Affaire du 8 décembre 2020
L'affaire du 8 décembre 2020 est une affaire controversée de peines de détention préventive, dont une peine préventive de seize mois à l'isolement, et d'intentions terroristes supposées sans qu'aucun acte terroriste ni projet d'acte terroriste ne soit reproché aux prévenus.
Affaire du 8 décembre 2020 | |
Titre | Affaire du 8 décembre 2020 |
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Chefs d'accusation | Association de malfaiteurs en vue de commettre des actes terroristes, refus de remettre une convention secrĂšte de dĂ©chiffrement dâun moyen de cryptologie |
Pays | France |
Ville | Cubjac-AuvézÚre-Val d'Ans, Rennes, Toulouse, Vitry-sur-Seine |
Nombre de victimes | 0 |
Jugement | |
Statut | ProcÚs prévu en octobre 2023 |
Tribunal | Tribunal judiciaire de Paris |
Formation | 16e chambre |
Sept personnes seront jugées par la 16e chambre du tribunal judiciaire de Paris en octobre 2023[1].
L'affaire commence en 2018 avec la surveillance par la Direction gĂ©nĂ©rale du renseignement intĂ©rieur (DGSI) de personnes revenues du Rojava (Syrie) oĂč elles sont parties combattre Daesh aux cĂŽtĂ©s des forces kurdes du YPG.
L'affaire se fait surtout connaßtre à travers le traitement réservé à l'un d'entre eux, Florian D., qui prend le nom de Libre Flot une fois en prison et qui est maintenu seize mois à l'isolement en détention provisoire. Il est remis en liberté sous bracelet électronique le 7 avril 2022 aprÚs avoir mené une grÚve de la faim[2].
Chronologie
Surveillance des Français revenus du Rojava
"Entre 2015 et 2019, une trentaine de jeunes Français seraient partis se battre au Rojava" contre Daech[3].
L'un d'eux, André Hébert, publie un livre sur ce combat en mars 2019[4], qui reçoit dans plusieurs médias un accueil trÚs favorable[5]. Il explique[3] en 2021 : "Nous étions des gens ordinaires et à un moment de notre vie nous avons tout quitté, lucidement et sans fanatisme, pour combattre aux cÎtés des populations du Kurdistan syrien. Mais, depuis 2016, la DGSI décide qui est un bon volontaire des YPG et qui est un mauvais volontaire. Ceux qui n'étaient pas politisés n'ont pas été inquiétés, mais ceux qui ont un profil militant sont surveillés et fichés."
Florian D. se rend au Rojava de mars 2017 Ă janvier 2018[6] - [7].
La DGSI surveille certains des Français partis combattre Daech quand ils reviennent en France[3].
Florian D. en fait partie.
Surveillance de Florian D. par la DGSI de 2018 Ă avril 2020
Entre 2018 et février 2020, la DGSI déploie d'importants moyens de surveillance contre Florian D. et certaines personnes qu'il cÎtoie, notamment sonorisation et géolocalisation de véhicule et interception de communications.
Le 7 février 2020, la DGSI transmet un rapport sur la dangerosité de Florian D. et des personnes qu'il cÎtoie au tout nouveau Parquet national antiterroriste (PNAT), créé par la loi du 23 mars 2019 et installé en juillet 2019.
MĂ©diatisation du thĂšme de l'ultragauche en 2020
En fĂ©vrier 2020, un membre de la DGSI indique Ă un journaliste du Point : "ClandestinitĂ©, revendications de leurs actions, etc. : le mode opĂ©ratoire de l'ultragauche se rapproche du terrorisme. Ce qui manque, c'est le trouble grave. La borne n'a pas Ă©tĂ© franchie, peut-ĂȘtre mĂȘme se maintiennent-ils volontairement juste en deçà ⊠Mais on n'en est pas loin."[8]
Le 23 avril 2020, le Service central du renseignement territorial rédige un texte intitulé « Ultragauche : les appels à l'action directe suivis d'effets », diffusé dans Le Parisien le 3 mai 2020[9].
Le 7 mai 2020, Le Point publie "Sabotage de réseaux téléphoniques : les sites d'ultragauche jubilent"[10].
Le 1er juin 2020, le Journal du dimanche publie "En Europe, l'ultragauche s'attaque aux antennes-relais"[11].
Information judiciaire
Le 20 avril 2020, le PNAT ouvre une Information judiciaire contre Florian D. Le jour mĂȘme[12], un juge des libertĂ©s et de la dĂ©tention autorise la mise en place, officielle et judiciaire cette fois, de moyens de surveillance de la DGSI.
La surveillance, auparavant effectuée par la DGSI sur sa propre initiative, devient judiciaire.
La DGSI collecte de trĂšs nombreuses informations au sujet de Florian D. et de personnes qu'il connaĂźt auprĂšs :
- d'administrations (CAF, PĂŽle emploi, Urssaf, Assurance maladie)
- de fichiers administratifs (permis de conduire, immatriculation, SCA, AGRIPPA)
- de fichiers de police (TAJ)
- d'opérateurs téléphoniques
- d'entreprises (Blablacar, Air France, Paypal, Western Union)
- et de banques[1].
La DGSI utilise en outre contre Florian D. et plusieurs personnes qu'il connaĂźt :
- la sonorisation de lieux privés
- les écoutes téléphoniques
- la géolocalisation en temps réel via des balises GPS et le suivi des téléphones
- des IMSI-catchers
- et de nombreuses filatures[1].
8 décembre 2020 : 9 arrestations, perquisitions, transferts
Le mardi 8 dĂ©cembre 2020 Ă 6 heures du matin, Ă Toulouse, Cubjac (Dordogne), Vitry-sur-Seine et Rennes, la DGSI et le RAID arrĂȘtent neuf personnes, perquisitionnent leurs domiciles, puis les transfĂšrent, en train et en avion[13], Ă la DGSI Ă Levallois-Perret.
Parmi ces neufs personnes, certaines ne se connaissent pas. "Pour certain.es, on ne sâest rencontrĂ©s une seule fois, pour dâautres on ne sâest jamais vu."[13]
Toulouse
« Ă 6 heures prĂ©cises un gros dispositif de police dĂ©fonce au bĂ©lier la porte dâun squat de Toulouse pour embarquer deux personnes et leurs camions. Nous voyons Ă lâextĂ©rieur une dizaine de camions de CRS, plusieurs voitures dâOPJ et dâautres unitĂ©s difficilement identifiables. Ils sont cagoulĂ©s et armĂ©s, une cinquantaine environ se baladent dans le bĂątiment. Selon leurs mots lâobjectif est "une opĂ©ration de police qui vise 2 personnes" », Ă©crivent le lendemain des personnes habitant le squat visĂ©[14].
Rennes
"C. et ses quatre colocataires sont rĂ©veillĂ©es par le fracas de la porte vitrĂ©e, dans leur maison rennaise. Une quinzaine de policiers viennent de la dĂ©foncer, alors quâelle nâĂ©tait pas fermĂ©e Ă clĂ©"[15].
Vitry-sur-Seine
A Vitry-sur-Seine, "C.M. entend du bruit en bas et pense à « des cambrioleurs ». Elle dĂ©vale les escaliers en culotte et en tee-shirt, espĂ©rant que sa prĂ©sence « les fasse fuir » (...) MenottĂ©e Ă un fauteuil, C.M. voit une trentaine de policiers sâactiver dans la maison"[15].
Vaucluse
"En parallĂšle, dâautres fonctionnaires perquisitionnent une yourte dans le Vaucluse, sur un terrain appartenant Ă la mĂšre de S.G. Celle-ci est interrogĂ©e sur place, en audition libre."[15]
Cubjac
Ă Cubjac-AuvĂ©zĂšre-Val d'Ans, il y a "beaucoup de policiers, armĂ©s de fusils-mitrailleurs[16]". "Jâai dâabord vu une quinzaine de voitures banalisĂ©es garĂ©es le long de la route, puis un homme en civil arborant une cagoule et un brassard de police[16]", raconte un voisin Ă Sud Ouest. "En apercevant des hommes cagoulĂ©s Ă proximitĂ© de son domicile, un autre voisin a cru Ă lâimminence dâun vol Ă main armĂ©e[16]". Un des deux hommes arrĂȘtĂ©s travaille dans l'entreprise de taille de pierres du maire, qui dit Ă France 3 : Il "travaillait bien ! On a en effet Ă©tĂ© Ă©tonnĂ©s mardi de ne pas le voir prendre son poste de travail[17]".
Plestin-les-GrĂšves ?
Le Point[8] est le seul média à indiquer que l'opération du 8 décembre se déroule aussi à Plestin-les-GrÚves (CÎtes d'Armor). Le journal local Le Télégramme ne confirme pas[18].
Réactions médiatiques
Les notions de "violence" et d'"ultragauche" sont reprises par plusieurs mĂ©dias : "Projet d'action violente : sept membres de l'ultragauche prĂ©sentĂ©s Ă un juge antiterroriste" (France Bleu[19]), "Projet dâaction violente : neuf membres de lâultragauche interpellĂ©s, notamment en Dordogne" (Sud Ouest[20]), "Projet dâaction violente : sept membres de lâultragauche prĂ©sentĂ©s Ă un juge antiterroriste" (Le TĂ©lĂ©gramme[21]), "Ultra gauche : un attentat anti-police dĂ©jouĂ© ?" (BFMTV[22]).
RĂ©actions politiques
Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur, publie sur Twitter le 11 décembre : "Chaque jour les femmes et les hommes de la Direction générale de la sécurité intérieure protÚgent la République contre ceux qui veulent la détruire"[23].
Ăric Ciotti, alors dĂ©putĂ© Les RĂ©publicains, publie sur Twitter: "Des terroristes d'extrĂȘme gauche voulaient s'en prendre Ă des policiers ! Ils s'attaquent Ă l'uniforme de la RĂ©publique qui est le dernier obstacle Ă leur dictature et leur soif de chaos"[19].
Laurent Nuñez, directeur de la DGSI de juin 2017 à octobre 2018 : "cette cellule semblait trÚs inquiétante"[24].
Le Collectif des combattantes et combattants francophones du Rojava publie une tribune[25] de soutien aux personnes arrĂȘtĂ©es : "Nous ne nous attendions pas Ă recevoir la LĂ©gion dâhonneur, ni mĂȘme a ĂȘtre remerciĂ©s par qui que ce soit, mais nous ne pouvions pas imaginer que nous serions dĂ©signĂ©s comme des ennemis de lâintĂ©rieur et traitĂ©s Ă lâĂ©gal des jihadistes que nous avions combattus."
8-11 décembre 2020 : Gardes à vue
Plusieurs questions posĂ©es par les enquĂȘteurs de la DGSI durant les gardes Ă vue concernent les opinions politiques des personnes arrĂȘtĂ©es, notamment : « prĂ©fĂ©rez-vous le chaos Ă la politique actuelle du gouvernement ? »[12].
Pour recueillir son ADN, un des policiers de la DGSI indique à Camille, gardée à vue : "de toute façon si tu le donnes pas je vais venir chercher tes poils pubiens dans ta petite culotte"[13].
11 décembre 2020 : mises en examens
Le 11 décembre 2020, deux personnes sont libérées à l'issue de la garde à vue sans charges. Les sept autres sont mises en examen pour association de malfaiteurs en vue de commettre des actes terroristes. Le parquet requiert le placement en détention provisoire pour six de ces sept personnes.
Cinq sont placées en détention provisoire et deux remises en liberté sous contrÎle judiciaire.
Les enquĂȘteurs affirment que ces sept personnes avaient le projet d'attaquer des membres des forces de l'ordre en France.
D'aprÚs une source policiÚre, les personnes inculpées "essayaient d'acheter des armes"[26].
ĂlĂ©ments du dossier communiquĂ©s aux mĂ©dias par la DGSI
Entre le 8 et le 14 dĂ©cembre 2020, des mĂ©dias publient des Ă©lĂ©ments que leur communiquent les enquĂȘteurs de la DGSI :
- "Lors des perquisitions, les enquĂȘteurs ont mis la main sur des armes - des fusils de chasses mais pas d'armes de guerre - et des munitions ainsi que sur des substances rentrant dans la composition d'explosifs : acĂ©tone, eau oxygĂ©nĂ©e, acide chlorhydrique."[27]
- "Ils ont été vus en train d'expérimenter de l'explosif sur un terrain agricole dans le centre de la France."[28]
- Florian D.est "ancré dans une idéologie prÎnant la révolution"[29].
- Ces personnes sont "soupçonnĂ©es de projets dâactions violentes ciblant des policiers, sans quâun projet prĂ©cis de passage Ă lâacte ait Ă©tĂ© identifiĂ©."[29]
- "Syrie, SDF, fiché S : l'inquiétant profil du chef du groupe d'ultragauche"[30].
- "Selon le JDD, ils auraient testé leurs explosifs dans l'Indre."[31]
Secret de l'instruction
Le 14 décembre 2020, alors que l'instruction est en cours, un journaliste du Point indique avoir "eu accÚs aux auditions des mis en cause"[8] et en relate effectivement plusieurs éléments.
Il indique Ă©galement avoir eu "accĂšs Ă un compte rendu de la DGSI"[8].
Le Point publie[8] le 14 dĂ©cembre 2020 les photographies de trois des personnes arrĂȘtĂ©es.
FĂ©vrier 2021 : deux nouvelles arrestations
Le 8 fĂ©vrier 2021, deux personnes supplĂ©mentaires sont arrĂȘtĂ©es en Dordogne et dans les PyrĂ©nĂ©es-Atlantiques. « M. aussi pense dâabord Ă des cambrioleurs, mais câest bien le RAID qui vient de dĂ©foncer sa porte. "Jâai eu la certitude que jâallais mourir, je nâoublierai jamais cette peur". »[15] Elles sont remises en libertĂ© sans poursuites aprĂšs des gardes Ă vue de trois jours[32].
Parmi les 5 personnes détenues, deux sont libérées sous contrÎle judiciaire en avril 2021 et deux autres à l'automne 2021.
En septembre 2021, des "familles et ami·es des inculpé·s du 8 décembre" publient[33] une lettre ouverte à Jean-Marc Herbaut, juge d'instruction en charge de l'affaire, dans laquelle elles dénoncent notamment le placement à l'isolement de Libre Flot, la pression de la surveillance et le contenu des interrogatoires portant "sur les opinions et activités politiques des personnes".
Isolement et grĂšve de la faim
Libre Flot est placé en détention provisoire au Centre pénitentiaire de Bois-d'Arcy au régime de l'isolement, c'est à dire sans aucun contact avec les autres détenus le 11 décembre 2020, jusqu'en avril 2022.
En juillet 2021, L'EnvolĂ©e (journal) publie une lettre de Libre Flot depuis sa dĂ©tention : "Lâisolement est Ă la solitude ce que la lobotomie est Ă la mĂ©ditation"[34].
Le 8 septembre 2021 le régime de l'isolement est prolongé.
En novembre 2021, L'Envolée (journal) publie à nouveau une lettre de Libre Flot : "Sans aucune surprise, mon isolement a été prolongé"[35].
Le 27 fĂ©vrier 2022, Libre Flot entame une grĂšve de la faim pour protester contre son traitement[36]. "Jâai rĂ©cemment appris de la bouche mĂȘme du directeur des dĂ©tentions de la maison dâarrĂȘt des Yvelines (Bois dâArcy), que je remercie pour sa franchise, que mon placement et mon maintien Ă lâisolement Ă©taient dĂ©cidĂ©s depuis le premier jour par des personnes trĂšs haut placĂ©es et que quoi je dise ou que lui-mĂȘme dise ou fasse, rien nây ferait, que cela le dĂ©passe, le dossier ne sera mĂȘme pas lu et je resterai au quartier dâisolement et que de toute façon rien ne pourrait changer avant les Ă©lections prĂ©sidentielles"[37] indique-t-il dans une lettre de prison intitulĂ©e "Pourquoi je fais la grĂšve de la faim"[36].
Les médias L'Humanité, Lundi matin, Politis, Le Média et Reporterre manifestent leur solidarité[38] avec le prisonnier isolé en grÚve de la faim, et publient une pétition de soutien[38].
Libre Flot est défendu par les avocats Raphaël Kempf et Coline Bouillon.
Le 10 mars, au onziĂšme jour de cette grĂšve de la faim, Ăric Dupond-Moretti, ministre de la Justice, prolonge le rĂ©gime d'isolement[39].
Son état de santé se dégradant, Libre Flot est transféré le 24 mars à l'hÎpital du Centre pénitentiaire de Fresnes[40].
Le 31 mars, une proche de Libre Flot annonce qu'il a perdu 15 kilos depuis le début de sa grÚve de la faim et ne peut plus se lever de son lit[41].
Le 1er avril, Ă Rennes, un comitĂ© de soutien Ă Libre Flot interrompt un meeting d'Ăric Dupond-Moretti, en campagne pour la candidature d'Emmanuel Macron Ă la rĂ©Ă©lection Ă la prĂ©sidence de la RĂ©publique, pour rĂ©clamer sa libĂ©ration[42].
Le 4 avril, Libre Flot met fin Ă sa grĂšve de la faim.
Le 7 avril 2022, il est remis en liberté sous contrÎle judiciaire avec bracelet électronique et transféré à l'hÎpital de Villejuif[2].
Fouilles Ă nu
Pour plusieurs des personnes dĂ©tenues, les fouilles Ă nu sont systĂ©matiques Ă chaque contact avec lâextĂ©rieur (rendez-vous mĂ©dical, parloir) ainsi que des fouilles des cellules lors desquelles le matĂ©riel dâĂ©criture et les courriers sont confisquĂ©s[32].
Camille, seule femme mise en examen dans l'affaire, subit des fouilles corporelles intĂ©grales rĂ©pĂ©tĂ©es durant sa dĂ©tention provisoire Ă la Maison d'arrĂȘt de Fleury-MĂ©rogis de dĂ©cembre 2020 Ă avril 2021. En 2023, elle demande Ă faire reconnaĂźtre le caractĂšre illĂ©gal de ces fouilles[43].
RequĂȘtes en nullitĂ©
En 2021, les avocats de plusieurs des prĂ©venus demandent la nullitĂ© de plusieurs actes de l'enquĂȘte, dont le rapport initial de la DGSI de fĂ©vrier 2020 qui fonde l'affaire. Le 26 janvier 2022[12], la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris rejette ces requĂȘtes.
Comités de soutien
Des comitĂ©s de soutien aux personnes arrĂȘtĂ©es le 8 dĂ©cembre 2020 sont crĂ©Ă©s en 2020 et 2021 Ă Amiens, Toulouse, Rennes, et Paris[37].
ClĂŽture de l'instruction
Le 23 novembre 2022, le parquet national antiterroriste requiert le renvoi devant le tribunal correctionnel des sept prévenus pour association de malfaiteurs terroriste[44].
Le 17 janvier 2023, les juges d'instruction renvoient ces sept personnes devant le tribunal. Trois des prĂ©venus seront Ă©galement jugĂ©s pour "refus de remettre une convention secrĂšte de dĂ©chiffrement dâun moyen de cryptologie"[45].
Avril 2023 : l'Ătat condamnĂ© pour recours abusif Ă l'isolement
Le 17 avril 2023, le tribunal administratif de Versailles reconnaĂźt le caractĂšre irrĂ©gulier de deux dĂ©cisions de prolongation de l'isolement de Florian D. et condamne l'Ătat Ă l'indemniser pour le prĂ©judice subi[46]. « Les Ă©lĂ©ments transmis au tribunal "ne permettent pas de caractĂ©riser un risque dâincidents graves" si Florian D. avait Ă©tĂ© placĂ© en dĂ©tention ordinaire », indiquent les juges[47].
Controverses
Sur l'accusation
Les bases de l'accusation d'association de malfaiteurs en vue de commettre des actes terroristes sont remises en question par la défense, plusieurs médias, les accusés et leurs soutiens[38].
Il s'agit de la premiÚre incrimination terroriste visant l'"ultragauche" depuis l'Affaire de Tarnac, durant laquelle l'accusation de terrorisme annoncée en 2008 a été abandonnée et qui s'est conclue en 2018 par des relaxes dix ans aprÚs l'ouverture des poursuites.
Selon un article du journaliste Philippe Baqué, paru dans le Monde diplomatique, aucun des objets saisis lors de l'arrestation, y compris les composants potentiels d'engins explosifs, ne permet de prouver "un projet précis de passage à l'acte"[3].
Dans un entretien avec le média Lundi Matin, une personne inculpée voit l'accusation comme "une sorte de fantasme construit autour de [leurs] opinions politiques", basée sur des "éléments disparates [qui sont] décontextualisés [pour] construire un décor"[48].
La sociologue Isabelle Sommier désigne l'affaire comme "un coup politique pour montrer que le pouvoir fait quelque chose" par rapport à la violence des manifestations[26].
Sur le crime sans acte
Si en droit pĂ©nal une condamnation ne peut ĂȘtre prononcĂ©e qu'Ă la condition que soient rĂ©unis une intention et un acte (un Ă©lĂ©ment intentionnel et un Ă©lĂ©ment matĂ©riel), une exception existe en droit français, depuis l'introduction de la notion d'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste dans la loi du 22 juillet 1996, votĂ©e Ă la suite des Attentats de 1995 en France et qui permet de condamner une personne pour une intention sans acte.
François Thuillier, ancien officier des services antiterroristes, chercheur associé auprÚs du Centre d'étude sur les conflits, liberté et sécurité (CECLS), estime que l'antiterrorisme est devenue une idéologie dangereuse : "Nous avons placé la lutte antiterroriste sur le terrain spirituel et comportemental, et renoncé ainsi à notre tradition laïque"[49].
Sur la judiciarisation du renseignement et le rĂŽle de la DGSI
L'instruction présente la particularité d'avoir été uniquement déclenchée par le travail de la DGSI et non par la constatation d'actes délictuels, dont des auteurs seraient ensuite recherchés comme c'est habituellement le cas dans le cadre de la procédure pénale[12].
Le 13 décembre 2020, Laurent Nuñez, directeur de la DGSI de juin 2017 à octobre 2018 et coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme de juillet 2020 à juillet 2022, indique à l'AFP[50] "On est toujours restés trÚs concentrés sur la mouvance ultradroite et la mouvance ultragauche".
Le 10 juin 2021, la DGSI indique sur son site internet qu'elle "ne sâintĂ©resse pas Ă lâextrĂȘme droite et lâextrĂȘme gauche, qui sont des courants politiques sur le suivi desquels les services de renseignement nâont aucune compĂ©tence"[51].
Les notions de "gauche", d'"extrĂȘme" et d'"ultra" ne sont pas des notions juridiques.
Sur l'assimilation entre communications chiffrées et terrorisme
Le 5 juin 2023, l'association La Quadrature du net met[1] en cause l'assimilation, par les enquĂȘteurs, entre communication chiffrĂ©es et terrorisme : "Les pratiques numĂ©riques des inculpé·es â au premier rang desquelles lâutilisation de messageries chiffrĂ©es grand public â sont instrumentalisĂ©es comme « preuves » dâune soi-disant « clandestinitĂ© » venant rĂ©vĂ©ler lâexistence dâun projet terroriste inconnu." Pour la DGSI, le PNAT et le juge d'instruction, l'utilisation de messageries grand public comme Signal, la sensibilitĂ© au pouvoir des GAFAM et l'intĂ©rĂȘt pour les questions de sĂ©curitĂ© informatique sont des Ă©lĂ©ments Ă charge dĂ©montrant l'existence d'un projet terroriste.
Le 14 juin 2023, les responsables de Signal, Tor, Tails et Protonmail, entre autres services dont l'utilisation est prĂ©sentĂ©e comme Ă©lĂ©ment Ă charge par la DGSI, signent, avec de nombreux autres fournisseurs de services informatiques, des juristes et des dĂ©fenseurs des droits, la tribune "AttachĂ©s aux libertĂ©s fondamentales dans lâespace numĂ©rique, nous dĂ©fendons le droit au chiffrement de nos communications"[52] dans le journal Le Monde. Elle dĂ©nonce une "volontĂ© sans prĂ©cĂ©dent, de la part de la police française, de criminaliser lâusage des technologies de protection de la vie privĂ©e" mise en Ă©vidence par La Quadrature du Net.
Sur le traitement initial par Mediapart
En septembre 2019, Mediapart publie un article[53] sur la surveillance par les services de renseignement de Français partis au Rojava. Le contenu de cet article est vivement controversĂ©[54] - [55] pour ses erreurs matĂ©rielles, son traitement anxiogĂšne, et des accusations selon lesquelles il relaierait sans distance le discours de la DGSI. D'aprĂšs cet article, une personne qui aurait "tirĂ© une fusĂ©e" sur un hĂ©licoptĂšre de la gendarmerie durant les combats Ă la ZAD de Notre-Dame-des-Landes le 9 avril 2018 aurait Ă©tĂ© vue auparavant au Rojava et aurait Ă©tĂ© entendue dire lĂ -bas qu'elle souhaitait acquĂ©rir une expĂ©rience militaire dont elle aurait comptĂ© « faire proïŹter ses camarades » Ă son retour en France.
Notes et références
- « Affaire du 8 décembre : le chiffrement des communications assimilé à un comportement terroriste », sur La Quadrature du Net,
- « Un détenu d'ultragauche en grÚve de la faim libéré pour motif médical », sur Le Figaro, (consulté le )
- Philippe Baqué, « Combattre les djihadistes, un crime ? » , sur Le Monde diplomatique, (consulté le )
- André Hébert, Jusqu'à Raqqa, Paris, Les Belles lettres, , 256 p. (ISBN 9782251449166)
- « Jusqu'à Raqqa - Avec les Kurdes contre Daech »
- « Antiterrorisme : en grÚve de la faim, il demande à se défendre dans la dignité », sur Reporterre, (consulté le )
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- Camille Polloni, « «Ultragauche»: les proches des militants arrĂȘtĂ©s le 8 dĂ©cembre tĂ©moignent » , sur Mediapart, (consultĂ© le )
- « Coup de filet anti-terroriste dans un rĂ©seau dâultra-gauche : deux personnes arrĂȘtĂ©es en Dordogne » , sur Sud Ouest, (consultĂ© le )
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- « Toulouse: quelques nouvelles des potes des arrestations du 8 décembre », sur squat.net, (consulté le )
- « Lettre Ouverte au juge d'instruction Jean-Marc Herbaut », sur Blogs de Mediapart, (consulté le )
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- Libre Flot, « Pourquoi je fais la grÚve de la faim », sur L'Envolée (consulté le )
- « Début de la GrÚve de la Faim de Libre Flot »
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