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Propagande par le fait

La « propagande par le fait », Ă  ne pas confondre avec l'« action directe », est une stratĂ©gie d'action politique dĂ©veloppĂ©e par une partie des militants anarchistes Ă  la fin du XIXe siĂšcle, en association avec la propagande Ă©crite et verbale. Elle proclame le « fait insurrectionnel » « moyen de propagande le plus efficace »[1] et vise Ă  sortir du « terrain lĂ©gal » pour passer d'une « pĂ©riode d’affirmation » Ă  une « pĂ©riode d’action », de « rĂ©volte permanente », la « seule voie menant Ă  la rĂ©volution »[2].

La « propagande par le fait » utilise des moyens trÚs divers, dans l'espoir de provoquer une prise de conscience populaire[3] : elle englobe les attentats, les actions de récupération et de reprise individuelle, les expéditions punitives, le sabotage, le boycott, voire certains actes de guérilla[4].

Bien qu'ayant été largement répandu au niveau mondial, le recours à ce type d'action reste un phénomÚne marginal, dénoncé par de nombreux anarchistes[4].

Histoire

À l'instar du terrorisme russe de la fin du XIXe siĂšcle, l'action violente anarchiste bĂ©nĂ©ficie d'une reprĂ©sentation positive dans l'imaginaire populaire[5]. Perçu comme un idĂ©aliste rĂ©voltĂ© et romantique, l'action violente anarchiste doit en partie cette sympathie Ă  la littĂ©rature classique, et ce malgrĂ© des faits parfois d'une extrĂȘme violence[5]. Oscillant entre l'approbation et la condamnation, certains auteurs semblent Ă©prouver une sorte de fascination pour l'action violente anarchiste[5]. De maniĂšre paradoxale, certains Ă©crivains, Ă  l'exemple d'Octave Mirbeau et de Bernard Lazare, pourtant proches de l'anarchisme, semblent rĂ©sister Ă  cette fascination pour « l'anarchisme masquĂ© », alors que d'autres, sans sympathie anarchiste affirmĂ©e, s'en font les plus ardents dĂ©fenseurs[6]. Naturalistes et symbolistes s'affrontent Ă©galement sur ce terrain, les premiers condamnant l'« Ă©ternelle poĂ©sie noire » (Zola), les seconds saluant l'« Ă©clat dĂ©coratif » de l'attentat (MallarmĂ©).

L'anarchisme est depuis longtemps associĂ© Ă  l'action violente dans l'esprit du public et des pouvoirs. En dĂ©pit des critiques, parfois sĂ©vĂšres, adressĂ©es par beaucoup de thĂ©oriciens, sympathisants et activistes libertaires, Ă  l'exemple d'ÉlisĂ©e Reclus et Pierre Kropotkine, l'imaginaire collectif continue d'associer l'anarchisme au chaos, Ă  la violence, voire Ă  la destruction pure et simple de la sociĂ©tĂ©[7].

Contexte Ă©conomique et social

Le premier auteur donnant à l'anarchie un sens positif est Pierre-Joseph Proudhon en 1840, avec la publication de son livre Qu'est-ce que la propriété ? L'anarchisme, d'abord connoté négativement, se développe au XIXe siÚcle à travers plusieurs pays comme l'Allemagne, l'Italie avec Errico Malatesta ou encore dans les pays anglo-saxons au sein des Industrial Workers of the World, et la Russie avec Kropotkine. Cette période connaßt de grandes tensions nationales et sociales propices aux discours révolutionnaires[8].

Pyramide du systĂšme capitaliste (1911)

Europe et États-Unis connaissent progrĂšs techniques et transformations Ă©conomiques jusqu'alors sans prĂ©cĂ©dent. De 1800 Ă  1870, le PIB par habitant des pays industrialisĂ©s est multipliĂ© par quatre, mais pourtant le niveau de vie de la plus grande partie de la population ne s'amĂ©liore pas[9].

Dans le milieu des années 1890, les progrÚs de la deuxiÚme révolution industrielle et de l'industrie lourde contribuent à structurer les mouvements ouvriers. L'essor des partis ouvriers et du syndicalisme alimente l'espoir d'une amélioration, à terme, du quotidien, mais aussi d'un renversement du capitalisme[9].

Entre 1875 et 1885, les salaires ouvriers en France restent bas, Ă  peine supĂ©rieurs Ă  ceux de la SociĂ©tĂ© d'Ancien RĂ©gime. Puis, entre 1895 et 1914, ils connaissent une progression de 20 % dans les pays industrialisĂ©s. En mĂȘme temps, les rudiments d'une sĂ©curitĂ© sociale se mettent en place[9].

Ces améliorations significatives résultent largement d'une prise en compte par une partie du personnel politique des revendications des salariés. En accompagnement des développements de l'industrie, les pays développés comptent en 1890 déjà 2,2 millions de syndiqués. Ils sont 4,9 millions en 1900 ; 8,3 millions en 1910 ; 15,3 millions en 1913 ; 34,5 millions en 1919[9], .

Origines

« Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacrĂ© des droits et le plus indispensable des devoirs »

— DĂ©claration des droits de l'homme et du citoyen de 1793, article 35

L'Ă©chec sur le plan social des rĂ©volutions de 1848, les persĂ©cutions subies par les milieux socialistes ainsi que les conditions difficiles rencontrĂ©es par les exilĂ©s, entraĂźnent peu Ă  peu le raidissement des positions socialiste-rĂ©volutionnaires et anarchistes. Dans son essai Der Mord (Le Meurtre, 1848), le radical dĂ©mocrate Karl Heinzen Ă©labore la premiĂšre doctrine cohĂ©rente du terrorisme[10] : « Si vous devez faire sauter la moitiĂ© d’un continent et rĂ©pandre un bain de sang pour dĂ©truire le parti des barbares, n’ayez aucun scrupule de conscience. Celui qui ne sacrifierait pas joyeusement sa vie pour avoir la satisfaction d’exterminer un million de barbares n’est pas un vĂ©ritable rĂ©publicain »[10].

En 1871, la Semaine sanglante met fin à la Commune de Paris, la section française de l'Association internationale des travailleurs est dissoute, « les révolutionnaires fusillés, envoyés au bagne ou condamnés à l'exil (...) ; la terreur confinant au plus profond des logis les rares hommes échappés au massacre[11] ». Le mur des Fédérés devient dÚs lors le symbole de l'oppression bourgeoise. EugÚne Pottier proclame dans Le Mur voilé (1886), « Ton histoire, Bourgeoisie, Est écrite sur ce mur ».

Le massacre de 30 000 Parisiens par Adolphe Thiers, avec l'approbation quasi unanime des classes moyennes, marque un tournant moral dans l'histoire ouvriĂšre europĂ©enne. De nombreux rĂ©volutionnaires finirent par se convaincre que la terreur devait ĂȘtre combattue par la terreur, et ce d'autant plus facilement que les exĂ©cutions de masse continuaient en Russie, s'ajoutant aux massacres de prisonniers constatĂ©s Ă  Cadix en 1873, Ă  la liquidation violente par l'armĂ©e des vagues de grĂšves de 1877 aux États-Unis ou encore aux erreurs judiciaires condamnant Ă  mort des innocents comme Ă  Chicago en 1886[12].

DĂ©veloppement

« Les bourgeois nous tuent par la faim ; volons, tuons, dynamitons, tous les moyens sont bons pour nous débarrasser de cette pourriture »

— Michel ZĂ©vaco, citĂ© par Alexandre BĂ©rard, Les Mystiques de l'anarchie : documents d'Ă©tudes sociales sur l'anarchie, A.-H. Storck, Lyon, 1897

En 1876, au cours du congrÚs international de Berne, Errico Malatesta lance « la guerre continuelle aux institutions établies, voilà ce que nous appelons la révolution en permanence ! ».

Le , Andrea Costa anime à GenÚve une conférence sur la « propagande par le fait ». Andrea Costa est considéré par James Guillaume[13] comme l'inventeur de ce néologisme popularisé quelques semaines plus tard par Paul Brousse dans un article du Bulletin de la Fédération jurassienne.

DĂšs son apparition en France, la presse anarchiste dĂ©fend ces mĂ©thodes d'action. La RĂ©volution sociale inaugure une rubrique « Études scientifiques » sur la fabrication des bombes. La Lutte, Le Drapeau noir, La Varlope et La Lutte sociale suivent en crĂ©ant des rubriques aux noms Ă©vocateurs tels que « Produits antibourgeois » ou « Arsenal scientifique[14] ». Dans Le RĂ©voltĂ© du , Pierre Kropotkine clame « La rĂ©volte permanente par la parole, par l'Ă©crit, par le poignard, le fusil, la dynamite (...), tout est bon pour nous qui n'est pas la lĂ©galitĂ© »[Note 1] - [15] - [16] - [17] - [18] - [19]. Mais, sept ans plus tard, Kropotkine Ă©crit, toujours dans Le RĂ©voltĂ©, qu'« Un Ă©difice basĂ© sur des siĂšcles dÂŽhistoire ne se dĂ©truit pas avec quelques kilos dÂŽexplosifs[20]. »

Le , Louise Michel déclare au groupe révolutionnaire du 18e arrondissement de Paris :

« Mais regardez donc ce qui se passe en Russie ; regardez le grand parti nihiliste, voyez ses membres qui savent si hardiment et si glorieusement mourir ! Que ne faites-vous comme eux ? Manque-t-il donc de pioches pour creuser des souterrains, de dynamite pour faire sauter Paris, de pétrole pour tout incendier ?
Imitez les nihilistes, et je serai Ă  votre tĂȘte ; alors seulement nous serons dignes de la libertĂ©, nous pourrons la conquĂ©rir ; sur les dĂ©bris d'une sociĂ©tĂ© pourrie qui craque de toutes parts et dont tout bon citoyen doit se dĂ©barrasser par le fer et le feu, nous Ă©tablirons le nouveau monde social[21]. »

Cette nouvelle stratĂ©gie est adoptĂ©e le au CongrĂšs international anarchiste de Londres (oĂč Ă©taient prĂ©sents Louise Michel et Émile Pouget). Elle devait se trouver sur le terrain de l'illĂ©galitĂ©, avec des moyens en adĂ©quation avec le but rĂ©volutionnaire qu'Ă©tait le communisme libertaire.

En 1882, le groupe La PanthÚre des Batignolles (Paris, 17e arrondissement) consacre sa premiÚre réunion à la « confection des bombes à main ». Des tombolas sont organisées, avec des armes pour lots principaux[22].

Les mots d'ordre véhiculés par la presse anarchiste de l'époque correspondent à une stratégie d'action fondée sur des actes individuels allant de l'assassinat à l'incendie, en passant par l'empoisonnement ou le pillage. Il ne s'agit pas, par ses moyens, de régler les problÚmes sociaux mais d'attirer l'attention des exploités sur les causes de leur servitude.

Kropotkine (et entretemps beaucoup d'autres « compagnons ») change de position en 1887 (quelques années avant la période « terroriste »).

« L'ùge d'or » du terrorisme anarchiste (1880-1888)

La « propagande par le fait » se rĂ©alise par une sĂ©rie de coups de main, de faits insurrectionnels, d'assassinats et d'attentats vengeurs. Elle mĂȘle socialiste-rĂ©volutionnaires, nihilistes et anarchistes, qu'il est parfois difficile de diffĂ©rencier, d'autant que ces mouvements sont tous trois influencĂ©s par les idĂ©es de MikhaĂŻl Bakounine. C'est lui qui conceptualisa l'action directe en l'associant Ă  la terreur et en la mettant directement en application Ă  Lyon[23].

« Je voudrais que le prix de ma vie, c’est-Ă -dire ma mort, fĂ»t l’étincelle qui mĂźt le feu aux poudres, et que la RĂ©volution Ă©clatĂąt. Cela suffit aux Ăąmes tendres et droites qui roulent sous l’échafaud »

— Jacques Sautarel, Lueurs Ă©conomiques[24]

Propagande anti-anarchiste (1919).

La section italienne de l'AIT, à l'origine de cette nouvelle stratégie politique, crée le Comité italien pour la révolution sociale en janvier 1874 et organise aussitÎt plusieurs tentatives de soulÚvements populaires jusqu'en 1877[25] - [26].

La plus connue est organisée par Carlo Cafiero et Errico Malatesta. Le , une trentaine de militants armés, dont les deux théoriciens, surgirent dans les montagnes de la province italienne de Bénévent, brûlÚrent les actes de propriété d'un petit village, distribuÚrent aux miséreux le contenu de la caisse du percepteur, tentÚrent d'appliquer un « communisme libertaire en miniature ». Les paysans les ont observés mais pas suivis, malgré un enthousiasme relatif au départ quand l'autorité du roi fut abolie dans ces villages. Les anarchistes furent finalement capturés, aprÚs une fusillade.

Ces premiers essais de guérilla échouÚrent sans avoir inquiété la monarchie italienne, mais ils impressionnent durablement les compagnons. Rapidement, toute forme d'action contre la propriété privée ou les pouvoirs publics est considérée comme « propagande par le fait ». Influencés par les nihilistes, les anarchistes conçoivent de plus en plus l'action anarchiste sous l'angle du terrorisme, au détriment des activités syndicales ou collectives[26].

1878 marque l'entrée dans l'ùge « classique » du terrorisme. Pendant un demi-siÚcle, l'imaginaire bourgeois sera hanté par la figure du nihiliste et de l'anarchiste, poseurs de bombe[12]

Véra Zassoulitch, premiÚre femme à passer à l'action, tente le d'assassiner le général Fiodor Trepov, responsable de la torture des prisonniers narodniks. Jugée le , elle est acquittée.

Le 11 mai et le , l'empereur Guillaume Ier d'Allemagne est victime de deux tentatives d'assassinat organisées par les anarchistes Max Hödel et Karl Nobiling[7]. Ces tentatives serviront de prétexte à Bismarck pour réprimer les sociaux-démocrates allemands, en faisant adopter par le Reichstag le les « lois anti-socialistes » [7].

Le , Joan Oliva Moncasi tente d'assassiner le roi Alphonse XII d'Espagne. Le , c'est au tour de Giovanni Passannante de tenter d'assassiner le roi Humbert Ier d'Italie.

L'année 1878 se termine par une encyclique du pape Léon XIII consacrée à la « peste mortelle » du communisme[12]. Publié le , l'encyclique Quod apostolici muneris condamne « socialistes, communistes et nihilistes » accusés de vouloir « bouleverser les fondements de la société civile » et « renverser tout l'ordre surnaturel » au nom des « délires de la seule raison »[27].

Le , l'empereur Alexandre II de Russie est assassiné par la Narodnaïa Volïa. Le geste est salué par la presse anarchiste, notamment dans Le Révolté et La Révolution sociale.

En France, un premier attentat attribuĂ© aux anarchistes est incitĂ© puis supervisĂ© par Louis Andrieux, prĂ©fet de police. Son but est de mettre la main sur un « nid de dynamiteurs » en facilitant leur arrestation. La cible retenue est la statue d'Adolphe Thiers, le « boucher de la Commune », Ă  Saint-Germain-en-Laye. L'attentat a lieu dans la nuit du 15 au et ne fait aucun dĂ©gĂąts, au plus une mince tache noire. Ne pouvant intervenir sur une accusation aussi mince sans dĂ©voiler le dispositif de la police, Louis Andrieux prĂ©fĂšre continuer sa surveillance. Finalement dĂ©masquĂ© par les compagnons, l'agent provocateur Égide Spilleux met fin le Ă  l'Ă©popĂ©e rocambolesque de La RĂ©volution sociale, journal anarchiste financĂ© et administrĂ© par la prĂ©fecture de police[28].

Les martyrs de Chicago, par Walter Crane (1894)

Un mois plus tard, le , Émile Florion, ouvrier tisseur de 23 ans, arrive Ă  Paris avec le projet de tuer Gambetta. Le , n'ayant pu approcher sa victime, il dĂ©cide d'abattre le « premier bourgeois venu » et tire Ă  deux reprises sur le docteur Meymar. Il tente ensuite de se suicider, mais ne parvient qu'Ă  se blesser lĂ©gĂšrement. Meymar est indemne. Bien qu'ayant exprimĂ© des regrets lors de son procĂšs, Émile Florion est condamnĂ© Ă  vingt ans de travaux forcĂ©s le 27 octobre suivant. Il accueille la sentence au cri de « Vive la rĂ©volution sociale[29] ! » Son geste sera souvent citĂ© en exemple par Le RĂ©voltĂ©.

En 1882 apparait à Montceau-les-Mines différentes organisations syndicales anarchistes miniÚres appelées Bandes noires. Ces organisations commettent des attentats et déclenchent des émeutes contre les symboles de l'église, les informateurs de la police, et ceux considérés comme bourgeois.

Le 7 novembre 1884 un piĂšge est organisĂ© par la gendarmerie, deux gendarmes et le marĂ©chal des logis sont blessĂ©s par balles, et le tireur est arrĂȘtĂ©. Il dĂ©nonce de nombreux membres de la bande noire ce qui conduit Ă  un procĂšs en Mai 1885 durant lequel 32 accusĂ©s furent jugĂ©s. Les bandes noires font alors beaucoup moins parlĂ©es d'elles et disparaissent au cours de l'annĂ©e 1885[30] - [31].

Le , Paul-Marie Curien, 17 ans, dĂ©cide d'assassiner Jules Ferry. Éconduit par l'huissier, il le menace de son revolver, mais il est aussitĂŽt arrĂȘtĂ©. JugĂ© le pour voies de fait sur un huissier et outrage Ă  agent, il est condamnĂ© Ă  trois mois de prison[32].

Quelques mois plus tard, dans la banlieue de Marseille, Louis Chaves tue la supĂ©rieure d'un couvent et blesse griĂšvement sa sous-directrice. Ancien employĂ© du couvent, Louis Chaves Ă©crit une lettre datĂ©e du au journal L'Hydre anarchiste[33] dans laquelle il explique son geste et cherche Ă  encourager les compagnons Ă  l'imiter. Il est tuĂ© dans la fusillade avec les gendarmes venus l'arrĂȘter. Son geste est magnifiĂ© dans la presse anarchiste. Une souscription « pour l'achat du revolver qui doit venger le compagnon Louis Chaves » est mĂȘme lancĂ©e par Le Droit social.

ArrĂȘtĂ© en 1879 comme faux-monnayeur, Charles Gallo, qui fait 5 ans de prison, accomplit Ă  sa sortie un acte de propagande par le fait : le , il lance une bouteille d'acide prussique dans l'enceinte de la Bourse de Paris, puis tire trois coups de revolver, sans blesser personne. AussitĂŽt arrĂȘtĂ©, il est jugĂ© le 26 juin suivant mais l'affaire est renvoyĂ©e au 15 juillet, Ă  la suite de multiples incidents provoquĂ©s par l'accusĂ©. CondamnĂ© Ă  20 ans de travaux forcĂ©s, il est de nouveau condamnĂ©, Ă  la peine capitale, le , pour s'ĂȘtre rĂ©voltĂ© contre un de ses geĂŽliers. Sa peine sera finalement commuĂ©e en rĂ©clusion Ă  perpĂ©tuitĂ© le [34].

Tragédie de Haymarket Square (1886)

Lors d'une manifestation ouvriĂšre organisĂ©e Ă  Chicago le , un inconnu lance une bombe sur les policiers. L'officier Mathias J. Degan est tuĂ© sur le coup. Ses collĂšgues ouvrent immĂ©diatement le feu sur la foule. Une trentaine de manifestants et sept agents de police trouvent la mort[7]. AprĂšs l'attentat, la rĂ©pression s'abat sur les milieux anarchistes, trĂšs actifs Ă  Chicago. Huit hommes sont arrĂȘtĂ©s et accusĂ©s de l'attentat de Haymarket. MalgrĂ© l'absence de preuve, cinq sont condamnĂ©s Ă  mort. August Spies, Albert Parsons, George Engel et Adolph Fischer sont pendus ; Louis Lingg se suicide dans sa cellule[35].

Discours de JaurĂšs (avril 1894) et usage d'agents provocateurs

AprĂšs l'attentat d'Auguste Vaillant qui conduit Ă  la promulgation des lois scĂ©lĂ©rates, Jean JaurĂšs dĂ©nonce dans un discours cĂ©lĂšbre, d', la connivence entre certains milieux du capital, le clĂ©ricalisme et certains anarchistes, dont certains sont soupçonnĂ©s d'ĂȘtre des agents provocateurs.

C'est en effet Ă  l'occasion de la dĂ©couverte, chez un anarchiste de retour de Carmaux, de fonds venant de haut lieu qu'il prononce un discours Ă  la Chambre, le , oĂč il dĂ©nonce la politique rĂ©pressive du gouvernement, la censure du PĂšre peinard, « consacrĂ© presque tout entier Ă  injurier les dĂ©putĂ©s socialistes », le deux poids deux mesures avec d'un cĂŽtĂ© la censure des journaux et dĂ©putĂ©s socialistes, de l'autre la tolĂ©rance de discours Ă©galement contestataires de certains catholiques (Albert de Mun, l'article « La Bombe » dans La Croix de Morlay, les articles de La Croix ou l'article du pĂšre Marie-Antoine publiĂ© dans L'Univers puis dans L’En-dehors et titrĂ© « Le Christ et la Dynamite »), et l'usage des agents provocateurs :

« C’est ainsi que vous ĂȘtes obligĂ©s de recruter dans le crime de quoi surveiller le crime, dans la misĂšre de quoi surveiller la misĂšre et dans l’anarchie de quoi surveiller l’anarchie. (Interruptions au centre. — TrĂšs bien ! trĂšs bien ! Ă  l’extrĂȘme gauche.)

Et il arrive inĂ©vitablement que ces anarchistes de police, subventionnĂ©s par vos fonds, se transforment parfois — comme il s’en est produit de douloureux exemples que la Chambre n’a pas pu oublier — en agents provocateurs[36]. »

Et d'évoquer un certain Tournadre, actif lors des grÚves de 1892, qui avait proposé aux ouvriers de Carmaux des fonds pour acheter de la dynamite et éventuellement de s'enfuir ensuite en Angleterre : or, selon JaurÚs, alors que Tournadre avait répondu aux ouvriers qu'il avait des « amis capitalistes à Paris », les perquisitions menés chez Tournadre à Carmaux avaient mené à la découverte de deux lettres, l'une du baron Edmond de Rothschild, l'autre de la duchesse d'UzÚs[37] - [36]. Malgré ce discours, la Chambre vota avec une large majorité la confiance au gouvernement.

Aujourd'hui

Depuis ce temps-là l'image colle à l'anarchiste d'un lanceur de bombe et d'agitateur anomiste. DÚs le tournant du XIXe siÚcle, les anarchistes ont largement abandonné la « propagande par le fait » illégale pour se tourner vers l'action syndicaliste révolutionnaire et le militantisme légal.

Aujourd'hui, les anarchistes ne semblent plus ĂȘtre partisans de l'illĂ©galisme ou des attentats individuels. Ils pensent toujours dans leur majoritĂ©, comme le dit Malatesta, que « la violence n'est justifiable que quand elle est nĂ©cessaire pour se dĂ©fendre soi-mĂȘme, ou dĂ©fendre les autres contre la violence » et ajoutent souvent que « l'opprimĂ© est toujours en Ă©tat de lĂ©gitime dĂ©fense et il a toujours pleinement le droit de se rĂ©volter sans attendre qu'on lui tire effectivement dessus ». Mais si la plupart des anarchistes dĂ©fendent l'utilisation de la violence « raisonnĂ©e », une violence sociale, populaire et rĂ©volutionnaire, certains groupes (comme la FĂ©dĂ©ration anarchiste informelle en Italie ou Lutte rĂ©volutionnaire en GrĂšce) reprennent cette idĂ©ologie de la « propagande par le fait ».

TrÚs souvent les anarchistes ont pratiqué la propagande par le fait en réponse à la répression des autorités ; ex : fusillade de Fourmies et répressions des ouvriers, puis réponses par attentats de Ravachol sur les militaires/juges/avocats ayant été impliqués dans ces massacres). La « propagande par le fait » a marqué l'histoire internationale de l'anarchisme.

Les « attentats pùtissiers » (entartages) du Gloupier (Noël Godin), sont une forme de "terrorisme" symbolique, et relativement pacifique, inspirée de cette lignée.

De 1986 à 1994 le Comité des mal-logés met en pratique dans ses luttes, ses occupations d'immeubles HLM, et son organisation interne les principes du communisme de conseil, et fait de la propagande par le fait en faveur du logement social, il fédéra plusieurs dizaines d'immeubles en lutte et regroupa jusqu'à cinq cents mal logés de toutes origines géographiques à Paris et Banlieue de 1986 à 1994. Son organisation était de type conseilliste, toutes les décisions étaient prises en assemblée générale avec refus de délégation de représentativité, ses membres sur leur lieu de travail, majoritairement dans les entreprises de nettoyage (Comatec, par exemple), se fédéraient à la CNT. Une dizaine de ses militants se sont réunis pour rédiger une brochure de bilan de cette expérience lorsque scission et dissolution ne faisait quasiment plus de doute tant les forces politiciennes de la gauche de gouvernement se sont liguées pour obtenir la dislocation du comité [38]

Dans les annĂ©es 2000, l'action politique dite violente, qui inclut le sabotage, est restĂ©e pour les autoritĂ©s un sujet de vigilance. Cette crainte, exprimĂ©e dans diffĂ©rents rapports des services de police ou de renseignement[39], a jouĂ© un rĂŽle dans l'affaire de Tarnac, conclue par un non-lieu en 2018. Certains reprochent Ă  cette peur de produire des fantasmes et d'ĂȘtre encore Ă  l’Ɠuvre dans les arrestations du 8 dĂ©cembre 2020 de militants de gauche radicale revenus du Rojava[40], poursuivis pour association de malfaiteurs en vue de commettre des actes terroristes.

Chronologie de la propagande par le fait

XIXe siĂšcle

XXe siĂšcle

Citations

« on pratiquait la « prise au tas » et la propagande par le fait en s'inspirant des grands exemples de Vaillant, de Caserio, de Ravachol, d'Émile Henry[46]... »

Voir aussi

Bibliographie

Iconographie

Vidéographie

Articles connexes

Notions

Personnalités

Évùnements

Liens externes

Notes et références

Notes

  1. L'article du Révolté n'est pas signé ; la citation a également été attribuée à Carlo Cafiero (Thierry Paquot, Dicorue : Vocabulaire ordinaire et extraordinaire des lieux urbains, CNRS, , 483 p. (ISBN 978-2-271-11730-4, lire en ligne)).

Références

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  9. Jean Batou, Les « HĂ©ros de l’Enfer », solidaritĂ©S, no 70, sur solidarites.ch, 2005
  10. Emmanuel de Waresquiel, Le SiĂšcle rebelle - dictionnaire de la contestation au XXe siĂšcle, Larousse, 1999
  11. Fernand Pelloutier, Histoire des bourses du travail, Paris, A. Costes, 1921
  12. Mike Davis, Les « HĂ©ros de l’Enfer », solidaritĂ©S, no 70, sur solidarites.ch, 2005
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  14. Jean Maitron, Le Mouvement anarchiste en France, Gallimard, coll. « Tel », 1992 (ISBN 2070724980) p. 206-209
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  18. Thierry LĂ©vy, PlutĂŽt la mort que l’injustice : Au temps des procĂšs anarchistes, Odile Jacob, , 288 p. (ISBN 978-2-7381-9580-7, lire en ligne)
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