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Ligue du Gothard

La Ligue du Gothard est un mouvement de la société civile suisse constitué en 1940 dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale, afin de combattre le défaitisme et la propagande nazie à un moment où la Suisse était encerclée par les armées triomphantes et ouvertement agressives des puissances de l’Axe.

Ligue du Gothard
Histoire
Fondation
Dissolution
Cadre
Pays

Contexte

Lorsque, dès 1940, l’armée allemande conduit plusieurs campagnes victorieuses conduisant à l’effondrement de la Pologne puis de la France, la Suisse est empruntée. Alors que l’armistice entre la France et l’Allemagne est signé le , les divisions blindées allemandes sont massées le long des frontières et l’invasion allemande de la Suisse déjà préparée par les Allemands (et dont le nom de code est opération Tannenbaum), semble plus que probable[1].

Les Allemands exigent mĂŞme des excuses pour les avions abattus par les Suisses alors qu’ils violaient l’espace aĂ©rien suisse. Le Conseil fĂ©dĂ©ral (gouvernement suisse), par la voix de son ministre Pilet-Golaz, dans un discours du , rĂ©vèle une position ambiguĂ« des autoritĂ©s, prĂ´nant « l'adaptation (au) rythme des Ă©vĂ©nements Â», une « dĂ©mobilisation partielle et graduelle de notre armĂ©e », un « redressement indispensable dans tous les domaines » - spirituel et matĂ©riel, Ă©conomique et politique – qui « exigera de puissants efforts, (de) douloureux renoncements (et de) durs sacrifices », un rĂ©gime plus autoritaire pour la Suisse et, pour l’Europe, enfin « un nouvel Ă©quilibre, très diffĂ©rent de l’ancien »[2]. La tonalitĂ© du discours est pĂ©tainiste et religieuse, ce qui lui vaudra le surnom de « sermon ». Certains termes de la traduction ou plutĂ´t de l’adaptation allemande de ce discours se rapprochent de la terminologie nationale-socialiste[3].

Une partie de l’opinion suisse est favorable Ă  la soumission. Le parti pro-allemand s’appuie sur la communautĂ© allemande rĂ©sidente en Suisse, forte de 30 000 personnes, sur les services de l’Ambassade et des consulats d’Allemagne et sur les « fronts » d’extrĂŞme-droite qui fusionnent en pour former le Mouvement national suisse[4]. Les craintes soulevĂ©es en Suisse par son attitude d'une ambiguĂŻtĂ© calculĂ©e allaient ĂŞtre confirmĂ©es et aggravĂ©es ultĂ©rieurement lorsqu'il recevra les « frontistes » au sein mĂŞme du palais fĂ©dĂ©ral en [5].

Histoire

Fondation de la Ligue du Gothard

Craignant que le dĂ©faitisme et les effets de la propagande nazie ne conduisent le gouvernement fĂ©dĂ©ral Ă  faire allĂ©geance Ă  l’Allemagne et Ă  abandonner les valeurs dĂ©mocratiques traditionnelles de la Suisse, dont le fĂ©dĂ©ralisme, un groupe de jeunes adultes se rĂ©unit derrière Denis de Rougemont et le professeur Theophil Spoerri. Ceux-ci fondent la « Ligue du Gothard Â» le .

Le , un « appel au Peuple suisse » rĂ©digĂ© par Denis de Rougemont paraĂ®t dans la presse suisse pour susciter l’adhĂ©sion Ă  la ligne « patriotique » incarnĂ©e par la Ligue du Gothard[6]. Outre de Rougemont et Spoerri, les autres signataires de ce manifeste sont : Walther Allgöwer (de), qui Ă©tait Ă  l’époque instructeur militaire et deviendra ultĂ©rieurement une personnalitĂ© politique du Parti radical-dĂ©mocratique (PRD)[7] ; Robert Eibel (de), qui Ă©voluera vers le mouvement libĂ©ral-national du Redressement national (RN)[8] ; Christian Gasser du mouvement libĂ©ral « Ligue des Non-SubventionnĂ©s »[9] ; RenĂ© Leyvraz, syndicaliste chrĂ©tien et social-dĂ©mocrate[10] ; Philippe Mottu du RĂ©armement moral ; Paul Schäfer, Ă©galement membre du RĂ©armement moral[11] ; Heinrich Schnyder, un cadre de la Migros[11].

Ce groupe est bientôt rejoint par le syndicaliste Charles-F. Ducommun[11] et par Julien Lescaze, responsable de communication au sein du CICR, qui tous deux deviennent des ambassadeurs très efficaces de la Ligue du Gothard[12].

Parmi les soutiens les plus notables de la Ligue du Gothard, on trouve Gottlieb Duttweiler, fondateur de la Migros, le théologien protestant Emil Brunner, l’historien conservateur Gonzague de Reynold et le psychologue et philosophe socialiste Philippe Müller[13].

Les différences d’opinion entre Denis de Rougemont et Gonzague de Reynold ne tardent pas à créer de sérieuses difficultés qui enlèvent beaucoup de cohérence à la communication de la Ligue[14]. Le départ précipité de Denis de Rougemont pour un exil de cinq ans aux États-Unis cause probablement un déséquilibre en faveur de la tendance la plus conservatrice au sein de la Ligue[15].

NĂ©anmoins, le lancement de la Ligue du Gothard, facilitĂ© par un don gĂ©nĂ©reux de 50 000 francs suisses, est un Ă©vĂ©nement majeur. Pas moins de 74 journaux publient le premier appel de la Ligue[16] et cette publication est suivie de nombreuses autres durant les dix jours suivants, y compris un appel signĂ© du professeur zurichois Theophil Spoerri, un leader du RĂ©armement moral en Suisse, qui vient Ă©tĂ© Ă©lu Ă  la tĂŞte du comitĂ© directeur de la Ligue de Gothard.

Idées

Les principes exposĂ©s par Denis de Rougemont dans le manifeste de dix pages intitulĂ© Qu'est-ce que la Ligue du Gothard ? sont d’une part une neutralitĂ© active et d’autre part la fidĂ©litĂ© aux valeurs fondamentales de la Suisse afin de rĂ©sister « Ă  tout prix » aux totalitarismes. Il ajoute que les moyens d’action immĂ©diats relèvent entièrement de l’expression publique de ses membres. Il appelle fortement Ă  la dĂ©fense militaire du « rĂ©duit national » autour du massif du Saint-Gothard – telle que voulue par le GĂ©nĂ©ral Guisan –, Ă  la collecte du renseignement, Ă  une sĂ©rie de rĂ©formes Ă©conomiques et sociales et Ă  une « combat contre le dĂ©faitisme et la propagande fallacieuse Â».

Ce plaidoyer en faveur de la défense militaire du pays est complètement en ligne avec la stratégie du Général Guisan. Le , le Général Guisan prononce un discours historique devant l’ensemble du corps des officiers de l’Armée suisses réunis sur la prairie du Grütli, un lieu hautement symbolique, site de l’acte fondateur de la Confédération suisse en 1291. Il a pris toutes les dispositions pour que la Suisse puisse résister à l’invasion allemande et pour qu’il n’y ait aucune possibilité de capitulation ; les citoyens suisses ont même reçu pour instruction de ne pas tenir compte d’un éventuelle annonce de capitulation sur les ondes de la radio nationale car elle serait soit extorquée sous la menace soit une manœuvre de propagande ennemie[17]. Ce n’est guère une surprise puisque tant Denis de Rougemont que Philippe Mottu travaillent pour la section Armée et foyer à l’État-major de l’armée suisse, un service de propagande interne que le Général Guisan a fortement développé tout au long des années de guerre[18].

Mais la Ligue du Gothard va progressivement évoluer vers des structures inspirées de l’ancien régime. L’assemblée représentant les cantons va par exemple s’appeler la Diète[1].

Dans ce même esprit conservateur, la Ligue du Gothard décide en de fonder ses principes sur le christianisme : « La Ligue du Gothard considère que des campagnes d'excitation antisémites ou antimaçonniques ne sont pas désirables. Elle croit que les traditions chrétiennes de notre pays continueront à être la base de notre vie politique et que, dans la politique future, la plus grande franchise et la plus grande clarté devront être observées. Ces principes étant reconnus, les personnes auxquelles les traditions chrétiennes sont étrangères ou qui font partie d'organisations soumises à des influences secrètes ou étrangères ne peuvent pas être admises dans la Ligue du Gothard »[19] - [20].

Premiers développements

Au travers de confĂ©rences de presse, de « soirĂ©es patriotiques », rĂ©unions, publicitĂ©s, affiches et prospectus, les quelque 8 000 membres de la Ligue font une campagne remarquĂ©e pour une responsabilitĂ© sociale collective sur des questions telles que le dĂ©veloppement de l’agriculture (pour atteindre l’auto-suffisance, d’oĂą le Plan Wahlen), la protection de la famille, la prĂ©voyance pour les personnes âgĂ©es et la crĂ©ation d'emplois. Leur programme inclut aussi l'instauration d'une dĂ©mocratie plus autoritaire, une organisation corporative de l'Ă©conomie et une rĂ©vision du système politique[21].

La Ligue adopte une structure fĂ©dĂ©rale, regroupant les Ă©quipes locales et dirigĂ© par un « directoire » chargĂ© de la coordination des initiatives des groupes locaux.

Évolution après-guerre

En 1951, les activitĂ©s se concentrent sur le plan national. Les principaux problèmes de l'après-guerre sont abordĂ©s dans plus de 300 lettres ouvertes qui proposent des solutions face aux nouveaux dĂ©fis de la sociĂ©tĂ©. La Ligue est dissoute en 1969[21]. Le professeur Spoerri en assure la prĂ©sidence jusqu’à la dissolution[11].

Évaluation

Influence

L’influence de la Ligue du Gothard en Suisse fut importante pendant les annĂ©es de guerre[22]. Denis de Rougemont Ă©crivit que l’impact de la Ligue sur le moral des Suisses Ă©tait sensible après seulement un mois de campagne : elle avait selon lui provoquĂ© « un choc salutaire sur l’opinion publique suisse, rendu confiance Ă  de nombreux citoyens, fait naĂ®tre un grand espoir et dissipĂ© certaines brumes de dĂ©faitisme »[23]

La Ligue du Gothard aida aussi les militaires qui avaient été profondément troublés par le discours radiodiffusé du président Pilet-Golaz le et qui envisageaient un coup d'État, à rester dans les limites de la légalité. L’un d’entre eux, le capitaine Alfred Ernst, fit même don de 50.000 francs suisses (un héritage) à la Ligue du Gothard, afin que le message de la Résistance puisse être porté au pays par la Ligue plutôt que par de jeunes officiers révoltés, mais à la condition expresse qu’une action concrète soit entreprise immédiatement[24].

Critique

La tentative de la Ligue du Gothard d’unir des personnalités provenant d’horizons très divers dans une sorte d’union des contraires (catholiques et protestants, francophones et germanophones, gauche et droite politiques, …) posa question dans de nombreux secteurs de la société suisse et les critiques, parfois très vives, ne se firent pas attendre. Dans une lettre datée du , Denis de Rougemont mentionne « les 200 articles écrits contre nous », ajoutant : « nous sommes accusés avec assurance d’être nazis, marxistes, catholiques, oxfordiens, une filiale de Duttweiler et de l’Éléphant, utopistes, combinards, etc. »[23].

En 2001, l’historien suisse Michel Perdrizat déclarait que la Ligue du Gothard avait conduit une politique ambigüe en essayant de combiner l’esprit de résistance avec une rénovation politique de la Suisse allant dans le sens d’un État conservateur et antidémocratique ; il considérait les leaders de la Ligue du Gothard comme naïfs[22].

En 2009, l’historien Daniel Bourgeois a quant Ă  lui signalĂ© qu’il est difficile de juger a posteriori. La forte popularitĂ© en Suisse romande du MarĂ©chal PĂ©tain peut expliquer la rĂ©surgence de thèmes ou d’idĂ©es proches de la RĂ©volution nationale française dans les idĂ©es ou les formulations de la Ligue du Gothard, tout comme dans de nombreux autres mouvements de l’époque ; c’est ainsi qu’au mĂŞme moment, le GĂ©nĂ©ral de Gaulle substituait la devise « Honneur et Patrie » Ă  la devise rĂ©publicaine française « LibertĂ©, ÉgalitĂ©, FraternitĂ© » ou que le hĂ©ros de la RĂ©sistance Henri Frenay entretenait « une tragique illusion pĂ©tainiste » dans les dĂ©buts de l’occupation[1].

Le manifeste "Qu'est-ce que la Ligue du Gothard ?"

Ce manifeste d'une dizaine de pages, rédigé par l'écrivain suisse Denis de Rougemont en 1940, expose les principes d'action et le programme du mouvement, prônant la défense « à tout prix » de l'indépendance nationale de la Suisse, la nécessité d'une collaboration de toutes les forces vivantes du pays devant le péril extérieur. Il y précise que la Ligue est constituée par des équipes locales réunies en une fédération, laquelle est chapeautée par un directoire chargé de coordonner les initiatives et l'action des groupes particuliers. Il indique également que les moyens de la Ligue du Gothard sont la manifestation par l'intervention personnelle de ses membres dans la vie publique, l'appel en faveur d'une défense nationale autour du bastion du massif du Saint-Gothard, la collecte de renseignements et d'études utiles à l'évaluation de la situation et à la mise en place de réformes économiques, politiques et institutionnelles, et enfin la « lutte contre le défaitisme et la propagande mensongère »[25].

Notes et références

  1. Daniel Bourgeois, Le changement politique après la défaite française de 1940, in Matériaux pour l’histoire de notre temps review, 2009/1 (Nr 93), BDIC, Nanterre, France, 100 pages, p. 32-42 .
  2. « « Discours radiophonique du Président de la Confédération, M. Pilet-Golaz » », dans la base de données Dodis des Documents diplomatiques suisses
  3. Georges-André Chevallaz, The Challenge of Neutrality : Diplomacy and the Defense of Switzerland, Lexington Books, 2001, (ISBN 9780739102749), 278 pages, p. 38.
  4. Georges-André Chevallaz, The Challenge of Neutrality : Diplomacy and the Defense of Switzerland, Lexington Books, 2001, (ISBN 9780739102749), 278 pages, p. 95.
  5. Jean-Claude Favez, « Pilet-Golaz, Marcel » dans le Dictionnaire historique de la Suisse en ligne, version du .
  6. Christian Ackermann, Denis de Rougemont : une biographie intellectuelle, Labor et Fides, 1996, 1284 pages, (ISBN 9782830908022), p. 652.
  7. Monika Raulf, « Allgöwer, Walter  » dans le Dictionnaire historique de la Suisse en ligne, version du ..
  8. Ulrich Stauffacher, « Eibel, Robert » dans le Dictionnaire historique de la Suisse en ligne, version du ..
  9. Andrea Weibel, « Gasser, Christian » dans le Dictionnaire historique de la Suisse en ligne, version du ..
  10. Boris Anelli, « Leyvraz, RenĂ© » dans le Dictionnaire historique de la Suisse en ligne, version du ..
  11. Philippe Muller, Tout ce que ta main…, L'Âge d'homme, Lausanne, 1991, (ISBN 9782825101629), 164 pages, p. 36
  12. Heide Fehrenbach and Davide Rodogno, Humanitarian Photography: A History, Cambridge University Press, 2015, (ISBN 9781316240502), p. 145
  13. Sandra Lena, « MĂĽller (Muller), Philippe » dans le Dictionnaire historique de la Suisse en ligne, version du ..
  14. Christian Ackermann, Denis de Rougemont : une biographie intellectuelle, Labor et Fides, 1996, 1284 pages, (ISBN 9782830908022), p. 644-647.
  15. Kristina Schulz, Neutralité et engagement : Denis de Rougemont et le concept de « neutralité active », A contrario magazine, 2006/2 (Vol. 4), BSN Press, (ISBN 9782940146840), 172 pages, p. 57-70.
  16. Jacques Meurant, La presse et l’opinion de la Suisse romande face à l’Europe en guerre, 1929-1941, Neuchâtel : La Baconnière, 1976, p. 388.
  17. Willi Gautschi, General Henri Guisan: Commander-In-Chief of the Swiss Army in World War, Front Street Press, 2003, 912 pages
  18. Christian Ackermann, Denis de Rougemont : une biographie intellectuelle, Labor et Fides, 1996, 1284 pages, (ISBN 9782830908022), p. 637.
  19. Christian Gasser, Der Gotthard-Bund; Eine schweizerische Widerstandsbewegung aus den Archiven 1940-1948, Bern und Stuttgart, 1984, p. 67, cité par Roland Butikofer, Le refus de la modernité (La Ligue vaudoise: une extrême droite et la Suisse - 1919-1945, Lausanne, 1997, p. 362.
  20. "La Ligue critique la démocratie « dans sa forme actuelle » et milite en faveur de l'instauration d'une démocratie autoritaire , une organisation corporative de l'économie et une révision du système politique. Elle se réclame de la tradition chrétienne et exclut de son cercle les juifs et les francs-maçons. Certains membres ne cachent pas leurs penchants pour les idées d'extrême droite corporatistes et autoritaires." Robert Giroud, Deux cent cinquante ans de franc-maçonnerie à Bex, Bière, Cabédita, 2014, p. 238.
  21. Hans Senn, « Ligue du Gothard » dans le Dictionnaire historique de la Suisse en ligne, version du .
  22. Michel Perdrisat, Le directoire de la Ligue du Gothard, 1940-1945, Entre résistance et rénovation, Éditions Alphil, 166 pages, (ISBN 9782940235872).
  23. Christian Ackermann, Denis de Rougemont : une biographie intellectuelle, Labor et Fides, 1996, 1284 pages, (ISBN 9782830908022), p. 657.
  24. Philippe Muller, Tout ce que ta main…, L'Âge d'homme, Lausanne, 1991, (ISBN 9782825101629), 164 pages, p. 35 .
  25. Bruno Ackermann, « Qu'est-ce que la Ligue du Gothard ? », sur https://www.viceversalitterature.ch/ (consulté le )

Articles connexes

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