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Histoire de la Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale

La Suisse n'a pas été occupée pendant la Seconde Guerre mondiale ni par les membres de l'Axe ni par les Alliés, malgré le haut risque d'une invasion de celle-ci le 24 juin 1940 par l'Allemagne nazie, qui planifia l'opération Tannenbaum, un projet d'invasion auquel, l'Italie fasciste, maintenant belligérante, aurait participé. Sa situation enclavée au cœur de pays belligérants n'a pas épargné son économie et sa société qui ont été fortement affectées par la guerre. Par la suite, la Suisse fut remerciée et appréciée par ses voisins pour avoir accueilli des réfugiés et aidé la résistance ainsi que les services de renseignements. Cependant, le gouvernement tentera de préserver l'image de neutralité du pays, mais les puissances victorieuses d'après guerre accuseront la Suisse de collaboration avec les Nazis (particulièrement sur des transactions d'or provenant des puissances de l'Axe) dès les années 1990 en raison du rapport de la commission Bergier.

Buste du général Henri Guisan à Avenches.

Contexte d'avant-guerre

La lassitude engendrĂ©e par la Première Guerre mondiale entraina en Suisse ainsi que dans toute l'Europe un puissant mouvement pacifiste et antimilitariste particulièrement reprĂ©sentĂ© par les mouvements de gauche. En 1921, 55,8 % des appelĂ©s sont considĂ©rĂ©s comme aptes au service, le niveau le plus bas jamais atteint, en 1923 une pĂ©tition pour l'introduction du service civil recueillit 39 000 signatures et en 1927, le Parlement suisse dĂ©cide de geler les dĂ©penses militaires Ă  85 millions par annĂ©e, en particulier les travaux entrepris dans les diffĂ©rents forts du pays. L'attitude gĂ©nĂ©rale de la population face Ă  un nouveau conflit armĂ© ainsi que les diffĂ©rentes mesures entreprises envers l'ArmĂ©e suisse confèrent Ă  celle-ci, au dĂ©but des annĂ©es 1930, une structure et une organisation quasi identiques Ă  celle qu'elle connut en 1914-1918. Elle se caractĂ©risait par une armĂ©e d'infanterie dont la mobilitĂ© repose essentiellement sur les chevaux (un pour cinq hommes), marquĂ©e par la quasi-inexistence de vĂ©hicules Ă  moteur, sans couverture aĂ©rienne ni protection antiaĂ©rienne sĂ©rieuse.

La montĂ©e du national-socialisme et du fascisme chez les pays voisins ont permis un virage, entre autres, des idĂ©es politiques de Rudolf Minger, conseiller fĂ©dĂ©ral et fin orateur. Grâce au ralliement progressif du Parti socialiste au programme de dĂ©fense nationale, les chambres fĂ©dĂ©rales accordent une sĂ©rie de crĂ©dits Ă  l'armĂ©e d'un budget total de près de 800 millions de francs entre 1935 et 1939. Ce changement fait tomber la tension politique intĂ©rieure et relance l'Ă©conomie, largement grâce Ă  l'industrie militaire, permettant au pays d'opĂ©rer sur des bases plus fermes[1]. L'armĂ©e allait Ă©galement connaĂ®tre une profonde mutation sur les plans matĂ©riel et opĂ©rationnel.

  • Sur le plan matĂ©riel, l'armĂ©e se dota d'une nouvelle aviation comprenant une sĂ©rie de Dewoitine D-27 et de Fokker C.V et l'infanterie de diffĂ©rentes armes lourdes, comme le Lance-mines 8,1 cm 1933 et le canon d'infanterie de 4,5 cm destinĂ© Ă  lutter contre les chars. De son cĂ´tĂ©, l'artillerie se modernisa en remplaçant les canons de montagne 1906 par des canons Bofors 10,5 cm et 12 cm et 24 blindĂ©s « Praga » de Ĺ koda furent achetĂ©s. En 1939, l'armĂ©e consolide son aviation et acquiert alors une sĂ©rie de 89 chasseurs Messerschmitt Me-109 E-3 « Emil » puis dès 1940 une sĂ©rie de 74 D-3800 Morane-Saulnier. NĂ©anmoins, privĂ©e d’une part importante des moyens qu’elle avait commandĂ©s, en raison de retards de livraison ou d’achats trop tardifs, l'aviation suisse, Ă  la veille du conflit, ne disposait que de 86 chasseurs et de 121 appareils de reconnaissance et d’appui aĂ©rien (56 Dewoitine D-27, 28 Me 109E et 10 Me 109D, 60 Fokker CV et 78 K+W C-35)[2].
  • Sur le plan opĂ©rationnel, le bureau des fortifications, dissous en 1921, est rĂ©activĂ© en 1935 et lance en 1936 la rĂ©alisation de fortins et renforcements de terrain dans le nord du pays[3].

En parallèle, une nouvelle loi fédérale augmente la durée de l'école de recrues de 67 à 90 jours en 1935 puis à 118 en 1939[4]. En 1938, la structure de l'armée est modifiée et se compose de trois corps, avec neuf divisions, dont trois de montagne, plus trois brigades de montagne. On instaura également des troupes de couverture frontière, ainsi qu'une troupe permanente de professionnels disposant d'une escadrille de surveillance. Dès le les pleins pouvoirs furent accordés au Conseil fédéral.

Si l'Armée suisse pouvait ainsi, à la veille de la guerre, faire figure honorable dans différents domaines, notamment celui de l'aviation, lui manquaient encore des moyens de transmission et de guidage, des chasseurs de nuit et des projecteurs. Par ailleurs, le pays ne possédant que trente chars blindés.

Chronologie

Première mobilisation et guerre de position

Mobilisation générale, le 1er septembre 1939.
« Dispositif Limmat » au 22 janvier 1940.

Dès le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale confirmé, l'Assemblée fédérale élit le colonel vaudois Henri Guisan au titre de général de l'Armée suisse avant d'adresser, comme de coutume, une déclaration officielle de neutralité aux puissances belligérantes.
La mobilisation de l'armée s'effectue sans grande difficulté entre le 3 et le , sans que les dirigeants militaires n'aient encore arrêté de plan opérationnel[5]. Une ligne de défense est mise en place le long de la Limmat où trois corps d'armée avec sept divisions et une brigade de montagne assuraient la protection du pays de l'est de Bâle jusqu'à Sargans. Ce dispositif (« dispositif Limmat ») partait de l'hypothèse que la France ne tenterait rien contre la Suisse pour prendre l'Allemagne par surprise, cette-dernière étant occupée en Pologne et n'ayant laissé à la frontière franco-allemande que de faibles forces, permettant à la France de passer à l'offensive sur n'importe quel point du front[6]. D'autre part une convention militaire secrète avait été passée avec la France en 1939. Celle-ci tomba aux mains des Allemands en 1940.
Par la suite, devant le peu d'action sur le front franco-germanique, les effectifs mobilisés sont progressivement réduits afin de libérer des hommes pour l'agriculture et l'industrie[7].

Cette période de près de huit mois, où la France et l'Allemagne s'observent mutuellement, sera bénéfique à la Suisse, lui permettant notamment de pousser l'entraînement des hommes, la formation des officiers et d'accélérer la production du matériel, bien que celui-ci ne parvînt aux troupes que plus tard, après la victoire allemande en France[8]. Ce sera finalement dans le domaine de la fortification de campagne que la progression durant cette période sera la plus significative. Si en , 132 ouvrages d'infanterie étaient terminés, on en dénombra 207 en octobre 1939 puis 249 en . Parallèlement 1150 ouvrages allaient être minés, le tout étant destiné à couvrir, pendant 4 à 6 jours, une éventuelle mobilisation des troupes[9].

Un autre fait notable de cette période concerne les négociations entreprises par la Suisse pour définir une coopération militaire avec la France et la Grande-Bretagne dans le cas où le Troisième Reich attaquerait la Suisse. Si des contacts avaient déjà été entrepris avant la guerre, ils ne se sont qu'intensifiés durant cette période critique. Ainsi, le chef de l'état-major du Général, le major EMG Barbey, fit plusieurs voyages en France pour y rencontrer son homologue, le lieutenant-colonel Garteiser, qui à son tour se rendit en Suisse en novembre 1939 afin d'inspecter la zone prévue pour la jonction des deux armées[10]. Si un plan stratégique semble avoir été établi, il tombera par la suite entre les mains allemandes lors de la débâcle française de 1940 et sera par la suite utilisé par ces derniers comme moyen de pression[11].

Haut commandement de l'armée lors de la première mobilisation
UnitéCommandantZone
1er corps d'arméeColonel Commandant de Corps LardelliOuest et Sud-Ouest
1re DivisionColonel-divisionnaire CombeVaud
2e DivisionColonel-divisionnaire BorelBieler und Neuenburger Jura
3e DivisionColonel-divisionnaire von GraffenriedBern / Murten
8e DivisionColonel-divisionnaire GĂĽbelWiggertal
9e DivisionColonel-divisionnaire TissotGotthard
1re Leichte BrigadeOberst CharrièreMorges Jura
2e Leichte BrigadeOberst KollerFreibergen
10e GebirgsbrigadeOberstbrigadier Schwarzunterer Lauf der Rhone und Dranses
11e GebirgsbrigadeOberstbrigadier BĂĽhlerSimplon (oberes Rhonetal)
2e corps d'arméeColonel Commandant de Corps PrisiNord
4e DivisionColonel-divisionnaire ScherzSolothurner Jura
5e DivisionColonel-divisionnaire BircherAargau / Fricktal
3e corps d'arméeColonel Commandant de Corps MiescherEst et Nord-Est
6e DivisionColonel-divisionnaire ConstamZurich / Winterthur
7e DivisionColonel-divisionnaire FlĂĽckigerToggenburg
3e Leichte BrigadeOberst WirthFrauenfeld
12e GebirgsbrigadeOberstbrigadier HoldGrisons
Festung SargansOberstbrigadier GublerSargans
Aviation et Défense anti-aérienneOberstdivisionär Bandi
Sources :

Seconde mobilisation et défaite de la France

La Suisse est presque totalement encerclée après l'armistice franco-allemand de 1940.

Lorsque la drĂ´le de guerre s'achève le pour laisser place Ă  la bataille de France, avec l'invasion allemande des Pays-Bas, du Luxembourg et de la Belgique, une seconde mobilisation gĂ©nĂ©rale, appelant 700 000 hommes sous les armes dont 450 000 troupes combattantes, est ordonnĂ©e le lendemain du pour protĂ©ger la rĂ©gion du Jura entre Genève et Bâle[12]. Dans la soirĂ©e du 11, des bruits, rĂ©pandus par les civils mais Ă©galement par quelques militaires de haut rang firent Ă©tat d'une attaque imminente, portant sur le pays un effet de panique. En rĂ©alitĂ©, les Allemands avaient dĂ©cidĂ©, avant d'attaquer Ă  l'ouest, de mettre sur pied une manĹ“uvre d'intoxication destinĂ©e Ă  faire croire Ă  l'Ă©tat-major français qu'ils porteraient leur effort sur la Suisse espĂ©rant crĂ©er une brèche au travers de la ligne Maginot[13].

Ă€ la suite de la percĂ©e allemande, 43 000 hommes du 45e corps français (29 700 Français ainsi que 12 000 Polonais de dĂ©tachements belges et anglais) qui tenaient la place de Belfort seront acculĂ©s contre la frontière suisse puis internĂ©s le 19 juin avant d'ĂŞtre rapatriĂ©s en janvier 1941[14].
Le 19 juin, les troupes allemandes découvrent à la Charité-sur-Loire un train abandonné transportant les archives secrètes du Grand Quartier général français comprenant, entre autres, la convention militaire française, secrète, avec la Suisse.
Après l'entrée en guerre de l’Italie contre la France et la Grande-Bretagne le et l'armistice signé par la France le , la Suisse se retrouve cernée par les forces de l'Axe conduisant le moral des troupes et de la population au plus bas.

Messerschmitt Bf 109-E3 de l'Armée suisse.

Si l'arrivée des Allemands à la frontière ne donna lieu à aucun incident, il n'en fut pas de même dans l'espace aérien. Alors que la France était sous les feux allemands, l'Allemagne souhaite profiter de la faiblesse de la défense anti-aérienne et de la chasse française de Lyon et Saint-Étienne en empruntant un couloir aérien au travers de la Suisse. Les engagements allemands dans cette optique amèneront à de véritables conflits aériens avec les aviateurs suisses, en dépit de l'interdiction faite par Berlin, dont le marquera l'apogée des affrontements[15]. À cette date, Göring souhaitant donner une correction à la Suisse, engagea une trentaine de Me 110 qui entrèrent en conflit avec des Me 109E suisses au-dessus de La Chaux-de-Fonds. Face à la détermination des pilotes suisses, pourtant en infériorité numérique, les Allemands abandonnèrent l'engagement après avoir essuyé plusieurs pertes. De retour à Berlin, la nouvelle parvint jusqu'à Hitler qui mit alors sous pression le gouvernement helvétique, face à une éventuelle invasion du pays[16].

Menace allemande

Borne frontière érigée pendant la Seconde Guerre mondiale au centre exact du pays.

Face aux menaces de Berlin sur la violation de l'espace aérien suisse par la Luftwaffe, le général Guisan ordonna le 1940 la cessation des combats aériens dans tout l'espace aérien suisse. La tension diplomatique entre les deux pays allait néanmoins conduire à des prises de position rigoureuses.

Du côté de l'Allemagne nazie, conformément à sa doctrine raciste, pan-germaniste et antidémocratique de l'Ordre Nouveau, plusieurs plans d'invasion de la Suisse furent préparés à l'état-major, en particulier l'opération Tannenbaum, mais l'exécution fut suspendue à défaut d'être prioritisée[17]. Du côté de la Suisse, on se rendit compte qu'il devint urgent de développer une politique de défense et d'autosuffisance envers le danger principal que représentait alors l'Allemagne.

Ainsi, le , le prĂ©sident de la ConfĂ©dĂ©ration, dans un discours radiodiffusĂ©, promet aux Suisses du travail Ă  tout prix et quoi qu'il en coĂ»te. Or pour faire tourner ses usines, le pays importe 5 000 wagons de fer et 30 000 wagons de charbon, surtout en provenance d'Allemagne. Face aux relations diplomatiques difficiles entre Berne et Berlin, la Suisse met en place un plan d'approvisionnement. Rien que dans le canton du Valais, on ouvre ou remet en activitĂ© vingt-et-une mines[18].

Ă€ partir de , des Gardes locales (GL) sont incorporĂ©es dans les complĂ©mentaires de l'armĂ©e. Celles-ci avaient pour mission de rassurer la population de l'arrière pays, face Ă  la menace de sabotages, des parachutistes ou d'Ă©ventuels dĂ©tachements motorisĂ©s qui auraient percĂ© le front. Si l'obligation de servir dans la GL cessait Ă  60 ans, beaucoup restaient nĂ©anmoins par la suite comme volontaires, remontant ainsi le moral des troupes aux frontières. Son effectif atteignit 127 563 hommes en 1941 puis se stabilisa aux alentours de 115 000[19].

Les plans d'invasion de la Suisse furent définitivement abandonnés en suite du débarquement allié en 1944[17].

RĂ©duit national

Le , le gĂ©nĂ©ral Guisan Ă©crit au chef du DĂ©partement militaire fĂ©dĂ©ral pour lui faire part de ses dĂ©cisions devant la situation[20] : il prĂ©conise un Ă©chelonnement de la protection en profondeur, basĂ© sur trois niveaux de protection principaux ; le premier niveau consiste Ă  maintenir des troupes aux frontières, le second niveau Ă  barrer les axes de pĂ©nĂ©tration du pays alors que le dernier niveau, celui des troupes de position dans les Alpes, doit tenir « sans esprit de recul ». Il rĂ©introduit lĂ  l'idĂ©e de rĂ©duit national[21], qu'il prĂ©sente en particulier Ă  ses officiers supĂ©rieurs rĂ©unis le lors du rapport du GrĂĽtli. Dès le dĂ©but du mois d'aoĂ»t, un tournus (système de rotation, en Français de Suisse) est mis en place entre les troupes assurant une mobilisation de 120 000 hommes[22].

Le réduit national est centré sur le massif du Saint-Gothard contrôlant les cols ouvrant le passage entre le nord et le sud des Alpes. Il s'articule autour de trois éléments essentiels, à savoir les fortifications présentes dans le massif du Saint-Gothard, les forts de Saint-Maurice donnant accès à l'Italie par les cols du Grand-Saint-Bernard et du Simplon, et les fortifications de Sargans protégeant la route vers le massif du Saint-Gothard par la vallée du Rhin. Les différents accès au réduit national sont aussi protégés : le lac de Thoune, le lac des Quatre-Cantons, le Col du Jaun et le Pays-d'Enhaut au nord, le lac Majeur et Bellinzone au sud et les cols de la Furka et de Oberalp pour l'axe ouest-est[23].

Au sujet du rôle joué par ces fortifications pendant la guerre, le chef de l'état-major général écrit dans un rapport daté de 1945 : « Je suis persuadé qu'à partir de 1943, nos fortifications jouèrent dans les plans allemands un rôle appréciable et il est vraisemblable qu'elles ont contribué dans une certaine mesure à écarter une attaque de la Suisse ». Si le plan d'attaque conjoint de l'Allemagne et de l'Italie, baptisé « opération Tannenbaum », ne semble jamais avoir été envisagé très sérieusement par les autorités allemandes[24], Klaus Urner et Georges-André Chevallaz évoquent de réels projets allemands relatifs à une attaque de la Suisse. Klaus Urner cite un document allemand d'août 1940, précisant les difficultés d'une attaque liées au relief et aux fortifications des Alpes, alors que Georges-André Chevallaz fait mention d'un document allemand datant de mai 1941, parlant des « directives de l'État-major (allemand) pour les opérations contre la Suisse »[25].

Nouvelle menace d'invasion allemande (mars 1943)

La libération progressive des territoires contrôlés par le IIIe Reich, de 1943 à 1945.

Alors que l'Allemagne essuie sa première défaite à Stalingrad en 1943, la probabilité d'un débarquement des Alliés en Italie se fait de plus en plus sentir. À cet effet, le Standartenführer (colonel) SS Schellenberg, obtient le une entrevue secrète avec le général Guisan, dans une auberge de Bingen. L'objectif de cette rencontre visait à obtenir du général l'assurance que si les Alliés, qui allaient probablement débarquer en Italie, tentaient de monter une opération à travers la Suisse, celle-ci s'y opposerait alors farouchement. La lettre manuscrite appuyant cet accord fut transmise au général SS le week-end du 6- à Arosa[26].

Le , le service de renseignement suisse informa qu'une action de l'Allemagne contre la Suisse était probablement attendue avant le . L'état major prit l'avertissement au sérieux et ordonna différentes mesures avant que la « ligne Viking » n'informât le 22 mars que la décision d'invasion était tombée au quartier général du Führer[27]. Si l'avertissement semble être le produit d'une manœuvre d'intoxication, elle met néanmoins en évidence l'importance stratégique de la situation de la Suisse face à un débarquement allié imminent en Italie

Menaces et afflux de réfugiés à la frontière italienne (juillet 1943 - avril 1945)

Partisans italiens du Val d'Ossola réfugiés en Suisse après la défaite de la République partisane en octobre 1944.

À la suite de l'ouverture de la Campagne d'Italie, débutée en juillet 1943, l'Allemagne doit déployer ses troupes au Sud pour parer l'avancée des Alliés le long de la péninsule. La Suisse se retrouve alors dans une nouvelle configuration stratégique où l'Allemagne, devant l'avancée rapide des Alliés, pourrait être tentée d'emprunter le « corridor helvétique ». Ce réel danger se trouvait néanmoins amoindri par la possibilité pour les Allemands de faire transiter leurs troupes par le col du Brenner ou encore la ligne du Semmering, menant vers Udine[28].

Après la chute de Mussolini en juillet 1943, le gouvernement royal italien feint de rester fidèle Ă  l'alliance allemande mais, le , signe avec les AlliĂ©s l'armistice de Cassibile : l'Italie du Nord est alors occupĂ©e par la Wehrmacht. Un flot de rĂ©fugiĂ©s italiens, militaires de l'armĂ©e royale italienne et civils, franchissent la frontière du Tessin pour Ă©chapper Ă  l'internement. Ils sont plus de 20 000 dès septembre, reprĂ©sentant le plus grand flux de rĂ©fugiĂ©s en Suisse pendant la guerre. Ă€ la demande de l'armĂ©e, ils sont considĂ©rĂ©s comme « rĂ©fugiĂ©s militaires » et hĂ©bergĂ©s dans des camps, principalement dans le canton de Berne. Par la suite, il s'y ajoute des rĂ©fugiĂ©s de la rĂ©publique partisane du Val d'Ossola (septembre-octobre 1944) Ă©galement considĂ©rĂ©s comme « militaires » et relevant du Commissariat fĂ©dĂ©ral Ă  l'internement. En tout, la Suisse reçoit 29 000 rĂ©fugiĂ©s italiens de statut militaire et 14 000 de statut civil, politiciens antifascistes ou menacĂ©s en raison de leurs origines juives mais aussi anciens dignitaires fascistes comme Edda Ciano, fille de Mussolini, Dino Alfieri et Giuseppe Bastianini. Les Suisses, qui avaient accueilli avec bienveillance les rĂ©fugiĂ©s polonais et français en 1940, sont beaucoup plus rĂ©servĂ©s envers les rĂ©fugiĂ©s italiens et s'inquiètent de les voir voler les emplois des nationaux. Cependant, un ComitĂ© suisse de secours ouvrier, destinĂ© Ă  leur protection, est fondĂ© Ă  Lugano en septembre 1943 sous la prĂ©sidence du socialiste Guglielmo Canevascini (de). Celui-ci conclut un accord avec Heinrich Rothmund, chef de la Division de la police, pour permettre l'entrĂ©e en Suisse des rĂ©fugiĂ©s antifascistes recommandĂ©s par le ComitĂ©. En septembre-octobre 1944, le ComitĂ© fournit un soutien et mĂŞme des livraisons d'armes Ă  la rĂ©publique partisane du Val d'Ossola qui s'effondre cependant au bout de quelques semaines. D'autres secours sont envoyĂ©s aux rĂ©fugiĂ©s italiens par les Ĺ“uvres humanitaires amĂ©ricaines, unitariens et quakers, et par les syndicats italo-amĂ©ricains[29].

Derniers mois de guerre

À la suite du débarquement de Normandie en juin 1944 suivi en août du débarquement de Provence, de nouvelles questions stratégiques se posaient à la Suisse au fur et à mesure que l'Allemagne nazie cédait du terrain en France. En effet, la question de la hauteur à laquelle la résistance allemande allait se fixer ainsi que celle liée aux mesures d'internement des soldats allemands acculés à la frontière helvétique allaient certainement être lourde de conséquences dans la nouvelle configuration de l'échiquier européen. Dans son discours d'après-guerre, le général Guisan résumait ainsi : « Voici quelques questions que nous nous posions alors. Que va faire l'armée du général Blaskowitz, chargée de s'opposer au débarquement dans le Sud ? Va-t-elle être prise en tenaille avant d'arriver à notre frontière ? Sera-t-elle prise, au contraire en tenaille, en arrivant à cette frontière ? Si elle échappe à cette tenaille, sur quelle ligne se rétablira-t-elle et fera-t-elle front ? Si les combats se déroulent à proximité de notre frontière, quels risques pouvons-nous courir, soit lors de manœuvres de débordement de petite ou grande envergure, soit dans le cas de troupes refoulées sur notre territoire, qui éventuellement ne voudraient pas se laisser interner ? »[30]

Face à la situation, le conseil fédéral accepta en août 1944 de mettre sur pied trois divisions et trois brigades légères ainsi qu'une quatrième et une cinquième division dès le mois de septembre, mobilisant ainsi l'ensemble des troupes frontières et forçant plusieurs contingents à sortir du réduit en prévision des conflits inévitables qui allaient se produire à la frontière. Bientôt les Alliés arrivèrent au nord du Jura pour atteindre le Rhin le et s'emparer de Huningue quinze jours plus tard. Si les Allemands lancèrent une offensive surprise dans les Ardennes en décembre, les unités de la Wehrmacht et de la SS furent néanmoins contenues et repoussées par les Anglo-Américains, avant que ceux-ci effectuent la traversée du Rhin[31]. La Ire armée française libre du général de Lattre de Tassigny, après avoir arrêté une dernière contre-offensive allemande lors de la bataille d'Alsace, verrouille la frontière à l'ouest du Rhin avant de passer le fleuve à son tour : elle prend Fribourg-en-Brisgau, Vieux-Brisach et enfin Constance le 26 avril, empêchant toute retraite allemande vers la Suisse[32]. Ces souvenirs communs seront évoqués en 1947 lors d'une visite d'inspection du général de Lattre en Suisse, où il rencontre les généraux Guisan et Montmollin pour évoquer les perspectives de défense de l'armée suisse[33].

Au sud du pays, les premiers chars américains venant de Domodossola arrivèrent à la frontière le , quelques jours seulement avant que le Reich ne capitule le 7 mai[31].

Aspects politiques

Relations diplomatiques et Ă©conomiques

Dès le début de la guerre, l'économie de la Suisse s'aligne sur ses deux voisins de l'Axe qui absorbent les deux-tiers de son commerce extérieur, alors qu'un dixième seulement de ses échanges sont réalisés avec les Alliés et le reste avec les pays neutres. Plus significatif encore, 84 % des exportations d'armes et de munitions depuis la Suisse le sont en direction de l'Axe, contre 8 % seulement pour les Alliés[34].

Les relations diplomatiques entre la Suisse et l'Allemagne sont souvent entachées de points de frottement pendant la période de la Seconde Guerre mondiale, en particulier à la suite de la décision prise dès septembre 1939 de ne pas reconnaître les nouveaux États ou régimes tout en conservant des relations diplomatiques avec ceux existants avant le début du conflit, tels que la Pologne, la Belgique et la Yougoslavie[35].

À la mort de Giuseppe Motta en , c'est le Vaudois Marcel Pilet-Golaz qui lui succède à la tête du Département politique, l'année même où il exerce la présidence de la Confédération. Il prononce, le , un discours radiophonique controversé dans lequel il préconise une nécessaire « adaptation » à la situation nouvelle et admet la fin de la guerre[36]. Dans le même temps où il accorde un entretien privé aux responsables du Mouvement national, il ne remercie pas les militaires et l'Armée suisse pour leur travail et ne prononce pas les termes de démocratie ou de neutralité[37].

Exportations d'armes et de munitions entre 1940 et 1944 (en millier de CHF)[38].

C'est principalement sur le plan de la politique monétaire que les relations entre la Suisse et l'Axe vont se développer et irriter les Alliés.

Avant la guerre, le franc suisse fait partie, avec le dollar américain, la livre sterling anglaise et l'or, des moyens de payements internationaux. Dès 1941, le franc suisse se retrouve comme seule monnaie stable non belligérante ; de plus, le gouvernement n'introduit pas de contrôle des changes et oblige la Banque nationale suisse à maintenir le franc à un niveau constant par rapport à l'or et aux principales monnaies.

L'Allemagne va ainsi acquĂ©rir, entre 1940 et 1945, du franc suisse auprès de la banque nationale en contrepartie de plus de 1,2 milliard en or, en provenance des rĂ©serves allemandes, mais Ă©galement de l'or cĂ©dĂ© dès 1940 par la Banque des Pays-Bas et la Banque de Belgique Ă  la Reichsbank sous la pression des forces occupantes[39]. Ă€ cet effet l'histoire de l'or de la banque nationale belge est Ă©difiante et bien sombre.

En 1939, la Banque de Belgique confie une partie de sa rĂ©serve d'or Ă  la Banque de France, lui demandant de la mettre en sĂ»retĂ©. Durant la bataille de France, fin , la Belgique demande Ă  la France de transfĂ©rer son or Ă  Bordeaux puis Ă  Londres sur un croiseur britannique. La France transfère cet or sur un bateau français Ă  destination de Dakar. Le , la Banque de France s'engage Ă  restituer cet or Ă  la Belgique, mais le gouvernement collaborationniste de Pierre Laval l'envoie Ă  Berlin qui le rĂ©quisitionne. La Reichsbank transfère ainsi aux banques Suisses l'or dĂ©tournĂ©, d'une valeur de 378,6 millions de francs suisses, sans en connaĂ®tre l'origine, qui reçoivent en plus un autre dĂ©pĂ´t de 153 millions de francs suisses directement revendu Ă  des tiers inconnus. En 1945, lorsque la banque de France restituera Ă  la Banque de Belgique l'Ă©quivalent de l'or confiĂ© et versĂ© en Suisse par le rĂ©gime nazi, les banques helvĂ©tiques dĂ©clareront ne disposer que de 160 millions de francs suisses de la somme dĂ©tournĂ©e, la diffĂ©rence ayant Ă©tĂ© revendue pour les besoins d'opĂ©rations bancaires[40].

Enfin, les autoritĂ©s fĂ©dĂ©rales acceptent, sous la pression des nĂ©gociateurs allemands, de fournir des avances en matĂ©riel sous forme de crĂ©dit de compensation dont le montant va sans cesse croissant tout au long de la guerre pour atteindre 119 millions de francs lors de l'annĂ©e 1943 oĂą la Suisse va progressivement rĂ©duire ses exportations vers l'Allemagne sous la pression des AlliĂ©s[41].

En réaction à cet appui financier, la Grande-Bretagne, estimant le pays « inféodé » à l'Allemagne, va à trois reprises imposer un blocus qui aura pour effet de tarir totalement les importations de blé[42].

Politique intérieure

Portrait d'Ernst Nobs

Dès , d'anciens mouvements fascistes ressurgissent alors que de nouveaux se crĂ©ent comme la Ligue du Gothard fondĂ©e au mois de juin[43] ; tous proposent diffĂ©rentes rĂ©visions des institutions sur le modèle national-socialiste tout en prĂ©conisant un rapprochement avec l'Allemagne. Le gĂ©nĂ©ral Guisan lui-mĂŞme va, le , proposer au gouvernement d'envoyer un Ă©missaire Ă  Berlin pour nĂ©gocier. Devant les rĂ©actions très critiques de la presse et des partis politiques, le Conseil fĂ©dĂ©ral rĂ©agit en interdisant le Mouvement national suisse et le Parti communiste suisse et Ă©tend la peine de mort, alors rĂ©servĂ©e au Code pĂ©nal militaire, au service actif : 17 personnes sur 33 condamnĂ©es sont ainsi exĂ©cutĂ©es pour trahison[44].

En 1943, les Ă©lections fĂ©dĂ©rales voient une forte progression des socialistes, alors figures de l'opposition car ne faisant pas partie du gouvernement fĂ©dĂ©ral. La majoritĂ© de l'AssemblĂ©e fĂ©dĂ©rale va Ă©largir le système de concordance Ă  la gauche en Ă©lisant en dĂ©cembre Ernst Nobs comme premier membre socialiste du Conseil fĂ©dĂ©ral. Également dans cet esprit d'« unitĂ© nationale », un corps volontaire non-combattant de 20 000 femmes est mis sur pied dès fĂ©vrier 1940 par les autoritĂ©s fĂ©dĂ©rales qui donnent ainsi pour la première fois une charge officielle aux femmes ; cette première reconnaissance d'une forme d'Ă©galitĂ© va pousser les premiers mouvements fĂ©ministes Ă  rĂ©clamer (sans succès) des droits politiques. Une première proposition de loi Ă©choue en devant l'AssemblĂ©e fĂ©dĂ©rale[45].

Politique Ă©conomique et sociale

Monument à Regensberg en mémoire du plan Wahlen.

Sur le plan économique et social, les autorités veillent à ne pas répéter les erreurs de la Première Guerre mondiale. Les bases juridiques de l'économie de guerre sont en place dès 1938[42] : le rationnement progressif des biens de consommation est mis en place en septembre de la même année, couplé avec la constitution de stocks de céréales et l'invitation faite aux citoyens de constituer des réserves pour deux mois[46], un régime d'indemnité pour perte de gain voit le jour en décembre[47]. Malgré des mesures visant à contrôler les prix, la presse et les syndicats s'en prennent aux paysans qui sont accusés de s'enrichir grâce au marché noir alors que, dès 1940, on assiste à une pénurie de main d'œuvre poussant certaines femmes à travailler, en particulier dans l'agriculture[48].

De toutes les initiatives prises par le gouvernement pour assurer une mobilisation économique et psychologique de l'intérieur du pays, c'est certainement le plan Wahlen qui tient un rôle primordial[47] : du nom de l'agronome Friedrich Traugott Wahlen préposé à l'extension des cultures, ce plan d'extension des cultures et d'augmentation de la production agricole devait permettre au pays d'assurer son autarcie alimentaire durant la période de la guerre[49]. « On désempierra, on assainit, on draina ; on rasa tous les boqueteaux, les buissons et les taillis, quitte à priver le pays d'une grande partie de son charme ». Les jardins potagers se multiplient dans les banlieues alors que les parcs publics et les terrains de sport sont plantés de pommes de terre[46].

Bien que le plan ait permis d'augmenter la surface cultivĂ©e de 183 000 Ă  352 000 hectares, il reste encore en deçà des 500 000 hectares initialement prĂ©vus. Le niveau d'auto-ravitaillement du pays passe de 52 % au dĂ©but de la guerre Ă  59 % en 1945[49]. Le tournant de la guerre en 1942-1943 ravive les questions politiques et sociales, jusqu'alors mises en sommeil devant le « totalitarisme helvĂ©tique », et relance le jeu politique : cinq initiatives populaires sont dĂ©posĂ©es en 1942 et 1943 en Suisse[50] : sur la protection de la famille (dont le contre-projet proposĂ© par le gouvernement est acceptĂ© par 76,3 % des votants le [51]), sur l'assurance vieillesse (acceptĂ©e par plus de 80 % des votants le [52]), sur le droit au travail (refusĂ©e Ă  plus de 80% le [53]), sur les droits du travail (rejetĂ©e le [54]) et enfin sur la mise en place de mesures contre la spĂ©culation.

Dès , le Parti socialiste suisse publie son nouveau programme, intitulé « La Suisse nouvelle » et qui prône un régime d'économie mixte dans lequel les banques et les grandes industries sont nationalisées tout en conservant les notions de propriété privée et d'économie de marché. En réplique, le Parti radical présente son propre programme très orienté sur les mesures sociales en , alors que le Parti catholique-conservateur préfère combattre directement les propositions socialistes jugées irréalistes[55].

Controverses

Neutralité

Le Congrès de Vienne (1814-1815) avait reconnu internationalement la neutralité perpétuelle de la Suisse[56]. Néanmoins, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, le 31 août 1939, le Conseil fédéral publie une déclaration de neutralité et d’inviolabilité du territoire suisse (comme le gouvernement suisse l'avait fait au début de la Première Guerre mondiale)[57] et se prépare à la guerre: neutralité armée[58].

Après l’armistice signé le 22 juin 1940 entre la France et le Troisième Reich, les territoires dominés par les forces de l’Axe coupent complètement la Suisse des Alliés. Dès lors, le Conseil fédéral et le commandement de l’armée suisse craignent une attaque conjointe des armées allemande et italienne, en dépit de la neutralité suisse.

En outre, entre 1941 et 1944, malgré sa neutralité, la Suisse fait l'objet d'une énorme pression économique de la part du Troisième Reich: afin de permettre l'approvisionnement de la Suisse en denrées alimentaires et matières premières (notamment charbon, fer, mazout, sucre, semences et engrais), le gouvernement suisse doit consentir un crédit considérable à l’Allemagne et lui fournir bétail, fruits et produits laitiers. De même, entre 1941 et la conclusion de l’armistice entre l’Italie et les Alliés (8 septembre 1943), la Suisse fait face à des exigences importantes du gouvernement italien: afin de bénéficier des ports italiens pour ses importations et exportations et d'obtenir le mazout nécessaire pour couvrir la moitié de ses besoins, la Suisse doit ouvrir des crédits élevés à l'Italie[59].

Conformément aux dispositions de la Ve Convention de La Haye du 18 octobre 1907[60], un Etat neutre a le droit d'exporter des armes et des munitions, ou d'en permettre le transit sur son territoire, pour le compte d’un belligérant (art. 7); mais si cet Etat applique des mesures restrictives en matière d’exportation ou de transit d’armes et de munitions, il est tenu d’appliquer ces mesures uniformément à tous les belligérants (art. 9). Ainsi, la Suisse avait le droit d'effectuer des transactions économiques avec les belligérants, mais devait traiter ceux-ci de manière égale. Or, la Suisse ne s’est pas strictement conformée à ses obligations: elle a accordé des crédits considérables à l'Allemagne et à l’Italie pour des livraisons de matériel sensible, a toléré des inégalités de traitement entre les belligérants de la part d'entreprises suisses et n’a pas contrôlé suffisamment le trafic de transit entre l'Allemagne et l’Italie, alors que l’art. 2 de la Ve Convention de La Haye de 1907 interdit aux belligérants de faire passer troupes, munitions ou approvisionnements à travers le territoire d’un Etat neutre[61].

Les Britanniques refusaient de fournir à la Suisse des matières premières servant à fabriquer des produits industriels qui seraient exportés vers un pays de l’Axe. En conséquence, à la suite des négociations économiques entre la Suisse et l’Allemagne de l’été 1941, la Grande-Bretagne met en place un blocus (en particulier sur le coton, la laine, le caoutchouc, les huiles et graisses techniques, le fer, l’acier et les matières chimiques de base), blocus que Britanniques et Américains renforcent en 1943 (céréales panifiables, graisses alimentaires, sucre, cacao, café, thé, tabac). Par ailleurs, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis usent d’intimidation envers les entreprises suisses qui exportent du matériel de guerre en Allemagne: ils les placent sur des listes noires interdisant tout échange commercial avec les Alliés. Finalement, au début de 1945, les Alliés obtiennent du Conseil fédéral un accord (signé le 8 mars 1945) selon lequel la Suisse va restreindre l'exportation de marchandises en Allemagne, en particulier toute marchandise ayant un intérêt militaire, afin d'aider les Alliés à abréger la guerre[62].

Du point de vue militaire, tant les Allemands que les AlliĂ©s violèrent Ă  plusieurs reprises pendant la guerre l'espace aĂ©rien suisse[61], incidents qui ont provoquĂ© quelques morts.
Parmi ces incidents, on relèvera les « erreurs » de Bâle, Courrendlin, Genève, Renens, Schaffhouse et Zurich, ainsi que divers combats entre avions suisses et allemands.
Bien que ces faits soient pratiquement mĂ©connus, la Suisse a Ă©tĂ© bombardĂ©e. Du cĂ´tĂ© sud de la Suisse, Ă  la suite d'une erreur de navigation lors de la nuit du 11 au , la gare de Renens est bombardĂ©e par erreur par des bombardiers anglais de retour d'une mission sur les usines Fiat de Turin[63]. Ces mĂŞmes bombardiers, toujours par erreur, largueront aussi quelques bombes sur Genève (Geneva), confondue avec GĂŞnes (Genoa)[64]. On fera alors Ă©tat de 2 morts et 8 blessĂ©s Ă  Renens, ainsi que 4 morts Ă  Genève. Du cĂ´tĂ© nord, le sujet fait toujours dĂ©bat car on est incertain du niveau de prĂ©mĂ©ditation des bombardements de Bâle, Schaffhouse et Zurich. Certains pensent que c'Ă©taient de parfaites erreurs, tandis que d'autres estiment que ces attaques visaient Ă  affaiblir les exportations de matĂ©riel vers l'Allemagne. On rappellera cependant que, vers le dĂ©but de la guerre, Churchill ironisait Ă  propos du statut neutre de la Suisse qu'il jugeait obsolète[65]. Du cĂ´tĂ© des Allemands, on constatera un bombardement par erreur de Courrendlin, alors dans le canton de Berne (dans le canton du Jura depuis sa crĂ©ation, le 1er janvier 1979), par un avion allemand Ă©garĂ©. Puis on constatera plusieurs accrochages entre appareils suisses et allemands lors de l'annĂ©e 1940.

La Suisse servit par ailleurs de base à des espions britanniques, américains et allemands pendant cette époque. Les services secrets suisses, via le colonel-brigadier Roger Masson[66], Chef du service de renseignements de l'armée suisse (1936-1946), utilisaient également les services de renseignement clandestins du Saint-Gallois Hans Hausamann[67] pour relayer les informations du front de l'Est à Londres[68]. Roger Masson fut aussi en relation avec le SS-Brigadeführer Walter Schellenberg, responsable du SD allemand.

Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, comme les Alliés jugeaient sévèrement la politique suisse envers les puissances de l'Axe, le Conseil fédéral envisagea la publication d'un «livre blanc» justifiant, grâce au rôle humanitaire de la Suisse, la politique de neutralité suivie pendant la guerre, mais le projet sera abandonné en 1948[69]. Cependant, en 1961, dans le cadre de la publication des archives allemandes (Akten zur deutschen Auswärtigen Politik), est révélé un accord secret passé en 1939-1940 entre les commandements militaires suisse et français prévoyant l'assistance de l'armée française en cas d'attaque allemande en Suisse, accord qui faisait partie des documents découverts par les Allemands lors de l'invasion de la France en 1940 (Affaire de La Charité-sur-Loire). Cela décide le Conseil fédéral à mandater le professeur Edgar Bonjour[70] pour étudier le respect de la neutralité suisse entre 1939 et 1945[71]. En raison des pressions de l'opinion publique, le Conseil fédéral autorisa la publication du rapport Bonjour sur la neutralité pendant la guerre, rapport qui constitua les trois derniers volumes de son ouvrage monumental en six volumes sur l'histoire de la neutralité suisse (publié entre 1965 et 1970).

En 1989, année du cinquantième anniversaire de la mobilisation, le thème des liens économiques entre les entreprises suisses et les puissances de l'Axe pendant la Seconde Guerre mondiale surgit à nouveau et ne quitta plus le devant de la scène jusqu'à la publication des rapports de la Commission indépendante d'experts Suisse - Seconde Guerre mondiale (CIE), dirigée par le professeur Jean-François Bergier (Commission Bergier) en 2001-2002, notamment les rapports sur les relations économiques et financières entre la Suisse et l'étranger.

Question juive

Passeport de Agatha Süss marqué avec un J, dans la collection du musée juif de Suisse.

Si, pendant plusieurs annĂ©es, l'opinion publique a apprĂ©ciĂ© le comportement de la Suisse pendant la guerre Ă  la suite de l'hĂ©bergement de rĂ©fugiĂ©s civils et d'internĂ©s militaires français, polonais puis italiens, ainsi qu'Ă  l'accueil pour quelques mois par an de près de 150 000 enfants venant principalement de France, des critiques se font rapidement entendre : on dĂ©couvre tout d'abord que c'est Ă  la suite d'une dĂ©marche des autoritĂ©s suisses que la lettre « J » a Ă©tĂ© apposĂ©e sur le passeport des juifs allemands dès 1938 ; c'est ensuite des États-Unis et du Congrès juif mondial que viennent de nouvelles accusations selon lesquelles la Suisse aurait, par son aide Ă©conomique, « prolongĂ© la guerre ». Les critiques les plus virulentes s'adressent toutefois dès 1995 aux banques qui conserveraient des avoirs juifs en dĂ©shĂ©rence[72].

En décembre 1996, une commission appelée officiellement Commission Indépendante d'Experts et familièrement « commission Bergier », du nom de son président Jean-François Bergier, est nommée par l'Assemblée fédérale pour « examiner sous l'angle historique et juridique l'étendue et le sort des biens placés en Suisse avant, pendant et immédiatement après la Seconde Guerre mondiale »[73] ; la commission va publier une vingtaine de rapports pendant les quatre ans que durent ses travaux. Son rapport final (appelé « Rapport Bergier »)[74] est rendu public le et marque la dissolution de la commission.

La commission s'est penchée sur l'attitude de la Suisse et de ses officiels pendant la Seconde Guerre mondiale à propos des fonds en déshérence, des transactions d'or et de la provenance de celui-ci, et enfin de la politique d'accueil ou de refoulement à l'égard des réfugiés qui ont cherché à s'abriter en Suisse[75] ; elle conclut en particulier que la politique des autorités suisses avait contribué à la réalisation de l'Holocauste[76]. La publication de ce rapport, ainsi que le travail de la commission, ont été vivement critiqués, en particulier par le mouvement « histoire vécue », composé de personnes ayant vécu la guerre et qui dénonce l'« obsession de la culpabilité et du soupçon » dont fait preuve la commission dans ses travaux[77].

Comme effet secondaire des travaux de la commission et Ă  la suite des recherches menĂ©es par la commission Volker dont le rĂ´le est d'identifier les comptes dormants[78], les banques suisses doivent conclure en 1998 un accord global avec les plaignants aux termes duquel elles payent près de 1,25 milliard de dollars Ă  titre de dĂ©dommagement pour rembourser les fonds juifs en dĂ©shĂ©rence[79], alors que le rapport Volcker Ă©value après coup ces fonds Ă  un peu moins de 270 millions de dollars sur un peu moins de 54 000 comptes.

Le , Serge Klarsfeld annonce que la Suisse aurait, d'après lui, refoulĂ© non pas 25 000 Juifs[80] mais « un peu moins de 3 000 » et en aurait acceptĂ© 30 000[81]. Il remet en cause les chiffres (incomplets) du rapport de la Commission Bergier concernant les personnes refoulĂ©es par les autoritĂ©s suisses durant la Seconde Guerre mondiale.

Bilan

Si au dĂ©but du conflit, la mobilisation de l'armĂ©e est principalement marquĂ©e par des lacunes matĂ©rielles, celles-ci seront essentiellement comblĂ©es par la suite dans le domaine de la fortification, plus particulièrement avec la mise en place du rĂ©duit. Cette dĂ©fense basĂ©e sur une « tactique du hĂ©risson » comprenait pas moins de 68 ouvrages d'artillerie, 10 batteries de casemates non armĂ©es, 1 410 ouvrages et positions d'artillerie, 1 545 positions d'infanterie et d'artillerie non armĂ©es, 995 abris, postes d'observation et postes de commandements, 3 263 barrages antichars, 1 500 kilomètres de barbelĂ©s. Ă€ ces chiffres on peut ajouter un armement comprenant 140 pièces entre 15 cm et 10,5, 180 pièces entre 8,5 cm et 23 cm avec une large dotation en lance-mines et canons antichars pour l'infanterie, qui disposait de près de 3 000 mitrailleuses lourdes et 1 800 mitrailleuses lĂ©gères[82].

Notes et références

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  70. Professeur d'histoire à l'université de Bâle, spécialiste de la neutralité suisse. Cf. "Bonjour, Edgar" in Dictionnaire historique de la Suisse DHS - https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/027020/2004-06-07/ (version du 07.06.2004, consultée le 28.02.2021).
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Annexes

Bibliographie

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    Filmographie

    Articles connexes

    Liens externes

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