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Paco de LucĂ­a

Francisco Gustavo SĂĄnchez GĂłmez[1], connu sous le nom de Paco de LucĂ­a [ˈpĂ€.ko̞ Ă°Ìže̞ lu.ˈΞi.Ă€][N 1], nĂ© le Ă  AlgĂ©siras (province de Cadix) en Espagne et mort le Ă  Playa del Carmen au Mexique, est un guitariste et compositeur espagnol.

Paco de LucĂ­a
Photographie d'un homme assis sur scĂšne, jouant de la guitare
Paco de LucĂ­a en 2007
Biographie
Naissance
DĂ©cĂšs
Nom dans la langue maternelle
Francisco SĂĄnchez GĂłmez
Nom de naissance
Francisco SĂĄnchez GĂłmez
Pseudonyme
Paco de LucĂ­a
Nationalité
Activités
Guitariste, guitariste classique, compositeur de musique de film, guitariste de jazz, compositeur, musicien de jazz, artiste d'enregistrement
Période d'activité
PĂšre
Antonio SĂĄnchez Pecino (en)
Fratrie
Autres informations
Instrument
Label
Genre artistique
Site web
Distinctions
Prix Princesse des Asturies pour les arts ()
Liste détaillée
Médaille d'or du mérite des beaux-arts ()
Dearest Son of CĂĄdiz province (d) ()
Prix Princesse des Asturies ()
Prix Princesse des Asturies pour les arts ()
Latin Grammy Award du meilleur album flamenco ( et )
Billboard Latin Music Award for Latin Jazz Album of the Year (en) ()
Docteur honoris causa de l'université de Cadix ()
Docteur honoris causa du Berklee College of Music ()
Médaille d'or du mérite au Travail ()
Latin Grammy Award for Album of the Year ()
Latin Songwriters Hall of Fame (en) ()
Latin Grammy Awards
Citoyen d'honneur de la région de langue slave (d)
Discographie
Discographie de Paco de LucĂ­a (en)
Photographie en vue partielle, en noir et blanc, en plan rapproché, d'un guitariste assis, au visage vu de trois quart profil, concentré, tenant sa guitare assez haute
[Détail] : Paco de Lucia en 1972, au regard concentré et « brûlant de duende » (voir ci-dessous la section consacrée au "duende de Paco", ainsi que la photo complÚte à la section : "Convergence").
Photographie d'un homme, souriant, debout sur scĂšne, tenant sa guitare verticalement de sa main gauche
Paco de LucĂ­a au Vito Jazz Festival en juillet 2010.

Il est considéré par plusieurs flamencologues, notamment Félix Grande et Guillermo Castro Buendía comme le meilleur guitariste de flamenco de tous les temps, et l'un des meilleurs instrumentistes de l'histoire de la guitare. Compositeur prolifique, il a notamment apporté des innovations importantes à la guitare flamenca. Nombre de ses pairs guitaristes se réclament de son influence. Il est le guitariste de flamenco contemporain le plus connu dans le monde. Sa reconnaissance est attestée par les nombreux prix et distinctions qui lui ont été décernés, dont le prix Prince des Asturies des arts, le plus prestigieux d'Espagne, et la médaille d'or du mérite des beaux-arts.

EnracinĂ© dans une longue tradition dont il a su exprimer la quintessence, puis devenu pour le public le plus large la figure principale et la plus universelle du flamenco des derniĂšres dĂ©cennies, il a pu imposer l'Ă©volution, voire la rĂ©forme, qui a portĂ© cet art, pour un temps, sur les devants de la scĂšne musicale internationale, en important de nouveaux rythmes issus du jazz, de la bossa nova ou des musiques caraĂŻbes, de mĂȘme que des traits empruntĂ©s Ă  la musique classique. En tĂ©moignent, entre autres, la diversitĂ© de ses enregistrements ainsi que ses collaborations avec des musiciens internationaux comme Carlos Santana, Al Di Meola et John McLaughlin, le cinĂ©aste Carlos Saura, et d'autres grandes figures du flamenco telles que CamarĂłn de la Isla, Tomatito et Antonio Gades, avec lesquelles il a modernisĂ© les concepts de base du flamenco originel.

Avec quelques enregistrements novateurs et controversĂ©s du cantaor (chanteur de flamenco) Enrique Morente (de la mĂȘme gĂ©nĂ©ration que Paco de LucĂ­a), considĂ©rĂ©s par certains « puristes » de la tradition flamenca comme « iconoclastes », Paco et CamarĂłn reprĂ©sentent les grands initiateurs du courant flamenco nuevo (« Nouveau flamenco ») de la gĂ©nĂ©ration suivante, qui expĂ©rimente la fusion avec de nombreuses musiques du monde. MalgrĂ© le rayonnement international que Paco de LucĂ­a a donnĂ© Ă  sa musique, malgrĂ© sa maĂźtrise de la guitare flamenca dans toute sa dimension traditionnelle, ces puristes ne lui ont jamais pardonnĂ© ses ouvertures (au jazz notamment) et estiment qu’il a « trahi » les racines idiomatiques du flamenco originel.

Tout au long de sa carriÚre, de 1961 à 2014, il a gravé en propre sous son nom 42 disques, et participé à des créations musicales de chanteurs de flamenco ou d'interprÚtes de genres musicaux trÚs variés.

Biographie

L'enfance

Photographie d'une maison blanche, vue depuis la rue
Maison natale de Paco de Lucía au 8, rue San Francisco, quartier de Fuentenueva, Algésiras en Andalousie.

Paco de LucĂ­a[N 1] est nĂ© dans le quartier de La Fuentenueva (rue San Francisco) et a vĂ©cu enfant dĂšs l’ñge de cinq ans dans le quartier de La Bajadilla (rue Barcelone) du port andalou d’AlgĂ©siras, une des deux communes les plus au sud de la pĂ©ninsule IbĂ©rique, juste Ă  l’ouest de Gibraltar[B 1]. Ce sont des quartiers populaires Ă  prĂ©dominance gitane[2]. Dans la rue comme dans sa famille, il baigne depuis sa plus tendre enfance dans une ambiance musicale marquĂ©e par le flamenco.

Il est le plus jeune des cinq enfants du couple formĂ© en 1934 par Antonio SĂĄnchez Pecino (1908-1994) et par LĂșzia Gomes Gonçalves (son nom en portugais, hispanisĂ© en LucĂ­a GĂłmez GonzĂĄlvez ; mais Paco lui rendra hommage en 1998 sous son prĂ©nom portugais dans l’album intitulĂ© Luzia)[B 2]. Sa mĂšre est originaire du village de Montinho[B 3], pas trĂšs loin de la ville de Castro Marim (nom d’un autre album en 1981) au Sud du Portugal, et tout proche de la frontiĂšre espagnole.

La fratrie est composĂ©e de MarĂ­a Luisa, l’aĂźnĂ©e et unique sƓur (nĂ©e en 1935)[B 4], puis RamĂłn (nĂ© en 1938)[B 5], Antonio junior (nĂ© en 1942)[B 6], Pepe (diminutif de JosĂ©, nĂ© en 1945)[B 7] et enfin Paco (diminutif de Francisco, nĂ© en 1947)[B 8]. Les enfants sont tous les cinq initiĂ©s au cante (chant flamenco) ou au toque (jeu de la guitare flamenca), mais seuls RamĂłn, Pepe et Paco en feront leur mĂ©tier[B 9].

Le pĂšre fait vivre, difficilement, sa famille nombreuse comme marchand de tissu ambulant[2], et, Ă  l’occasion, marchand de fruits[B 10], ou encore ouvrier Ă  l’usine[3]. Mais il est aussi un bon guitariste de flamenco amateur, et sous le nom de scĂšne d’« Antonio de Algeciras »[B 10], il arrondit les fins de mois en jouant la nuit dans les tablaos et les fĂȘtes locales. LĂ , il se rend compte qu’il y a plĂ©thore de « cantaores » (chanteurs de flamenco, variante dialectale andalouse du castillan « cantadores » qui signifie chanteurs en gĂ©nĂ©ral), pas toujours al compĂĄs (« dans le rythme ») par dĂ©faut d’accompagnement, justement parce qu’on manque de guitaristes ; c’est pourquoi il initie promptement la formation professionnelle de ses fils en les orientant vers cet instrument[B 10]. Le flamencologue amĂ©ricain Donn E. Pohren considĂšre mĂȘme que le pĂšre a conçu trĂšs tĂŽt pour ses enfants un grand projet de carriĂšre artistique, Ă  son sens plus lucrative que les travaux subalternes dans lesquels il s’épuisait le jour tout en vivant chichement[B 11]. Les SĂĄnchez sont donc une famille paya (« non gitane »), mais entre les fĂȘtes et le petit commerce, ils vivent dans une telle proximitĂ© avec la communautĂ© des Gitans que ceux-ci iront jusqu’à surnommer Antonio pĂšre el gitano rubio (« le gitan blond »)[B 10].

DÚs son plus jeune ùge, l'environnement de Paco de Lucía est donc favorable à l'apprentissage du flamenco, tout d'abord par son pÚre, qui lui donne ses premiÚres leçons dÚs l'ùge de cinq ans[4] et lui impose bientÎt de travailler douze heures par jour, seul ou en compagnie de ses frÚres Pepe et Antonio[B 12] - [B 13].

Selon une tradition andalouse, il doit son surnom au prénom de sa mÚre, Lucía[3], portugaise de naissance ; il était désigné tout jeune comme Paquito el hijo de Lucía (« Petit Paco, le fils de Lucía »)[5] - [B 14] ou el hijo de la portuguesa (« le fils de la portugaise »), ce qui par la suite deviendra le titre d'un ouvrage qui lui sera consacré[6] - [B 15]. Au moment de prendre un pseudonyme, il a voulu lui rendre hommage, tout comme son frÚre Pepe de Lucía, alors que leur frÚre aßné Ramón de Algeciras avait choisi, comme beaucoup de chanteurs de rue, et aussi comme leur pÚre Antonio, de prendre le nom de leur ville ou village[B 8] - [B 16].

AprĂšs leur travail, les tocaores (« musiciens, guitaristes de flamenco : variante dialectale andalouse du castillan tocadores=musiciens ») que frĂ©quente leur pĂšre (entre autres les guitaristes Melchor de Marchena et El Titi de Marchena, qui sera son premier professeur)[B 17] - [7], prolongent les nuits festives dans le patio de la maison familiale. Puis ses frĂšres aĂźnĂ©s stimuleront aussi son premier apprentissage : RamĂłn de Algeciras dĂ©jĂ  reconnu comme guitariste de talent et Pepe de LucĂ­a qui mĂšne trĂšs tĂŽt une carriĂšre de chanteur de flamenco. Il explique lui-mĂȘme ainsi sa vocation et sa prĂ©cocitĂ© : « Avant mĂȘme de poser les doigts sur un manche de guitare, je connaissais tout du flamenco : les rythmes les plus complexes, le langage. » Il quitte dĂ©finitivement l'Ă©cole Ă  onze ans. Son pĂšre estime que les finances familiales ne permettent plus Ă  son fils de suivre une formation scolaire, et prĂ©fĂšre qu'il se consacre exclusivement Ă  la guitare, espĂ©rant que le talent qu'il a dĂ©celĂ© en lui puisse aider Ă  subvenir aux besoins de la famille[B 18] - [B 12]. Le travail acharnĂ© que fournit Paco, tout au long d'un apprentissage Ă©troitement encadrĂ© par son pĂšre, finit par payer. En 1958, Ă  seulement onze ans, il donne sa premiĂšre reprĂ©sentation Ă  la radio locale d'AlgĂ©siras. Sa prestation est alors considĂ©rĂ©e comme stupĂ©fiante, sa technique dĂ©jĂ  trĂšs sĂ»re[3].

« Quand Ă  douze ans il a commencĂ© Ă  monter sur scĂšne dans son AlgĂ©siras natal, Francisco SĂĄnchez GĂłmez n’était qu’un garçon extrĂȘmement studieux avec un seul objectif dans sa vie : ĂȘtre un grand guitariste de flamenco. Les annĂ©es passant, Francisco, le fils d’Antonio et de LucĂ­a, est parvenu beaucoup plus loin et s’est mĂ©tamorphosĂ© en une rĂ©fĂ©rence musicale pour le monde entier. »

— J. M. Valenzuela[vo 1] - [8].

PremiĂšres prestations, premiers prix, premiers engagements

À Jerez de la Frontera, Ă  l'Ăąge de quatorze ans, Paco participe avec son frĂšre Pepe au Concours international ou Certamen (« joute ») d'Art Flamenco de 1962. Pepe y gagne le premier prix du chant pour ses malagueñas, et Paco pour sa part, trop jeune pour ĂȘtre dans la catĂ©gorie gĂ©nĂ©rale, remporte le prix spĂ©cial, ou prix Javier Molina, crĂ©Ă© ex professo tout exprĂšs pour lui[B 19]. La mĂȘme annĂ©e, toujours Ă  quatorze ans, il est engagĂ© comme guitariste dans la compagnie de danse JosĂ© Greco et effectue sa premiĂšre tournĂ©e aux États-Unis[9] - [3]. À New York, il rencontre Mario Escudero et Sabicas, deux guitaristes espagnols rĂ©putĂ©s qui l'encouragent Ă  mener une carriĂšre de soliste[B 20]. Sabicas en particulier l'encourage Ă  composer sa propre musique, plutĂŽt que de reprendre les succĂšs d'el Niño Ricardo, son maĂźtre. Paco confesse que cette phrase de Sabicas fut pour lui une rĂ©vĂ©lation qui a changĂ© sa vie, et qu'il raconte ainsi :

« Alors que je jouais pour lui [Sabicas], il me disait : « Joue-moi ci, joue-moi ça, joue-moi une soleĂĄ, une taranta ! », et je ne sais quoi encore
 Et quand j'eus terminĂ© de jouer, comme je jouais les morceaux de Niño Ricardo
 (je crois que cela l'offensait d'une certaine maniĂšre
) alors il m'a dit une parole qui fut une phrase-clĂ© pour l'essor ultĂ©rieur de ma carriĂšre de guitariste, il dit : « Oui, tu joues bien, mais
 un guitariste se doit de jouer sa propre musique ! » Cela m'a marquĂ© profondĂ©ment, ce fut un choc. Ah, malheureux ! Parce que j'ai dĂ» oublier tout ce que j'avais, oublier toutes les falsetas, toute la musique de Niño Ricardo que je jouais, et
 je me suis mis Ă  composer ! »

— Paco de LucĂ­a25 min 10 s_32-0">[B 21] - [vo 2] - 25 min 0 s_34-0">[B 22] - [10].

Premiers enregistrements

DĂšs 1961, Ă  treize ans, Paco enregistre ses premiers disques chez Hispavox comme accompagnateur de son frĂšre le cantaor Pepe de LucĂ­a, sous le nom de Los Chiquitos de Algeciras, trois disques de quatre chansons chacun, qui seront rĂ©Ă©ditĂ©s remastĂ©risĂ©s en CD en 2016[11]. Puis en 1963, les mĂȘmes Chiquitos de Algeciras enregistrent un LP de douze titres sous le titre cante flamenco tradicional[12], rĂ©Ă©ditĂ© en 1982, puis en CD en 1995, en 2003[13] - [14], et enfin en 2016[11] en un double CD rĂ©unissant treize titres de 1963 (les douze initiaux plus un bonus) et quinze titres de 1961 (les douze dĂ©jĂ  enregistrĂ©s en trois EP plus trois inĂ©dits).

En 1964, il enregistre son premier disque en solo, La guitarra de Paco de LucĂ­a15 min 0 s_40-0">[B 23] (un super 45 tours, ou extended play, de 4 titres). L'accueil rĂ©servĂ© Ă  ses compositions personnelles dans le milieu du flamenco et le succĂšs de ses concerts font que son talent et sa technique instrumentale commencent Ă  ĂȘtre plus largement reconnus. S'ouvrent alors Ă  lui d'autres horizons musicaux.

Des enregistrements et des rencontres qui comptent

De 1964 à 1967, il enregistre quatre albums LP, d'abord avec le guitariste Ricardo Modrego qu'il avait connu quand ils travaillaient ensemble pour le bailaor (danseur de flamenco)[N 2] José Greco, et qui avait ses entrées dans la compagnie Philips Music, puis avec son frÚre aßné Ramón de Algeciras[B 24]. Ces disques montrent un Paco à la fois trÚs enraciné dans la tradition flamenca la plus pure, et maßtrisant déjà solidement les techniques de la guitare flamenca moderne. Au cours de l'année 1967, Paco enregistre aussi son premier album complet en solo sous le titre La fabulosa guitarra de Paco de Lucía, rappelant le titre de son premier super 45 tours en solo (extended play, de 4 titres) de 1964 : La guitarra de Paco de Lucía (réédité en CD en 2003 sous le titre Por descubrir, en complément de l'intégrale publiée en 27 CD par Philips puis Universal Music)[17] - [B 24].

AprĂšs l'effondrement du nazisme en 1945, la dictature instaurĂ©e par Franco rĂ©affirme son anticommunisme, et rejoint le camp occidental alors que s'ouvre la pĂ©riode de guerre froide. Dans les annĂ©es 1950, la culture espagnole, marquĂ©e par le conservatisme et le nationalisme du rĂ©gime franquiste depuis la guerre civile d'Espagne de 1936, s'expose de nouveau aux influences extĂ©rieures, notamment amĂ©ricaines[18]. Le jazz, banni dans les annĂ©es 1930 des diffusions radiophoniques et des scĂšnes musicales, est de retour dans le pays. Dans le courant des annĂ©es 1960, en plein dĂ©veloppement du miracle Ă©conomique espagnol, l'ouverture au monde de l'Espagne s'approfondit[18]. À son niveau, Paco de LucĂ­a y contribue[19].

En effet, dĂšs 1967 et jusqu'en 1969, Paco, en duo avec son frĂšre RamĂłn, Ă©largit son rĂ©pertoire musical, en enregistrant plusieurs morceaux de musique latino-amĂ©ricaine[20] Ă  la façon flamenca. Les albums Dos guitarras flamencas en AmĂ©rica Latina[21], sorti en 1967, puis, en 1969, En HispanoamĂ©rica[22] et 12 Hits Para Dos Guitarras Flamencas Y Orquesta De Cuerda[23] constitutent un ensemble assez hĂ©tĂ©roclite de succĂšs populaires arrangĂ©s pour deux guitares[B 25]. Les deux jeunes musiciens revisitent, entre autres, les bolĂ©ros Perfidia, QuizĂĄs, quizĂĄs, quizĂĄs, BĂ©same mucho, le tango Tango Delle Rosa, l'air traditionnel du folklore chilien Yo vendo unos ojos negros, Las Mañanitas, une chanson d'anniversaire traditionnelle d'AmĂ©rique latine, La flor de la canela, une valse du PĂ©rou Ă©crite par la chanteuse pĂ©ruvienne Chabuca Granda, la romance « Je crois entendre encore » extraite de l'opĂ©ra de Georges Bizet Les PĂȘcheurs de perles, sous le titre Los Pescadores De Perlas, la bossa nova ManhĂŁ de Carnaval de Luiz BonfĂĄ, un choro Tico, Tico, Ɠuvre du brĂ©silien Zequinha de Abreu, la habanera La paloma, les chansons Granada de AgustĂ­n Lara, Guadalajara de Pepe GuĂ­zar, typique du genre mariachi, et Que serĂĄ, serĂĄ. Selon les flamencologues Donn E. Pohren et Diana PĂ©rez Custodio, cette production discographique relĂšve davantage de la volontĂ© du pĂšre des deux artistes de tirer un bĂ©nĂ©fice financier du talent de ses fils[B 26] et des impĂ©ratifs commerciaux de leurs maisons de disques que d'un vĂ©ritable projet artistique[B 27] - [24]. PĂ©rez Custodio prĂ©cise qu'au dĂ©but de sa carriĂšre, comme tout autre artiste, Paco n'Ă©chappe pas aux contraintes Ă©conomiques de l'industrie culturelle[B 24]. Certains de ces morceaux, avec quelques inĂ©dits, seront toutefois rĂ©Ă©ditĂ©s en un quatriĂšme LP de compilation en 1981, sous le titre En Hispanoamerica Vol. 2[25].

En 1967, tout juste vingtenaire, Paco, seul cette fois, avait aussi participĂ© en tant que guitariste Ă  l'Ă©laboration de l'un des premiers disques de fusion mĂȘlant flamenco et jazz : Jazz Flamenco, une Ɠuvre expĂ©rimentale conçue par son compatriote le saxophoniste Pedro Iturralde[26] - [27] - [28] - [B 28]. L'annĂ©e suivante, il est le seul guitariste flamenco sur l'album Jazz Flamenco 2 d'Iturralde[29], et l'invitĂ© du quintet d'Iturralde sur l'album Flamenco-Jazz produit par Joachim-Ernst Berendt[30] - [31]. Dans ce disque, les expĂ©rimentations d'Iturralde et Paco s’éloignent de leurs compositions prĂ©cĂ©dentes, et de celles, antĂ©rieures de prĂšs d’une dĂ©cennie, de Miles Davis qui s'inscrivaient en fait dans une dĂ©marche-sƓur de celle d'Iturralde et de Paco, mais inverse pourrait-on dire de fusion jazz-flamenco : car Miles partait du jazz pour approcher « de l'extĂ©rieur » l'esthĂ©tique et les constantes du flamenco[31] : ce sont, en 1959, les Flamenco sketches qui closent l'album Kind of Blue — le thĂšme et l’album ont un grand retentissement dans l'univers du jazz, en raison des improvisations modales proposĂ©es par Miles et Bill Evans, mais aussi des solos de John Coltrane dont la couleur flamenca est bien plus qu'un dĂ©cor —, immĂ©diatement suivis, en 1960, par les Sketches of Spain[32], arrangĂ©s ou composĂ©s par Gil Evans, et qui montrent la version de Miles du Concerto d'Aranjuez, et des titres Ă©vocateurs du flamenco : Saeta et Solea. Nul doute que la dĂ©marche de Miles Davis a influencĂ© Iturralde et Paco dans leurs projets ultĂ©rieurs de fusion flamenco-jazz-rock. RĂ©guliĂšrement, Paco reviendra (en plus de ses collaborations avec McLaughlin, Al Di Meola, Coryell, Corea et Santana) Ă  ces explorations de fusion flamenco-jazz[33], comme l'atteste par exemple la rumba Casa Bernardo qui clĂŽt l'album multi-primĂ© Cositas Buenas en 2004, avec notamment la participation de Jerry GonzĂĄlez Ă  la trompette.

Fichier audio
Extrait du titre Entre dos aguas (Entre deux eaux) de Paco de Lucía, arrangé et joué par Michael Laucke.
Photographie montrant un homme jouant de la guitare.
Paco de LucĂ­a au festival MĂĄlaga en Flamenco (2007).

À partir de la publication de son album Fuente y caudal (La source et le flux) en 1973, la musique de Paco de LucĂ­a touche le grand public : on y trouve entre autres la rumba Entre dos aguas, grand succĂšs, qui, dit-on, fut presque le fruit du hasard lors d'une improvisation en fin de sĂ©quence de travail en studio[3] - [B 29]. Dans l'Ă©mission « La hora de... : la guitarra de Paco de LucĂ­a » qui lui est consacrĂ©1 h 2 min 45 s_67-0">[B 30], il raconte lui-mĂȘme, en 1976, l'anecdote de la genĂšse de cette piĂšce qui sera si importante pour sa popularitĂ©. Avec ce titre, le flamenco de Paco entre pour la premiĂšre fois dans les boĂźtes de nuit Ă  la mode. On trouve aussi dans l'album la dĂ©licatesse des trĂ©molos et les audaces harmoniques de Solera (BulerĂ­as por soleĂĄ), de Plaza de San Juan (AlegrĂ­as), et du morceau Ă©ponyme Fuente y caudal (Taranta)[34], qui sont jouĂ©s Ă  la guitare seule. Le disque devient en peu de mois numĂ©ro un des ventes en Espagne[35]. En 1975, Paco de LucĂ­a se produit avec son frĂšre RamĂłn en concert au prestigieux ThĂ©Ăątre royal de Madrid, c'est le premier artiste de flamenco Ă  accĂ©der Ă  cette salle[B 31] habituellement plutĂŽt rĂ©servĂ©e Ă  la musique classique. Le guitariste se rapproche d'une reconnaissance internationale. Avec les annĂ©es, sa musique s'est progressivement ouverte Ă  de nouveaux styles, en mĂȘme temps qu'il la faisait entendre dans des aires de diffusion de plus en plus larges et d'autant plus Ă©loignĂ©es des traditionnels tablaos et des peñas oĂč il officiait jusque-lĂ . Au cours des annĂ©es 1970, il se produit avec un succĂšs grandissant dans toute l'Europe, en AmĂ©rique du Nord et au Japon[B 32].

Lors de ces tournées, qui occupent désormais la majeure partie de son temps, il rencontre des musiciens fameux venus d'horizons divers. Des affinités et des projets musicaux en commun naissent de ces contacts, ce qui accentue sa propension déjà exprimée à hybrider son flamenco avec des univers musicaux qu'il découvre compatibles, non seulement la musique latine, mais aussi le jazz, le rock, le blues, voire les musiques indienne et arabe[9].

Cette fusion lui apparaĂźt d'autant plus Ă  portĂ©e de main et stimulante que son aisance virtuose dans tous les secteurs et types de jeu de la guitare n'est plus Ă  dĂ©montrer. On pourrait presque dire, Ă  la suite de l'Ă©crivain espagnol JosĂ© Manuel Caballero Bonald, qu'au-delĂ  mĂȘme de la virtuositĂ©, Paco de LucĂ­a faisait preuve d'un vĂ©ritable « virtuosisme Ă©nigmatique[36] » littĂ©ralement enflammĂ© de duende. Ce « virtuosisme » lui permet une adaptation rapide Ă  des styles pourtant tout Ă  fait Ă©trangers Ă  son imprĂ©gnation initiale, et lui offre la possibilitĂ© d'orienter sa guitare dĂ©sormais vers d'autres projets musicaux plus ambitieux encore19 min 45 s_73-0">[B 33].

Musique classique

Par la suite, Paco de LucĂ­a adapte aussi en style flamenco plusieurs thĂšmes de compositeurs espagnols de musique classique, qui Ă©taient eux-mĂȘmes influencĂ©s par le flamenco, en une sorte de « va-et-vient » de fusions convergentes : c'est d'abord Manuel de Falla en 1978 avec l'album Interpreta a Manuel de Falla (notamment une version trĂšs rythmique et innovante pour le flamenco de la cĂ©lĂšbre Danse rituelle du feu, avec flĂ»te et basse Ă©lectrique)[37] - [B 34]. Son incursion dans le domaine de la musique savante choque alors l'interprĂšte classique AndrĂ©s Segovia[B 35].

Quelques annĂ©es plus tard, en 1991, il enregistre avec l'Orchestre de CadaquĂ©s, dirigĂ© par le chef d'orchestre Edmon Colomer, l'Ɠuvre majeure de JoaquĂ­n Rodrigo : le Concerto d'Aranjuez, en prĂ©sence du compositeur lui-mĂȘme, ĂągĂ© de 90 ans et aveugle[B 36] - [38]. Ne lisant pas le solfĂšge, Paco s'Ă©tait isolĂ© pendant une vingtaine de jours pour parvenir Ă  dĂ©chiffrer la partition Ă  l'aide d'un manuel de musique[B 37]. Des annĂ©es plus tard, il confie dans une interview qu'il avait appris la totalitĂ© du concerto d'oreille (Ă  80 %), Ă  l'aide de ses disques, s'enfermant un mois avec eux dans sa maison du YucatĂĄn, et Ă  20 % seulement avec la partition et les tablatures, parce qu'il avait du mal Ă  lire la musique[39]. Le rĂ©sultat est une interprĂ©tation originale, fidĂšle, dans les grandes lignes, Ă  la composition de Rodrigo[B 37]. Pour le musicologue Guillermo Castro BuendĂ­a, « il rĂ©alise lĂ  une importante version dans laquelle est mis en Ă©vidence l'aspect rythmique de la composition de JoaquĂ­n Rodrigo, en gĂ©nĂ©ral nĂ©gligĂ© dans les mains d'autres guitaristes[B 38]. » Mais, par cette initiative risquĂ©e[B 36], « il ravive la polĂ©mique du divorce consommĂ© entre le monde classique et le flamenco[B 38]. » En effet, l'artiste de flamenco s'attire la rĂ©probation du guitariste classique Narciso Yepes, auteur d'une version du concerto en 1947, alors que Rodrigo, qui, en 1960, n'avait pas apprĂ©ciĂ© la version de Miles Davis[38], juge son interprĂ©tation « belle, exotique et inspirĂ©e[35] »[B 39]. Paco lui-mĂȘme avait devancĂ© ce point de vue, confiant Ă  Enrique Planas (du pĂ©riodique pĂ©ruvien El Comercio)[39] : « Les musiciens classiques sont plutĂŽt racistes ! [rire] LĂ , ce concerto est jouĂ© comme doit le faire un Espagnol. Les musiciens classiques ont un son trĂšs beau, mais ils n'ont aucune idĂ©e de ce qu'est le rythme. »

La mĂȘme annĂ©e, il a aussi enregistrĂ© en trio avec les guitaristes JosĂ© MarĂ­a Bandera SĂĄnchez et Juan Manuel Cañizares, trois extraits d'Iberia d'Isaac AlbĂ©niz : Triana, El AlbaicĂ­n, El Puerto, complĂ©tant ce disque d'Aranjuez[40].

Collaborations et crossover[41]

Photographie en noir et blanc montrant trois guitaristes assis.
En 1981, un trio réunit les guitaristes John McLaughlin, Al Di Meola et Paco de Lucía.
Peinture représentant un homme chantant et un guitariste
CamarĂłn de la Isla et Paco de LucĂ­a, par Antonio Guijarro Morales.

ParallĂšlement Ă  la crĂ©ation d’une Ɠuvre personnelle, Paco de LucĂ­a collabore avec de nombreux musiciens de jazz et/ou guitaristes rĂ©putĂ©s : Larry Coryell[42], Chick Corea, Carlos Santana[N 3], Eric Clapton
 En 1981, un trio rĂ©unit les guitaristes John McLaughlin, Al Di Meola et Paco de LucĂ­a avec le disque en public Friday Night in San Francisco enregistrĂ© Ă  l'issue d'une tournĂ©e mondiale[43] - [B 40], qui se classe rapidement parmi les meilleures ventes historiques de disques de guitare instrumentale[44]. RĂ©ussite confirmĂ©e en 1983 par le succĂšs de l'album Passion, Grace and Fire du mĂȘme trio de guitares. Au contact de ces jazzmen, cet artiste, qui ne lit pas la musique, se familiarise avec les codes de l'improvisation jazz, basĂ©e sur une suite d'harmonies Ă  respecter. En effet, l'improvisation flamenco a ses codes propres. MalgrĂ© ces difficultĂ©s, il apprend Ă  jouer sur scĂšne avec des spĂ©cialistes en la matiĂšre, au prix de maux de tĂȘte terribles, disait-il lui-mĂȘme avec humour15 min 0 s_40-1">[B 23], si ce n'est qu'il s'agissait d'une opĂ©ration complexe : dĂ©sapprendre des rĂ©flexes acquis pour les recomposer autrement, sans pour autant dĂ©sorganiser en soi les conventions initiales[B 41].

Il a explorĂ© Ă  fond ces ouvertures sans jamais oublier son univers musical d'origine : il a continuĂ© Ă  composer et enregistrer des albums plus nettement flamencos, et a partagĂ© ses tournĂ©es dans le monde entier entre ses collaborations jazz et les tournĂ©es de son sextet de flamenco. Il s'est aussi associĂ© Ă  l'enregistrement de nombreux albums de la grande figure du chant flamenco CamarĂłn de la Isla[45] - [B 42] : neuf albums co-rĂ©alisĂ©s de 1969 Ă  1977[B 38], puis cinq albums de CamarĂłn oĂč Paco apparaĂźt, parfois avec Tomatito, de 1981 Ă  2006 (dont un posthume[46] - [47] pour CamarĂłn donc). Cette rencontre, artistique et amicale, fut dĂ©cisive pour les deux artistes, mais aussi pour le flamenco car leur tandem et ses succĂšs auront une grande influence sur l'Ă©volution gĂ©nĂ©rale de cette musique[48]. Paco en parle ainsi[3] : « En tournĂ©e, nous partagions la mĂȘme chambre d'hĂŽtel. Nous Ă©tions trĂšs crĂ©atifs et avions de grands rĂȘves. Je prĂ©fĂ©rais le chant Ă  la guitare. Pour lui, c'Ă©tait l'inverse. Parfaitement complĂ©mentaires, nous improvisions des nuits entiĂšres [en Ă©changeant les rĂŽles]. »

Consécration et mort

Photographie en plan rapproché d'un homme dans la maturité, assis, jouant de la guitare les yeux mi-clos, la guitare posée sur son genou droit, jambe repliée posée sur genou gauche, dans la posture habituelle pour la guitare flamenca.
Paco de Lucía, jouant toujours trÚs concentré au Vito Jazz Festival en juillet 2010.

Paco de LucĂ­a a influencĂ© de nombreux guitaristes de tous genres, au-delĂ  mĂȘme du flamenco, et a ouvert la voie Ă  l'expression d'un nouveau flamenco qui Ă©largit considĂ©rablement son audience Ă  travers le monde[49] - [50].

Plusieurs flamencologues, notamment Félix Grande, qui lui a consacré un livre en partage avec le chanteur Camarón, ainsi que Guillermo Castro Buendía[51], qui a publié l'article « Paco de Lucía y su importancia histórica »[B 43], le considÚrent comme le meilleur guitariste de toute l'histoire du flamenco et l'un des meilleurs guitaristes de l'histoire.

À l'automne 2004, Paco de LucĂ­a reçoit Ă  Oviedo le prix Prince des Asturies des arts qui est le plus prestigieux d'Espagne[52]. Ce prix est accordĂ© aux artistes de toutes disciplines et de toutes nationalitĂ©s dont l’expression et l’Ɠuvre reprĂ©sentent un apport dĂ©cisif au patrimoine culturel de l’humanitĂ©. Le jury a estimĂ© qu’il Ă©tait « considĂ©rĂ© comme le plus universel des artistes flamenco, son style a fait Ă©cole parmi les plus jeunes gĂ©nĂ©rations et son art est devenu un des meilleurs ambassadeurs de la culture espagnole Ă  travers le monde »[53] et que « tout ce qui peut s'exprimer avec les six cordes d'une guitare peut sortir de ses mains, qui s'animent avec l'Ă©mouvante profondeur de la sensibilitĂ© ». Selon la fondation Prince des Asturies, « Paco de LucĂ­a a dĂ©passĂ© les frontiĂšres et les styles, pour devenir un musicien de dimension universelle. À partir de la guitare flamenco, il a aussi explorĂ© le rĂ©pertoire classique espagnol, d'Isaac AlbĂ©niz Ă  Manuel de Falla, l'Ă©motion de la bossa nova et du jazz[52] ». Il est le seul artiste de flamenco Ă  avoir jamais reçu cette distinction.

Il devient Docteur honoris causa de l’universitĂ© de Cadix en 2007, et du Berklee College of Music en 2010[B 20].

Paco de LucĂ­a vivait jusqu'Ă  sa mort Ă  Palma de Majorque en Espagne, oĂč un studio d'enregistrement Ă©tait Ă  sa disposition dans sa maison mĂȘme[53].

Il est mort le , d'une crise cardiaque, Ă  Playa del Carmen, au Mexique[54], oĂč il passait des vacances (entre autres pour pratiquer une autre passion : l'exploration et la pĂȘche sous-marines). À la presse, sa famille dĂ©clare : « Paco de LucĂ­a a vĂ©cu comme il l'a voulu, et il est mort ainsi, jouant avec ses enfants au bord de la mer... »[55].

Amis et parents de Paco de LucĂ­a portant son cercueil sur le chemin de l'Ă©glise Notre-Dame de la Palma (AlgĂ©siras, Andalousie, Espagne), le . En tĂȘte des porteurs Ă  gauche, on reconnaĂźt le guitariste flamenco Vicente Amigo, l'un des nombreux amis et disciples de Paco.

À l'annonce de sa mort, Mariano Rajoy , prĂ©sident du gouvernement d'Espagne, JosĂ© Ignacio Wert, ministre de l'Éducation et de la Culture et Alfredo PĂ©rez Rubalcaba, chef du principal parti d'opposition lui rendent un hommage public, tandis que la famille royale d'Espagne adresse ses condolĂ©ances Ă  sa famille[56].

Le 28 février, date du Jour de l'Andalousie, Susana Díaz, présidente de la Junte d'Andalousie, Manuel Gracia, président du Parlement d'Andalousie, le chanteur Miguel Ríos et la chanteuse Estrella Morente, réunis dans le théùtre de la Maestranza à Séville, honorent la mémoire de l'artiste au cours d'une cérémonie officielle[57].

Son corps est rapatriĂ© en Espagne, et enterrĂ© au vieux cimetiĂšre d'AlgĂ©siras, patio de San JosĂ©, oĂč reposent aussi ses parents[58]. Depuis, un mausolĂ©e y a Ă©tĂ© Ă©rigĂ© en son honneur ainsi qu'une statue de bronze sculptĂ©e par Nacho Falgueras[59].

En 2014, l'annĂ©e de sa mort, la Bienal de Flamenco, Ă  laquelle il avait participĂ© en 1984 en tant que juge artistique sur le thĂšme de la guitare[60], lui rend hommage[61], de mĂȘme que le Festival de Flamenco de Jerez[62] oĂč une minute de silence est observĂ©e avant chaque spectacle.

Le , un projet d'extension de la ligne 9 du mĂ©tro madrilĂšne, lancĂ© en 2009, s'achĂšve par l'inauguration d'un nouveau terminus : la station Paco de LucĂ­a. NommĂ©e en hommage au musicien qui habitait dans le quartier de Mirasierra, cette derniĂšre abrite une fresque murale de 300 m2, figurant un portrait de l'artiste[63] - [64].

En 2017, Louis Winsberg et son groupe de jazz Jaleo lui rend hommage dans un album intitulé For Paco[65].

  • Photographie d'une pierre tombale horizontale recouverte de fleurs.
    Pierre tombale de Paco de Lucía au vieux cimetiÚre d'Algésiras.
  • Photo couleur de l'intĂ©rieur d'une salle de confĂ©rence. Sur un tapis vert formant la scĂšne, une dizaine de personnes se tiennent debout les mains jointes, le visage tournĂ© vers un grand Ă©cran sur lequel est projetĂ©e l'image (fond noir) d'un homme barbu, assis, tenant une guitare. Des spectateurs sont assis au premier plan.
    Hommage officiel rendu Ă  Paco de LucĂ­a (SĂ©ville, 2014).
  • Photo couleur d'une fresque murale dans une station de mĂ©tro. Elle figure le visage d'un jeune homme partiellement composĂ© de triangles de diverses couleurs.
  • Photographie d'une statue de guitariste assis croisant ses jambes et tenant sa guitare en mains.
    Statue de Paco de Lucia Ă  AlgĂ©siras, Ɠuvre du sculpteur Nacho Falgueras.

Influences et apports

Peinture représentant, sur fond rouge, un homme chantant et un guitariste.
CamarĂłn y Paco.
Peinture Fernando Apodaca.

J. M. Valenzuela résume ainsi l'apport de Paco de Lucía :

« Dans le monde de la musique il y a peu de figures indiscutables, peu de gĂ©nies capables de durer des dĂ©cennies sans recevoir une seule critique nĂ©gative. Le cas de Paco de LucĂ­a est, probablement, unique. [
] Dans les annĂ©es 1960, ses travaux (ou parutions) avec ses frĂšres Pepe de LucĂ­a et RamĂłn de Algeciras et, surtout, le retentissement que connut la paire qu'il a formĂ©e avec CamarĂłn de la Isla, ont totalement bouleversĂ© la maniĂšre de voir, interprĂ©ter et Ă©couter le flamenco. Dans les palos classiques ont infusĂ© (se sont faufilĂ©s) de nouveaux rythmes, de nouvelles harmonies et mĂȘme de nouveaux instruments. Paco et CamarĂłn ont redĂ©fini le genre et l'ont fait sortir du tablao pour porter leur musique dans les plus grandes enceintes. »

— J. M. Valenzuela, Un revolucionario de la guitarra, El País, [vo 3] - [8].

Convergence

Paco de LucĂ­a, selon ses propres dires, mĂȘme s'il fut d'abord l'Ă©lĂšve de son pĂšre puis d'El Titi de Marchena[7] (cousin germain de Melchor de Marchena, autre guitariste connu adepte du toque gitano, jeu de style gitan), a surtout reçu l'influence de deux Ă©coles distinctes de jeu pour la guitare flamenca. C'est d'abord celle d'el Niño Ricardo (1904-1972), considĂ©rĂ© comme une des figures les plus Ă©minentes de la guitare flamenca et prĂ©curseur le plus direct de Paco de LucĂ­a (« Ricardo avait une expression, une crĂ©ativitĂ© que pas mĂȘme Sabicas ne possĂ©dait » selon Paco de LucĂ­a23 min 30 s_115-0">[B 44]). Puis vient celle de Sabicas (1912-1990), qu'il considĂ©rait comme son influence majeure pour la beautĂ© du son, le dĂ©veloppement, le perfectionnement et l'innovation technique dans le jeu de la guitare flamenca enfin considĂ©rĂ©e comme instrument de concert soliste[66]. Auparavant, la guitare Ă©tait plutĂŽt un instrument d'accompagnement des cantaores[67], mĂȘme si l'on intercalait dĂ©jĂ  depuis longtemps des parties en solo, des phrases mĂ©lodiques et lyriques nommĂ©es falsetas, pendant les suspensions du chant13 min 40 s_118-0">[B 45].

Sabicas et Paco de LucĂ­a ont parachevĂ© et synthĂ©tisĂ© ce mouvement d'Ă©mancipation et de singularisation de la guitare flamenca, dans une longue et double lignĂ©e d'intention qui avait Ă©tĂ© probablement initiĂ©e dĂšs le XIXe siĂšcle : d'un cĂŽtĂ© par le Maestro Patiño (1829-1902)[68], passant le tĂ©moin successivement Ă  Paco El Barbero[69] (1840-1910), lequel donne en 1885 des rĂ©citals de guitare mĂȘlant des piĂšces de guitare flamenca et de guitare classique, puis Ă  Javier Molina[70] (1868-1956), Ă  Rafael del Águila[71] (1900-1976), puis Ă  la saga des Morao de Jerez (dont MoraĂ­to Chico[72] - [73], 1956-2011) constituant peu Ă  peu ce que l'on a appelĂ© le toque jerezano (« jeu de guitare de Jerez »), marquĂ© par un traitement privilĂ©giĂ© et particulier du rythme. De l'autre cĂŽtĂ©, cette Ă©volution du style guitaristique flamenco est entrĂ©e en rĂ©sonance, et mĂȘme en confluence chez Sabicas et Paco[74], avec une autre lignĂ©e, celle qui empruntait de plus en plus de traits et de techniques, d'Ă©lĂ©ments mĂ©lodiques Ă  la guitare classique espagnole[75], et qui fut illustrĂ©e d'abord par Miguel Borrull (1866-1926, Ă©lĂšve du compositeur espagnol, pĂšre de la guitare classique moderne, Francisco TĂĄrrega)[76], puis par les Montoya : RamĂłn Montoya[77] (1879-1949), un des premiers « concertistes classiques », seul en scĂšne, de la guitare flamenca[78], lui-mĂȘme inspirĂ© par Miguel Llobet l'un des guitaristes classiques les plus notoires de son temps[79] ; puis son neveu Carlos Montoya (1903-1993) et Niño Ricardo[80]. AprĂšs Sabicas et Paco de LucĂ­a, inventeurs de nouveaux standards de jeu et de nouvelles rĂ©fĂ©rences avec les SanlĂșcar et les Habichuela, les guitaristes de la gĂ©nĂ©ration suivante ont bien sĂ»r prolongĂ© cette voie d'Ă©mancipation de la guitare flamenca, parmi lesquels on peut distinguer entre autres comme hĂ©ritiers directs : Tomatito[81] (1958), Gerardo NĂșñez[78] (1961), Rafael Riqueni (1962)[B 46], Vicente Amigo[82] (1967), Diego del Morao[83] (1978).

Photographie en noir et blanc montrant un chanteur accompagné d'un guitariste.
Juan el de la Vara accompagné par Paco de Lucía en 1972.

ParallĂšlement au rĂŽle que ces Ă©minents solistes ont jouĂ© dans cette crĂ©ation de la guitare flamenca comme instrument autonome, parfois mĂȘme auto-suffisant, au centre de la scĂšne, il faut remarquer qu'ils n'ont jamais dĂ©laissĂ© leur rĂŽle d'accompagnateur pour les plus grands cantaores de leur temps, jusqu'Ă  constituer des duos fameux : par exemple Miguel Borrull, Javier Molina ou surtout RamĂłn Montoya pour Antonio ChacĂłn[84] ; encore RamĂłn Montoya pour la Niña de los Peines ; Juan Gandulla Habichuela ou Miguel Borrull ou Javier Molina pour Manuel Torre[85] ; Melchor de Marchena pour Manolo Caracol ou Antonio Mairena[B 47] ; Sabicas pour Carmen Amaya ; Manolo SanlĂșcar et Pepe Habichuela pour Enrique Morente ; MoraĂ­to Chico pour JosĂ© MercĂ© ; Vicente Amigo pour El Pele, Miguel Poveda, Potito (pour AmoralĂ­) et de nombreux autres ; Diego del Morao pour La Macanita, Diego el Cigala ou Niña Pastori ; bien sĂ»r Paco de LucĂ­a, puis Tomatito et Vicente Amigo pour CamarĂłn[86] ; de mĂȘme que l'accompagnement de danseuses comme celui de Carlos Montoya pour La Argentina puis La Argentinita. Au dĂ©but de sa carriĂšre, Paco de LucĂ­a, avait Ă©tĂ© sollicitĂ© pour accompagner des cantaores de la gĂ©nĂ©ration prĂ©cĂ©dente ou dĂ©jĂ  installĂ©s dans le paysage flamenco du dĂ©but des annĂ©es 1960, comme Fosforito[B 48] (aussi en 2013, pour son album « testament » : Cante y guitarra), ou encore El Lebrijano[B 48], Porrina de Badajoz, Naranjito de Triana, MarĂ­a Vargas, El Chato de La Isla[B 38]. Dans les annĂ©es 2000, il a aussi accompagnĂ© des cantaores et cantaoras de la nouvelle gĂ©nĂ©ration comme Duquende (pour l'album Samaruco en 2000[87]), Miguel Poveda (notamment pour son album ArteSano en 2012)[88], Montse CortĂ©s[89], Estrella Morente[46] entre autres.

Paco de LucĂ­a a portĂ© Ă  son plus haut niveau d'incandescence cette synthĂšse que Sabicas, aprĂšs les Montoya et Niño Ricardo, avait rĂ©ussi Ă  Ă©tablir pour asseoir la place de la guitare dans la scĂ©nographie culturelle et historique du flamenco : au centre, mais solitaire. « Avant eux, les guitaristes du flamenco passaient inaperçus, accompagnateurs anonymes des chanteurs et danseurs[90] »[91]. DĂ©sormais, Ă  cĂŽtĂ© du chant et de la danse, la musique du guitariste est une composante Ă  part entiĂšre du flamenco13 min 40 s_118-1">[B 45].

Approfondissement

Photographie en noir et blanc montrant deux hommes posant devant une porte.
Les guitaristes Paco Peña et Sabicas à Cordoue, devant l'école du premier.

Assumant totalement cet héritage, mais en l'élargissant, Paco de Lucía garde cette place centrale à la guitare. Mais il en fait comme le point de focale convergente et l'élément structurant d'un ensemble plus vaste et plus collectif, intégrant un groupe de musiciens élargi, introduisant des instruments nouveaux, investissant le concept de groupe emprunté à l'univers du jazz et à la scÚne rock, recréant l'espace flamenco comme spectacle total par le dialogue interpersonnel que la guitare, maßtre du jeu, noue successivement avec chacune des composantes de l'art flamenco. Il approfondit les innovations de Sabicas à la guitare et les met en synergie avec ces divers éléments[90].

La contribution de Sabicas au flamenco Ă©tait double. D'un cĂŽtĂ©, il Ă©largissait la technique de la guitare flamenca : il a inventĂ©, par exemple, le battement Ă  trois doigts seulement de l'accord plaquĂ© et rythmique ou frottĂ© « au galop », ou l’alzapĂșa sur une seule corde (au lieu d'un accord) en rĂ©ponse Ă  la corde libre[91]. De l'autre cĂŽtĂ©, Sabicas se distinguait pour la premiĂšre fois dans le flamenco comme un compositeur Ă  part entiĂšre, parce que ses Ɠuvres ne se prĂ©sentaient plus comme une suite de falsetas semi-improvisĂ©es rĂ©unies en un thĂšme unique pouvant se passer de parties chantĂ©es, mais se caractĂ©risaient par une structure mĂ©lodique (exposition/variations/reprises), rythmique et harmonique parfaitement cohĂ©rente du dĂ©but Ă  la fin du morceau, tout comme une Ɠuvre classique. Ceci ne s'Ă©tait quasiment jamais fait dans le flamenco, Ă  l'exception de quelques tentatives isolĂ©es de contemporains, par exemple Esteban de SanlĂșcar (1910-1989), dans des crĂ©ations comme Mantilla de feria (« Mantille de fĂȘte ») ou Panaderos flamencos (« Boulangers flamencos »). Ainsi les prestations scĂ©niques de Sabicas manifestaient un art parvenu Ă  sa maturitĂ© : technique accomplie, sonoritĂ© puissante Ă  forte pulsation (il prĂ©fĂ©rait souvent jouer en scĂšne sans aucun micro), qualitĂ©, ambition et originalitĂ© des compositions.

Photo couleur d'un homme tout de noir vĂȘtu, assis, de face, en train de jouer de la guitare.
Placement de la guitare par un instrumentiste classique.

Paco de LucĂ­a a repris l'ensemble de ces Ă©lĂ©ments et de ces acquis de son aĂźnĂ©, en les accentuant[90]. Parmi les innovations techniques apportĂ©es par Paco, la plus visible est le placement de son instrument Ă  l'horizontale, la caisse de rĂ©sonance reposant sur sa cuisse droite, la jambe droite repliĂ©e sur sa jambe gauche, contrairement Ă  la pratique antĂ©rieure. Dans cette position, moins rigide et plus stable, la guitare s’éloigne du corps et laisse plus de place Ă  la main gauche sur le manche. Cela permet de jouer des mĂ©lodies et des accords jusque-lĂ  impossibles[90] - [91] - [B 49]. Lorsque, dans les annĂ©es 1960, Paco a fait son entrĂ©e sur la scĂšne de la musique flamenco, les techniques distinctives de la guitare flamenca Ă©taient dĂ©jĂ  fermement Ă©tablies. Le picado, l'alzapĂșa, le trĂ©molo, le rasgueado et les arpĂšges formaient l'arsenal de base du guitariste flamenco[92]. DĂšs sa premiĂšre crĂ©ation artistique en solo, La fabulosa guitarra de Paco de LucĂ­a, il a dĂ©montrĂ© non seulement sa maĂźtrise du rythme et du contrepoint, mais surtout sa vĂ©locitĂ© dans l'exĂ©cution d'alzapĂșas et de picados[B 50] - [93]. Son deuxiĂšme album en solo, FantasĂ­a flamenca de Paco de LucĂ­a, a dĂ©voilĂ© son art du silence pour nuancer l'Ă©motion qu'il souhaitait transmettre, et la clartĂ© de ses rapides trĂ©molos[B 50]. À l'image de son prĂ©dĂ©cesseur Sabicas[B 51], dont la virtuositĂ© est reconnue[B 52], Paco s'est forgĂ© une solide rĂ©putation d'habile technicien de la guitare grĂące, en particulier, Ă  la rapiditĂ© de ses picados[B 53] - [94]. Son pouce de la main droite orientĂ© vers la paume et ses phalanges intermĂ©diaires recourbĂ©es vers l'intĂ©rieur de la main lui permettraient de dĂ©velopper davantage de puissance qu'un Sabicas qui maintenait ses doigts raides[95]. L'instrumentiste d'AlgĂ©siras a aussi innovĂ© de sa main gauche, du cĂŽtĂ© du manche de la guitare, dans la pratique du glissando et des tirĂ©s de cordes[92].

Ouverture

Photographie en noir et blanc d'un homme assis jouant de la guitare, une cigarette aux lĂšvres.
Paco de LucĂ­a en Arles (France) avant un concert avec John McLaughlin.

La plus grande contribution de Paco de Lucía au flamenco est d'avoir réussi à le populariser et à l'internationaliser sans lui faire perdre son ùme[50].

Il mĂȘle le flamenco Ă  d'autres styles de musique qui, bien que de structures mĂ©lodiques et rythmiques diffĂ©rentes, peuvent vibrer avec lui. D'abord, la plupart des musiques latines et latino-amĂ©ricaines, mais aussi le jazz, le jazz-rock, le latin-rock, la pop musique, les musiques arabe et indienne. Certes, il n'est pas le seul ni le premier Ă  l'avoir fait : certains l'ont prĂ©cĂ©dĂ©, accompagnĂ© ou suivi sur ce chemin, comme le guitariste Pepe Habichuela[96], ou les cantaores Enrique Morente[97], Duquende, Diego El Cigala, Buika[98], Miguel Poveda. Mais il est certainement celui qui a donnĂ© le plus d'ampleur Ă  ce mouvement. En tĂ©moignent les nombreuses collaborations de Paco de LucĂ­a avec de grandes vedettes de la scĂšne jazz-rock de l'Ă©poque (comme on l'a vu ci-dessus Ă  la section Collaborations et crossover) ; comme il Ă©tait trĂšs demandĂ©, cela lui a ouvert les plus grandes scĂšnes des festivals du monde entier[99].

Il a ainsi ouvert la voie aux expĂ©rimentations et fusions regroupĂ©es dans le courant du nouveau flamenco (ou flamenco nuevo), mais aussi Ă  d'autres tentatives en provenance d'artistes d'autres univers musicaux qui se rapprochent du flamenco pour « faire ensemble un bout de chemin », ou pour dĂ©celer des correspondances secrĂštes et anciennes dans le prĂ©cieux palimpseste des musiques du monde, comme avec les musiques indiennes — n'oublions pas que les Gitans seraient venus, depuis l'an 1000 environ, du nord-ouest du sous-continent indien, arrivant en Europe comme en Espagne au XVe siĂšcle[100] —, lorsque la sitariste Anoushka Shankar (album Traveller en 2011) reconduit dans l'autre sens avec Pepe Habichuela et d'autres musiciens flamencos le geste qui avait conduit Paco de LucĂ­a Ă  rencontrer son pĂšre, Ravi Shankar, et Ă  marier le son de la guitare flamenca avec celui du sitar[N 4].

Le cadre traditionnel du flamenco dans les tablaos était relativement immuable : un(e) cantaor(a), un(e) bailaor(a), un guitariste, parfois accompagné d'une seconde guitare, les percussions étant prises en charge exclusivement par les palmas (frappe des mains), le taconeo (claquettes), les castagnettes. Avec la création de son sextet, empruntant le concept de groupe à l'univers du jazz et à la scÚne rock, Paco fait exploser ce cadre, ou lui fait exprimer tout autre chose. Ce sextet était composé de membres quasiment permanents, que rejoignaient selon l'opportunité divers autres musiciens : outre Paco et sa guitare, il y avait ses frÚres, Ramón de Algeciras (deuxiÚme guitare) et Pepe de Lucía (cante), puis Carles Benavent (basse), Jorge Pardo (flûte, saxophone), et Rubem Dantas (percussions).

Au grĂ© des Ă©volutions et des concerts comme au fil du temps, le sextet de Paco de LucĂ­a, Ă  peu prĂšs permanent, s'est Ă©largi et a invitĂ© de nombreux autres artistes, parmi lesquels Antonio Serrano (harmonica, claviers), ou Ă  la guitare Juan Manuel Cañizares, JosĂ© MarĂ­a Bandera SĂĄnchez (neveu de Paco), Antonio Sanchez Palomo, Ă  la basse Álvaro YĂ©benes, Alain Perez, au chant (cante) David de Jacoba, Duquende, Montse CortĂ©s, Rafaelito Utrera, Ă  la danse (baile) JoaquĂ­n Grilo, Farru, aux percussions El Piraña. À plusieurs reprises, soit sur ses propres disques, soit sur ceux de Dolores[101] - [102], groupe de jazz-rock des annĂ©es 1970, Paco a collaborĂ© avec son fondateur le batteur et chanteur Pedro Ruy-Blas. Il a partagĂ© la scĂšne aussi avec RubĂ©n Blades (le chanteur de salsa panamĂ©en), et avec de nombreux autres.

Mais l'expĂ©rimentation musicale Ă©tait l'objectif, et Paco est restĂ© maĂźtre du jeu, assez loin de toute visĂ©e commerciale ou iconoclaste. En 1986, comme le rapporte son fils Curro dans une interview de 2015, Paco de LucĂ­a est approchĂ© par Ronnie Wood, le guitariste des Rolling Stones, qui l’avait entendu jouer avec Bryan Adams, et qui voulait faire quelque chose d’important avec lui.

« Pour le convaincre, il lui a fait suivre trois disques des Stones. Quand mon pĂšre a Ă©coutĂ©, il a dit quelque chose comme : « Ces gars-lĂ  ont sans doute du talent, mais ils sont trop bruyants pour moi, cette façon de jouer, ce n’est pas mon truc.» La proposition avait beau ĂȘtre allĂ©chante financiĂšrement, il l’a dĂ©clinĂ©e. »

— Curro SĂĄnchez Varela, interviewĂ© par Anne Berthod le pour le magazine TĂ©lĂ©rama[103].

Photo panoramique montrant des musiciens et des chanteurs sur scĂšne
Paco de Lucía au Gibralfaro de Malaga, Espagne, le ; les grands concerts du Paco de Lucía Sextet, devenu parfois septuor, octuor, et plus, au gré des artistes invités.

Varier les timbres

Photo noir et blanc d'un homme en concert jouant de la trompette.
Le compositeur et trompettiste de jazz américain Miles Davis (1963).

Cette ouverture n'a pas été que stylistique (comme pour la fusion flamenco/jazz-rock), mais aussi harmonique et timbrique, notamment aprÚs sa découverte de la bossa nova[104] - [B 55].

Il a ainsi employé de nouveaux accords, de nouvelles suites harmoniques, mais aussi des ruptures dans ces suites harmoniques (empruntées au jazz et au blues), inhabituelles dans le paysage sonore et les harmonies du flamenco. De plus, sans jamais oublier le rÎle central de sa guitare, Paco de Lucía n'a eu de cesse d'introduire de nouveaux sons et de nouveaux instruments dans le flamenco, pour le faire sortir de son archétype folklorique et le faire accéder au statut de musique universelle[105] - [B 50].

Ainsi, pour lui et grĂące Ă  lui, le flamenco, dont il a Ă©tendu la richesse du langage, peut ĂȘtre jouĂ© sur toutes les scĂšnes, sur tous les instruments, et par tout le monde, pas seulement les Gitans de Triana ni les Espagnols en gĂ©nĂ©ral[105] - [B 56]. De mĂȘme, le blues et le jazz ne sont plus l'apanage des Noirs du Delta et des faubourgs de La Nouvelle-OrlĂ©ans, ni le tango celui des quartiers chauds de Buenos Aires.

On pourrait dire, bien que les contextes et les rĂ©sultats en soient extrĂȘmement diffĂ©rents, que Paco de LucĂ­a a jouĂ© pour le flamenco un rĂŽle assez analogue Ă  celui d'Astor Piazzolla pour le tango (donnant naissance au Tango nuevo)[106], ou de Miles Davis pour le jazz fusion des annĂ©es 1970-1980[107] - [108], ou encore de JoĂŁo Gilberto, AntĂŽnio Carlos Jobim et Stan Getz pour la bossa nova et le jazz-bossa nova[109] - [110] - [111].

Toujours est-il que, sans ĂȘtre toujours le premier Ă  le faire, mais en le systĂ©matisant, Paco de LucĂ­a a donc introduit dans la musique flamenca de nombreux instruments qui Ă©taient Ă©trangers Ă  son univers d'origine[B 20]. Cette initiative prend place aprĂšs le grand mouvement qui a marquĂ©, dans les annĂ©es 1950, une volontĂ© de « retour aux sources » et vers une certaine puretĂ© de style, enracinĂ©e dans le monde gitan, portĂ©e entre autres par Antonio Mairena Ă  la suite du « purisme » de GarcĂ­a Lorca et de Falla dans les annĂ©es 1920[112]. Ce mouvement se produisait en rĂ©action Ă  ce que certains artistes et aficionados considĂ©raient comme une dĂ©rive « music-hall » ou Ă  l'inverse « folkloriste » de la pĂ©riode prĂ©cĂ©dente, entre-deux guerres, qu'on appelle parfois Ópera flamenca, lors de la premiĂšre internationalisation du flamenco. De ce fait, les initiatives de Paco de LucĂ­a dans ces domaines, comme celles de ses amis CamarĂłn et Enrique Morente, n'ont pas fait au dĂ©but l'unanimitĂ© chez les spĂ©cialistes et les aficionados puristes, pour qui elles Ă©taient Ă  la limite des hĂ©rĂ©sies[112], d'autant qu'elles prĂ©ludaient Ă  une deuxiĂšme internationalisation et Ă  d'autres Ă©volutions du flamenco. Les incontestables rĂ©ussites de Paco de LucĂ­a dans cette voie ont le plus souvent achevĂ© de convaincre jusqu'aux plus rĂ©ticents au dĂ©part.

Instruments divers

Comme le flamenco Ă©tait dĂ©jĂ  depuis un certain temps devenu un vĂ©ritable concert, n'incluant plus obligatoirement de chanteur, cela laissait une place libre pour un instrument mĂ©lodique, monodique et Ă  notes tenues, toutes caractĂ©ristiques propres aussi Ă  la voix humaine (et Ă  la diffĂ©rence de la guitare, justement). Ce rĂŽle sera le plus souvent donnĂ© par Paco Ă  la flĂ»te qui fait partie intĂ©grante de la couleur musicale de son sextet flamenco, dĂšs la crĂ©ation de celui-ci. La flĂ»te est le plus souvent jouĂ©e par Jorge Pardo, flĂ»tiste virtuose issu du jazz, membre permanent du sextet (et plus tard du sextet de Carles Benavent). Pardo remplacera la flĂ»te parfois par le saxophone. En 1967, Paco avait jouĂ© et enregistrĂ© avec le saxophoniste de jazz espagnol Pedro Iturralde[113]. On verra aussi cette place tenue (rarement) par un violon, ou plus souvent par un harmonica[114] (comme lors du concert At 31st Leverkusener Jazztage en 2010, ou lors du Montreux Jazz Festival en 2012), le plus souvent jouĂ© dans les annĂ©es 2000 par Antonio Serrano (issu du jazz et de la musique classique). Paco fait aussi assez souvent appel Ă  des claviers (surtout piano, mais aussi orgue Ă©lectronique, synthĂ©tiseur, tenus encore parfois par l'harmoniciste Antonio Serrano), mĂȘme s'il n'y en eut pas d'attitrĂ© dans son sextet. Mais on se souvient de sa collaboration rĂ©currente avec le pianiste de jazz Chick Corea[115].

Autre membre permanent de son sextet, Carles Benavent et sa basse Ă©lectrique (autre « hĂ©rĂ©sie » pour les puristes), souvent Ă©tonnamment virtuose et considĂ©rĂ©e comme un instrument soliste et mĂ©lodique, ce qui donne lieu Ă  des dialogues enfiĂ©vrĂ©s de solos en rĂ©pons entre la guitare de Paco et la basse (peut-ĂȘtre dans la lignĂ©e de Stanley Clarke et de Jaco Pastorius, bassistes virtuoses du jazz-rock qui ont aussi croisĂ© la route de Paco). Il introduira parfois aussi dans sa musique d'autres instruments Ă  cordes pincĂ©es comme la mandoline, tenue aussi par Carles Benavent, et, plus rarement, l'oud ou le sitar. Paco fera aussi dialoguer sa guitare flamenca avec la guitare Ă©lectrique de Larry Coryell et celle de Carlos Santana, alors que pour leur trio, John McLaughlin et Al Di Meola ont toujours utilisĂ© avec lui plutĂŽt une guitare acoustique sonorisĂ©e, voire une guitare classique seulement amplifiĂ©e[N 5].

Percussions. Le cas du cajón péruvien

Autre apport dĂ©cisif de Paco de LucĂ­a Ă  la musique flamenca d'aujourd'hui : c'est lui qui a « importĂ© » dans le flamenco, depuis le PĂ©rou, le cajĂłn, caisse percussive empruntĂ©e aux musiques afro-pĂ©ruviennes traditionnelles des Andes. Il l'a dĂ©couvert Ă  la fin des annĂ©es 1970 lors d'une tournĂ©e en AmĂ©rique latine, pendant une fĂȘte oĂč Caitro Soto, percussionniste et compositeur pĂ©ruvien, accompagnait au cajĂłn la grande chanteuse Chabuca Granda[39]. DĂšs sa premiĂšre Ă©coute, il a l'intuition que le cajĂłn pourrait ĂȘtre la solution Ă  ce qu'il ressent comme un problĂšme rĂ©current de la percussion dans le flamenco. Le lendemain mĂȘme, en toute complicitĂ© avec son percussionniste brĂ©silien Rubem Dantas, il l'intĂšgre en concert au groupe de percussions utilisĂ©es dans son sextet d'alors. Depuis ce jour, le cajĂłn est devenu incontournable dans le flamenco contemporain, et par suite dans d'autres courants musicaux internationaux.

Paco de Lucía raconte ainsi cet événement :

« Ce fut un moment dĂ©cisif. Pas seulement pour moi, mais pour la musique en gĂ©nĂ©ral. Je l’ai toujours appelĂ© le cajĂłn pĂ©ruvien. Il y a beaucoup de gens qui ne savent pas d’oĂč vient le cajĂłn, mais moi je l’ai toujours indiquĂ© (rĂ©attribuĂ©). J’ai toujours parlĂ© de Caitro Soto, qui fut celui [qui me l'a fait entendre] pour la premiĂšre fois et qui me l’a vendu. [
] C’est lĂ  que je me suis dit : c’est de cet instrument que le flamenco a besoin [pour les percussions]. Je me suis rendu compte que le cajĂłn avait [Ă  la fois] le son grave de la plante du pied d’un danseur [sur le bois], et aussi l’aigu de son talon ferrĂ©. Je sais qu’il y a beaucoup de gens au PĂ©rou qui disent que nous les flamencos nous leur avons volĂ© le cajĂłn, mais ce n’est pas le cas. Pour ma part, je parle toujours, avec beaucoup de respect, du cajĂłn du PĂ©rou. Je serai toujours reconnaissant pour ce que m’a apportĂ© ce voyage, et pour cette nuit unique qui m’a permis de dĂ©couvrir cet instrument qui d’ailleurs aujourd’hui n’est pas jouĂ© seulement par les flamencos. Maintenant, n’importe quel groupe de rock, de pop ou de quelque musique que ce soit, comporte un joueur de cajĂłn. »

— Extrait traduit de l'article d'Enrique Planas dans le journal El Comercio du , entretien du [39].

Et il analyse ainsi le problÚme et la réponse que le cajón lui apportait :

« La question de la percussion dans le flamenco n'était pas nouvelle. Traditionnellement, on utilise les palmas [claquements de mains], mais les palmeros se fatiguent vite. On a essayé les tambours cubains, bongos et congas, mais ils donnent une couleur caraïbe, africaine, qui ne me convainc pas [cela ne sonnait pas flamenco]. En 1983, lors d'une tournée au Pérou, à une réception à l'ambassade d'Espagne à Lima, j'écoute un percussionniste noir, Caitro Soto, jouer du cajón. Le son trÚs sec m'a rappelé les claquements de talon des danseurs de flamenco. J'ai acheté un cajón à Caitro pour mon percussionniste brésilien Rubem Dantas. Un an aprÚs, tous les groupes de flamenco nous imitaient. »

— Extrait de l'article de François-Xavier Gomez dans LibĂ©ration du [116].

Rubem et Paco ont assez vite ajouté des cordes de guitares au revers de la table du cajón péruvien, pour timbrer plus le son et l'éclaircir (un peu comme le timbre dans la caisse claire de la batterie de jazz).

Il faut noter que Rubem Dantas avait aussi importé dans le son du sextet de Paco de Lucía d'autres percussions d'Amérique du Sud (Brésil, Amazonie) : le berimbau, la cuíca, la calebasse trouée.

  • Le cajĂłn, exemple acoustique.
  • Photo de quatre hommes souriant.
    Paco de Lucía lors d'une tournée en Argentine à la fin des années 1970 au JM Café de Buenos Aires.

Chaleur et timidité

Photo d'un homme assis jouant de la guitare.
Paco de LucĂ­a Ă  MĂĄlaga, au Festival Flamenco de septembre 2007.

Tous ceux qui ont connu Paco de LucĂ­a en attestent : il Ă©tait trĂšs accueillant et chaleureux, mais aussi modeste et presque timide[39]. Un paradoxe pour un homme de spectacle qui a su s'imposer sur les plus grandes scĂšnes du monde, et dont le charisme reconnu lui a permis d'impulser des Ă©volutions majeures pour son art. Et pourtant, Paco n'a cessĂ© de le rĂ©pĂ©ter toute sa vie, encore une derniĂšre fois dans le documentaire posthume que son fils Curro lui a consacrĂ© en 2014[B 57] : « Si je n’avais pas eu la guitare, je serai restĂ© un introverti toute ma vie. »[117] - 1 min 50 s_183-0">[B 58].

Ce que Miguel Mora complĂšte ainsi dans le journal El PaĂ­s du :

« Loin de la scĂšne, celui qui Ă©tait le Prince des Asturies des Arts 2004, prix dĂ©cernĂ© pour la premiĂšre et seule fois de l’histoire Ă  un artiste de flamenco, Ă©tait un homme timide, farceur gentil, anarchique et simple[50]. »

L'interruption prématurée de sa scolarité a contribué à faire naßtre dans l'esprit de l'adolescent qu'il a été des complexes relatifs à un manque de culture générale. Bien que reconnaissant envers son pÚre de l'avoir poussé à travailler assidûment la guitare, l'adulte qu'il est devenu exprime parfois sa frustration de ne pas avoir eu accÚs à une éducation scolaire plus complÚte, ne serait-ce qu'une formation musicale plus formelle[B 18] - [B 13].

Les marques de l'enfance

Dans l’interview d'El Comercio dĂ©jĂ  citĂ©e, Paco de Lucia tĂ©moigne que, de son propre aveu, il n'a jamais oubliĂ© les souffrances de son enfance modeste qui ont forgĂ© sa dĂ©termination et sa « conscience professionnelle », mais qui l'ont aussi rendu sensible Ă  la souffrance des autres :

« J'ai tellement souffert enfant d'ĂȘtre un garçon un peu gros, que je n'avais vraiment pas envie de le montrer. Ce qui se passe, c'est que l'on apprend Ă  ne pas le paraĂźtre. [
]. Aujourd'hui, je parais mĂȘme extraverti, mais il y a une grande charge d'insĂ©curitĂ© qui me vient de mon enfance. [
] Il y a beaucoup de gens qui pensent, du fait de leur souffrance, que malgrĂ© la faim, ils sont parvenus Ă  faire de grandes choses de leur vie
 Mais c'est tout le contraire! C'est grĂące Ă  la faim, que l'on parvient Ă  ĂȘtre grand. Si nĂ©anmoins la faim ne t'anĂ©antit pas. Il faut toujours la garder prĂ©sente Ă  l'esprit. Surtout si l'on pense Ă  ceux qui en souffrent maintenant. Si tu sais ce que c'est que d'avoir faim, tu comprends la souffrance des autres. Ces larmes de ma mĂšre parce qu'elle n'avait pas de quoi manger ont Ă©tĂ© pour moi la motivation la plus forte. Quand j'eus grandi et commencĂ© Ă  gagner de l'argent, je me suis dit : « Et maintenant, quoi ? Quelle motivation ? » Alors j'ai dĂ©cidĂ© d'ĂȘtre un musicien de vĂ©ritĂ©. La motivation n'Ă©tait plus le ventre vide, quelque chose qui s'emplit vite. C'Ă©tait d'essayer de contenter ton esprit avec l'art, d'atteindre une plĂ©nitude spirituelle, une chose dĂ©jĂ  beaucoup plus difficile. Et j'ai continuĂ© comme ça. »

— Enrique Planas[vo 4] - [39].

De mĂȘme, dans sa biographie Paco de LucĂ­a : El hijo de la portuguesa[118], Juan JosĂ© Tellez, qui connaĂźt bien l'artiste qu'il a suivi de longues annĂ©es depuis leur premiĂšre rencontre en 1982[119], recueille, met en avant et confirme les souvenirs du guitariste ainsi dĂ©crits : « Et moi je voyais souvent ma mĂšre pleurer ... Je lui demandais ce qui se passait et elle me disait qu'aujourd'hui nous n'avions rien Ă  manger. Elle avait toujours comme une anxiĂ©tĂ©, une angoisse, du fait qu'il n'y avait pas d'argent. Moi j'avais trĂšs envie de grandir pour aider le foyer. Et cela motive beaucoup. »

Perfectionnisme

Paco de LucĂ­a affirmait qu'il n'avait jamais rien planifiĂ© dans sa vie[B 43], que tout Ă©tait arrivĂ© par hasard. Il se distinguait toujours par son professionnalisme, son sĂ©rieux dans le travail, sa modestie et son respect pour les autres musiciens. Mais aussi par un perfectionnisme, semblable Ă  celui de Miles Davis dit-on, et qui s'incarnait dans sa volontĂ© de ne jamais se rĂ©pĂ©ter, de toujours se placer dans le flux d'un changement constant comme dans son intention d'exiger de soi chaque jour de faire mieux et d'ĂȘtre meilleur. « Jamais deux fois la mĂȘme musique ! » −semble ĂȘtre leur mot d'ordre commun.

Mais ceci provoquait aussi en lui une anxiété et une pression permanente, parce qu'en général il n'était jamais content de ses enregistrements ni de ses concerts, malgré leur succÚs. Ce dont témoigne, le lendemain de la mort de Paco, le photographe franco-suisse René Robert, qui le connaissait bien et qui l'a portraituré des douzaines de fois en concert :

« C'est un moment trĂšs dur pour nous, il est mort trop jeune... Mais il est logique que le cƓur lui ait manquĂ© : malgrĂ© l'apparente facilitĂ© avec laquelle il jouait, son art exigeait de lui une concentration extrĂȘme, et toujours tenter d'amĂ©liorer ce qu'il venait de faire, cela devait engendrer chez lui beaucoup de stress[50]. »

Cette exigence couplĂ©e avec une rĂ©elle modestie ne trouvait d'exutoire que dans un travail inlassable : « Je ne crois pas au gĂ©nie, mais aux gens qui travaillent, et qui ont du talent. Mais le travail reste fondamental. La seule chose commune, entre moi et tous ces gens, c’est l’impression de ne rien savoir[120]. »

Quelques satisfactions tout de mĂȘme

Portrait photo en noir et blanc d'une jeune femme.
MarifĂ© de Triana, chanteuse (copla, flamenco) et actrice (1936–2013).

NĂ©anmoins, Ă  Enrique Planas qui lui demandait en octobre 2013[39], de quels disques il se sentait particuliĂšrement fier s'il devait en choisir trois, Paco concĂšde d'abord qu'il est difficile d'ĂȘtre objectif avec soi-mĂȘme. Puis il propose : « [
] Ă  la rigueur Siroco [1987] ou Zyryab [1990] ; le dernier en direct aussi [Conciertos España 2010], je crois que c'est un bon disque. » Puis enfin il Ă©voque le dernier disque qu'il est en train de mixer (ce sera CanciĂłn Andaluza, son album posthume[121]), peut-ĂȘtre son prĂ©fĂ©rĂ©, justement parce que marquĂ© par la nostalgie, et qui se rĂ©vĂ©lera donc testamentaire : « [
] c'est le disque que je voulais faire depuis mon enfance, quand Ă  la maison nous n'avions que la radio [pour Ă©couter des chansons et du flamenco]. » Et d'Ă©voquer les chanteuses MarifĂ© de Triana ou Conchita Piquer, superbes chanteuses de coplas, Ă  son sens injustement oubliĂ©es. C'Ă©taient aussi les chanteuses que sa mĂšre aimait quand il Ă©tait jeune, et ce disque est encore un hommage Ă  sa mĂ©moire, comme une rĂ©vĂ©rence envers le lyrisme andalou. Il faut noter que Paco avait d'ailleurs invitĂ© MarifĂ© dans son Ă©mission « La hora de... : la guitarra de Paco de LucĂ­a », en 1976, sur la chaĂźne publique espagnole TVE, pour trois remarquables coplas[N 4]. Cet album sera d'ailleurs primĂ© aux 15e Latin Grammy Awards de 2014. On pourrait peut-ĂȘtre citer encore trois albums qui ont marquĂ© une date et furent particuliĂšrement remarquĂ©s par le public et les critiques : Fuente y caudal en 1973, record de vente qui signe le dĂ©but de son essor international[122] ; ensuite l'album en public Friday Night in San Francisco, sorti en 1981 Ă  l'issue d'une tournĂ©e mondiale avec John McLaughlin et Al di Meola, et qui est, Ă  ce jour, l'une des meilleures ventes de disques dans l'histoire de la guitare instrumentale[3], puisqu'il s'en est vendu plus d'un million d'exemplaires[123] ; enfin Cositas Buenas en 2004, dernier album de crĂ©ation publiĂ© de son vivant et le plus rĂ©compensĂ© de tous. En somme, les dĂ©buts de sa carriĂšre, le sommet de ses tournĂ©es mondiales, et le couronnement de sa derniĂšre partie.

En fait, il a plusieurs fois confiĂ© qu'il aurait rĂȘvĂ© dans sa jeunesse ĂȘtre chanteur, Ă  l'inverse de son ami CamarĂłn qui, lui, voulait ĂȘtre guitariste[B 43] :

« Paradoxe du destin qui nous permet d'honorer la figure de Paco, « celui de Lucía », homme brave, guitariste exceptionnel, d'ores et déjà éternel et universel, qui prit la guitare dÚs l'ùge de cinq ans et ne l'a plus jamais lùchée, qui jamais ne se laissa enfermer en quelconque limite ni dévier de son propre chemin. Tout un exemple pour les futures générations de musiciens qui verront en lui un modÚle à suivre. »

— Traduit de Guillermo Castro BuendĂ­a, revue SinfonĂ­a virtual, no 26, fĂ©vrier 2014[B 43].


Son jeu : virtuosité, puissance rythmique, dynamique versus lyrisme, délicatesse

Fichier audio
FundaciĂłn JoaquĂ­n DĂ­az - ATO 00611 30 - Soleares de Paco de LucĂ­a.

Paco de LucĂ­a est gĂ©nĂ©ralement considĂ©rĂ© comme un remarquable interprĂšte pour sa grande virtuositĂ©[49] - [124] et son style trĂšs personnel, reconnaissable entre tous[117], que l'on peut dĂ©finir d'abord comme vigoureux et rythmique, trĂšs dynamique, d'une grande prĂ©cision d'Ă©locution en mĂȘme temps que d'une labilitĂ© extrĂȘme, d'une volubilitĂ© enflammĂ©e parfois vĂ©hĂ©mente mais jamais bavarde, comme dans ses bulerĂ­as d’Almoraima[125], dans ses alegrĂ­as de la Barrosa (album Siroco 1987)[126], ou dans sa rumba Entre dos aguas (Fuente y caudal, 1973)[122].

Mais c'est aussi, selon les moments et les morceaux, une interprĂ©tation d'une grande douceur[127], d'une tendresse lyrique ou facĂ©tieuse sans Ă©gale, par exemple quand il nous parle de sa mĂšre dans Luzia ou dans Guajiras de LucĂ­a (AntologĂ­a 1996, vol. 2), ou quand il chante sa premiĂšre Ă©pouse et sa fille dans Casilda, ou encore son fils aĂźnĂ© dans Mi niño Curro (les deux dans Siroco 1987[128]), ou bien quand il Ă©voque son maĂźtre dans Gloria al Niño Ricardo (soleĂĄ, albums Siroco, 1987 ou AntologĂ­a, 1996, vol. 1), son ami CamarĂłn (dans l'album Luzia), ou le charme du quartier de la Viña Ă  Cadix dans Barrio la Viña (album El duende flamenco, 1972), ou de Triana, le quartier gitan de SĂ©ville dans Gitanos Trianeros (La fabulosa guitarra de Paco de LucĂ­a, 1967), ou encore dans Mantilla de feria (d'Esteban de SanlĂșcar, dans l'album FantasĂ­a flamenca de Paco de LucĂ­a, 1969). On peut encore citer la douceur lyrique de sa longue introduction Ă  la guitare pour le thĂšme MoraĂ­to Siempre, un hommage Ă  son ami guitariste MoraĂ­to Chico qui clĂŽt avec une bulerĂ­a aux allures de requiem le premier disque de son album Paco de LucĂ­a en vivo (conciertos live in Spain 2010). Pour plusieurs de ces piĂšces, sa tendresse est particuliĂšrement sensible dans la dĂ©licatesse de son jeu de trĂ©molo, comme dans Solera ou Plaza de San Juan (Fuente y caudal, 1973), ou dans Mi niño Curro, dans CallejĂłn del Muro, et dans Gloria al Niño Ricardo (les trois dans l'album Siroco, 1987) ; ou encore dans la bulerĂ­a RĂ­o de la Miel qui ouvre l'album Luzia « sur un trĂ©molo Ă  la fois innovant et poignant » (Guillermo Castro BuendĂ­a[B 43]). On peut encore Ă©voquer son enthousiasme communicatif dans le thĂšme RĂ­o ancho (dans Almoraima, 1976) sur un rythme endiablĂ© de rumba brĂ©silienne mĂątinĂ©e de bossa nova[125].

Tension fructueuse, mais douloureuse

Photo en noir et blanc d'un guitariste
Paco de Lucía, ici en concert avec John McLaughlin et Al Di Meola dans les années 1980.

Paco n'a pas toujours bien vécu cette sorte de tension qui existe entre les deux dominantes de son jeu à la guitare : virtuosité spectaculaire d'un cÎté, forte volonté expressive de l'autre.

Au journaliste du journal Libération, François-Xavier Gomez[116] qui affirmait : « Pour beaucoup d'amateurs de guitare, en particulier ceux qui l'ont découvert aux cÎtés de John McLaughlin et d'Al Di Meola, Paco de Lucía est l'homme des prouesses techniques, du tour de force permanent. Un statut agaçant [pour le musicien]. »

Ce dernier confiait :

« J'ai eu de la facilitĂ© dĂšs le dĂ©but, j'ai de bonnes mains pour ça, c'est tout. Le public est plus impressionnĂ© par la rapiditĂ© de l'exĂ©cution que par le sentiment que je cherche Ă  transmettre. Il m'arrive de jouer quelque chose de profond, d'intime, et dĂšs que je lĂąche une grappe de notes, une sĂ©quence Ă©lectrique, lĂ  le public rĂ©agit, crie, s'enthousiasme. Ça ne me plaĂźt guĂšre, mais je n'y peux rien[116]. »

Cette inclination au lyrisme ne s'est jamais dĂ©mentie, mais elle a peut-ĂȘtre culminĂ© dans son opus de 1998, Luzia, album dont l'accouchement fut douloureux, marquĂ© par la mort de deux ĂȘtres chers, sa mĂšre et son ami, le chanteur CamarĂłn. Lyrisme qui est allĂ© cette fois plus loin que jamais puisque dans ce disque on entendait pour la premiĂšre fois Paco chanter : en arriĂšre-plan de son frĂšre Pepe dans le thĂšme Ă©ponyme dĂ©diĂ© Ă  leur mĂšre (Luzia), et surtout en soliste Ă  la fin du thĂšme CamarĂłn qui lui-mĂȘme clĂŽt le disque, laissant comme derniĂšre impression l'appel sans rĂ©ponse du nom de son ami, oĂč son Ă©motion est particuliĂšrement sensible.

Il commente ainsi cette expérience :

« Je ne risque pas de le refaire sur scĂšne, concĂšde le guitariste. Au dĂ©part, j'avais enregistrĂ© une voix tĂ©moin sur le titre dĂ©diĂ© Ă  CamarĂłn, l'idĂ©e Ă©tant de faire appel Ă  un vrai cantaor de flamenco. Nous avons finalement laissĂ© ma voix, parce que c'Ă©tait un hommage trĂšs personnel. Il est vrai aussi que j'adore chanter, mais je n'ose pas le faire en public. Je me considĂšre mĂȘme comme un chanteur manquĂ©. Ce qui a influencĂ© ma façon de jouer. Presque tout ce que j'interprĂšte est chantable. Et puis, alors que dans la guitare flamenca, trĂšs percussive, les notes sont courtes, je cherche Ă  les prolonger en anticipant sur le temps. Pour les faire chanter[116]. »

Architecture

En ce qui concerne la qualitĂ© de ses compositions, Ă  l'Ă©vidence Paco de LucĂ­a s'est inspirĂ© de l'exigence de cohĂ©rence manifestĂ©e avant lui par Sabicas, car elles prĂ©sentent toutes un caractĂšre fortement structurĂ©, voire architecturĂ©, mais avec en plus une ambition orchestrale, car ses arrangements incluent de nombreux instruments inaccoutumĂ©s dans le flamenco[B 20], comme dans Zyryab (en hommage Ă  la grande figure du mĂȘme nom de la musique arabo-andalouse au IXe siĂšcle)[129].

La technique « sensible » ou le duende de Paco

Portrait photo en noir et blanc d'un homme.
Paco de LucĂ­a en octobre 2010.

Au lendemain exact de la mort, le , de Paco de Lucía, l'écrivain espagnol José Manuel Caballero Bonald décrit et tente de caractériser ainsi le style singulier de Paco de Lucía, ce que l'on pourrait appeler son duende, ou l'ùme de sa musique, dans le journal El País :

« [
] Sa technique Ă©tait impeccable, d’une perfection irrĂ©elle mĂȘme, mais il lui fallait aller plus loin encore : il souhaitait subordonner la technique Ă  la sensibilitĂ©, assujettir le langage Ă  son potentiel crĂ©ateur en libertĂ©. Paco de LucĂ­a faisait preuve d'un vĂ©ritable « virtuosisme » Ă©nigmatique, imprĂ©visible par moments, littĂ©ralement inscrit dans un systĂšme expressif que l’on pourrait appeler — empruntant un terme certes trop galvaudĂ© — l’esthĂ©tique du duende. Par-lĂ  se profile le prodige de parvenir lĂ  oĂč personne n’est jamais allĂ©, Ă  une situation limite oĂč la nouveautĂ© n’a d’égale que la clairvoyance. Jouer de la guitare pour Paco de LucĂ­a cela consistait Ă  mettre Ă  nu l’intimitĂ©. Et dans cette intimitĂ© se joignaient avec une Ă©gale luciditĂ© la connaissance et l’intuition, l'appris et le divinatoire, une sorte de synthĂšse crĂ©atrice exactement accomplie. Je ne me rĂ©fĂšre pas ici Ă  ses falsetas [solos de guitare intercalĂ©s entre les strophes du cante], c’est-Ă -dire Ă  ces inoubliables filigranes ornementaux avec lesquels il avait coutume d’accompagner le chant, mais Ă  l’exigeante structure mĂ©lodique, Ă  l’exquise plĂ©nitude de son Ɠuvre de soliste. [
] Avec lui, la guitare flamenca est parvenue Ă  un sommet, a atteint un niveau d’aboutissement, ou plus exactement de vertu extrĂȘme que l’on pourrait aussi appeler — comme je l’ai pointĂ© plus haut — une situation limite. Tout le reste est silence. »

— JosĂ© Manuel Caballero Bonald : extrait traduit de La potencia musical del flamenco (« La puissance musicale du flamenco »), [36].

Vie privée et opinions politiques

Paco de LucĂ­a, un « antifasciste de cƓur », comme le quotidien basque Deia le dĂ©crit en 2016, a Ă©pousĂ© en premiĂšres noces Casilda Varela Ampuero, nĂ©e Ă  Bilbao en 1945 et fille du gĂ©nĂ©ral Varela qui a participĂ© aux prĂ©paratifs dĂ©finitifs du soulĂšvement nationaliste des 17 et 18 juillet 1936 en Espagne menant Ă  la guerre civile espagnole en 1936 et qui a Ă©tĂ© par la suite ministre franquiste[130] - [131]. Ce mariage ne se fit qu'en 1977, Ă  la fin du franquisme et aprĂšs la mort de Franco, en conclusion du dĂ©veloppement d'une relation amoureuse de huit ans, connue de tout Madrid mais rĂ©prouvĂ©e par la famille aristocratique de Casilda qui refusait, comme gendre, un artiste de flamenco censĂ© mener une mauvaise vie[132]. Leur dĂ©termination et leur amour fou Ă©taient tels, nĂ©anmoins, qu'ils passĂšrent outre le refus catĂ©gorique de la famille de Casilda, qui provenait surtout de sa mĂšre (issue de la grande bourgeoisie basque), car son pĂšre, le gĂ©nĂ©ral franquiste et marquis de San Fernando, Ă©tait mort en 1951[132]. Leur mariage fut donc cĂ©lĂ©brĂ© sans l'assentiment de la belle-famille de Paco. Il eut lieu dans une Ă©glise d'Amsterdam le , sous le parrainage de la maison de disques Philips[B 59]. Aucun membre de la famille Varela Ampuero n'assista Ă  la cĂ©rĂ©monie[132]. Le couple s'installa alors dans le quartier Mirasierra en banlieue de Madrid[132]. Paco fit mentir la lĂ©gende, se rĂ©vĂ©lant particuliĂšrement distinguĂ© dans ses concerts et sobre dans ses tenues de scĂšne, sa virtuositĂ© lui ouvrant les portes des thĂ©Ăątres les plus huppĂ©s d'Espagne et des plus grandes scĂšnes du monde[132]. Bien qu'ayant plutĂŽt des idĂ©es de gauche, il ne s'engagea pas dans la politique, d'une certaine maniĂšre par honnĂȘtetĂ© intellectuelle comme il l'explique : « j’ai Ă©tĂ© de gauche jusqu’à deux millions de pesetas [
] aprĂšs je n’ai plus jamais dit que j’étais de gauche »[120].

Le , il fut agressĂ© par une bande d'une dizaine de partisans du franquisme exaltĂ©s, interprĂ©tant certains termes d'une de ses interview Ă  la tĂ©lĂ©vision comme une allusion politique anti-fasciste alors que Franco venait de mourir le [133]. En effet, le , dans l'Ă©mission de la tĂ©lĂ©vision publique espagnole « La hora de... la guitarra de Paco de LucĂ­a »[B 60], diffusĂ©e en prime time, la rĂ©ponse de Paco1 h 15 min 3 s_203-0">[B 61] Ă  une question concernant le rĂŽle de chaque main dans son jeu de guitare, fut rĂ©sumĂ©e ainsi : « la gauche pense et la droite exĂ©cute », formule qui a mĂȘme donnĂ© son titre au compte-rendu de l'Ă©mission[132]. Cette formule fut aussitĂŽt sortie du contexte musical de l'interview et appliquĂ©e directement au contexte politique[132] : de fait, cinq militants anti-franquistes (deux basques de l'ETA politico-militaire et trois antifascistes rĂ©volutionnaires du FRAP) venaient justement d'ĂȘtre exĂ©cutĂ©s le , et la pĂ©riode de la succession du dictateur Ă©tait dĂ©licate, les esprits Ă©chauffĂ©s et les clivages accentuĂ©s ; l'Espagne entamait Ă  peine sa transition dĂ©mocratique dans l'incertitude. Dans la mĂȘme Ă©mission, le journaliste JesĂșs Quintero demanda Ă  Paco : « Que craignez-vous le plus, la mort ou le ridicule ? » Ă  quoi celui-ci rĂ©pondit : « On peut toujours Ă©viter le ridicule, la mort non : elle est inĂ©vitable... Voyons, mais il y a pire, c'est une mort ridicule. Comme Ă  la guerre. »53 min 50 s_204-0">[B 62] [Seulement trois mois aprĂšs la mort du gĂ©nĂ©ralissime Franco, vainqueur d'une guerre civile trĂšs meurtriĂšre]. Emilio de Diego, le guitariste d'Antonio Gades et compagnon de Paco (propos rapportĂ©s par JosĂ© Manuel Gamboa), Ă©met l'hypothĂšse que Paco avait volontairement jouĂ© sur l'ambiguĂŻtĂ© de ses paroles apparemment anodines et plaisantes, donc impossibles Ă  censurer, pour lancer un message politique subliminal[134]. Selon lui, Ă  cette Ă©poque, tout le monde faisait de la politique et tous politisaient la moindre parole. Toujours est-il que certains poussĂšrent les hauts-cris trouvant intolĂ©rable un tel propos venant du gendre du gĂ©nĂ©ral Varela[132]. Ce jour-lĂ , donc, Paco fut rouĂ© de coups par ces hommes de main de l'ultradroite, sous les yeux de sa fiancĂ©e Casilda rendue Ă  l'impuissance, en pleine Gran VĂ­a madrilĂšne Ă  la sortie du cinĂ©ma Avenida , au cri de : « Alors comme ça, toi, tu dis que la droite exĂ©cute ? Tiens, prends, fils de ... Tu ne joueras plus jamais ! » Ses doigts et ses mains furent piĂ©tinĂ©s. Fort heureusement, cette fois Paco se remit vite de ses blessures[135].

Lorsqu'en 1992, son partenaire artistique et ami gitan CamarĂłn dĂ©cĂ©da[132], Paco se retrouva sous le feu d'accusations violentes Ă©manant de la communautĂ© gitane. Il aurait non seulement spoliĂ© CamarĂłn de sa part des droits d'auteur sur leurs Ɠuvres communes, mais aurait aussi accĂ©dĂ© Ă  un train de vie princier tout en se montrant ingrat envers ceux dont il aurait exploitĂ© Ă  son seul profit la tradition musicale[49] - [136]. Ces attaques injustes lui occasionnĂšrent des sentiments de colĂšre, de peine et de tristesse, qui l'empĂȘchĂšrent de dire adieu Ă  son ami et de faire son deuil[50] - [137]. RĂ©fugiĂ© Ă  CancĂșn, au Mexique, il enchaĂźna, pendant des annĂ©es, concerts publics, sessions musicales et travail de studio[136]. AccaparĂ© par sa vie professionnelle, il fut de moins en moins prĂ©sent auprĂšs de sa famille. En 1998, aprĂšs son divorce d'avec Casilda, son nouvel album Luzia fut un double adieu Ă  son ami CamarĂłn et Ă  sa mĂšre dĂ©funte[138] - [139]. Au dĂ©but des annĂ©es 2000, remariĂ© Ă  Gabriela Canseco Vallejo, une citoyenne mexicaine, il partagea son temps entre sa famille et la composition musicale dans sa rĂ©sidence mexicaine[138]. De son nouveau mariage naquirent deux enfants : Antonia SĂĄnchez Canseco (2000) et Diego SĂĄnchez Canseco (2007)[140] - [132]. Il renoua avec sa terre natale, en dĂ©mĂ©nageant Ă  TolĂšde durant l'annĂ©e 2003, puis Ă  Palma de Majorque[141] - [142].

Prix et distinctions

Peinture couleur représentant un homme en train de jouer de la guitare.
Paco de Lucia and Guardian Angel, Ɠuvre de Lola Lonli (2012).

Tout au long de sa carriÚre, longue de plus de 50 ans, Paco de Lucia a reçu de nombreux prix et distinctions[B 63] - [B 64] - [143].

Adolescent, il reçoit, en 1962, le prix spécial du concours d'art flamenco organisé par la ville andalouse de Jerez de la Frontera[B 65]. Au niveau national, il est récompensé, en 1968, par le premier prix de guitare du concours national d'Art flamenco de Cordoue, puis, deux ans plus tard, par le prix national de guitare flamenca de la chaire de flamencologie de Jerez de la Frontera[B 65].

En 1975, il décroche, à San Remo, le diapason d'or du festival de musique international, et, lors du festival de chant des mines de La Unión, créé en 1961 dans la région de Murcie[144], un prix au concours de guitare[B 63]. En 1976, l'album Fuente y Caudal, est couronné d'un disque d'or, et son titre-phare, la rumba Entre dos aguas, d'un single d'or[B 63].

Comme tout instrumentiste dĂ©sireux de faire carriĂšre, Paco de Lucia participe Ă  des concours musicaux. DĂšs le milieu des annĂ©es 1970 cependant, sa rĂ©putation bien Ă©tablie lui permet de ne plus devoir courir les compĂ©titions, mĂȘme pour simplement gagner sa vie. Ayant inscrit son nom au sommet des palmarĂšs de tous les prix prestigieux, il intervient dĂ©sormais comme maĂźtre reconnu de la guitare. En 1984, par exemple, il est prĂ©sent Ă  la IIIe Biennale de flamenco de SĂ©ville, en tant que juge artistique, aux cĂŽtĂ©s du chanteur Enrique Morente, et des guitaristes Rafael Riqueni et Manolo SanlĂșcar[60] - [B 66]. La manifestation culturelle, devenue le rendez-vous biennal mondial du flamenco[145], lui rend hommage, trente ans plus tard, Ă  sa mort, en 2014[61].

Dessin d'une médaille formée d'un disque central au fond bleu, au centre duquel sont inscrites les deux lettres B et A. Trois cercles dorés constituent le bord de l'objet, le plus excentré étant composé de deux branches de laurier surmontées d'une couronne dorée.
La médaille d'or du mérite des beaux-arts, décernée à Paco de Lucia en 1992.

En 1992, le ministĂšre de l'Éducation, de la Culture et des Sports lui remet la mĂ©daille d'or du mĂ©rite des beaux-arts[122] - [94].

En 1997, puis 1998, Paco de Lucia est déclaré hijo predilecto (titre honorifique propre à l'Espagne, équivalent de « enfant chéri » ou citoyen d'honneur) successivement de la province de Cadix et de la commune d'Algésiras[146].

Dans les annĂ©es 2000, il est honorĂ© de plusieurs prix : le prix Pastora PavĂłn, instaurĂ© par le gouvernement d'Andalousie Ă  la mĂ©moire de « La Niña de los Peines »[147], et une distinction honorifique de la SociĂ©tĂ© gĂ©nĂ©rale des auteurs et Ă©diteurs d'Espagne, en 2002, le prix du meilleur album de flamenco pour Cositas Buenas aux Latin Grammy Awards de 2004[148], le prix Prince des Asturies des arts, la mĂȘme annĂ©e[122] - [B 20], le prix de l'album Latin Jazz de l'annĂ©e pour Cositas Buenas aux Prix Billboard de musique latine 2005[149].

Il est aussi promu, pour son enseignement musical, docteur honoris causa, par l'université de Cadix, en 2007, puis, en 2010, par le Berklee College of Music[B 20].

L'année de sa mort, au cours de la 15e édition des Latin Grammy Awards, son dernier album Canción Andaluza remporte les prix du « meilleur album de l'année » et du « meilleur album de Flamenco »[122] - [150].

Discographie

La discographie de Paco de Lucía comporte quarante-deux albums en propre, sous son nom, (dont un posthume, huit anthologies ou compilations, six disques en public, et donc vingt-huit albums originaux) ; mais aussi de nombreux disques en collaboration avec d'autres musiciens[151] - [152] - [153], ainsi que des participations à des albums d'autres artistes, de genres musicaux trÚs divers. Une compilation intitulée Nueva Integral, parue chez Universal en 2010, comprend 27 disques[17] - [154].

Dans une interview donnée à l'occasion de la sortie de son disque Luzía en 1998, il se confiait ainsi sur sa façon de travailler : « Faire un disque c'est avoir quelque chose de nouveau à raconter ; alors tu dois vivre, tu dois sentir des choses, t'imprégner de choses nouvelles pour que ce disque ne soit pas la répétition du précédent. Chaque fois que je fais un disque, il me plaßt de dire quelque chose de neuf, de créer une surprise, pour que le guitariste qui mettra ce disque puisse l'apprécier, y trouver quelque chose à apprendre ou à éprouver émotionnellement. C'est pour ça que cela peut tarder un peu[155]. »

En effet, huit ans sĂ©parent cet album du prĂ©cĂ©dent disque de crĂ©ation (Zyryab) sorti en 1990, mĂȘme si ont Ă©tĂ© enregistrĂ©s trois disques en public (dont celui consacrĂ© Ă  Aranjuez) entre-temps.

« J'ai passé plus de six mois à voyager, or pour composer tu dois réellement passer des heures dans une chambre sans rien qui te perturbe, seul, centré sur ce disque. Donc, je me suis dit : « Bon, ça fait longtemps maintenant, je vais m'enfermer dans une piÚce chez moi, et tant que ce disque n'est pas sorti, je ne vais pas faire un seul concert » ; et effectivement, aprÚs sept mois à dix heures par jour, voilà le disque[155]. »

Albums de création en studio

Photo d'un homme jouant de la guitare
Paco de LucĂ­a au Gibralfaro, Ă  Malaga, le .
  • 1961 : Los Chiquitos de Algeciras, vol. 1, 2 et 3, avec Pepe de LucĂ­a : trois EP de 4 titres chacun (Hispavox)[156] - [157] - [158], rĂ©Ă©ditĂ©s en 2016 en double CD avec le suivant (EMI/Warner)[11]. En duo accompagnant le chant.
  • 1963 : Los Chiquitos de Algeciras, avec Pepe de LucĂ­a : cante flamenco tradicional et thĂšmes populaires ibĂ©ro-amĂ©ricains[12]. RĂ©Ă©ditĂ© en LP en 1982[159], et en CD en 1995[160], puis en 2003[161] et en 2016[11]. En duo accompagnant le chant.
  • 1964 : La guitarra de Paco de LucĂ­a : Rondeña De RamĂłn Montoya ; Aires Andaluces ; Piropo Gaditano et Cielo Sevillano (super 45 tours ou extended play de 4 titres, premier disque en solo)[162], rĂ©Ă©ditĂ© en 2003 sous le titre Por descubrir[163].
  • 1964 : Paco de LucĂ­a et Ricardo Modrego, Dos guitarras flamencas en stereo (Philips 843 105 PY)[164]. En duo.
  • 1965 : Paco de LucĂ­a et Ricardo Modrego, 12 Ă©xitos para dos guitarras flamencas (Philips, 843 120 PY)[165]. En duo.
  • 1965 : Paco de LucĂ­a et Ricardo Modrego, Doce canciones de GarcĂ­a Lorca para guitarra (Philips, 843 118 PY)[166] ; rĂ©Ă©dition en CD : 1995[167]. En duo.
  • 1967 : Paco de LucĂ­a et RamĂłn de Algeciras, Canciones andaluzas para dos guitarras (Philips, 843 140 PY)[168] - [169]. En duo.
  • 1967 : La fabulosa guitarra de Paco de LucĂ­a, (Philips, 843 139 PY)[170]. En solo.
  • 1967 : Paco de LucĂ­a et RamĂłn de Algeciras, Dos guitarras flamencas en AmĂ©rica Latina[21]. En duo.
  • 1969 : Paco de LucĂ­a et RamĂłn de Algeciras, 12 hits para 2 guitarras flamencas y orquesta de cuerda[171]. En duo.
  • 1969 : En HispanoamĂ©rica avec RamĂłn de Algeciras[172]. En duo.
  • 1969 : FantasĂ­a flamenca de Paco de LucĂ­a[173] - [174]. En solo.
  • 1969 : Paco De LucĂ­a / RamĂłn de Algeciras en HispanoamĂ©rica (vol. 2)[175]. En duo.
  • 1971 : El mundo del flamenco. Paco de LucĂ­a presenta a Raul, bailaor, y Pepe de LucĂ­a, cantaor ; et avec aussi RamĂłn de Algeciras[176]. En groupe.
  • 1971 : Recital de guitarra, avec RamĂłn de Algeciras, Enrique JimĂ©nez de Melchor, Paco Cepero, Isidro SanlĂșcar Muñoz et Julio Vallejo. En groupe.
  • 1972 : El duende flamenco, avec RamĂłn de Algeciras[177]. En duo.
  • 1973 : Fuente y caudal. En groupe ou En solo.
  • 1976 : Almoraima (Philips)[178]. En groupe.
  • 1978 : Interpreta a Manuel de Falla (Philips)[179]. En groupe.
  • 1981 : Castro MarĂ­n (du nom du village natal de sa mĂšre, Castro Marim, Ă  l'extrĂȘme sud du Portugal, en Algarve, district de Faro, tout prĂšs de la frontiĂšre et de la ville espagnole d'Ayamonte), avec John McLaughlin et Larry Coryell entre autres. En groupe.
  • 1983 : Al Di Meola, John McLaughlin & Paco de LucĂ­a, Passion, Grace & Fire (Philips, 811 334-1 LP et 811 334-2 CD[180]). En trio.
  • 1987 : Siroco, avec RamĂłn de Algeciras, Pepe de LucĂ­a, Rubem Dantas, JosĂ© MarĂ­a Bandera et Juan RamĂ­rez. En groupe.
  • 1990 : Zyryab, avec Chick Corea, Manolo SanlĂșcar, Carles Benavent, Jorge Pardo, Rubem Dantas, RamĂłn de Algeciras et Pepe de LucĂ­a. En groupe.
  • 1981 : Solo quiero caminar. En groupe.
  • 1996 : Al Di Meola, John McLaughlin et Paco de LucĂ­a, The Guitar Trio (Verve, 533 215-2)[181]. En trio.
  • 1998 : Luzia, avec Pepe de LucĂ­a, RamĂłn de Algeciras, Duquende, Tino di Geraldo, Carles Benavent, Josemi Carmona, Luis Dulzaides. En groupe.
  • 2004 : Cositas Buenas (album latin jazz de l'annĂ©e aux Billboard Latin Awards 2005), avec entre autres : Alejandro Sanz, Diego el Cigala, Tomatito, Juan D'Angellyca, Jerry GonzĂĄlez et Alain PĂ©rez. En groupe.
  • 2014 : CanciĂłn Andaluza (es) (album posthume)[47]. Avec entre autres Estrella Morente, Pepe Romero, Oscar D'LeĂłn, Vicente de Castro "Parrita" (es), Ricardo SanchĂ­s, Tony Morales, Lester Devoe, Hermanos Conde[121]. En groupe.

Albums en public

Compilations

  • 1977 : HispanoamĂ©rica con Paco de LucĂ­a y RamĂłn de Algeciras (Compilation).
  • 1983 : Entre dos aguas, compilation, rĂ©Ă©dition en CD d'un LP d'abord publiĂ© en 1975.
  • 1996 : AntologĂ­a, compilation en 2 CD.
  • 2003 : Paco De LucĂ­a Integral (intĂ©grale en 27 CD).
  • 2003 : Por descubrir (rĂ©Ă©dition du super 45 tour de 1964, plus 11 titres en collaboration Ă©parpillĂ©s ; vient complĂ©ter l'intĂ©grale de Phillips, puis Universal, prĂ©cĂ©dente).
  • 2004 : Nueva antologĂ­a, Ă©dition commĂ©morative.
  • 2005 : Gold, compilation.
  • 2008 : Flamenco virtuoso. Paco de LucĂ­a. Compilation de titres de 1966 Ă  1998 remastĂ©risĂ©s. Universal Music Classics & Jazz, LC-00699-06007-5312687.

Avec des musiciens de flamenco

  • 1969 : CamarĂłn de la Isla, Al verte las flores lloran.
  • 1970 : CamarĂłn de la Isla, Cada vez que nos miramos.
  • 1971 : CamarĂłn de la Isla, Son tus ojos dos estrellas.
  • 1972 : CamarĂłn de la Isla, Canastera.
  • 1972 : CamarĂłn de la Isla, Una Noche en Torres Bermejas, enregistrĂ© en 1969 en public avec CamarĂłn et Pepa de Utrera, Philips 63 28 033.
  • 1973 : CamarĂłn de la Isla, Caminito de Totana.
  • 1974 : CamarĂłn de la Isla, Soy caminante.
  • 1975 : CamarĂłn de la Isla, Arte y majestad.
  • 1976 : CamarĂłn de la Isla, Rosa MarĂ­a.
  • 1977 : CamarĂłn de la Isla, Castillo de arena.
  • 1981 : CamarĂłn de la Isla, Como el agua, avec aussi Tomatito.
  • 1983 : Jorge Pardo, El canto de los guerreros, sur le thĂšme Al doblar la esquina.
  • 1983 : CamarĂłn de la Isla, Calle Real, avec aussi Tomatito.
  • 1984 : CamarĂłn de la Isla, VivirĂ©, avec aussi Tomatito.
Tomatito, héritier direct de Paco de Lucía, qui a aussi accompagné Camarón, comme lui et parfois avec lui (ici en 2016).

Avec des musiciens de jazz

Avec d'autres musiciens

  • 1987 : Georges Dalaras, Live recordings.
  • 1989 : Djavan, OcĂ©ano.
  • 1989 : Joan Manuel Serrat, Material Sensible, sur la chanson Salam Rashid.
  • 1990 : Claudio Baglioni, Oltre, sur le thĂšme Domani Mai.
  • 1990 : Dyango : CorazĂłn de Bolero, sur le thĂšme Europa de Santana.
  • 1992 : Raphael Rabello, Todos os Tons, sur le thĂšme Samba do Aviao d'Antonio Carlos Jobim.
  • 1992 : Joan Manuel Serrat, Utopia, sur la chanson Utopia.
  • 1996 : Bryan Adams, 18 'Til I Die, sur le thĂšme Have You Ever Really Loved A Woman.
  • 2007 : Tomeu Penya, Paraules que s'endĂș es vent, sur la chanson Ă©ponyme.

Musique de films

Photo portrait couleur d'un homme souriant, aux cheveux gris.
Le réalisateur Carlos Saura (ici en 2008) a collaboré à plusieurs reprises avec Paco de Lucía.

Au cours de sa carriÚre, Paco de Lucía compose quelques bandes originales de films. Des cinéastes, Carlos Saura notamment[185], le sollicitent directement ou puisent dans son répertoire[186] - [187]. En 1979, trois ans aprÚs avoir réalisé, pour Gonzalo Sebastiån de Erice, la bande-son d'un court métrage de 20 min, La nueva Costa del Sol[188], il crée la bande sonore d'un drame de José Luis Borau : La Sabina[189] - [190]. Sa rencontre avec son compatriote Carlos Saura se traduit par une premiÚre collaboration, en 1983, en tant que compositeur et acteur, pour le film Carmen, primé au festival de Cannes 1983[B 67] - [191] - [192]. La contribution musicale de Paco lui vaut, en 1985, une nomination au British Academy Film Awards, aux cÎtés de Mike Oldfield, Ry Cooder, et Ennio Morricone, ce dernier remportant le prix pour la bande-son d'Il était une fois en Amérique de Sergio Leone[193] - [189]. En 1984, le britannique Stephen Frears fait appel au guitariste de flamenco pour son long métrage The Hit. Tandis qu'Eric Clapton compose la musique du générique, Paco de Lucía élabore celle du film[194] - [195].

Quatre ans plus tard, il signe la bande originale de Montoyas y Tarantos, une adaptation cinĂ©matographique de la cĂ©lĂšbre tragĂ©die de William Shakespeare : RomĂ©o et Juliette, rĂ©alisĂ©e par Vicente EscrivĂĄ et ayant pour vedette la danseuse Cristina Hoyos[189]. La mĂȘme annĂ©e, conjointement avec JesĂșs GlĂŒck, il compose la bande-son de L'IndomptĂ©e, une Ɠuvre de Javier Elorrieta, inspirĂ©e d'une nouvelle de Vicente Blasco Ibåñez et comptant dans sa distribution internationale l'actrice amĂ©ricaine Sharon Stone[196].

En 1991, il retrouve Carlos Saura ; il apparaĂźt comme guitariste dans une sĂ©quence du film documentaire Sevillanas, consacrĂ© Ă  la forme sĂ©villane du flamenco[B 68] - [197]. Il est de nouveau Ă  l'affiche d'un documentaire de Saura en 1995. Le film, Flamenco, prĂ©sente divers aspects du flamenco, illustrĂ©s par des performances d'artistes tels que Fernanda de Utrera, RocĂ­o Jurado, Juan Moneo, MarĂ­a PagĂ©s, Manolo SanlĂșcar et Paco de LucĂ­a[B 68] - [198]. Toujours en 1995, il apporte sa touche flamenco au tube de Bryan Adams, Have You Ever Really Loved a Woman?, pour la comĂ©die romantique Don Juan DeMarco de Jeremy Leven, dont la bande originale est signĂ©e Michael Kamen et qui rĂ©unit les acteurs Marlon Brando et Johnny Depp[199] - [189]. En 2005, des morceaux, nĂ©s de la collaboration de Paco de LucĂ­a avec CamarĂłn de la Isla, sont utilisĂ©s par Jaime ChĂĄvarri dans son film biographique retraçant la vie du chanteur de flamenco mort treize ans plus tĂŽt[200] - [201]. Le documentaire Flamenco, Flamenco de Saura, sorti en 2010 et sĂ©lectionnĂ© au festival international de Contis en 2011, rassemble de nouveau des maĂźtres du flamenco, dont Paco de LucĂ­a[202] - [203].

Des Ɠuvres composĂ©es ou interprĂ©tĂ©es par Paco de LucĂ­a apparaissent au gĂ©nĂ©rique de quelques films : La Niña De Puerta Oscura, extraite de l'album Entre dos aguas, et le Concerto d'Aranjuez dans le film La Vie aquatique (2004) de Wes Anderson[204], la rumba Entre dos aguas dans Vicky Cristina Barcelona (2008) de Woody Allen[205]. Le rĂ©alisateur AgustĂ­n DĂ­az Yanes, admirateur du guitariste, intitule un de ses thrillers, sorti en 2008, du titre du tango qui donne son nom Ă  l'album Solo quiero caminar[189] - [206].

Partitions (transcriptions)

Collection officielle

La technique guitaristique de Paco de LucĂ­a est restituĂ©e par diffĂ©rents experts de l'instrument dans deux sĂ©ries de partitions. La « collection officielle des transcriptions de l'Ɠuvre de Paco de LucĂ­a », composĂ©e de six livrets dont le contenu est certifiĂ© par Paco et rĂ©digĂ© en espagnol, français et anglais, permet d'apprĂ©cier le travail du guitariste au cours de ses dĂ©cennies d'exploration musicale, avec des titres extraits d'albums emblĂ©matiques du parcours de l'artiste tels que La fabulosa guitarra de Paco de LucĂ­a (1967), Fuente y caudal (1973) et Zyryab (1990)[207] - [208].

  • Libro I: La fabulosa guitarra de Paco de LucĂ­a (LucĂ­a GestiĂłn).
  • Libro II: FantasĂ­a flamenca de Paco de LucĂ­a (LucĂ­a GestiĂłn).
  • Libro III: Fuente y caudal (LucĂ­a GestiĂłn).
  • Libro IV: Almoraima (LucĂ­a GestiĂłn).
  • Libro V: Siroco (Flamencolive).
  • Libro VI: Zyryab (Flamencolive).

Les trois anthologies de falsetas, publiées par les éditions RGB Arte Visual, présentent les diverses facettes stylistiques du flamenco abordées par le maßtre durant sa carriÚre ici divisée en trois périodes historiques[208] :

  • AntologĂ­a de falsetas de Paco de LucĂ­a, BulerĂ­as 1.ÂȘ Ă©poca (Flamencolive) ;
  • AntologĂ­a de falsetas de Paco de LucĂ­a, Tangos 1.ÂȘ Ă©poca (Flamencolive) ;
  • AntologĂ­a de falsetas de Paco de LucĂ­a, Tientos 1.ÂȘ Ă©poca (Flamencolive).

Autres transcriptions

  • La fabulosa guitarra de Paco De LucĂ­a (Gendai Guitar).
  • Friday night in San Francisco (Hal Leonard).
  • La guitarra de Paco de LucĂ­a (Seemsa).
  • Entre dos aguas (Seemsa).
  • Claude Worms : Paco de LucĂ­a tocando a CamarĂłn. Étude de style (Play Music Publishing).
  • David Leiva : Paco de LucĂ­a guitar tab anthology (Carisch).
  • Lo mejor de Paco de LucĂ­a (Ă©diteur : Canciones del Mundo, 1970)[209].

Collections d'autres compositeurs reliés

  • Bryan Adams : Have You Ever Really Loved a Woman?, en 18 Til I Die (Hal Leonard).
  • David Leiva : CamarĂłn (Nueva Carisch España).
  • David Leiva : GuĂ­a de la guitarra flamenca (Flamencolive).
  • Al Di Meola : «Passion, grace & fire», 2 Chitarre in Music Words Pictures (Hal Leonard).

Filmographie

Documentaires qui lui sont consacrés

Au dĂ©but des annĂ©es 1990, la maison de production audiovisuelle EuroArts Music International s'associe avec la chaĂźne de tĂ©lĂ©vision franco-allemande Arte, la tĂ©lĂ©vision publique espagnole et la WDR, un membre de l'audiovisuel public allemand, pour rĂ©aliser un film documentaire sur Paco de LucĂ­a. Le portrait du guitariste, rĂ©alisĂ© sous la direction du documentariste allemand Michael Meert et intitulĂ© Paco de LucĂ­a, Light And Shade (« Paco de LucĂ­a, LumiĂšre et Ombre »), sort en 1994[210] - [211]. Le document audiovisuel retrace des Ă©tapes importantes de la carriĂšre de l'artiste, de sa formation dans les annĂ©es 1950 et 1960, sous la houlette de son pĂšre11 min 25 s_289-0">[B 69], jusqu'Ă  l'enregistrement de sa version du Concerto d'Aranjuez en 19911 min 25 s_290-0">[B 70], en passant par ses duos avec ses frĂšres RamĂłn10 min 35 s_291-0">[B 71] et Pepe11 min 50 s_292-0">[B 72], CamarĂłn de la Isla21 min 30 s_293-0">[B 73], et des prestations scĂ©niques seul8 min 25 s_294-0">[B 74] ou en compagnie de Carlos Santana0 min 30 s_295-0">[B 75], de John McLaughlin et Al di Meola29 min 20 s_296-0">[B 76], ou encore des membres de son sextet39 min 30 s_297-0">[B 77]. Des images d'archives sont entrecoupĂ©es de sĂ©quences dans lesquelles Paco Ă©voque des souvenirs de jeunesse et son travail d'interprĂštre et de compositeur, ou joue de la guitare[212] - [213].

Vingt ans plus tard, quelques mois aprĂšs sa mort, l'« enfant chĂ©ri » d'AlgĂ©siras est le sujet central d'une nouvelle biographie filmĂ©e : La bĂșsqueda (titre français : Paco de LucĂ­a, lĂ©gende du flamenco)[214]. TournĂ© par son fils, produit et Ă©crit par ses filles[49] - [215], le long mĂ©trage documentaire, sorti en Espagne en octobre 2014[216], dĂ©roule sur 1 h 35 min la vie de l'artiste, mĂȘlant photos, images d'archives, interviews de Paco recueillies de 2010 Ă  2014[217], tĂ©moignages de ses proches, comme son frĂšre Pepe4 min 55 s_304-0">[B 78], et de ses partenaires de studio ou de concert, tels que les guitaristes Ricardo Modrego16 min 5 s_305-0">[B 79], John McLaughlin55 min 20 s_306-0">[B 80] et Carlos Santana57 min 40 s_307-0">[B 81], les chanteurs RubĂ©n Blades53 min 0 s_308-0">[B 82] et Alejandro Sanz28 min 10 s_309-0">[B 83], le danseur Farru29 min 50 s_310-0">[B 84], le compositeur Chick Corea1 h 3 min 5 s_311-0">[B 85], et des membres de son sextet Carles Benavent29 min 20 s_312-0">[B 86] et Jorge Pardo56 min 5 s_313-0">[B 87]. En 2015, l'Ɠuvre, restĂ©e inachevĂ©e du fait de la mort du guitariste en fĂ©vrier 2014[218] - [215], a reçu le Goya du meilleur documentaire espagnol[117] - [103]. À sa sortie en France, le , les critiques de presse sont partagĂ©es. « c'est cette confession assumĂ©e du musicien andalou, avec ses doutes et ses nĂ©vroses, qui fait la rĂ©ussite du film : un document d'exception, Ă©mouvant pour les fans comme pour les nĂ©ophytes », selon TĂ©lĂ©rama[219]. À voir, Ă  lire parle d'un « portrait vivant et intime de l’artiste guitariste... [qui] laisse la part belle Ă  la musique. »[220]. Critikat juge que « le film n’adopte pas le goĂ»t pour l’improvisation de son sujet, et s’avĂšre plutĂŽt impersonnel et superficiel »[221]. Selon le journal LibĂ©ration, le documentaire « a pour principal dĂ©faut de mettre bout Ă  bout de lassantes louanges de l’artiste. Et d’éviter soigneusement tout aspect un tant soit peu polĂ©mique. », nĂ©anmoins « le magnĂ©tisme de l'artiste espagnol [...] et de superbes images d'archives sauvent un documentaire hagiographique conçu par sa famille »[49].

  • 1994 : Paco de LucĂ­a, Light And Shade, documentaire rĂ©alisĂ© par Meert Michael[211].
  • 2014 : Paco de LucĂ­a, lĂ©gende du flamenco, documentaire rĂ©alisĂ© par Curro SĂĄnchez[214].

Autres films

En 1971, Paco de LucĂ­a fait un camĂ©o dans le western Un colt pour trois salopards de Burt Kennedy. Un chapeau de paille sur la tĂȘte et un poncho sur les Ă©paules, il joue Ă  la guitare le thĂšme principal de la bande-son signĂ©e Ken Thorne[222]. En 1983, il apparaĂźt Ă  l'Ă©cran comme acteur, dans le rĂŽle d'un musicien de flamenco, dans le film Carmen de Carlos Saura[211]. Dans les films-ballets de Carlos Saura : Sevillanas en 1991, Flamenco en 1995, et Flamenco, Flamenco en 2010, il est aussi Ă  l'image, mais dans son propre rĂŽle cette fois.

Notes et références

(es) Cet article est partiellement ou en totalitĂ© issu de l’article de WikipĂ©dia en espagnol intitulĂ© « Paco de LucĂ­a » (voir la liste des auteurs).

Notes

  1. En français, on doit prononcer son nom « Ă  la française » ainsi : [pako de lusi:a] en alphabet phonĂ©tique international (API) appliquĂ© au français ; et non « Ă  l’italienne » : /Paco de Loutchia/ [pako de lutʃia], comme on l’entend souvent par erreur ; sachant qu’en espagnol-castillan standard son nom se prononce : [ˈpĂ€.ko̞ Ă°Ìže̞ lu.ˈΞi.Ă€] en API appliquĂ© Ă  l’espagnol avec ses signes diacritiques, et que la prononciation andalouse se situerait un peu entre la prononciation Ă  la française et le castillan standard.
  2. Comme pour cantaor et tocaor, bailaor est une variante dialectale andalouse du castillan bailador ; mais ce dernier est rĂ©servĂ©, mĂȘme en castillan, aux danses andalouses, car le terme gĂ©nĂ©rique en castillan pour danseur est bailarĂ­n, ou danzante pour les danses de procession[15] - [16].
  3. Voir par exemple la version de Samba Pa' Ti en duo par Paco et Carlos.
  4. Un tĂ©moignage vidĂ©o32 min 0 s_160-0">[B 54] immortalise ce dialogue entre Paco de LucĂ­a et le maĂźtre indien du sitar. Ce dernier Ă©voque les styles de ragas qui selon lui gardent la trace d'une parentĂ© entre la musique traditionnelle de l'Inde et la musique flamenca. On trouve aussi dans cette Ă©mission quelques beaux solos de Paco, Paco accompagnant CamarĂłn et la bailaora Manuela Carrasco, des prestations de la chanteuse de coplas MarifĂ© de Triana, et de la cantatrice Victoria de los Ángeles, enfin le compositeur et chef d'orchestre français Paul Mauriat qui a arrangĂ© pour orchestre la fameuse rumba de Paco Entre dos aguas. Ainsi que l'anecdote de la crĂ©ation improvisĂ©e de cette rumba, et quelques allusions discrĂštes de Paco Ă  la situation politique qui lui coĂ»teront cher.
  5. Voir par exemple leur concert du au Warfield Theatre de San Francisco.

Citations originales

  1. « Cuando a los doce años comenzó a subirse a los escenarios en su Algeciras natal, Francisco Sånchez Gómez no era mås que un niño extremadamente estudioso con un solo objetivo en su vida: ser un gran guitarrista flamenco. Con el paso de los años, Francisco, hijo de Antonio y Lucía, ha llegado mucho mås lejos y ha pasado a convertirse en un referente musical en todo el mundo. »
  2. « Como yo tocaba para ello [Sabicas], me decĂ­a: “¡Toca por esto, toca por otro, toca por soleĂĄ, por taranta!”, y no sĂ© qué  Y cuando terminĂ© a tocar, como yo tocaba las cosas de Niño Ricardo
 (yo creo que eso le ofendiĂł en una manera
) entonces, me dijo una palabra, una frase que fue clave para mi desarrollo luego como guitarrista, dice: “SĂ­, tocas bien, pero
 ÂĄun guitarrista tiene que tocar su propia mĂșsica!” Me impactĂł muchĂ­simo, fue un choque. ÂĄAy infeliz! Porque me olvidĂ© de todo lo que habĂ­a, me olvidĂ© de todas las falsetas, de toda la mĂșsica que tocaba de Niño Ricardo, y
 ÂĄempecĂ© a componer! »
  3. « En el mundo de la mĂșsica hay pocas figuras indiscutibles, pocos genios capaces de sobrevivir durante dĂ©cadas sin recibir una mala crĂ­tica. El caso de Paco de LucĂ­a es, probablemente, Ășnico. [
] En los años 60, sus trabajos con sus hermanos Pepe de LucĂ­a y RamĂłn de Algeciras y, sobre todo, la explosiĂłn que supuso la pareja que formĂł con CamarĂłn de la Isla, dieron un vuelco al modo de ver el flamenco, al modo de interpretarlo y al modo de escucharlo. En los palos clĂĄsicos se colaron nuevos ritmos, nuevas armonĂ­as, y hasta nuevos instrumentos. Paco y CamarĂłn redefinieron el gĂ©nero y salieron del tablao para llevar su mĂșsica a los grandes recintos. »
  4. « He sufrido tanto siendo un niño gordito, que no me apetece para nada presumir de eso. Lo que pasa es que uno aprende a no parecerlo. [
]. Ahora parezco hasta extrovertido, pero hay una gran carga de inseguridad que viene de la niñez. [
] Hay mucha gente que presume de lo que ha sufrido, que, a pesar del hambre, han conseguido ser grandes en la vida. ÂĄEs todo lo contrario! Gracias al hambre es que uno llega a ser grande. Siempre y cuando el hambre no te aniquile. Hay que tenerla presente siempre. Sobre todo pensando en quiĂ©nes la estĂĄn pasando ahora. Si tĂș sabes quĂ© es pasar hambre, entiendes el sufrimiento de los demĂĄs. Aquellas lĂĄgrimas de mi madre porque no habĂ­a para comer fueron para mĂ­ el estĂ­mulo mĂĄs grande. Cuando crecĂ­ y empecĂ© a ganar dinero, me dije: “¿Y ahora quĂ©? ÂżCuĂĄl es el estĂ­mulo?”. Entonces decidĂ­ tratar de ser un mĂșsico de verdad. Ya el estĂ­mulo no era la barriga, algo que se llena rĂĄpido. Era tratar de contentar tu espĂ­ritu con el arte, algo ya mĂĄs difĂ­cil. Y allĂ­ sigo. »

Références bibliographiques et vidéographiques

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