Autisme en psychanalyse
En psychanalyse, l'autisme est liĂ© au mot autoĂ©rotisme que Sigmund Freud, qui n'a jamais parlĂ© d'autisme, a repris du mĂ©decin et sexologue Havelock Ellis. Mais tandis que Freud maintient et dĂ©veloppe la notion d' « autoĂ©rotisme » pour la psychanalyse, la dimension sexuelle contenue dans le mot est refusĂ©e par le psychiatre Eugen Bleuler qui crĂ©e par raccourcissement et contraction le mot « autisme », repris ensuite par Leo Kanner en 1943 et en 1944, par Hans Asperger. Lâautisme et les psychoses infantiles sont redĂ©couverts dans les annĂ©es 1950 aux Ătats-Unis dans lâorthodoxie freudienne avec Margaret Mahler. Ils font alors l'objet d'Ă©tudes psychanalytiques, surtout anglosaxonnes, de psychanalystes postkleiniens comme Frances Tustin, Donald Meltzer et Donald Winnicott. Bruno Bettelheim occupe une place Ă part. En France, et dans le sillage des thĂ©ories de Jacques Lacan, l'autisme est notamment abordĂ© par la psychanalyste Françoise Dolto.
Le travail psychanalytique en autisme consiste à passer par la parole (ou des moyens de symbolisation dans les cas les plus difficiles) afin d'aider le sujet à vivre avec ses symptÎmes, éventuellement à les réduire.
Lâapproche psychanalytique a largement Ă©tĂ© dĂ©considĂ©rĂ©e, et est considĂ©rĂ©e comme ayant menĂ© Ă des maltraitances envers les enfants autistes[1] - [2] - [3] - [4]. MalgrĂ© cela, elle reste prĂ©sente en France. Ainsi, The Guardian affirme que « 50 ans de retard ont Ă©tĂ© pris dans lâaccompagnement des personnes autistes », et qu'il s'agit d'un « scandale d'Ătat »[5]. En effet, le traitement de lâautisme en France constitue une violation des droits de personnes autistes[1], de part l'infuence de la psychanalyse dans les mĂ©thodes d'accompagnement des personnes autistes. En dĂ©pit de cela, un certain nombre de psychanalystes continuent de dĂ©fendre leurs pratiques.
Le rĂ©fĂ©rentiel psychanalytique en autisme recule Ă partir des annĂ©es 1970, particuliĂšrement aux Ătats-Unis ; il reste mobilisĂ© principalement dans deux rĂ©gions du monde, la France et l'AmĂ©rique latine. La mise en application entre pĂ©dopsychiatrie (Kanner) et psychanalyse (Bettelheim) de thĂ©ories sur l'autisme dans les annĂ©es 1950-1960 aux Ătats-Unis a entraĂźnĂ© une accusation des mĂšres, argument et motif central du militantisme de la majoritĂ© des associations françaises de parents d'autistes contre la psychanalyse. Les autobiographies des adultes autistes Josef Schovanec et Hugo Horiot tĂ©moignent de mises en souffrance dans le cadre de leur cure psychanalytique, comme celle de Gunilla Gerland, qui y rapporte des tĂ©moignages de ses pairs. Des expĂ©riences psychanalytiques positives, et celle de Donna Williams qui en reprend des termes ou des interprĂ©tations, sont cependant rapportĂ©es. Sont critiquĂ©es Ă©galement la notion de psychose en psychanalyse ainsi que l'inefficacitĂ© de la pratique psychanalytique en matiĂšre d'autisme.
En décembre 2020, l'Université de Cambridge a publié un article intitulé "Psychoanalysis in the treatment of autism: why is France a cultural outlier?"[6] afin d'analyser et identifier pourquoi la France utilise une approche déconsidérée depuis plusieurs décennies faute de preuve scientifique quant à son efficacité et sa tendance à mettre les enfants autistes en risque de maltraitance. Les auteurs soutiennent que la psychanalyse est protégée de la critique en France par des réseaux politiques et universitaires.
1907-1944: entre sexologie, psychanalyse et psychiatrie
Plusieurs conceptions se sont succédé entre psychanalyse et psychiatrie : depuis l'équivalence relative entre l'auto-érotisme selon Freud, qui n'a jamais parlé d'autisme[7], et l'autisme de Bleuler qui refuse la dimension sexuelle de l'auto-érotisme et crée de ce fait le mot « autisme » par raccourcissement et contraction d' « autoérotisme » (« érotisme » disparaßt)[8] - [9].
De l'autoérotisme freudien à l'autisme selon Bleuler, puis Kanner et Asperger
La dĂ©couverte de l'autisme est associĂ©e au Burghölzli, une clinique psychiatrique universitaire situĂ© Ă Zurich et dirigĂ©e Ă l'Ă©poque par Eugen Bleuler, le crĂ©ateur du mot autisme[10]. C'est Ă partir du refus par Bleuler de la dimension sexuelle propre Ă la psychanalyse contenue dans le concept freudien d'autoĂ©rotisme par rapport Ă celle qui l'exclut d'« ipsĂ©isme » pour l'autisme en psychiatrie que se diffĂ©rencient par la suite les approches respectivement psychanalytique et pĂ©dopsychiatrique. 1943 est la date Ă laquelle un trouble infantile est officiellement distinguĂ© en psychiatrie par Leo Kanner, sous l'appellation de trouble autistique du contact affectif[11], tandis que Hans Asperger prĂ©sente l'annĂ©e suivante un rapport sur Les psychopathes autistiques pendant lâenfance.
Freud, Jung, Bleuler
Le mot « autisme » (du grec autos : soi-mĂȘme), forgĂ© par le psychiatre suisse Eugen Bleuler, apparaĂźt dans une lettre de Carl Gustav Jung du 13 mai 1907 adressĂ©e Ă Sigmund Freud[9]. Bleuler refuse le concept d' auto-Ă©rotisme, repris par Freud d'Havelock Ellis, qu'il juge « beaucoup trop sexuel » et crĂ©e par contraction d'auto et d'Ă©rotisme (remplacĂ©) le mot autisme, aprĂšs avoir songĂ© Ă ipsisme du latin. Freud va conserver le terme d'auto-Ă©rotisme, tandis que Jung adoptera quant Ă lui le terme d'introversion[9].
Entre auto-Ă©rotisme chez Freud et autisme chez Bleuler
Dans Dementia praecox oder Gruppe der Schizophrenien (1911), Eugen Bleuler dĂ©finit l'« autisme » (allemand Autismus), mot dĂ©rivĂ© du grec Î±Ï Ì ÏÎż Ì Ï (soi-mĂȘme), comme un dĂ©tachement de la rĂ©alitĂ© accompagnĂ© d'une prĂ©pondĂ©rance de la vie intĂ©rieure : l'autisme est Ă peu prĂšs la mĂȘme chose que ce que Freud nomme autoĂ©rotisme, dit-il[12].
Selon Jacques Hochmann, Bleuler, qui connaĂźt les thĂ©ories freudiennes et prĂ©cise d'ailleurs que l'autisme est Ă peu prĂšs la mĂȘme chose que ce que Freud appelle l'auto-Ă©rotisme, explique qu'il souhaite en supprimant le radical /Ă©ros/ se dĂ©marquer de la rĂ©fĂ©rence de Freud Ă une conception Ă©largie de la sexualitĂ© risquant de « donner lieu Ă de nombreuses mĂ©prises »[8].
Conflit de Jung avec Freud à propos de la démence précoce
Au Burghölzli, Carl Gustav Jung travaille auprĂšs de Bleuler sur la dĂ©mence prĂ©coce ou schizophrĂ©nie et publie l'essai intitulĂ© Psychologie de la dĂ©mence prĂ©coce (1906)[13]. C'est Ă la mĂȘme Ă©poque qu'il est donc chargĂ© d'un rapprochement avec Sigmund Freud par Bleuler. Mais Jung, jusque lĂ trĂšs proche de Freud, va rompre avec lui autour de 1911-1913, entre autres en raison d'un conflit thĂ©orique profond sur la question de la libido dans le domaine des dĂ©mences prĂ©coces : Jung considĂšre que la thĂ©orie pulsionnelle freudienne de la libido Ă©choue « Ă rendre compte de la dĂ©mence prĂ©coce », au moment oĂč Freud est justement en train d'Ă©crire Pour introduire le narcissisme qu'il publiera en 1914[14]. Or en psychanalyse, le narcissisme est dĂ©fini comme « un stade de dĂ©veloppement nĂ©cessaire dans le passage de l'autoĂ©rotisme Ă l'amour d'objet »[15].
Kanner : l'autisme infantile précoce
En 1943, le mot « autisme » est repris par Leo Kanner dans sa description de l'« autisme infantile précoce » comme syndrome associant des troubles de la communication, des troubles des comportements sociaux et des troubles des fonctions cognitives[16]. Sur l'autisme infantile, le pédopsychiatre et psychanalyste français Didier Houzel considÚre que les recherches psychanalytiques « ont abouti à des avancées trÚs significatives dans la compréhension des débuts de la vie psychique »[16]. Steve Silberman estime cependant que l'accent initialement mis par Leo Kanner sur le rÎle des parents dans son modÚle théorique de l'autisme chez l'enfant résulte de la domination de la théorie psychanalytique de l'époque, et du dogme voyant dans la psyché parentale la source des explications aux troubles, tout autre modÚle théorique étant « rapidement eclipsé par l'essor de la psychanalyse »[17].
Jacques Hochmann rapporte que dĂšs le dĂ©but des annĂ©es 1960, un courant antipsychanalytique a commencĂ© Ă se dessiner aux Ătats-Unis[18]. Un dĂ©clin de la psychanalyse s'y amorce dans l'opinion publique ainsi que « dans les hauts lieux de diffusion du savoir psychiatrique », d'autant que, selon Ălisabeth Roudinesco et Michel Plon, « le freudisme amĂ©ricain a toujours Ă©tĂ© d'une extrĂȘme fragilitĂ© »[19]. D'aprĂšs le neuropathologue Manuel F. Casanova et son Ă©quipe, le psychologue amĂ©ricain Bernard Rimland, pĂšre d'un enfant autiste et fondateur en 1965 de l'Autism Society of America (ASA), s'associe ainsi Ă Leo Kanner pour « mettre fin au rĂšgne de terreur engendrĂ© par la psychanalyse », notamment Ă travers sa publication, en 1964, d'un « manifeste basĂ© sur une large revue de la littĂ©rature dans lequel il dĂ©mystifie les idĂ©ologies psychanalytiques » en matiĂšre d'autisme, en documentant des causes gĂ©nĂ©tiques[20].
Le rapport de Hans Asperger et ses suites
En 1944, Hans Asperger prĂ©sente Ă Vienne un rapport sur un syndrome autistique, intitulĂ© Les psychopathes autistiques pendant lâenfance (Die Autistischen Psychopathen im Kindesalter), qui restera oubliĂ© pendant quarante ans[21].
Selon Ălisabeth Roudinesco et Michel Plon, Hans Asperger (1906-1980), qui aurait Ă©tĂ© concernĂ© lui-mĂȘme dans son enfance â Edith Sheffer rĂ©fute cette idĂ©e[22] â, dĂ©crit un « âautisme de haut niveauâ, caractĂ©risĂ© par une absence d'altĂ©ration du langage et une capacitĂ© de mĂ©morisation inhabituelle », dont tĂ©moigne par exemple « l'inoubliable Raymond Babbit » qu'interprĂšte Dustin Hoffman dans le film Rain Man (1988)[9]. Dans ce rapport[23], Asperger traite de « la psychopathie autistique », dĂ©crite plus tard sous les noms d'autisme Ă haut niveau de fonctionnement (High-functioning autism), puis sous celui de syndrome d'Asperger[24]. Le rapport dâAsperger est retrouvĂ© en effet Ă la fin des annĂ©es 1970 par Lorna Wing, psychiatre et mĂšre dâun enfant autiste, traduit en anglais par Uta Frith, et publiĂ© en 1981 aprĂšs la mort dâAsperger[21]. C'est la traductrice Uta Frith, « nĂ©e Aurnhammer en Allemagne (pendant la pĂ©riode nazie, prĂ©cise-t-elle) » et formĂ©e Ă Londres Ă la psychologie cognitive qui Ă©labore les critĂšres diagnostiques du syndrome dâAsperger « en ajoutant aux symptĂŽmes dĂ©crits lâabsence de thĂ©orie de lâesprit (lâimpossibilitĂ© de sâidentifier Ă lâautre et de comprendre ce qui nâest pas dit ni donnĂ© Ă voir) »[21]. Son Ă©lĂšve Tony Attwood perfectionne la description, qui connaĂźt un immense succĂšs Ă la publication (T. Attwood, Le syndrome dâAsperger, Bruxelles, De Boeck, 2008)[21]. Selon Paul Alerini, il s'est formĂ© une « communautĂ© des Asperger » et la liste des Asperger cĂ©lĂšbres « s'allonge tous les jours », tandis que les Asperger forment une communautĂ© mondiale[21].
à partir des années 1950 : psychanalyse "anglo-saxonne" et autisme
L'"approche" "anglo-saxonne" de l'autisme commence quelques années aprÚs la description de l'autisme infantile précoce (1943) par Kanner et la parution en 1944 du rapport de Hans Asperger à Vienne.
« Lâautisme et les psychoses infantiles sont redĂ©couverts dans les annĂ©es 1950 aux Ătats-Unis dans lâorthodoxie freudienne » : avec Margaret Mahler, la psychose infantile et son traitement psychanalytique sont rendus acceptables[21]. Selon Ălisabeth Roudinesco et Michel Plon, c'est, outre Bruno Bettelheim, le courant annafreudien et le courant kleinien qui ont « le mieux Ă©tudiĂ© et traitĂ© l'autisme, souvent avec succĂšs, Ă l'aide des instruments que fournit la psychanalyse »[9].
D'aprÚs le journaliste d'investigation Steve Silberman, les analyses de personnes autistes par des psychanalystes débutent de fait dÚs les années 1930, quand Hermine Hug-Hellmuth, Anna Freud et Melanie Klein analysent le comportement de leurs jeunes patients sous l'angle de la théorie freudienne (par exemple, pour Klein, la fascination d'un petit garçon pour les poignées de porte est interprétée comme symbolisant une pénétration sexuelle de sa mÚre)[25].
Margaret Mahler : la « phase autistique normale » du bébé
Ce sont notamment les travaux de Margaret Mahler sur la psychose symbiotique qui reprĂ©sentent le courant annafreudien[9]. D'aprĂšs Didier Houzel, Margaret Mahler situe l'autisme infantile, correspondant d'un point de vue gĂ©nĂ©tique Ă un stade du dĂ©veloppement psychique, « sur un axe qui conduit l'enfant d'un Ă©tat d'autisme ânormalâ Ă la âsĂ©paration-individuationâ »[16].
Selon Philippe Mazet, la pédiatre et psychanalyste américaine Margaret Mahler a théorisé le processus de séparation-individuation du bébé, dans les trois premiÚres années de la vie. Elle se réfÚre aux travaux d'Anna Freud, de Heinz Hartmann et de René Spitz, ainsi que dans une moindre mesure de Donald Winnicott, en décrivant la séparation, dÚs l'ùge de trois ou quatre mois, comme fin de ce qu'elle décrit comme la « phase autistique normale »[26]. Durant la « phase autistique normale », le bébé « est trÚs centré sur ses sensations et perceptions intéro- et proprioceptives »[26]. Pour Margaret Mahler, citée par Philippe Mazet, cette phase autistique du bébé représente « un modÚle de systÚme monadique clos, autosuffisant dans sa satisfaction hallucinatoire du désir »[26]. D'aprÚs Philippe Mazet, un grand nombre de travaux de Margaret Mahler montre « les compétences du bébé, non seulement dans le domaine perceptif et cognitif mais aussi dans celui de l'interaction sociale »[26].
Melanie Klein : la "psychose infantile"
D'aprĂšs le psychiatre et psychanalyste Paul Alerini, « Melanie Klein rend possible la psychose infantile », en Ă©laborant une « thĂ©orie dissidente par rapport Ă lâorthodoxie freudienne comportant : un surmoi prĂ©coce prĂ©-Ćdipien, une position schizo-paranoĂŻde initiale » (avec un « clivage entre bons et mauvais objets Ă lâintĂ©rieur du ventre de la mĂšre »)[21]. Jacques Hochmann rappelle que dĂ©jĂ en , Melanie Klein avait prĂ©sentĂ© « le cas Dick » Ă un congrĂšs international tenu Ă Oxford : selon Hochmann, « Dick » est « probablement le premier enfant autiste Ă avoir suivi une cure psychanalytique », alors que Klein le qualifie encore de « schizophrĂšne »[18]. Hochmann prĂ©cise qu'avec le dĂ©veloppement de la psychanalyse des enfants, quand deux auteurs (Donald Meltzer et Frances Tustin) vont s'intĂ©resser plus particuliĂšrement Ă lâĂ©tude et au traitement des enfants autistes et enrichir ce faisant la sĂ©miologie en psychopathologie, aucun des deux n'affirmera toutefois « une quelconque origine dans les attitudes mentales de la mĂšre »[18]. Pour la psychanalyste Marilia Franco E Silva, c'est la description du mĂ©canisme de lâidentification projective qui aura permis chez Melanie Klein « dâimportantes avancĂ©es sur le plan thĂ©orique et clinique dans le domaine de la psychose »[27]. Mais confrontĂ©s aux phĂ©nomĂšnes de lâĂ©cholalie et de lâĂ©chopraxie chez les enfants autistes, les post-kleiniens ont dĂ» mettre en question certains postulats de la thĂ©orie kleinienne, notamment « la notion du Moi prĂ©coce comme donnĂ©e dâemblĂ©e »[27].
Frances Tustin
Psychologue et pionniĂšre en psychothĂ©rapie de l'enfant, et thĂ©oricienne de l'autisme, Frances Tustin a suivi une analyse avec Wilfred Bion qui lui-mĂȘme avait suivi sa deuxiĂšme analyse avec Melanie Klein. Elle a distinguĂ© plusieurs groupes d'autisme, dont un seul correspond Ă celui dĂ©crit par Kanner[28]:
- primaire anormal : pas de différenciation entre son corps, celui de sa mÚre et l'extérieur ;
- secondaire à carapace (sensiblement identique à l'autisme de Kanner) L'indifférenciation entre le Moi du bébé et la mÚre a disparu, remplacée par une surévaluation de la différence. Une barriÚre autistique avec fonction de carapace s'est construite pour protéger l'enfant, et lui interdire l'accÚs au monde extérieur ;
- secondaire rĂ©gressif ou schizophrĂ©nie infantile. L'Ă©volution commence de façon normale, habituelle, puis apparaissent des manifestations de rĂ©gression. L'enfant opĂšre son retrait dans une vie fantasmatique riche et centrĂ©e sur les sensations corporelles. Ălisabeth Roudinesco et Michel Plon prĂ©cisent que l'autisme secondaire rĂ©gressif serait pour Tustin une forme de schizophrĂ©nie sous-tendue par une identification projective[9].
Selon Didier Houzel, Tustin « met en Ă©vidence » un fantasme de discontinuitĂ© ressenti par l'enfant autiste d'une maniĂšre trĂšs corporelle comme « un arrachement d'une partie de sa propre substance » : alors que le bĂ©bĂ© a besoin de l'illusion d'une continuitĂ© entre son corps et son objet de satisfaction quand il ne dispose pas encore de possibilitĂ©s suffisantes de symbolisation, la continuitĂ© « bouche-langue-mamelon-sein » est rompue ; cette rupture catastrophique mĂšne au fantasme d'un « sein au mamelon cassĂ© et d'un arrachement Ă l'emporte-piĂšce du mamelon »[16]. Un tel arrachement laisse dans la bouche « un trou noir habitĂ© d'objets persĂ©cuteurs » : pour s'en protĂ©ger et se protĂ©ger du monde extĂ©rieur, l'autiste construit un dĂ©lire de fusion avec l'environnement annulant toute sĂ©paration, tout Ă©cart, toute diffĂ©rence et altĂ©ritĂ©, en ayant recours Ă ses propres sĂ©crĂ©tions (larmes, salive, urines, fĂšces) et Ă des objets autistiques qu'il utilise seulement pour « des sensations de surface »[16]. Frances Tustin parle d' « âautosensualitĂ© perverseâ »[16].
En 1999, Gunilla Gerland, en tant qu' « autiste de haut niveau » (« with high functioning autism or Asperger syndrom I »), ainsi qu'elle se prĂ©sente[29], publie dans la revue scientifique Autism une lettre ouverte (reprise dans Sage Journals, 2016) aux rĂ©dacteurs scientifiques de cette revue , en exprimant son dĂ©saccord sur la publication d'une « recension trĂšs positive » (« very positive review »)[29] de l'ouvrage Encounters with Autistic States: A Memorial Tribute to Frances Tustin de Theodore Mitrani, Judith L. Mitrani Jason Aronson (Ă©d.)[30], un « hommage Ă Frances Tustin » dont l'Ćuvre est « consacrĂ©e Ă la comprĂ©hension du monde dĂ©routant propre Ă l'enfant autiste »[30] - [note 1]. Comme d'autres psychanalystes, Tustin proposait une thĂ©orie de genĂšse psychodynamique de l'autisme causĂ©e par une mauvaise relation mĂšre-enfant, qui s'est rĂ©vĂ©lĂ©e plus tard ĂȘtre fausse[31].
Donald Meltzer
Ayant enseignĂ© pendant plus de 20 ans Ă la Tavistock Clinic, Donald Meltzer, collĂšgue de Melanie Klein et Wilfred Bion, est un autre des pionniers des publications sur l'autisme (aprĂšs Bettelheim et Tustin). Son apport, toujours appuyĂ© sur l'idĂ©e de relation d'objet initiĂ© par Klein, retourne les rĂ©fĂ©rences dans son travail sur l'autisme et parle d'identification intrusive. AppuyĂ© aussi sur le travail d'Esther Bick sur le moi-peau, il propose un angle de vue oĂč le vĂ©cu trĂšs dense de son corps par l'autiste serait potentiellement agressĂ© par celui des autres qui s'y projettent dans leur mĂ©canisme normal d'accĂšs au monde extĂ©rieur.
Bruno Bettelheim, "approche" « personnelle » de l'autisme
Bruno Bettelheim, pĂ©dagogue autodidacte, philosophe de formation, se considĂ©rant comme un Ă©ducateur et psychothĂ©rapeute, relĂšve d'un statut de psychanalyste qui reste controversĂ©[32]. S'inspirant de son internement dans le camp de concentration de Dachau, l'homme, profondĂ©ment marquĂ© par cette expĂ©rience traumatisante, propose de compenser la situation extrĂȘme Ă laquelle il assimile l'autisme par une mĂ©thode tout aussi extrĂȘme : « Si un milieu nĂ©faste peut conduire Ă la destruction de la personnalitĂ©, il doit ĂȘtre possible de reconstruire la personnalitĂ© grĂące Ă un milieu particuliĂšrement favorable »[33].
Premier auteur Ă avoir publiĂ© sur l'autisme en militant pour l'autonomisation et contre le dĂ©laissement Ă l'asile, la position de Bettelheim est complexe, voire marginale. Ă l'« Ăcole orthogĂ©nique », il s'attache davantage Ă l'Ă©ducation et Ă la psychothĂ©rapie institutionnelle qu'Ă la psychanalyse qu'il utilise selon une rĂ©interprĂ©tation trĂšs libre[N 1] : « Dans beaucoup de ses Ă©crits, Bettelheim parle des modifications quâil a apportĂ©es Ă la psychanalyse pour lâadapter au traitement des enfants gravement perturbĂ©s »[35].
Bruno Bettelheim a été inspiré, dans ses travaux, par le psychologue et pédagogue américain John Dewey et la pédagogue italienne Maria Montessori, voire le psychologue et épistémologue suisse Jean Piaget[35]. Il revendique une approche plus éducative que thérapeutique[36].
Influence de Bettelheim en France jusque dans les années 1980
Bettelheim est fortement mĂ©diatisĂ© en France en 1974[37]. D'aprĂšs l'historien Jonathyne Briggs « alors que ses thĂ©ories Ă©taient de plus en plus Ă©cartĂ©es aux Ătats-Unis au profit de nouvelles approches ancrĂ©es dans les neurosciences et la psychologie comportementale qui ont Ă©clipsĂ© la psychanalyse, ses idĂ©es sont devenues plus influentes en France, oĂč la psychanalyse est devenue le traitement principal de la psychose infantile »[38]. L'implantation de la psychanalyse en France assure un grand succĂšs et une forte diffusion aux thĂ©ories de Bettelheim durant une trentaine d'annĂ©es, jusqu'Ă sa remise en cause par les associations françaises de parents d'enfants autistes et par les mĂ©dias durant les annĂ©es 1990[38]. Aux Ătats-Unis, l'approche de l'autisme est rĂ©orientĂ©e vers les mĂ©thodes Ă©ducatives uniquement[39]. Selon Dominique Bourdin, la dĂ©fense de la thĂ©orie de Bettelheim par certains psychanalystes est vraisemblablement Ă l'origine de la contestation des associations françaises de parents d'enfants autistes, qui se sont opposĂ©es (parfois de façon agressive) Ă l'approche psychanalytique de l'autisme dans ce pays[40]. Cette thĂ©orie est progressivement abandonnĂ©e en France[41], cependant, d'aprĂšs Jean-NoĂ«l TrouvĂ©, en 2015, elle continue Ă faire des « ravages dans quelques « noyaux durs » de la psychopathologie »[42].
Remise en cause de Bettelheim depuis les années 1980
La thĂ©orie personnelle de Bettelheim veut que les enfants soient devenus autistes par manque dâamour des parents, et notamment de leur mĂšre[43] - [44]. Bettelheim propose des mĂ©thodes violentes impliquant la sĂ©paration de l'enfant de son milieu familial, et accuse les mĂšres d'ĂȘtre prĂ©morbides et mortifĂšres, ce qui lui vaut de nombreuses critiques[36] - [45] - [46]. En particulier, l'article de Richard Pollak (repris dans Le Livre noir de la psychanalyse[47]) et celui d'AgnĂšs Fombonne mettent en lumiĂšre la violence de ses pratiques Ă l'Ă©gard des enfants et de leur famille, et leur impact sur la culpabilisation des mĂšres d'enfants autistes par les professionnels de santĂ©[48].
Bettelheim et ses collĂšgues de l'Ă©cole orthogĂ©nique dĂ©clarent publiquement ĂȘtre capables de « guĂ©rir l'autisme »[49] - [50], attribuant la bonne Ă©volution de la moitiĂ© des enfants au traitement qu'il applique[51] ; dans deux biographies Ă son sujet, Bettelheim est aussi accusĂ© de maltraitances sur ces enfants autistes[50].
D'aprĂšs Richard Pollack, la thĂ©orie de la mĂšre rĂ©frigĂ©rateur dĂ©fendue par Bettelheim est dĂ©sormais abandonnĂ©e dans de trĂšs nombreux pays, dont les Ătats-Unis, le Royaume-Uni et le Japon, mais reste dĂ©fendue et enseignĂ©e en France en 2005 : « Bettelheim reste encore une sorte de hĂ©ros, et bon nombre de psychiatres et de psychanalystes français semblent continuer de penser que les parents ont une part de responsabilitĂ© dans la pathologie de leurs enfants, quâils demeurent toujours coupables pour une raison ou une autre, mĂȘme si ce nâest plus aussi crĂ»ment dit[52]. ».
L'avis 102 du comité consultatif national d'éthique, rendu en novembre 2007 en France par Jean Claude Ameisen, incrimine la diffusion des idées défendues par Bettelheim comme étant responsable d'une souffrance inutile des mÚres d'enfants autistes en France. La théorie de Bettelheim est également citée comme responsable de l'absence de prise en charge éducative adaptée aux enfants autistes en France[53] - [54].
Michelle Dawson, elle-mĂȘme autiste, analyse le dĂ©placement du stigmate des parents vers les personnes autistes dans son texte intitulĂ© Bettelheim's worst crime (en français : « le pire crime de Bettelheim »), disant « Nous sommes passĂ©s de la « mĂšre frigidaire » à « l'autiste-poltergeist ». AccusĂ©s jadis par Bettelheim dâĂȘtre la cause de lâautisme, les parents sont aujourdâhui perçus comme ses victimes hĂ©roĂŻques et tragiques. Profitant de la marge de manĆuvre que la sociĂ©tĂ© accorde aux hĂ©ros et aux martyres dâune cause, les parents se sont dĂ©barrassĂ©s de tout devoir de rendre des comptes aux autistes et ont pris le contrĂŽle de la recherche et des agendas publics. Une vision catastrophiste de lâautisme signifie que toute enquĂȘte sur les revendications parentales est non seulement improbable, mais supposĂ©e rĂ©prĂ©hensible »[55].
Tournant des annĂ©es 1970 aux Ătats-Unis : revers des thĂ©ories psychanalytiques et autisme savant
Dans les annĂ©es 1970 commence ce que Laurent Mottron appelle « la pĂ©riode scientifique de lâautisme » (Mottron, 2004)[56]. Alors que les thĂ©ories psychanalytiques ont considĂ©rablement influencĂ© la psychiatrie de lâenfant au dĂ©but du XXe siĂšcle, elles connaissent dĂ©sormais « un revers tout Ă fait spectaculaire »[56] : l'hypothĂšse psychodynamique est abandonnĂ©e, le DSM est rĂ©visĂ© dans le but de remĂ©dicaliser la psychiatrie et lâessor des sciences cognitives participe Ă ce changement[56].
Les psychanalystes Myriam Perrin et GwĂ©nola Druel-Salmane observent que parallĂšlement, un nouveau signifiant « sâaccole Ă celui dâautisme : lâintelligence »[56]. Tandis que Leo Kanner affirme en 1971 que trois des enfants observĂ©s en 1943 avaient acquis une autonomie « âgrĂące Ă leur obsessionnalitĂ© qui fut valorisĂ©e et orientĂ©e pour une utilisation pratiqueâ » (Kanner, 1971) », la dĂ©couverte de l'autisme savant, « tourne dĂ©finitivement en dĂ©suĂ©tude lâimage gravement dĂ©ficitaire de la pathologie suggĂ©rĂ©e par les psychanalystes anglo-saxons », pour qui les « signes dâun potentiel intellectuel Ă©levĂ© » Ă©taient des « cas d'idiots savants constituĂ©s dâenfants autistiques âguĂ©risâ (Tustin, 1972) »[56].
"Approche" française de l'autisme
D'aprĂšs le psychanalyste Alex Raffy, les psychanalystes français qui ont Ă©tudiĂ© l'autisme se rĂ©partissent principalement entre deux Ă©coles : une traditionnelle, « d'obĂ©dience anglo-saxonne, associĂ©s Ă l'International Psychoanalytic Association », et les lacaniens[57]. Toujours selon Raffy, « Chaque auteur a inventĂ© un mythe ou une fantaisie sur lâorigine de lâautisme, pour Ă©laborer sa perspective clinique. Ces analystes ont eu le courage de sây confronter, lorsque les autres professionnels les considĂ©raient comme perdus pour leur famille et la sociĂ©tĂ©. Leur autre mĂ©rite est de ne pas les avoir pris pour des idiots incurables et de les avoir respectĂ©s, Ă lâĂ©coute de toutes leurs expressions. Ă la suite des Anglo-Saxons opposant dĂ©jĂ autisme et schizophrĂ©nie infantile, les lacaniens aprĂšs 1980 vont distinguer autisme et psychose infantile. »[57].
D'aprÚs le psychiatre Jean Cottraux, « la psychanalyse a décliné en France à partir de la mort de Jacques Lacan en 1981 [...] Cependant la conscience du déclin n'est véritablement apparue, chez les psychanalystes français, qu'aprÚs le rapport INSERM : trois thérapies évaluées en 2004 »[58].
Dans le sillage de la théorie lacanienne
Selon Jean-Pierre Rouillon, l'abord de l'autisme d'aprĂšs Jacques Lacan consiste Ă prendre en compte les modalitĂ©s particuliĂšres du rapport de lâenfant autiste au langage : « Le signifiant, dans lâautisme, ne se prĂ©sente pas sur son versant dâarticulation, sur son versant de sens. Il se prĂ©sente comme unique, comme tout seul, aussi bien sur le versant du commandement que sur le versant dâune satisfaction liĂ©e Ă ce qui rĂ©sonne de sa substance sonore. Quant au dire, il ne doit pas se situer dans les rivages du sens, mais ouvrir par la voie du redoublement Ă lâĂ©mergence dâune Ă©criture singuliĂšre oĂč ce qui sâentend peut trouver Ă se satisfaire dans une adresse Ă lâautre. Câest dans cette adresse Ă lâautre que vient se dessiner le lieu dâune perte dĂ©livrant le sujet du sacrifice de son ĂȘtre. Câest cette voie qui permet au sujet autiste de construire un espace oĂč sâappareiller dans son rapport au rĂ©el. Ce nâest pas le langage qui structure le monde de lâautiste, mais sa langue particuliĂšre, dĂšs lors quâelle lui donne matiĂšre Ă trouver une satisfaction dans un dialogue avec lâautre, satisfaction qui vient faire limite Ă lâexigence infinie de la jouissance. Le psychanalyste ne doit pas reculer devant lâautisme. Câest en effet, Ă partir de ce quâil a pu extraire de sa propre analyse, quâil peut offrir au sujet autiste qui y consent, la chance dâun dialogue au cours duquel peut se tisser dans une adresse inĂ©dite, une voie enfin singuliĂšre au-delĂ de la pulvĂ©rulence des entendus »[59].
Bishop et Swendsen notent que, bien que Lacan n'ait pas travaillé avec des enfants autistes, il continue d'exercer un attrait important sur les intellectuels français du domaine de l'autisme, alors que les intellectuels d'autres pays « moins crédules » considÚrent son « verbiage cachant une pensée confuse » avec scepticisme[60].
Françoise Dolto : Prise en charge et pratique
Françoise Dolto a dĂ©butĂ© sa carriĂšre au sein d'un mouvement de psychiatrie radicale, durant les annĂ©es 1960 et 1970[61]. Sa rĂ©fĂ©rence psychanalytique est surtout lacanienne, avec un intĂ©rĂȘt particulier pour les idĂ©es de Jean Oury, FĂ©lix Guattari, et surtout Maud Mannoni[61].
HypothÚses de Françoise Dolto
Avec Mannoni, Dolto analyse les « psychoses infantiles » Ă travers un rĂ©fĂ©rentiel antipsychiatrique, et y voit le rĂ©sultat d'un environnement familial pathogĂšne[61], causant une « rupture traumatique et trĂšs prĂ©coce du lien symbolique mĂšre-enfant »[62]. Son Ă©tude de cas la plus connue, Le cas Dominique, attribue Ă cet environnement familial la cause de la « psychose infantile »[63] - [61]. Dans son cĂ©lĂšbre ouvrage La cause des enfants, elle dĂ©clare que « Lâautisme, en fait, cela nâexiste pas Ă la naissance. Il est fabriquĂ©. Câest un processus rĂ©actionnel dâadaptation Ă une Ă©preuve touchant lâidentitĂ© de lâenfant »[64] - [65], ce que le psychiatre Dominique Campion analyse comme une « variation grand public sur le thĂšme de la mĂšre fabriquant l'autisme »[65]. Dans ses Ă©crits, Dolto se limite Ă une stricte formulation d'obĂ©dience psychanalytique, classant l'autisme comme « une extension maximale de la psychose »[66]. Dans une cĂ©lĂšbre interview parue dans Le Nouvel Observateur en 1968, la psychiatre relie ce qu'elle considĂšre comme une affection psychiatrique Ă une « dĂ©faillance de la dynamique libidinale des parents », situant « l'origine de la dite psychose infantile autour de l'Ćdipe des parents qui ne serait pas rĂ©solu »[67]. D'aprĂšs la psychanalyste Laurence Darcourt, Françoise Dolto « emploie l'expression « tomber dans l'autisme », car « il s'agit d'une chute dans une image du corps du passĂ© » »[62].
Conséquences des hypothÚses de Françoise Dolto
Les idées de Dolto influencent fortement les institutions pédopsychiatriques françaises, dont la plupart des services d'hÎpitaux de jours publics et privés accueillant des enfants diagnostiqués comme psychotiques, puis autistes, durant les trois derniÚres décennies du XXe siÚcle[68]. Le chercheur postdoctoral en histoire Richard Bates estime que le rÎle de Françoise Dolto dans la compréhension et le traitement psychanalytique de l'autisme en France est « important », et qu'il a été « sous-estimé »[61].
Didier Pleux[69], Bishop et Swendsen[70], de mĂȘme que Richard Bates[63] - [71] - [61], estiment que Dolto est responsable de la perpĂ©tuation de mĂ©connaissances relatives Ă l'autisme[70] - [61]. Les opinions de Françoise Dolto ont en effet contribuĂ© Ă faire culpabiliser Ă tort de nombreuses mĂšres françaises d'enfants autistes[63] - [61] - [70]. Bates souligne que la pensĂ©e psychanalytique de Dolto s'est diffusĂ©e auprĂšs dâun large public, tout particuliĂšrement des mĂšres, via une quarantaine dâouvrages[61]. Dans les annĂ©es 2010, ces livres restent prĂ©sents dans de nombreuses bibliothĂšques parentales et de psychologues[63] - [61]. Pleux note que de nombreux centres d'accueil pour enfants autistes continuent, en 2008, Ă accorder du crĂ©dit aux idĂ©es de Dolto Ă propos de l'autisme[69].
Bishop et Swendsen soulignent enfin un effet nĂ©faste de la thĂ©orie de la sexualitĂ© infantile soutenue par Françoise Dolto, qui dĂ©clare, Ă diverses reprises dans ses Ćuvres et dans certaines interventions radiophoniques, que l'enfant cherche des relations sexuelles avec des adultes : ils estiment que la mobilisation de ces idĂ©es a pu servir Ă justifier et garder impunies des agressions sexuelles (dont l'inceste) et des maltraitances d'enfants autistes[72].
Plusieurs psychanalystes se sont exprimĂ©s dans la presse française pour soutenir Françoise Dolto. Jean-Pierre Winter dĂ©clare qu'« On a cru que Dolto les [parents] culpabilisait, alors qu'elle leur disait "ce n'est pas de votre faute, c'est de votre fait" » ; Willy Baral soutient quant Ă lui Françoise Dolto « a humanisĂ© les liens avec les enfants autistes »[73]. Pour Bernard Golse, qui s'exprime dans Ăa m'intĂ©resse, « du fait que plus personne ne dit que l'autisme est une maladie psychique pure, la pluralitĂ© des facteurs en cause rend le message de la pĂ©dopsychiatre un peu moins percutant. Mais alors que les jeunes parents sont de plus en plus prĂ©occupĂ©s par lâĂ©ducation, [...], la parole de Françoise Dolto demeure une rĂ©fĂ©rence »[74].
Autres auteurs
Dans les annĂ©es 1990, Rosine et Robert Lefort esquissent une approche de lâautisme comme une structure subjective diffĂ©rente de la psychose[75]. Cette intuition est exploitĂ©e dans le courant lacanien Ă partir de la thĂšse dâEric Laurent, selon laquelle dans lâautisme la jouissance fait retour sur le bord, câest-Ă -dire en premier lieu sur les objets autistiques[76]. Jean-Claude Maleval cherche Ă prĂ©ciser la spĂ©cificitĂ© de la structure autistique en la caractĂ©risant par une rĂ©tention des objets de la pulsion, pas une aliĂ©nation retenue dans le langage, et par un appareillage de la jouissance par le bord[77]. Cette approche ne prĂŽne pas une interprĂ©tation du prĂ©sent par le passĂ©, mais une construction du sujet en prenant appui sur les fonctions protectrices, rĂ©gulatrices et mĂ©diatrices du bord[78].
Conceptualisation actuelle
Selon Mottron et Feinstein, Ă partir des annĂ©es 1960-1970, les thĂ©ories psychanalytiques de l'autisme sont progressivement abandonnĂ©es, Ă l'exception de deux rĂ©gions du monde : la France (et la Suisse romande[79]), et l'AmĂ©rique latine[80] (en Argentine tout particuliĂšrement, oĂč l'enseignement des idĂ©es de Jacques Lacan et de Melanie Klein reste vivace[81]). Pour les chercheurs Dorothy Bishop (professeure de neuropsychologie du dĂ©veloppement Ă l'UniversitĂ© d'Oxford), et Joel Swendsen (professeur de psychologie clinique au CNRS), la France est le cas le plus connu de pays continuant Ă prendre au sĂ©rieux la psychanalyse dans le domaine de l'autisme, au contraire des orientations prises dans la grande majoritĂ© des autres pays du monde[82]. La psychanalyse n'est pas mĂȘme listĂ©e parmi les interventions en autisme par le NICE (National Institute for Health and Care Excellence), car unanimement considĂ©rĂ©e comme inutile dans l'approche d'une condition dont l'origine est gĂ©nĂ©tique[82].
Pour le psycholinguiste (ENS) Franck Ramus, l'abandon de l'approche psychanalytique s'explique « parce quâelle nâapporte rien Ă la connaissance de lâautisme, tout simplement » ; il ajoute que les psychanalystes « se rĂ©fĂšrent Ă un modĂšle thĂ©orique des maladies mentales qui nâa aucune validitĂ© scientifique »[83]. Cette observation est partagĂ©e par le Pr Jonathan Green (universitĂ© de Cambridge), pour qui « la thĂ©orie sous-jacente Ă lâutilisation de la psychanalyse, câest-Ă -dire comprendre lâautisme â câest la base de lâintervention â, est fausse du point de vue scientifique »[84]. Bishop et Swedsen soulignent, en 2020, le fait que « les problĂšmes plus profondĂ©ment enracinĂ©s [de la psychanalyse dans l'autisme] sont le manque de bases factuelles pour la psychanalyse et l'accent mis sur les relations sexuelles entre enfants et adultes, ce qui diabolise les mĂšres et peut exposer les enfants Ă des abus »[82]. Ils notent que « de plus, la psychanalyse en France est protĂ©gĂ©e de la critique par de puissants rĂ©seaux Ă©ducatifs et politiques »[82].
Marie-Christine Laznik et Atelier-classe PREAUT
Une hypothĂšse plus rĂ©cente, de Marie-Christine Laznik, Ă©voque un dĂ©faut du « troisiĂšme temps pulsionnel oral ». D'aprĂšs Freud, qui a dĂ©crit les trois temps du dĂ©veloppement pulsionnel du bĂ©bĂ©, dont le dernier est celui oĂč le bĂ©bĂ© se fait l'objet de satisfaction de lâAutre, aprĂšs s'ĂȘtre Ă©lancĂ© vers l'objet de satisfaction et s'ĂȘtre retournĂ© sur lui-mĂȘme dans le stade auto-Ă©rotique, le second stade[85], le troisiĂšme temps en question de l'organisation pulsionnelle de l'enfant consisterait selon Lacan en « une apparente passivitĂ© dans laquelle quelquâun se laisse regarder, se laisse manger⊠dans le jeu du faire semblant »[86]. Ă partir de 1995, Laznik explore cette hypothĂšse Ă partir des textes et sĂ©minaires de Jacques Lacan. En 2017, elle estime que le travail collectif dans le cadre de l'association PREAUT[87] confirme la justesse de son point de vue[88].
La sociologue française Lise Demailly souligne que l'association PREAUT (à travers la citation d'un article de M. Allione) fait partie des rares acteurs du champ de l'autisme à soutenir qu'il soit « guérissable »[89]. Selon l'ingénieur et psycholinguiste Franck Ramus, la « conception théorique fumeuse » énoncée par Mme Laznik n'a jamais été validée scientifiquement[90].
Effets de l'approche française sur les élÚves autistes
En 2012, la professeure et responsable de formation Ă l'Institut national supĂ©rieur de formation et de recherche pour l'Ă©ducation des jeunes handicapĂ©s et les enseignements adaptĂ©s (INSHEA) Christine Philip souligne les effets de l'approche psychanalytique de l'autisme en France sur la scolarisation des Ă©lĂšves[91]. L'autisme ayant longtemps Ă©tĂ© considĂ©rĂ© comme une psychose par les psychanalystes français, pour les enfants diagnostiquĂ©s comme autistes « lâĂ©ducation nâest pas exclue, mais elle est remise Ă plus tard, lorsque lâenfant ira mieux »[91]. Ă partir des annĂ©es 1980, « sous la pression des associations de parents », une scolarisation en milieu ordinaire est mise en place dans des classes intĂ©grĂ©es, puis dans les CLIS et les ULIS Ă partir des annĂ©es 1990, enfin dans les classes ordinaires des Ă©coles et collĂšges Ă partir des annĂ©es 2000[91]. Philip note qu'« en une trentaine dâannĂ©es, nous avons assistĂ© Ă un changement complet de perspectives, de regards et de pratiques dans ce domaine, grĂące en grande partie Ă lâaction des personnes concernĂ©es elles-mĂȘmes, les parents dâabord et les personnes avec autisme ultĂ©rieurement. Ainsi ces personnes, qui Ă©taient au dĂ©part apprĂ©hendĂ©es comme des malades psychiatriques quâil fallait soigner dans des lieux sĂ©parĂ©s, sont aujourdâhui considĂ©rĂ©es comme Ă Ă©duquer et scolariser, en prioritĂ© en milieu ordinaire »[91].
Dans le contexte d'une analyse du taux de scolarisation des Ă©lĂšves autistes, la journaliste indĂ©pendante Isabelle Gravillon note que l'« impossibilitĂ© chez certains professionnels Ă travailler main dans la main, pour le bien-ĂȘtre des enfants autistes et des familles » rĂ©sulte dâ« une spĂ©cificitĂ© historique » de la France, qui, « pendant de nombreuses annĂ©es, a mis en avant la psychanalyse comme seul moyen de soigner lâautisme »[92].
Lâautisme en psychanalyse aujourd'hui : situation et controverses
Critiques du « soin » d'inspiration psychanalytique
D'aprÚs Casanova et al., l'application de la théorisation psychanalytique, préconisant une séparation familiale, entraßne l'exposition des enfants autistes à des interventions parfois douloureuses[20]. Steve Silberman cite en exemple l'une des patientes autistes d'Ole Ivar LÞvaas, qui subit à la fois les conséquences de l'interprétation de ses comportements d'automutilation sous l'angle de la théorie psychanalytique (séparation parentale et interprétation du comportement comme résultant d'un sentiment intériorisé de culpabilité), et l'application de l'analyse appliquée du comportement (ABA) de l'époque (correction des comportements d'auto-mutilation par punition, jusqu'à leur cessation)[93].
La pratique psychanalytique a toujours considĂ©rĂ© l'autisme comme un trouble affectif devant uniquement ĂȘtre pris en charge au niveau psychiatrique, mettant de cĂŽtĂ© d'autres possibilitĂ© de recherche quant aux possibilitĂ©s d'autres causes, telles que la recherche gĂ©nĂ©tique. L'exclusivitĂ© de ce type de soins durant des dĂ©cennies entraĂźne une critique assez sĂ©vĂšre de la prise en charge de l'autisme par la haute autoritĂ© de la santĂ© le 06 mars 2012[94].
Le Dr en histoire Richard Bates, en 2018, analyse que le retard de la France en matiÚre de respect des droits humains fondamentaux des personnes autistes (scolarisation, vie autonome, accÚs au diagnostic...) est dû à l'influence de la psychanalyse, et en particulier celle des théories de Jacques Lacan et de Françoise Dolto[1]. Le pédopsychiatre et psychanalyste Didier Houzel mentionne (en 2018) que « l'application de la psychanalyse au traitement des autistes persiste malgré toutes les attaques dont elle fait l'objet »[95].
Critiques dans l'application des théories
La notion d'autisme a connu des ruptures de l'acceptation clinique en psychiatrie, des flottements et des ruptures dans les conceptions en psychanalyse, et de vĂ©ritables conflits entre praticiens et parents qui se sont mĂȘme soldĂ© en France par une intervention politique d'une haute autoritĂ© de la santĂ©.
D'aprĂšs Silberman, l'essor du mouvement de la neurodiversitĂ© aux Ătats-Unis dĂ©coule indirectement des dĂ©finitions successives de l'autisme donnĂ©es dans le DSM[96]. La troisiĂšme Ă©dition, fortement imprĂ©gnĂ©e des thĂ©ories psychanalytiques et des travaux de Leo Kanner, connaĂźt un succĂšs planĂ©taire, entraĂźnant la pose du diagnostic d'autisme sur un grand nombre de personnes Ă travers le monde, en raison de ses critĂšres plus inclusifs que dans les Ă©ditions prĂ©cĂ©dentes[96]. La quatriĂšme Ă©dition du DSM, qui Ă©limine les rĂ©fĂ©rences Ă la psychanalyse pour dĂ©finir l'autisme, propose des critĂšres plus inclusifs encore[96].
En France, la rĂ©fĂ©rence des praticiens pour poser les diagnostics est plutĂŽt la CFTMEA, trĂšs imprĂ©gnĂ©e de psychanalyse. D'aprĂšs le sociologue amĂ©ricain Gil Eyal, Ă la suite d'une comparaison des diagnostics d'autisme entre 17 pays dĂ©veloppĂ©s sur la pĂ©riode allant de 1966 Ă 2001 â effectuĂ©e par Ăric Fombonne â, la prĂ©valence de l'autisme en France est la plus basse parmi tous ces pays[97]. Il l'explique par « le prestige que la psychanalyse continue de revĂȘtir en France », par la spĂ©cificitĂ© des critĂšres diagnostiques de la CFTMEA, et par le trĂšs haut taux d'institutionnalisation des personnes autistes en France, de loin le plus Ă©levĂ© d'Europe[97].
Au niveau international, l'autisme est sorti de la catĂ©gorie des psychoses, et considĂ©rĂ© comme un trouble neuro-dĂ©veloppemental[98]. En revanche, des psychanalystes français continuent de soutenir qu'« il ne semble y avoir ni Ă©vidence clinique, ni Ă©vidence thĂ©orique, Ă considĂ©rer lâautisme comme en dehors du champ des psychoses prĂ©coces »[99].
Bishop et Swendsen soulignent que les enfants autistes sont « sans dĂ©fense face Ă l'interprĂ©tation de leurs pensĂ©es et motivations » par l'analyste, interprĂ©tations par ailleurs non-confirmĂ©es scientifiquement[100]. Pour eux, « dans ses formes les plus extrĂȘmes, [la psychanalyse] peut causer des dommages aux parents, en particulier aux mĂšres, qui sont diabolisĂ©es Ă la fois parce qu'elles sont trop impliquĂ©es et trop Ă©loignĂ©es de leurs enfants, et aux enfants eux-mĂȘmes »[101].
Sur les « parentectomies »
L'application des thĂ©ories reposant sur la maternitĂ© mortifĂšre a conduit Ă des « parentectomies », via la sĂ©paration des enfants autistes de leur famille, suivie de leur placement[102] - [103] - [45] - [46]. Ces parentectomies sont elles-mĂȘmes Ă l'origine de grandes souffrances pour les enfants autistes et leur famille[102]. Plusieurs expĂ©riences de re-placements d'enfants autistes chez de nouvelles familles (nommĂ©es rebirthing therapies aux Ătats-Unis) se sont rĂ©vĂ©lĂ©es non concluantes, ou pire, ont entraĂźnĂ© une souffrance accrue chez ces enfants[104]. En France, selon Christine Phillip, l'affaire Rachel est « emblĂ©matique » de ces placements d'enfants autistes jugĂ©s abusifs par leurs familles, placements justifiĂ©s par le rĂ©fĂ©rentiel psychanalytique, car « les professionnels qui tiennent les postes clĂ©s [âŠ] sont majoritairement encore formĂ©s Ă lâapproche psychanalytique. Ce qui engendre, dans cette affaire Rachel comme dans bien dâautres, beaucoup de difficultĂ©s comme les familles le dĂ©plorent »[105].
De la théorie à l'étiologie (critiques)
D'aprÚs le Dr Thomas Richardson, psychologue clinicien britannique, citant Peter Hobson (en) (2005), « la plupart des premiers psychanalystes croyaient que l'autisme était psychogÚne, [idée] que l'on retrouve encore aujourd'hui dans ces approches »[106]. Meltzer (1975) a développé un modÚle étiologique basé sur le démantÚlement de l'ego, selon lequel les enfants autistes divisent leur moi entre différents sens, de sorte qu'ils ne peuvent jamais percevoir correctement le monde qui les entoure, et que toutes leurs sensations sont combinées[106]. Le modÚle étiologique de Tustin (1977) se basait sur la peur qu'a l'enfant d'une discontinuité entre son corps et l'extérieur, le nourrisson autiste se protégeant de cette peur en construisant une illusion selon laquelle il ne ferait qu'un avec le monde extérieur[107].
Si l'autisme n'a pas de dĂ©finition autre que celle d'un Ă©tat clinique dĂ©fini et observĂ©, il n'en est pas moins soumis Ă la question rĂ©currente du caractĂšre acquis ou innĂ© de l'ensemble des cas alors mĂȘme que certains parlent des autismes au pluriel[108].
Historiquement on trouve dĂšs l'essai de Jung en 1906 l'idĂ©e d'« une causalitĂ© qui ne peut ĂȘtre dĂ©terminĂ©e », ce sur quoi il postule « la mise en cause d'un facteur mĂ©tabolique ou d'une prĂ©disposition organique cĂ©rĂ©brale »[109].
En 1943 Kanner explique clairement dÚs qu'il définit le trouble qu'il a de purs exemples de caractÚre inné de trouble autistique du contact affectif (appellation d'origine de ce qui est ensuite communément appelé autisme)[110]. Il est néanmoins à l'origine de ce qui sera repris dans l'accusation des mÚres.
D'aprĂšs Demailly (2019), les partisans de l'approche psychodynamique de l'autisme membres de l'association PRĂAUT, tels que Marie Allione, soutiennent que l'autisme serait guĂ©rissable[89] - [111].
Sur la théorie des « mÚres réfrigérateurs » de Kanner et ses suites
Pour Leo Kanner, lâautisme est « une maladie, au mĂȘme titre que la phĂ©nylcĂ©tonurie » : elle se caractĂ©rise par un « trouble innĂ© de la communication »[18]. Toutefois â au dĂ©but du moins â, Kanner remarque « chez les parents un profil singulier : une mĂšre quâil dĂ©crit comme faussement affectueuse, superficielle, en fait froide voire « rĂ©frigĂ©rateur » [...], un pĂšre intellectuel, perdu dans ses pensĂ©es ou ses soucis de carriĂšre. »[18]. Selon Jacques Hochmann, « rĂ©frigĂ©rateur » est le mot de Kanner et non celui de Bettelheim Ă qui il a Ă©tĂ© « fautivement attribuĂ© » et qui « ne lâa jamais prononcĂ© »[18].
Dans sa description princeps, Leo Kanner observe et écrit en effet que les parents des enfants « autistes » sont froids ou distants, comme « laissés dans un réfrigérateur qui ne dégivre pas »[N 2]. En 1958, l'Université Yale, qui dispose d'une unité de soins en autisme, est totalement dominée par l'enseignement psychanalytique[112]. La neurologue américaine Mary Coleman estime que Kanner est influencé par les aspects antiféministes de la théorie psychanalytique de son époque, ce qui entraßne une application subséquente fortement orientée contre les mÚres[113].
D'aprĂšs Patrick Zimmermann, citĂ© par Richard Pollak dans Le Livre noir de la psychanalyse, Bruno Bettelheim, qui n'inclut pas dans sa reprise de la notion d'autisme les causes innĂ©es, a repris cette idĂ©e pour dĂ©noncer une cause d'origine maternelle. PsychothĂ©rapeute et dit « psychanalyste autodidacte[N 3] », il a vulgarisĂ© une approche de l'autisme associĂ© aux situations extrĂȘmes dont la dĂ©portation qu'il avait lui-mĂȘme vĂ©cue[114], et identifiait dans le « repli autistique » la preuve d'un traumatisme. Il prĂ©cise « Ce n'est pas l'attitude maternelle qui produit l'autisme, mais la rĂ©action spontanĂ©e de l'enfant Ă cette attitude[115] », mais aussi que « Tout au long de ce livre, je soutiens que le facteur qui prĂ©cipite l'enfant dans l'autisme infantile est le dĂ©sir de ses parents qu'il n'existe pas[116]. »
Cette conception continue d'ĂȘtre associĂ©e Ă l'approche psychanalytique, notamment au travers de lâexpression « mĂšre rĂ©frigĂ©rateur »[117], et exerce une importante influence sur l'approche psychanalytique de l'autisme en France[72]. Cette thĂ©orie est mobilisĂ©e malgrĂ© l'absence de toute Ă©tude avec groupe de contrĂŽle qui permettrait de la confirmer, et en particulier l'Ă©tude de Allen et al. (1971), qui n'a dĂ©terminĂ© aucune diffĂ©rence de profil psychologique entre les parents d'enfants autistes ou avec un retard mental, et les parents des enfants du groupe de contrĂŽle[31]. Cette thĂ©orie causale d'une mauvaise relation maternelle est largement mobilisĂ©e par les psychiatres-psychanalystes français pour expliquer l'autisme chez l'enfant, menant Ă une rĂ©volte des associations de parents, qui portent ce dĂ©bat dans les mĂ©dias durant les annĂ©es 1980 et 1990[50]. En 2002 sort le documentaire Refrigerator Mothers qui, d'aprĂšs AndrĂ© Feinstein, « ne laisse aucun doute quant aux cicatrices Ă©motionnelles infligĂ©es aux mĂšres aprĂšs le diagnostic de leur enfant », expliquant le militantisme ultĂ©rieur de ces mĂšres contre l'approche psychanalytique[118].
Les psychanalystes Perrin et Salmane estiment que les thĂšses de Bettelheim, mises en exergue par les opposants Ă la psychanalyse, sont restĂ©es minoritaires, y compris dans son propre camp[51], ce alors que Bishop et Swendsen estiment au contraire que leur influence fut et reste trĂšs importante en France[100]. Le psychiatre-psychanalystre Abram Coen dĂ©clare en 2004 que les praticiens d'inspiration psychanalytique ont abandonnĂ© ces thĂ©ories, et mettent l'accent sur une position Ă©thique de respect de la souffrance des patients et de leur famille[119]. Cependant, pour Bishop et Swendsen, commentant un article de Didier Houzel en dĂ©cembre 2020, « soutenir que la psychanalyse ne blĂąme pas les parents semble malhonnĂȘte », et « en France, le rĂŽle des parents, surtout les mĂšres, en tant que cause des troubles, a Ă©tĂ© une caractĂ©ristique essentielle du travail psychanalytique avec les enfants » (notamment dans les Ă©crits de Françoise Dolto)[100].
Cette culpabilisation des parents d'enfants autistes par des analystes, qui leur imputent la responsabilitĂ© du handicap de leur enfant, se perpĂ©tue en France, comme le dĂ©montrent l'enquĂȘte de la sociologue française CĂ©cile MĂ©adel publiĂ©e en 2005 (Ă partir d'une liste de discussion de l'association Autisme France) ; les films documentaires de Sophie Robert publiĂ©s de 2012 Ă 2018[100] ; ainsi que les tĂ©moignages de nombreux parents Ă ce sujet, dont Francis Perrin[120]. D'aprĂšs MĂ©adel, « cette interprĂ©tation psychanalytique de lâautisme est encore largement mobilisĂ©e, non seulement dans un espace public large qui va des mĂ©dias Ă leurs collĂšgues de travail ou leur famille, mais aussi chez les professionnels des soins. Les trajectoires des parents montrent la prĂ©gnance de ces approches de lâautisme chez les professionnels de la santĂ© et de lâĂ©ducation. RĂ©guliĂšrement, reviennent sur la liste, suscitant toujours la mĂȘme solidaritĂ© et la mĂȘme rĂ©volte, des rĂ©cits dâĂ©pisodes douloureux qui ont vu la responsabilitĂ© du handicap imputĂ©e aux parents »[121].
Débats autour de l'efficacité de la psychanalyse
La psychothĂ©rapeute Paula Jacobsen publie une Ă©tude comparative entre plusieurs psychothĂ©rapies en 2004, concluant Ă l'inefficacitĂ© des approches psychanalytiques dans le cas du syndrome d'Asperger[122]. Comparant l'approche psychanalytique et l'approche cognitive de l'autisme dans le cadre d'une analyse comparĂ©e de la littĂ©rature scientifique, en 2008, le Dr Richardson prĂ©cise qu'aucune des deux ne peut prĂ©tendre guĂ©rir l'autisme, « mĂȘme si, Ă l'heure actuelle, il y a plus de preuves qui suggĂšrent que les approches cognitives ont le plus grand potentiel pour amĂ©liorer le pronostic des enfants autistes »[123]. Tony Attwood dĂ©conseille, en 2012, le recours Ă une thĂ©rapie psychanalytique mĂšre-enfant dans les cas des personnes avec syndrome d'Asperger, pour Ă©viter une culpabilisation inutile des mĂšres, prĂ©cisant que « de façon gĂ©nĂ©rale, la technique des thĂ©rapies psychanalytiques est mise Ă mal avec les patients prĂ©sentant un syndrome d'Asperger »[124].
D'aprĂšs le rapport de la Haute AutoritĂ© de santĂ© rendu en mars 2012, l'utilitĂ© de la psychanalyse pour les personnes autistes reste « non dĂ©montrĂ©e »[125]. Ce rapport range les « approches psychanalytiques » et la « psychothĂ©rapie institutionnelle » parmi les « interventions globales non consensuelles » puisquâil ne sâavĂ©rait pas possible de conclure Ă la pertinence de ces interventions en raison « dâabsences de donnĂ©es sur leur efficacitĂ© et de la divergence des avis exprimĂ©s ». Depuis lors, trois Ă©tudes ont Ă©tĂ© produites venant Ă lâappui dâune efficacitĂ© de diverses approches inspirĂ©es par la psychanalyse pour la prise en charge des enfants autistes. Elles sont mentionnĂ©es ci-dessous (Thurin, Cornet, Touati).
« Approches psychothĂ©rapeutiques de lâautisme. RĂ©sultats prĂ©liminaires Ă partir de 50 Ă©tudes intensives de cas » est publiĂ© en 2014 dans « Neuropsychiatrie de lâenfant et lâadolescent » par J-M Thurin et ses collaborateurs. Cette Ă©tude porte sur 50 psychothĂ©rapies dâenfants autistes suivis pendant un an par des thĂ©rapeutes dont les rĂ©fĂ©rences thĂ©oriques sont diffĂ©rentes, mais parmi lesquels les psychanalystes sont largement majoritaires (82 %). SĂ©bastien Ponnou, psychanalyste, dĂ©clare que la mĂ©thodologie en est rigoureuse[126], car elle sâefforce de rĂ©pondre aux critĂšres de preuve de lâAmerican Psychological Association concernant les Ă©tudes intensives de cas individuels. Les rĂ©sultats appuient lâidĂ©e que la psychothĂ©rapie, menĂ©e dans des conditions naturelles, par des praticiens expĂ©rimentĂ©s formĂ©s Ă la spĂ©cificitĂ© de lâautisme, est associĂ©e Ă des changements significatifs. « Ces changements concernent les comportements autistiques (qui se rĂ©duisent), le dĂ©veloppement (qui sâexprime statistiquement et cliniquement, notamment par des gains dâaptitudes), et le fonctionnement intrapsychique (qui se traduit par une rĂ©duction des rĂ©ponses Ă©motionnelles et une facilitation de la relation au monde et aux autres). Ainsi, les enfants nâont pas seulement rĂ©duit leurs symptĂŽmes et acquis de nouvelles fonctionnalitĂ©s, ils ont aussi accru leur sentiment de sĂ©curitĂ© intĂ©rieure et amĂ©liorĂ© leur reprĂ©sentation du monde et des autres, ce qui augure dâune capacitĂ© croissante de faire face Ă des stress courants »[127].
Selon Franck Ramus, cette Ă©tude « utilisĂ©e pour dĂ©fendre l'intĂ©rĂȘt de la psychanalyse pour l'autisme auprĂšs des pouvoirs publics » prĂ©sente de graves problĂšmes mĂ©thodologiques (absence de groupe de contrĂŽle) et de conflit d'intĂ©rĂȘts de ses auteurs ; il en conclut que « les limites mĂ©thodologiques de l'Ă©tude sont telles qu'il est Ă©vident que cet article, mĂȘme traduit, n'aurait eu aucune chance d'ĂȘtre acceptĂ© dans une revue internationale de psychiatrie faisant preuve d'un minimum d'exigence scientifique »[128]
Une autre Ă©tude a Ă©tĂ© publiĂ©e en 2017 dans lâĂvolution psychiatrique rĂ©alisĂ©e par des cliniciens se rĂ©fĂ©rant Ă une approche institutionnelle lacanienne mise en Ćuvre Ă La Coursive Ă LiĂšge en Belgique[129]. Vingt-quatre enfants autistes ĂągĂ©s en moyenne de 7 ans et 5 mois y ont participĂ©. Les changements ont Ă©tĂ© Ă©valuĂ©s deux ans aprĂšs leur admission. Les rĂ©sultats attestent une progression statistiquement significative dans tous les domaines abordĂ©s par lâĂ©chelle du Vineland (communication, autonomie, motricitĂ© et socialisation). LâĂ©tude Ă©tablit quâen respectant certains prĂ©alables, il est possible de se faire le partenaire de lâenfant autiste et de lui servir dâappui propre Ă animer une dynamique subjective.
Une troisiĂšme Ă©tude, dĂ©pourvue de groupe de contrĂŽle, est publiĂ©e en 2016. Elle porte sur une pratique institutionnelle orientĂ©e par la psychanalyse, celle de lâintersecteur du XIIIe arrondissement de Paris. Il sâagit dâune pratique de pĂ©dopsychiatrie Ă©clectique, utilisant des moyens diversifiĂ©s de traitement : il est fait appel Ă des actions pĂ©dagogiques, psychosociales et Ă©ducatives, comprenant des psychothĂ©rapies, de lâorthophonie, de la psychomotricitĂ©, des groupes de langage, des psychodrames, des entretiens parentaux et des rĂ©unions de parents, etc. Pour les psychothĂ©rapies lâabstinence analytique est considĂ©rĂ©e comme inappropriĂ©e et mĂȘme dĂ©lĂ©tĂšre. Les rĂ©sultats de cette recherche-action concernent les 138 patients de la file active de lâannĂ©e 2010 correspondant aux critĂšres du diagnostic TED (Troubles envahissants du dĂ©veloppement) de la CIM 10. Parmi ceux-ci Ă une approche plus fine 85, soit 62 %, furent considĂ©rĂ©s comme « Ă fonctionnement psychotique prĂ©valent », et seulement 53, soit 38 % « Ă fonctionnement autistique prĂ©valent ». LâĂąge moyen dâentrĂ©e pour les autistes Ă©tait de 3 ans et deux mois, et la durĂ©e moyenne de traitement de 4, 3 ans. Au terme, concernant les sujets autistes, une Ă©volution trĂšs positive est constatĂ©e pour 20,8 % des enfants, une Ă©volution positive pour 39,6 %, une Ă©volution moyenne ou faible pour 30,2 %, et une absence dâĂ©volution significative pour 9,4 %, ce que les auteurs analysent comme « excellent » comparĂ© Ă ce qui est obtenu par dâautres mĂ©thodes. Bien cette Ă©valuation porte sur la pratique dâun intersecteur de pĂ©dopsychiatrie, qui nâest pas spĂ©cialisĂ© dans le traitement de lâautisme, il apparaĂźt, notent les auteurs, que les rĂ©sultats « ne correspondent en rien aux annonces nombreuses dâinefficacitĂ© des traitements non exclusivement comportementalistes »[130]
Les scientifiques internationaux réunis en avril 2017 dans le cadre de la préparation du QuatriÚme plan autisme en France s'accordent sur l'absence de preuve d'efficacité de cette approche, et sur les risques qu'elle fait courir aux personnes autistes[84].
Le Pr Tony Charman (King's College de Londres) dĂ©clare qu« il nâexiste aucune preuve pour une approche psychanalytique dans le traitement des jeunes enfants avec autisme »[131]. La Pr Amaia HervĂĄs ZĂșñiga (UniversitĂ© de Barcelone, Espagne) dit « nous savons que la psychanalyse ne peut rien faire, et nous sommes totalement opposĂ©s Ă cette approche »[132]. Le Dr Jonathan Green dĂ©clare « quâil nâexiste pas de preuve, nulle part dans le monde, qui soutienne le recours Ă la psychanalyse »[133], la Pr Nadia Chabane (CHUV de Lausanne) que « nous nâavons aucun Ă©lĂ©ment aujourdâhui en faveur dâun accompagnement des TSA par la psychanalyse »[133]. Le Dr Kerim Munir (Boston Children's Hospital), pour qui « il faut que la position concernant la psychanalyse soit sans Ă©quivoque », souligne l'existence « des lobbies et des groupes de pression qui militent en faveur de ce genre de traitement »[132], et la rĂ©ticence Ă tester scientifiquement l'efficacitĂ© d'une telle approche[134]. Green conclut qu'une approche psychanalytique peut avoir des incidences nĂ©gatives sur les familles, et que les scientifiques internationaux interrogĂ©s par Claire Compagnon sont « unanimes quant aux risques potentiellement liĂ©s Ă ce genre de traitement »[84].
Clarisse Vautrin, femme autiste et membre du cercle zĂ©tĂ©tique du Languedoc Roussillon, conclut dans sa prĂ©sentation des dĂ©rives dans l'autisme, en 2019, qu'il n'y a « pas dâĂ©lĂ©ments tangibles ni dâexpĂ©riences reproductibles en faveur des thĂ©ories et pratiques psychanalytiques », ajoutant qu'« en France : la psychanalyse recule dans les universitĂ©s mais reste largement pratiquĂ©e »[135].
Confrontation théorique et sociale
Une bataille de l'autisme existe Ă l'Ă©chelle internationale[136]. Elle est organisĂ©e socialement en plusieurs mouvements aux frontiĂšres dogmatiques bien Ă©tablies, mais peut-ĂȘtre plus poreuses qu'il n'y paraĂźt[137]. D'aprĂšs la sociologue française Lise Demailly, l'implication d'une controverse autour de la psychanalyse est une spĂ©cifitĂ© culturelle française[138]. Ce dĂ©bat social est notablement absent au QuĂ©bec, oĂč l'approche psychanalytique de l'autisme est depuis longtemps abandonnĂ©e dans les milieux scientifiques et mĂ©dicaux[139]. Ce dĂ©bat est erronĂ©ment rĂ©duit, en France, Ă une opposition binaire entre partisans des TCC et partisans de la psychanalyse, mais il implique de plus nombreux acteurs, dont les militants eux-mĂȘmes autistes, inscrits hors de ce schĂ©ma binaire[138]. L'opposition entre TCC et psychanalyse ne permet gĂ©nĂ©ralement pas aux personnes autistes de se reconnaĂźtre dans les philosophies d'intervention, ni dans les pratiques[140].
Les psychiatres-psychanalystes français sont Ă la fois trĂšs fortement attaquĂ©s, et dĂ©savouĂ©s par les pouvoirs publics[138] - [89]. Le , la secrĂ©taire d'Ătat Sophie Cluzel, interrogĂ©e sur le financement des hĂŽpitaux qui pratiquent des approches psychanalytiques sur Europe 1, rĂ©pond que ce financement n'est « pas Ă propos »[141]. L'annĂ©e suivante, Claire Compagnon, responsable de l'application du 4e plan autisme, dĂ©clare sur Public SĂ©nat que « la psychanalyse n'est pas une thĂ©rapeutique de l'autisme »[142]. D'aprĂšs Demailly, les psychanalystes « continuent nĂ©anmoins Ă dĂ©ployer une production intellectuelle importante en terme Ă©ditorial, mais pas dans les revues « scientifiques ». »[138]. Ces psychiatres-psychanalystes français ont crĂ©Ă© des associations et des regroupements pour dĂ©fendre leurs pratiques (CIPPA...), et se sont rapprochĂ©s de certaines associations de parents, telles que « La main Ă l'oreille »[138] - [89]. Ils dĂ©fendent dĂ©sormais une pratique dite « intĂ©grative », ce que leurs adversaires estiment ĂȘtre « une tromperie, un masque des positions psychanalytiques »[89].
Les critÚres diagnostiques de la CFTMEA, qui font historiquement appel aux théories psychanalytiques, classent l'autisme dans la catégorie des « psychoses précoces », à cÎté de la schizophrénie[143]. La Fédération Française de Psychiatrie impose depuis 2005 de préciser une correspondance selon les références internationales (CIM-10) et la CFTMEA[144].
L'autisme est dĂ©sormais un sujet trĂšs largement traitĂ© dans la littĂ©rature francophone, tant dans le domaine du tĂ©moignage de parents, que dans ceux de l'autobiographie, de la fiction et de la bande dessinĂ©e[145]. Parmi les Ćuvres traitant de la psychanalyse et de l'autisme, figurent ainsi le tĂ©moignage Gabin sans limites de Laurent Savard (paru en 2018), et la bande dessinĂ©e Le psychanalyste parfait est un connard, parue en 2016[145]. D'aprĂšs Alexandra Struk Kachani, l'Ă©mergence de l'autisme dans les mĂ©dias a fortement Ă©voluĂ© depuis les annĂ©es 1960, passant d'une reprĂ©sentation quasi-exclusivement sous l'angle de la psychanalyse Ă une reprĂ©sentation fortement influencĂ©e par les positions des familles[146]. Elle note aussi un intĂ©rĂȘt mĂ©diatique marquĂ© depuis 2012 par une opposition entre ce qu'elle nomme la « coalition Ă©ducative » (conception de l'autisme comme handicap et accent sur l'accĂšs Ă l'Ă©ducation) et la « coalition psychanalytique » (conception de lâautisme comme une maladie psychique nĂ©cessitant une prise en charge sanitaire et mĂ©dicale dâorientation psychanalytique)[146].
Le rédacteur en chef de Psychologies Magazine, Arnaud de Saint Simon, prend position pour la psychanalyse dans un éditorial en 2016[147].
Associations de parents
L'historien des sciences Jonathyne Briggs souligne que les parents d'enfants autistes français, particuliĂšrement les mĂšres, ont initialement collaborĂ© avec les professionnels du soin (dont ceux formĂ©s Ă l'approche psychanalytique), puis sont peu Ă peu entrĂ©s en rĂ©sistance contre ces mĂȘmes professionnels, dĂšs lors qu'ils les ont accusĂ©s d'ĂȘtre Ă l'origine des troubles de leurs enfants[148].
D'aprĂšs Demailly, les associations de parents d'enfants autistes françaises (Ă l'exception de quelques-unes) dĂ©noncent des maltraitances contre leurs enfants et eux-mĂȘmes, commises « par les psychiatres, les psychanalystes et lâĂtat »[138] - [89]. Elle cite en exemple l'association Vaincre l'autisme, qui a « Ă©tĂ© au centre du mouvement de non-recommandation du packing », Ă©rigĂ© en « symbole de la psychanalyse »[89]. L'action de ces associations est caractĂ©risĂ©e par une influence sur les pouvoirs publics, une pĂ©nĂ©tration mĂ©diatique, et par la silenciation des personnes autistes elles-mĂȘmes[89]. Perrin et Salmane prĂ©cisent que c'est surtout l'association Autisme France qui travaille Ă rattacher l'autisme au champ du handicap (ce qui sera effectif en 1996), en refusant de collaborer avec les psychiatres et psychanalystes, accusĂ©s de culpabiliser les parents[51].
Contre la psychanalyse dans les médias : le documentaire Le Mur (2011)
Selon le conseiller et psychothĂ©rapeute Maurice Vaughan, en 2011, la sortie du film documentaire Le Mur, de Sophie Robert, et surtout la bataille judiciaire que cette sortie entraĂźne, crĂ©Ă©e une polĂ©mique en France et une vaste attention mĂ©diatique internationale, avec des articles dans The New York Times et sur BBC News[149]. Selon l'ancienne directrice d'AFG autisme, ValĂ©rie Lödchen, ce film fait appel Ă un raisonnement par l'absurde pour montrer le dĂ©calage entre le discours des psychanalystes et les connaissances scientifiques sur l'autisme[150]. D'aprĂšs Maurice Vaughan, les principes psychanalytiques appliquĂ©s aux enfants autistes et prĂ©sentĂ©s dans Le Mur relĂšvent principalement de l'approche lacanienne[149]. Selon la philosophe et psychosociologue Brigitte Axelrad, ce documentaire accuse les orientations psychanalytiques des psychiatres français d'ĂȘtre responsables de graves carences dans l'accompagnement des personnes autistes, et d'une souffrance des mĂšres d'enfants autistes[151]. Selon Maurice Vaughan, la controverse internationale Ă©clate lorsque ce film est interdit de diffusion par dĂ©cision de justice en janvier 2012[149].
à propos des réseaux de personnes autistes et de la communauté autiste
Le mouvement pour les droits des personnes autistes critique Ă la fois la psychanalyse, et la thĂ©rapie cognitivo-comportementale[138]. Le chercheur français en sciences sociales Alain Giami dresse un parallĂšle entre la situation de ces militants et celle des personnes transgenre, en termes de dĂ©mĂ©dicalisation et de dĂ©pathologisation, et de rejet des approches psychanalytiques[152]. D'aprĂšs le psychanalyste Alex Raffy, « les autobiographies dâautistes fournissent des tĂ©moignages accablants sur leurs expĂ©riences psychanalytiques (catĂ©chisme freudien dĂ©suet) »[57].
La SuĂ©doise Gunilla Gerland milite activement contre la psychanalyse, notamment Ă travers son manifeste de 1998, dans lequel elle Ă©crit (d'aprĂšs la traduction de Brigitte Chamak) que « nombre d'entre nous qui sont autistes de haut niveau ont Ă©tĂ© analysĂ©s en vertu du modĂšle psychodynamique/psychanalytique, souvent par des thĂ©rapeutes bien intentionnĂ©s, mais la plupart d'entre nous n'en a retirĂ© aucune aide, beaucoup se sont sentis dĂ©gradĂ©s, et certains en ont Ă©tĂ© blessĂ©s »[153] - [154]. Son manifeste prĂ©cise notamment que les thĂ©ories de la relation d'objet ne sont pas pertinentes pour prĂ©tendre comprendre l'autisme[154]. Elle tĂ©moigne avoir Ă©tĂ© mise en souffrance par des interprĂ©tations erronĂ©es de son vĂ©cu intĂ©rieur durant ses quatre ans de cure psychanalytique, et mentionne des pairs qui ont eux aussi tĂ©moignĂ© avoir souffert d'ĂȘtre analysĂ©s par le biais d'un rĂ©fĂ©rentiel psychanalytique inadaptĂ©[29] - [N 4]. Dans une traduction anglaise d'ouvrage parue en 2012, elle explique avoir rencontrĂ© de nombreux praticiens formĂ©s Ă la psychanalyse qui choisissent d'ignorer les connaissances neurologiques sur l'autisme, et se rĂ©fĂšrent aux mauvaises relations avec la mĂšre[155].
Temple Grandin n'a pas été confrontée à la pratique psychanalytique, et fait appel à un modÚle uniquement biologique dans sa description de l'autisme[153]. Elle rejette toute théorisation psychodynamique de l'autisme[156].
Dans son autobiographie Je suis Ă l'Est ! (2012), Josef Schovanec raconte « la froideur psychanalytique, la camisole chimique et l'erreur diagnostique »[157], dans le cadre d'un suivi de cinq ans par l'un des psychanalystes les plus rĂ©putĂ©s de Paris[158]. D'aprĂšs le rĂ©sumĂ© qu'en fait le psychanalyste HervĂ© Bentata, ce praticien pose un faux diagnostic de schizophrĂ©nie et provoque, avec l'un de ses collĂšgues, une neuroleptisation qui conduit Josef Schovanec à « un Ă©tat dâapathie vĂ©gĂ©tative »[159]. Selon le psychanalyste Jean-NoĂ«l TrouvĂ©, Josef Schovanec livre un tĂ©moignage « fĂ©roce » de son expĂ©rience de la psychanalyse, et y tĂ©moigne de son « regret de ne pas avoir interrompu plus tĂŽt ces sĂ©ances »[160]. Il dĂ©nonce des « techniques psychanalytiques inappropriĂ©es » avec « pertinence », selon le psychanalyste français Jean-Claude Maleval[161]. Selon TrouvĂ©, Josef Schovanec « renvoie dos Ă dos les psychanalystes et les comportementalistes », et rĂ©fute que la psychanalyse ait la moindre utilitĂ© pour une personne autiste, en comparant les psychanalystes Ă des « chamans, imaginant faire faire un pas de gĂ©ant aux autistes par la seule magie de leur influence »[160].
La Dr en littĂ©rature française Vivienne Orchard analyse la rĂ©sistance de la famille de l'Ă©crivain Hugo Horiot Ă l'influence de la psychanalyse en France, notamment Ă travers l'autocensure d'une phrase prononcĂ©e par Hugo Horiot dans le roman Le Petit Prince cannibale de Françoise LefĂšvre, visant Ă Ă©viter que des psychanalystes puissent l'accuser d'inceste[162]. Son fils, Hugo Horiot, s'oppose Ă la psychanalyse tout au long de son Ćuvre L'empereur, c'est moi (Prix Paroles de patients 2013), notamment dans le chapitre « Cannibale toi-mĂȘme » qui « culmine en une attaque elliptique contre la psychanalyse »[162]. Dans Carnets d'un imposteur, Hugo Horiot explique que l'approche psychanalytique l'a laissĂ© « sans dĂ©fense » durant son parcours scolaire, et que seule la pratique du thĂ©Ăątre a reprĂ©sentĂ© pour lui une « thĂ©rapie »[162].
Dans L'autisme expliquĂ© par un autiste (2021), Thibaud Moulas dĂ©clare que « la psychanalyse a eu un impact catastrophique sur la vie des autistes », citant notamment des placements abusifs d'enfants autistes, fallacieusement dĂ©crits comme psychotiques ou comme victimes de maltraitances parentales (tels que l'affaire Rachel) ; il ajoute que le psychanalyste français Michel Botbol a soutenu publiquement en 2015 que le syndrome de MĂŒnchhausen par procuration d'une mĂšre pourrait causer l'autisme chez son enfant, et que « cette croyance psychanalytique que la maltraitance cause l'autisme reste encore trĂšs prĂ©sente en France »[163].
Selon Brigitte Chamak, l'interprétation des témoignages peut présenter des difficultés et nécessite de connaßtre le contexte dans lequel évolue la personne qui témoigne, et l'influence voire la reproduction de discours des autres : elle cite en exemple un autiste pris dans le militantisme d'une association de parents trÚs hostile à la psychanalyse qui porte un discours trÚs critique vis-à -vis de ce type de psychothérapies mais parle en termes positifs de sa propre psychothérapie psychanalytique[153]. Elle mentionne par ailleurs les témoignages d'autistes positifs sur leur psychothérapie sur le divan, en centre médico-psycho-pédagogique (CMPP) ou en hÎpital de jour, incluant des séances de psychanalyse[153].
Donna Williams, qui a suivi une cure psychanalytique de son propre gré, utilise un vocabulaire relevant de la psychanalyse dans son autobiographie Si on me touche, je n'existe plus[153]. D'aprÚs Brigitte Chamak, Williams « a adhéré à certaines interprétations psychanalytiques »[153].
Le psychanalyste français Jacques Hochmann se dĂ©clare hostile Ă ce mouvement. Il dĂ©nonce « un communautarisme propre aux autistes », et l'appel Ă leur « expertise profane », regrettant leur influence sur les diffĂ©rents plans autisme en France. Pour lui, « les plus extrĂȘmes nient ĂȘtre atteints de troubles quelconques et sâopposent non seulement aux approches dites psychanalytiques mais Ă toute forme dâĂ©ducation spĂ©cialisĂ©e »[164]. Pour Josef Schovanec (Dr EHESS), la prĂ©occupation pour le communautarisme des adultes autistes relĂšve d'un fantasme français[165]. Il objecte que « la plupart des sociĂ©tĂ©s anglo-saxonnes ou inspirĂ©es par celles-ci, en matiĂšre d'autisme des adultes, ne sombrent pas dans le communautarisme tant redoutĂ© »[165].
Au sujet des professionnels
La distinction entre psychiatre, psychologue et psychanalyste n'est pas toujours claire, et l'unitĂ© de cet ensemble trĂšs loin d'ĂȘtre Ă©vidente et encore moins en ce qui concerne les avis sur la psychanalyse. Sur le sujet de l'autisme on retrouve dĂšs le refus par Bleuler de la symbolique sexuelle de Freud dans la crĂ©ation du mot autisme et au cours du temps des oppositions fortes et des positions variĂ©es ont toujours Ă©tĂ© constatĂ©es.
Critique des psychanalystes
Selon Henri Rey-Flaud : « du fait de cet élan irrésistible, personne ne s'aperçut que, dans l'attente messianique de la révélation des causes organiques de cette affection, la signification psychique du retrait de ces petits patients, c'est-à -dire la question du sens de leur monde, avait été complÚtement ignorée, ce qui revenait à redoubler et à sceller l'exclusion de ces infortunés. »[166].
Dans l'Ă©ditorial intitulĂ© « Dolto, reviens !» d'un dossier de La revue lacanienne consacrĂ© en 2013 à « L'autisme », le psychanalyste Charles Melman commence par cette constatation : « L'approche lacano-doltoĂŻenne de l'autisme infantile nâa pas la cote »[167]. En suivant des sĂ©ances avec des bĂ©bĂ©s « Ă potentialitĂ© autistique » atteints de bronchiolites Ă rĂ©pĂ©tition, et sensible au fait que l'intervention du soignant, « faite en prĂ©sence de la mĂšre sinon des parents, et Ă©ventuellement filmĂ©e avec leur accord pour analyser et suivre les progrĂšs, nĂ©cessite le tact nĂ©cessaire pour essayer de les concilier avec leur enfant »[167], Melman Ă©voque comment « lâexhumation de difficultĂ©s refoulĂ©es ou cachĂ©es ont pu provoquer la rĂ©volte de familles organisĂ©es ensuite par Internet en lobbies »[167]. Il ajoute : « Le seul reproche quâon puisse faire Ă ces lobbies est une passion persĂ©cutrice de mauvais aloi et revancharde Ă lâĂ©gard dâune mĂ©thode qui leur fut malheureusement insupportable mais dont ils pourront, quand ils y seront prĂȘts, vĂ©rifier sur film le potentiel »[167].
Les cognitivistes et la psychanalyse considérée comme « pseudo-science »
Les chercheurs cognitivistes voient dans la psychanalyse une approche pseudo-scientifique, inutile en matiĂšre d'interventions en autisme.
Le Pr Laurent Mottron (universitĂ© de MontrĂ©al) reconnaĂźt Ă l'approche psychanalytique des annĂ©es 1950 le mĂ©rite d'avoir dĂ©crit l'intelligence des personnes autistes[168], et accuse la nosographie française d'inspiration psychanalytique (la CFTMEA) d'ĂȘtre directement responsable d'une mĂ©connaissance de l'autisme en France[169], car la psychanalyse dĂ©crit « des processus en pliant la rĂ©alitĂ© Ă une terminologie et un cadre thĂ©orique qui ne sont quâexceptionnellement subvertis par ce qui est effectivement observĂ©, au lieu, comme en sciences, de laisser Ă©merger une description ou une classification Ă partir de ce qui se prĂ©sente, et en lâactualisant pĂ©riodiquement par consensus entre les membres de la communautĂ© scientifique »[80]. Il estime l'application de l'ABA aussi dogmatique et nuisible que la psychanalyse[170].
Jean-Paul Krivine, rĂ©dacteur en chef de la revue Science et pseudo-sciences, rĂ©pond au psychanalyste Bernard Golse, qui avait dĂ©clarĂ© que « dans lâautisme, rien nâest validĂ© », en disant que « les partisans des approches psychanalytiques thĂ©orisent souvent lâimpossibilitĂ© de toute Ă©valuation de leurs pratiques thĂ©rapeutiques ». Il se demande « si vraiment leurs approches sont non Ă©valuables, comment peuvent-ils affirmer leurs succĂšs thĂ©rapeutiques ? »[171].
Le mathĂ©maticien et psychologue Nicolas Gauvrit regrette le manque de rigueur et de logique des psychanalystes : « Les promoteurs dâune approche psychanalytique ont recours, ces derniers temps, Ă lâesquive. Cette feinte consiste Ă dĂ©tourner lâinterlocuteur de la question primordiale â celle de lâefficacitĂ© des mĂ©thodes et du bien de lâenfant â en dĂ©plaçant le discours dans le champ affectif, celui de la culpabilitĂ© ou de « lâĂ©thique ». Pour cela, ils sâappuient sur une reprĂ©sentation sociale caricaturale de la psychologie, qui oppose des psychanalystes profondĂ©ment humains, et des cognitivistes prĂŽnant une approche chimique. La rĂ©alitĂ© est bien diffĂ©rente, et de nombreux « cognitivistes » voient dans les approches thĂ©rapeutiques fondĂ©es sur la science une alternative non seulement Ă la psychanalyse, mais aussi et surtout aux traitements par psychotropes »[172].
Jacques Van Rillaer parle de « mensonges lacaniens » dans la conception de l'autisme comme d'une « psychose », et dĂ©nonce les psychanalystes qui prĂ©tendent « combattre les thĂ©rapies cognitivo-comportementales » en l'absence dâĂ©tudes empiriquement validĂ©es[173].
Autisme et antipsychanalyse (points de vue de psychiatres et de psychanalystes)
Selon le neuropsychiatre et psychanalyste Paul Alerini, s'exprimant en 2011, l'autisme comme signifiant « traverse lâhistoire de la psychiatrie dâenfants » : le mot mĂȘme, formĂ© (par Bleuler) Ă partir du raccourcissement d' « autoĂ©rotisme » et ayant l'avantage de « sonner bien », est dĂ©jĂ symptomatique en soi parce qu'il comporte la nĂ©gation de la composante sexuelle contenue dans le concept d' auto-Ă©rotisme, de sorte qu'Ă l'origine, l'autisme, « crĂ©Ă© au sein de la psychanalyse » et qui va s'opposer aux psychoses infantiles auxquelles il a Ă©tĂ© longtemps associĂ©, « se retourne actuellement contre elle », la psychanalyse, « avec des moyens puissants, dans l'universitĂ©, la mĂ©decine, les sciences, la politique ». « L'autisme est le symptĂŽme de ce retournement »[21].
AnnĂ©es 1960 : apparition d'un courant "antipsychanalytique" aux Ătats-Unis
D'aprĂšs le psychiatre et psychanalyste Jacques Hochmann, universitaire lyonnais ayant consacrĂ© beaucoup de ses travaux Ă l'autisme, un courant « antipsychanalytique » a commencĂ© Ă se dessiner aux Ătats-Unis dĂšs le dĂ©but des annĂ©es 1960[18]. Il s'agit selon lui d'une rĂ©action Ă la « dĂ©ception dâespoirs exagĂ©rĂ©s de changer lâĂȘtre humain par une Ă©ducation moins rĂ©pressive et aussi Ă une mise Ă lâindex outranciĂšre des attitudes parentales pathogĂšnes par certains psychanalystes »[18]. MalgrĂ© la parution en d'un livre posthume du psychanalyste Edmund Bergler (en), la « tendance Ă rechercher dans lâinconscient maternel ou familial lâorigine des troubles psychiques en gĂ©nĂ©ral et de lâautisme en particulier » est selon Hochmann restĂ©e dominante[18], notamment chez un regroupement de parents « au sein dâune puissante association, lâ Autism Society of America, fondĂ©e en 1965 par un pĂšre dâautiste, Bernard Rimland, psychologue de son Ă©tat ». Celui-ci dĂ©clare alors, selon Hochmann, que les familles dâautistes sont « victimes dâun vĂ©ritable racisme de la part de psychanalystes »[18]. Les publications se multiplient, en particulier dans le Journal of autism and childhood schizophrenia fondĂ© par Leo Kanner, lequel journal devient en , le Journal of autism and development disorder aprĂšs l'exclusion de tous les psychanalystes du comitĂ© de rĂ©daction[18].
Selon Paul Alerini, lâautisme serait devenu « l'Ă©tendard dâun mouvement » regroupant cognitivistes, comportementalistes et neuroscientifiques, ainsi que parents dâenfants autistes, lesquels parents peuvent eux-mĂȘmes ĂȘtre chercheurs, psychologues ou psychiatres : « Ce mouvement se dĂ©clare clairement opposĂ© Ă la psychanalyse » et prend le mot « autisme » comme « monument ou comme fĂ©tiche pour faire dâune pathologie psychotique un handicap (dont lâorigine nâest pas encore prouvĂ©e) »[21]. Si l'anti-psychanalyse a toujours existĂ©, elle aurait pris maintenant une « tournure menaçante et persĂ©cutoire » due en grande partie aux conflits nĂ©s avec lâautisme de lâenfant[21]. Selon la psychanalyste Maud Mannoni, dĂšs 1967, l'autisme fascine et fait cause commune avec l'anti-psychanalyse[174] : Mannoni considĂšre que le mot « autisme » est devenu, d'un point de vue marxiste, une marchandise, porteur d'une « plus-value phallique »[21], ce qui selon Alerini constitue un « âdispositifâ » au sens de Michel Foucault et Giorgio Agamben[175] », quiâŻÂ« tire profit de la souffrance des enfants psychotiques et de leurs parents »[21]. La culpabilisation devant l'autisme « est attribuĂ©e Ă lâimpuissance thĂ©rapeutique des psychanalystes qui la projettent sur les parents (Eric Schopler) », et l'impuissance thĂ©rapeutique des psychanalystes se trouve projetĂ©e sur l'impuissance de la psychanalyse. Pour confirmer la portĂ©e d'un tel mouvement antipsychanalytique, Alerini Ă©voque l'avis du ComitĂ© consultatif national d'Ă©thique, observant une « situation difficile en France oĂč une succession de rapports et de lois reste sans effet depuis dix ans, en raison de la poursuite de lâapplication des thĂ©ories psychanalytiques, thĂ©ories que les autres pays dĂ©veloppĂ©s ont abandonnĂ©es dans les annĂ©es 1980⯠»[176] - [21].
Pour Myriam Perrin et GwĂ©nola Druel-Salmane, les approches Ă©ducatives de l'autisme telles que TEACCH sont mobilisĂ©es par les opposants Ă la psychanalyse, « tous coalisĂ©s pour dĂ©livrer les autistes de la psychanalyse », et celle-ci « est sommĂ©e de se taire »[51]. En outre, « du point de vue scientiste, la psychanalyse nâaurait pas Ă sâoccuper de lâautiste car elle serait une pratique archaĂŻque, fondĂ©e Ă une Ă©poque oĂč lâavancĂ©e de la science ne pouvait encore rien en dire »[51]. Perrin et Druel-Salmane soulignent qu'« en 1978, dans un important ouvrage (Rutter, Schopler, 1978) oĂč lâautisme est dĂ©sormais dĂ©fini selon âdiffĂ©rents degrĂ©s de gravitĂ©â (Wing, 1978), est affirmĂ© que lâĂ©tiologie de lâautisme nâest plus Ă rechercher du cĂŽtĂ© de lâenvironnement mais du cĂŽtĂ© organique, ce grĂące aux avancĂ©es de la science. Seulement, celles-ci ne font Ă©tat dâaucune certitude »[56]. Selon ces deux auteurs, « de telles conceptions organicistes de lâautisme refusent la parole au sujet ; dans de telles perspectives, lâautiste nâa pas mot Ă dire »[51].
Quant au « « grand renversement » » (selon l'expression du sociologue Alain Ehrenberg) dans l'histoire de l'autisme, Jacques Hochmann â citĂ© par Vincent Flavigny â le situe au « âmoment oĂč lâapproche psychanalytique et plus gĂ©nĂ©ralement la psychopathologie de lâautisme qui avait pendant trente ans rassemblĂ© la grande majoritĂ© des spĂ©cialistes du monde occidental sâefface, dans le contexte dâun changement global de la reprĂ©sentation sociale des maladies mentales et des rapports entre le normal et le pathologique »[177]. Ce « grand renversement » reprĂ©sente aux yeux de Hochmann un « âretour Ă lâoptique organiciste et aux thĂšses de la dĂ©gĂ©nĂ©rescenceâ » ainsi qu'un « âglissement de la notion de maladie mentale vers celle de handicapâ »[177].
« Haine de la psychanalyse » en France : à propos du film Le Mur (2011)
Selon la psychanalyste et psychiatre Anna Konrad, « la haine de la psychanalyse, trÚs actuelle en France, est revendiquée réguliÚrement dans des publications, appels, blogs ou collectifs, souvent trÚs généreusement relayés par les médias grands publics, presse, télévision et internet »[178].
Pour Anna Konrad, l'Ă©pisode de film Le Mur de Sophie Robert, oĂč des psychanalystes sont interviewĂ©s sur l'autisme, « mĂ©morable pour certains par son souvenir traumatisant, est un exercice dâattaque audiovisuel : la dĂ©lĂ©gitimation par le moyen de la satire, de la dĂ©rision, de la dĂ©formation dĂ©libĂ©rĂ©e de la parole »[178]. Lâinterdiction dâabord, puis lâautorisation de la diffusion par la Cour d'appel, « ont dĂ©chaĂźnĂ© les parties prenantes dans leur combat Ă mener contre la psychanalyse »[178]. Bernard Golse qui apparaĂźt dans Le Mur, qualifie ce documentaire de « parfaitement ignoble et malhonnĂȘte »[179]. Selon la psychiatre Loriane Brunessaux, il s'agit d'un « film de propagande dont le manque de rigueur et la malhonnĂȘtetĂ© ne peuvent Ă©chapper Ă aucune personne sâintĂ©ressant un tant soit peu Ă lâĂ©tat actuel des connaissances et des pratiques dans le champ de lâautisme »[180].
RĂ©sistances culturelles Ă la psychanalyse
Pour Jacques Hochmann, « la violence antipsychanalytique de certains parents, dĂ©chaĂźnĂ©e sur Internet et dans les mĂ©dias, peut sâexpliquer Ă la fois historiquement et psychologiquement »[181].
Toujours du point de vue de Jacques Hochmann, si aprĂšs « l'invention de l'autisme par Kanner et Asperger, des psychanalystes « ont Ă©tĂ© les premiers [...] Ă tenter dâarracher les enfants autistes Ă la sĂ©grĂ©gation et Ă lâeugĂ©nisme », il se trouve que « malheureusement, un certain triomphalisme, des erreurs techniques et un psychogĂ©nĂ©tisme exclusif et sans preuves ont entraĂźnĂ© un malentendu avec des associations de parents »[181], Ă©crit Hochmann dans le rĂ©sumĂ© de son article intitulĂ© « La guerre de l'autisme et les rĂ©sistances culturelles Ă la psychanalyse » (2013). Un tel malentendu, « aggravĂ© par des rĂ©sistances inĂ©vitables Ă la psychanalyse et au fantasme de vol d'enfant ont Ă©tĂ© Ă lâorigine de positions offensives contre la pĂ©dopsychiatrie française »[181]. OrganisĂ©es en effet « en un communautarisme sectaire en faveur de mĂ©thodes purement comportementalistes, soutenues par un lobbying efficace auprĂšs de la Haute AutoritĂ© de santĂ©, ces positions ont abouti Ă un dĂ©saveu des pratiques psychothĂ©rapiques dĂ©veloppĂ©es en France depuis un demi-siĂšcle »[181]. Jacques Hochmann affirme plaider dans son article « pour un travail de partenariat respectueux de la souffrance et de la vulnĂ©rabilitĂ© de familles inĂ©vitablement soumises Ă la contagion de lâautisme »[181].
Ă propos des « rĂ©sistances Ă la psychanalyse », Hochmann revient au cours de son article « sur ce qualificatif curieux de ânon consensuelâ ». La psychanalyse Ă©tant par dĂ©finition « ânon consensuelleâ, y compris Ă lâintĂ©rieur de chacun de nous, soumis fantasmatiquement Ă lââĆil inquisiteurâ » qui veut dĂ©voiler en nous une part inconnue »[181], affirme-t-il, « elle est inĂ©vitablement source de rĂ©sistances. Freud, il y a bien longtemps, sâĂ©tait targuĂ© dâavoir, aprĂšs Copernic et Darwin, infligĂ© un troisiĂšme choc narcissique Ă lâhumanitĂ©. Seul un profond masochisme collectif pourrait entraĂźner un consensus ! »[181].
Hochmann ajoute que « parmi les parents qui dĂ©versent leur hargne âantipsyâ dans les forums Internet », peu « semblent avoir eu un contact avec un psychanalyste authentique recevant leur enfant plusieurs fois par semaine Ă heure et avec une durĂ©e fixes, et consacrant un temps suffisant Ă travailler avec eux »[181]. Pour la plupart, les rencontres avec un psychiatre ou un psychologue psychanalyste, auront Ă©tĂ© Ă©pisodiques ou uniques »[181]. Les parents dont il est question « font donc surtout Ă©tat dâun danger fantasmatique, rĂ©pĂštent des on-dit, se fient Ă une lĂ©gende : celle du psychanalyste mĂ©prisant, inquisiteur et culpabilisateur qui âregroupe tous les phĂ©nomĂšnes de lâexistence autour de sa grande thĂ©orieâ, une thĂ©orie quâils tiennent pour un tissu dâĂąneries incomprĂ©hensibles, dont ils ne savent Ă peu prĂšs rien et quâils nâont jamais pris la peine dâapprofondir par des lectures »[181].
Notes et références
Notes
- L'ouvrage Encounters with Autistic States : A Memorial Tribute to Frances Tustin se présente en ces termes « This text presents the work of 21 eminent psychoanalysts and child therapists from three continents - including Professors Didier Houzel of France and Renata Gaddini of Italy; Drs. David Rosenfeld of Argentina, James Grotstein, Victoria Hamilton, Judith Mitrani and Thomas Ogden of the USA; and Susanna Isaacs-Elmhirst and Isca Wittenberg of England - who explore and expand upon the work of the late Frances Tustin, which was devoted to the psychoanalytic understanding of the bewildering elemental world of the autistic child ».
- Roudinesco note que « D'inspiration psychanalytique, lâentreprise est cependant paradoxale qui va Ă l'encontre de ces mĂȘmes principes psychanalytiques[34] ».
- Mots exacts en anglais : « the beginning to parental coldness, obsessiveness, and a mechanical type of attention to material needs only.... They were left neatly in refrigerators which did not defrost. Their withdrawal seems to be an act of turning away from such a situation to seek comfort in solitude. » Leo Kanner (1943) Nerv Child 2: 217â50. Reprinted in L. Kanner, « Autistic disturbances of affective contact », Acta Paedopsychiatrica, vol. 35, no 4,â , p. 100â136 (ISSN 0001-6586, PMID 4880460, lire en ligne, consultĂ© le ).
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- Citation page 310 : I myself have been through 4 years of psychodynamic therapy, where I was constantly misunderstood and misinterpreted on the basis of psychodynamic theories and ideas [...] I have meet several other autistic people with similar experiences. There seems to be a very naive belief held by many psychodynamic / psychoanalytic therapists: if therapy is not helpful then at least it won't do any harm. This is not true.
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Voir aussi
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