chaumes. La maison-bloc ne prĂ©sente pas de travĂ©e apparente : c'est une vraie maison-bloc. Ă l'instar des mayen valaisan, il pourrait davantage s'agir d'une grange de printemps oĂč monte une partie de la famille Ă mi-hauteur avant l'estive sur les chaumes, endroit oĂč seuls les hommes et le gamin avaient le droit de monter. Ce n'est pas une marcairie sommaire des hautes chaumes car elle dispose d'une cheminĂ©e totalement maçonnĂ©e jusqu'au toit, caractĂ©ristique de la ferme vosgienne contemporaine.
Le pan de bois jusquâau XVIe siĂšcle
La faible reprĂ©sentativitĂ© des maisons Ă pan de bois aujourdâhui ne doit pas ĂȘtre interprĂ©tĂ©e de maniĂšre hĂątive selon les derniers travaux de recherches universitaires qui combinent les sources Ă©crites, iconographiques et archĂ©ologiques modernes. Les guerres, qui ont dĂ©vastĂ© la Lorraine Ă intervalles rĂ©guliers jusquâau point culminant de la guerre de Trente Ans ne peuvent Ă elles seules expliquer le passage dâune rĂ©elle architecture vernaculaire en bois dans les campagnes et mĂȘme les villes des XIIIeâââXVIe siĂšcles de lâarchitecture en pierre des XVIIeâââXVIIIe siĂšcles[17].
Lâhistorien lorrain et ancien conservateur du MusĂ©e lorrain, Jacques Choux penche pour la thĂšse dâun repli du pan de bois Ă lâintĂ©rieur du bĂątiment[20]. Le fait que pendant trĂšs longtemps la pierre nâest jamais Ă©tĂ© utilisĂ©e pour les parois intĂ©rieures de la maison lorraine et que le poutrage souvent apparent ait servi Ă bien dĂ©limiter les travĂ©es semble corroborer cette thĂšse. Seule lâossature bois externe aurait Ă©tĂ© remplacĂ©e au mitan du XVIe siĂšcle par des Ă©lĂ©vations maçonnĂ©es qui ont par ailleurs nĂ©cessitĂ© des techniques dâadaptation et de compensation que la littĂ©rature spĂ©cialisĂ©e dĂ©taille davantage[17].
En dehors du fait Ă©vident que les chaumiĂšres et les maisons Ă pan de bois des villages ravagĂ©s et pillĂ©s nâont pas laissĂ© de traces probantes dans le terrain, ni nâont pas Ă©tĂ© reconstruites Ă lâidentique, dâautres arguments ont affectĂ© la pratique du pan de bois en Lorraine de la Meuse aux contreforts vosgiens. Ă partir du XVIIIe siĂšcle, la demande est trĂšs forte dans les communes pour limiter les risques dâincendie dus au bois; avant dâen arriver lĂ , il est fort probable que de nombreux incendies de grande ampleur ont eu lieu prĂ©cĂ©demment en provoquant une saturation dans la population ; les autoritĂ©s rĂ©gionales et locales ont fini par rĂ©clamer la limitation du bois de construction en extĂ©rieur voire par interdire lâutilisation des bardeaux comme couverture de toit dans les bourgs vosgiens oĂč les maisons sont bĂąties en pierres. Câest par exemple le cas Ă BruyĂšres oĂč il faudra attendre la fin du XVIIIe siĂšcle pour que les pouvoirs publics locaux bannissent les bardeaux dans la ville et exigent quâon les remplace par des tuiles. Lâhistorien Henri Lepage donne lâexemple de BruyĂšres qui a connu quatre incendies en 1702, 1745, 1773 et 1779 ; le fait quâĂ chaque fois la population du bourg a reposĂ© des bardeaux sur les toits jusquâau gros incendie de 1779 prouvent que la tradition Ă©tait tenace ou que les moyens financiers manquaient tout simplement pour faire poser une couverture en tuiles. Car lâarrĂȘt du Conseil du duc Stanislas du prescrivait dĂ©jĂ aux habitants de Lorraine de couvrir leur maison en tuiles ou autres matiĂšres non inflammables[21]. Un mĂ©moire dans le fonds de lâIntendance de Lorraine est citĂ© par Lepage pour lâillustrer :
« La ville est composĂ©e de 177 maisons, y compris celles de la nouvelle place. Toutes ces maisons, mĂȘme celles de la place[n 2], sont couvertes en bardeaux, les uns de chĂȘne, les autres de sapin ; un accident de feu est la chose du monde la plus Ă redouter. La facilitĂ© effrayante avec laquelle lâincendie sec communiqueroit, le rendroit bientĂŽt gĂ©nĂ©ral ; cependant on nâa pris jusquâĂ prĂ©sent aucune prĂ©caution pour Ă©viter un pareil malheur : il nây a Ă la ville ny eaux, ny sceaux, ny pompes Ă feu[21] »
.
Le dernier argument en faveur de la pĂ©trification de lâhabitat lorrain des campagnes et des petites villes est dâordre Ă©conomique. La Lorraine a besoin de prĂ©server ses forĂȘts pour alimenter son industrie dĂ©voreuse de bois (verreries, forges, salines, mines) et parce quâune bonne partie du bois flottĂ© vosgien est exportĂ© vers le nord et lâouest. Une saline comme celle de Marsal peut engloutir en un an lâĂ©quivalent du quart de la consommation en bois de chauffage de la ville de Nancy[n 3].
Plusieurs chantiers de fouilles en Lorraine montrent la prĂ©sence indiscutable des constructions Ă ossature de bois totale ou partielle comme celle Jean-Denis Laffite Ă Vic-sur-Seille, une citĂ©-saline qui dĂ©pendait du temporel de la principautĂ© Ă©piscopale de Metz pendant le Saint-Empire romain germanique. Les travaux de fouilles mettent au jour plus dâun millĂ©naire de constructions les plus diverses : bĂątisses Ă poteaux plantĂ©s, maisons en torchis sur solin avant lâarrivĂ©e des fondations maçonnĂ©es[22].
En Lorraine, il semble acquis que plusieurs façades gouttereaux des XVeâââXVIe siĂšcles donnant sur la rue Ă©taient pourvues dâune ossature bois en encorbellement. Malheureusement, il existe peu de traces iconographiques pour le documenter. La gravure reprĂ©sentant les bains de PlombiĂšres dans les Vosges montre clairement des Ă©tages en encorbellement sur les maisons de chaque cĂŽtĂ© de la rue. Dans la mesure oĂč le bĂąti antĂ©rieur au XVIIe siĂšcle ne nous est pas parvenu jusquâĂ nos jours, il ne reste que les travaux de fouilles de villages disparus comme Ă Vallange, commune de Vitry-sur-Orne pour tenter de reconstituer la maison en pan de bois antĂ©rieure pour les Temps modernes.
Structure des villages
La structure du village lorrain est trÚs fréquemment de type village-rue, regroupant de part et d'autre d'une rue principale des maisons-fermes. Ce type de structure a été adopté aprÚs la guerre de Cent Ans, les villages ayant été détruits par la guerre. La forme du village facilite le déplacement, le transport des produits agricoles, et correspond à un usage économique et social des sols dont les prairies dévolues au bétail commencent à l'arriÚre des habitations alignées.
Dans les régions de la Lorraine traditionnellement dominées par l'activité viticole, le bùti se dote d'une cave voûtée semi-enterrée, avec un accÚs contre la façade, ce qui a pour effet de relever le niveau principal de l'habitation, créant un escalier à perron depuis la rue.
- L'architecture du pays messin est marquée par des façades de pierre ocre (pierre de Jaumont) et de toit à pente relativement faible.
- Au Nord-Ouest de la Moselle, il y a des maisons de type luxembourgeoises (ardoise), par exemple Ă Ăvrange.
Caractéristiques des maisons rurales
CritÚres typologiques récurrents de l'habitat lorrain
a : homme-debout, poteau ; b : aisselier ; f : arbalétrier ; g : panne faßtiÚre ; i : contrefiche ; j : cheville.
adapté de : Claude Gérard, L'Architecture rurale française. Lorraine : corpus des genres, des types et des variantes, (coll. dir. par Jean Cuisenier), éd. Berger-Levrault, 1981 (ISBN 2-7013-0407-5), p. 73
La « maison lorraine » ou « habitation rurale de type lorrain » est dĂ©crite par les gĂ©ographes français de la premiĂšre moitiĂ© du XXe siĂšcle comme Ă©tant tout dâabord une Maison Bloc Ă terre, abritant sous un mĂȘme toit les hommes, les bĂȘtes et les rĂ©coltes. Son dĂ©veloppement est en profondeur (pignons plus longs que gouttereaux). Elle a une toiture Ă deux eaux, le faĂźtage Ă©tant parallĂšle Ă la rue. Les versants sont de faible pente et couverts en tuiles creuses. Le bĂątiment est mitoyen, par ses pignons, avec deux autres maisons. La façade est mĂ©nagĂ©e dans le gouttereau sur rue. Lâagencement intĂ©rieur est marquĂ© par des refends bas perpendiculaires au gouttereau façade, dĂ©limitant trois « rangs » (terme local) ou « travĂ©es » (terme savant), lâune pour le logement des humains, une autre pour celui du bĂ©tail, une troisiĂšme pour lâengrangement. Ă chaque « travĂ©e » correspond en façade une ouverture propre : une porte monumentale pour la grange, une porte plus basse pour lâĂ©table, un portillon pour la cuisine. La travĂ©e de la grange, dĂ©plafonnĂ©e, communique avec le vaste grenier au-dessus des autres travĂ©es[23].
Suivant les diverses aires culturelles et géographiques de la région, on trouve les composants architecturaux récurrents que sont :
- l'usoir ou parge, qui détermine, dans les zones à dominante agricole, au-devant de la façade, un espace ample, utile au dépÎt d'outils agricoles, de fumier et de charrettes ;
- la travée ou rang, division fonctionnelle d'une maison ;
- le couloir ou corridor, entre la travée d'habitation et la travée d'exploitation, permettant l'accÚs aux cours et bùtiments arriÚre ;
- le poĂȘle ou belle chambre, salle principale donnant sur la rue ;
- la flamande, puits de lumiÚre fréquemment ouvert à travers la toiture pour éclairer la cuisine, la maison en bande ne disposant pas d'ouvertures dans les pignons ;
- l'alcÎve, renfoncement ménagé dans une chambre pour y placer un ou plusieurs lits et qu'on pouvait fermer pendant la journée ;
- la cheminée ou ùtre[24].
Deux grands types de charpentes se rencontrent dans les fermes du village-rue lorrain[25] :
- d'une part un alignement axial de poteaux portant la faĂźtiĂšre,
- d'autre part deux alignements parallÚles de poteaux portant des fermes à poinçon.
- village-rue en Meurthe-et-Moselle.
- Meurthe-et-Moselle.
- Petite maison lorraine typique (Vosges).
- Ancienne ferme traditionnelle (Vosges).
- Habitations en Meuse.
- Meuse.
- Maison lorraine en Moselle.
- Maison Lorraine Ă Hemmersdorf (Sarre).
Organisation intérieure et lecture des travées en façade
ModĂšle des Hautes-Vosges
Aspects généraux
ConformĂ©ment au schĂ©ma lorrain, la maison-bloc des Vosges granitiques comporte trois travĂ©es parallĂšles aux murs pignons : les rangs ou « rains » de lâhabitation, de la stabulation et de lâengrangement. NâĂ©tant pas mitoyenne, elle a des ouvertures sur tous les cĂŽtĂ©s mais Ă des degrĂ©s divers suivant son orientation et surtout la nature du terrain. Le modĂšle varie quelque peu suivant quâil se trouve en fond de vallĂ©e ou Ă mi-pente ou sur les hauteurs. A priori quelques aspects rĂ©currents se retrouvent dans tous les modĂšles.
CĂŽtĂ© ensoleillĂ©, la travĂ©e habitation longe tout le mur pignon avant ; lâaccĂšs se fait sur le cĂŽtĂ© soit par la porte (en patois lâeuhhe, prononcĂ© : [ĆÏ]) qui ouvre sur un couloir qui mĂšne directement Ă la cuisine centrale, soit par la porte cochĂšre (en patois la grande pouĂŽte) qui aboutit directement sur le « chairu » faisant fonction dâespace distributeur vers toutes les travĂ©es. La travĂ©e Ă©table est gĂ©nĂ©ralement placĂ©e du cĂŽtĂ© des intempĂ©ries et le long du chemin dâaccĂšs communal. Si la maison est bĂątie dans la pente, lâĂ©table est quasi enfouie dans le sol. Ă noter que dans les Vosges on ne dit pas dans le langage courant « Ă©table » mais « Ă©curie » y compris pour les vaches. Comme la partie engrangement se trouve au-dessus de lâĂ©table, le mur pignon de ce cĂŽtĂ© se caractĂ©rise par son Ă©norme bardage ou essentage de planches pourvu dâune porte dâaccĂšs au grenier avec ou sans passerelle pour y accĂ©der. Cette façade couverte de planches sâappelle localement une « ramĂ©e » (En patois ramaye ou ramĂšye). Toutes les maisons des Hautes-Vosges ne sont pas forcĂ©ment situĂ©es au droit. Câest pourquoi il se peut que le schĂ©ma classique du pignon habitĂ© face Ă la vallĂ©e se retrouve de lâautre cĂŽtĂ© face Ă la pente et la forĂȘt quand la ferme est construite sur lâenvers.
Ă lâorigine, le toit toujours Ă deux pans trĂšs larges et peu inclinĂ©s Ă©tait couvert de bardeaux[3] appelĂ©s localement « essins » (en patois Ă©hhi, prononcĂ© : [eÏÉȘ]) qui protĂ©geaient Ă©galement les murs soumis aux intempĂ©ries. La ramĂ©e qui recouvre toute la partie triangulaire supĂ©rieure du pignon rattache la maison des Vosges granitiques Ă la famille des maisons montagnardes comme celles quâon trouve dans le Doubs, le Jura et la Haute-Savoie. Le fait quâelle offre au regard dâabord le mur pignon et non le mur gouttereau comme câest le cas pour la maison du Plateau lorrain renforce ce profil de maison de moyenne montagne. En traversant la Lorraine du Nord au Sud, le voyageur sait quâil a quittĂ© le Plateau lorrain, puis les Vosges grĂ©seuses quand il voit face Ă lui les larges murs pignons des maisons de la montagne vosgienne. La plus forte reprĂ©sentation du bois comme matĂ©riau de construction dans lâhabitat renforce lâimpression dâentrer dans une autre zone architecturale tout en restant dans la mĂȘme aire culturelle lorraine.
La cohabitation avec les voisins nâĂ©tait pas de mise. Au contraire, suivant la localisation de la maison, la vie des occupants prenait souvent un caractĂšre autarcique sans contact quotidien avec les voisins, notamment en hiver. Ceci Ă©tant, lâesprit de vallĂ©e ou de voisinage proche a jouĂ© un rĂŽle majeur dans la vie des Vosgiens comme on peut dâailleurs le retrouver dans de nombreuses rĂ©gions montagneuses dâEurope centrale et septentrionale. Lâentraide entre les fermes voisines mĂȘme au-delĂ de 2 km de distance sâimposait presque de soi pour faire face aux multiples tĂąches de la vie quotidienne nĂ©cessitant machines, outils et bĂȘtes.
Il est vain de fixer des rĂšgles gĂ©nĂ©rales pour lâorientation de la maison vosgienne. Chaque implantation dĂ©pend de la configuration du terrain et des conditions mĂ©tĂ©orologiques. Cela influent directement sur la prĂ©sence plus ou moins importante du bardage sur les murs plus exposĂ©s aux intempĂ©ries. Sâil y a une pente, le mur pignon on sera toujours perpendiculaire Ă la pente, travĂ©e habitation placĂ© au droit, travĂ©e Ă©table si lâorientation est vraiment dĂ©favorable.
LâentrĂ©e principale se fait toujours par le cĂŽtĂ© du mur gouttereau et cette façade doit ĂȘtre Ă lâabri des vents et de la pluie. Les deux vent dĂ©sagrĂ©ables dans les Vosges sont la bise (en vosgien bĂźhe, prononcĂ© : [biËh]) et le vent dominant qui apporte la pluie (en vosgien vo dĂš pieuye, prononcĂ© : [vo dÉ pyĂžy], mot Ă mot « vent de pluie »). Câest pourquoi les parties habitables des bĂątiments Ă©vitent autant que possible lâorientation au nord-nord-est et Ă lâouest voire sud-ouest. Les deux vents correspondent en fait aux deux zones climatiques majeures qui influent sur le temps dans la montagne vosgienne Ă cheval entre le climat ocĂ©anique et le faciĂšs continental. Une quarantaine de jours apportent le climat dâEurope centrale avec les gelĂ©es et la neige pendant que le reste de lâannĂ©e les dĂ©pressions venant de lâouest affectent fortement les conditions climatiques vosgiennes[n 4].
Extension et implantation
La ferme des Hautes-Vosges correspond grosso modo au relief des vallĂ©es glaciaires et des fonds de vallĂ©e plat plus larges que ceux des vallĂ©es voisines des Vosges grĂ©seuses trĂšs resserrĂ©es, souvent boisĂ©es et peu habitĂ©es (VallĂ©e en V). CĂŽtĂ© lorrain, elle monte plus en altitude mais sâarrĂȘte en dessous de 1 000 m. Au niveau des crĂȘtes, on trouve davantage des bĂątiments dâestive plus rudimentaires occupĂ©s uniquement Ă la belle saison[26]. La forte majoritĂ© de ces granges dâaltitude sont nĂ©anmoins du cĂŽtĂ© haut-rhinois.
La ferme des Hautes-Vosges est associĂ©e par commoditĂ© excessive au massif cristallin ; il convient de nuancer un peu car les fermes du type submontagnard dĂ©marrent dĂ©jĂ en marge des zones cristallines comme dans la vallĂ©e de la Haute Moselle ou dans celle de la Cleurie oĂč on trouve des maisons de ce type organisĂ©es en hameau. Elles sont attestĂ©es aussi dans la vallĂ©e de la basse et moyenne Vologne, la vallĂ©e du NeunĂ© sur le pourtour grĂ©seux. Ă lâinverse, le massif cĂŽtĂ© Haut-Rhin est Ă©galement cristallin mais le type de maison nâest pas celui des Hautes-Vosges tout en restant lorrain dâesprit. Les fermes du type Vosges grĂ©seuses sâinsĂšrent parfois dans les Vosges granitiques dans le fond des vallĂ©es par exemple. La maison de montagne sâintĂšgre davantage Ă lâhistoire des dĂ©frichement, acensements et essartages successifs dans les anciennes prĂ©vĂŽtĂ©s montagnardes dâArches, BruyĂšres et Saint-DiĂ©[26] Elle rĂ©pond de facto Ă une dynamique de mise en valeur des terres gagnĂ©es sur la forĂȘt, sur les pentes et les coteaux plus ou moins inclinĂ©s dans des rĂ©gions au climat trĂšs rude ou irrĂ©gulier sur lâannĂ©e[27]. Lâorganisation intĂ©rieure lui permet de vivre et de travailler dans la maison sans en sortir grĂące au chairu et grĂące Ă sa grande capacitĂ© dâengrangement pour les longs hivers. La ferme principale peut ĂȘtre complĂ©tĂ©e par une grange, ferme identique mais de plus petite taille situĂ©e plus haut en altitude, et parfois aussi par une grange ou chalet sur une chaume au confort spartiate[26]. Cet exemple de lettre dâacensement en date du donne une idĂ©e du contexte d'Ă©rection de ces fermes isolĂ©es :
« Par cette lettre, il Ă©tait accordĂ© Ă perpĂ©tuitĂ© Ă Petit Jehan Perrin, de GĂ©rardmer, un terrain vague situĂ© Ă Noirvoye, de la contenance de vingt charrĂ©es de foin, ce qui reprĂ©sente environ 8 ha. Le ruisseau formait limite dâun cĂŽtĂ©, les trois autres cĂŽtĂ©s se perdaient dans des feignes. Petit Jehan Perrin devait convertir le terrain, Ă lui concĂ©dĂ©, en nature de prĂ©. Il pouvait y bĂątir une grange, câest-Ă -dire une maison pour y loger son bĂ©tail et sa rĂ©colte de foin. De plus, il avait Ă perpĂ©tuitĂ© Ă©galement le droit de conduire son bĂ©tail au pĂąturage dans la forĂȘt et la montagne avoisinantes[28]. »
Câest pourquoi, mĂȘme si ce nâest pas systĂ©matiquement le cas, câest la maison sur la pente qui est choisie pour dĂ©crire ce modĂšle de maison traditionnel. Pour rĂ©sumer, la ferme montagnarde surplombe son terrain car elle est bĂątie dans la partie supĂ©rieure du domaine mais pas complĂštement tout en haut. Du fond de la vallĂ©e, on remarque la large façade blanchie Ă la chaux surmontĂ©e de la ramĂ©e du pignon. La forĂȘt nâest pas loin derriĂšre. Le bĂątiment principal de la ferme est Ă la croisĂ©e des deux axes vitaux pour la vie des hommes et des bĂȘtes : lâaxe horizontal est formĂ© par la route ou jadis le chemin communal qui passe derriĂšre la maison et conduit jusquâĂ la prochaine ferme en chapelet jusquâau bois sommitaux. Lâaxe vertical est reprĂ©sentĂ© par la « mĂšre roye » (prononcĂ© : [mÉËr rÉy])[29] la rigole principale pour lâirrigation des prĂ©s et des champs. Elle alimente un maillage de petites rigoles, les « royottes », qui circulent dans le domaine jusquâĂ ses extrĂ©mitĂ©s. De lâautre cĂŽtĂ© de la route se trouve le fumier et gĂ©nĂ©ralement tout en haut une source dont lâeau sâĂ©coule en direction des bassins en grĂšs des Vosges dans le chairu de la maison. Pour une plus grande alimentation en eau, un droit dâeau a Ă©tĂ© amĂ©nagĂ© pour amener lâeau dâun ruisseau proche vers les rigoles aprĂšs avoir traversĂ© le tas de fumier entre-temps. Ă diffĂ©rents endroits du domaine, il y a des petits barrages pour mieux contrĂŽler lâarrivĂ©e de lâeau. Le plus souvent le jardin est placĂ© devant le mur pignon aprĂšs avoir surĂ©levĂ© le terrain pour quâil soit dâaplomb : la terre dĂ©gagĂ©e Ă lâarriĂšre pour enfouir la partie Ă©table est utilisĂ©e pour remblayer la partie avant sous le jardin. Une porte Ă cĂŽtĂ© de la fenĂȘtre de la cuisine cĂŽtĂ© pignon donne accĂšs Ă ce jardin de type potager. Aux endroits secs, vers lâarriĂšre, le propriĂ©taire entretient Ă©galement des jardins ou « meix » avec des pommes de terre entre autres. La cabane du WC est placĂ©e Ă lâextĂ©rieur du corps de la ferme au-dessus de la rigole principale. Celle-ci est donc alimentĂ©e par la source aprĂšs le passage dans les auges des fontaines, le droit dâeau et les eaux dâĂ©vacuation de la pierre Ă eau de la cuisine (en patois pirĂŽve, pire d'ĂŽve prononcĂ© : [pÉȘr doËv])[30]. Lâensemble du terrain est fermĂ© par un muret de pierres sĂšches issues du dĂ©frichement. Il est le plus souvent envahi par la haie de buisson qui fournit le petit bois et les baies comestibles. Aux extrĂ©mitĂ©s du terrain ou dans les parties peu accessibles, le fermier a gardĂ© un petit bois pour le chauffage de la maison. Suivant le cas, il se peut quâil y ait une « petite maison » Ă cĂŽtĂ© de la ferme : câest lĂ quâhabitaient les parents dĂšs quâils cĂ©daient lâexploitation Ă leur enfant. Dâautres bĂątiments annexes complĂštent la maison principale.
Parties extérieures
La ferme montagnarde se caractĂ©rise par son utilisation du bois plus importante que dans les maisons du plateau. Le granite local nâa jamais Ă©tĂ© une pierre de taille avant lâarrivĂ©e des nouvelles technologies trĂšs rĂ©cemment. Il y a des siĂšcles le paysan vosgien ne possĂ©dait ni lâoutillage ni le savoir-faire pour tailler du granite contrairement au grĂ© vosgien plus mallĂ©able que lâon savait dĂ©jĂ travailler depuis longtemps pour lâarchitecture fortifiĂ©e ou religieuse. Ceci Ă©tant, il nây a pas tant de grĂ©s que cela dans les Hautes-Vosges en dehors des rochers au sommet de quelques massifs en marge des Vosges granitiques. De plus, de grandes disparitĂ©s dans la qualitĂ© des couches de grĂ©s du buntsandstein font que la pierre est plus ou moins taillable. Le grĂ©s servait uniquement pour les montants, linteaux et les pieds droits des portes, les encadrements des fenĂȘtres et les chaĂźnes dâangle. Pour le reste, la maçonnerie en moellons de granite de formes diverses utilise le mortier de chaud pour les relier. Les murs de moellons mesurent environ 50 cm dâĂ©paisseur ; ils montent jusquâau toit cĂŽtĂ© gouttereau, jusquâau plancher du grenier cĂŽtĂ© pignon habitation et jusquâau plafond de lâĂ©curie au pignon arriĂšre. Ă noter que la pierre est Ă©galement utilisĂ©e Ă lâintĂ©rieur pour les deux murs latĂ©raux de la cuisine et la cheminĂ©e qui monte jusquâau toit. S'il y a un four, il est bien sĂ»r construit en pierres ou briques rĂ©fractaires ; il dĂ©passe lĂ©gĂšrement du mur sous forme arrondie ou rectangulaire.
Une fois le gros-Ćuvre en pierres terminĂ©, la construction de la ferme dĂ©pend totalement du bois, essentiellement le chĂȘne et le sapin. Les parois intĂ©rieures en bois sont glissĂ©es dans des fentes dans les poutres horizontales et les grosses poutres de la charpente dĂ©limitent les trois travĂ©es. La grange avec son poutrage apparent occupe toute la surface de la maison, un peu moins du cĂŽtĂ© pignon habitĂ© oĂč se trouve parfois ce quâon appelle une « chambre » mais qui peut trĂšs bien servir aussi de cellier, de sĂ©choir ou de piĂšces de rangement. De ce fait, la partie du mur pignon constituĂ© de planches directement clouĂ©es sur les poutres se limite Ă la partie triangulaire supĂ©rieure du pignon Ă lâavant alors quâelle descend jusquâĂ lâĂ©table Ă lâarriĂšre. Cette paroi extĂ©rieure faite de planches sâappelle la ramĂ©e en français rĂ©gional (ramaye, ramĂšye en patois). DestinĂ©e dâabord Ă lâaĂ©ration indispensable du grenier pour Ă©viter lâĂ©chauffement du foin, câest elle qui confĂšre un caractĂšre unique Ă la maison vosgienne dans lâaire culturelle lorraine. La ramĂ©e peut ĂȘtre rĂ©alisĂ©e entiĂšrement en bardeaux ou essins, renforçant ainsi le caractĂšre montagnard du bĂątiment rustique. Il y a Ă©galement des bardeaux sur les murs de pierre en guise dâisolation quand ceux-ci sont souvent agressĂ©s par les vents, la pluie, la grĂȘle et la neige. Ils sont clouĂ©s sur une armature de lattes.
Le toit immense Ă©tait Ă lâorigine en bardeaux. La tuile mĂ©canique a remplacĂ© ce matĂ©riau jugĂ© dangereux Ă cause du risque dâincendie. En outre, le fermier devait procĂ©der tous les printemps Ă la rĂ©fection du toit pour remplacer les bardeaux dĂ©fectueux ou moisis. Lâartisanat du bardage a quasi disparu dans les Vosges. Dâautres rĂ©gions montagnardes europĂ©ennes ont rĂ©ussi Ă maintenir les techniques de couverture traditionnelles comme dans les pays scandinaves, alpins, balkaniques ou carpatiques ; il est raisonnable de penser que la rĂ©introduction du bardage dans les Vosges pour la conservation du patrimoine architectural puisse ĂȘtre envisagĂ© avec sĂ©rĂ©nitĂ©. La demande est plus forte avec le regain d'intĂ©rĂȘt pour les techniques Ă©coresponsables et la conservation des maisons rĂ©gionales; certains artisans reprennent la fabrication de bardeaux[32].
Le schĂ©ma lorrain reste flagrant Ă lâextĂ©rieur pour quelques aspects communs avec quelques spĂ©cificitĂ©s :
- Lâobservateur postĂ© devant le mur gouttereau peut immĂ©diatement repĂ©rer les trois travĂ©es habitation, grange et Ă©curie grĂące aux portes et fenĂȘtres caractĂ©ristiques de chaque travĂ©e. Ceci Ă©tant, lâobservateur ne se tient plus dans la rue en face de la maison mais dans la cour latĂ©rale.
- Il y a un espace de vie et de travail devant le mur gouttereau comme lâusoir des villages du Plateau lorrain, mais cette fois on parle de « cour » et surtout le terrain appartient au propriĂ©taire de la ferme ; seul le chemin dâaccĂšs et communal dans les hautes Vosges. La cour de tailles diverses est scindĂ©e en deux par la rigole qui se dirige vers la rigole principale. La partie longeant la maison fut souvent grossiĂšrement dallĂ©e ou stabilisĂ©e par un pavage de galets. La partie vers lâextĂ©rieur reste en terre battue plus ou moins entretenue. La cour ouverte donne accĂšs Ă la route, au bĂątiment principal, aux bĂątiments annexes, au jardin clĂŽturĂ© et Ă la pente menant aux prĂ©s en contrebas. En revanche contrairement au Plateau lorrain, le tas de fumier ne se trouve pas dans devant la maison mais plus en hauteur de lâautre cĂŽtĂ© du chemin communal.
- La dĂ©coration spartiate de la maison se limite au contraste du grĂ©s rose des Vosges aux portes et aux fenĂȘtres avec les murs blanchĂątres ou grisĂątres des façades. Parfois le linteau de la porte dâentrĂ©e de la travĂ©e habitation comporte un bas-relief ou une inscription ou bien encore une niche. ComparĂ© aux maisons montagnardes dâautres rĂ©gions europĂ©ennes, il faut reconnaĂźtre que la ferme vosgienne se distingue par sa sobriĂ©tĂ© sur le plan ornemental Ă lâinstar des fermes apparentĂ©es de la façade est.
Travée habitation
Comme ailleurs en Lorraine, la travĂ©e habitation[33] se compose de trois piĂšces Ă la base : belle piĂšce Ă lâavant, cuisine au centre et chambre de derriĂšre. On nomme une chambre ou piĂšce en patois « une pĂŽle ». Câest pourquoi le « poĂȘle », bien que masculin en français rĂ©gional, dĂ©signe aussi la belle piĂšce de devant ou aujourdâhui « salon » ou « salle Ă manger ».
La ferme vosgienne sâintĂšgre totalement au schĂ©ma de pensĂ©e lorrain par lâimportance quâelle accorde Ă la cuisine : le visiteur pĂ©nĂštre dâabord dans la cuisine qui sert de sas aux autres piĂšces et travĂ©es. Alors quâen Alsace voisine, on conduit spontanĂ©ment le visiteur dans la « Stube » (belle piĂšce ou salon), il faut avoir une raison ou un Ă©vĂšnement particulier pour quâun Vosgien vous amĂšne tout de suite au poĂȘle. Jadis la famille vivait dans la cuisine. Câest un endroit de convivialitĂ©, de partage et de vie commune : on y mange, on sây lave, on y fait ses devoirs etc. Le poĂȘle a une connotation plus sacralisĂ©e (fĂȘtes familiales, veillĂ©es funĂšbres, rĂ©ceptions, veillĂ©es entre autres) parce quâil faut faire attention Ă ne pas rayer les beaux meubles, il faut que le parquet brille par exemple. Dans certaines fermes, il y avait un lit dans le poĂȘle pour les parents. Cette mentalitĂ© est restĂ©e bien ancrĂ©e jusque dans les gĂ©nĂ©rations devenues parents dans les annĂ©es 1950-1960. Elle sâessouffle un peu aujourdâhui. La cuisine se caractĂ©rise par ses nombreuses portes qui mĂšnent en gros vers la cave, lâĂ©tage, les deux « pĂŽles » voisines et les travĂ©es adjacentes par le chairu. Souvent, il y a Ă©galement une porte Ă cĂŽtĂ© de la fenĂȘtre devant la pierre Ă eau pour aller dans le potager.
Comme il nây a pas eu dâeau courante pendant des siĂšcles, notamment pour les fermes des « hauts » trop Ă©loignĂ©es des rĂ©seaux de canalisation, on a cherchĂ© lâeau aux bassins dans le chairu et on travaillait sur la pierre Ă eau en grĂšs des Vosges. Pour se laver, il fallait chauffer lâeau Ă la cheminĂ©e ou plus tard sur le fourneau.
Lâautre endroit central est le feu Ă lâĂątre qui relie Ă nouveau la ferme haut-vosgienne Ă la grande famille des maisons de montagne comme pour le tuyĂ© des Comtois. Le feu Ă lâĂątre chauffait, Ă©clairait et servait Ă la cuisson des repas. Dans le mur dâenceinte, il y avait en-dessous de la cheminĂ©e sur le cĂŽtĂ© la porte en fonte du four Ă pain. Le conduit de fumĂ©e (ou la chambre des fumĂ©es) en bois reposant Ă lâorigine sur deux grosses poutres de chĂȘne solidement posĂ©es sur les deux murs de refend de la cuisine montait jusquâen haut du toit oĂč la cheminĂ©e terminait en forme pyramidale. Contrairement au val de Morteau dans le Doubs qui a su sauvegarder quelques tuyĂ©s, ce type de cheminĂ©e appartient au passĂ© dans les Vosges. Le passage Ă la cheminĂ©e en pierre sâest fait progressivement et le gros appel dâair qui refroidissait la piĂšce en hiver a Ă©tĂ© stoppĂ© par un manteau de cheminĂ©e en pierre. Entre temps, les fourneaux en fonte ont de toute façon remplacĂ© le feu Ă lâĂątre pour de nombreuses activitĂ©s. Pour se chauffer, on avait aussi un « boro » dans le poĂȘle, un fourneau circulaire quâon alimentait depuis la cheminĂ©e cĂŽtĂ© cuisine. Comme sur le Plateau lorrain, le systĂšme de la taque permettait de chauffer indirectement la belle chambre de devant. Par consĂ©quent, deux piĂšces Ă©taient chauffĂ©es en hiver : la cuisine et le poĂȘle. Avec lâarrivĂ©e des fourneaux, la chambre de derriĂšre put ĂȘtre chauffĂ©e, câest dâautant plus important que du coup la piĂšce faisait fonction de piĂšce-sĂ©choir pour les fromages et autres denrĂ©es Ă conserver au sec tandis que le poĂȘle prenait de plus en plus le statut de piĂšce des grandes occasions. Il ne faut pas oublier la chambre du haut au-dessus de la cuisine qui est traversĂ©e par la cheminĂ©e et donc plus tempĂ©rĂ©e que les voisines. Mais tout est relatif. De plus, cette piĂšce au sol surĂ©levĂ© en raison de la cheminĂ©e Ă lâĂątre et de la chambre des fumĂ©es ne servait pas toujours Ă dormir mais Ă stocker tout ce qui devait rester au sec dans des armoires par exemple.
Ă lâarriĂšre de la travĂ©e, la « chambre de derriĂšre » reste privative comparĂ©e Ă la chambre de devant. Avec le temps, elle pouvait avoir une cheminĂ©e ou un fourneau. Du coup, elle gagna en importance et en intimitĂ©. On pouvait y trouver un lit en fonction du nombre dâenfants. Cette piĂšce est associĂ©e Ă la mauvaise saison quand elle est chauffĂ©e : câest lĂ que les gens se retirent pour les soirĂ©es dâhiver oĂč on peut bavarder avec les voisins tout en vaquant Ă des petites tĂąches ou en jouant aux cartes. En fonction de la taille de la maison, la chambre de derriĂšre peut conduire ensuite dans un atelier aux fonctions les plus diverses.
Ă lâĂ©tage de la travĂ©e habitation, les chambres sont des chambres Ă coucher avec lit et armoires.
Chairu
Signe distinctif de la ferme de montagne vosgienne, le « chairu » (quâon peut orthographier chĂ©ru, charri) se divise en chairu et petit chairu. La parentĂ© avec le charri comtois ne fait aucun doute mais il convient de prĂ©ciser que dans les Hautes Vosges le chairu n'est jamais ouvert comme c'est le cas en Franche-ComtĂ©. Le chairu est lâentrĂ©e de la travĂ©e grange et le petit chairu prĂ©cĂšde la travĂ©e Ă©table.
Sa vocation pratique sâexplique par la nĂ©cessitĂ© vitale de se protĂ©ger des conditions climatiques plutĂŽt dĂ©gradĂ©es dans les hautes vallĂ©es vosgiennes. Avec une tempĂ©rature moyenne annuelle qui ne dĂ©passe pas 10° pour les fermes situĂ©es autour de 900 m dâaltitude et des prĂ©cipitations annuelles qui dĂ©passent les 1 000 mm, il est aisĂ© de comprendre que le fermier de la montagne vosgienne a besoin dâun sas entre les travĂ©es de sa ferme et lâextĂ©rieur. Le chairu se trouve derriĂšre la porte cochĂšre souvent cintrĂ©e[34]. Il faut souvent ouvrir cette porte pour Ă©clairer le chairu. La diffĂ©rence avec lâavant-grange des maisons de la plaine rĂ©side dans le fait que les rĂ©coltes des maisons des hauts nâont rien Ă voir avec celles du Plateau ou des vallĂ©es de la Moselle ou de la Meuse. GĂ©nĂ©ralement, on rentre les foins au « soleil », le fenil en patois, par la « potiotte »[35], porte dans la ramĂ©e Ă l'arriĂšre Ă laquelle on accĂšde soit par une passerelle soit de plain-pied. Ceci Ă©tant, on peut y entrer les voitures sâil pleut par exemple. Le chairu atteint gĂ©nĂ©ralement une longueur de 5 m et une profondeur de 3 m. Son avantage est quâil est trĂšs haut comme la grange Ă 3 m de hauteur. Il est dallĂ© avec des pierres de grĂšs ou de granit. Il faut le percevoir comme un lieu de vie intermĂ©diaire entre toutes les travĂ©es. On y fait souvent des va-et-vient dans la journĂ©e car câest lui qui fait la jonction entre les rangs dâexploitation tout en donnant lâaccĂšs Ă la cuisine ou au couloir par une porte dans la cloison de bois. En entrant dans un chairu, on peut aussi avoir lâimpression dâun bric-Ă -brac car les occupants y dĂ©posent facilement des tas de choses au quotidien. Tout ce qui sert ou va servir sous peu est par commoditĂ© stockĂ© dans le chairu. On y accroche, on y dĂ©pose, on y bricole quelque chose. On peut y trouver des tables, des chaises ; En fait, câest un endroit qui se personnalise beaucoup en fonction des propriĂ©taires. Câest dâautant plus vrai dans les fermes rĂ©novĂ©es actuelles oĂč il a perdu sa vocation premiĂšre : les nouveaux occupants y voient un espace de libertĂ© bien pratique.
AppelĂ© plutĂŽt un « rĂ©crĂšye » (prononcĂ© : [rekrÉy] dans le pays de GĂ©rardmer, le petit chairu[36] dallĂ© comme le chairu principal est derriĂšre la « porte des bĂȘtes » sur la façade cĂŽtĂ© gouttereau et cour. Sa fonction de faire la transition entre la cour et lâĂ©table. Il protĂšge les auges des bassins en grĂšs ou bois ou ciment (en patois un bĂšche[37], prononcĂ© : [bÉÊ]) qui se retrouvent du coup hors-gel. En continuant on arrive sur la porte de lâĂ©table. Il arrive que les bassins dans certaines maisons soient dans une annexe juxtaposant la maison quâon appelle une « rabaissĂ©e » et qui rappelle lâappentis de la maison Ă Schopp de lâAlsace bossue ou de Moselle-Est. Une petite fenĂȘtre Ă cĂŽtĂ© de la porte Ă©claire le petit chairu.
Travée grange
TrĂšs similaire dans son organisation interne avec la grange des maisons de la plaine, ce qui frappe le regard immĂ©diatement dans cette travĂ©e[38] câest la hauteur des plafonds de bois et les Ă©normes poutres porteuses qui vont dâun seul Ă©lan jusquâau toit. Lâavant-grange se confond avec le chairu dans la ferme vosgienne, ce qui la distingue de sa parente dans la plaine. La grange (en patois bĂ©tĂšye, prononcĂ© : [betÉy]) a un sol en terre battue ou avec un plancher ; elle servait Ă battre le blĂ©, Ă introduire les voitures de foin et de paille pour les dĂ©charger directement vers le fenil et le grenier plus en hauteur. Sur le plan logistique, le fermier peut se dĂ©placer partout : par des trappes, ouvertures bĂ©antes ou cloisons coulissantes, il sâapprovisionne en foin en faisant descendre du grenier et accĂšde aux mangeoires des vaches dans lâĂ©table. En gros, la grange est un espace destinĂ© Ă lâexploitation de la ferme oĂč les hommes se retrouvent souvent pour diverses tĂąches Ă faire. LâarriĂšre-grange a un plafond plus bas, identique Ă celui des chambres de lâhabitation. Elle sert de lieu de stockage et de rangement.
Dans certaines fermes, surtout quand il nâexiste pas de « petite maison » Ă lâextĂ©rieur, lâarriĂšre-grange a Ă©tĂ© amĂ©nagĂ©e en « appartement » des parents, soit une seule piĂšce dans le prolongement de la grange, soit deux piĂšces au fond de la grange et de lâĂ©table. Ces piĂšces amĂ©nagĂ©es donnent sur le mur de pierres extĂ©rieur avec des fenĂȘtres, mais elles se trouvent du cĂŽtĂ© plus venteux et pluvieux du coup. Elles profitent de la chaleur naturelle transmise par lâĂ©table sachant quâune seule cloison de bois sĂ©pare les animaux des personnes de lâautre cĂŽtĂ©.
Travée étable
LâĂ©table[39], nommĂ©e en fait lâĂ©curie en français rĂ©gional et « staye » ou « stoye » en patois (prononcĂ© : [stay]), arrive aprĂšs le petit chairu. La porte ouvre sur lâallĂ©e oĂč se dĂ©place le fermier derriĂšre les vaches. Les crĂšches Ă©tant du cĂŽtĂ© de la grange centrale, la tĂȘte des bĂȘtes est orientĂ©e vers lâautre cĂŽtĂ©. Le rĂ©duit Ă cochon quâon nomme « ran » (prononcĂ© : [ran]) est sur la gauche de lâĂ©table Ă lâentrĂ©e.
Cet espace peut donner lâimpression dâĂȘtre Ă©touffant, mal aĂ©rĂ©, malodorant et exigu. Ă part quelques soupiraux rudimentaires, il nâest pas possible dâaĂ©rer lâĂ©table de maniĂšre satisfaisante. Vu les habitudes actuelles, la lumiĂšre est trĂšs limitĂ©e mĂȘme quand il y a une fenĂȘtre dans le mur de derriĂšre. En fait, il vaut mieux laisser ouverte la porte de derriĂšre qui sert Ă sortir les vaches ou la brouette de fumier. LâarrivĂ©e de lâĂ©lectricitĂ© fera du bien dans cette travĂ©e. Il fait trĂšs chaud car tous les animaux des plus anciens aux plus jeunes sont entassĂ©s dans un espace proportionnellement rĂ©duit. Pour faciliter la circulation de lâair, des espĂšces de tuyaux en bois, en terre cuite ou en grĂšs sortent vers le mur pignon arriĂšre, parfois juste Ă la hauteur du sol dehors car lâĂ©curie est bien souvent enfouie dans la terre.
Les animaux vivent sur un plancher de madrier longeant la crĂšche Ă droite et lâallĂ©e Ă gauche. Ă la ferme du bas comme Ă la chaume du marcaire sur les crĂȘtes, le principe de lâĂ©table traditionnel est le mĂȘme : les poutres horizontales du haut et du bas (en patois « jovailles », prononcĂ© : [ÊÉvay] supportent et maintiennent les poteaux verticaux (en patois « bourrassons ») de chaque cĂŽtĂ© de la tĂȘte de la vache. Le collier en bois de la vache (la chnoye, prononcĂ© : [Ênoy]) est fixĂ© aux bourrassons par des anneaux (en bois puis en mĂ©tal) qui glissent de haut en bas de telle sorte que la bĂȘte peut se coucher et se lever sans entrave.
Lâoutillage, les tabourets de traite (en patois kiboki, prononcĂ© : [kÉȘbokÉȘ] Ă un pied et la brouette sont entreposĂ©s le long de lâallĂ©e qui ne fait que 1,50 m de large. Or, lâallĂ©e est lâespace oĂč se dĂ©placent bĂȘtes et hommes. Soit les vaches sortent dans les prĂ©s par lâarriĂšre, soit elles vont boire aux bassins des bĂȘtes dans le chairu vers lâavant. Le purin qui dĂ©gouline du plancher parvient Ă une rigole en dessous du plancher de lâallĂ©e surĂ©levĂ©. Le fermier « fait la danse » tous les jours câest-Ă -dire quâil doit Ă©vacuer le fumier, faire partir le purin, dĂ©poser de la nouvelle paille et nettoyer lâallĂ©e Ă grands coups de seau matin et soir, donc au moment des traites.
Dans lâĂ©table, les perchoirs des poules sont accrochĂ©es au mur de derriĂšre.
Variantes régionales
La maison rurale lorraine subit les influences de ses voisins comme le bassin lorrain influe sur l'habitat des régions limitrophes. Les limites régionales ne correspondent pas du tout à une aire homogÚne de l'habitat traditionnel d'esprit lorrain : elle est clairement plus vaste que l'ancienne région administrative de Lorraine vers tous les points cardinaux, y compris cÎté belge[n 5] et sarrois[n 6].
Le modÚle de base demeure bien que des éléments architecturaux particuliers permettent de distinguer certaines sous-régions du bassin lorrain. Les variantes touchent particuliÚrement la toiture, la taille du bùti ou les annexes. La plus grande des différences touche le type de construction entre le mur en moellons ou pierres de taille d'un cÎté et le pan de bois de l'autre.
Maisons Ă colombages
Trois zones géographiques de Lorraine comportent de nombreuses maisons à pans de bois et de constructions trÚs différentes :
- Le département de la Meuse, présente à lui seul deux zones trÚs distinctes[40] :
- Dans le Barrois, au sud du département, notamment à Bar-le-Duc, sont édifiées des maisons au rez-de-chaussée de pierre blonde surmontées d'étages en encorbellement.
- Plus au nord, l'Argonne propose autour de Beaulieu-en-Argonne des fermes à l'architecture unique et plus récente (XIXe siÚcle) de fermes parées de bois.
- L'Est de la Moselle, du Pays des Ă©tangs jusqu'au Vosges du Nord, prĂ©sente des architectures Ă pans de bois de style germanique. En 2008, ce type de maison Ă©tait encore prĂ©sent dans environ 70 communes de l'Est mosellan, les plus anciennes datant de la fin du XVIIe siĂšcle (RĂ©ning, 1696) et les plus rĂ©centes ne dĂ©passant pas 1840 (Bisping)[41]. La « maison Ă colombages francique » atteint en Lorraine sa limite extrĂȘme façade occidentale ; cette limite d'expansion correspond peu ou prou Ă l'ancienne frontiĂšre linguistique mosellane entre les familles romanes et germaniques qui s'est dĂ©placĂ©e vers l'est aprĂšs la guerre de Trente Ans[42] - [43]. La limite est poreuse car il y a quelques maisons Ă colombages dans la partie de l'aire romane qui Ă©tait anciennement germanophone, comme Ă Bisping et Guermange par exemple. GrossiĂšrement, l'aire d'expansion de la maison Ă pan de bois en Lorraine du nord-est s'arrĂȘte aux rĂ©gions de Saint-Avold, Bitche, Dieuze et Sarrebourg.
Pan de bois francique en Moselle
Dans les maisons Ă colombages de l'aire germanique, donc pour la Moselle-Est, on distingue habituellement les ossatures des bĂątiments mĂ©diĂ©vaux avec des poteaux porteurs dâun seul Ă©lan jusquâau toit (La technique des bois longs) des maisons Ă pans de bois dont chaque Ă©tage est bĂąti de maniĂšre autonome comme assise Ă lâĂ©tage suivant, câest-Ă -dire que le poteau dĂ©limite un niveau (La technique des bois courts). Souvent lâĂ©tage supĂ©rieur est construit en encorbellement. Poteaux et entretoises sont soutenus par des dĂ©charges en V ou lĂ©gĂšrement incurvĂ©es. Dans tout le bassin germanique, le second modĂšle se rĂ©pand Ă partir du dĂ©but du XVIIe siĂšcle. La technique de base ne change plus rĂ©ellement, les diffĂ©rences portent essentiellement sur lâornementation et lâagencement des piĂšces de bois pour obtenir un motif global. Le pan de bois dâAllemagne du Nord est restĂ© sobre avec quelques maisons Ă bois longs (Maison-halle). Le colombage de la zone alĂ©manique a atteint au fil des siĂšcles un degrĂ© Ă©levĂ© de sophistication dans la dĂ©coration. Le colombage de la zone francique aime jouer sur les effets dĂ©coratifs des poutres sans surcharger lâensemble. Les maisons Ă colombages qui existent encore en Moselle de nos jours remontent presque toutes au XVIIIe siĂšcle ; on les rattache au pan de bois francique rĂ©pandu dans l'Allemagne centrale. En raison du caractĂšre rural de cet habitat, on nây trouve aucun oriel et aucun artifice particulier comme ce serait le cas dans les centres ville avec pignon sur rue.
Si l'on prend comme exemple la maison du ClĂ©ment photographiĂ©e ci-contre Ă droite et situĂ©e Ă Belles-ForĂȘts, elle a Ă©tĂ© construite en 1750 selon le schĂ©ma de la maison-bloc lorraine Ă trois travĂ©es[44]. Les divergences avec le modĂšle de base portent sur la travĂ©e habitation qui est scindĂ©e en deux parties de chaque cĂŽtĂ© du couloir transversal et sur le toit plus fortement inclinĂ© que les toits asymĂ©triques lorrains classiques. La couverture du toit avec les tuiles plates en queue de castor sur le versant avant et avec la tuile canal Ă l'arriĂšre illustre trĂšs bien le caractĂšre de transition du pays de Belles-ForĂȘts entre l'aire romane et germanique. On atteint probablement Ă Bisping l'extrĂȘme limite de la tuile Biberschwanz[44]. Ce modĂšle plus ancien que d'autres maisons Ă colombage Ă Bisping reprĂ©sente la technique de construction sans soubassement de pierres. Les poteaux corniers et porteurs sont directement posĂ©s sur des sabliĂšres Ă mĂȘme le sol. Que cette technique ait le dĂ©faut de provoquer une lente dĂ©gradation des sabliĂšres avec le temps et de dĂ©stabiliser la structure s'est vĂ©rifiĂ© par une premiĂšre rĂ©fection en 1840 : le colombage a Ă©tĂ© dĂ©moli et remplacĂ© par un soubassement en pierre du cĂŽtĂ© de la travĂ©e habitation comme chacun peut le constater sur la photographie au fond. L'abandon du colombage au profit de la pierre a Ă©tĂ© une constante en Moselle jusqu'au XXIe siĂšcle ; la disparation des maisons Ă colombages est inĂ©luctable si les associations de dĂ©fense du patrimoine rural n'arrivent pas Ă enrayer le phĂ©nomĂšne et Ă sauver les peu de maisons encore debout. Cette maison de Bisping a par exemple Ă©tĂ© agrandie par un appentis et une cour fermĂ©s par un bardage de planches au dĂ©but du XXe siĂšcle[44]. Le pignon cĂŽtĂ© Ă©table a Ă©tĂ© couvert de bardeaux pour le protĂ©ger des intempĂ©ries comme dans les maisons de montagne.
Si lâon fait abstraction de lâagrandissement ultĂ©rieur par un appentis en planches, la maison du ClĂ©ment de Bisping comporte trois travĂ©es dont une dĂ©doublĂ©e. La porte piĂ©tonne donne sur un couloir qui donne accĂšs Ă deux chambres Ă droite et Ă la cuisine sur la gauche Ă lâarriĂšre. Vu que lâaccĂšs au poĂȘle ou Stube (prononcĂ© : [ÊtuËb]) Ă lâavant nâest possible que par la cuisine, lâorganisation de la vie dans la maison Ă colombage est bien lorraine dans lâesprit. Ă lâĂ©tage au-dessus de la travĂ©e habitation, une seule piĂšce sert de chambre ; le reste de lâespace sert de grenier et de fenil au-dessus de la travĂ©e Ă©table avec le vide de la grange entre les deux.
Dans une maison Ă colombage du XIXe siĂšcle du mĂȘme village mosellan, les trois travĂ©es sont maintenues mais cette fois les ouvertures sur la façade gouttereau montrent que la travĂ©e Ă©table se trouve au centre avec une porte des bĂȘtes qui jouxte la porte des hommes de la travĂ©e habitation sur la gauche. Au-dessus de lâĂ©table Ă lâĂ©tage, la fenĂȘtre indique quâil y a encore une chambre en haut. Cette disposition se rencontre davantage dans les pays germaniques quâen Lorraine romane, ce qui laisserait penser Ă une influence de la zone germanophone dans ce secteur ou Ă un occupant originaire des terres germanophones. Ă noter la « goulotte » en-dessous de la fenĂȘtre de la cuisine devant la pierre Ă eau (en francique rhĂ©nan WĂ sserstĂ€n, prononcĂ© : [vĂ sserÊtÉËn]) qui permet lâĂ©coulement des eaux de vaisselle ou de nettoyage. En observant la maison dite « Bonnert » Ă Hellimer en Moselle[42] (Image 2 dans la galerie), on remarque Ă©galement par les ouvertures du mur gouttereau que la travĂ©e Ă©table se trouve au centre de la maison. Le modĂšle, rĂ©novĂ© en 2013 par une initiative privĂ©e, fait apparaĂźtre le mode de construction dominant au XVIIe siĂšcle avec l'absence de solin; les sabliĂšres infĂ©rieures ont Ă©tĂ© posĂ©es directement sur le sol. Une double sabliĂšre sĂ©pare les deux niveaux. L'ossature en bois a Ă©tĂ© comblĂ©e de torchis. L'organisation intĂ©rieure suit le schĂ©ma lorrain avec un couloir distributeur qui mĂšne Ă la cuisine Ă droite ou Ă l'Ă©table Ă gauche. De la cuisine, on accĂšde Ă la belle piĂšce (Stube).
Les techniques de construction de l'ossature et les Ă©lĂ©ments dĂ©coratifs des maisons Ă colombages mosellanes appartiennent Ă un ensemble plus vaste du bassin germanique mĂ©ridionale dans lequel se trouve aussi le bassin alsacien. Les dĂ©corations sur poutres, charpente et portes (Ce sont gĂ©nĂ©ralement des symboles solaires comme les svastikas, cĆurs, poteaux corniers en spirale, rosaces, disques) remontent partout du XVIe au XVIIIe siĂšcle ainsi que les ornements gĂ©omĂ©triques dans l'ossature elle-mĂȘme avec des poteaux Ă la fois fonctionnels et dĂ©coratifs suivant la maniĂšre dont ils sont agencĂ©s. On retrouve de ce fait du Sundgau Ă la Moselle-Est des Mann en tous genres, des losanges, des croix de saint AndrĂ©, des potelets d'allĂšge de fenĂȘtres aux diverses formes et des motifs imbriquĂ©s ou cumulĂ©s[45].
Il n'existe pas de nombreux Ă©lĂ©ments ornementaux sculptĂ©s ou peints dans les quelques rares maisons restantes en Moselle en raison des vicissitudes du passĂ©, des dĂ©gradations du temps et des rĂ©novations successives qui n'ont peut-ĂȘtre pas forcĂ©ment restaurĂ© les peintures ou les sculptures sur bois. Elles ont probablement existĂ©; la rĂ©novation de la maison d'Hellimer a intĂ©grĂ© par exemple la rĂ©fection du poteau central au-dessus de la porte piĂ©tonne elle-mĂȘme sculptĂ©e : de haut en bas, on reconnaĂźt une croix, une niche avec statuette et une date de construction gravĂ©e. Concernant les ornements gĂ©omĂ©triques dans la charpente qui offre au regard un profil individualisĂ© de la maison, l'observation des cinq maisons de la galerie de photos ci-dessous fait ressortir deux ossatures simples sans fioritures avec de simples potelets sous les fenĂȘtres et un assemblage basique de poteaux, dĂ©charges et entretoises (Maisons nos 1 et 5). La maison de Kappelkinger (no 4) frappe par la part restreinte du colombage dans l'allure globale de la bĂątisse; dans ce cas aussi, l'ossature avec poteaux verticaux et dĂ©charges obliques (arbalĂ©triers) demeure trĂšs basique, mais chacun remarquera les deux losanges accolĂ©s sous l'allĂšge de la fenĂȘtre Ă l'Ă©tage. TrĂšs frĂ©quents dans le Bas-Rhin et le Centre de l'Alsace, les losanges accolĂ©s dĂ©corent en gĂ©nĂ©ral les allĂšges de fenĂȘtre, les linteaux du portail d'entrĂ©e Ă la cour intĂ©rieure, le portail d'une grange ou d'un hangar. Ils symbolisent la fĂ©conditĂ© et la source de vie et sont parfois dĂ©signĂ©s par le terme « mandorle » puisque la forme et la symbolique sont trĂšs apparentĂ©es.
Les losanges accolĂ©s dĂ©corent aussi la façade de la Cappel (maison no 3) sous les baies des fenĂȘtres. Câest dans cette maison que lâornementation par la disposition des poteaux et dĂ©charges est la plus variĂ©e avec un panel de motifs quâon retrouve partout en Alsace ou en Sarre voisines; on remarque des Mann dâangle et deux Halbmann : le Mann ressemble grossiĂšrement Ă un K majuscule accolĂ© au poteau, soit d'un cĂŽtĂ© (le demi-Mann), soit des deux cĂŽtĂ©s (le Mann). On appelle cet effet dĂ©coratif de l'ossature « Mann » ou « homme » en français car on pourrait dire qu'il s'agit d'un homme qui Ă©carte les jambes et les bras de chaque cĂŽtĂ© du tronc que reprĂ©sente le poteau central. Les potelets sous les fenĂȘtres sont soit simples, soit obliques, soit en V. Lâensemble est cohĂ©rent et fidĂšle Ă la tradition esthĂ©tique du colombage du groupe francique.
La ferme de Hellimer (maison no 2) possĂšde Ă©galement une façade homogĂšne qui est basĂ©e cette fois sur des motifs dĂ©coratifs plus recherchĂ©s et moins Ă©vidents Ă rĂ©aliser pour le charpentier. En prenant de la distance pour observer la façade et notamment la travĂ©e habitation, le premier ressenti que la majoritĂ© des observateurs auront probablement provient de la prĂ©dominance de la croix de saint AndrĂ©. En se rapprochant, le motif en croix se cumule avec des formes angulaires. Cette ornement s'appelle dans les maisons Ă colombages un losange croisĂ©. Ici, on en compte trois Ă intervalles rĂ©guliers. Une croix de saint AndrĂ© simple dans l'allĂšge de fenĂȘtre supĂ©rieure et un champ carrĂ© vide sĂ©parent ces losanges croisĂ©s. Cette maison Ă Hellimer propose Ă©galement un motif ornemental qu'on associe souvent en Alsace Ă une certaine aisance des propriĂ©taires[45] : la chaise curule. Elle rappelle fortement la croix saint AndrĂ© stylisĂ©e avec deux demi-cercles tangents. âEn regardant de plus prĂšs, il apparaĂźt clairement que ce ne sont pas des segments d'arc tangents, mais bien deux poteaux en spirale imbriquĂ©s l'un dans l'autre Ă l'image de cette chaise romaine. Les losanges croisĂ©s symbolisent Ă©galement la fĂ©conditĂ©. Certains chercheurs font le lien avec les symboles runiques oĂč chaque lettre obtient un sens symbolique et divinatoire. La croix de saint AndrĂ© correspond par exemple Ă la lettre « gibu » ou G qui reprĂ©sente le dĂ©sir et le souhait ardent[45]. Le losange croisĂ© symbolisait la mĂšre ou la matrice. Finalement, les motifs d'ornementation des maisons Ă colombages de l'aire germanique convergent quasiment tous vers la mĂȘme symbolique : on affiche sur sa maison la volontĂ© de vivre heureux, d'avoir une famille, d'assurer une vie aisĂ©e Ă l'abri des mauvais esprits et des dangers de l'extĂ©rieur. Le cycle solaire reprĂ©sentĂ© entre autres par les doubles spirales, les svastikas[46] et les croix de saint AndrĂ© se retrouve marquĂ© dans la façade pour annoncer Ă tous au moment de la construction que les futurs propriĂ©taires ont l'intention de vivre en harmonie avec la nature, le rythme de saisons et les croyances locales. D'un autre cĂŽtĂ©, la recherche systĂ©matique d'une symbolique ne correspondrait pas Ă la rĂ©alitĂ© prĂ©sente car les charpentiers du XXIe siĂšcle ne cherchent pas forcĂ©ment Ă savoir quelle a pu ĂȘtre a symbolique mythologique d'un motif ornemental d'un pan de bois. Les habitudes architecturales et ornementales ont pris le dessus sur les croyances populaires millĂ©naires.
- Maison Bonnert édifiée en 1716 à Hellimer, canton de Sarralbe (2).
- Maison Ă appentis de 1708 Ă Cappel, canton de Freyming-Merlebach (3).
- Restes de colombages apparents Ă Kappelkinger, canton de Sarralbe (4).
- Maison Ă demi-croupe et colombage, Danne-et-Quatre-Vents, canton de Sarrebourg (5).
Pan de bois en Meuse
La maison Ă pan de bois de Meuse appartient au groupe champenois tant pour lâesthĂ©tique gĂ©nĂ©rale que pour les techniques utilisĂ©es indĂ©pendamment des petites variations mineures. Quelques rares maisons ont Ă©tĂ© bĂąties en pan de bois du rez-de-chaussĂ©e Ă lâĂ©tage comme une maison Ă Senard avec son colombage trĂšs rectiligne[47] alors que la trĂšs forte majoritĂ© prĂ©sente un pan de bois Ă lâĂ©tage sur un premier niveau en pierres de taille. Câest clairement le cas pour les bĂątisses dans les villages. Le pan de bois groupe champenois se caractĂ©rise par consĂ©quent davantage par sa forte reprĂ©sentation Ă lâĂ©tage. Il en ressort dâun point de vue esthĂ©tique un jeu ornemental intĂ©ressant qui repose sur le contraste ou lâinteraction entre la pierre en bas et le bois en haut.
La disposition ornementale des piĂšces de bois repose sur des motifs communs Ă la « façade alĂ©mano-francique » au nord-est de la Lorraine : la croix de saint AndrĂ© prĂ©domine Ă lâĆil nu et le losange apparaĂźt Ă©galement sous diverses formes. Ă Vigneulles-lĂšs-HattonchĂątel, un bĂątiment annexe en rĂ©fection fait apparaĂźtre une dĂ©coration en Ă©pi sur le pignon, Ă©lĂ©ment dĂ©coratif trĂšs peu rĂ©pandu en Alsace et en Moselle en dehors de quelques maisons archaĂŻsantes dans le Sundgau Ă Blotzheim ou Koetzingue. Pourtant, ce motif ornemental en impose vraiment sur un pignon dâun point de vue esthĂ©tique. Comme on le trouve sur un domaine de manoir, on peut penser quâil sâagit lĂ dâabord de montrer la rĂ©ussite sociale. Globalement, la fonction dĂ©corative du pan de bois est moins marquĂ©e que dans le groupe germanique mĂ©ridional. Il rappelle davantage les colombages de lâAllemagne du Nord par leur verticalitĂ© prononcĂ©e et lâaspect gĂ©nĂ©ral en damier rĂ©gulier. On peut mĂȘme parler dâune rĂ©gularitĂ© excessive.
En Argonne lorraine, le pan de bois est construit sur un solin plus ou moins haut ; il est rĂ©alisĂ© en pierres, en briques ou en gaizes. La sabliĂšre infĂ©rieure dans laquelle sont fichĂ©s les potelets repose sur ce solin. Des paleçons ou palançons sot introduits dans une rainure ou des trous dans les potelets latĂ©raux afin de rĂ©aliser un clayonnage, le support du torchis confectionnĂ© avec de lâargile et de la paille[47]. Il nâest pas rare que le pan de bois soit recouvert dâun enduit ou dâun bardage de planches. Le torchis lui-mĂȘme peut Ă©galement ĂȘtre recouvert ou protĂ©gĂ© par un enduit Ă base de chaux ou par un bardage de planches quâon appelle localement le guindage (Comme sur la maison no 4 de la galerie). On peut de ce fait parler dâune caractĂ©ristique du pan de bois argonnais par rapport Ă dâautres rĂ©gions limitrophes oĂč le pan de bois reste apparent[47].
La maison de Contrisson (no 3 dans la galerie ci-dessous) attire le regard par le contraste agrĂ©able Ă lâĆil entre la pierre de taille jaunĂątre du rez-de-chaussĂ©e et le pan de bois marron clairement dominĂ© par la croix de saint AndrĂ© Ă©tirĂ©e : 18 croix sur les cĂŽtĂ©s et 24 sur la façade gouttereau longeant la rue. Deux autres croix de saint AndrĂ© plus classiques ornent lâallĂšge des fenĂȘtres. Lâoblique nâest pas reprĂ©sentĂ©, lâensemble repose uniquement sur lâalignement des sabliĂšres et les quatre poteaux.
La maison de Brizeaux (no 2) se distingue davantage par son avant-toit et ses belles contrefiches que par son pan de bois rudimentaire et vertical. La maison de Bar-le-Duc (no 1) s'enrichit par ses niveaux en encorbellement. La croix de saint AndrĂ© domine largement et on reconnaĂźt un Mann primitif dans l'allĂšge de fenĂȘtre. Dans les trois modĂšles de la galerie, on remarque le premier niveau en pierre.
- Maison citadine Ă Bar-le-Duc (1)
- Maisons fleuries Ă Brizeaux (2)
- Maison Ă Contrisson (3)
- Grandchamp (Ardennes), pan de bois et guindage Ă droite (4)
Type de transition entre le plateau et la montagne
ImplantĂ©e dans tous les secteurs situĂ©s dans les Vosges grĂ©seuses avec une extension jusqu'au Warndt en Moselle, quelques vallĂ©es alsaciennes et les terres limitrophes en Allemagne et en Belgique, la maison rurale lorraine des rĂ©gions boisĂ©es de faible altitude prĂ©sentent toutes les caractĂ©ristiques majeures de lâhabitat rural lorrain du modĂšle de base pour l'organisation des maisons en travĂ©es mais elle s'en Ă©carte largement pour quelques aspects majeurs comme la mitoyennetĂ©, l'usoir, la forme du toit ou l'usage de la ramĂ©e. Elle fait fonction de transition entre le modĂšle du village-rue strict sur le Plateau lorrain et le modĂšle dispersĂ© des Hautes-Vosges. Son caractĂšre transitoire sâexprime Ă©galement par sa localisation aux confins du domaine lorrain Ă lâest sur une bande de territoire clairement influencĂ©e par lâaire alĂ©manique.
Longeant la cĂŽte grĂ©seuse de la Sarre au nord jusquâau sillon vosgien au sud-ouest et la vallĂ©e de la Meurthe au sud-est, la zone dâextension de ce modĂšle transitoire traverse
- CÎté lorrain : les Vosges du Nord, le pays de Bitche, le pays de Dabo, le massif du Donon, le pays de Salm, le massif de Mortagne, les bassins versants de la Vologne, du Neuné et de la moyenne Meurthe autour de Saint-Dié-des-Vosges
- cĂŽtĂ© alsacien : le pays welche bien quâil soit situĂ© pour une bonne partie dans le massif cristallin des Vosges dans sa partie mĂ©ridionale.
Vu lâabsence de contraintes agraires et la diminution des pratiques communautaires spĂ©cifiques aux finages du Plateau lorrain[48], la ferme dite des pays grĂ©seux nâa pas un aspect homogĂšne du nord au sud de la zone dâexpansion. Chaque propriĂ©taire a le loisir dâamĂ©nager et de construire sa maison sur son terrain. Plusieurs facteurs entrent en jeu comme la fertilitĂ© des sols (plutĂŽt mĂ©diocre en raison du sous-sol grĂ©seux), la part de terres labourĂ©es ou cultivĂ©es dans lâexploitation, lâaltitude et la surface des terres exploitĂ©es. La hiĂ©rarchie sociale est de facto moins prononcĂ©e dans les hameaux des Vosges grĂ©seuses. On parle davantage de polyculteurs assez indĂ©pendants qui possĂšdent plus de prairies que de terres labourĂ©es. Pour ces derniĂšres, la pomme de terre et les cĂ©rĂ©ales secondaires dominent largement[48].
Les différences entre le modÚle de base et ce type transitoire sont les suivantes[49] :
â
Ce modĂšle que le premier regard permet de reconnaĂźtre grĂące Ă la demi-croupe, Ă la ramĂ©e et au pignon sur rue s'apparente trĂšs fortement aux types de maisons d'autres rĂ©gions comme la Franche-ComtĂ©, la Savoie ou dans la Suisse voisine. De prime abord, on ressent l'influence de l'aire culturelle alĂ©manique avec le choix du toit en demi-croupe, parfois mĂȘme en mini-croupe, trĂšs gĂ©nĂ©ralisĂ© en Bade-Wurtemberg, en Suisse, en Alsace et en terres comtoises. Le caractĂšre importĂ© de cette caractĂ©ristique du toit dans ce modĂšle se reconnaĂźt bien par le fait que les pans coupĂ©s en croupe Ă©taient dĂ©signĂ©es dans le langage populaire lorrain par le terme « allemandes »[50]. Le toit Ă demi-croupe Ă©tait en fait Ă l'origine un toit de chaume dont les derniers spĂ©cimens ont rĂ©sistĂ© plus longtemps dans le pays welche. En remplacement, les terres alĂ©mano-franciques ont adoptĂ© la tuile plate dite queue de castor tandis que la façade lorraine a adoptĂ© la tuile mĂ©canique. Tous les modĂšles n'ont pas forcĂ©ment une demi-croupe Ă chaque pignon. Parfois, elle se trouve juste du cĂŽtĂ© de la travĂ©e habitation, partie visible de la rue. En patois vosgien de la montagne, cette petite croupe se nomme « creupe », « bĂ©dane » ou « rabattue »[51]. En dialecte alsacien et francique rhĂ©nan, on utilise le terme « WĂ lme » (prononcĂ© : [vĂ lmÉ])[52].
Appuyant son caractĂšre transitoire, le modĂšle des Vosges grĂ©seuses fait figure de maison des petites et moyennes altitudes dans les rĂ©gions montagneuse de la façade est de la France entre la maison de la plaine et la ferme-chalet de la montagne (Vosges, Doubs, Jura, Haute-Savoie). Sa taille est variable mais jamais trĂšs grande. Elle correspond majoritairement Ă une exploitation axĂ©es sur des activitĂ©s sylvo-agro-pastorales. La forĂȘt jamais bien loin et l'Ă©levage couplĂ© Ă l'activitĂ© fromagĂšre vont souvent de pair avec ce type de maison. La vallĂ©e de la Meurthe autour de Saint-DiĂ©-des-Vosges fait exception dans ce schĂ©ma car le fond de vallĂ©e alluvionnaire et les terres de grĂšs permien sont beaucoup plus fertiles que les zones purement grĂ©seuses comme dans les Vosges du Nord par exemple. Les corps de ferme dans la vallĂ©e de la Meurthe atteignent des dimensions impressionnantes puisqu'elles peuvent disposer de 5 travĂ©es et une capacitĂ© d'engrangement importante.
Le plus petit modĂšle Ă trois petites travĂ©es peu larges (habitation, grange, Ă©table) comporte au rez-de-chaussĂ©e le poĂȘle et la cuisine et Ă l'Ă©tage la chambre jouxtant le grenier au-dessus de la grange.
Le plus grand modĂšle trĂšs large et trĂšs haut prĂ©sente un mur gouttereau percĂ© de 4 portes dont une porte cochĂšre, deux portes des bĂȘtes et une porte des hommes donnant sur un couloir qui traverse toute la maison. La travĂ©e habitation est sĂ©parĂ©e des autres par ce couloir distributeur avec une organisation classique d'avant en arriĂšre : poĂȘle, cuisine et chambre de derriĂšre. La grange est enserrĂ©e par deux Ă©tables dont l'une est une Ă©curie. D'autres modĂšles prĂ©fĂšrent augmenter la surface habitable avec un rang d'habitation comportant six piĂšces au rez-de-chaussĂ©e agencĂ©es comme suit de chaque cĂŽtĂ© du couloir : cĂŽtĂ© pignon poĂȘle, chambre du milieu, chambre de derriĂšre et cĂŽtĂ© grange cuisine, chambre du milieu et chambre de derriĂšre. Il y a encore des chambres Ă l'Ă©tage.
Comme dans les autres modÚles, les parties décoratives et les aménagements mineurs varient en fonction de la localisation entre la Sarre allemande et les Vosges romanes.
- Ferme Ă demi-croupe Ă la Croix-aux-Mines.
- La croupe peut apparaßtre dans un village-rue lorrain comme signe de réussite par exemple,Saint-Louis, Moselle.
- Autre exemple de demi-croupe intégrée dans un village-rue typique de Lorraine, Saint-Louis, Moselle.
Maisons Ă appentis (Schopphus)
Ce modĂšle des terres germanophones de Lorraine et dâAlsace bossue est le plus facile Ă reconnaĂźtre quand on traverse Ă pied ou en voiture un village-rue typique et bien conservĂ© : tout le monde remarquera cette extension du toit devant les travĂ©es de la grange et de lâĂ©table quâon peut dĂ©signer par le terme dâappentis[53]. Lâappentis prend des formes diverses mais la prĂ©sence du bois y est prĂ©dominante. Il correspond Ă un espace utilitaire, couvert par la toiture mais pas forcĂ©ment clos, qui prend une partie du terrain de lâusoir. Quand les maisons sont mitoyennes par deux, les deux appentis se font face de telle sorte que lâintimitĂ© de chaque maison est davantage prĂ©servĂ©e que dans le modĂšle lorrain totalement ouvert. On parle de ce fait dâune « maison Ă Schopp » ou en dialecte francique rhĂ©nan « Schopphus » (prononcĂ© : [ÊÉphus]) car le terme Schopp en francique rhĂ©nan et son Ă©quivalent Schopf en alĂ©manique, dĂ©signent un hangar[54] - [55] ou une remise dont la partie avant nâest pas fermĂ©e, cloisonnĂ©e ou maçonnĂ©e. Son but premier est de mettre Ă lâabri le bois de chauffage, les voitures et lâoutillage entre autres.
Les travaux des historiens Ă©mettent l'hypothĂšse que le Schopp aurait Ă©tĂ© introduit dans l'architecture locale par des immigrants suisses, soit probablement aprĂšs la guerre de Trente Ans. Mais il faut rester prudent car de nombreuses communautĂ©s de rĂ©fugiĂ©s huguenots de l'Alsace bossue mĂ©ridionale proviennent de France. Pour mieux comprendre la complexitĂ© du sujet, l'Alsace bossue est de confession protestante luthĂ©rienne avec jadis une forte prĂ©sence de la confession rĂ©formĂ©e et une minoritĂ© anabaptiste : ce fut en effet une terre d'accueil pour les exclus et les personnes victimes de persĂ©cution et discrimination en raison de leur confession religieuse dans les pays voisins majoritairement catholiques comme la Lorraine ducale ou le royaume de France[56]. On ne peut exclure une fusion de traditions culturelles et architecturales de diverses rĂ©gions europĂ©ennes. De mĂȘme, il faut tenir compte du fait que l'Alsace bossue tire son identitĂ© plurielle du fait qu'elle est de langue et substrat franciques tout en Ă©tant trĂšs influencĂ©e par la culture et la pensĂ©e alsacienne. Avant de passer en France, les terres de l'Alsace bossue actuelle appartenaient Ă des Ă©tats souverains de princes allemands comme la maison de Nassau, les comtes de La Petite-Pierre ou les comtes palatins du Rhin entre autres, ce qui reprĂ©sente un aspect trĂšs spĂ©cifique de cette partie du Plateau lorrain et dans le contexte plus global de l'histoire du massif des Vosges.
En Lorraine, ce type de maison est ultra minoritaire car trĂšs localisĂ© dans l'est de la Moselle (arrondissements de Sarrebourg et Sarreguemines), en marge de la zone d'extension de l'habitat de l'Alsace Bossue. Cela s'explique par le fait que des villages aujourd'hui en Moselle appartenaient autrefois Ă des seigneuries qui se retrouvent aujourd'hui majoritairement dans le Bas-Rhin. En gros, il apparaĂźt dans le pays de Phalsbourg partie est et nord. C'est un modĂšle hybride qu'il est difficile de rĂ©sumer par des normes communes Ă l'exception de l'orientation du gouttereau donnant sur la rue, l'usoir et les trois travĂ©es classiques de l'habitat lorrain. L'intĂ©rieur peut ĂȘtre de conception plutĂŽt alsacienne ou influencĂ© davantage par la culture lorraine. Certains modĂšles ont la grange qui sĂ©pare l'habitation de l'Ă©table. Dans d'autres, on parvient directement Ă l'Ă©table depuis la cuisine par un petit escalier intĂ©rieur, ce qui rappelle davantage l'agencement de la maison alsacienne. On reconnaĂźt Ă©galement l'influence alĂ©manique (alsacienne ou suisse) par une propension Ă dĂ©corer la maison plus flagrante que chez les Lorrains. Le fleurissement y occupe une place importante et les encadrements de portes ou de fenĂȘtres sont davantage sculptĂ©es que dans la plaine lorraine ainsi que les pierres de fondation ou les bas-reliefs monumentaux au-dessus des linteaux de porte. D'aucuns remarqueront aussi un goĂ»t prononcĂ© pour la dĂ©coration de la porte de l'habitation.
En Lorraine, dans le pays de Phalsbourg, le modĂšle de base de l'Alsace bossue a engendrĂ© des variantes qui portent essentiellement sur l'appentis ou sur la toiture. L'appentis peut en effet maçonnĂ© partiellement ou totalement, Ă l'avant ou Ă l'arriĂšre de la maison, ou de chaque cĂŽtĂ© des murs gouttereaux. L'appentis peut apparaĂźtre dans des maisons non mitoyennes qui rappellent davantage le gros modĂšle des Vosges grĂ©seuses avec demi-croupe. Ă Danne-et-Quatre-Vents, oĂč ce type de maison est en train de disparaĂźtre depuis les annĂ©es 2000 Ă la suite de rĂ©novation et modernisation de l'ancien bĂąti qui prĂ©fĂšrent enlever le Schopp, on voit que l'appentis totalement en bois est quasi fermĂ© Ă l'exception d'une petite ouverture au centre du Schopp qu'on peut Ă©ventuellement fermer par une porte.
Les points communs entre le modĂšle lorrain basique et la maison Ă appentis Ă©tant nombreux, on peut identifier le second modĂšle en soulignant surtout les divergences visuelles suivantes :
- DĂ©tail d'un Schopp Ă Danne-et-Quatre-Vents, Lorraine.
- Ornement et niche de porte d'une maison Ă Schopp Ă Danne-et-Quatre-Vents, Lorraine.
- Niche avec statuette de la Vierge, maison Ă Schopp Ă Danne-et-Quatre-Vents, Lorraine.
- Vue en plongée dans le Schopp de la premiÚre photo à gauche.
- Aspect d'une maison dont le Schopp a été enlevé, Danne-et-Quatre-Vents, Lorraine.
- Autre exemple de Schopp démonté sur le cÎté droit, à Danne-et-Quatre-Vents, Lorraine.
- Exemple de maison à Schopp rénovée avec appartement dans l'ancienne travée grange-étable, à Danne-et-Quatre-Vents, Lorraine.
- Autre exemple de Schopp démonté sur la partie gauche, à Danne-et-Quatre-Vents, Lorraine.
Maisons de la VĂŽge orientale
Le terme « maison de la VĂŽge » ne signifie pas que tout le territoire de la VĂŽge soit concernĂ©. La VĂŽge a de toute façon des limites fluctuantes suivant les analystes tant sur le plan gĂ©ographique quâhistorique. De fait, les variantes notables du modĂšle basique de la maison lorraine apparaissent frĂ©quemment aux confins du territoire lorrain sur une zone tampon faisant transition avec une autre aire culturelle, en lâoccurrence la Bourgogne. La partie occidentale de la VĂŽge situĂ©e dans une zone calcaire coquillier[57] qui sâĂ©tend jusquâĂ Sarreguemines le long de la cĂŽte grĂ©seuse prĂ©sente un habitat lorrain classique avec une majoritĂ© de villages-rue. Dans ce cas prĂ©cis, on ne peut nullement parler de maison de la VĂŽge.
La partie centrale et orientale de la VĂŽge sâintĂšgre dans les Vosges grĂ©seuses de par leur faciĂšs gĂ©ologique[57] mais pas trop pour le relief qui se rapproche davantage du plateau trĂšs boisĂ© entaillĂ© par lâĂ©rosion fluviatile[58]. Il nâempĂȘche que, comme dans le massif montagneux grĂ©seux, le sol peu fertile a davantage favorisĂ© une couverture forestiĂšre dense de faible peuplement. Au niveau des voies de communication et des vagues de peuplement mĂ©diĂ©vales, la VĂŽge fut Ă la fois contournĂ©e et convoitĂ©e pour sa vocation industrielle et ses facteurs dâimplantation favorables Ă la verrerie, aux forges, aux carriĂšres et aux activitĂ©s sylvicoles au profit du duc de Lorraine. Les types de village et de maison sâexpliquent par les acensements industriels autour desquels les hameaux Ă©clatĂ©s se sont progressivement formĂ©s. Câest dans ce secteur dans le dĂ©partement des Vosges au sud-ouest d'Ăpinal, situĂ© Ă cheval sur la frontiĂšre rĂ©gionale entre Lorraine et Franche-ComtĂ© que lâon trouve un type de maison de pierre massive, en gĂ©nĂ©ral plus large que profonde, parfois mĂȘme trĂšs large. Il sâĂ©carte du modĂšle de base lorrain peu ou prou pour les mĂȘmes raisons que pour la maison des pays grĂ©seux. Les seuls critĂšres divergents majeurs qui confĂšrent une identitĂ© propre Ă ce type de maison est la couverture du toit en laves[3] - [59] et la place importante accordĂ©e au chalot (prononcĂ© : [ÊelÉ]) commun avec les Vosges saĂŽnoises, notamment le secteur de Fougerolles.
La zone dâextension des lauzes dĂ©bordent dans le dĂ©partement des Vosges en provenance de la Bourgogne et en Franche-ComtĂ©. Le Conseil dâArchitecture dâUrbanisme et de lâEnvironnement de la Meuse explique dans sa brochure dâinformation Ă lâintention des propriĂ©taires qui souhaitent rĂ©nover leur maison dans le respect des traditions locales que « les lauzes calcaires Ă©taient extraites dans la partie occidentale du dĂ©partement des Vosges et dans le Sud-meusien, Ă la limite du dĂ©partement de la Haute-Marne. Il s'agit de plaques de calcaire bathonien appelĂ©es laves, naturellement dĂ©litĂ©es et Ă peine Ă©quarries, extraites dans des carriĂšres appelĂ©es 'laviĂšres'. Elles Ă©taient posĂ©es sur le voligeage et calĂ©es avec un mortier de terre ('l'herbue') »[60].
Toutefois, la région de la VÎge aux portes de la Haute-SaÎne a longtemps opté pour des dalles de grÚs à Voltzia liasique pour la couverture des toits entre le XVIIIe et XXe siÚcles auxquelles le langage courant local donnait également le nom de « laves » extraites dans les laviÚres. En raison de la nature trÚs particuliÚre de cette roche, il était plus facile de le déliter en fonction des plans de stratification[47]. AprÚs avoir été équarries, les laves étaient posées sur un lit de) des « ételles » (planchettes de bois fendu) ou sur un voligeage en sapin.
Comme pour la maison du sillon vosgien, elle hĂ©berge des populations vaquant Ă des activitĂ©s sylvo-agro-pastorales avec une part importante du travail en forĂȘt[58]. Moins Ă©levĂ©e en altitude que les Hautes-Vosges, la VĂŽge se distingue nĂ©anmoins par ses forĂȘts denses peu peuplĂ©es. Elle offre un lieu de travail pour les verriers ou les sagards, et elle est encore plus quâailleurs une terre dâaccueil dâimmigrants dâEurope centrale : pour le verre la BohĂšme, pour les forges et le travail de lâacier le Tyrol et la Styrie. Bien que romane de culture, elle intĂšgre des populations germanophones. Lâagriculture reprĂ©sente pour la plupart des ressources complĂ©mentaires au mĂȘme titre que la dentelle ou la broderie. LâĂ©levage y occupe une place dĂ©cisive[61]. Les acensements par lâautoritĂ© ducale visent les enclaves en pleine forĂȘt et contribuent Ă fixer une population attirĂ©e par les emplois et les matiĂšres premiĂšres pour le verre et le travail de lâacier[58].
La maison de la VĂŽge, terre de transition entre lâaire lorraine et lâaire bourguignonne, rĂ©pond aux critĂšres des travĂ©es lorraines : habitation, grange et Ă©table. Les diffĂ©rences ne sont pas notables avec le modĂšle non mitoyen des Vosges grĂ©seuses.
Le plus petit modĂšle du manouvrier-vigneron comporte deux petites travĂ©es : habitation et exploitation. La premiĂšre est formĂ©e par la cuisine devant et le poĂȘle derriĂšre. La seconde prĂ©sente la grange cĂŽtĂ© rue et lâĂ©table est juste derriĂšre.
Le modĂšle rĂ©current a trois travĂ©es classiques : habitation, grange et Ă©table. Les divergences portent sur la fontaine qui nâest pas intĂ©rieure mais adossĂ©e Ă la maison cĂŽtĂ© Ă©table, sur le four cĂŽtĂ© pignon comme dans la maison haute-vosgienne ou bien en tant que bĂątiment sĂ©parĂ© nommĂ© « chambre Ă four ». LâĂ©lĂ©ment distinctif est le « chĂ©lo » qui fait fonction de rĂ©serve Ă grains. Pour compenser le manque de pente importante, la ferme de la VĂŽge comporte une passerelle en bois qui permet de monter Ă la porte du grenier dans la ramĂ©e, dans le mur pignon arriĂšre.
Ă part le « chĂ©lo », le toit permet de bien distinguer la maison de la VĂŽge par rapport au reste du bassin. Il est en effet Ă deux pans moyennement inclinĂ©s, a priori sans demi-croupe. La pierre est trĂšs reprĂ©sentĂ©e dans lâhabitat de la VĂŽge notamment Ă cause des laves en grĂšs sur le toit[62] qui demeure le trait distinctif de cet habitat confinĂ© dans la rĂ©gion de la VĂŽge.
VallĂ©e de la Weiss et val dâOrbey
Dans le Haut-Rhin, deux types de maisons se cĂŽtoient dans les parties hautes du bassin-versant de la Weiss avec les affluents de lâUr et de la BĂ©hine sans quâil soit nĂ©cessaire de revenir sur le premier dĂ©jĂ dĂ©crit plus haut. En fond de vallĂ©e, le village-rue plus ou moins lĂąche persiste pendant que les critĂšres de lâhabitat lorrain fondamentaux sont respectĂ©s : mur gouttereau face Ă la rue, organisation par travĂ©es, usoir, jardin Ă©tĂ© verger dans le prolongement de la parcelle vers lâarriĂšre jusquâĂ la limite de la forĂȘt ou de la pente. Le toit est en revanche plus inclinĂ© que dans le village lorrain traditionnel et la proximitĂ© avec la culture alsacienne alĂ©manique fait apparaĂźtre la tuile Ă©caille.
Le second modĂšle prĂ©sente de nombreux caractĂšres spĂ©cifiques qui en font une ferme trĂšs localisĂ©e Ă la vallĂ©e de la Weiss, laquelle sâapparente Ă la fois Ă la maison lorraine et Ă la ferme des Hautes-Vosges de lâautre cĂŽtĂ© des crĂȘtes. Contrairement Ă sa cousine cĂŽtĂ© vosgien, elle emprunte au modĂšle lorrain classique le fait quâelle dĂ©veloppe la longue façade du mur gouttereau sur la rue et sur la vallĂ©e[63]. PerchĂ©e sur la pente, le voyageur qui passe sur la route tout en bas en fond de vallĂ©e voit effectivement une vaste demeure trĂšs allongĂ©e dont la façade laisse deviner un nombre trĂšs important de travĂ©es. ModĂšle en largeur, cette ferme offre une grande surface habitable et exploitable car elle a un Ă©tage dans la partie habitation dont le pignon est Ă©galement percĂ© de nombreuses fenĂȘtres. En comptant les deux murs gouttereaux et le pignon de la travĂ©e habitation, cela reprĂ©sente 17 fenĂȘtres possibles. La lecture du mur gouttereau avant fait ressortir une trĂšs large travĂ©e habitation, une grange, une Ă©table-Ă©curie et souvent une quatriĂšme travĂ©e hĂ©bergeant des remises, des ateliers, des celliers ou une autre Ă©table. ComparĂ© au modĂšle du plateau lorrain, cette façade est monumentale de sorte que lâon se doute que la ferme hĂ©berge plusieurs gĂ©nĂ©rations mais aussi les employĂ©s Ă demeure.
Le caractĂšre montagnard sâexprime par lâutilisation de la pente et lâemplacement du bĂąti sur le terrain. La maison-bloc est, en effet, construite devant le chemin de desserte qui passe Ă quelques mĂštres du mur gouttereau arriĂšre protĂ©gĂ© de la route par un talus arborĂ©[63]. De ce fait, la façade avant dĂ©bouche sur les prĂ©s et vergers sans que les occupants soient dĂ©rangĂ©s par les passages de personnes ou de vĂ©hicules sur la route derriĂšre. Cette position assure une fonction pratique en rĂ©alitĂ© car on utilise la diffĂ©rence de hauteur pour entrer plus facilement Ă la grange et au grenier en construisant une rampe dâaccĂšs parfois trĂšs haute jusquâĂ la porte de la lucarne rampante ou le chien-assis dans le toit[63]. La partie supĂ©rieure des pignons est recouverte de bardeaux ou de planches pour aĂ©rer le grenier. Dans les hautes vallĂ©es, les prairies de fauche lâemportent de sorte quâil faut un fort volume dâengrangement dans les fermes. Les hautes vallĂ©es pratiquent les activitĂ©s sylvo-pastorales avec une place importante accordĂ©e Ă lâindustrie laitiĂšre, notamment dans le val dâOrbey[63]. Le climat dâabri rendu possible par les hauts sommets des crĂȘtes qui prennent lâessentiel des prĂ©cipitations autorise une implantation des fermes sur les versants de lâadret oĂč lâon vit toute lâannĂ©e avec des activitĂ©s annexes nĂ©cessitant un atelier ou des remises. Lâusoir disparaĂźt en montagne dans la pente ; Ă la place, un chemin mĂšne sur la cour latĂ©rale qui permet de tourner autour de la maison et de se rendre Ă la porte cochĂšre ou piĂ©tonne. Le potager est de lâautre cĂŽtĂ© non loin du pignon de la travĂ©e habitation[63]. Le toit est trĂšs inclinĂ© et la couleur bleutĂ©e des ardoises hexagonales de Belgique ou d'Angers[64] associĂ©e aux couleurs vives des portes et volets donne un cachet esthĂ©tique caractĂ©ristique Ă la maison de la vallĂ©e de la Weiss. Les chambranles de fenĂȘtres et les encadrements de portes en grĂšs des Vosges contribuent aussi Ă la cohĂ©rence ornementale du corps de bĂątiment.
Bilan des similitudes et divergences notoires :
La vallée de la Bruche et val de Villé
Si lâaire culturelle historique romano-lorraine dĂ©borde Ă lâEst les limites rĂ©gionales, donc au-delĂ des cols du massif vosgien, il ne faut pas omettre de prĂ©ciser aussi que la culture alsacienne sâest progressivement introduite dans les hautes vallĂ©es alsaciennes welches Ă plusieurs niveaux. Somme toute, le contact des Vosgiens avec les Alsaciens germanophones remonte dĂ©jĂ au Moyen Ăge avec des seigneurs habituĂ©s Ă la diglossie et aux affaires politiques mĂȘlant des souverains de chaque cĂŽtĂ© des crĂȘtes (Dabo, Salm, Lorraine, RibeauvillĂ©, bailliage de VillĂ©, Munster, Murbach entre autres). Ensuite, le passage du canton de Schirmeck du dĂ©partement des Vosges Ă lâAlsace remonte maintenant Ă presque 150 ans avec la convention additionnelle signĂ©e le Ă Paris[65] ; dix-huit communes des Vosges passent en Basse-Alsace dans la terre dâEmpire dâAlsace-Lorraine[66]. Ă cela sâajoute la particularitĂ© de lâenclave du Ban de la Roche, terre de refuge et dâaccueil pour les protestants luthĂ©riens, rĂ©formĂ©s et anabaptistes restĂ©s majoritairement francophones aux portes des terres du temporel de lâĂ©vĂȘchĂ© de Strasbourg et du chapitre cathĂ©dral de Saint-DiĂ©. Le brassage des cultures, des langues et religions sây exprime davantage que sur la façade lorraine : lâimmigration suisse, alsacienne, franc-comtoise et française contribue Ă une cohabitation qui ne peut quâinfluencer les habitudes culturelles et artistiques.
Ceci Ă©tant posĂ©, le bĂąti de la vallĂ©e de la Bruche et du val de VillĂ© se lorrainise au fur et Ă mesure que lâon sâapproche des cols de Saales, du Donon, de Hantz ou d'Urbeis. Ces deux vallĂ©es dĂ©marrent Ă l'est par une partie alsacienne et finissent Ă l'ouest dans la sphĂšre d'influence vosgienne. Deux gros massifs Ă cheval sur la frontiĂšre linguistique germano-romane enserrent la vallĂ©e de la Bruche : celui du Donon et celui du Champ du Feu. Vu le caractĂšre de moyenne montagne qui prĂ©domine dans le secteur, câest le modĂšle non jointif avec demi-croupe flanquĂ©e dâune ramĂ©e sur le pignon qui caractĂ©rise lâhabitat local. Cette variante des rĂ©gions collinĂ©ennes Ă©talĂ©e sur les pays grĂ©seux de Lorraine et dans la vallĂ©e moyenne de la Meurthe sâĂ©tend de lâautre cĂŽtĂ© en Alsace. Dans les hameaux, comme ci-contre Ă Ranrupt, la mitoyennetĂ© rĂ©apparaĂźt mais pas de maniĂšre excessive. On y observe toujours les schĂ©mas des trois travĂ©es avec les ouvertures sur le mur gouttereau, soit perpendiculaire Ă la rue, soit parallĂšles quand câest le pignon qui donne sur la rue avec une cour latĂ©rale donnant sur les portes cochĂšre et piĂ©tonne. Toutes les variantes apparaissent de la plus simple au modĂšle Ă un Ă©tage volumineux voire Ă quatre travĂ©es.
La maison de la vallĂ©e de la Bruche, comme celle du val de VillĂ© voisin, se distingue du bassin lorrain outre-Vosges par le maintien du toit de chaume jusquâau dĂ©but du XXe siĂšcle[n 7]. Le chaume est trĂšs adaptĂ© aux versants pentus (entre 35 45°) des toits Ă demi-croupe comme on le retrouve encore en Allemagne du Nord, aux Pays-Bas, mais aussi en Normandie ou dans la BriĂšre. Dans ces rĂ©gions, la rĂ©introduction et la sauvegarde du chaume sont encouragĂ©es par les collectivitĂ©s locales. Ce nâest pas encore le cas dans le Bas-Rhin oĂč la tuile Ă©caille prĂ©domine longtemps sans grande concurrence. Le matĂ©riau chaume a disparu depuis 1910 quand la culture du seigle a Ă©tĂ© abandonnĂ©e[64].
Le cas particulier des maisons jumelles donne un cachet particulier Ă lâhabitat de cette vallĂ©e des Vosges alsaciennes. Il sâagit dâune maison non mitoyenne de type submontagnard Ă demi-croupe avec toit de chaume puis de tuiles plates dont les travĂ©es sont coupĂ©es en deux dans le sens de la faĂźtiĂšre. Le bĂątiment abrite deux logements quasi symĂ©triques dos Ă dos.
- Grand-rue Ă Maisonsgoutte
- TrÚs gros modÚle de la « maison vosgienne des pays gréseux » à Climont
- ModÚle des pays gréseux, rénové, à Fouchy
- Ferme ayant adaptĂ© lâentrĂ©e de grange Ă Fouchy
- ModĂšle hybride vosgien-alsacien Ă Bassemberg
Maisons fortes
Gérard Giuliato[67] situe l'apparition des maisons fortes entre 1250 et 1340, le plus souvent érigées par des chevaliers sous le contrÎle des princes. Ces derniers imposent des rÚgles de construction et en limitent le niveau de fortification. Comme en Normandie, les maisons fortes ont comme rÎle de renforcer les frontiÚres.
à proximité de la ville de Toul, il subsiste de nombreuses maisons fortes que l'on peut toujours contempler dénommées communément « maisons fortes du Toulois ». Le plus souvent ces maisons fortes sont de forme carrée de quatre niveaux de hauteur, flanquées de quatre tours.
On peut citer, de maniĂšre non exhaustives, celles de Sexey-aux-Forges ou de Villey-Saint-Ătienne ainsi que celles communĂ©ment appelĂ©es « chĂąteaux », de Boucq ou de Bouvron.
Notes et références
Notes
- Guy Cabourdin ne souscrit pas entiĂšrement Ă cette thĂ©orie comme nous lâexplique Jean Peltre dans son article sur la thĂšse de Cabourdin en 1975 : « Ces maisons sont jointives, au moins par rangĂ©es. Des crĂ©neaux restent libres, au moins provisoirement. Mais l'auteur ne croit pas Ă l'engraissement progressif du village-rue, suggĂ©rĂ© pourtant par de multiples documents. ImpressionnĂ© par la frĂ©quence des « places maziĂšres » du milieu du XVe siĂšcle au milieu du XVIe siĂšcle, de 1598 Ă 1608 ensuite, tandis qu'elles sont exceptionnelles de 1560 Ă 1598 et de 1608 Ă la guerre de Trente ans, il propose une autre hypothĂšse. Les crĂ©neaux libres seraient en rĂ©alitĂ© des places Ă bĂątir anciennement occupĂ©es car village-rue et maisons en profondeur Ă©taient dĂ©jĂ en place au milieu du Moyen Age. Aux wĂŒstungs du bas Moyen Age, consĂ©quences du dĂ©clin de la population et des activitĂ©s rurales, correspondraient donc les « places maziĂšres » des villages toujours debout. L'hypothĂšse est sĂ©duisante mais rien ne prouve une aussi grande anciennetĂ© du village-rue et de la maison bloc en profondeur qui ne sont d'ailleurs pas liĂ©s organiquement. »
- Si le mĂ©moire insiste par deux fois sur le paradoxe de la « nouvelle place » pour ce problĂšme c'est qu'elle vient juste d'ĂȘtre construite : il s'agit de la place Stanislas construite en lieu et place du pĂąquis oĂč se tenaient depuis des siĂšcles les foires aux bestiaux Ă BruyĂšres. Il est Ă©tonnant que des bĂątiments urbains en pierres de taille aient reçu une couverture en bardeaux.
- Nancy comptait Ă cette Ă©poque environ 35 000 habitants.
- Le « solaire » est un vent du sud et la « djosĂšne » ou « ardĂȘne » est un vent humide du nord-ouest ; les deux sont anecdotiques comparĂ©s aux influences ocĂ©aniques et continentales. Le « heutcherand » est le vent qui amĂšne la pluie, celui qui siffle par les portes, on parle Ă©galement tout simplement de « grand vent ».
- A minima en Lorraine belge.
- A minima dans l'ancienne excroissance géographique de lorraine qui allait de Vaudrevange jusqu'à Tholey, celle-ci fut cédée à la Prusse dans le cadre des traités de Paris (1814 et 1815).
- Pour voir une photo ancienne dâune maison avec toit de chaume dans la vallĂ©e de la Bruche voir par exemple la premiĂšre photographie sur : « Sauvegarde de la maison alsacienne : La toiture », sur ASMA, .
Références
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Voir aussi
Bibliographie
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- Georges Savouret, « Ethnographie : Les villages vosgiens », dans A. Ronsin, B. Houot, A. Litaize, P. Joudrier, J. Estrade, N. Lefranc, J.P. Doyen, Vosges, Paris, Christine Bonneton, (ISBN 2862530778), p. 87-133.
Articles connexes
Lien externe
- Pascal Curin, « L'habitat lorrain », sur Projetbabel,
- Association Route des Chalots, « Qu'est-ce qu'un chalot? », sur La route des chalots,