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Carlisme (Espagne)

mouvement politique espagnol

Ne doit pas ĂŞtre confondu avec Carlisme (Roumanie).

Le carlisme (en espagnol : carlismo) est un mouvement politique légitimiste espagnol apparu dans les années 1830 qui revendique le trône pour la branche aînée des Bourbons d'Espagne. De tendance conservatrice et anti-libérale, il est à l'origine de trois guerres civiles qui déchirent le XIXe siècle espagnol et marquent profondément le pays.

La croix de Bourgogne, drapeau traditionnel des carlistes.

Le carlisme naît lorsque le roi Ferdinand VII (1784-1833) décide de transmettre la couronne à sa fille aînée Isabelle, en dérogeant par la Pragmatique Sanction de 1830 à la loi salique établie par Philippe V en 1713. Les carlistes rejettent cette modification et jugent illégale la décision de modifier l'ordre de succession sans le concours des Cortes. Ils défendent la succession du frère cadet du roi, Charles de Bourbon (1788-1855), conformément à l'ordre en vigueur depuis un siècle. Ce dernier refuse de prêter serment à sa nièce et, à la mort de Ferdinand VII, se proclame « roi des Espagnes » sous le nom de Charles V, soutenu par une partie du peuple espagnol, qu'on appelle les « carlistes » (carlistas, en espagnol), c'est-à-dire les partisans de Charles (Carlos)[1].

Le carlisme est un courant traditionaliste, attaché à la défense de la religion catholique et au maintien des fors (fueros), les anciens privilèges juridiques locaux. Il défend à ses débuts le rétablissement de l'Ancien Régime et s'oppose alors aux cercles politiques plus libéraux et centralistes, dominants dans l'entourage des monarques.

Tout au long des trois conflits qui en résultent (1833-1840, 1846-1849 et 1872-1876), malgré quelques succès militaires, les troupes carlistes ne réussissent pas à prendre le pouvoir à Madrid, qui reste aux mains de la fille aînée de Ferdinand VII, devenue Isabelle II (de 1833 à 1868), puis de son fils Alphonse XII (de 1874 à 1885), et enfin du fils de ce dernier, Alphonse XIII (de 1886 à 1931).

Mouvement d'une grande longévité, le carlisme exerce une influence fondamentale dans la vie politique du pays depuis son apparition jusqu'à la fin du franquisme dans les années 1970 et constitue tout au long de son existence l'un des principaux acteurs des luttes de la monarchie et de l’Église contre le libéralisme et le modernisme. Plusieurs mouvements actuels se revendiquent encore comme ses héritiers (Parti carliste, communion traditionaliste carliste, carloctavisme, etc.), mais leur audience est extrêmement réduite.

Histoire du mouvement

Naissance du carlisme

Article connexe : Pragmatique Sanction (1830).

En 1789, par une Pragmatique Sanction (es), le roi Charles IV abolit la loi salique mise en place en Espagne par son ancêtre Philippe V en 1713. Cependant, la situation diplomatique interdit au souverain de rendre public le retour aux règles successorales traditionnelles. Quarante-et-un ans plus tard, en , le roi Ferdinand VII officialise cette abolition par une nouvelle Pragmatique Sanction. Ce faisant, le souverain permet à sa fille Isabelle (née en ) de lui succéder à sa mort en .

Principale victime de ces évolutions institutionnelles, l'infant Charles, frère cadet de Ferdinand VII, refuse de reconnaître la légitimité de sa nièce. Né en 1788, l'infant prétend que la réforme mise en place par Charles IV ne peut lui être opposée. Une fois Ferdinand VII disparu, il s'autoproclame donc « roi » sous le nom de « Charles V » et reçoit le soutien d'une partie non négligeable de la famille royale et de la population espagnole (notamment des Requetés, des miliciens reconnaissables à leur béret rouge).

Première guerre (1833 – 1840)

Article détaillé : Première Guerre carliste.
La Cincomarzada (es) (1838).

Tandis qu'à Madrid une régence libérale se met en place sous l'égide de la reine douairière Marie-Christine, dans les régions du Nord de l'Espagne, comme la Navarre ou la Catalogne, nombreux sont ceux qui redoutent le centralisme et l'anticléricalisme affichés par le nouveau pouvoir. C'est donc naturellement dans ces régions que le prétendant Charles trouve l'essentiel de ses soutiens.

Sous la conduite du général Zumalacárregui, une armée de 13 000 carlistes se soulève et remporte une série de victoires. Les troupes isabelines, c'est-à-dire partisanes de la jeune Isabelle II, ne peuvent résister sans une aide extérieure. Le Royaume-Uni envoie alors en Espagne une légion de volontaires tandis que la France lui cède la Légion étrangère (1834). Après plusieurs années de conflit (qui déborde un moment les frontières portugaises), la Première Guerre carliste se solde par la défaite des carlistes et la signature du traité de Vergara, le . La résistance du chef militaire Ramón Cabrera se poursuit toutefois dans le Maestrazgo jusqu'en .

Bénéficiant du soutien des petits paysans pyrénéens et de leurs curés, le mouvement carliste reste néanmoins vivace au nord.

Deuxième Guerre carliste ou guerre des Matiners (1846 – 1849)

Article détaillé : Deuxième Guerre carliste.

En 1845, le prétendant Charles abdique en faveur de son fils aîné Charles-Louis (1818 – 1861), qui prend le nom de « Charles VI ». Éclate alors la Deuxième Guerre carliste ou guerre des Matiners. Cette guerre se développe principalement en Catalogne, Aragon, Navarre et Guipuscoa pendant les années 1846 à 1849.

Mis en échec et fait prisonnier lors du débarquement carliste à Sant Carles de la Ràpita (Tarragone), « Charles VI » renonce à ses droits en faveur de son frère Jean, mais celui-ci n'a qu'une minorité de partisans. Il se maintient comme prétendant jusqu'en 1868, puis il « abdique » en faveur de son fils aîné Charles-Marie (1848 – 1909), qui prend le nom de « Charles VII ».

Troisième guerre (1872 – 1876)

Caricature de la revue anticarliste La Flaca, publiée en 1870 et représentant le carlisme, ses idéaux (« Dieu, Patrie, Roi ») ainsi que ses principaux protagonistes de l’époque.

En 1869, le prétendant « Charles VII » publie un manifeste dans lequel il expose ses idées, parmi lesquelles celles de constituer des Cortes avec une structure traditionnelle et de promulguer une Constitution ou d'approuver une Charte, ainsi que de conduire une politique économique de style protectionniste. Dans son entourage, on retrouve des politiciens de droite (derechistas), appelés spécialement les « Catholiques ».

À cette époque, Isabelle II est détrônée depuis deux ans (1868) et, après la période de régence du général Francisco Serrano, le Parlement élit comme roi Amédée de Savoie sous le nom d'Amédée Ier d'Espagne.

Charles VII voyant s'éloigner la possibilité de restauration bourbonienne, dans chacune de ses deux branches, il déclenche, en 1872, la Troisième Guerre carliste, d'abord contre Amédée Ier, puis contre la Première République espagnole, proclamée en 1873 après l'abdication du roi, puis finalement contre Alphonse XII, proclamé roi par le général Arsenio Martínez-Campos Antón à Sagonte (Valence) fin 1874. La guerre se termine en 1876 avec la conquête d'Estella (Navarre), la capitale carliste, et par la fuite vers la France du prétendant.

Le carlisme au XXe siècle

Infanterie gouvernementale en 1876 (José Benlliure y Gil).

D'autres conspirations et tentatives de soulèvement carlistes ont lieu par la suite, notamment après la guerre hispano-américaine de 1898. Cependant, aucune ne connaît de réel succès et le mouvement semble s'essouffler, d'autant que les derniers prétendants (Jacques et Alphonse-Charles) s'éteignent successivement sans laisser de descendance en 1931 et 1936. À la mort du dernier prétendant historique, différents candidats à sa succession se présentent : Alphonse XIII, François-Xavier de Bourbon-Parme et même Charles-Pie de Habsbourg-Lorraine.

La cause carliste est ranimée par la politique anticléricale de la Seconde République espagnole. Elle lui permet de redevenir une force de premier plan, sous le nom de « communion traditionaliste », notamment en Navarre. Complotant depuis longtemps, cherchant dès 1934 de l'argent et des armes en Italie, les carlistes se joignent aux préparatifs de coup d'État coordonnés par le général Mola. Au matin du , 6 000 requetés, miliciens carlistes, sont ainsi prêts en Navarre et entrent en action lors du déclenchement du coup d'État contre la République le 17 juillet.

Au contraire des monarchistes alphonsins, les carlistes ont une forte composante populaire et leur cohésion vient d'un très fort sentiment religieux, parfois mystique, accompagné d'un attachement aux formes traditionnelles de la vie pré-industrielle. Leurs cris de rassemblement sont : « Dieu, la Patrie et le Roi ! » et « Vive le Christ Roi ! ».

Les carlistes collaborent avec les autres composantes nationalistes pour obtenir la victoire finale en 1939. Cependant, le général Franco, parvenu à la tête du soulèvement militaire, décrète, en avril 1937, leur unification forcée à la nouvelle Phalange, opération qui ne se fait pas sans murmures ni dissensions internes. Ce mouvement de centralisation politique fait suite à l'exil forcé du chef carliste Fal Conde, coupable aux yeux de Franco d'un excès d'autonomie et d'ambition politique.

Dans les années 1970, un groupe paramilitaire carliste est actif : les Guerrilleros de Cristo Rey (« Guérilleros du Christ Roi »).

Le carlisme au XXIe siècle

Le prince Charles-Hugues de Bourbon-Parme et sa femme Irène des Pays-Bas.

Il existe actuellement, en Espagne, plusieurs mouvements carlistes. Parmi ceux-ci, certains se réclament de la gauche, les autres du « traditionalisme ».

En marge de tous les partis politiques espagnols et européens actuels, le Parti carliste se réclame du socialisme autogestionnaire. Fidèle à sa tradition régionaliste, il est marqué par un activisme régionaliste et fédéraliste. Il peut être considéré comme une forme de courant inédit et difficilement classifiable de gauche nationaliste et identitaire.

À ses côtés, le carlisme traditionaliste est majoritaire. Il maintient ses principes de toujours — « Dieu – la Patrie – les Fueros – le Roi » — et agit à travers la communion traditionaliste carliste. Bien que partisan de la monarchie traditionnelle, il ne soutient officiellement aucun prétendant. Il possède des sièges et des sympathisants dans toute l'Espagne et publie plusieurs livres, revues et bulletins périodiques comme Ahora-Información et Acción Carlista. Les séances de l'université d'été, visant à approfondir l'application actuelle des principes carlistes et dessiner des lignes d'action, ont lieu chaque année sous le nom de Forum Alphonse-Charles Ier. La section de jeunesse de la Communion s'appelle Cruz de Borgoña. Elle organise des campements et autres activités pour les jeunes. En parallèle à la communion traditionaliste carliste, il faut signaler l'initiative du frère puîné de Charles-Hugues de Bourbon-Parme, Sixte-Henri de Bourbon-Parme, autoproclamé « Régent » du carlisme traditionaliste et qui a fondé son propre mouvement, la communion traditionaliste.

Ces deux courants, fortement hostiles l'un à l'autre, se sont présentés aux dernières élections générales en Espagne en 2000, 2004 et 2008.

Le courant carloctaviste, né après l'extinction de la branche aînée des Bourbons d'Espagne en 1936, semble connaître un certain renouveau avec la refondation d'une petite communion catholico-monarchique (es) autour de son prétendant Dominique de Habsbourg-Lorraine (es). Ce renouveau pourrait s'expliquer par le fait qu'à la mort de Sixte-Henri, demeuré sans alliance et sans enfant, le courant traditionaliste n'aura plus de prétendant possible, sauf à se rallier à la tendance conservatrice traditionnelle carloctaviste.

Liste chronologique des prétendants carlistes

Document de propagande carliste de la branche parmesane (« xaviériste »).

Prétendants historiques

Rang Portrait Nom Règne Dynastie Notes
1 Carlos María Isidro de Borbón, por Vicente López.jpg « Charles V »
(, Madrid – , Trieste) mort à 66 ans
1833 – 1845 Bourbon Fils cadet de Charles IV d’Espagne. « Abdique » en 1845 et prend le titre de « comte de Molina ».
2 Infante Carlos, Count of Montemolin.jpg « Charles VI »
« comte de Montemolín »
(, Madrid – , Trieste) mort à 42 ans
1845 – 1861 Bourbon Fils aîné du précédent. Fait prisonnier par les troupes d'Isabelle II, il « abdique » le , puis reprend ses droits le après avoir été libéré.
3 Jean de Bourbon.jpg « Jean III »
« comte de Montizón »
(, Aranjuez – , Hove) mort à 65 ans
1861 – 1868 Bourbon Frère du précédent. Se proclame prétendant le , après l'« abdication » de son frère aîné « Charles VI », et maintient ses prétentions après la libération de celui-ci. Seul prétendant après la mort de « Charles VI » six mois plus tard.
« Abdique » en 1868.
4 Carlos Duke of Madrid.jpg « Charles VII »
« duc de Madrid »
(, Ljubljana – , Varèse) mort à 61 ans
1868 – 1909 Bourbon Fils aîné du précédent.
5 Don Jaime de Borbón.jpg « Jacques III »
« duc d'Anjou et de Madrid »
(, La Tour-de-Peilz – , Paris) mort à 61 ans
1909 – 1931 Bourbon Fils du précédent.
6 Alfonso Carlos of Bourbon, Duke of San Jaime.JPG « Alphonse-Charles Ier »
« duc d'Anjou et de San Jaime »
(, Londres – , Vienne) mort à 87 ans
1931 – 1936 Bourbon Oncle du précédent.

Prétendants de la branche parmesane

Les prétendants qui suivent sont soutenus par les carlistes « xaviéristes » — du Parti carliste et de la Communion traditionaliste carliste jusqu'en 1975.

  • 1936 – 1952 : Xavier de Bourbon Parme (dĂ©signĂ© comme « rĂ©gent » du mouvement en  ; neveu de la « duchesse de San Jaime », Xavier est aussi un demi-frère du « duc de Parme (it) », et un cousin Ă©loignĂ© — au 11e degrĂ© en ligne masculine — du « duc de San Jaime », le dernier prĂ©tendant historique)
  • 1952 – 1975 : « Xavier Ier » (le mĂŞme ; « abdique » en 1975)

Après cette date, la branche parmesane se scinde en deux. D'abord la branche aînée, qui soutient le socialisme autogestionnaire :

Ensuite la branche cadette, favorable au traditionalisme :

Prétendants de la branche alphonsiste

En 1936, une partie des carlistes continue de suivre la loi salique, en se ralliant à l'ex-roi Alphonse XIII, nouvel aîné des Bourbons d'Espagne et de tous les Capétiens.

  • 1936 – 1941 : Alphonse XIII (cousin au 6e degrĂ© en ligne masculine du dernier prĂ©tendant historique)

Après la mort d'Alphonse XIII, la majorité des carlistes unionistes — les « jeanistes » (ou « estorilos ») — se rallient à son fils cadet (que le roi déchu s'était choisi comme successeur désigné), puis au fils de ce dernier.

Après la mort d'Alphonse XIII, un tout petit nombre de carlistes soutient la nouvelle branche aînée des Bourbons d'Espagne, bien que seul le premier ait revendiqué le trône.

  • 1941 – 1969 : « Jacques IV » (fils cadet d'Alphonse XIII), il accepte la dĂ©signation de Juan Carlos par Franco en 1969.

Prétendants Habsbourg-Lorraine

Article connexe : Communion carliste.

Après 1936, une partie des carlistes — les « carloctavistes » —, toujours moins nombreuse après 1953, se rallie à la princesse Blanche de Bourbon (« infante » carliste, fille aînée de « Charles VII ») et à ses descendants, en dépit de la loi salique (qui était la pierre angulaire du carlisme) :

Voir aussi

Bibliographie

  • gĂ©nĂ©ral baron Edward Kirkpatrick de Closeburn (1841-1925), Souvenirs de la dernière guerre carliste (1872-1876), Paris, Librairie Alphonse Picard et fils, , 422 p. (notice BnF no , lire en ligne)

Articles connexes

Il existe une catégorie consacrée à ce sujet : Carlisme.

Liens externes

Notes

  1. Il ne faut pas le confondre avec Charles Quint (1500-1558), qui portait ce nom de Charles V en tant qu'empereur du Saint-Empire romain germanique, alors que son nom comme roi d'Espagne Ă©tait Charles Ier.