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Journalier

« Journalier » désigne initialement dans le monde paysan (puis également citadin) un simple manœuvre ou manouvrier, c'est-à-dire un ouvrier manuel du lieu ou de la contrée, un habitant du pays ouvrier agricole éphémère que l'historiographie contemporaine mentionne communément en pauvre paysan louant sa force de travail à la journée auprès d'un maître de domaine ou d'une exploitation plus cossue, propriétaire ou fermier entrepreneurs de cultures ou d'élevage. En ce sens, le journalier se distinguait des groupes de saisonniers souvent étrangers ou des migrants divers, parfois recrutés pour des tâches similaires. Par extension, « journalier » pouvait également désigner un travailleur en milieu urbain recruté à la journée ou à la tâche dans des métiers ouvriers (bâtiment, industrie…).

Journaliers au Ghana (2018).
Ouvriers du bâtiment à Chittagong, Bangladesh.

Les luttes sociales du XIXe et du début du XXe siècle, ainsi que la généralisation du salariat ont fait reculer le travail journalier, cependant aujourd'hui on le voit réapparaître sous la forme du statut d'auto-entrepreneur lorsque celui-ci travaille à la tâche pour des entreprises (par exemple dans le secteur de la livraison de repas à vélos[1]), ou concernant les travailleurs du clic (micro-travail)[2].

Origine et signification du terme

Le mot français provient du latin médiéval « jornalerius », mot lui-même dérivé du terme polysémique « jornale », « jornalis ». Il ne faut pourtant retenir que les deux premières acceptions, soient le premier sens d'unité de superficie agraire, le jour, le journal ou la juchère médiévale, c'est-à-dire la journée de terre spécifique avec les tâches précises associées selon un calendrier déterminé, et surtout le second sens de travail exigé par un donneur d'ordre ou contraint après appel, c'est-à-dire une corvée si elle n'est pas rémunérée et est due régulièrement à un maître de domaine[3].

L'origine du terme, caractéristique de la sévère hiérarchie sociale paysanne, n'implique pas une aide ou une recrue pour un « jour ouvrable », voire un ensemble de recrues locales susceptible d'aider « à la journée », mais un participant stipendié ou chichement récompensé pour effectuer les différentes tâches saisonnières étalonnées en jours ou journaux[4].

La plupart des paysans modestes, hommes ou femmes, très souvent encore petits artisans, petits tisserands ou ouvriers du textile à demeure, colporteurs, bâteliers ou transporteurs en mauvaise saison, pouvaient se muer en journaliers des fermes et domaines proches, s'ils en avaient la carrure et l'endurance, une fois leurs propres travaux effectués. Certains étaient même des journaliers réguliers, familier d'un intendant de domaine ou d'un laboureur de village, présents à l'année ou requis habituellement pour un certain nombre de tâches. Certaines tâches de récolte étaient parfois effectuées si possible une partie de la nuit, ou en continu par des équipes successives[5].

Un journalier peut éventuellement « journoier », c'est-à-dire au choix travailler de jour (journéer), faire son labeur quotidien (chez lui ou chez ses proches parents), ou travailler à la journée chez un employeur[6]. Ainsi Du Cange cite un « poure homme » nommé David Duval, qui tôt le matin, est « faucheur », puis « journéeur », puis « batteur en grange » en soirée, le plus souvent durant l'été. Le journalier (ou éventuellement sa famille) possède quelques biens fonciers sur le terroir habité, mais l'homme ou la femme de ce statut est obligé pour vivre décemment de louer sa force de travail (au sens marxiste) et souvent astreint à des corvées traditionnelles, domaniales ou seigneuriales[7].

Par extension de sens, ce terme était aussi employé en ville ou à la campagne pour des salariés qui étaient recrutés « à la journée » ou « à la pièce », voire pour une tâche précise, dans de nombreux métiers non agricoles (carrière, bâtiment, industrie, artisanat, etc.).

Caractéristiques

Journalier, peinture de László Mednyánszky.

Les termes de « brassier » (travailleur avec ses bras : voir, aux États-Unis, le programme Bracero) et « manouvrier » (terme qui a perduré avec « manœuvre ») ont un sens proche et désignent également des ouvriers agricoles pauvres ; les deux mots indiquent une personne qui loue sa force physique, ses bras ou ses mains, et qui donc ne possède pas de train de culture (outillages et charrue, attelage d'animaux de trait, bœufs, cheval ou mulet, mobiliers et bêtes d'élevage).

Les journaliers et manouvriers existaient aussi dans les villes, pratiquant une multitude de petits métiers et louant là leurs bras à la journée. Celui qui s’en sortait le mieux était celui qui réussissait à se faire embaucher régulièrement, même si les salaires étaient minimes.

Jean Jacquart a Ă©crit : « Les conditions de vie du journalier citadin sont encore plus difficiles qu'au village. EntassĂ©s dans les faubourgs ou les quartiers les plus pauvres, ou relĂ©guĂ©s dans les galetas des Ă©tages supĂ©rieurs des maisons, ils glissent souvent vers la mendicitĂ© ou la dĂ©linquance. Â»

Journaliers, brassiers ou manouvriers, représentaient une part importante de la population et vivaient parfois, en absence de soutien familial ou de maison de solidarité, à la frange de la mendicité[8]. En zone rurale, ils subsistaient grâce aux travaux agricoles d'appoint chez les laboureurs ou marchands fermiers mais grâce aussi à la filature de la laine, à l'artisanat ou au transport. Ils servaient encore de main-d'œuvre d'appoint dans le bâtiment, aidaient les bûcherons, fabriquaient des fagots, etc. Les femmes faisaient des lessives ou prenaient des enfants en nourrice[9].

Au Québec

Au Québec, le terme journalier désigne une personne qui est engagée et rémunérée à la journée, sans signification spécifiquement agricole ; ainsi, on peut retrouver des « journaliers » (ou « manœuvres ») dans des usines ou des entrepôts aussi bien que dans des champs (où travaillent souvent des employés supplémentaires saisonniers).

L'unité de surface travaillée en un jour porte le nom de « jour » pour les champs labourés, de « faux » ou « fauchée » pour les prés ou d'« ouvrée » pour le bêchage de la vigne.

En Italie

« Bracciante agricolo » (pluriel : braccianti) est un terme italien désignant un ouvrier, littéralement un brassier, qui travaille avec ses bras et est embauché pour du travail saisonnier occasionné par un accroissement ponctuel d'activité et nécessitant une plus grande quantité de main-d'œuvre pour une brève période de temps : cueillette de fruits, moisson de céréales et travaux extraordinaires à réaliser en un temps limité.

Les braccianti étaient nombreux au XIXe et au cours de la première moitié du XXe siècle, quand il existait encore le latifundium et que les machines agricoles étaient encore absentes.

Aujourd'hui le bracciante est largement utilisé pour les cultures nécessitant l'emploi d'une main-d'œuvre manuelle abondante et non encore mécanisée : oléiculture, floriculture, viticulture, etc..

Le terme « bracciante » provient du fait que la personne « offre ses propres bras » pour travailler dans les latifondo, terrain de propriété des latifondisti.

Dans le monde en général

Une grande partie du salariat précaire peut être assimilé à l'ancien statut de journalier, dont les tâches élémentaires sont définies bien souvent indirectement par la technoscience contemporaine et les besoins domestiques des habitants les plus favorisés.

Notes et références

  1. « Livreurs : le droit du travail en roue libre », France Culture, .
  2. Pauline Croquet, « Jobs du clic : la France compte plus de 250 000 micro-travailleurs », Le Monde, .
  3. Les deux dernières acceptions non citées sont banales aujourd'hui et parasitent la compréhension, il s'agit du troisième sens correspondant à la notion de jour et journée en tant qu'intervalle diurne de l'aube au crépuscule (« jornale » ou « jornata »), et du quatrième faisant référence à un écrit, à l'origine un bréviaire ou livre ecclésiastique où se consigne les choses du quotidien (« jornale » ou « jornarium »). Glossaire de latin médiéval de Du Cange.
  4. Il s'agit à l'origine d'une unité de surface agraire, dérivée de la jugère antique, adaptée et variable selon les lieux de travail précis (champs, prés, prairies, vigne, bois d'exploitation...), les régions et le relief ; les jours représentaient de trente-trois ares à quarante hectares en Saintonge et en moyenne environ un tiers d'hectare pour le gros œuvre agricole (hors bois, vignes et vergers) en France. Mais le monde paysan médiéval les a transformés en tâches précises et connues, faciles à surveiller.
  5. Ce qui rend problématique la notion de journée, définie de l'aube au crépuscule. Il est aussi évident qu'un habitant du lieu rentrait chez lui une fois sa journée de labeur effectuée, mais si la tâche était délocalisée, il suivait le groupe en process de transport et ne rentrait pas chez lui.
  6. Le verbe latin médiéval « jornalere » signifie « travailler à la journée ». Les mots entre trémas sont de l'ancien français.
  7. Une des définitions possibles du jornalerius, Qui journalia seu agros possidet, vel qui journalibus seu corvati, obnoxius est.
  8. Dans ce dernier cas, ils mourraient très vite.
  9. Marie-Odile Mergnac, Claire Lanaspre, Baptiste Bertrand et Max Déjean, Les métiers d’autrefois, opus cité.

Annexes

Bibliographie

  • RenĂ© FĂ©dou (dir.), Lexique historique du Moyen Ă‚ge, Paris, Armand Colin, coll. « U », 1989 (ISBN 2-2003-2196-1), 158 pages.
  • Marie-Odile Mergnac, avec la collaboration de CĂ©cile Renaudin, Claire Lanaspre, Jean-Baptiste Bertrand, Max DĂ©jean, Les mĂ©tiers d’autrefois, collection Archives et Culture, Paris, 2003, rĂ©Ă©dition 2016 (ISBN 978-2-9116-6570-7).

Articles connexes

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