AccueilđŸ‡«đŸ‡·Chercher

Perception

La perception est l'activité par laquelle un sujet fait l'expérience d'objets ou de propriétés présents dans son environnement. Cette activité repose habituellement sur des informations fournies par ses sens. Chez l'espÚce humaine, la perception est aussi liée aux mécanismes de cognition. Le mot « perception » désigne :

En psychologie expĂ©rimentale, chez l'ĂȘtre humain en particulier, on distingue des Ă©chelles de perception consciente d'une part, et la perception inconsciente, d'autre part. Celle-ci est qualifiĂ©e parfois d'« implicite » ou « subliminale ». Cette distinction a Ă©tĂ© Ă©tendue aux autres animaux dans la mesure oĂč ils peuvent ĂȘtre entraĂźnĂ©s et conditionnĂ©s Ă  indiquer s'ils ont perçu ou non un stimulus.

La perception d'une situation fait appel tout à la fois aux sens physiologiques d'un organisme et à ses capacités cognitives, à un niveau élémentaire ou conscient.

Perception sensorielle

La perception sensorielle est la perception « immédiate » que nos sens nous livrent, comme des informations directes. Le terme de « sensation » est parfois utilisé dans un sens plus large (recouvrant aussi les émotions) ; on ne peut donc le retenir pour dénommer cette forme de perception.

En psychologie cognitive, la perception est définie comme la réaction du sujet à une stimulation extérieure qui se manifeste par des phénomÚnes chimiques, neurologiques au niveau des organes des sens physiologiques et au niveau du systÚme nerveux central, ainsi que par divers mécanismes qui tendent à confondre cette réaction à son objet par des processus tels que la représentation de l'objet, la différenciation de cet objet par rapport à d'autres objets.

Mesure

Les phĂ©nomĂšnes perceptifs ne possĂšdent pas d'Ă©chelle de mesure continue. Ce sont avant tout des phĂ©nomĂšnes temporels, c'est-Ă -dire que leur mesure n'est pas constante pour tous les instants (t). Chez l'humain, l'ouĂŻe et la vue sont les deux sens qui nous transmettent des informations les plus importantes sur le temps et sur l'espace ; mais l'inĂ©galitĂ© entre les rayonnements sonores et les rayonnements lumineux est pour beaucoup Ă  l'origine d'une flagrante inĂ©galitĂ© entre ces sens. Le seuil de perception d'un son par l'oreille est situĂ© Ă  10−16 W, quand le seuil de perception d'une source lumineuse ponctuelle (Ă  l'Ɠil nu) est situĂ© Ă  10−18 W. La vue est donc un sens rĂ©servĂ© Ă  l'immĂ©diat. L'ouĂŻe, en vĂ©hiculant des indications d'un autre ordre, nous renseigne beaucoup plus sur ce qui est du domaine de l'Ă©motion, des sentiments : par exemple, outre qu'elle peut porter plus d'informations, la voix au tĂ©lĂ©phone nous en dit plus sur l'Ă©tat «psychologique» de l'interlocuteur qu'une photo.

Mesure de la sensation

Les quantitĂ©s mesurables nous apprennent peu de choses sur les phĂ©nomĂšnes perçus, comme l'attestent les illusions d'optique oĂč, par exemple, un mĂȘme objet peut nous apparaĂźtre plus clair ou plus foncĂ© suivant la luminance des objets qui l'entourent. La psychologie de la perception cherche donc Ă  Ă©tablir le lien qui existe entre l'objet physique et la perception qu'on en a.

Les théories physicalistes du XIXe siÚcle ont tenté de relier, de façon bilatérale et univoque, sensations et grandeurs physiques. Le pragmatisme de ces recherches cherchait à exprimer des grandeurs affectives en fonction de données empiriques (degrés de hiérarchie des perceptions, comparaison de leur somme et de leur différence), des attributs sensibles en fonction de mesures physiques (définissables a priori). L'approche psychophysique a, par la suite, entrepris de mesurer précisément notre sensibilité à différents paramÚtres physiques (comme la couleur ou l'intensité sonore) afin de déterminer ce qui seraient les lois générales de la perception, comme la loi de Weber-Fechner.

Selon une autre approche, les courants inspirĂ©s de la psychologie de la forme (Gestalt) ont cherchĂ© Ă  comprendre comment se structurait la perception autour de principes gĂ©nĂ©raux. Par exemple, selon le principe de clĂŽture, une forme sera plus facilement perçue si elle est fermĂ©e que si elle est ouverte ; on retrouve une illustration de ce principe dans le triangle de Kanizsa oĂč l'on perçoit spontanĂ©ment un triangle blanc alors que seuls trois disques noirs sont dessinĂ©s.

Les illusions visuelles fournissent une explication potentielle aux illusions de jugements ou illusions cognitives. À titre d'exemples, on peut citer les dessins bien connus de W. E. Hill (ma femme et ma belle-mĂšre ainsi que le dessin de l'homme barbu). Les gestaltistes ont beaucoup travaillĂ© sur ces Ă©quilibres visuels : premier plan et arriĂšre-plan, zones claires et zones sombres, contours convexes et concaves. Une fois que l'expĂ©rience a permis de comprendre la dualitĂ© de l'image, les limitations dans la perception ou dans le jugement peuvent ĂȘtre facilement vaincues. Comme l'affirmait Goethe, nous ne voyons que ce que nous savons. Et, « la dĂ©couverte consiste Ă  voir ce que tout le monde a dĂ©jĂ  vu et Ă  penser ce que personne n'a encore pensĂ© ».

On peut aussi mentionner les approches physiologiques qui cherchent à comprendre quels sont les mécanismes qui permettent la perception aussi bien au niveau des organes des sens que des neurones du systÚme nerveux.

Perception visuelle

L'Ɠil ne fonctionne pas comme un capteur photographique d'appareil numĂ©rique.

L'Ɠil comprend deux systĂšmes complĂštement diffĂ©rents :

  • le systĂšme fovĂ©al qui donne la possibilitĂ© d'examiner des points d'environ 2 degrĂ©s d'angle 3 Ă  4 fois par seconde. C'est un systĂšme trĂšs lent avec un excellent pouvoir de rĂ©solution et un bon rendement des couleurs ;
  • le systĂšme de la rĂ©tine pĂ©riphĂ©rique qui rend jusqu'Ă  90 images par seconde sur un angle d'environ 180 degrĂ©s, avec une mauvaise rĂ©solution. Il sert Ă  donner l'impression globale de la situation.

Ces deux systÚmes relient le monde extérieur avec sa représentation intérieure. La perception visuelle est donc un systÚme d'identification. Il permet d'identifier par exemple une personne par la comparaison de quelques points critiques et l'impression globale avec les images internes. Pour percevoir un objet, il faut avoir vu des objets similaires.

La perception des visages fonctionne depuis la naissance. Mais la discrimination de plusieurs visages est une capacité qui s'apprend.

Perception auditive

La branche de la psychophysique qui étudie la façon dont nous percevons les sons est la psychoacoustique.

MĂ©canisme de l'audition

La chaĂźne de l'audition est complexe. Ses mĂ©canismes sont dĂ©veloppĂ©s dans l'article OuĂŻe. Les sons transmis par l'air sont captĂ©s et amplifiĂ©s par le pavillon qui les focalise vers le conduit auditif jusqu'au tympan, membrane qui entre alors en vibration. La chaĂźne des osselets transmet et amplifie ces vibrations (conduction mĂ©canique) et elles sont transmises Ă  l'oreille interne. Elles provoquent des ondes de pression correspondant aux ondes sonores. Ces ondes de pression permettent de communiquer les vibrations Ă  la partie la plus dĂ©licate et la plus interne de l'oreille humaine, la cochlĂ©e. Les ondes mĂ©caniques font bouger les cils de l’oreille interne, ce qui active la production d'influx nerveux chargĂ©s de transmettre l'information au nerf auditif, jusqu'au cortex auditif.

Perception olfactive

La perception olfactive est relativement délaissée par beaucoup d'humains, et beaucoup plus utilisée par certains animaux. On l'utilise cependant souvent sans s'en rendre compte. Il participe, avec la perception gustative, à la sensation du goût.

MĂ©canisme de l'odorat : voir le nez.

Perception tactile

La perception tactile est la perception par l'homme ou l'animal de sensations par le toucher transmise par l'intermĂ©diaire de la peau, des muqueuses (langue) ou des dents (mĂ©canorĂ©cepteurs du parodonte[2] - [3] - [4]). Elle inclut non seulement la perception tactile au sens Ă©troit (reconnaissance de textures, d'Ă©lasticitĂ©, lecture en braille, etc.) mais aussi la perception thermique (sensation de chaud ou le froid), et mĂȘme des perceptions Ă©motionnelles, telles la douleur ou la sensualitĂ©.

MĂ©canisme du toucher : voir toucher, peau et nerfs.

Perception gustative

C'est la perception du goût.

Mécanisme du goût : voir aussi la langue et le palais.

Perception de l'Ă©quilibre

L'équilibrioception, qui est le sens de l'équilibre. Elle est assurée par le systÚme vestibulaire de l'oreille interne. Ce systÚme assure aussi la perception du mouvement.

Perception du temps

Si nous possĂ©dons des yeux pour voir, des oreilles pour entendre et un nez pour sentir, nous n'avons pas de rĂ©cepteurs sensoriels spĂ©cifiques dĂ©diĂ©s Ă  la perception du temps. Or nous sommes pourtant capables de percevoir l'Ă©coulement du temps. L'Ă©tude de la perception du temps se confronte donc Ă  un paradoxe qui renvoie Ă  la nature mĂȘme du temps oĂč se rencontrent les expĂ©riences psychologiques, les rĂ©flexions philosophiques, notre comprĂ©hension du fonctionnement du cerveau et nos connaissances des cycles circadiens.

La perception temporelle a fait l'objet de nombreux travaux depuis les premiÚres études psychophysiques au XIXe siÚcle jusqu'aux explorations en imagerie cérébrale. Les expérimentateurs se sont attelés à distinguer différents types de phénomÚnes qui relÚvent tous de la perception du temps :

  • la perception des durĂ©es
  • la perception et la production de rythmes
  • la perception de l'ordre temporel et de la simultanĂ©itĂ©

La question reste posĂ©e de savoir si ces diffĂ©rents domaines de la perception temporelle procĂšdent des mĂȘmes mĂ©canismes ou non, en particulier d'autres distinctions ont Ă©tĂ© introduites sur la base de l'Ă©chelle de temps considĂ©rĂ©e. Ainsi selon le psychologue français Paul Fraisse, il convient de distinguer la perception (pour des durĂ©es relativement brĂšves jusqu'Ă  quelques secondes), de l'estimation temporelle, qui, elle, dĂ©signe l'apprĂ©hension de durĂ©es longues (supĂ©rieures Ă  plusieurs secondes jusqu'Ă  des heures ou davantage).

Perception de l'espace

De mĂȘme que la durĂ©e, les distances entre les objets peuvent faire l'objet d'une perception. Ainsi, il est possible de dire si tel objet est plus proche de nous que tel autre ou encore qu'un tel est plus grand qu'un autre. L'argument pour isoler une perception de l'espace Ă  cĂŽtĂ© des sens physiologiques (tels la vision ou l'audition) repose sur l'observation que l'information spatiale que l'on extrait de l'environnement semble ĂȘtre supra-modale, c'est-Ă -dire partagĂ©e entre les diffĂ©rentes modalitĂ©s sensorielles de localisation. Ainsi, il est possible de dire si un son provient d'un objet visuel. Le lobe pariĂ©tal du cerveau joue un rĂŽle important dans la perception de l'espace.

Voir aussi : Localisation auditive

Perception et audiovisuel

La perception par l'Ɠil ou par l'oreille des phĂ©nomĂšnes qui nous entourent est limitĂ©e par les rĂ©cepteurs mis en jeu. L'oreille humaine ne capte les signaux sonores que dans une gamme de 20 Ă  20 000 hertz en moyenne. L'Ɠil, pour sa part, est limitĂ© aux longueurs d'onde comprises entre 390 nm et 780 nm ; c'est la lumiĂšre visible.

De plus, il semblerait que l'interprĂ©tation par le cerveau des images transmises par l'Ɠil ne puisse ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme copie conforme de la rĂ©alitĂ©, mais plutĂŽt comme des rĂ©fĂ©rences Ă  des images (ou Ă  des portions d'images) dĂ©jĂ  imprĂ©gnĂ©es dans la mĂ©moire de l'individu. GrĂące Ă  cela, on reconnaĂźt un petit morceau d'assiette cassĂ©e alors qu'un ordinateur, lui, en sera complĂštement incapable.

Sans parler des phénomÚnes de persistances rétiniennes, on utilise en audiovisuel les carences de nos perceptions pour manipuler les sons et les images pour qu'elles deviennent plus petites en termes d'espace occupé sans pour autant qu'elles ne perdent leur qualité intrinsÚque de transport d'informations. On parle alors de codage, de compression du média.

Les codec les plus évolués prennent en compte de maniÚre trÚs fine les imperfections de nos perceptions pour atteindre des compressions inconnues avant les travaux des scientifiques sur la perception de nos cinq sens et l'interprétation faite par notre cerveau des données reçues.

Loi de Weber-Fechner

Pierre Bouguer (1760), puis Ernst Weber (1831) ont cherchĂ© Ă  dĂ©terminer la plus petite variation physique perceptible d'un stimulus. La loi de Weber-Fechner stipulait que le seuil diffĂ©rentiel (plus petite diffĂ©rence perceptible entre deux valeurs de stimuli) augmentait linĂ©airement avec la valeur du stimulus Ă©talon. Le mĂ©decin Gustav Fechner (inventeur du terme psychophysique) a modifiĂ© cette loi, pour la rendre valide aux valeurs extrĂȘmes de stimuli : « la sensation varie comme le logarithme de l'excitation ». Cette distanciation de la somme des causes et des transformations linĂ©aires et affines procurant le rĂ©sultat, l'effet, n'a Ă©tĂ© rendue possible que lorsque Fechner eut introduit vers 1860 la notion de seuil de perception et prĂ©cisĂ© certaines mĂ©thodes d'investigation et d'observation qui permettaient de les repĂ©rer.

Intensif — extensif

Bergson a dénoncé dans son « Essai sur les données immédiates de la conscience » ce qu'il appelle l'« illusion » consistant à confondre « l'intensif et l'extensif ». Des valeurs intensives, terme un peu désuet aujourd'hui, sont des valeurs qui augmentent par degrés, mais que l'on ne peut ni rattacher à un nombre, ni rattacher à une étendue ; par opposition, l'extensif se rapporte, lui, à une étendue. Pour Bergson, nous associons inconsciemment ce que nous ressentons à la cause de notre impression ; nous ressentons une certaine quantité, définie par le contraste, la nuance, et nous cherchons un peu abusivement à la définir par une grandeur en objectivant une donnée qui appartient en propre à la conscience subjective. Or, « la sensation est un fait psychologique qui échappe à toute mesure ». Bergson ne nie pas la mesure des seuils différentiels de Weber qui juge de l'excitation, donc de la cause. Mais il critique l'amalgame de Fechner qui met la cause dans l'effet. Il prÎne donc une radicalisation de la pensée qui mette plus en valeur les états subjectifs. Il faut, nous apprend-il, rétablir la vérité des « données immédiates de la conscience ». On le sait aujourd'hui, la pseudo-loi de Weber-Fechner reste trÚs approximative : elle n'est à peu prÚs exacte que dans la zone des valeurs moyennes. Ces théories physicalistes opéraient en fait une appréciation psychophysique trop radicale du lien qui unit le monde subjectif du perçu et une ou plusieurs grandeurs mesurables.

Perception de la réalité

La perception d'une situation simple ou complexe fait appel Ă  des processus d'analyse inconscients. La rĂ©alitĂ© concrĂšte et immuable est extrĂȘmement difficile a cerner car chaque personne a sa propre perception de la rĂ©alitĂ©. Les filtres de la perception Ă©tant omniprĂ©sents dans la vie de chaque individu, cela rend impossible la dĂ©finition prĂ©cise de ce qui est rĂ©el. Ces filtres agissent sur la perception en dĂ©formant un peu plus les informations provenant du monde rĂ©el. Par exemple, l'Ă©tat psychologique d'une personne (elle est de bonne ou de mauvaise humeur), son Ă©tat de fatigue, la luminositĂ©, les bruits environnant, son niveau de stress, un taux Ă©levĂ© d'hormones comme l'Ocytocine, le Cortisol, la TestostĂ©rone, la sĂ©rotonine, etc. En plus d'ĂȘtre personnelle Ă  chacun, la perception du rĂ©el se modifie Ă  chaque instant[5].

La perception d'une situation complexe peut ĂȘtre entravĂ©e par des biais cognitifs comme la pensĂ©e, l'ignorance et les croyances. Le phĂ©nomĂšne qui peut entraver la perception juste d'une situation est particulier Ă  la mĂ©moire et Ă  l'illusion. Ce peut ĂȘtre aussi d'autres formes de biais cognitifs (dissonances cognitives) ou des sophismes, de la part des personnes qui Ă©changent leur point de vue sur une situation (ce qui correspond plus Ă  des opinions qu'Ă  une perception). Les schĂ©mas cognitifs sont des automatismes permettant Ă  chacun de traiter au mieux des situations complexes. En cas de dysfonctionnements, ils seraient Ă  l'origine de psychopathologies (comme la dĂ©pression), ainsi que les travaux de Beck l'ont montrĂ©. La perception joue donc un rĂŽle considĂ©rable dans la façon d'apprĂ©hender la rĂ©alitĂ© et les relations aux autres.

Afin d'améliorer sa perception de la réalité, et de limiter les risques d'erreur, il est important de croiser les sources d'information, et de croiser les interprétations de ces sources. Ainsi, les situations du monde réel qui apparaissent complexes demandent un niveau d'attention élevé. Mais les biais cognitifs (tels que par exemple la cécité d'inattention et la Cécité au changement) peuvent occulter de nombreux éléments, ou déformer le niveau de compréhension et ainsi agir sur les actions suivantes.

Chez les humains de diverses cultures, le partage des informations et leur qualification, dans une collectivité ou une entreprise, font appel à des méthodes et à des sciences cognitives.

Plusieurs philosophes se sont penchés sur le phénomÚne de la perception.

Dans l'Antiquité, Aristote a développé dans le traité de sensu et sensibilibus une réflexion sur les sensibilités communes (koine aisthesis).

Au Moyen Âge, avec saint Thomas d'Aquin, la philosophie scolastique a repris les notions d'Aristote pour bĂątir une thĂ©orie des facultĂ©s, aboutissant Ă  la notion de sens commun (en latin sensus communis)), qui est l'une des quatre facultĂ©s avec l'imagination, l'estimative, et la mĂ©moire[6].

Au XVIIe siÚcle, Baruch Spinoza, dans le traité de la réforme de l'entendement (1661-1677), distingue quatre modes de perception :

La perception par l'expérience est un processus empirique, qui fait aujourd'hui appel à des méthodes expérimentales sophistiquées.

Autant les deux premiers types de perception (perception par les sens et par l'expérience) sont individuels, autant le raisonnement, et aussi l'intuition ont des implications collectives : c'est à ce stade que l'intelligence (inter-ligere, en latin, signifie lier entre) de l'individu, face à une situation, nécessite des communautés que les perceptions des uns et des autres interagissent pour aboutir à une vision structurée d'un ensemble à un moment particulier. En gestion des connaissances, on parle de communautés de pratique.

Pour donner un point de vue sur une situation globale, l'intuition peut nous amener Ă  faire des gĂ©nĂ©ralisations de cas singuliers, c'est-Ă -dire procĂ©der par induction. La gĂ©nĂ©ralisation peut ĂȘtre inappropriĂ©e, car les cas singuliers choisis ne sont pas nĂ©cessairement reprĂ©sentatifs, et mĂȘme ils peuvent ĂȘtre choisis intentionnellement pour arriver Ă  une conclusion prĂ©dĂ©terminĂ©e, ce qui est une logique fallacieuse. À cette rĂ©serve prĂšs, l'induction est parfois un complĂ©ment indispensable du raisonnement dĂ©ductif pour percevoir une situation complexe.

Henri Bergson (Essai sur les données immédiates de la conscience) s'est inspiré de Spinoza sur la question de l'intuition.

Maurice Merleau-Ponty a Ă©galement Ă©tudiĂ© le phĂ©nomĂšne de la perception. La perception a, selon lui, une dimension active en tant qu’ouverture primordiale au monde vĂ©cu (au Lebenswelt)[7]. Contrairement Ă  la conception cartĂ©sienne de la pensĂ©e, Merleau-Ponty estime que le corps n'est pas qu'un objet potentiel d'Ă©tude pour la science. Il souligne qu’il y a une inhĂ©rence de la conscience et du corps dont l’analyse de la perception doit tenir compte. Le primat de la perception signifie un primat de l’expĂ©rience, dans la mesure oĂč la perception revĂȘt une dimension active et constitutive[8].

Avec Paul Watzlawick, la réalité est devenu le résultat d'une construction mentale. « De toutes les illusions, la plus périlleuse consiste à penser qu'il n'existe qu'une seule réalité »[9].

Les études réalisées ces derniÚres années par des neuroscientifiques tels que David Eagleman ou Dan Ariely mettent en évidence l'influence de la perception sur la compréhension de la réalité, ainsi que la tendance à l'irrationalité.

Avec The Witness et notamment sa seconde fin[10], Jonathan Blow démontre comment le travail de plusieurs années, mais aussi l'expérience utilisateur de plusieurs dizaines d'heures, peuvent influer sur notre perception inconsciente et consciente de la réalité. De par la répétition d'une tùche et de stimuli visuels propres à la conception de ses puzzles, l'auteur et le joueur finissent par voir apparaßtre ces puzzles partout dans la réalité, comme s'ils étaient alors jusqu'ici voilés à leurs yeux.

La perception faciale

Depuis longtemps les scientifiques se questionnent sur plusieurs aspects de la perception humaine. Un domaine de la perception qui a Ă©tĂ© Ă©tudiĂ© profondĂ©ment c’est la perception des visages. Il est particuliĂšrement intĂ©ressant, car il est liĂ© Ă  l'identification des visages et la comprĂ©hension des expressions faciales en lien avec la communication verbale et non-verbale. (Goldstein & Cacciamani, 2022)[11]. Comprendre la perception des visages pourrait aussi nous aider Ă  comprendre les causes de la prosopagnosie; une maladie qui rend incapable de percevoir les visages (Sergent et al., 1992)[12].


Particularité de la perception des visages

Plusieurs choses rendent la perception des visages particuliĂšrement intĂ©ressante et unique. Notamment, ce phĂ©nomĂšne est surtout captivant quand on prend en compte la haute vitesse que nos systĂšmes perceptifs peuvent identifier des visages et des Ă©motions. En effet, une Ă©tude a dĂ©montrĂ© que cela peut se faire dans seulement 100-110 ms, mais la moyenne est 140 ms (Crouzet et al., 2010)[13]. Mais, si les faces sont inversĂ©es, la perception devient trĂšs difficile (Busigny & Rossion, 2009)[14]. Cet effet d’inversion de face fait croire plusieurs scientifiques que la perception des visages se fait d’une façon holistique. Pour expliquer, si l’analyse des faces se faisait en identifiant les parties individuellement et non d’une façon holistique, l’inversion n'aurait pas un aussi grand effet (Goldstein & Cacciamani, 2022)[11]. Ces particularitĂ©s de la perception faciale ont forcĂ© une des plus grandes questions de la perception faciale. Est-ce que les ĂȘtres humains ont un systĂšme intrinsĂšque spĂ©cialisĂ© uniquement dans ce genre de perception? Ou, inversement, est-ce que la perception des visages est due Ă  la plasticitĂ© du cerveau dĂ©pendant de l’expĂ©rience (Goldstein & Cacciamani, 2022[11]). Cette question sera explorĂ©e un peu plus tard.


Codage par spécificité ?

Un autre dĂ©bat qui a Ă©tĂ© populaire dans ce domaine est: est-ce que la perception des visages se fait par codage de spĂ©cificitĂ© ou par codage de population? En d'autres mots, si c’est un neurone spĂ©cifique qui code pour les visages dans nos cerveaux, ou plusieurs neurones/groupes de neurones (Goldstein & Cacciamani, 2022)[11].

La thĂ©orie qui stipule qu’un seul neurone est responsable s’appelle aussi l’hypothĂšse de la grand-mĂšre, parce que thĂ©oriquement, il y a une cellule qui rĂ©pondrait Ă  uniquement ta grand-mĂšre. (Goldstein & Cacciamani, 2022)[11]. Cette thĂ©orie est appuyĂ©e par une expĂ©rience faite par Quiroga et ses collĂšgues en 2005[15]. Ils ont prĂ©sentĂ© une sĂ©rie de photos des personnes et ont trouvĂ© qu’un neurone spĂ©cifique est activĂ© seul lors des prĂ©sentations des photos de Jennifer Anniston, il l’a donc appelĂ© la « Jennifer Anniston neurone ». Cependant, cette thĂ©orie a beaucoup de critiques, principalement parce qu’il est impossible de dĂ©terminer si la « Jennifer Anniston neurone » est uniquement activĂ©e lors des prĂ©sentations de Jennifer Anniston. Par ailleurs, parce que la thĂ©orie stipule que si le neurone de ta grand-mĂšre meurt, tu oublies ta grand-mĂšre (Quiroga et al., 2008)[16]. De plus, la plupart des expĂ©riences (comme plusieurs mentionnĂ©es plus tard), dĂ©montrent une activation dans plusieurs endroits du cerveau lors des prĂ©sentations des divers stimuli, et non un seul neurone. Les critiques de cette thĂ©orie optent donc pour une explication plutĂŽt holistique (Goldstein & Cacciamani, 2022)[11].

MalgrĂ© tout cela, plusieurs scientifiques ne sont pas convaincus. Tel que mentionnĂ© prĂ©cĂ©demment, certains pensent que la perception des visages se fait d’une façon plutĂŽt holistique. C’est-Ă -dire, ils rĂ©futent l’idĂ©e qu’il existe une partie du cerveau qui gĂšre la perception des visages (Goldstein & Cacciamani, 2022)[11].Le raisonnement est que la perception d’une face est complexe et implique plusieurs aspects. Pour Ă©laborer, quand on regarde une face nous sommes en train d’analyser les Ă©motions de la personne, la direction dans laquelle la personne regarde, comment leurs yeux et leur face bougent, si on les trouve beaux, et s’ils nous sont familiers. Donc, les Ă©motions, le mouvement, la mĂ©moire et le jugement sont tout impliquĂ©s, nous laissant croire qu’il sera quasiment impossible que seule une partie du cerveau y est responsable (FFA) (Goldstein & Cacciamani, 2022)[11].

Ou dans le cerveau?

La localisation du processus est un autre aspect de la perception faciale qui est trĂšs Ă©tudiĂ© et porte diffĂ©rentes opinions. La premiĂšre expĂ©rience qui a beaucoup avancĂ© l’identification de l’endroit associĂ© aux perceptions faciales a Ă©tĂ© centrĂ©e sur la prosopagnosie. Sergent et al. (1992)[12], ont utilisĂ© une machine Ă  Tomographie par Ă©mission de positons (TEP)sur six sujets avec la prosopagnosie causĂ©e par lĂ©sion cĂ©rĂ©brale. Les rĂ©sultats ont contribuĂ© Ă  l’association du cortex prĂ©frontal ventromĂ©dian avec la perception des visages. L’expĂ©rience a aussi rĂ©vĂ©lĂ© que la perception des visages et des objets est faite par deux processus distincts. Ce qui a servi comme fondation pour l’expĂ©rience suivante de Kanwisher et al. (1997)[17]. Ils ont ajoutĂ© un niveau de complexitĂ©, dans le but d’éviter les variables confondantes. Cela a dĂ©montrĂ© les mĂȘmes rĂ©sultats que la derniĂšre; leur permettant de conclure que l’aire fusiforme du cerveau (FFA) est rĂ©ellement liĂ©e aux perceptions des visages. Ils ont donc nommĂ© cette partie du cerveau, situĂ©e dans le gyrus fusiforme, sur la face infĂ©rieure du cerveau directement sous le cortex infĂ©ro-temporal, la face fusiforme du cortex visuel. Ces Ă©tudes expĂ©rimentales de Kanwisher et les Ă©tudes de cas de Sergent et al. (1992)[12], sont en appuie de la thĂ©orie que l’aire fusiforme des faces est intrinsĂšquement liĂ©es aux perceptions faciales.

Les doutes face à l’aire fusiforme de face

L’expĂ©rience de Gauthier et al. (1999)[18], a tentĂ© de prouver que la FFA n’est pas impliquĂ©e uniquement dans la perception des visages. Ils ont crĂ©Ă© une nouvelle espĂšce appelĂ©e « Greebles » pour les sujets identifiĂ©s. Au dĂ©but de l’expĂ©rience les participants Ă©taient incapables de diffĂ©rencier les Greebles, mais avec de l'entraĂźnement, ils ont Ă©tĂ© capables et les activations FFA ont encore Ă©tĂ© vues (Gauthier et al., 1999). Ils ont ensuite fait une Ă©tude similaire, oĂč ils ont prĂ©sentĂ© des oiseaux et des voitures aux experts dans ces sujets. Ils ont encore vu des activations cĂ©rĂ©brales dans l’aire de face fusiforme, suggĂ©rant plutĂŽt que c’est une aire pour des sujets spĂ©cialisĂ©s, dĂ©pendant de l’expĂ©rience, et non seule pour les faces (Gauthier et al., 2000)[19]. Ces expĂ©riences qui dĂ©montrent la plasticitĂ© du cerveau dĂ©pendant de l’expĂ©rience sont aussi pertinentes concernant la premiĂšre question de l’article. Est-ce que la perception est intrinsĂšque? D’aprĂšs ces expĂ©riences, elle ne nous n’est pas intrinsĂšque, mais plutĂŽt un rĂ©sultat de nos expĂ©riences et notre plasticitĂ© cĂ©rĂ©brale(Gauthier et al., 2000)[19].

Haxby et al., (2001)[20] suggĂšre que la FFA n’est pas spĂ©cifiquement pour les faces, mais plutĂŽt font partie d’une reprĂ©sentation plus grande pour tous les objets et les faces. Ils ont observĂ© lors de leur expĂ©rience, une activation distincte pour les faces et pour cinq diffĂ©rentes catĂ©gories d’objets. Ils ont mĂȘme pu dĂ©dier ce que le participant regardait Ă  l'aide des activations cĂ©rĂ©brales. Ces activations distribuĂ©es et superposĂ©es suggĂšrent que la perception faciale se fait d’une façon similaire que la perception des objets. Cette Ă©tude propose donc une organisation topographique de la reprĂ©sentation distribuĂ©e des faces et des objets dans le cortex temporal ventral. De plus, elle est en dĂ©saccord avec la thĂ©orie qui stipule que les ĂȘtres humains ont un endroit du cerveau intrinsĂšquement responsable des perceptions faciales.


Références

  1. « Perception », sur CNRTL (consulté le ).
  2. Pfaffmann C, Afferent impulses from the teeth due to pressure and noxious stimulation, J Physiol 97, 1939:207-219
  3. HÀmmerle CHF, Wagner D, BrÀgger U, Lussi A, Karayiannis A, Joss A, Lang NP, Threshold of tactile sensitivity perceived with dental endosseous implants and natural teeth, Clin. Oral Impl. Research 6.2, 1995:83-90
  4. Trulsson M, Francis ST, Bowtell R, McGlone F, Brain activations in response to vibrotactile tooth stimulation: a psychophysical and FMRI study, J. Neurophysiol. 2010 Oct;104(4):2257-65.
  5. Goulard, Eric Tous Irrationnels! Votre cerveau vous joue des tours. Createspace. 2014. 256p
  6. Université Laval, « Sens, bon sens et sens de la communauté. Reconstruction historique du concept sensus communis »
  7. Maurice Merleau-Ponty, La structure du comportement, Paris, Presses Universitaires de France, collection « Quadrige », 1990, pages 235-236 ; et Maurice Merleau-Ponty, PhĂ©nomĂ©nologie de la perception, Paris, Éditions Gallimard, collection « Tel », 1976, pages II-III et p. 240, et p. 348 ; et Maurice Merleau-Ponty, Le primat de la perception et ses consĂ©quences philosophiques, Éditions Verdier, 1996, page 67.
  8. Principalement dans Maurice Merleau-Ponty, PhĂ©nomĂ©nologie de la perception, Paris, Éditions Gallimard, collection «Tel», 1976, aux chapitres IV, V et VI
  9. Paul Watzlawick, La rĂ©alitĂ© de la rĂ©alitĂ©, Éditions du Seuil, 1978, 252p
  10. The Witness - Secret ending
  11. (en) E. Bruce Goldstein et Laura Cacciamani, Sensation and Perception, Cengage Learning, , 514 p. (ISBN 978-0-357-44647-8)
  12. (en) J Sergent, S Ohta et B MacDonald, « Functional neuroanatomy of face and object processing. A positron emission tomography study », Brain,‎ (lire en ligne)
  13. (en) SĂ©bastien Crouzet, Holle Kirchner et Simon J. Thorpe, « Fast saccades toward faces: Face detection in just 100 ms », Journal of Vision,‎ (lire en ligne)
  14. (en) Thomas Busigny et Bruno Rossion, « Acquired prosopagnosia abolishes the face inversion effect », ScienceDirect,‎ (lire en ligne)
  15. (en) R. Quian Quiroga, L. Reddy, G. Kreiman et C. Koch, « Invariant visual representation by single neurons in the human brain », Nature, vol. 435, no 7045,‎ , p. 1102–1107 (ISSN 1476-4687, DOI 10.1038/nature03687, lire en ligne, consultĂ© le )
  16. (en) R. Quian Quiroga, G. Kreiman, C. Koch et I. Fried, « Sparse but not "Grandmother-cell" coding in the medial temporal lobe », ScienceDirect,‎ (lire en ligne)
  17. (en) Nancy Kanwisher, Josh McDermott et Marvin M. Chun, « The Fusiform Face Area: A Module in Human Extrastriate Cortex Specialized for Face Perception », The Jounal of Neuroscience,‎ (The Fusiform Face Area: A Module in Human Extrastriate Cortex Specialized for Face Perception)
  18. I Gauthier, M.J. Tarr, A.W. Anderson, P. SKudlarski et J.C. Gore, « Activation of the middle fusiform 'face area' increases with expertise in recognizing novel objects », Nature Neuroscience,‎ (lire en ligne)
  19. Isabel Gauthier, Pawel Skudlarski, John C. Gore et Adam W. Anderson, « Expertise for cars and birds recruits brain areas involved in face recognition », Nature Neuroscience,‎ (lire en ligne)
  20. (en) James V. Haxby, M. Ida Gobbini, Maura L. Furey, Jennifer L. Schouten, Alumit Ishai et Pietro Pietrini, « Distributed and Overlapping Representations of Faces and Objects in Ventral Temporal Cortex », Science,‎ (lire en ligne)

Voir aussi

Bibliographie

  • Aristote, De l'Ăąme
  • Spinoza, TraitĂ© de la rĂ©forme de l'entendement, 1661-1677
  • Bonnet C. (1986). Manuel pratique de psychophysique, Armand Collin.
  • Fechner G.T. (1860). Element der Psychophysik, Leipzig, Breitskopf and HĂ€rtel.
  • Goulard. Eric. Tous Irrationnels! Votre cerveau vous joue des tours. Createspace. 2014. 256p
  • Hans-Werner Hunziker, Im Auge des Lesers, foveale und periphere Wahrnehmung: vom Buchstabieren zur Lesefreude. (ISBN 978-3-7266-0068-6)
  • JĂ©rĂŽme Dokic, Qu'est-ce que la perception ?, Vrin, coll. Chemins philosophiques, 2004
  • Kant, Critique de la raison pure,
  • Long et sedley, Les philosophes hellĂ©nistiques, Tome II, les StoĂŻciens,
  • Platon, ThĂ©Ă©tĂšte

La perception dans la phénoménologie

  • Renaud Barbaras, La perception, essai sur le sensible, Vrin, 2009
  • Michel Henry, GĂ©nĂ©alogie de la psychanalyse, PUF, coll. EpimĂ©thĂ©
  • Edmund Husserl, (1907) Chose et espace, PUF, coll. EpimĂ©thĂ©
  • Husserl, (1913) IdĂ©es directrices pour une phĂ©nomĂ©nologie, Gallimard, TEL, trad. Paul RicƓur
  • Merleau-Ponty (1945). PhĂ©nomĂ©nologie de la perception,
  • Merleau-Ponty, Le primat de la perception et ses consĂ©quences philosophiques, Éditions Verdier, 1996
  • Yannick Bressan, Du principe d'adhĂ©sion au thĂ©Ăątre - Approche historique et phĂ©nomĂ©nologique, L'Harmattan, coll. "Univers thĂ©Ăątral", 2013.

Articles connexes

Liens externes

Cet article est issu de wikipedia. Text licence: CC BY-SA 4.0, Des conditions supplĂ©mentaires peuvent s’appliquer aux fichiers multimĂ©dias.