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RĂ©gence de Marie-Christine d'Autriche

La rĂ©gence de Marie-Christine d'Autriche est la pĂ©riode de l’histoire politique contemporaine de l’Espagne qui s’étend entre la mort d’Alphonse XII le 25 novembre 1885 et le rĂšgne personnel d’Alphonse XIII qui commence le 17 mai 1902, jour des 16 ans de ce dernier, au cours de laquelle la rĂ©gence fut exercĂ©e par l’épouse du premier et mĂšre du second, Marie-Christine d'Autriche. Elle constitue la deuxiĂšme phase de la Restauration (1875-1931).

La reina regente MarĂ­a Cristina de Habsburgo-Lorena y Alfonso XIII (« La Reine rĂ©gente Marie-Christine de Habsboug-Lorraine et Alphonse XIII », 1890), tableau d’Antonio Caba (AcadĂ©mie royale catalane des beaux-arts de Saint-Georges, Barcelone).

Selon l’historien Manuel SuĂĄrez Cortina, « la RĂ©gence fut une pĂ©riode spĂ©cialement significative de l'histoire de l’Espagne, car dans ces annĂ©es de fin de siĂšcle le systĂšme connut sa stabilisation, le dĂ©veloppement des politiques libĂ©rales, mais Ă©galement l’apparition de grandes fissures qui sur le terrain international se manifestĂšrent dans la guerre coloniale, d’abord, et avec les États-Unis, ensuite, provoquant la dĂ©faite militaire et diplomatique qui amena la perte des colonies aprĂšs le traitĂ© de Paris de 1898. Sur le terrain intĂ©rieur la sociĂ©tĂ© espagnole connut une mutation considĂ©rable, avec l'apparition de rĂ©alitĂ©s politiques aussi significatives que l'Ă©mergence des rĂ©gionalismes et nationalismes pĂ©riphĂ©riques, le renforcement d'un mouvement ouvrier Ă  la double filiation, socialiste et anarchiste, et la persistence soutenue, bien que dĂ©croissante, des oppositions rĂ©publicaine et carliste »[1].

Mort d’Alphonse XII et pacte du Pardo

Gravure de Juan Comba García pour La Ilustración Española y Americana (30 novembre 1885) représentant la mort du roi Alphonse XII au palais du Pardo de Madrid.

Le jeune roi Alphonse XII meurt le 25 novembre 1885 de la tuberculose, et c’est alors son Ă©pouse Marie-Christine d'Autriche, une femme jeune — ĂągĂ©e de 27 ans —, Ă©trangĂšre depuis peu en Espagne et rĂ©putĂ©e peu intelligente, qui assume la rĂ©gence du royaume d'Espagne[2] - [3]. À la faiblesse apparente dans laquelle se trouvait la plus haute institution de l’État s’ajoutait le fait que le couple royal ayant eu deux filles et la rĂ©gente Ă©tant alors enceinte, le royaume ne disposait d'aucun hĂ©ritier mĂąle. Ainsi, la mort d’Alphonse XII crĂ©a un certain « vide de pouvoir » — MenĂ©ndez Pelayo Ă©crivit Ă  Juan Valera, qui se trouvait Ă  Washington : « La mort du roi a produit ici une singuliĂšre stupeur et de l’incertitude. Personne ne peut deviner ce qui adviendra »[3] —, susceptible d’ĂȘtre mis Ă  profit par les carlistes ou les rĂ©publicains pour renverser le rĂ©gime de la Restauration[4]. De fait, en septembre 1886, seulement quatre mois aprĂšs la naissance d’Alphonse XIII, eut lieu un soulĂšvement rĂ©publicain dirigĂ© par le gĂ©nĂ©ral Manuel Villacampa del Castillo et organisĂ© depuis l’exil par Manuel Ruiz Zorrilla, qui constitua la derniĂšre tentative de coup militaire du rĂ©publicanisme et dont l’échec divisa profondĂ©ment ce mouvement[5].

Le palais du Pardo (1885), gravure de Juan Comba García pour La Ilustración Española y Americana.

Pour faire face Ă  la situation d’incertitude ouverte par la mort du roi, les leaders des partis du turno — Antonio CĂĄnovas del Castillo pour le Parti conservateur et PrĂĄxedes Mateo Sagasta pour le Parti libĂ©ral-fusionniste — se rĂ©unirent alors avec le mĂ©diation du gĂ©nĂ©ral MartĂ­nez Campos pour convenir d’une alternance au pouvoir en faveur des seconds. Cet accord, connu sous le nom de pacte du Pardo, impliquait la « bienveillance » des conservateurs — alors majoritaire aux CortĂšs — envers le nouveau gouvernement libĂ©ral de Sagasta. Toutefois, la faction du Parti conservateur dirigĂ©e par Francisco Romero Robledo n’accepta pas la cession du pouvoir Ă  Sagasta et quitta le parti pour fonder le Parti libĂ©ral-rĂ©formiste — auquel se joignit la Gauche dynastique de JosĂ© LĂłpez DomĂ­nguez[6] —, une tentative de crĂ©er un espace politique intermĂ©diaire entre les deux partis du turno[7] - [8]«_[El_''pacto_del_Pardo''_fue]_una_muestra_extraordinaria_de_sabidurĂ­a_polĂ­tica_y_de_altruismo_—al_colocar_los_intereses_generales_por_encima_de_los_particulares—_por_parte_de_CĂĄnovas_»_9-0">[9].

Tableau reprĂ©sentant la prestation de serment de Marie-Christine d’Autriche sur la Constitution de 1876 lors de l’acte de sa proclamation comme rĂ©gente en dĂ©cembre 1885. Marie-Christine, enceinte, est accompagnĂ©e de ses deux filles, MarĂ­a de las Mercedes de Bourbon et Marie-ThĂ©rĂšse de Bourbon. Face Ă  elle, le prĂ©sident du gouvernement Antonio CĂĄnovas del Castillo.

Plusieurs mois plus tard, CĂĄnovas justifia cet accord (une « trĂȘve », une « paix autour du trĂŽne ») devant le CongrĂšs des dĂ©putĂ©s par sa conviction de la nĂ©cessitĂ© de mettre fin Ă  la « lutte ardente dans laquelle [se trouvaient] Ă  l’époque les partis monarchistes »«_NaciĂł_en_mĂ­_el_convencimiento_de_que_era_preciso_que_la_lucha_ardiente_en_que_nos_encontrĂĄbamos_a_la_sazĂłn_los_partidos_monĂĄrquicos
_cesara_de_todos_modos_y_cesara_por_bastante_tiempo._PensĂ©_que_era_indispensable_una_tregua_y_que_todos_los_monĂĄrquicos_nos_reuniĂ©ramos_alrededor_de_la_MonarquĂ­a._[
]_Y_una_vez_pensado_esto
_ÂżquĂ©_me_tocaba_a_mĂ­_hacer?_Âżes_que_despuĂ©s_de_llevar_entonces_cerca_de_dos_años_en_el_gobierno_y_de_haber_gobernado_la_mayor_parte_del_reinado_de_Alfonso_XII,_me_tocaba_a_mĂ­_dirigir_la_voz_a_los_partidos_y_decirles:_'porque_el_paĂ­s_se_encuentra_en_esta_crisis_no_me_combatĂĄis_mĂĄs;_hagamos_la_paz_alrededor_del_trono;_dejadme_que_me_pueda_defender_y_sostener?_Eso_hubiera_sido_absurdo_y,_ademĂĄs_de_poco_generoso_y_honrado,_hubiera_sido_ridĂ­culo._Pues_que_yo_me_levantaba_a_proponer_la_concordia_y_a_pedir_la_tregua,_no_habĂ­a_otra_forma_de_hacer_creer_en_mi_sinceridad_sino_apartarme_yo_mismo_del_poder._»_10-0">[10].

Au mois de juin, les diverses factions libĂ©rales avaient conclu un accord connu sous le nom de ley de garantĂ­as (« loi des garanties ») qui permit de restaurer l’unitĂ© du parti. ÉlaborĂ© par Manuel Alonso MartĂ­nez, en reprĂ©sentation des « fusionnistes », et par Eugenio Montero RĂ­os, des « gauchistes », il consista fondamentalement dans l’introduction des libertĂ©s et droits reconnus au cours du Sexenio DemocrĂĄtico — suffrage universel, introduction des jurys, etc. —, en Ă©change de l'acceptation de la souverainetĂ© partagĂ©e entre le roi et les CortĂšs, sur laquelle Ă©tait basĂ©e la Constitution de 1876, et qui signifiait qu’en dernier lieu c'Ă©tait la Couronne qui exerçait la souverainetĂ© et non l’électorat. La faction dirigĂ©e par le gĂ©nĂ©ral JosĂ© LĂłpez DomĂ­nguez, Ă  qui Sagasta offrit l’ambassade de Paris, resta en dehors du Parti libĂ©ral-fusionniste car il exigea un minimum de 27 dĂ©putĂ©s au nouveau Parlement, nombre qui fut jugĂ© excessif[6].

Le « Parlement long » de Sagasta (1885-1890)

En avril 1886, cinq mois aprĂšs avoir formĂ© un gouvernement et un mois avant la naissance du futur Alphonse XIII, les libĂ©raux convoquĂšrent des Ă©lections gĂ©nĂ©rales pour se doter d’une majoritĂ© solide au Parlement et pouvoir pleinement mettre en Ɠuvre leur programme — bien que certaines rĂ©formes aient dĂ©jĂ  Ă©tĂ© menĂ©es grĂące Ă  l’accord avec les conservateurs —. En raison de sa durĂ©e — prĂšs de cinq ans —, cette pĂ©riode est connue comme le « gouvernement long » (Gobierno Largo) de Sagasta ou le « Parlement long » (« Parlamento Largo ») ; il s’agit de la plus longue lĂ©gislature de la Restauration, seul cas oĂč celle-ci parvint presque Ă  son terme, malgrĂ© plusieurs crises que l’exĂ©cutif dut surmonter parfois avec difficultĂ©[6].

Au cours de celle-ci est mené un ensemble de réformes fondamentales pour définir le profil de la Restauration, et elle est parfois considéré comme sa phase la plus féconde[8].

RĂ©formes politiques et juridiques

Manuel Alonso Martínez, ministre de la Grùce et de la Justice, grand promoteur des réformes politiques et juridiques du « Parlement long ».

La premiĂšre grande rĂ©forme du « gouvernement long » de Sagasta fut l’approbation en juin 1887 de la Ley de Asociaciones (« Loi sur les associations ») qui rĂ©gulait la libertĂ© d’association pour les fins de la « libertĂ© humaine » et incluait la libertĂ© syndicale, permettant aux organisations ouvriĂšres d’agir dans la lĂ©galitĂ© et dĂ©bouchant sur un dĂ©veloppement notable du mouvement ouvrier en Espagne. Dans le cadre de la nouvelle loi, la FĂ©dĂ©ration des travailleurs de la rĂ©gion espagnole anarcho-syndicaliste, fondĂ©e en 1881, se dĂ©veloppa comme successeur de la FĂ©dĂ©ration rĂ©gionale espagnole] du Sexenio DemocrĂĄtico, l’Union gĂ©nĂ©rale des travailleurs (UGT) fut fondĂ©e en 1888 et, la mĂȘme annĂ©e, le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) — nĂ© dans la clandestinitĂ© neuf ans auparavant — put cĂ©lĂ©brer son premier congrĂšs«_Sin_el_marco_de_amparo_legal_que_proporcionaba,_probablemente_no_hubieran_experimentado_crecimientos_visibles_las_sociedades_de_oficios_y_de_resistencia_que_convirtieron_el_movimiento_societario_en_el_antecedente_del_movimiento_sindical._»_11-0">[11]

La seconde grande rĂ©forme fut la dite Ley del jurado (« Loi du jury »), une vieille revendication du libĂ©ralisme progressiste qui avait toujours rencontrĂ© l'opposition des secteurs conservateurs, approuvĂ©e en avril 1888. Les jurys furent introduits pour les dĂ©lits les plus importants dans le maintien de l’ordre social ou qui affectaient les droits individuels, comme la libertĂ© d'imprimerie. Selon la loi, le jury Ă©tait chargĂ© d’établir les faits et la qualification juridique de ceux-ci Ă©tait attribuĂ©e aux juges[12].

Portrait d’Emilio Castelar, par Joaquín Sorolla.

La troisiĂšme grande rĂ©forme fut l’introduction du suffrage universel masculin par une loi approuvĂ©e le 30 juin 1890. Celle-ci ne fut nĂ©anmoins pas le fruit de la pression populaire en faveur de l'extension du suffrage, cette approbation fut en rĂ©alitĂ© un moyen utilisĂ© par Sagasta pour assurer l’unitĂ© du parti et du gouvernement, satisfaisant une revendication historique du libĂ©ralisme dĂ©mocratique Ă  un moment oĂč augmentaient les tensions au sein du parti Ă  cause de la pression des gamacistes pour l’approbation de droits de douane protectionnistes pour la production cĂ©rĂ©aliĂšre. Cette loi permit le renforcement du Parti libĂ©ral — et par suite du rĂ©gime de la Restauration dans son entiĂšretĂ© — avec l’intĂ©gration des rĂ©publicains « possibilistes » (es) d'Emilio Castelar, comme ils s'y Ă©taient engagĂ©s en cas d’extension du suffrage[13].

Toutefois, l’approbation du suffrage pour tous les individus masculins ĂągĂ©s de 25 ans ou plus — environ 5 millions en 1890 —, indĂ©pendamment de leurs revenus, Ă  diffĂ©rence de ce qu'impliquait le suffrage censitaire antĂ©rieur, n’impliqua pas la dĂ©mocratisation du systĂšme politique : la fraude Ă©lectorale fut maintenue — Ă  cause de la « dĂ©goĂ»tante plaie du caciquisme », comme on le dit Ă  l’époque —, mais dorĂ©navant l’influence des rĂ©seaux de caciques s'Ă©tendit Ă  l'ensemble de la population, si bien que les gouvernements continuĂšrent d’ĂȘtre constituĂ©s avant les Ă©lections et la pratique de l’encasillado permit au gouvernement de « fabriquer » des Ă©lections sur mesure et de s’assurer une solide majoritĂ© aux Cortes. Au cours de la Restauration, aucun gouvernement ne perdit jamais aux Ă©lections gĂ©nĂ©rales[14] - [15].

Selon Carlos DardĂ©, la raison de fond de ce « manque d’effets mobilisateurs de la vie politique du suffrage universel [
] Ă©tait la condition sociale — Ă©conomique et culturelle — des nouveaux Ă©lecteurs, et leur horizon politique. L’immense majoritĂ©, masculine, Ă  qui avait Ă©tĂ© donnĂ© le droit au vote n'Ă©tait pas composĂ©e par des classes moyennes et travailleuses de caractĂšre urbain, ou de paysans indĂ©pendants, impliquĂ©s dans un projet politique de caractĂšre dĂ©mocratique, mais par des masses rurales, extrĂȘmement pauvres et alphabĂštes, complĂštement Ă©trangĂšre Ă  un tel projet politique, avec l'espoir d’une rĂ©volution sociale, dans la moitiĂ© sud du pays, et du triomphe du carlisme dans une bonne partie du nord ; des masses qui, de plus, avaient connu soit une forte rĂ©pression policiĂšre soit la dĂ©faite dans une guerre civile »[15].

Caricature satirique de l’hebdomadaire La Flaca ironisant sur la fiction Ă©lectorale. On y voit au premier plan le libĂ©ral Sagasta, juchĂ© sur l'entonoir du « suffrage universel », Ă  la tĂȘte d’une cohorte de caciques et de membres des forces de l’ordre portant des urnes et poussant des brouettes de votes, suivis « conseils municipaux en conserve », de sicaires, paysans et ouvriers prisonniers, dont les derniers font « voter les morts ».

Ainsi, « bien que formellement [l’approbation du suffrage universel] Ă©quivalĂ»t Ă  l’implantation de la dĂ©mocratie, en pratique rien ne changea »[14]. « Les dĂ©putĂ©s continuĂšrent d’ĂȘtre, plus ou moins, les mĂȘmes ; aucun groupe social, Ă  un petit nombre d’exceptions, accĂ©da au pouvoir lĂ©gislatif. La transformation de la structure des partis n’eut pas lieu non plus, et ils continuĂšrent d’ĂȘtre des partis de notables (es) ; on ne promut aucune type d’organisation de base qui servĂźt Ă  capter le vote des citoyens Ă  qui l’on venait de reconnaĂźtre le droit Ă©lectoral »[15]. De plus, la Constitution ne fut pas rĂ©formĂ©e, si bien que le principe de souverainetĂ© nationale ne fut toujours pas reconnu, et seulement un tiers du SĂ©nat Ă©tait Ă©lu. La libertĂ© de culte, autre grand principe d’un systĂšme dĂ©mocratique, ne fut pas non plus reconnue[16]

Les garanties pour assurer la transparence du suffrage et ainsi Ă©viter la fraude Ă©lectorale, comme la mise Ă  jour des listes Ă©lectorales par un organisme indĂ©pendant ou l'exigence d’une accrĂ©ditation Ă  la personne qui allait, voter ne furent pas adoptĂ©es. L'ensemble du processus Ă©lectoral resta entre les mains du ministre de l’IntĂ©rieur (GobernaciĂłn), connu comme le « grand Ă©lecteur », qui s’occupait de s’assurer que son gouvernement jouisse d’une large majoritĂ© au Parlement. « le fait que dans certains noyaux urbains l’opposition pĂ»t inverser cette rĂ©alitĂ©, n’en reste pas moins un fait presque anecdotique. Le contrĂŽle politique depuis le haut, la pratique du turno par le biais de la fraude Ă©lectorale est ce qui constitue l’essence des pratiques politiques de l’Espagne de la fin du siĂšcle »[17]. « Dans certaines villes — Madrid, Barcelone, Valence
 — les choses changĂšrent effectivement en faveur d’une politique moderne, basĂ©e sur l’opinion publique ; la preuve en est que la reprĂ©sentation rĂ©publicaine fut plus nombreuse et constante, arrivant Ă  certaines occasions Ă  atteindre la majoritĂ© des dĂ©putĂ©s qu’élisaient ces grandes noyaux de population ; avec le passage du temps, les socialistes finiraient aussi par ĂȘtre Ă©lus ; en Catalogne, les nationalistes parvinrent Ă  envoyer une reprĂ©sentation significative au CongrĂšs Ă  Madrid ; la mĂȘme chose doit ĂȘtre dite des carlistes en Navarre. Mais cette reprĂ©sentation de dĂ©putĂ©s se perdait irrĂ©mĂ©diablement dans l’ensemble national : sur les environ 400 siĂšges du CongrĂšsm le maximum de dĂ©putĂ©s rĂ©publicains fut de 36, en 1903, et celui de socialistes, 7 en 1923 »[18]. Les districts Ă©lectoraux, tous uninominaux, continuĂšrent d’ĂȘtre majoritaires — 200 dĂ©putĂ©s —, tandis que les districts urbains Ă©taient rĂ©unis Ă  de larges zones rurales, car il s’agissait de districts plurinominaux ou de circonscriptions — 114 au total — dans lesquels on Ă©lisait entre 3 et 8 dĂ©putĂ©s, en fonction de la population, si bien que les votes des zones rurales ensevelissaient les votes urbains moins contrĂŽlables par les rĂ©seaux de caciques[15].

Une autre rĂ©forme rĂ©side dans l'approbation en mai 1889 du Code civil qui, avec le Code pĂ©nal de 1870 et le Code du commerce (es) de 1885, configure dĂ©finitivement l’« Ă©difice juridique du nouvel ordre bourgeois » en appliquant au domaine privĂ© ce que la Constitution de 1876 avait reprĂ©sentĂ© pour le domaine public. Ce Code civil inclut Ă©galement le droit civil foral (es) et respecte le droit canonique catholique relativement au mariage[19].

Portrait du général Manuel Cassola, gravure publiée dans La Ilustración Española y Americana.

Le gouvernement Ă©choua dans sa tentative de rĂ©forme de l’ArmĂ©e, dont la situation « Ă©tait, dans son ensemble, trĂšs dĂ©ficiente en comparaison avec d’autres armĂ©es nationales » car « plus que comme une institution pensĂ©e pour la guerre, elle Ă©tait organisĂ©es pour les tĂąches de garnison et d’ordre public, avec des troupes mal dotĂ©es, des recrues forcĂ©es, un excĂšs de commandements [chefs et officiers], et avec une structure organisative peu adĂ©quate ». L’ArmĂ©e jouissait d’une grande autonomie dans le rĂ©gime de la Restaurationm, ce qui fut le prix Ă  payer pour qu’elle accepte de se soumettre au pouvoir civil, mais aussi la cause fondamentale de l’échec de sa rĂ©forme : « Toute rĂ©forme devait ĂȘtre abordĂ©e avec l’aquiescement des commandements. Une tĂąche extrĂȘmement dĂ©licate, Ă©tant donnĂ© que la situation d’hypertrophie, l’excĂšs d’officiers, le mauvais Ă©quipement et un esprit de corps, fondĂ© sur une forte tradition d’auto-recrutement, avait fait des Forces armĂ©es une rĂ©alitĂ© peu permĂ©able aux demandes et contrĂŽles externes ». Ainsi, le projet de loi prĂ©sentĂ© en juin 1887 par le ministre de la Guerre, le gĂ©nĂ©ral Manuel Cassola, ne fut pas approuvĂ© par les CortĂšs en raison de la forte opposition qu’il suscita parmi les conservateurs, Ă  commencer par CĂĄnovas lui-mĂȘme, et parmi les militaires parlementaires, conservateurs comme libĂ©raux. Un des points les plus polĂ©miques fut la proposition d’établir un service militaire obligatoire sans rĂ©demption ni remplacements, qui permettaient aux fils de familles aisĂ©es de ne pas entrer dans les rangs en Ă©change d’une somme d’argent dĂ©terminĂ©e ou d’envoyer un autre jeune homme en remplacement. En juin 1888, Cassola dĂ©missionna et le gouvernement choisit d’imposer par dĂ©cret les parties les moins controversĂ©es de la loi et qui n'avaient pas Ă©tĂ© contestĂ©es par les CortĂšs. Le loi « supprima les grades honorifiques, les emplois supĂ©rieurs Ă  l’emploi effectif, la mobilitĂ© entre armes Ă  l’exception de quelques corps spĂ©ciaux ; elle Ă©tablit la promotion Ă  l’anciennetĂ© en temps de paix et la possibilitĂ© en temps de guerre d’échanger volontaire une promotion au mĂ©rite avec une mĂ©daille »[20].

Renforcement du mouvement ouvrier: FTRE, UGT et refondation du PSOE

En raison de la lenteur du processus d’industrialisation, la classe ouvriĂšre resta une minoritĂ© au sein des classes travailleuses urbaines, essentiellement concentrĂ©e en Catalogne et dans les zones miniĂšres de Biscaye et des Asturies. Les conditions de travail dans les industries et les mines Ă©taient trĂšs dures. Vers 1900, la journĂ©e de travail moyenne Ă©tait de 10 Ă  11 h avec un salaire d'entre 3 et 4 pesetas quotidiennes dans les usines et les ateliers, entre 3.25 et 5 pesetas dans les mines, et de 2.5 pesetas dans la construction[21]. En ce qui concerne la classe ouvriĂšre agricole — ou « prolĂ©tariat rural » —, les salaires restĂšrent bas pour permettre la rentabilitĂ© des exploitations si bien que les journaliers continuĂšrent de constituer le secteur des classes rurales qui vivait dans les pires conditions. Leurs salaires Ă©taient significativement infĂ©rieurs Ă  ceux des ouvriers industriels — entre 1 et 1.5 pesetas quotidienne vers 1900 — et ils n’avaient pas de travail toute l’annĂ©e. La situation en Andalousie et EstrĂ©madure Ă©tait spĂ©cialement scandaleuse : « les gains obtenus par le travail Ă  la tĂąche de tous les membres de la famille, du matin au soir, plus de 16 heures par jour [en Ă©tĂ©], dans les pĂ©riodes de moisson, le gaulage des oliviers et la rĂ©colte des olives, ou de la vendange ne suffisaient pas Ă  assurer ne serait-ce qu’une alimentation suffisante pour toute l’annĂ©e, lorsque le travail Ă©tait seulement sporadique »[21].

Exécution des condamnés pour les événements de Jerez (es) de 1892, une de Le ProgrÚs Illustré.

L’approbation de la loi sur les associations renforça les organisations ouvriĂšres qui s’étaient formĂ©es dans le cadre de la libĂ©ralisation politique mise en marche par le premier gouvernement de Sagasta de 1881-1883 et qui leur avait permis d'agir dans la lĂ©galitĂ©. Ce fut le cas de l’anarcho-syndicaliste FĂ©dĂ©ration des travailleurs de la rĂ©gion espagnole (FTRE) fondĂ©e Ă  Barcelone en septembre 1881 et qui parvint presque Ă  atteindre les 60 000 affiliĂ©s regroupĂ©s dans 218 fĂ©dĂ©rations, dans leur majoritĂ© des journaliers andalous et des ouvriers industriels catalans. La FTRE fut dissoute en 1888 lorsque s’imposa la secteur de l'anarchisme qui critiquait l’existence d’une organisation publique, lĂ©gale et avec une dimension syndicale et qui, au contraire, dĂ©fendait le « spontanĂ©isme » — Ă©tant donnĂ© que tout type d’organisation limitait l’autonomie individuelle et pouvait « distraire » ses composants de l’objectif basique, la rĂ©volution, en plus de favoriser l’« embourgeoisement » —. Face Ă  elle, la tendance « syndicaliste » dĂ©fendait le renforcement de l’organisation pour, Ă  travers des grĂšves et d’autres formes de lutte, arracher aux patrons des amĂ©liorations salariales et des conditions de travail. Le triomphe de la tendance « spontanĂ©niste » et « insurrectionnaliste » fut favorisĂ© par la brutale rĂ©pression que le gouvernement mena contre les anarchistes andalous sur la base des assassinats et vols prĂ©sumĂ©s attribuĂ©s Ă  la Mano Negra en 1883, mystĂ©rieuse organisation clandestine dont l’existence n'est pas assurĂ©e et qui qui quoi qu'il en soit n’avait rien Ă  voir avec le FTRE. Bien que le mouvement anarchiste restĂąt prĂ©sent Ă  travers de publications et d’initiatives Ă©ducatives, la dissolution de la FTRE ouvrit « le chemin pour la prĂ©dominance des actions individuelles de caractĂšre terroriste, pour la propagande par le fait qui prolifĂšrerait au cours de la dĂ©cennie suivante »[22].

Pour leur part les socialistes, qui en mai 1879 avaient fondĂ© le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) — dont l’objectif Ă©tait, comme l'affirma son pĂ©riodique El Socialista, de « fournir l'organisation de la classe travailleuse dans un parti politique, diffĂ©rent et opposĂ© Ă  tous ceux de la bourgeoisie » —, convoquĂšrent un CongrĂšs ouvrier cĂ©lĂ©brĂ© Ă  Barcelone en aoĂ»t 1888 et dont surgit le syndicat Union gĂ©nĂ©rale des travailleurs (UGT), dont Antonio GarcĂ­a Quejido fut le premier prĂ©sident. Dix jours plus tard, toujours Ă  Barcelone, le PSOE cĂ©lĂ©bra son premier congrĂšs (es), qui approuva ce qui serait connu sous le nom de programa mĂĄximo (« programme maximal ») et dĂ©signa Pablo Iglesias comme son premier prĂ©sident[23].

IntĂ©grĂ© dans la DeuxiĂšme Internationale, le PSOE cĂ©lĂ©bra sa premiĂšre JournĂ©e internationale des travailleurs le dimanche 4 mai 1890 pour revendiquer la journĂ©e de 8 heures ainsi que l’interdiction du travail pour les mineurs de moins de 14 ans. la rĂ©duction de la journĂ©e de travail Ă  6 h pour les jeunes entre 14 et 18 ans, l'abolition du travail nocturne et l’interdiction du travail des femmes dans toutes les branches de l’industrie « qui affectent particuliĂšrement l’organisme fĂ©minin ». El Socialista publia[24] :

« Aujourd’hui les travailleurs peuvent faire sentir leur force pacifiquement [
] sur la classe privilĂ©giĂ©e. Demain, lorsque l’organisation du prolĂ©tariat sera complĂšte, et la bourgeoisie ne voudra pas cĂ©der devant la raison qui assiste celui-lĂ  et le pouvoir qui l'accompagne, l’heure sera venue d’agir de façon rĂ©volutionnaire. »

Toutefois, Ă  diffĂ©rence des organisations anarchistes, la croissance du PSOE et de son syndicat l’UGT fut trĂšs lente et ne s’enracina jamais en Andalousie ou en Catalogne. Dans la derniĂšre dĂ©cennie du XIXe siĂšcle, ils n’étaient parvenus Ă  s’implanter pleinement que parmi les mineurs de Biscayes, grĂące au travail de Facundo Perezagua, et des Asturies. « Le faible nombre de votes obtenu aux Ă©lections de 1891 donne une idĂ©e de la faiblesse socialiste : guĂšre plus de 1 000 Ă  Madrid ; et environ 5 000 dans toute l’Espagne. Vers 1910, en se prĂ©sentant en solitaire, le PSOE ne parvint jamais Ă  rassembler plus de 30 000 votes dans tout le pays ; et il n’obtint aucun dĂ©putĂ© »[24].

La lente croissance des organisations ouvriĂšres s’explique par un processus d’industrialisation limitĂ© et le fait que le rĂ©publicanisme demeura le cadre basique de rĂ©fĂ©rence politique pour les secteurs ouvriers et populaires. Ce qui sĂ©parait fondamentalement ce mouvement des deux tendances ouvriĂšres — anarchisme et socialisme — Ă©tait l’absence de questionnement par les rĂ©publicains des fondements de la sociĂ©tĂ© capitaliste, Ă©tant donnĂ© que ses partis Ă©taient « interclassiste », si bien qu’ils dĂ©fendaient seulement la rĂ©forme de cette sociĂ©tĂ© avec des mesures comme « le dĂ©veloppement du coopĂ©rativisme, la constitution de jurys mixtes [pour rĂ©soudre les conflits entre patrons et ouvriers], la concession de crĂ©dits Ă  faible taux d’intĂ©rĂȘts aux paysans ou la rĂ©partition de certaines terres et, dans certains cas, des mesures interventionnistes de la part de l’État, comme la rĂ©duction par la loi de la journĂ©e de travail ou la rĂ©glementation des conditions dans lesquelles il Ă©tait rĂ©alisĂ© »[25].

Depuis les milieux catholiques, on tenta de crĂ©er un mouvement ouvrier confesionnel sur la base de l’encyclique papale Rerum novarum publiĂ©e en 1891, qui encourageait Ă  prendre des initiatives sociales. En Espagne apparurent les CĂ­rculos CatĂłlicos de Obreros (« Cercles catholiques d’ouvriers »), promus par le jĂ©suite Antonio Vicent (es), ainsi que les associations professionnelles mixtes[26].

Le nationalisme espagnol : un processus de nation building déficient

Non, messieurs, non ; car les nations sont l’Ɠuvre de Dieu ou, si certains ou un grand nombre d’entre vous le prĂ©fĂ©rez, de la nature. Cela fait longtemps que nous sommes tous convaincus que les associations humaines ne sont pas des contrats, comme on l’a prĂ©tendu parfois ; des pactes de ceux qui, librement et Ă  chaque heure, peuvent faire ou dĂ©faire la volontĂ© des parties. [
] Il n’y a pas de volontĂ©, individuelle ou collective, qui ait le droit d’annihiler ni de priver, par consĂ©quent, de vie la nationalitĂ© propre, qui est la plus grande, et plus encore nĂ©cessaire, aprĂšs tout, des associations humaines permanentes. Il n’y a jamais de droit, non, ni grand ni petit, ni plus ni moins, contre la patrie.
Car la patrie est [
] pour nous aussi sacrĂ©e que notre propre corps et plus encore, comme notre propre famille et plus encore [
]. Conservons, donc, la nĂŽtre, messieurs ; conservons Ă©galement l’ĂȘtre propre des Espagnols [
].
Parmi nous, heureusement, l’homme reste encore, comme je l’ai dit ; l’Espagnol, s’il n’est pas encore guĂ©ri de ses dĂ©fauts, conserve les qualitĂ©s de toujours ; du territoire l’on peut dire qu’il est intĂšgre, avec une dĂ©plorable exception [Gibraltar] [
] et rien en somme ne nous manque pour pouvoir vivre avec honneur [
] car quel Espagnol, aprĂšs tout, quelle rĂ©union d’Espagnols peut entendre quelque chose Ă  son propos qu’elle ne sache pas, qu’elle ne sente pas, Ă  laquelle elle n’aspire pas, en sentant seulement vibrer de prĂšs le doux nom de la patrie.

Antonio Cånovas del Castillo, Concepto de nación, Athénée de Madrid, 6 novembre 1882.

AprĂšs l’échec de l'expĂ©rience fĂ©dĂ©rale de la PremiĂšre RĂ©publique et la troisiĂšme dĂ©faite de l’insurrection carliste, la Restauration se caractĂ©rise par la consolidation d’un État centraliste basĂ© sur un strict contrĂŽle des administrations provinciale et locale par le gouvernement — y compris dans les provinces basques, dont les fors furent abolis en 1876 —. La processus de nation building a suivi son cours mais depuis son versant le plus conservateur, en centrant l’idĂ©e d’Espagne non sur la libre volontĂ© de ses citoyens — la « nation politique » — mais dans son « ĂȘtre » historique, dans lequel le catholicisme et la langue castillane jouaient un rĂŽle prĂ©pondĂ©rant. Les plus grands reprĂ©sentants de cette conception « organico-historiciste » de la « nation espagnole », qui s’opposait Ă  celle libĂ©rale et rĂ©publicaine de la nation politique, furent Marcelino MenĂ©ndez Pelayo, Juan VĂĄzquez de Mella et le fondateur du rĂ©gime de la Restauration, Antonio CĂĄnovas del Castillo lui-mĂȘme[27]. Selon cette conception, l’Espagne Ă©tait « un organisme historique de substance ethno-culturelle basiquement castillane, qui fut forgĂ©e tout au long des siĂšcles et qui est, par consĂ©quent, une rĂ©alitĂ© objective et irrĂ©versible »[28].

Antonio CĂĄnovas del Castillo Ă©tait prĂ©sident du gouvernement Ă  la mort d’Alphonse XIII.

Cependant, en dĂ©pit du renforcement du centralisme dans l’organisation de l’État, le processus de construction nationale espagnol eut une intensitĂ© plus faible que dans d’autres pays europĂ©ens, en raison de la faiblesse de l’État lui-mĂȘme. Ainsi, ni l’école ni le service militaire obligatoire ne remplirent les fonctions de « nationalisation » qu’ils eurent, par exemple, en France, oĂč l’identitĂ© « française » supplanta les identitĂ©s rĂ©gionales et locales. Ainsi, tandis qu’en France le français s’imposa comme seule langue vĂ©hiculaire et le reste des langues — qualifiĂ©es pĂ©jorativement de « dialectes » — connurent un recul extrĂȘmement important et leur usage fut considĂ©rĂ© comme un signe d’inculture, en Espagne, les langues diffĂ©rentes du castillan — catalan, galicien et basque — se maintinrent dans leurs territoires respectifs, surtout au sein des classes populaires[26].

Le processus de nationalisation espagnol fut Ă©galement limitĂ© Ă  cause de l’exclusion de la participation politique, non seulement de toutes les tendances hors de celles reprĂ©sentĂ©es dans les deux partis dynastiques mais encore de la majoritĂ© de la population. Parmi les travailleurs en particulier, une autre limitation provint du dĂ©veloppement des organisations socialistes et anarchistes qui dĂ©fensaient l’internationalisme et non le nationalisme[29]. Le vote espagnoliste progressa nĂ©anmoins, du moins dans les grandes villes, comme l’illustrĂšrent les manifestations d’exaltation nationaliste en 1883 — en soutien au roi Alphonse XII lors de son retour d’un sĂ©jour en France oĂč il avait reçu un accueil hostile en raison de la position pro-allemande qu’il avait pu manifester —, 1885 — en raison du conflit avec l’Allemagne autour des Ăźles Carolines —, en 1890 — autour d’Isaac Peral et de son invention du sous-marin Ă  propulsion Ă©lectrique — ou en 1893 — au motif de la premiĂšre guerre de Melilla —[26].

Développement des régionalismes : Catalogne, Pays basque et Galice

Au cours des annĂ©es 1880, l’expansion des rĂ©gionalismes ou nationalismes pĂ©riphĂ©riques (bien que la composante nationaliste proprement dite soit relative et variable dans ces discours) s’explique par une dialectique complexe qu’ils entretiennent avec le nationalisme central espagnol, dont la faiblesse est Ă  la fois la cause et la consĂ©quence des premiers. DĂšs lors, l’opposition Ă  l’État centraliste ne fut plus l’appanage des carlistes et des fĂ©dĂ©ralistes, mais Ă©tait Ă©galement assumĂ©e par ceux qui se sentaient et se rĂ©clamaient de patries distinctes, spĂ©cialement en Catalogne, au Pays basque et en Galice, Ă  ce moments dĂ©signĂ©es comme des « rĂ©gions » ou « nationalitĂ©s ». Certains en vinrent mĂȘme Ă  affirmer que l’Espagne n'Ă©tait pas une nation mais un État formĂ© de plusieurs nations. C’est ainsi qu’apparut une nouvelle problĂ©matique en Espagne, qui serait plus tard qualifiĂ©e de « question » ou « problĂšme rĂ©gional », et qui suscita une rĂ©action immĂ©diate dans les secteurs espagnolistes. « Une bonne partie de la presse, Ă  Madrid et dans les provinces, commence Ă  regarder avec dĂ©fiance, voire une certaine hostilitĂ©, les activitĂ©s culturelles et rĂ©gionalistes et leurs demandes de statut co-officiel des langues non castillanes, prĂ©tention que diffĂ©rentes personnes qualifiĂšre de « sĂ©paratisme » voilĂ© »[30].

Catalogne

En Catalogne, aprĂšs l'Ă©chec du Sexenio DemocrĂĄtico, un secteur du rĂ©publicanisme fĂ©dĂ©ral menĂ© par ValentĂ­ Almirall, prit un virage catalaniste et rompit avec la plus grosse partie du Parti fĂ©dĂ©ral que dirigeait Francisco Pi y Margall. En 1879, Almirall fonda le Diari CatalĂ , le premier journal entiĂšrement Ă©crit en langue catalane, qui eut toutefois une brĂšve existence — il ferma en 1881 —[31]. L’annĂ©e suivante fut convoquĂ© le premier congrĂšs catalaniste (es) dont surgirait en 1882 le Centre CatalĂ , premiĂšre entitĂ© catalaniste clairement revendicative, qui ne se constitua nĂ©anmoins pas en parti politique mais comme organisation de diffusion du catalanisme et groupe de pression sur le gouvernement. En 1885, le roi Alphonse XII prĂ©senta un MĂ©morial des griefs (es) (Memorial de Greuges), dans lequel Ă©taient dĂ©noncĂ©s les traitĂ©s commerciaux qui allaient ĂȘtre signĂ©s et les propositions d’unification du code civil espagnol ; en 1886 fut organisĂ©e une campagne contre l'accord commercial en cours de nĂ©gociation avec le Royaume-Uni — qui culmina avec le meeting du thĂ©Ăątre Novedades de Barcelone (es) qui rĂ©unit plus de 4 000 personnes —, suivie d’une autre en 1888 en dĂ©fense du droit civil catalan traditionnel, qui atteignit ses objectifs — elle fut qualifiĂ©e de « premiĂšre victoire du catalanisme » par un chroniqueur de l'Ă©poque —[32].

Valentí Almirall est considéré comme le fondateur du catalanisme politique.

En 1886, Almirall publia son Ɠuvre fondamentale Lo Catalanisme (es), dans laquelle il dĂ©fendait le « particularisme catalan » et la nĂ©cessitĂ© de reconnaĂźtre « les personnalitĂ©s des diffĂ©rentes rĂ©gions dans lesquelles l’histoire, la gĂ©ographie et le caractĂšre des habitants ont divisĂ© la pĂ©ninsule ». Ce livre constitua la premiĂšre formulation cohĂ©rente et Ă©tendue du « rĂ©gionalisme » catalan et eut un impact important — des dĂ©cennies plus tard, Almirall fut considĂ©rĂ© comme le fondateur du catalanisme politique —. Selon Almirall, l’État espagnol Ă©tait fondamentalement constituĂ© de deux communautĂ©s : la catalane (positiviste, analytique, Ă©galitaire et dĂ©mocratique) et la castillane (idĂ©aliste, abstraite, gĂ©nĂ©ralisatrice et dominatrice), si bien que « la seuile possibilitĂ© de dĂ©mocratiser et moderniser l’Espagne Ă©tait de cĂ©der la division politique du centre ankylosĂ© Ă  la pĂ©riphĂ©rie plus dĂ©veloppĂ©e pour vertĂ©brer "une confĂ©dĂ©ration ou État composite", ou une structure duale similaire Ă  celle de l’Autriche-Hongrie »[31]. Au cours de la mĂȘme dĂ©cennie, les symboles du catalanisme commencĂšrent Ă  connaĂźtre une certaine diffusion. À la diffĂ©rence par exemple du nationalisme basque, la plupart d’entre eux n’eurent pas besoin d’ĂȘtre inventĂ©s, car ils prĂ©-existaient Ă  leur rĂ©cupĂ©ration par le nationalisme : le drapeau catalan — les quatre barres de sang, 1880 —, l’hymne — Els Segadors, 1882 —, le jour de la fĂȘte « nationale » — le 11 septembre, 1886 —, la danse « nationale » — la sardane, 1892 —, les deux saints patrons de la Catalogne — Saint Georges et la Vierge de Montserrat, 1881 —[33].

En 1887, le Centre CatalĂ  connut une crise comme consĂ©quence de la rupture entre les deux courants qui le composient, l’un plus Ă  gauche et fĂ©dĂ©raliste menĂ© par Almirall, et un autre plus catalaniste et conservateur regroupĂ© autour du journal La Renaixensa, fondĂ© en 1881. Les partisans de ce dernier abandonnĂšrent le Centre CatalĂ  en novembre pour fonder la Lliga de Catalunya, Ă  laquelle s’unit le Centre Escolar Catalanista, une association d’étudiants universitaires dont faisaient partie les futurs leaders du nationalisme catalan : Enric Prat de la Riba, Francesc CambĂł et Josep Puig i Cadafalch. DĂšs lors, l’hĂ©gĂ©monie du catalanisme passa du Centre CatalĂ  Ă  la Lliga, ces membres prĂ©sentant Ă  la rĂ©gente un second mĂ©morial de griefs Ă  l’occasion des Jeux floraux de 1888, dans lequel il demandaient entre autres le rĂ©tablissement du Parlement de Catalogne — « les Corts generals libres et indĂ©pendantes » de la « nation catalane » —, le service militaire volontaire, l’officialitĂ© de la langue catalane en Catalogne, l'enseignement en catalan, un tribunal suprĂȘme catalan et que le roi prĂȘte serment « en Catalogne sur ses constitutions fondamentales »[34].

Pays basque
Arturo CampiĂłn, figure la plus importante de la foraliste Association Euskera de Navarre.

L’opposition Ă  l’abolition dĂ©finitive des fors basques en 1876, aprĂšs la fin de la troisiĂšme guerre carliste, fut un moteur du dĂ©veloppement du « rĂ©gionalisme » au Pays basque. Le prĂ©sident du gouvernement CĂĄnovas del Castillo avait tentĂ© de nĂ©gocier avec les partisans libĂ©raux des fors l’« arrangement foral » qui restait en suspens depuis l’approbation de la loi de confirmation des fors de 1839, mais il Ă©choua, si bien qu’il finit par l’imposer par une loi qui fut approuvĂ©e aux CortĂšs le 21 juillet 1876, considĂ©rĂ©e comme celle qui abolit effectivement les fors basques, mais qui se limita en rĂ©alitĂ© Ă  supprimer les exemptions fiscale et militaire dont avaient joui jusqu'alors l’Alava, le Guipuscoa et la Biscaye, car elles Ă©taient incompatibles avec le principe d’« unitĂ© constitutionnelle » — la nouvelle Constitution venait tout juste d’ĂȘtre approuvĂ©e —. Toutefois, CĂĄnovas souhaitait parvenir Ă  un accord avec les fueristas « transigeants », qui contribuerait Ă  la pacification complĂšte du Pays basque, si bien qu’il fit en sorte que la loi autorisĂąt le gouvernement Ă  rĂ©aliser la rĂ©forme des restes de l’ancien rĂ©gime foral, ce qui se traduisit deux ans plus tard dans les dĂ©crets du rĂ©gime de concerts Ă©conomiques (es) de 1878 qui supposaient l’autonomie fiscale du Pays basque — les trois dĂ©putations basques percevraient les impĂŽts et en livreraient une partie au TrĂ©sor central —, dont la Navarre jouissait dĂ©jĂ [35].

L’accord nĂ©gociĂ© avec les « transigeants » fut rejetĂ© par les fueristas « intransigeants », qui jugĂšrent les accords Ă©conomiques insuffisants. C’est ainsi que surgit l’Association Euskara de Navarre, fondĂ©e Ă  Pampelune en 1877 et dont la figure la plus notable Ă©tait Arturo CampiĂłn, et la SociĂ©tĂ© Euskalerria de Bilbao, fondĂ©e en 1880 et prĂ©sidĂ©e par Fidel SagarmĂ­naga. Les euskaros navarrais dĂ©fendirent la formation d’un bloc fuerista basco-navarrais au-dessus des divisions entre carlistes et libĂ©raux, et adoptĂšrent comme slogan « Dieu et les Fors », le mĂȘme que les euskalerriacos de Bilbao, qui dĂ©fendaient comme eux l’union basco-navarraise[36].

Galice

En Galice, entre 1885 et 1890 et en parallĂšle avec la Catalogne, le « provincialisme », qui Ă©tait apparu dans les annĂ©es 1840 dans les rangs du progressisme et qui basait le particularisme de la Galice sur la supposĂ©e origine celte de sa population, sa langue et sa culture propres — revalorisĂ©es par le Rexurdimento —, se transforma en rĂ©gionalisme. Cette position de dĂ©fense des « intĂ©rĂȘts gĂ©nĂ©raux de la Galice » et d’une « politique galicienne » est le point de convergence de personnes issues de milieux disparates, ce qui amĂšne la co-existence de trois courants dans le galĂ©guisme naissant : l’une libĂ©rale, hĂ©ritiĂšre directe du provincialisme progressiste, et dont le principal idĂ©ologue Ă©tait Manuel MurguĂ­a ; une autre fĂ©dĂ©raliste, de moindre poids ; et une troisiĂšme traditionaliste menĂ©e par Alfredo Brañas. Toutes trois confluĂšrent au dĂ©but de la dĂ©cennie suivante dans la crĂ©ation de la premiĂšre organisation du galĂ©guisme, l’Association rĂ©gionaliste galicienne (en), qui ne dĂ©veloppa qu’une activitĂ© politique limitĂ©e au cours de sa courte existence (1890-1893), surtout en raison des tensions entre traditionalistes et libĂ©raux, spĂ©cialement aigĂŒes Ă  Saint-Jacques-de-Compostelle[37].

La « dépression agraire »: libre-échangistes contre protectionistes

Monnaie de 5 pesetas frappĂ©e en 1888 Ă  l’effigie d'Alphonse XIII ĂągĂ© de 2 ans.

Au milieu des annĂ©es 1880 se firent sentir en Espagne les effets de la dĂ©pression agraire surgie en Europe une dizaine d’annĂ©es auparavant et caractĂ©risĂ©e par la baisse de la production et la chute des prix Ă  cause de l'arrivĂ©e de produits agricoles des « nouveaux pays » — Argentine, États-Unis, Canada, Australie — avec des coĂ»ts de production plus bas et dont les coĂ»ts de transport s’étaient considĂ©rablement rĂ©duits grĂące aux avancĂ©es dans la navigation Ă  vapeur. La dĂ©pression se manifesta par une rĂ©duction des exportations, qui affecta particuliĂšrement le secteur cĂ©rĂ©alier, concentrĂ© en Castille, mais aussi d’autres secteurs comme celui de la betterave sucriĂšre ou la viande — par exemple, l’élevage galicien perdit ses marchĂ©s extĂ©rieurs en Grande-Bretagne —[38].

Travailleurs espagnols dans la construction du canal de Panama (vers 1900).

La crise agraire entraĂźna la stagnation des salaires des journaliers — entre 1870 et 1890, le salaire moyen Ă©tait d’une peseta quotidienne dans les travaux ordinaires, et un peu plus durant les rĂ©coltes, trĂšs en-deçà des salaires agricoles europĂ©ens — et de nombreux petits propriĂ©taires et fermiers furent ruinĂ©s, un grand nombre d’entre eux choisissant finalement d’émigrer : sur les 725 000 personnes — environ 60 000 annuellement — qui Ă©migrĂšrent entre 1891 et 1900 en AmĂ©rique du Sud — surtout en Argentine, Uruguay, au BrĂ©sil et Ă  Cuba —, 65 % Ă©taient des cultivateurs[39].

Les grands propriĂ©taires cĂ©rĂ©aliers castillans, spĂ©cialement les producteurs de blĂ©, formĂšrent en 1887 la Liga Agraria (« Ligue agraire ») afin de faire pression sur le gouvernement pour qu’il adopte des mesures protectionnistes, comme l’avaient fait d’autres pays europĂ©ens, afin de rĂ©server le marchĂ© interne aux cĂ©rĂ©ales autochtones, faisant courir le risque d’une hausse des prix prĂ©judiciables aux consommateurs, notamment les plus modestes, les obligeant Ă  consacrer une part plus importante de leurs revenus Ă  l'achat d’aliments, ce qui Ă  la longue pourrait mettre un frein Ă  l’industrialisation. La bourgeoisie catalane du secteur textile, trĂšs affectĂ©e par la dĂ©pression agraire qui provoquait une chute de ses ventes, se joignit Ă  la campagne protectionniste. C’est ainsi que se forma un front commun castillano-catalan, formalisĂ© par la cĂ©lĂ©bration Ă  Barcelone en 1888 du CongrĂšs Ă©conomique national. La mĂȘme annĂ©e fut cĂ©lĂ©brĂ© Ă  Valladolid une manifestation et une assemblĂ©e massives, qui furent suivies d’autres Ă  SĂ©ville, Guadalajara, Tarragone et Les Borges Blanques (province de LĂ©rida). En 1889 la Liga Agraria cĂ©lĂ©bra sa deuxiĂšme assemblĂ©e. Au cours de la dĂ©cennie suivante, les patrons du secteur mĂ©talurgique basque s’unirent Ă  son tour au mouvement[40].

Le cacique GermĂĄn Gamazo, ministre d’Outre-mer dans le gouvernement Sagasta, se plaça Ă  la tĂȘte de la Liga Agraria, bien qu’agissant davantage en rĂ©ponse aux intĂ©rĂȘts d’« amis politiques » qu’il dirigeait qu’à la pression des propriĂ©taires terriens regroupĂ©s dans la Liga«_Son_constantes_las_quejas_de_traiciĂłn_y_las_expresiones_de_desencanto_de_la_prensa_agraria_(''[[El_Norte_de_Castilla]]'')_ante_los_silencios,_ausencias_y_faltas_de_apoyo_de_Gamazo_y_su_grupo_en_situaciones_polĂ­ticas_concretas._»_41-0">[41]. Cela explique que les « gamacistes » n’appuyĂšrent pas le mouvement protectionniste jusqu’à l'Ă©tĂ© 1888 — alors que celui-ci Ă©tait apparu bien avant —, qu’ils instrumentalisĂšrent dans l’opĂ©ration politique menĂ©e par plusieurs factions libĂ©rales pour destabiliser le gouvernement de Sagasta, et qu’ils le freinĂšrent lorsque, Ă  l’étĂ© suivant, ils cherchaient un accord avec celui-ci[42].

Ainsi, la lutte entre protectionnisme et libre-Ă©changisme suscita d’importantes tensions au sein du gouvernement Sagasta, car la majoritĂ© de ses membres, menĂ©s par Segismundo Moret, ministre d'État, restaient fidĂšles Ă  la politique de libre-Ă©change qu’avaient traditionnellement dĂ©fendue les libĂ©raux — de fait, c’est le premier gouvernement Sagasta de la Restauration qui en 1881 avait levĂ© la suspension de la cinquiĂšme base de la rĂ©forme des droits de douane de Laureano Figuerola approuvĂ©e en 1869, au cours du Sexenio DemocrĂĄtico, qui Ă©tablissait le dĂ©mantĂšlement progressif de toutes les barriĂšres douaniĂšres —[43][44]. Les libĂ©raux furent nĂ©anmoins amenĂ©s Ă  rĂ©viser leur approche, Ă  commencer par Moret lui-mĂȘme, jusqu’à adopter une « troisiĂšme voie pragmatique » qui consista Ă  ne pas augmenter les droits de douane tout en n'appliquant pas les baisses de ces tarifs prĂ©vues dans le texte de Figuerola[45].

Stabilisation du régime de la Restauration (1890-1895)

La premiĂšre moitiĂ© des annĂ©es 1890 constitue la pĂ©riode de « plĂ©nitude » institutionnelle du systĂšme canoviste qui succĂ©da au Sexenio DemocrĂĄtico. AprĂšs ces cinq annĂ©es de relative stabilitĂ© au cours desquels s’était produite une normalisation du turno — alternance entre conservateurs et libĂ©raux —, le rĂ©gime du faire face « Ă  plusieurs problĂšmes qui ne figuraient pas dans son agenda politique : le problĂšme ouvrier (es), la cristallisation d’un nationalisme pĂ©riphĂ©rique et, finalement, la question coloniale elle-mĂȘme qui mena Ă  la guerre d’émancipation cubaine, d’abord, et Ă  la guerre hispano-amĂ©ricaine, dont la dĂ©faite marque la crise de fin de siĂšcle, plus tard »[46].

Nouveau gouvernement conservateur de CĂĄnovas del Castillo (1890-1892)

Antonio Cånovas del Castillo, leader du Parti conservateur et artisan du régime politique de la Restauration, aussi dit « canoviste ».

AprĂšs l’approbation du suffrage universel masculin, point phare du programme libĂ©ral, Sagasta cĂ©da le pas Ă  CĂĄnovas qui forma son cinquiĂšme gouvernement en juillet 1890, quelques jours seulement aprĂšs le vote de la loi aux CortĂšs. Le motif premier du changement fut apparemment la menace adressĂ©e Ă  Sagasta par Francisco Romero Robledo de rendre publics certains documents sur la concession d’une ligne de chemin de fer Ă  Cuba qui impliquaient son Ă©pouse — « un potentat cubain paya plus de 40 000 pesetas or pour les documents que, des mois plus tard, Moret dĂ©truisit » —. Un autre scandale qui pesa pour le changement au gouvernement fut celui qui entoura la prison Modelo de Madrid (es) — entre les mains des libĂ©raux, comme le conseil municipal de la capitale —, rĂ©vĂ©lĂ© Ă  la suite des enquĂȘtes sur le crime de la rue Fuencarral (es), que les prisonniers entraient et sortaient librement de l’établissement[47].

Le nouveau gouvernement ne modifia pas les rĂ©formes introduites par les libĂ©raux, comme le confirma le message de la rĂ©gente lors de l’inauguration des CortĂšs Ă©lues en 1891 : « Le gouvernement n’a pas l’intention de prĂ©senter Ă  vote examen aucune restriction des rĂ©formes politiques et juridiques qui, menĂ©es Ă  terme dans les premiers jours de la RĂ©gence, constituent un Ă©tat lĂ©gal digne de respect »[47]. C’est ainsi que fut scellĂ©e une condition fondamentale du systĂšme politique de la Restauration : les avancĂ©es libĂ©rales Ă©taient respectĂ©es par les conservateur, si bien que « le rĂ©gime se consolidait Ă  partir d’un Ă©quilibre entre la conservation et le progrĂšs »[48]. C’est ainsi que le gouvernement CĂĄnovas fut celui qui organisa les premiĂšres Ă©lections au suffrage universel cĂ©lĂ©brĂ©es en fĂ©vrier 1891, au cours desquelles la machinerie de la fraude fonctionna Ă  nouveau, les conservateurs obtenant une large majoritĂ© au CongrĂšs des dĂ©putĂ©s (253 siĂšges, face Ă  74 pour les libĂ©raux, et 31 pour les rĂ©publicains)[49]. CĂĄnovas avait dĂ©jĂ  exprimĂ© ne pas craindre la « gestion pratique » (« manejo prĂĄctico ») du suffrage universel, en dĂ©pit de l’augmentation considĂ©rable du nombre de votants, passant de 800 000 Ă  4 800 000[50].

El albañil herido ou Los Ășltimos sacramentos (« Le Maçon blessĂ© » ou « Les Derniers Sacrements », 1890), de Rafael Romero de Torres. Ce tableau montre Ă  voir la maniĂšre d’aborder les problĂšmes sociaux de la part de secteurs idĂ©ologiques opposĂ©s Ă  l’intervention de l'État qui fut notamment dĂ©noncĂ©e par le prĂ©sident du gouvernement Antonio CĂĄnovas del Castillo.

Le gouvernement CĂĄnovas annonça qu’une fois conclues les rĂ©formes politiques et juridiques il souhaitait donner prioritĂ© aux questions Ă©conomiques et sociales « en dĂ©veloppant un rĂ©gime de protection efficace Ă  toutes les branches du travail », avec une attention particuliĂšre Ă  « tout ce qui concerne les intĂ©rĂȘts de la classe travailleuse ». Sur ce dernier point, les rĂ©formes furent nĂ©anmoins largement obstruĂ©es par l'opposition aux tentatives d’approuver les premiĂšres lois sociales, y compris dans les rangs du Parti conservateur lui-mĂȘme[18]. Par exemple, le dĂ©putĂ© Alberto Bosch y Fustegueras, de la faction dirigĂ©e par Romero Robledo, se manifesta contre la limitation des heures de travail des femmes et enfants avec l’argument suivant[15] :

« Limiter le travail est la plus odieuse et la plus Ă©trange des tyrannies ; limiter le travail de l’enfant est entraver l’éducation technologique et l’apprentissage ; limiter le travail des femmes [
] est mĂȘme empĂȘcher que la mĂšre fasse le plus beau des sacrifices [
] le sacrifice indispensable dans certains cas pour maintenir le foyer de la famille. »

Lorsqu’à la fin de 1890 le chef du gouvernement CĂĄnovas parla Ă  l'athĂ©nĂ©e de Madrid de la nĂ©cessitĂ© de l'intervention de l'État pour rĂ©soudre la question sociale en allĂ©guant de l’insuffisance des attitudes morales — la charitĂ© du riche et la rĂ©signation du pauvre —, le penseur catholique traditionaliste Juan Manuel OrtĂ­ y Lara l’accusa de « tomber dans le gouffre du socialisme, en violant les principes de la justice, qui consacrent le droit de la propriĂ©tĂ© », louant par la suite « l’office de la mendicitĂ©, [qui] ne rĂ©pugne pas Ă  la religion ; au contraire, la religion l'a sanctionnĂ© [
] et l’ennoblit. [
] Le spectacle de la mendicitĂ© [dĂ©veloppe] l’esprit chrĂ©tien »[51].

La mesure la plus importante prise par le gouvernement fut le dĂ©nommĂ© Arancel CĂĄnovas de 1891, nouveau tarif douanier qui dĂ©rogea celui libre-Ă©changiste mis en place par Laureano Figuerola de 1869 et Ă©tablit de fortes mesures protectionnistes pour l'Ă©conomie espagnole, qui furent complĂ©tĂ©es avec l'approbation l’annĂ©e suivante de la loi des relations commerciales avec les Antilles (es). Le gouvernement satisfaisait ainsi les demandes de certains secteurs Ă©conomiques — essentiellement l'agriculture cĂ©rĂ©aliĂšre castillane et le textile catalan — tout en se situant dans la lignĂ©e avec la tendance internationale de cette Ă©poque[52]. CĂĄnovas justifia l’abandon du libre-Ă©change dans un opuscule intitulĂ© De cĂłmo he venido yo a ser doctrinalmente proteccionista (« De comment je suis devenu doctrinairement protectionniste »), en avançant davantage des motifs nationalistes espagnoles que des raisons Ă©conomiques[51].

Apparition des nationalismes catalan et basque

En 1892, annĂ©e oĂč le gouvernement CĂĄnovas organisa les actes de cĂ©lĂ©bration du quadricentenaire de la dĂ©couverte de l'AmĂ©rique (es), se produisirent deux Ă©vĂšnements qui eurent d’importantes rĂ©percussions dans le futur : l’approbation par la rĂ©cemment crĂ©Ă©e UniĂł Catalanista, premiĂšre organisation du nationalisme catalan pleinement politique, des Bases de Manresa, document fondateur du catalanisme politique, et la publication du livre de Sabino Arana Bizkaya por su independencia, acte de naissance du nationalisme basque[52].

Nationalisme catalan : UniĂł Catalanista et Bases de Manresa

Manresa en 1881.

En 1891 la Lliga de Catalunya proposa la formation de l'UniĂł Catalanista, qui obtint immĂ©diatement le soutien des entitĂ©s et de la presse catalanistes, ainsi que de particuliers — Ă  diffĂ©rence de ce qui Ă©tait survenu quatre ans plus tĂŽt avec l'Ă©chec du Gran Consell Regional CatalĂ  proposĂ© par Bernat Torroja, prĂ©sident de l'AssociaciĂł Catalanista de Reus, qui avait eu des prĂ©tentions similaires —. L’UniĂł cĂ©lĂ©bra sa premiĂšre assemblĂ©e Ă  Manresa en mars 1892, Ă  laquelle assistĂšrent 250 dĂ©lĂ©guĂ©s en reprĂ©sentation d’environ 160 localitĂ©s et oĂč furent approuvĂ©es les Bases per a la ConstituciĂł Regional Catalana (« Bases pour la Constitution rĂ©gionale catalane »), plus connues comme les Bases de Manresa et souvent considĂ©rĂ©es comme l’« acte de naissance du catalanisme politique », du moins dans son versant conservateur[53].

« Les Bases sont un projet autonomiste, absolument pas indĂ©pendantiste, de caractĂšre traditionnel et corporatiste. StructurĂ©es en 17 articles, elles dĂ©fendent la possibilitĂ© de moderniser le Droit civil, l'officialitĂ© exclusive du catalan, la rĂ©servation aux [Catalans] natifs des charges publiques, y compris les militaires, la comarque comme entitĂ© administrative basique, la souverainetĂ© intĂ©rieure exclusive, une assemblĂ©e rĂ©gionale d’élection corporative, un tribunal supĂ©rieur de derniĂšre instance, l'Ă©largissement des pouvoirs municipaux, le service militaire volontaire, un corps d'ordre public et une monnaie propres et un enseignement sensible Ă  la spĂ©cificitĂ© catalane »[54].

Nationalisme basque : Sabino Arana et la fondation du PNV

Libre et indĂ©pendante de pouvoir Ă©tranger vivait la Biscaye, se gouvernant et lĂ©gifĂ©rant pour elle-mĂȘme ; comme une nation Ă  part, comme un État constituĂ©, et vous, fatiguĂ©s d’ĂȘtre libres, avez approuvĂ© la domination Ă©trangĂšre, vous vous ĂȘtes soumis au pouvoir Ă©tranger, vous tenez votre patrie pour une rĂ©gion d’un pays Ă©tranger et avez reniĂ© votre nationalitĂ© pour accepter celle Ă©trangĂšre.
Vos us et coutumes Ă©taient dignes de la noblesse, de la vertu et de la virilitĂ© de votre peuple, et vous, dĂ©gĂ©nĂ©rĂ©s et corrompus par l’influence espagnole, ou bien vous l'avez adultĂ©rĂ© complĂštement, ou bien vous l’avez effĂ©minĂ© ou abruti. Votre race [
] Ă©tait celle qui constituait votre patrie Bizkaya ; et vous, sans une once de dignitĂ© et sans respect pour vos parents, avez mĂȘlĂ© votre sang avec le [sang] espagnol ou maketa ; vous vous ĂȘtes jumelĂ©s ou confondus avec la race la plus vile et mĂ©prisable d’Europe. Vous possĂ©diez une langue plus anciennes que toutes celles connues [
] et aujourd’hui vous la mĂ©prisez sans vergogne et acceptez Ă  sa place la langue de gens grossiers et dĂ©gradĂ©s, la langue de l’oppresseur mĂȘme de votre patrie.

Sabino Arara, Bizkaitarra, 1894.

En 1892 Sabino Arana Goiri publia le livre Bizkaya por su independencia, qui reprĂ©sente l'acte de naissance du nationalisme basque. Arana Ă©tait nĂ© dans l’elizate d’Abando — qui serait finalement annexĂ© en tant que district au territoire de Bilbao Ă  la fin du siĂšcle — au sein d’une famille bourgeoise, catholique et carliste. Le dimanche de PĂąques de 1882, alors qu’il avait 17 ans, sous l’influence de son frĂšre Luis, il se convertit du carlisme au nationalisme bizkaitarra — un fait que 50 ans plus tard, en 1932, le Parti national basque (PNV) cĂ©lĂ©bra comme le premier Aberri Eguna, le jour de la patrie basque —. Arana se consacra dĂšs lors Ă  l'Ă©tude du basque — qu’il ne connaissait pas, le castillan Ă©tant la langue de sa famille —, de l’histoire et du droit (les fors) de la Biscaye, qui le confirmĂšrent dans la rĂ©vĂ©lation de son frĂšre Luis, selon laquelle la Biscaye n’était pas l’Espagne[55].

Manchette du périodique Bizkaitarra avec le slogan Jaun-Goikua eta Lagi Zarra (« Dieu et Vieille Loi ») qui sera aussi celui du PNV.

Il dĂ©finit sa doctrine politique en juin de l’annĂ©e suivante dans son discours de LarrazĂĄbal (es), prononcĂ© devant un groupe d’euskalerriacos (autonomistes modĂ©rĂ©s) menĂ©s par RamĂłn de la Sota. Dans celui-ci, il expliqua que l’objectif politique du livre Bizcaya por su independencia Ă©tait de rĂ©veiller la conscience nationale des habitants de Biscaye, qui Ă©tait selon lui leur vĂ©ritable patrie et non l'Espagne, et adopta le slogan Jaun-Goikua eta Lagi-Zarra (JEL, « Dieu et Vieille Loi »), synthĂšse de son programme nationaliste. La mĂȘme annĂ©e, en 1893, il commença Ă  publier le pĂ©riodique Bizkaitarra, dans lequel il se dĂ©clara « anti-libĂ©ral » et « anti-espagnol » — ce dernier qualificatif et ses idĂ©es trĂšs radicales lui valurent un an et demi d'emprisonnement et la suspension du pĂ©riodique —. En 1894, Arana fonda l’Euskeldun Batzokija, premier batzoki (es), un centre nationaliste et catholique intĂ©griste trĂšs fermĂ©, car il n'eut qu’une centaine de membres en raison de conditions d'admission trĂšs strictes. Ce dernier fut Ă©galement fermĂ© par le gouvernement mais constitua l’embryon du Parti nationaliste basque (Eusko Alderdi JELtzalea, EAJ-PNV) fondĂ© dans la clandestinitĂ© le 31 juillet 1895 — fĂȘte de Saint Ignace de Loyola, qu'Arana admirait —. Deux ans plus tard, Arana adoptait le nĂ©ologisme Euskadi — pays des euzkos, ou Basques de race —, car il n'aimait pas le nom traditionnel de Euskal Herria — peuple qui parle basque —[55].

La proposition nationaliste basque d’Arana se basait sur les prĂ©ceptes suivants[56] :

  • Une conception essentialiste de la nation basque — les nations existent depuis toujours et indĂ©pendamment de la volontĂ© de leurs habitants — dont l’« ĂȘtre » propre est constituĂ© par la religion catholique et la « race basque (es) » — identifiĂ©e par les noms de famille et non par le lieu de naissance, d’oĂč l'exigence d’avoir les quatre premiers noms de famille (les deux de chaque parent) pour ĂȘtre membre du premier batzoki, bien que le PNV rĂ©duisĂźt cette exigence Ă  un seul — et pas la langue basque — en quoi il se diffĂ©renciait notablement dun nationalisme catalan, dont le trait identitaire le plus important Ă©tait la langue —. En 1894, Sarana Ă©crivait dans son opuscule Errores Catalanistas (en espagnol, « Erreurs Catalanistes ») : « Si l’on nous donnait Ă  choisir en une Biscaye peuplĂ©e de maketos qui parlent seulement l’euskera et une Biscaye peuplĂ©e de Biscayens qui parlent seulement le castillan, nous choisirions sans douter cette deuxiĂšme car la substance biscayenne avec des accidents exotiques qui peuvent ĂȘtre Ă©liminĂ©s et remplacĂ©s par ceux naturels est prĂ©fĂ©rable Ă  une substance exotique avec des propriĂ©tĂ©s biscayennes qui ne pourraient jamais la changer »
Sabino Arana dans la prison de Larrinaga en 1895
  • L’intĂ©grisme catholique et le providentialisme qui l’amĂšne Ă  rejeter le libĂ©ralisme, qui selon lui « nous Ă©loigne de notre fin ultime, qui est Dieu », et en consĂ©quence la revendication d’une indĂ©pendance de l'Espagne libĂ©rale,et d’atteindre ainsi le salut du peuple basque. « Bizkaya, dĂ©pendante de l’Espagne, ne peut s’adresser Ă  Dieu, elle ne peut ĂȘtre catholique dans la pratique » et son cri d’indĂ©pendance « n’a rĂ©sonnĂ© que pour Dieu », affirma-t-il.
  • La nation basque entendue comme antagonique de la nation espagnole, dont les « races », distinctes, ont Ă©tĂ© ennemies depuis l’AntiquitĂ©. La Biscaye, comme le Guipuscoa, l'Alava et la Navarre, ont toujours luttĂ© pour leur indĂ©pendance face Ă  l'Espagne, ce qu’ils ont rĂ©ussi lorsque les rois « espagnols » n’avaient eu d’autres recours que de leur concĂ©der leurs fors. Depuis lors, Selon Arana, les quatre territoires avaient Ă©tĂ© indĂ©pendants de l’Espagne et entre eux, jusqu’à ce qu’en 1839 les fors furent subordonnĂ©s Ă  la Constitution espagnole, car il pensait, Ă  la diffĂ©rence des fueristas euskalerriacos, que les deux systĂšmes juridiques Ă©taient incompatibles. Comme il l'Ă©crivit en 1894 : « En [18]39, la Biscaye tomba dĂ©finitivement sous le pouvoir de l’Espagne. Notre patrie Bizkaya, passa de nation indĂ©pendante qu’elle Ă©tait, avec ses propres pouvoir et droit, Ă  une province espagnole, une partie de la nation la plus dĂ©gradĂ©e et abjecte d’Europe ».
Ikurriña avec les proportions originales définies par les frÚres Luis et Sabino Arana.
  • Le peuple basque — dĂ©fini racialement et pas linguistiquement ni culturellement — a connu une longue dĂ©gĂ©nĂ©rescence, qui a culminĂ© au XIXe siĂšcle avec la disparition des fors. Dans ce processus, les immigrants arrivĂ©s au Pays basque — des « envahisseurs » selon Arana — pour travailler dans les mines et les usines — les maketos — sont coupables de tous les maux : de la disparition de la sociĂ©tĂ© traditionnelle — avec l’industrialisation, d'oĂč l'anti-capitalisme initial et l’idĂ©alisation du monde rural d'Arana : « La Biscaye fĂ»t-elle pauvre et n’eĂ»t-elle rien de plus que des champs et du bĂ©tail, et nous serions alors patriotes et heureux » — et de sa culture basĂ©e sur la religion catholique — avec l'arrivĂ©e d’idĂ©es modernes anti-religieuses, comme « l’impiĂ©tĂ©, toute sorte d’immoralitĂ©, le blasphĂšme, le crime, la libre pensĂ©e, l’incrĂ©dulitĂ©, le socialisme, l’anarchisme [
] » — et le recul de la langue basque.
  • La seule forme de mettre fin Ă  la « dĂ©gĂ©nĂ©ration » de la race basque est qu'elle rĂ©cupĂšre son indĂ©pendance de l'Espagne, en revenant Ă  la situation antĂ©rieure Ă  1839 — Arana estimait fondamentalement qu’il fallait rĂ©clamer la dĂ©rogation de la loi de 1839 et non celle de 1876 —. Une fois obtenue l’indĂ©pendance, une ConfĂ©dĂ©ration d’États basques se constituerait avec les anciens territoires foraux des deux versants des PyrĂ©nĂ©es — Biscaye, Guipuscoa, Alava et Navarre, dans la partie sud ; Basse-Navarre, Labourd et Soule dans la partie nord —. Cette hypothĂ©tique confĂ©dĂ©ration qu’il dĂ©nomma Euskadi serait basĂ©e sur l’« unitĂ© de la race, dans la mesure du possible » et sur l'« unitĂ© catholique », dans laquelle seuls les Basques « de race » et les catholiques confesionnels auraient leur place, excluant ainsi non seulement les immigrants maketos mais Ă©galement les Basques d’idĂ©ologie libĂ©rale, rĂ©publicaine ou socialiste.

Chute des conservateurs et retour des libĂ©raux (1893-1895) – Apparition du terrorisme anarchiste

Francisco Romero Robledo (assis à droite de la table) et son groupe d’amis politiques.

Deux tendances cohabitĂšrent au sein du gouvernement conservateur : l'une menĂ©e par Francisco Romero Robledo — qui avait rĂ©intĂ©grĂ© les rangs du Parti conservateur aprĂšs son expĂ©rience infructeuse dans le Parti libĂ©ral-fusionniste — et Francisco Silvela. Le premier incarnait « la domination des pratiques clientĂ©laires, de la manipulation Ă©lectorale et le triomphe du pragmatisme le plus cru », tandis que le second reprĂ©sentait le rĂ©formisme conservateur, qui prĂ©tendait rĂ©tablir le prestige du rĂ©gime, le respect de la lĂ©galitĂ© et la fin des nombreux abus. Face Ă  la nouvelle situation crĂ©Ă©e par l’implĂ©mentation du suffrage universel et la participation des masses dans la vie politique, le prĂ©sident CĂĄnovas s’inclina vers le « pragmatisme » de Romero Robledo, si bien que Silvela quitta le gouvernement en novembre 1891[49], son dĂ©part dĂ©clenchant la plus grande crise interne du Parti conservateur.

En dĂ©cembre 1892, une affaire de corruption Ă  la municipalitĂ© de Madrid provoqua la crise du gouvernement CĂĄnovas, que la rĂ©gente rĂ©solut en faisant de nouveau appel Ă  Sagasta — dans le dĂ©bat qui eut lieu au CongrĂšs, la rupture entre CĂĄnovas et Silvela fut consommĂ©e —[57]. Suivant les usages de la Restauration, Sagasta obtint le dĂ©cret de dissolution des CortĂšs et de convocation de nouvelles Ă©lections afin de se doter d'une large majoritĂ© en soutien du gouvernement. Les Ă©lections gĂ©nĂ©rales furent cĂ©lĂ©brĂ©es en mars 1893 et, comme on devait s’y attendre, furent un triomphe des candidatures gouvernementales — les libĂ©raux obtinrent 281 dĂ©putĂ©s, face Ă  61 pour les conservateurs (divisĂ©s entre canovistes, 44 siĂšges, et silvelistes, 17), 33 rĂ©publicains unionistes, 14 rĂ©publicains possibilistes (es) et 7 carlistes —[58].

Sagasta forma un gouvernement dit de notables car il incluait tous les chefs de faction du Parti libĂ©ral, y compris le gĂ©nĂ©ral LĂłpez DomĂ­nguez qui avait rĂ©intĂ©grĂ© ses rangs, et les rĂ©publicains possibilistes d’Emilio Castelar — que CĂĄnovas obligea Ă  abjurer de son rĂ©publicanisme par la voix de Melchor Almagro —, et dut s'efforcer de concilier les postures droitiĂšres et protectionnistes de GermĂĄn Gamazo avec celles libre-Ă©changistes et plus Ă  gauche de Segismundo Moret. Au portefeuille du Budget, Gamazo se proposa d’atteindre l’équilibre budgĂ©taire mais son projet se vit frustrĂ© par l'augmentation des dĂ©penses causĂ©e par la brĂšve guerre de Melilla (en), entre octobre 1893 et avril 1894. Le conflit fut dĂ©clenchĂ© par la construction d’un fort dans une zone proche de Sidi Guariach, Ă  proximitĂ© d’oĂč se trouvait une mosquĂ©e et un cimetiĂšre, ce qui fut considĂ©rĂ© par les Rifains comme une profanation. De durs combats eurent lieu, notamment l’épisode du siĂšge du fort de Cabrerizas Altas (es), oĂč prĂšs d’un millier d'hommes furent encerclĂ©s et qui se solda par 41 morts et 121 blessĂ©s parmi les forces espagnoles[59]

Pour sa part, le ministre de l'Outre-mer, Antonio Maura, gendre de Gamazo, mit en marche la rĂ©forme du rĂ©gime colonial et municipal des Philippines afin de les doter d’une plus grande autonomie administrative — malgrĂ© l'opposition qu’elle suscita dans certains secteurs du nationalisme espagnol et de l'Église —, mais Ă©choua dans sa tentative de faire de mĂȘme Ă  Cuba, car la rĂ©forme sembla trop avancĂ©e au Parti union constitutionnelle, formation cubaine espagnoliste, tout en satisfaisant pas les aspirations du Parti libĂ©ral autonomiste cubain. Le projet fut rejetĂ© aux CortĂšs, oĂč il fut qualifiĂ© d'« anti-patriotique », et Maura en vint Ă  ĂȘtre qualifiĂ© de « flibustier », d’« ivrogne » et d’« Ă©nergumĂšne ». Maura et Gamazo dĂ©misionnĂšrent, ouvrant une grave crise au sein du gouvernement Sagasta[60].

Une du Petit Journal sur l’attentat du Liceu, oĂč une bombe lancĂ©e par un anarchiste causa 22 morts et 35 blessĂ©s.

Un grave problĂšme auquel dut faire face le gouvernement fut le terrorisme anarchiste de la « propagande par le fait », justifiĂ© par ses partisans comme une rĂ©ponse lĂ©gitime Ă  la violence de la sociĂ©tĂ© et de l'État bourgeois, qui rendait les conditions de vie de nombreux travailleurs intenables, et Ă  la brutale rĂ©pression policiĂšre. Les troubles anarchistes eurent pour Ă©picentre la ville de Barcelone. Le premier attentat important (es) avait eu lieu en fĂ©vrier 1892 sur la place Royale de Barcelone, causant la mort d'un chiffonnier et plusieurs autres blessĂ©s. Le premier attentat avec un objectif clairement politique (es) se produisit le 24 septembre 1893, dirigĂ© contre le gĂ©nĂ©ral Arsenio MartĂ­nez Campos, capitaine gĂ©nĂ©ral de Catalogne et l’un des personnages clĂ©s de la Restauration. MartĂ­nez Campos ne fut que lĂ©gĂšrement blessĂ©, mais une personne mourut et d’autres furent blessĂ©s Ă  diffĂ©rents degrĂ©s. L'auteur de l'attentat, le jeune anarchiste PaulĂ­ PallĂ s (en) — qui fut fusillĂ© deux semaines plus tard — justifia ses actes comme des reprĂ©sailles aux Ă©vĂšnements (es) survenus Ă  Jerez un an et demi plus tĂŽt, au cours desquels environ 500 paysamns tentĂšrent de prendre la ville pour libĂ©rer des camarades emprisonnĂ©s dans la nuit du 8 janvier 1892, auxquels les autoritĂ©s rĂ©pondirent par une rĂ©pression brutale et indiscriminĂ©e des organisations ouvriĂšres andalouses — aprĂšs la mort d’un assaillant et de deux habitants de la localitĂ© pendant les Ă©vĂšnements, quatre ouvriers furent exĂ©cutĂ©s Ă  l'issue d'un conseil de guerre, seize autres Ă©tant condamnĂ©s Ă  l'emprisonnement Ă  perpĂ©tuitĂ©, tous les condamnĂ©s ayant dĂ©noncĂ© des aveux obtenus sous la torture —. Avec les mĂȘmes motifs que PallĂ s, quelques semaines plus tard, l’anarchiste Santiago Salvador commit l’attentat du Liceu, lançant deux bombes dans le public du grand thĂ©Ăątre du Liceu — dont une seule explosa —, causant 22 morts et 35 blessĂ©s, cette succession de « scĂšnes d'horreur » propageant un sentiment d'« alarme [
] parmi la population barcelonaise »[61].

Le gouvernement finit par tomber en mars 1895, car Sagasta dĂ©missionna aprĂšs avoir refusĂ© d'accĂ©der Ă  la demande de MartĂ­nez Campos de faire juger par des tribunaux militaires les journalistes des deux journaux dont les rĂ©dactions avaient Ă©tĂ© assaillies par un groupe d'officier mĂ©contents des nouvelles qu’ils avaient publiĂ©es et qu’ils considĂ©raient injurieuses. CĂĄnovas revint Ă  la prĂ©sidence du gouvernement. Un mois auparavant avait commencĂ© la guerre d'indĂ©pendance cubaine[62].

PremiĂšre guerre de Melilla (1893-1894)

Troupes espagnoles à l’avant-garde du fort de Saint Laurent (Fuerte de San Lorenzo), à Melilla (Blanco y Negro, 4 novembre 1893).

En 1893, les musulmans s’opposĂšrent Ă  Melilla Ă  la construction du fort de l'ImmaculĂ©e Conception (es) (Fuerte de la PurĂ­sima ConcepciĂłn) Ă  Sidi Guariach et organisĂšrent une attaque le 3 octobre. Les 1 463 soldats de la garnison durent faire face Ă  entre 8 000 et 10 000 musulmans[63]. Le ministre de la Guerre, le gĂ©nĂ©ral JosĂ© LĂłpez DomĂ­nguez, envoya en renforts un total de 350 militaires sous le commandement du gĂ©nĂ©ral Ortega (es)[64].

Lors de la contre-attaque du 28 octobre, le gouverneur Juan GarcĂ­a Margallo mourut Ă  la porte du fort de Cabrerizas Altas. On envoya une flotta qui appuya les troupes espagnoles avec des bombardements. Plus tard, dans la pĂ©ninsule fut crĂ©Ă© un corps expĂ©ditionnaire de 20 000 hommes commandĂ© par le capitaine gĂ©nĂ©ral Arsenio MartĂ­nez Campos, dont l'arrivĂ©e Ă  Melilla le 29 novembre eut un effet dissuasif qui entraĂźna la fin des combats, aprĂšs quoi la construction du fort fut finalisĂ©e[63]. Le 5 mars 1894, MartĂ­nez Campos signa avec le sultan le traitĂ© de FĂšs, dans lequel ce dernier s’engageait Ă  garantir la paix dans la rĂ©gion et indemnisait l'Espagne de 20 millions de pesetas[64].

Crise du tournant du siĂšcle (1895-1902)

Dessin reproduisant l’explosion de la bombe dans la procession de la FĂȘte-Dieu en 1896 dans la rue Canvis Nous de Barcelone. La rĂ©pression de attentat dans le dĂ©nommĂ© procĂšs de MontjuĂŻc (es) suscita une vague de protestations nationale et internationale.

La crise de la fin du siĂšcle fut provoquĂ©e par la guerre d'indĂ©pendance cubaine, commencĂ©e en fĂ©vrier 1895 et qui se conclut par une dĂ©faite espagnole dans la guerre hispano-amĂ©ricaine de 1898[65]. Cette crise fut aggravĂ©e sur le plan intĂ©rieur par le terrorisme anarchiste, dont l’attentat (es) le plus impactant eut lieu Ă  Barcelone le 7 juin 1896 lors du passage de la procession de la FĂȘte Dieu dans la rue Canvis Nous en consĂ©quence duquel 6 personnes moururent et 42 autres furent blessĂ©es. La rĂ©pression policiĂšre fut violente et indiscriminĂ©e, donnant lieu au fameux procĂšs de MontjuĂŻc (es), durant lequel 400 suspects furent emprisonnĂ©s au chĂąteau de MontjuĂŻc, oĂč ils furent brutalement torturĂ©s — « ongles arrachĂ©s, pieds Ă©crasĂ©s par des machines prĂ©henseuses, casques Ă©lectriques, cigarres Ă©crasĂ©s sur la peau
 » —[66]. Par la suite, divers conseils de guerre condamnĂšrent Ă  mort 28 personnes — 5 d’entre elles furent exĂ©cutĂ©es — et 59 autres furent condamnĂ©s Ă  la prison Ă  perpĂ©tuitĂ© — 63 furent dĂ©clarĂ©es innocentes mais furent dĂ©portĂ©es au Rio de Oro —[67]. Le procĂšs de MontjuĂŻc eut une grande rĂ©percussion internationale, Ă©tant donnĂ©s les doutes que l’on avait concernant les preuves sur lesquelles avaient Ă©tĂ© basĂ©es les condamnations — essentiellement des aveus des accusĂ©s obtenus sous la torture —, et fit Ă©galement l’objet d’une campagne de la presse espagnole contre le gouvernement et les « bourreaux », dans laquelle Ă©mergea le jeune journaliste Alejandro Lerroux, directeur du journal madrilĂšne rĂ©publicain El PaĂ­s, qui publia pendant des mois une chronique intitulĂ©e Las infamias de MontjuĂŻc (« Les infamies de MontjuĂŻc ») avec les rĂ©cits des torturĂ©s, et entreprit une tournĂ©e de propagande dans La Manche et en Andalousie. C’est dans cette atmosphĂšre exaltĂ©e de protestations contre les procĂšs de MontjuĂŻc que se produisit l’assassinat du prĂ©sident du gouvernement Antonio CĂĄnovas del Castillo par l’anarchiste italien Michele Angiolillo le 8 aoĂ»t 1897. PrĂĄxedes Mateo Sagasta dut de nouveau prendre en charge le gouvernement[68].

Guerre Ă  Cuba (1895-1898)

José Martí (quatriÚme depuyis la droite au premier plan) dans un acte de propagande du Parti révolutionnaire cubain (es) en 1892.

AprĂšs la signature de la paix de ZanjĂłn en 1878 qui mit fin Ă  la guerre des Dix Ans, la posture du pouvoir central par rapport Ă  Cuba fut celle de son assimilation Ă  la mĂ©tropole, comme s’il s’agissait d’une province espagnole supplĂ©mentaire — comme Ă  Porto Rico, on lui concĂ©da le droit Ă  avoir des reprĂ©sentants au CongrĂšs des dĂ©putĂ©s de Madrid —. Cette politique d’espagnolisation qui prĂ©tendait contrarier le nationalisme sĂ©cessionniste cubain se vit renforcĂ©e par les facilitĂ©s concĂ©dĂ©es pour l’émigration de pĂ©ninsulaires sur l'Ăźle, dont bĂ©nĂ©ficiĂšrent particuliĂšrement des Asturiens et des Galiciens — entre 1868 et 1894, prĂšs de 500 000 personnes arrivĂšrent Ă  Cuba, dont la population totale s’élevait Ă  1 500 000 en 1868 —. Les gouvernements de la Restauration n’accordĂšrent jamais aucun type de mesure favorable Ă  l’autonomie politique car ils considĂ©raient que ce serait faire un pas dans la direction de l’indĂ©pendance. Un ancien ministre de l’Outre-mer libĂ©ral l’exprima ainsi : « on peut aller Ă  la sĂ©paration par de nombreux chemins, mais par le chemin de l’autonomie les enseignements de l’histoire me disent que l’on y va par le chemin de fer »«_[Los_polĂ­ticos_de_la_RestauraciĂłn]_pensaban_–y_con_razĂłn—_que_los_intereses_cubanos_y_los_españoles_eran_contrapuestos,_por_lo_que_una_CĂĄmara_autonĂłmica_adoptarĂ­a_medidas_que_un_gobierno_español_no_podĂ­a_tolerar,_y_el_conflicto_terminarĂ­a_en_el_enfrentamiento_y_la_independencia._[
]_Si_se_querĂ­a_mantener_la_soberanĂ­a_española,_la_polĂ­tica_respecto_a_Cuba_''fue_la_Ășnica_posible''_»_69-0">[69]. Cuba Ă©tait considĂ©rĂ© comme une « partie du territoire de la nation, que les politiques devaient conserver dans son intĂ©gritĂ© »[70].

C’est ainsi que ceux-ci rejetĂšrent la proposition du Parti libĂ©ral autonomiste (es) cubain qui, face Ă  l’espagnoliste Parti union constitutionnelle absolument opposĂ© Ă  toute concession, souhaitait « obtenir par des moyens pactifiques et lĂ©gaux des institutions politiques particuliĂšres pour l’üle, dans lesquelles ils pourraeint participer ». Ils obtinrent nĂ©anmoins l’abolition de l’esclavage en 1886[71]. Cependant, le nationalisme cubain indĂ©pendantiste poursuivit son essor, alimentĂ© par le souvenir des hĂ©ros de la guerre et des brutalitĂ©s espagnoles au cours de celle-ci[72].

Dessin satirique de la presse des États-Unis reprĂ©sentant le rĂŽle du gĂ©nĂ©ral Weyler dans la guerre d'indĂ©pendance cubaine, intitulĂ© The blind leading the blind (« L’Aveugle conduisant l'aveugle »).

Le dernier dimanche de fĂ©vrier 1895, jour du dĂ©but du carnaval, Ă©clata une nouvelle insurrection indĂ©pendantiste Ă  Cuba, planifiĂ©e et dirigĂ©e par le Parti rĂ©volutionnaire cubain (es), forgĂ© par JosĂ© MartĂ­ Ă  New York en 1892, qui mourrait le mois suivant lors d’un affrontement avec les troupes espagnoles. Le gouvernement espagnol rĂ©agit en envoyant sur l'Ăźle un important contingent militaire — environ 220 000 hommes arriveraient Ă  Cuba en 3 ans —[73]. En janvier 1896, le gĂ©nĂ©ral Weyler prit le relai du gĂ©nĂ©ral MartĂ­nez Campos — qui n’est pas parvenu Ă  Ă©teindre l’insurrection — Ă  la tĂȘte du commandement, dĂ©cidĂ© Ă  mener la guerre « jusqu’au dernier homme et la derniĂšre peseta »[74]. Weyler prĂ©tendit dĂ©connecter les indĂ©pendantistes de leurs soutiens populaires en organisant la concentration de la population rurale dans des villes sous le contrĂŽle des forces coloniales et en ordonnant la destruction des rĂ©coltes et l’abattage du bĂ©tail, susceptibles de servir d’approvisionnement aux rebelles. Ces mesures donnĂšrent de bons rĂ©sultats sur le plan militaire mais avec un coĂ»t humain colossal : en raison des mauvaises conditions sanitaires et alimentaires, la population dĂ©portĂ©e fut victime de maladies et un grand nombre de personnes moururent. De plus, de nombreux paysans, n’ayant plus rien Ă  perdre, se joignirent alors aux insurgĂ©s[75]. Ces mesures brutales eurent un grand impact sur l'opinion publique internationale, spĂ©cialement nord-amĂ©ricaine[75].

Au mĂȘme moment, un autre mouvement insurrectionnel indĂ©pendantiste surgit dans l'archipel des Philippines, menĂ© par le Katipunan, une organisation nationaliste fondĂ©e en 1892. Des mĂ©thodes similaires Ă  celles employĂ©es par Weyler Ă  Cuba furent mises en Ɠuvre par le gĂ©nĂ©ral Polavieja. Le principal intellectuel nationaliste philippin, JosĂ© Rizal, fut exĂ©cutĂ© le 30 dĂ©cembre 1896[76]. Vers le milieu de 1897, Polavieja fut relevĂ© par le gĂ©nĂ©ral Fernando Primo de Rivera, qui parvint Ă  Ă©teindre la rĂ©bellion Ă  la fin de l'annĂ©e[77].

Illustration de l'assassinat du président du gouvernement Antonio Cånovas del Castillo dans un livre de Francisco Pi y Margall.

Le 8 aoĂ»t 1897 Ă©tait assassinĂ© CĂĄnovas et Sagasta, leader du Parti libĂ©ral, dut prendre en charge le gouvernement en octobre, aprĂšs un bref cabinet prĂ©sidĂ© par le gĂ©nĂ©ral Marcelo AzcĂĄrraga Palmero. L'une des premiĂšres dĂ©cisions qu’il prit fut de destituer Weyler, dont la politique intransigeante ne donnait pas de bons rĂ©sultats, et de le remplacer par le gĂ©nĂ©ral RamĂłn Blanco y Erenas. Dans une derniĂšre tentative de retirer des soutiens Ă  la rĂ©bellions, une autonomie politique fut concĂ©dĂ©e Ă  Cuba — ainsi qu’à Porto Rico, qui restait en paix —, mais de façon trop tardive, si bien que la guerre se poursuivit[78]. D’autre part, la politique espagnole Ă  Cuba se concentra sur la satisfaction des demandes des États-Unis, dans l’objectif d’éviter Ă  tout prix la guerre, Ă©tant donnĂ© que les gouvernants espagnols Ă©taient conscients de l’infĂ©rioritĂ© navale et militaire de l’Espagne ; cependant la presse dĂ©ploya une campagne de propagande contre les États-Unis et d’exaltation espagnoliste[79].

Guerre hispano-américaine

Le croiseur espagnol Reina Mercedes, coulé dans l'entrée de la baie de Santiago de Cuba.

En plus de motifs gĂ©opolitiques et stratĂ©giques, l'intĂ©rĂȘt des États-Unis pour Cuba et Porto Rico Ă©tait dĂ» Ă  la croissante interdĂ©pendance de leurs Ă©conomies respectives — investissements de capitaux amĂ©ricains et importance des exportations de sucre, 80 % de la production cubaine se trouvant destinĂ©e aux États-Unis — et de l’inclination de l’opinion publique amĂ©ricaine en faveur de la cause indĂ©pendantiste cubaine, aprĂšs la mise en lumiĂšre dans la presse Ă  sensation de la rĂ©pression brutale menĂ©e par Weyler et le dĂ©clenchement d’une campagne anti-espagnole demandant l'intervention de l’armĂ©e des États-Unis pour soutenir les insurgĂ©s. En consĂ©quence, les autoritĂ©s amĂ©ricaines apportent une aide dĂ©cisive Ă  la guerrilla cubaine, en armes et en Ă©quipements Ă  travers la Junte cubaine prĂ©sidĂ©e par TomĂĄs Estrada Palma et de la Liga Cubana. La posture des États-Unis se radicalisa aprĂšs l’élection en novembre 1896 du prĂ©sident rĂ©publicain William McKinley, qui rejeta la solution de l'autonomie acceptĂ©e par son prĂ©dĂ©cesseur, le dĂ©mocrate Grover Cleveland, et misa clairement sur l’indĂ©pendance ou l’annexion de l’üle — l’ambassadeur amĂ©ricain Ă  Madrid fit une offre d’achat de l’üle au gouvernement espagnol qui la rejeta —. Ainsi, la concession de l'autonomie Ă  Cuba par le gouvernement Sagasta — la premiĂšre expĂ©rience de ce type dans l'histoire contemporaine espagnole — ne satisfit absolument pas les prĂ©tentions nord-amĂ©ricaines ni celles des indĂ©pendantistes, qui continuĂšrent la guerre[80]. Les relations entre les USA et l'Espagne empirĂšrent encore lorsque la presse nord-amĂ©ricaine publia une lettre (en) privĂ©e de l’ambassadeur espagnol Enrique Dupuy de LĂŽme au ministre JosĂ© Canalejas, interceptĂ©e par un espion cubain, dans laquelle il qualifiait le prĂ©sident McKinley de « faible et populacier, et de plus un politicard qui veut [
] donner bonne impression au jingos de son parti »[81].

En fĂ©vrier 1898, l'USS Maine, cuirassĂ© de l'United States Navy, fut coulĂ© Ă  la suite d’une explosion dans le port de La Havane oĂč il mouillait l'ancre — 264 marins et deux officiers moururent —. Deux mois plus tard, le CongrĂšs des États-Unis approuva une rĂ©solution exigeant l’indĂ©pendance de Cuba et autorisa le prĂ©sident McKinley Ă  dĂ©clarer la guerre Ă  l’Espagne, ce qu’il fit le 25 avril suivant[82]. La rĂ©solution affirmait que « le peuple de l’üle de Cuba est, et a le droit d’ĂȘtre, libre, et que les États-Unis ont le devoir de demander, et par consĂ©quent le gouvernement des États-Unis demande, Ă  au gouvernement espagnol de renoncer immĂ©diatement Ă  son autoritĂ© et son gouvernement sur l’üle de Cuba et de retirer de Cuba et des eaux cubaines ses forces terrestres et navales »[83]. Les causes de l'explosion du Maine demeurent inconnues, bien que « des Ă©tudes actuelles s’inclient pour l'attribuer Ă  un accident, ce qui confirme la thĂšse exposĂ©e par la commission espagnoles selon laquelle l’explosion avait Ă©tĂ© due Ă  des causes internes. Le rapport officiel amĂ©ricain l’attribua, au contraire, Ă  des causes externes, et Ă©tait, dans les mots de McKinley au CongrĂšs, « une preuve patente et manifeste d’un intolĂ©rable Ă©tat de choses Ă  Cuba » »[84].

Négociation du traité de Paris en décembre 1898.

La guerre hispano-amĂ©ricaine fut brĂšve et se joua en mer. Le 1er mai 1898, l'escadre espagnole des Philippines Ă©tait coulĂ©e par une flotte amĂ©ricaine dans la bataille de la baie de Manille et les troupes du vainqueur occupĂšrent la capitale Manille trois mois et demi plus tard. Le 3 juillet de la mĂȘme annĂ©e, la flotte espagnole de Cuba contrĂŽlĂ©e par l’amiral Cervera connut le mĂȘme sort lors de la bataille de Santiago, Ă  l’issue de laquelle les troupes amĂ©ricaines dĂ©barquent dans la deuxiĂšme ville de l’üle quelques jours plus tard. L’üle voisine de Porto Rico connut le mĂȘme sort peu aprĂšs[85]. Certains officiers espagnols Ă  Cuba manifestĂšrent « la conviction que le gouvernement de Madrid avec l’intention dĂ©libĂ©rĂ©e que l’escadre fĂ»t dĂ©truite le plus tĂŽt possible, pour arriver rapidement Ă  la paix »[86]. Certaines des meilleurs unitĂ© de la Marine espagnole comme le cuirassĂ© Pelayo ou le croiseur Emperador Carlos V n’intervinrent pas dans la guerre[87].

Caricature satirique de la presse amĂ©ricaine sur le traitĂ© de Paris de 1898, signĂ© aprĂšs la dĂ©faite espagnole dans la guerre hispano-amĂ©ricaine et qui mit fin Ă  l’empire colonial espagnol.

Une fois connue la nouvelle du naufrage des deux flottes, le gouvernement Sagasta demanda la mĂ©diation de la France pour mener des nĂ©gociations de paix avec les États-Unis qui commencĂšrent le 1er octobre 1898 et culminĂšrent avec la signature du traitĂ© de Paris le 10 dĂ©cembre[86]. Par ce dernier, l'Espagne reconnaissait l’indĂ©pendance de Cuba et cĂ©dait aux États-Unis Porto Rico, les Philippines et l’üle de Guam, dans l’archipel des Mariannes. L’annĂ©e suivante, l’Espagne vendait Ă  l’Allemagne contre 25 millions de dollars les derniers restes de son empire colonial dans le Pacifique : les Ăźles Carolines, le reste des Mariannes et les Ăźles Palaos. « QualifiĂ©e d’absurde et d’inutile dans une grande partie de l'historiographie, la guerre contre les États-Unis fut soutenue par une logique interne, avec l’idĂ©e qu’il n’était pas possible de maintenir le systĂšme monarchique qu’à partir d’une dĂ©faite militaire plus que prĂ©visible », soutenue par les conservateurs comme les libĂ©raux«_La_supervivencia_del_rĂ©gimen_monĂĄrquico
_llevĂł_a_liberales_y_a_conservadores_a_optar_por_la_derrota_como_garantĂ­a_de_que_de_ese_modo_era_posible_salvaguardar_la_Corona._[
]_La_lĂłgica_de_la_guerra_estuvo,_pues,_sometida_a_un_cometido_bĂĄsico:_preservar_la_integridad_del_patrimonio_heredado_y_salvaguardar_el_trono_del_[[Alphonse_XIII|rey-niño]]._»_88-0">[88]. Selon Carlos DardĂ©, « Une fois mis devant le fait accompli de la guerre, le gouvernement crut qu’il n'avait d’autre solution que de lutter, et de perdre. Ils pensĂšrent que la dĂ©faite — sĂ»re — Ă©tait prĂ©fĂ©rable Ă  la rĂ©volution — Ă©galement sĂ»re — ». ConcĂ©der « l’indĂ©pendance de Cuba, sans ĂȘtre battu militairement [
] aurait impliquĂ© en Espagne, plus que probablement, un coup d’État militaire avec un grand soutien populaire, et la chute de la monarchie ; c’est-Ă -dire, la rĂ©volution »[89]. Comme le dĂ©clara le chef de la dĂ©lĂ©gation espagnole dans les nĂ©gociations de paix Ă  Paris, le libĂ©ral Eugenio Montero RĂ­os : « tout a Ă©tĂ© perdu, sauf la Monarchie ». Ou comme le dit l'ambassadeur des États-Unis Ă  Madrid : les hommes politiques des partis dynastiques prĂ©fĂ©raient « les probabilitĂ©s d’une guerre, avec la certitude perdre Cuba, au dĂ©trĂŽnement de la monarchie »[90].

« Désastre de 98 » et régénérationnisme

La régente Marie-Christine avec son fils, le futur Alfonso XIII, ùgé de 11 ans (tableau de Luis Álvarez Catalå (es) de 1898).

AprĂšs la dĂ©faite, l’exaltation nationaliste espagnole cĂ©da le pas Ă  un sentiment de frustration, encore accentuĂ© lorsque furent connues les pertes durant la guerre : prĂšs de 56 000 — 2 150 soldats et officiers morts au combat, et 53 500 Ă  cause de diverses maladies —. L'historien Melchor FernĂĄndez Almagro, qui Ă©tait enfant lorsque la guerre se termina, fit plus tard rĂ©fĂ©rence aux soldats blessĂ©s et mutilĂ©s qui revenaient de la campagne coloniale « parcourant les rues et places dans un affligeant et inĂ©vitable spectacle de l’uniforme de rayadillo (en) reduit en guenilles, avec une lugubre profusion de bĂ©quilles, de bras en Ă©charpe et de pansements sur le visage Ă©maciĂ© »[91].

Cependant, ce sentiment ne trouva pas de traduction politique car les carlistes comme les rĂ©publicains — Ă  l'exception de Pi y Margall, qui avait maintenu une posture anticolonialiste — avaient appuyĂ© la guerre et s’étaient montrĂ©s aussi nationalistes, militaristes et colonialistes que les partis du turno’' — seuls les socialistes et anarchistes demeurĂšrent fidĂšles Ă  leurs idĂ©es internationalistes, anticolonialistes et antibellicistes — et la rĂ©gime de la Restauration surmonta la crise[92][93].

Le tournant du XXe siĂšcle fut marquĂ© par le rĂ©gĂ©nĂ©rationnisme, un courant idĂ©ologique qui dĂ©fendait la nĂ©cessitĂ© de « rĂ©gĂ©nĂ©rer » la sociĂ©tĂ© espagnole pour Ă©viter un nouveau dĂ©sastre comme celui survenu en 1898. Ce courant participait de la dĂ©nommĂ©e « littĂ©rature du dĂ©sastre », commencĂ©e dĂšs 1890 par Lucas Mallada avec la publication de Los males de la Patria (« Les Maux de la Patrie »), qui engagea une rĂ©flexion sur les causes de la situation de « prostration » dans laquelle se trouvait la « Nation espagnole », illustrĂ©e par la perte des colonies de l’Espagne tandis que les principaux États europĂ©ens se trouvaient en phase de consolidation de leurs propres empires coloniaux, et sur les moyens de la surmonter. Parmi les nombreuses Ɠuvres publiĂ©es figurent El problema nacional (« Le ProblĂšme National », 1899) de Ricardo MacĂ­as Picavea, Del desastre nacional y sus causas (« Du dĂ©sastre national et ses causes », 1900) de DamiĂĄn Isern et ÂżEl pueblo español ha muerto? (« Le Peuple espagnol est-il mort ? », 1903) d’Enrique Diego-Madrazo (es). Les Ă©crivains de ce qui sera plus tard appelĂ© gĂ©nĂ©ration de 98 participent Ă©galement Ă  cette rĂ©flexion sur le « problĂšme de l’Espagne (es) » : Ángel Ganivet, AzorĂ­n, Miguel de Unamuno, PĂ­o Baroja, Antonio Machado, Ramiro de Maeztu , etc.[94][95].

NĂ©anmoins, l'auteur le plus influent de la littĂ©rature rĂ©gĂ©nĂ©rationniste fut JoaquĂ­n Costa, qui publia en 1901 l'essai OligarquĂ­a y caciquismo (« Oligarchie et Caciquisme »), dans lequel il dĂ©signait le systĂšme politique de la Restauration comme le principal responsable du retard de l'Espagne — son « africanisation », qui l'Ă©loigne de l'« orbite europĂ©enne » —. Afin de « rĂ©gĂ©nĂ©rer » l'« organisme malade » qu’était l'Espagne de 1900 Ă©tait nĂ©cessaire l'intervention d’un « chirurgien de fer » (« cirujano de hierro ») qui abatte le systĂšme par une « refondation de l'État espagnol » et lance un changement basĂ© sur l’enseignement et un volontarisme Ă©conomique de l'État[94] - [96].

Gouvernements « régénérationnistes » (1898-1902)

Carte des possessions espagnoles dans le golfe de Guinée, acquises par le traité de Paris de 1900 qui donnerait lieu à la Guinée espagnole, jusqu'à son indépendance en 1968 sous le nom de Guinée équatoriale.
Le général Camilo Polavieja.
Un partido nuevo (« Un nouveau parti »), caricature publiĂ©e le 7 mars 1900 dans la revue GedeĂłn (es), qui fait rĂ©fĂ©rence Ă  la formation de lÂŽUnion nationale (es) et oĂč figurent Basilio ParaĂ­so et JoaquĂ­n Costa.

En mars 1899, le nouveau leader conservateur Francisco Silvela prit la tĂȘte du gouvernement, au soulagement de Sagasta, qui Ă©tait Ă  la tĂȘte de l’État au cours du dĂ©sastre de 1898[97]. Silvela se fit l'Ă©cho des demandes rĂ©gĂ©nĂ©rationnistes de la sociĂ©tĂ© et du systĂšme politique — il qualifia lui-mĂȘme l’Espagne de pays « sans pouls » — en menant une sĂ©rie de rĂ©formes. SecondĂ© par son ministre de la Guerre, le gĂ©nĂ©ral Polavieja, il dĂ©fendit « une formule de rĂ©gĂ©nĂ©ration conservatrice qui essayait de sauvegarder les valeurs de la patrie dans un moment de crise nationale »[98].

La rĂ©forme la plus importante fut celle du budget public menĂ©e par le ministre Raimundo FernĂĄndez Villaverde, qui visait Ă  faire face Ă  la difficile situation financiĂšre de l’État Ă  la suite de l’augmentation des dĂ©penses provoquĂ©e par la guerre, accompagnĂ©e de la baisse de la valeur de la monnaie nationale et d’une importante inflation, Ă  l'origine d’une hausse du mĂ©contentement populaire[99]. Cette rĂ©forme fut accompagnĂ©e de l'approbation en 1900 des deux premiĂšres lois sociales de l'histoire du pays, sous l'impulsion du ministre Eduardo Dato — une sur les accidents de travail et l'autre sur le travail des femmes et des enfants —. De plus, Silvela tenta d’intĂ©grer dans son gouvernement un reprĂ©sentant de la Lliga Regionalista, parti nationaliste catalan qui venait de faire irruption dans la vie publique, et nomma Manuel Duran i Bas ministre de la GrĂące et de la Justice, qui finit nĂ©anmoins par dĂ©missionner[97].

Photo de Francisco Silvela autour de 1902 ; Silvela fut le successeur d’Antonio CĂĄnovas del Castillo Ă  la tĂȘte du Parti conservateur.

La seule opposition significative Ă  laquelle gouvernement conservateur de Silvela dut faire face fut le mouvement de « tancament de caixes (en) » (littĂ©ralement « fermetures des caisses »), mouvement de protestation menĂ© en Catalogne entre avril et juillet 1900 par les commerçants et industriels regroupĂ©s dans la Liga Nacional de Productores (« Ligue nationale des producteurs ») — organisation crĂ©e par JoaquĂ­n Costa lui-mĂȘme —, et par les Chambres de commerce dirigĂ©es par Basilio ParaĂ­so. Mais ce mouvement qui exigeait des changements politiques et Ă©conomiques Ă©choua finalement et l’Union nationale (es) qui en avait surgi se dissolut, surtout aprĂšs que les bourgeoisies basque et catalane dĂ©cidĂšrent finalement de soutenir le gouvernement[100]. Costa se tourna alors vers le rĂ©publicanisme[97].

Formation du gouvernement de Sagasta de 1901.

Les dĂ©saccords internes — fondamentalement en consĂ©quence de l’opposition de Polavieja Ă  la rĂ©duction des dĂ©penses publiques imposĂ©e par FernĂĄndez Villaverde, incompatible avec sa demande de financement pour moderniser l’armĂ©e — finirent par provoquer la chute du gouvernement Silvela en octobre 1900. Le gouvernement prĂ©sidĂ© par le gĂ©nĂ©ral AzcĂĄrraga Palmero qui lui succĂšda ne dura que cinq mois. En mars 1901, le libĂ©ral Sagasta prit la tĂȘte d’un nouvel exĂ©cutif, qui fut le dernier de la rĂ©gence de Marie-Christine et le premier du rĂšgne effectif d’Alphonse XIII[101].

Essor du nationalisme catalan et consolidation du nationalisme basque

La majoritĂ© des catalanistes appuyĂšrent la concession de l'autonomie Ă  Cuba car ils la considĂ©rĂšrent comme un prĂ©cĂ©dent pour obtenir celle de la Catalogne, mais la proposition de Francesc CambĂł pour que l’UniĂł Catalanista fasse une dĂ©claration en faveur de l'autonomie cubaine avec la possibilitĂ© d’arriver Ă  une indĂ©pendance de l’üle rencontra peu de soutien[102]

Manuel Duran y Bas.

AprĂšs la dĂ©faite espagnole dans la guerre hispano-amĂ©ricaine, le rĂ©gionalisme catalan connut un essor important, dont la fondation en 1901 de la Lliga Regionalista fut le fruit. Celle-ci surgit comme la fusion de l'UniĂł Regionalista fondĂ©e en 1898 et du Centre Nacional CatalĂ , qui rassemblait un groupe issu d’une scission de l’UniĂł Catalanista menĂ© par Enric Prat de la Riba et Francesc CambĂł. La raison de la rupture fut que ces derniers, contrairement Ă  l’opinion majoritaire dans leur parti d’origine, avaient dĂ©fendu la collaboration avec le gouvernement de Silvela — l’un d’entre eux, Manuel Duran y Bas, fit partie de l'exĂ©cutif, et des personnalitĂ©s proches du catalanisme occupĂšrent les mairies de Barcelone, Tarragone et Reus, ainsi que les Ă©vĂȘchĂ©s de Barcelone et de Vic —, bien qu’ils finissent par rompre avec le Parti conservateur en voyant que leurs revendications n’étaient pas acceptĂ©es — accord Ă©conomique similaire Ă  celui des provinces basco-navarraises, province unique pour toute la Catalogne, rĂ©duction de la pression fiscale —. La rĂ©ponse des catalanistes fut le tancament de caixes (en), la sortie du gouvernement de Duran i Bas et la dĂ©mission du docteur Bartomeu Robert du poste de maire de Barcelone[103].

L'Ă©chec du rapprochement avec les conservateurs espagnols n’affaiblit pas la Lliga. Au contraire, celle-ci trouva un soutien de plus en plus grand auprĂšs de multiples secteurs de la bourgeoisie catalane déçus des partis du turno. Ceci se traduisit dĂšs 1901 par le triomphe du parti aux Ă©lections municipales de Barcelone, ce qui signifia la fin du caciquisme et de la fraude Ă©lectorale dans la capitale catalane et seconde ville d’Espagne[104].

Veillée funÚbre de Sabino Arana en novembre 1903.

Quant au Pays basque, le PNV Ă©tait encore en 1898 un groupe politique extrĂȘmement rĂ©duit, avec un trĂšs faible nombre d’affiliĂ©s et une implĂ©mentation limitĂ©e Ă  Bilbao. AprĂšs la disparition de Baserritarra l’annĂ©e prĂ©cĂ©dente en raison de problĂšmes Ă©conomiques, il ne disposait mĂȘme pas d’un organe de presse. De plus, sa capacitĂ© d’influence se trouvait trĂšs limitĂ©e par la vague d’exaltation nationaliste espagnole provoquĂ©e par la guerre hispano-amĂ©ricaine — au cours d'une manifestation, la maison d’Arana Ă  Bilbao fut caillassĂ©e —. Cependant, cette mĂȘme annĂ©e 1898 la situation du PNV changea complĂštement — avec le PSOE ils avaient Ă©tĂ© les seuls groupes politiques basques opposĂ©s Ă  la guerre — grĂące Ă  l’intĂ©gration du groupe des euskalerriacos qui lui apporta « des cadres politiques, l’hebdomadaire Euskalduna et des moyens Ă©conomiques, car ces fueristas [partisan des fors] Ă©taient des bourgeois liĂ©s Ă  l’industrie et au commerce, spĂ©cialement leur dirigeant RamĂłn de la Sota » et qui, face Ă  l’indĂ©pendantisme d’Arana, dĂ©fendaient l'autonomie pour le Pays basque, rejoignant ainsi l'approche du catalanisme. Le soutien des euskalerriacos fut dĂ©cisif pour permettre l’élection d’Arana comme dĂ©putĂ© provincial de Biscaye pour Bilbao. À partir de cette date, Arana modĂ©ra ses postulats les plus radicaux, anticapitalistes et antiespagnols, et mĂȘme renonça Ă  l’indĂ©pendantisme dans la derniĂšre annĂ©e de sa vie, dĂ©fendant « une autonomie la plus radicale possible Ă  l’intĂ©rieur de l’unitĂ© de l'État espagnol », une Ă©volution « espagnoliste » qui fut trĂšs dĂ©battue par les autres nationalistes basques aprĂšs sa mort, le 25 novembre 1903, alors qu’il Ă©tait seulement ĂągĂ© de 38 ans[105].

Notes et références

  1. SuĂĄrez Cortina 2006, p. 122.
  2. (es) JosĂ© AndrĂ©s Gallego (es), Historia General de España y AmĂ©rica : RevoluciĂłn y RestauraciĂłn: (1868-1931), t. XVI-2, Rialp, , 632 p. (ISBN 9788432121142, lire en ligne), p. 314-315
  3. Dardé 1996, p. 76.
  4. SuĂĄrez Cortina 2006, p. 121-122.
  5. SuĂĄrez Cortina 2006, p. 123.
  6. Dardé 1996, p. 78.
  7. Lario 1999, p. 202-211.
  8. SuĂĄrez Cortina 2006, p. 122-123.
  9. «_[El_''pacto_del_Pardo''_fue]_una_muestra_extraordinaria_de_sabidurĂ­a_polĂ­tica_y_de_altruismo_—al_colocar_los_intereses_generales_por_encima_de_los_particulares—_por_parte_de_CĂĄnovas_»-9" class="mw-reference-text">DardĂ© 1996, p. 76. « [El pacto del Pardo fue] una muestra extraordinaria de sabidurĂ­a polĂ­tica y de altruismo —al colocar los intereses generales por encima de los particulares— por parte de CĂĄnovas »
  10. «_NaciĂł_en_mĂ­_el_convencimiento_de_que_era_preciso_que_la_lucha_ardiente_en_que_nos_encontrĂĄbamos_a_la_sazĂłn_los_partidos_monĂĄrquicos
_cesara_de_todos_modos_y_cesara_por_bastante_tiempo._PensĂ©_que_era_indispensable_una_tregua_y_que_todos_los_monĂĄrquicos_nos_reuniĂ©ramos_alrededor_de_la_MonarquĂ­a._[
]_Y_una_vez_pensado_esto
_ÂżquĂ©_me_tocaba_a_mĂ­_hacer?_Âżes_que_despuĂ©s_de_llevar_entonces_cerca_de_dos_años_en_el_gobierno_y_de_haber_gobernado_la_mayor_parte_del_reinado_de_Alfonso_XII,_me_tocaba_a_mĂ­_dirigir_la_voz_a_los_partidos_y_decirles:_'porque_el_paĂ­s_se_encuentra_en_esta_crisis_no_me_combatĂĄis_mĂĄs;_hagamos_la_paz_alrededor_del_trono;_dejadme_que_me_pueda_defender_y_sostener?_Eso_hubiera_sido_absurdo_y,_ademĂĄs_de_poco_generoso_y_honrado,_hubiera_sido_ridĂ­culo._Pues_que_yo_me_levantaba_a_proponer_la_concordia_y_a_pedir_la_tregua,_no_habĂ­a_otra_forma_de_hacer_creer_en_mi_sinceridad_sino_apartarme_yo_mismo_del_poder._»-10" class="mw-reference-text">DardĂ© 1996, p. 76. « NaciĂł en mĂ­ el convencimiento de que era preciso que la lucha ardiente en que nos encontrĂĄbamos a la sazĂłn los partidos monĂĄrquicos
 cesara de todos modos y cesara por bastante tiempo. PensĂ© que era indispensable una tregua y que todos los monĂĄrquicos nos reuniĂ©ramos alrededor de la MonarquĂ­a. [
] Y una vez pensado esto
 ÂżquĂ© me tocaba a mĂ­ hacer? Âżes que despuĂ©s de llevar entonces cerca de dos años en el gobierno y de haber gobernado la mayor parte del reinado de Alfonso XII, me tocaba a mĂ­ dirigir la voz a los partidos y decirles: 'porque el paĂ­s se encuentra en esta crisis no me combatĂĄis mĂĄs; hagamos la paz alrededor del trono; dejadme que me pueda defender y sostener? Eso hubiera sido absurdo y, ademĂĄs de poco generoso y honrado, hubiera sido ridĂ­culo. Pues que yo me levantaba a proponer la concordia y a pedir la tregua, no habĂ­a otra forma de hacer creer en mi sinceridad sino apartarme yo mismo del poder. »
  11. SuĂĄrez Cortina 2006, p. 130.
  12. Dardé 1996, p. 81-82.
  13. SuĂĄrez Cortina 2006, p. 130-131.
  14. Dardé 1996, p. 84.
  15. SuĂĄrez Cortina 2006, p. 131.
  16. SuĂĄrez Cortina 2006, p. 131-132.
  17. Dardé 1996, p. 83-84.
  18. SuĂĄrez Cortina 2006, p. 128-130.
  19. SuĂĄrez Cortina 2006, p. 124-127.
  20. Dardé 1996, p. 61.
  21. Dardé 1996, p. 92-93.
  22. Dardé 1996, p. 97-98.
  23. Dardé 1996, p. 98.
  24. Dardé 1996, p. 88.
  25. Dardé 1996, p. 65.
  26. De la Granja, Beramendi et Anguera 2001, p. 47-48.
  27. De la Granja, Beramendi et Anguera 2001, p. 51.
  28. De la Granja, Beramendi et Anguera 2001, p. 48.
  29. De la Granja, Beramendi et Anguera 2001, p. 48-49.
  30. De la Granja, Beramendi et Anguera 2001, p. 62.
  31. De la Granja, Beramendi et Anguera 2001, p. 64; 70.
  32. De la Granja, Beramendi et Anguera 2001, p. 67-70.
  33. De la Granja, Beramendi et Anguera 2001, p. 70-71.
  34. De la Granja, Beramendi et Anguera 2001, p. 38-39.
  35. De la Granja, Beramendi et Anguera 2001, p. 80-81.
  36. De la Granja, Beramendi et Anguera 2001, p. 99-102.
  37. Montero 1997, p. 124-125.
  38. Montero 1997, p. 125-127, 129.
  39. Montero 1997, p. 128-133.
  40. «_Son_constantes_las_quejas_de_traición_y_las_expresiones_de_desencanto_de_la_prensa_agraria_(''[[El_Norte_de_Castilla]]'')_ante_los_silencios,_ausencias_y_faltas_de_apoyo_de_Gamazo_y_su_grupo_en_situaciones_políticas_concretas._»-41" class="mw-reference-text">Montero 1997, p. 131-132. « Son constantes las quejas de traición y las expresiones de desencanto de la prensa agraria (El Norte de Castilla) ante los silencios, ausencias y faltas de apoyo de Gamazo y su grupo en situaciones políticas concretas. »
  41. Montero 1997, p. 133.
  42. Dardé 1996, p. 80-81.
  43. Montero 1997, p. 130.
  44. Montero 1997, p. 133-134.
  45. SuĂĄrez Cortina 2006, p. 132.
  46. Dardé 1996, p. 82.
  47. SuĂĄrez Cortina 2006, p. 132-133.
  48. SuĂĄrez Cortina 2006, p. 133.
  49. Dardé 1996, p. 82-83.
  50. Dardé 1996, p. 85.
  51. SuĂĄrez Cortina 2006, p. 133-134.
  52. De la Granja, Beramendi et Anguera 2001, p. 71.
  53. De la Granja, Beramendi et Anguera 2001, p. 71-72.
  54. De la Granja, Beramendi et Anguera 2001, p. 82.
  55. De la Granja, Beramendi et Anguera 2001, p. 83-85.
  56. Dardé 1996, p. 86.
  57. SuĂĄrez Cortina 2006, p. 134.
  58. Dardé 1996, p. 86-87.
  59. SuĂĄrez Cortina 2006, p. 134-136.
  60. Dardé 1996, p. 93-96.
  61. Dardé 1996, p. 87.
  62. (es) Antonio Bravo Nieto (es), « Las nuevas fronteras españolas del siglo XIX: la arquitectura de los fuertes neomedievales de Ceuta y Melilla », dans Arquitectura militar neomedieval en el siglo XIX: los fuertes exteriores de Melilla, Ministerio de Defensa / Instituto de Cultura MediterrĂĄnea, (ISBN 84-9781-227-1, lire en ligne), p. 5-20.
  63. (es) M. Antonio Carrasco Gonzålez, El reino olvidado : Cinco siglos de historia de España en África, La Esfera de los Libros, (ISBN 9788499707297, lire en ligne).
  64. Dardé 1996, p. 100.
  65. SuĂĄrez Cortina 2006, p. 152.
  66. Dardé 1996, p. 96.
  67. SuĂĄrez Cortina 2006, p. 151-152.
  68. «_[Los_polĂ­ticos_de_la_RestauraciĂłn]_pensaban_–y_con_razĂłn—_que_los_intereses_cubanos_y_los_españoles_eran_contrapuestos,_por_lo_que_una_CĂĄmara_autonĂłmica_adoptarĂ­a_medidas_que_un_gobierno_español_no_podĂ­a_tolerar,_y_el_conflicto_terminarĂ­a_en_el_enfrentamiento_y_la_independencia._[
]_Si_se_querĂ­a_mantener_la_soberanĂ­a_española,_la_polĂ­tica_respecto_a_Cuba_''fue_la_Ășnica_posible''_»-69" class="mw-reference-text">DardĂ© 1996, p. 104-106. « [Los polĂ­ticos de la RestauraciĂłn] pensaban –y con razĂłn— que los intereses cubanos y los españoles eran contrapuestos, por lo que una CĂĄmara autonĂłmica adoptarĂ­a medidas que un gobierno español no podĂ­a tolerar, y el conflicto terminarĂ­a en el enfrentamiento y la independencia. [
] Si se querĂ­a mantener la soberanĂ­a española, la polĂ­tica respecto a Cuba fue la Ășnica posible »
  69. Dardé 1996, p. 106.
  70. Dardé 1996, p. 104.
  71. Dardé 1996, p. 102.
  72. Dardé 1996, p. 112.
  73. SuĂĄrez Cortina 2006, p. 141.
  74. Dardé 1996, p. 114.
  75. SuĂĄrez Cortina 2006, p. 145.
  76. Dardé 1996, p. 121-122.
  77. SuĂĄrez Cortina 2006, p. 142.
  78. Dardé 1996, p. 114-116.
  79. SuĂĄrez Cortina 2006, p. 142-143.
  80. Dardé 1996, p. 118.
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  82. Dardé 1996, p. 120.
  83. Dardé 1996, p. 118-120.
  84. SuĂĄrez Cortina 2006, p. 145-146.
  85. Dardé 1996, p. 121.
  86. (es) Guillermo D. Olmo, « El «Pelayo», el acorazado español que aterrorizĂł a los Estados Unidos », ABC,‎ (lire en ligne, consultĂ© le ).
  87. «_La_supervivencia_del_rĂ©gimen_monĂĄrquico
_llevĂł_a_liberales_y_a_conservadores_a_optar_por_la_derrota_como_garantĂ­a_de_que_de_ese_modo_era_posible_salvaguardar_la_Corona._[
]_La_lĂłgica_de_la_guerra_estuvo,_pues,_sometida_a_un_cometido_bĂĄsico:_preservar_la_integridad_del_patrimonio_heredado_y_salvaguardar_el_trono_del_[[Alphonse_XIII|rey-niño]]._»-88" class="mw-reference-text">SuĂĄrez Cortina 2006, p. 145-147. « La supervivencia del rĂ©gimen monĂĄrquico
 llevĂł a liberales y a conservadores a optar por la derrota como garantĂ­a de que de ese modo era posible salvaguardar la Corona. [
] La lĂłgica de la guerra estuvo, pues, sometida a un cometido bĂĄsico: preservar la integridad del patrimonio heredado y salvaguardar el trono del rey-niño. »
  88. Dardé 1996, p. 116.
  89. SuĂĄrez Cortina 2006, p. 146-147.
  90. Dardé 1996, p. 122; 100.
  91. SuĂĄrez Cortina 2006, p. 148-154.
  92. Dardé 1996, p. 122-124.
  93. SuĂĄrez Cortina 2006, p. 156.
  94. Dardé 1996, p. 124-125.
  95. « Contener el movimiento de retroceso y africanización, absoluta y relativa, que nos arrastra cada vez mås lejos fuera de la órbita en que gira y se desenvuelve la civilización europea, llevar a cabo una refundación del Estada español. Sobre el patrón europeo que nos ha dado hecho la historia y a cuyo empuje hemos sucumbido, restablecer el crédito de nuestra nación ante el mundo, evitar que Santiago de Cuba encuentre una segunda edición por Santiago de Galicia... o dicho de otro modo: fundar improvisadamente en la Península una España nueva, es decir, una España rica y que coma, una España culta y que piense, una España libre y que gobierne, una España fuerte y que venza, una España, en fin, contemporånea de la humanidad, que al trasponer las fronteras no se siente forastera, como si hubiese penetrado en otro planeta o en otro siglo (...) y no pasemos en breve plazo de clase inferior a raza inferior, esto es, de vasallos que venimos siendo de una oligarquía indígena, a colonos que hemos principiado a ser de franceses, ingleses y alemanes. »Joaquín Costa, Oligarquía y caciquismo, 1901
  96. Dardé 1996, p. 124.
  97. SuĂĄrez Cortina 2006, p. 154.
  98. SuĂĄrez Cortina 2006, p. 155.
  99. SuĂĄrez Cortina 2006, p. 156-157.
  100. SuĂĄrez Cortina 2006, p. 155, 158-159.
  101. De la Granja, Beramendi et Anguera 2001, p. 72.
  102. De la Granja, Beramendi et Anguera 2001, p. 72-73.
  103. De la Granja, Beramendi et Anguera 2001, p. 73.
  104. De la Granja, Beramendi et Anguera 2001, p. 83; 85-89.

Annexes

Articles connexes

Bibliographie

  • (es) Carlos DardĂ©, La RestauraciĂłn, 1875-1902 : Alfonso XII y la regencia de MarĂ­a Cristina, Madrid, Historia 16, coll. « Temas de Hoy », (ISBN 84-7679-317-0). Ouvrage utilisĂ© pour la rĂ©daction de l'article
  • (es) JosĂ© Luis de la Granja (en), Justo Beramendi (es) et Pere Anguera (es), La España de los nacionalismos y las autonomĂ­as, Madrid, SĂ­ntesis, (ISBN 84-7738-918-7). Ouvrage utilisĂ© pour la rĂ©daction de l'article
  • (es) Feliciano Montero, Historia de España, vol. XI : La RestauraciĂłn. De la Regencia a Alfonso XIII, Madrid, Espasa Calpe, (ISBN 84-239-8959-3), « La Regencia (1885-1902) ». Ouvrage utilisĂ© pour la rĂ©daction de l'article
  • (es) Manuel SuĂĄrez Cortina, La España Liberal (1868-1917) : PolĂ­tica y sociedad, Madrid, SĂ­ntesis, (ISBN 84-9756-415-4). Ouvrage utilisĂ© pour la rĂ©daction de l'article
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