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Les Dreyfusards sous l'Occupation

Les Dreyfusards sous l'Occupation est un ouvrage du chercheur Simon Epstein, universitaire dont les travaux portent sur l'histoire d'Israël et l'histoire de France et spécialiste de l'antisémitisme.

Cet ouvrage publié en 2001 a pour objet l'étude du parcours des dreyfusards en France pendant la Seconde Guerre mondiale.

Il établit qu'un grand nombre des défenseurs du capitaine Dreyfus, militants antiracistes parfois membres de la LICA et pacifistes de gauche, furent d'actifs partisans de la collaboration avec l'Allemagne nationale-socialiste, sans nécessairement être devenus antisémites.

L'ouvrage est essentiellement prosopographique et descriptif : neuf chapitres sont consacrés à l'étude des parcours des dreyfusards, répartis par tendance. Le dernier chapitre, intitulé « Un phénomène occulté » est plus interprétatif : Simon Epstein y conteste notamment la validité de la thèse de l'existence permanente et de l'affrontement de deux France, celle des collaborateurs qui seraient les héritiers des antidreyfusards, et celle des résistants qui seraient les héritiers des dreyfusards.

MĂ©thode

Dans un avant-propos, Simon Epstein base sa méthode sur l'examen du parcours des dreyfusards qu'il souhaite le plus exhaustif possible[1]. Simon Epstein affirme la nécessité de recourir à la prosopographie comme méthode historique.

Il n'examine pas le parcours des dirigeants du mouvement dreyfusard (Zola, PĂ©guy, Clemenceau) car ces derniers sont morts au moment de la Seconde Guerre mondiale mais se dirigent vers les cadres et militants les plus actifs de la cause : ceux qui soutiennent Zola dans la presse, ceux qui marchent avec PĂ©guy au quartier latin, ceux qui agissent avec Clemenceau[2].

Il examine le parcours des dreyfusards non-juifs car les dreyfusards juifs n'avaient guère la possibilité de choisir leur camp pendant la Seconde Guerre mondiale et critique la volonté de proscrire toute référence à un comportement politique juif[3].

Étude prosopographique

Simon Epstein étudie en détail le parcours d'un très grand nombre de personnalités qu'il répartit en différentes catégories.

Les hommes politiques

  • FĂ©licien Challaye (1875-1967), sorti en 1894 de l'École normale supĂ©rieure, de la mĂŞme promotion que Charles PĂ©guy, est militant dreyfusard, anticolonialiste, socialiste et pacifiste. Tout en Ă©crivant contre l'antisĂ©mitisme[4], il refusa toute guerre avec l'Allemagne et Ă©crivit dans des revues de la gauche ouvrière pro-allemande comme L'Atelier ou Germinal[5]. Après la guerre, il imputa Ă  des « juifs influents » un rĂ´le dans le dĂ©clenchement de la Seconde Guerre mondiale[6], tout en prĂ©tendant condamner l'antisĂ©mitisme « stupide et cruel ».
  • Hubert Bourgin (1875-1955), est comme PĂ©guy une recrue de Lucien Herr qui l'a conduit du socialisme au dreyfusisme. Frère de Georges Bourgin, l'archiviste de la Commune, il frĂ©quente le plus illustre et mythique des hauts lieux dreyfusards : avec LĂ©on Blum et Lucien Herr, il est membre du conseil qui rĂ©git la librairie de PĂ©guy[7]. Bourgin deviendra progressivement antisĂ©mite[8], sans s'en dĂ©fendre comme FĂ©licien Challaye.
  • Henry LĂ©mery (1874-1972), avocat et homme politique martiniquais, fut un dĂ©fenseur actif de la cause dreyfusarde. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il fut très proche du marĂ©chal PĂ©tain tout en restant hostile aux Allemands. Après la guerre, il maintint son admiration pour le marĂ©chal et sa dĂ©nonciation de l'action du gĂ©nĂ©ral de Gaulle[9] - [10].
  • Anatole de Monzie (1876-1947) fut un militant dreyfusard et socialiste, qui dĂ©fendit Ă©galement le sionisme. Il fut membre du comitĂ© d'honneur de la LICA[11]. Par pacifisme, il critique les Juifs qu'il rend responsable de la montĂ©e en puissance d'un climat de guerre et se montre partisan d'une conciliation avec l'Allemagne. Pendant la guerre, il publia des articles dans la presse collaborationniste de gauche[12] - [13].
  • Jacques Bardoux (1874-1959), militant dreyfusard, initia le projet de l’UniversitĂ© populaire de Belleville crĂ©Ă©e dans le but de rapprocher ouvriers et intellectuels. SĂ©nateur, il devint membre du conseil national de Vichy mais se dĂ©tacha Ă  temps du vichysme[14].

Les syndicalistes révolutionnaires

  • Robert Louzon (1882-1976) fut un syndicaliste rĂ©volutionnaire très actif dans la lutte contre les nationalistes ; en 1899, il adhĂ©ra aux Étudiants collectivistes, l'un des groupes dreyfusards les plus actifs. Dès 1906, tout en maintenant des options de gauche radicale, il s'en prit au « sĂ©mitisme » qu'il assimilait au « clĂ©ricalisme », l'un et l'autre Ă©tant selon lui des « Ă©manations du pouvoir de la bourgeoisie ». Au dĂ©but des annĂ©es 1920, Louzon fut membre du parti communiste et finança un journal RĂ©volution prolĂ©tarienne positionnĂ© Ă  l'ultra-gauche anticolonialiste et pacifiste. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il refuse toute guerre contre l'Allemagne ; après celle-ci son journal RĂ©volution prolĂ©tarienne s'en prendra au sionisme avec virulence[15].
  • Hubert Lagardelle (1874-1958), militant dreyfusard et fondateur de la revue Le mouvement socialiste, se sentit proche de Benito Mussolini entre les deux guerres mondiales ; le chef du fascisme affirma d'ailleurs avoir Ă©tĂ© inspirĂ© par ses thĂ©ories[16] - [17]. Il apporta son soutien au MarĂ©chal PĂ©tain. En revanche, Lagardelle resta hostile au national-socialisme.
  • Georges Yvetot (1868-1942), syndicaliste dreyfusard prĂ©sida le COSI favorable Ă  l'Allemagne nationale-socialiste et fut un des fleurons du collaborationnisme de gauche[18].
  • RenĂ© de Marmande (1875-1949), journaliste pacifiste proche de la CGT, prĂ´na la collaboration pendant la guerre[19].
  • Francis Delaisi (1873-1947) fut membre avec Victor Basch du ComitĂ© de vigilance des intellectuels antifascistes entre les deux guerres[20] ; par pacifisme et volontĂ© d'intĂ©gration europĂ©enne, il se rallia au parti de gauche collaborationniste RNP de Marcel DĂ©at et Ă©crivit dans le journal La France socialiste.
  • Alexandre ZĂ©vaès (1873-1953), dĂ©putĂ© socialiste et dreyfusard, qui fut orateur d'un banquet de cĂ©lĂ©bration de la RĂ©volution française organisĂ© en par l'Association des immigrĂ©s juifs de gauche et l'Union des sociĂ©tĂ©s juives de France[21], prĂ´na pendant la guerre la collaboration avec l'Allemagne au nom d'un idĂ©al socialiste et europĂ©en. Après la guerre, il publia un livre glorifiant Émile Zola[22] - [23].

Gens de lettres et intellectuels

  • Daniel HalĂ©vy (1872-1962), de lointaine ascendance juive, se spĂ©cialisa dans l'organisation de pĂ©titions dreyfusardes[24]. Cet historien rĂ©putĂ© sera pendant la guerre un partisan du marĂ©chal PĂ©tain[25] - [26].
  • JĂ©rĂ´me Tharaud (1874-1953) et son frère Jean (1877-1952) dont Jules Isaac confirmera la force de leur engagement dreyfusard oscilleront entre condamnation de l'antisĂ©mitisme et comprĂ©hension Ă  l'Ă©gard de celui-ci dans leurs diffĂ©rents ouvrages entre les deux guerres mondiales[27].
  • Camille Mauclair (182-1945) poète, romancier, historien d'art signa en 1898 un texte de solidaritĂ© avec Émile Zola. Il deviendra sous l’Occupation le rĂ©dacteur du journal antijuif le plus virulent de la pĂ©riode, Le pilori[28] - [29].
  • Paul LĂ©autaud (1872-1956), fut dreyfusard au point de renier son admiration pour Maurice Barrès. Proche des idĂ©es socialistes, il Ă©crira dans son Journal littĂ©raire des rĂ©flexions peu favorables aux Juifs[30] - [31].
  • Pierre Hamp (1876-1962), Ă©crivain de l’école dite prolĂ©tarienne fut proche de Blum et Jaurès pendant l’affaire Dreyfus. Pendant le second conflit mondial, il Ă©crira dans la presse collaboratrice de gauche : Le Rouge et le Bleu, La France socialiste, Germinal. Il ne fut pas antisĂ©mite mais nettement favorable Ă  la collaboration[32].
  • Albert Rivaud (1876-1956), militant dreyfusard animateur de l’UniversitĂ© populaire de Belleville[33], fut professeur de philosophie. Il fut ministre du MarĂ©chal PĂ©tain mais fut renvoyĂ© Ă  la demande des Allemands pour cause de germanophobie[14].
  • Jean Ajalbert (1863-1947) fut un dreyfusard de la première heure et un des plus actifs. Membre de l’AcadĂ©mie Goncourt, il se ralliera au parti pro-allemand de l’ancien communiste Jacques Doriot[34].
  • Georges Lecomte (1867-1960), qui fut secrĂ©taire perpĂ©tuel de l’AcadĂ©mie française fut un homme de lettres dreyfusard dĂ©terminĂ©. Il fut pĂ©tainiste pendant la guerre[34].
  • Hermann-Paul (1864-1940), fut un des caricaturistes du camp dreyfusard. Cet anarchiste publia ses dernières caricatures dans le journal Je suis partout oĂą il concentrait ses attaques contre les Juifs[35].
  • Abel Hermant (1862-1950) publia en 1887 un roman antimilitariste. Ce dreyfusard admirateur de Zola devint membre du comitĂ© d’honneur du Groupe Collaboration et fut membre du comitĂ© de patronage de la LVF[36] - [37].
  • Victor Margueritte (1866-1942) fut un militant antimilitariste et dreyfusard ; son dĂ©sir de paix et d’intĂ©gration europĂ©enne le poussa Ă  glorifier la collaboration et Ă  critiquer la prĂ©sence dans l’entourage du MarĂ©chal PĂ©tain d’anglophiles[38].
  • Armand Charpentier (1864-1949) fut membre du parti radical puis rejoignit les socialistes. En 1937, il inaugure une rue Dreyfus et une rue Zola Ă  Crosne et quelques annĂ©es plus tard, après avoir dĂ©noncĂ© la responsabilitĂ© des « Juifs bellicistes » dans la guerre il Ă©crit dans les journaux de la collaboration ouvrière comme L’Atelier et Germinal.
  • Georges Pioch (1873-1953), qui fut membre de la SFIO, du parti communiste, de la Ligue des droits de l'homme sera un proche de Marcel DĂ©at et du RNP pendant la Seconde Guerre mondiale.
  • JosĂ© Germain (1884-1964), dreyfusard militant Ă©crivait en 1934 dans le journal de la LICA qu'il ne nourrissait qu'une haine, la « haine de la haine » ; pendant la guerre, il milita au Groupe Collaboration et glorifia Laval qu'il soutint après son Ă©viction en dĂ©cembre 1940[39].
  • Jacques Chardonne (1884-1968), Ă©crivait Ă  son père en 1898 qu'il Ă©tait fier d'ĂŞtre le parent du prĂ©sident-fondateur de la Ligue des droits de l'homme, Ludovic Trarieux. Pendant la guerre, il prĂ´na la collaboration avec l'Allemagne oĂą il se rendra deux fois avec d'autres Ă©crivains français[40].
  • François PiĂ©tri (1882-1966), dĂ©putĂ© et plusieurs fois ministre, fut un philosĂ©mite ardent et devint prĂ©sident d'honneur du ComitĂ© français pour la protection des intellectuels juifs persĂ©cutĂ©s. Ministre puis ambassadeur du MarĂ©chal PĂ©tain, il prĂ©tendait restĂ© philosĂ©mite tout en servant officiellement un État pratiquant officiellement l'antisĂ©mitisme[41] - [42].
  • AndrĂ© Salmon (1881-1969), dreyfusard comblĂ© d'avoir rencontrĂ© le capitaine Dreyfus en janvier 1915, il Ă©crivit pendant la guerre dans de nombreux journaux collaborationnistes[43] - [44].

Les enragés de l'antisémitisme

Simon Epstein regroupe dans un chapitre particulier les dreyfusards dont l'antisémitisme fut radical.

  • Urbain Gohier (1862-1951) est un des pamphlĂ©taires les plus passionnĂ©s et les plus intransigeants du camp dreyfusard. Ses outrances antimilitaristes le fâchent avec nombre de dreyfusards qui considèrent qu'il exagère[45] - [46]. Cependant, si Gohier dĂ©fend Dreyfus et cĂ©lèbre Zola, il est dĂ©jĂ  antisĂ©mite. Simon Epstein affirme Ă  son propos[45] : « Peu reprĂ©sentatif de l'actualitĂ© dreyfusarde des 1898 et 1899, Gohier est pleinement prĂ©curseur de la fatalitĂ© dreyfusarde des annĂ©es 1940 ». Gohier condamne cependant les violences antisĂ©mites commises en AlgĂ©rie. Pour lui, « la tribu de LĂ©vi », c'est-Ă -dire les Juifs, et « l'armĂ©e de CondĂ© », c'est-Ă -dire la droite rĂ©actionnaire, sont des alliĂ©es[47] - [48]. Pendant la guerre, il critiquera la modĂ©ration de Darquier de Pellepoix, commissaire aux questions juives[49].
  • Henri Labroue (1880-1964) fut titulaire d'une chaire d'histoire du judaĂŻsme Ă  la Sorbonne Ă  partir de 1942. L'homme qui en 1943 travailla Ă  diffuser l'antisĂ©mitisme dans le monde universitaire avait signĂ© de son nom les pĂ©titions soutenant Dreyfus quarante-cinq ans auparavant. Au dĂ©but de sa carrière universitaire, Labroue exalta la figure du juif, notamment dans son discours de remise des prix au lycĂ©e de Bordeaux en . Produit de la Sorbonne dreyfusarde et positiviste du dĂ©but du XXe siècle, sa thèse de doctorat fut prĂ©facĂ©e par Gabriel Monod, archĂ©type de l'intellectuel dreyfusard[50]. Franc-maçon, membre du parti radical de la loge de Droits de l'homme, il est un admirateur de Voltaire. Mais prĂ©cisĂ©ment, sa conversion Ă  l'antisĂ©mitisme lui fait insister sur l'antijudaĂŻsme de ce dernier[51].
  • Georges Montandon (1879-1944), fut dreyfusard[52] - [53] avant d'Ă©crire dans la Revue des intellectuels communistes et dans L'HumanitĂ©. Trois anciens dreyfusards, dont deux Juifs, Ă  savoir Paul Rivet, Lucien LĂ©vy-Bruhl et Marcel Mauss, prĂ©sentèrent sa candidature Ă  l'Institut français d'anthropologie. Georges Montandon bascula radicalement dans l'antisĂ©mitisme Ă  la fin des annĂ©es 1930. Sous l'occupation, Montandon anima l'Institut d'Ă©tudes des questions juives et ethno-raciales.

Les dreyfusards hitlériens

Distinct du groupe précédent, car l'antisémitisme ne tiendra pas de place décisive dans leur prise de position, trois anciens dreyfusards sont qualifiés de dreyfusards hitlériens par Simon Epstein.

  • Edouard Dujardin (1861-1949), symboliste et secrĂ©taire adjoint de la SociĂ©tĂ© des UniversitĂ©s populaires, lesquelles prennent leur essor lors de l'affaire Dreyfus, se voulut Ă  la fois germanophile et philosĂ©mite. Ce dreyfusard rĂ©digea sous l'Occupation plusieurs textes apologĂ©tiques du national-socialisme et de son chef[54] - [55].
  • Louis Bertrand (1866-1941), normalien liĂ© Ă  Lucien Herr, affirmera au temps de l'affaire Dreyfus qu'ĂŞtre antijuif c'est ĂŞtre antifrançais. Dans les annĂ©es 1930, il glorifiera l'Ĺ“uvre d'Hitler et prĂ´nera la collaboration avec l'Allemagne[56].
  • Alphonse de Châteaubriant (1877-1951) est selon Simon Epstein le « paragon de cette singulière Ă©quipe qui passe d'un dreyfusisme de jeunesse Ă  une hitlĂ©romanie du troisième âge ». Ami de Romain Rolland et prix Goncourt en 1911, Châteaubriant cĂ©lĂ©brera en Hitler un « Ă©dificateur d'esprits, un constructeurs de volontĂ©s »[57] - [58] et pendant la guerre il crĂ©era le Groupe Collaboration. S'il n'Ă©crit jamais contre les Juifs, il donne dans son journal La Gerbe la parole Ă  des antisĂ©mites radicaux[59].

Les hauts dirigeants de Vichy et l'affaire Dreyfus

Simon Epstein étudie le positionnement des trois principaux dirigeants politiques de l'État de Vichy quant à l'affaire Dreyfus : François Darlan, Pierre Laval, Philippe Pétain.

  • François Darlan (1881-1942) a grandi en milieu rĂ©publicain. Son père, ministre de la justice, tenta d'intervenir en faveur de Dreyfus[60]. Simon Epstein remarque que François Darlan Ă©tait apprĂ©ciĂ© de LĂ©on Blum et fut pendant la guerre d'Espagne favorable aux rĂ©publicains espagnols[61]. En , il se prĂ©occupe de la sĂ©curitĂ© personnelle de LĂ©on Blum. Alors qu'il dirige le gouvernement de Vichy, Darlan dĂ©clare aux prĂ©fets qu'il est un homme de gauche[62].
  • Pierre Laval (1883-1945), vient lui de l'extrĂŞme-gauche rĂ©volutionnaire. Jeune dreyfusard, il s'engagea en 1911 dans l'affaire Rousset, un duplicata miniaturisĂ© de l'affaire Dreyfus. Le comitĂ© de dĂ©fense d'Émile Rousset[63] est composĂ© d'ancien dreyfusards : Alfred Dreyfus et Anatole France en sont notamment membres. Membre de la SFIO, signataires d'appels antimiltaristes, Pierre Laval est internationaliste et pacifiste[64]. Il signe en 1935 un pacte entre la France et l'Union soviĂ©tique. Pierre Laval est avant-guerre nettement philosĂ©mite : un grand nombre de ses clients, de ses collaborateurs les plus fidèles, et de ses amis sont juifs[65].
Il est considéré par les historiens comme un des principaux responsables de la persécution des Juifs sous l'occupation, de à .
  • Simon Epstein explique qu'avant guerre Philippe PĂ©tain (1856-1951), Ă©tait un militaire rĂ©publicain, hostile Ă  la judĂ©ophobie, apprĂ©ciĂ© de la gauche et vraisemblablement dreyfusard.
    • Le gĂ©nĂ©ral Laure, qui fut proche de Philippe PĂ©tain et son secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral entre 1940 et 1942, affirme dans un ouvrage consacrĂ© au marĂ©chal que celui-ci Ă©tait en parfaite entente avec le gĂ©nĂ©ral Zurlinden, gouverneur militaire de Paris mais aussi avec son successeur, le gĂ©nĂ©ral Henri-Joseph Brugère[66]. Or Brugère fut nommĂ© Ă  ce poste pour rĂ©duire dans l'armĂ©e l'influence des antidreyfusards. Il n'eĂ»t pas tolĂ©rĂ© si proche de lui un subordonnĂ© qui fut un antidreyfusard convaincu.
    • Pendant l'Affaire et dans les annĂ©es qui suivirent, PĂ©tain est bien vu du gouvernement rĂ©publicain, il dĂ©cline mĂŞme une offre d'avancement (la direction de l'Ecole de tir de Châlons) du gĂ©nĂ©ral Percin qui fut directement impliquĂ© dans l' affaire des fiches[67] - [Note 1].
    • La marĂ©chal PĂ©tain, lui-mĂŞme confia avoir Ă©tĂ© dreyfusard Ă  son chef de cabinet civil Henry du Moulin de Labarthète[68] - [69] : « J'ai toujours cru pour ma part, Ă  l'innocence de Dreyfus ».
    • Avant guerre, PĂ©tain n'Ă©tait pas maurrassien et, selon Jacques Madaule, il fĂ©licita François Mauriac d'avoir fait campagne contre l'Ă©lection de Charles Maurras Ă  l'AcadĂ©mie française[70].
    • Philippe PĂ©tain semble avoir Ă©tĂ© impermĂ©able Ă  l'antisĂ©mitisme avant d'accĂ©der au pouvoir. Ainsi, il critiqua fermement Louis Bertrand qui avait protestĂ© contre l'Ă©lection d'AndrĂ© Maurois Ă  l'AcadĂ©mie française et celui-ci lui en fut reconnaissant ; le MarĂ©chal fut reprĂ©sentĂ© Ă  l'enterrement d'Edmond de Rothschild en 1934, il fut tĂ©moin au mariage de l'Ă©conomiste israĂ©lite Jacques Rueff en 1937 et fut le parrain de sa fille en 1938[71].
    • Sa rĂ©putation est celle d'un marĂ©chal rĂ©publicain et qui a su Ă©pargner le sang de ses soldats. Le fait de vouloir faire appel en cas de pĂ©ril au MarĂ©chal PĂ©tain n'est pas une spĂ©cificitĂ© de la droite et Simon Epstein note que le radical-socialiste Pierre Cot dĂ©clara en 1934[72] : « Monsieur le MarĂ©chal, en cas de pĂ©ril national, la France compte sur vous. » Dans Le Populaire du , LĂ©on Blum dĂ©crit Philippe PĂ©tain comme « le plus noble et du plus humain de nos chefs militaires ». Socialistes et communistes parlent de PĂ©tain en des termes dont ils n'auraient pas fait usage si PĂ©tain avait Ă©tĂ© un homme d'extrĂŞme droite[73]. Par ailleurs, certains des discours les plus cĂ©lèbres du marĂ©chal PĂ©tain seront Ă©crits par un homme de gauche juif, pacifiste et munichois Emmanuel Berl[74].
    • Louis-Dominique Girard qui fut l'un des proches collaborateurs du MarĂ©chal PĂ©tain affirma que celui-ci Ă©tait tourmentĂ© Ă  l'idĂ©e que Saussier et Casimir-Perier aient condamnĂ© Dreyfus en le sachant innocent[75]. Il souligna l'amitiĂ© qui liait PĂ©tain et Maurice PalĂ©ologue qui intervint en faveur de Dreyfus au procès de Rennes. Girard rĂ©vĂ©la Ă©galement que deux ministres et intellectuels pĂ©tainistes, Henri Moysset (1875-1949) et Lucien Romier (1885-1944) lui avaient dit combien PĂ©tain avait Ă©tĂ© scandalisĂ© par le comportement de Saussier et Casimir-Perier[Note 2].

Dans son autre ouvrage, Un paradoxe français, Simon Epstein note que les gouvernements successifs de Vichy n’auront compté qu’un seul antidreyfusard, le général Maxime Weygand. Encore faut-il préciser qu’il fera échouer les protocoles de Paris qui prévoyait une coopération militaire entre la France vichyste et l’Allemagne et qu’il finira interné par les Allemands[76]. Les ministres dreyfusards ne manquent pas : François Piétri, Henry Lémery, Hubert Lagardelle, Lucien Romier, Jérôme Carcopino et ils ne manquent pas non plus au conseil national de Vichy[77].

Région grise et positions médianes

Simon Epstein remarque que de nombreux dreyfusards furent pendant la Seconde Guerre mondiale indifférents, indécis, ambigus voire neutres. Il inclut dans cette catégorie[78] :

  • L'historien Charles Seignobos (1854-1942) ;
  • L'historien Lucien Febvre (1878-1956) (qui demanda Ă  Marc Bloch de quitter la revue des Annales pour Ă©viter son aryanisation forcĂ©e) ;
  • Le politologue AndrĂ© Siegfried (1875-1959) (qui fut nĂ©anmoins sensible aux thĂ©ories anthropo-raciales et dĂ©crivit dans ses cours les travaux de Georges Montandon) ;
  • L'Ă©conomiste Charles Rist (1874-1955) (qui accepta nĂ©anmoins la proposition du MarĂ©chal PĂ©tain de devenir son ambassadeur aux États-Unis) ;
  • L'historien d'art Louis Gillet (1876-1943) (qui chrĂ©tien hostile au racisme affirmera nĂ©anmoins un certain marĂ©chalisme) ;
  • Le poète Paul Fort (1872-1970), qui participa Ă  un livre d'hommage Ă  Émile Zola en 1898 et fut un collaborateur modĂ©rĂ© ;
  • Le poète LĂ©on-Paul Fargue (1876-1947) ;
  • L'auteur dramatique Henri GhĂ©on (1875-1944), qui après avoir Ă©tĂ© dreyfusard puis maurrassien sympathisa discrètement avec la RĂ©sistance ;
  • Le philosophe Émile Chartier dit Alain (1868-1951) qui nĂ©anmoins adhĂ©ra Ă  la Ligue de pensĂ©e française, structure collaboratrice de gauche crĂ©Ă©e en 1942 par son disciple RenĂ© Château. Mais Jean-François Sirinelli[79] estime que l'appartenance d'Alain Ă  cette Ligue n'est pas Ă©tablie. Il rappelle par ailleurs que cette Ligue fut une tentative pour recrĂ©er les deux ligues laĂŻques abolies, des droits de l'homme et de l'enseignement, et dut subir les attaques de la presse collaborationniste.
  • L'Ă©crivain AndrĂ© Gide (1869-1951) qui signa les pĂ©titions dreyfusardes (qui nĂ©anmoins Ă©crivit des lignes favorables Ă  PĂ©tain dans son journal) ;
  • L'Ă©crivain Roger Martin du Gard (1881-1958) (qui nĂ©anmoins se laissa aller Ă  une certaine indulgence pour l'Allemagne nationale-socialiste et affirma croire au dĂ©sir de paix d'Hitler) ;
  • Le pacifiste rĂ©volutionnaire Alfred Rosmer (1877-1964) qui adopta pendant la Seconde Guerre mondiale une attitude de non engagement qui sera celle d'importantes fractions de l'extrĂŞme gauche non communiste trotskiste notamment[80] ;
  • Le sĂ©nateur Joseph Caillaux (1863-1944) qui Ă©tait favorable Ă  l'alliance avec l'Italie fasciste pour contrer l'Allemagne nationale-socialiste et vota les pleins pouvoirs au marĂ©chal PĂ©tain ;
  • Le dĂ©putĂ©, sĂ©nateur et chef du gouvernement Albert Sarraut (1872-1962), dreyfusard qui fut blessĂ© lors d'un duel relatif Ă  l'Affaire et vota les pleins-pouvoirs au MarĂ©chal PĂ©tain ;
  • Le journaliste Maurice Sarraut (1869-1943), frère du prĂ©cĂ©dent, qui dirigea un journal marĂ©chaliste non extrĂ©miste et fut d'ailleurs assassinĂ© sur instigation de la milice, autant dĂ©testĂ© des rĂ©sistants que des collaborateurs.
  • Le prĂ©sident de la RĂ©publique RenĂ© Coty qui commença sa vie politique en luttant pour Dreyfus et vota les pleins-pouvoirs au marĂ©chal PĂ©tain.

Les dreyfusards et le vote du 10 juillet 1940

Simon Epstein s'intéresse également au parcours des députés et sénateurs ayant voté les pleins pouvoirs au maréchal Pétain[81]. Plusieurs hommes politiques dreyfusards ne s'opposèrent pas au vote du 10 juillet 1940 confiant les pleins pouvoirs au maréchal Pétain.

Simon Epstein affirme que concernant les participants au vote du 10 juillet 1940, une étude complète reste à faire et que leur position quant à l'Affaire n'est pas connue[82] - [Note 3].

Les dreyfusards résistants

Des intellectuels dreyfusards seront résistants pendant la Seconde Guerre mondiale. Simon Epstein note que parmi ceux qui seront farouchement hostiles au national-socialisme, certains se seront orientés pendant l'entre-deux-guerres vers la droite l'Action française ou le fascisme.

  • Jacques Maritain (1882-1973), issu d'une famille protestante, est passionnĂ©ment dreyfusard dans ses jeunes annĂ©es. Il se convertit au catholicisme ainsi que sa femme, une juive originaire de Russie. Très proche de l'Action française, il publie un texte antisĂ©mite en 1921. Il stipule qu'un peuple essentiellement messianique comme le peuple juif, dès l'instant qu'il refuse le vrai messie, jouera fatalement un « rĂ´le de subversion ». Il prĂ´ne en consĂ©quence une lutte de salut public contre les sociĂ©tĂ©s secrètes judĂ©o-maçonnes et contre la finance cosmopolite. Ayant rompu avec Maurras, il devient l'un des principaux thĂ©oriciens du philosĂ©mitisme chrĂ©tien dans les annĂ©es 1930. Il rĂ©futera les thèses antisĂ©mites dans ses livres puis dĂ©noncera pendant la guerre les persĂ©cutions contre les Juifs[83].
  • Georges Valois (1878-1945) est anarchiste et dreyfusard en dĂ©but d'itinĂ©raire. Comme Maritain, pour des raisons diffĂ©rentes, il rallie l'Action française et verse dans un antisĂ©mitisme vĂ©hĂ©ment. En 1925, Georges Valois se sĂ©pare de l'Action française, crĂ©e un journal Le Nouveau Siècle et un mouvement le Faisceau qui est une des premières manifestations organisationnelles d'un fascisme français. L'Union sacrĂ©e de la Grande guerre favorable aux Juifs et le non antisĂ©mitisme du fascisme italien[84] le font Ă©voluer sur la question juive. Le Faisceau compte des Juifs parmi ses adhĂ©rents. Georges Valois sous l'occupation sera rĂ©sistant et il pĂ©rira Ă  Bergen Belsen en fĂ©vrier 1945.
  • AimĂ© Pallière (1868-1949), chrĂ©tien philosĂ©mite et hĂ©braĂŻsant fut dreyfusard. Sa sympathie pour le sionisme et son rejet de l'antisĂ©mitisme font de lui une figure qui compte dans la vie juive des annĂ©es 1920. Dans les annĂ©es 1930, il manifeste certaines critiques Ă  l'Ă©gard des Juifs[85]. NĂ©anmoins pendant la guerre, il n'abandonne pas les Juifs persĂ©cutĂ©s.
  • Émile BurĂ© (1876-1952), membre des Ă©tudiants collectivistes, reçut un coup de canne d'Édouard Drumont en personne[86]. Il se veut un dreyfusard ni antisĂ©mite, ni philosĂ©mite. Journaliste et membre de cabinets ministĂ©riels, il est collaborateur d'Aristide Briand et Georges Clemenceau. Les annĂ©es 1920 et 1930 le retrouvent nationaliste et homme de droite. Il ne croit pas en la rĂ©conciliation franco-allemande et s'en prend Ă  Blum qu'il qualifie de « nomade ». Quand Hitler prend le pouvoir, il se fĂ©licite d'avoir eu raison contre les pacifistes de gauche et se moque des radicaux « droits-de-l'hommards » et des « pacifistes imbĂ©ciles » qui avaient confiance dans le peuple allemand. Il prĂ´ne une attitude ferme face Ă  l'Allemagne et passe la guerre aux États-Unis dĂ©ployant une activitĂ© journalistique hostile Ă  Vichy et au national-socialisme. Il finit sa carrière comme compagnon de route des communistes juifs qui forment l'assise militante du MRAP en dĂ©nonçant la renaissance de l'armĂ©e allemande[87].
  • Paul Langevin (1872-1946), ancien de l'École normale supĂ©rieure est très vite connu dans le monde de la physique atomique est un ami des Juifs. Langevin sera pacifiste mais restera hostile au national-socialisme et adhĂ©rera au communisme après la guerre[88].
  • Henri Wallon (1879-1962), spĂ©cialiste d'Ă©ducation et psychologie infantile, fut sympathisant communiste. Actif dans la rĂ©sistance universitaire sous l'occupation[88].
  • LĂ©on Jouhaux (1879-1954), secrĂ©taire de la CGT sera internĂ© puis dĂ©portĂ© avec d'autres dirigeants français en Allemagne[89].
  • Jean Schlumberger (1877-1968), Ă©crivain protestant et fondateur de la NRF, refusera de collaborer Ă  la NRF reprise par Drieu La Rochelle. Il adhĂ©rera au Conseil national des Ă©crivains tout en se dĂ©solidarisant des listes noires visant les Ă©crivains compromis dans la collaboration. Selon Simon Epstein, Schlumberger aide Ă  saisir la dispersion des chemins dreyfusards. En effet, il avait trois amis qui Ă  Belleville montèrent une universitĂ© populaire : quarante plus tard, le premier sera plutĂ´t neutre (AndrĂ© Siegfried), le second sera conseiller national de Vichy (Jacques Bardoux), le troisième soutiendra la RĂ©volution nationale (Albert Rivaud). Quant Ă  Pierre Hamp, qui fut leur meilleur Ă©tudiant, il s'orientera vers la collaboration de gauche[90].
  • Le mathĂ©maticien Émile Borel (1871-1956) recevra la mĂ©daille de la rĂ©sistance.

On retrouve aussi des résistants parmi les dreyfusards littéraires comme Pierre Jouguet (1869-1849), Hubert Pernot (1870-1952), Ferdinand Lot (1866-1952), Mario Roques (1875-1961), Raoul Blanchard (1877-1965), Edmond Vermeil (1878-1964), Paul Rivet (1876-1958), Maurice Violette (1870-1960), Albert Bayet (1880-1961). Simon Epstein note que ces trois derniers qui furent des résistants dreyfusards seront des défenseurs de l'Algérie française et très hostiles à l'anti-occidentalisme d'une partie de la gauche.

Déport massif vers la collaboration : constat et explication du phénomène

Dreyfusards collaborateurs, Antidreyfusards résistants

Le pétainisme, le collaborationnisme, l'antisémitisme, le national-socialisme se retrouvent à l'aboutissement de très nombreux itinéraires dreyfusards : Simon Epstein y perçoit une donnée structurelle chargée d'une signification qu'il souhaite définir[91].

Simon Epstein affirme qu'il convient de pousser encore plus loin les investigations de façon rigoureuse et exhaustive. Il est ainsi difficile faute d'informations disponibles de savoir ce qu'on fait ou pensé nombre de dreyfusards moins connus pendant la Seconde Guerre mondiale. De même, il n'est pas possible pour un grand nombre d'acteurs actifs politiquement pendant la Seconde Guerre mondiale de savoir quelles ont été leurs options pendant l'affaire Dreyfus. Mais Simon Epstein pense qu'il est possible d'amplifier les connaissances dans ce domaine[92].

Cependant, s'appuyant sur les pratiques des sciences sociales qui consistent à travailler sur échantillon et à supposer que la réalité masquée diffère peu de la réalité exposée, il considère comme peu plausible un renversement de la pondération entre dreyfusards résistants et dreyfusards collaborateurs établie au travers de ses travaux[93].

Si l'on se focalise sur les dreyfusards de combat, sur ceux qui furent actifs pendant la bataille, qui publièrent des livres, des articles, se battirent en duel, Simon Epstein observe un déport massif et incontestable vers la collaboration[94].

Les dreyfusards résistants ne furent pas des dreyfusards de combat. Ils n'ont joué dans l'Affaire qu'un rôle minime qu'expliquent leur jeune âge et leur carrière commençante, d'où cette assertion qui ressort nettement du travail d'Epstein : un dreyfusard notoire, fervent et engagé a de fortes chances de se retrouver collaborateur après 1940[95].

Le monde littéraire le confirme. Ainsi, la liste des écrivains collaborateurs établie en 1944 par le Conseil national des écrivains comprend de nombreux dreyfusards[95] : Ajalabert, Challaye, Chardonne, Châteaubriant, Delaisi, Dujardin, Fayolle-Lefort, Germain, Gohier etc.

On trouve inversement peu de dreyfusards parmi les adhérents du CNE. Au contraire, ceux qui viennent de l'antidreyfusisme y sont nombreux[96] : Paul Valéry qui contribua au monument Henry, François Mauriac qui grandit dans une famille antidreyfusarde, Jacques Debû-Bridel qui fut maurassien, Claude Roy venu de l'Action française et de Je suis partout, André Rousseaux, ancien d'Action française, Louis Martin-Chauffier qui crut en la culpabilité de Dreyfus.

Le pacificisme, vecteur principal de la Collaboration

Simon Epstein met en avant plusieurs explications Ă  ce parcours du dreyfusisme Ă  la collaboration[97].

  • Il Ă©limine la prĂ©somption crypto-maurassienne qui fait ressortir que les dreyfusards ont trahi la France au profit du Kaiser et l'ont donc logiquement Ă  nouveau trahie au profit du FĂĽhrer.
  • Il prend en compte l'hypothèse stochastique qui fait intervenir un effet de masse : les dreyfusards furent nombreux en 1898-1899, les collaborateurs furent nombreux en 1940-1944, il est donc normal sur le plan statistique que ces deux ensembles se recoupent.
  • Il Ă©tudie le facteur âge : les dreyfusards qui, par la force des choses, sont âgĂ©s en 1940, sont moins enclins Ă  prendre des risques. L'argument expliquerait pourquoi il y aurait moins de dreyfusards rĂ©sistants et pourquoi beaucoup sont restĂ©s cachĂ©s, neutres ou attentistes. Selon Simon Epstein, il n'aide pas Ă  comprendre pourquoi il y a tellement de dreyfusards devenus pĂ©tainistes ou pro-allemands.

Simon Epstein affirme que le principal vecteur de la collaboration fut le pacifisme. Il fait ce constat en étudiant deux groupes, les dreyfusards et les sympathisants de la LICA et d'autres organisations antiracistes dans les années 1920 et 1930.

Pacifisme et antisémitisme

Ce lien entre pacifisme et sympathie pour la collaboration était d'ailleurs reconnu au sortir de la guerre. Ainsi, Jean-Paul Sartre dans Qu'est-ce qu'un collaborateur écrira[98] : « Si par exemple le pacifisme français a fourni tant de recrues à la collaboration c'est que les pacifistes incapables d'arrêter la guerre, avaient tout à coup décidé de voir dans l'armée allemande la force qui réaliserait la paix. Leur méthode avait été jusqu'alors la propagande et l'éducation. Elle s'était révélée inefficace. Alors ils se sont persuadés qu'ils changeaient seulement de moyen : ils se sont placés dans l'avenir pour juger de l'actualité et ils ont vu la victoire nazie apporter au monde une paix allemande comparable à la fameuse paix romaine. »

Le même élan humanitaire qui incite les pacifistes à honnir les guerres et ses atrocités les pousse d’emblée à dénoncer les pogroms et leurs horreurs. Les deux engagements reposent sur une même conception du monde, les deux témoignent d’une même révolte contre la misère humaine, l’injustice et la barbarie[99]. Simon Epstein considère que le pacifisme est la clef permettant de comprendre le parcours de nombreux collaborateurs issus de la gauche[100] : « sommés de choisir entre la guerre mondiale et la persécution raciale, certains pacifistes se montreront épouvantés par la première qui risque de décimer l'humanité entière alors que la seconde ne concerne qu'un groupe restreint d'individus ».

Les pacifistes se sont ainsi retrouvés d'accord avec certains éléments nationalistes qui ne concevaient la guerre qu'au service des intérêts de la nation et ne voulaient pas provoquer une guerre mondiale pour des raisons idéologiques ou de défense des intérêts juifs.

Pacifisme et pétainisme

Cette approche se complète d'une point de vue plus fondamental, lié à la crainte de ravages démographiques qu'une nouvelle guerre pourrait provoquer[101]. Xavier Vallat dira[102] - [103]. : « C'est à cause du silence que la guerre a apporté dans 36 000 villages, pareils au mien, que j'ai voulu passionnément la paix pour mon pays ; c'est à cause de lui que j'ai servi avec ferveur le Maréchal Pétain, mon chef de la Grande Guerre, devenu chef de l'Etat dans des heures difficiles, quand il a tout tenté pour que d'autres jeunes français ne vinssent pas ajouter leur nom à celui de leurs aînés sur les stèles funéraires. »

Quant à Pétain, si Simon Epstein ne le qualifie pas de pacifiste, au sens idéologique du terme, il insiste sur le fait que son souci de préserver la vie des soldats français se remarque à toutes les étapes de sa carrière[102], « au début du siècle dans les doctrines militaires qu'il professe, en 1914-1918 dans les méthodes de combat qu'il pratique, dans l'entre-deux-guerres, par le soutien qu'il apporte au système statique fortifié dans l'espoir vain de limiter les pertes en vies humaines, en 1940 par sa précipitation à demander l'armistice, sous l'Occupation par sa détermination à laisser la France hors du conflit mondial. Justifiées ou erronées, les conceptions de Pétain forment un tout ».

Pierre Laval, « jeune-dreyfusard » qui fut pacifiste et révolutionnaire dériva vers le centre et la droite dans ses conceptions économiques et ses activités financières mais son pacifisme foncier resta inchangé dans son principe. Simon Epstein affirme[102] que ce pacifisme est « sous-jacent au rôle qu'il jouera aussi bien auprès d'Aristide Briand dans les années 1920 qu'auprès de Philippe Pétain dans les années 1940 ».

Le pétainisme et le lavalisme sont le refus de tous ceux qui, sans joie pour beaucoup, se résignent à la domination allemande, et souhaitent que tout soit tenté pour défendre ce qui peut être défendu, à savoir les intérêts essentiels de la population et l’intégrité territoriale du pays et de l’Empire[104]. Simon Epstein remarque que les pacifistes ne deviendront pas tous des collaborateurs et que certains munichois, tels les socialistes Christian Pineau et Félix Gouin, seront même de grands résistants. De même, tous les anti-munichois ne deviendront pas tous des résistants.

Au total, Simon Epstein affirme[102] : « On observe une forte corrélation entre dreyfusisme et pacifisme au temps de l'Affaire et une forte corrélation entre pacifisme et collaboration dans les années 1940. » Cette corrélation trouve son illustration dans la majorité des itinéraires de la période.

L'occultation du phénomène

Simon Epstein constate l'occultation dont le phénomène des dreyfusards collaborateurs a fait l'objet et consacre à ce phénomène un chapitre intitulé « Un phénomène occulté » Cette occultation découle selon lui de la place particulière prise par les figures respectives du dreyfusard et du collaborateur dans la conscience collective française.

L'idéalisation des dreyfusards

Il critique ainsi Pierre Vidal-Naquet qui voit dans une partie des Français qui luttèrent pour l'indépendance algérienne des dreyfusards[105] : « Si Pierre Vidal-Naquet s'était enquis de leur attitude sous l'occupation, il aurait découvert que nombre d'entre eux se sont fort bien accommodés, entre 1940 et 1944, d'un niveau de torture et de massacre nettement supérieur (c'est un euphémisme) à celui que ses amis dreyfusards ont eu à affronter à la fin des années 1950. S'il s'était penché sur les positions adoptées sur l'Algérie par les dreyfusards encore vivants à la fin des années 1950 et au début des années 1960, il se serait heurté au trio Rivet, Violette, Bayet dreyfusards-résistants mais hostiles à l'Algérie algérienne. Il aurait peut-être compté Challaye parmi les dreyfusards pro-algériens, mais le passé collaborateur du personnage l'aurait rebuté... C'est sans importance car Pierre Vidal-Naquet est libre ici de toute contingence historiographique et de tout souci d'adhérer au réel. Ses dreyfusards sont métaphoriques, parés de toutes les vertus qu'il présume dreyfusardes (indépendance d'esprit, sensibilité humanitaire, lucidité, etc.). »

Les dreyfusards ne forment plus une catégorie historique mais un ensemble abstrait, intemporel, auquel de nouvelles générations militantes sont invitées à s'identifier[106]. Simon Epstein porte un regard critique sur cette béatification des dreyfusards qui mériterait selon lui une étude : « Procédant d'un impératif collectif (exploiter au mieux le rôle exemplaire et pédagogique de l'Affaire) autant que d'une préoccupation juive particulière (dénigrer les antijuifs et célébrer les adversaires de l'antisémitisme), elle a dressé une muraille protégeant les dreyfusards contre tout examen critique. Elle a pour effet d'extraire ses bénéficiaires du champ ordinaire de l'investigation rationnelle et de la recherche scientifique. »

Critique de la thèse des deux France

Les dreyfusards-collaborateurs sont occultés pour une deuxième raison, plus importante que la précédente et qui tient à la perception tronquée que l'on a, non plus du dreyfusisme, mais de la collaboration elle-même. À la base de cette distorsion se trouve la thèse des deux France. Simon Epstein s'en prend à cette vision qui pose que les grands antagonismes de l'histoire française ne font que reproduire de crise en crise, l'éternel conflit de la France de gauche contre la France de droite, de la France de 1789 et de la France contre-révolutionnaire[107].

Selon Simon Epstein, l'image est exaltante mais elle perd de son attrait « dès qu'on voit les réalités se dessiner dans tous leurs pourtours et toute leur complexité ». En fait, le bonapartisme et la monarchie de juillet sont difficiles à classer, la République de 1848 l'est aussi, car elle mitraille les ouvriers. Le Second Empire est autoritaire, mais sa politique sous certains aspects est novatrice et sociale. Gambetta n'est ni avec les Versaillais, ni avec les Communards. Les précurseurs du socialisme français et bien d'autres, sont ouvertement antijuifs. Le boulangisme, mouvement nationaliste et populaire, est réfractaire à l'antisémitisme.

Unies sur les réformes sociales, les composantes du front populaire ne le sont pas sur la menace hitlérienne. La France collaboratrice recrutera à parts égales dans les deux France antagonistes de 1936 et la France résistante, gaulliste ou intérieure, brisera elle aussi les blocs antérieurs[102].

Hannah Arendt et d'autres auteurs américains défendront la théorie des deux France mais en France, cette théorie a peu de succès après la Libération : les publications françaises sont sans indulgence pour Vichy mais n'éprouvent pas le besoin de charger rétroactivement les collaborateurs des actions des antidreyfusards[108].

Simon Epstein attribue la réactivation de cette théorie des deux France dans les années 1980 et 1990 à la lutte médiatique et politique contre le Front national, notamment dans le cadre des célébrations des centenaires du premier procès en 1994 et de J'accuse en 1998[109]. Selon lui, la thèse des deux France devient de « formule littéraire percutante, apte à émouvoir les cœurs, à enflammer les imaginations, elle s'est métamorphosée en appareil d'analyse et de conceptualisation, croit-elle, des grands drames de la France contemporaine ».

Simon Epstein constate que Pierre Birnbaum ne remarque pas que parmi les antisémites qu'ils citent et dénoncent dans une page de son étude sur la République juive (1988), deux sont dreyfusards directs (Hubert Bourgin et Fayolle-Lefort), le troisième est dreyfusard par identification (Henri Béraud), la quatrième est fils d'un dreyfusard qui n'a jamais renié son père (Bertrand de Jouvenel)[110].

Loin de pulluler à Vichy, les antidreyfusards y furent assez peu nombreux[111]. Par ailleurs, les antisémites ne s'identifieront pas nécessairement aux antidreyfusards. Ainsi, Lucien Rebatet dira[112] : « On peut avoir été dreyfusard, le demeurer quant à la question de Dreyfus coupable ou non coupable, et compter parmi les antisémites les plus déterminés. » Quant aux forces collaborationnistes venant de la gauche, il est clair que l'innocence de Dreyfus y est admise[112] - [Note 4].

Dans une étude publiée en 1997 et citée par Simon Epstein, Henry Rousso constate que l'antidreyfusisme ne figure pas dans l'arsenal idéologique et rhétorique de la collaboration. Il suggère, en explication que les antisémites sous l'Occupation ne peuvent se réclamer d'une affaire où eux-mêmes furent anti-allemands et où ils accusaient les Juifs et leurs amis d'être à la solde de l'Allemagne. Procédant par raisonnement logique et non par suivi d'itinéaraires : sa démarche est thématique, non prosopographique. Le phénomène qu'il découvre et l'intrigue tient au fait que la collaboration et l'antisémitisme des années 1940 comptent nettement plus de dreyfusards que d'antidreyfusards dans leur rang[113].

Inversement, l'abbé Jean-Marie Desgranges qui fut résistant pendant la guerre et avait été philosémite pendant l'Occupation utilisa l'affaire Dreyfus pour dénoncer les crimes du résistantialisme : tentant d'émouvoir l'opinion, il fait l'analogie entre le capitaine injustement condamné et les victimes de l'arbitraire et de la cruauté des tribunaux de l'épuration. Il plaignit les « innombrables Dreyfus qui gémissent dans les prisons de la IVe République »[114].

L'exagération de l'influence maurrassienne à Vichy

Simon Epstein critique la tendance de certains historiens à surestimer le poids des maurassiens dans la Révolution nationale et il parle de « maurrassification » de la collaboration[115].

À titre d'exemple, Simon Epstein cite le fait que le second statut des Juifs beaucoup plus drastique que le premier fut élaboré par Joseph Barthélemy, venu d'horizons opposés à l'Action française. Sur le plan institutionnel, la place d'Alibert fut prise par Lucien Romier au conseil national de Vichy, qui fut dreyfusard. Ignorer Barthélemy et Romier pour ne parler que d'Alibert, c'est camoufler selon Simon Epstein l'apport des autres courants de pensée, y compris de gauche à l'élaboration et à la pratique vichyste[116]. Au conseil national de Vichy, les parlementaires et syndicalistes de gauche occupent une place importante. Les racines républicaines de Vichy sont encore plus visibles si on prend en compte le corps préfectoral et les hauts fonctionnaires[117].

De plus, les maurrassiens de Vichy comptent parmi les éléments antiallemands et donc les moins favorables à la politique de collaboration. Pour Simon Epstein, ce point est rarement mentionné et cela est dû selon lui au fait que ceux qu'il appelle « les doctrinaires de la continuité ne se préoccupent pas des Allemands qui ne font que de rares incursions dans leurs écrits car ils cherchent avant-tout l'origine des maux qu'ils décrivent dans une permanence franco-française ».

Simon Epstein critique le fait que la collaboration de gauche n'est pas masquée dans sa totalité mais elle l'est dans sa nature[117] : « La collaboration de droite est présentée comme naturelle alors que celle de gauche est présentée comme déviante. » La méthode qu'il critique consiste à être « scrupuleux à l'extrême dans le décompte des collaborateurs de gauche mais emphatique et globalisateur dans le repérage des collaborateurs de droite ». Selon Simon Epstein, un collaborateur qui vient des Croix-de-Feu n'échappera pas à son passé et sera stigmatisé avec insistance comme Croix-de-Feu. Inversement, « un collaborateur venu du parti radical ou du parti socialiste perdra miraculeusement son indication d'origine : il sera étiqueté technocrate sans âme, complice de Laval, personnage redoutable et ambitieux »[118].

Simon Epstein affirme[118] : « Les clivages essentiels portent sur l'occupation allemande, laquelle grève l'avenir du pays, met à bas une souveraineté millénaire, opprime, vassalise et humilie une grande nation. Les clivages essentiels ne portent pas sur le retour à la terre, les chantiers de jeunesse, sur la nature du régime, les corporations ou le folklore paysan.». Fondamentalement, les Français s'engagent dans la Résistance parce qu'ils estiment profondément anormal que leur territoire soit occupé par une puissance étrangère. L'universitaire israélien condamne la tendance qui consiste à décrire rétrospectivement les choix entre résistance et collaboration comme le résultat d'un choix idéologique. Pour Simon Epstein, ceux qui se battent contre Vichy, ne lui reprochent pas d'avoir dupé la République au profit de la contre-révolution mais bien de trahir la France au bénéfice de l'ennemi[119]. Les clivages de 1940 pulvérisent les cadres antérieurs qui sont différents de ceux de 1936 ou de 1998[119].

Il est des pans entiers de la droite qui sont restés viscéralement antiallemands et le sont restés en dépit de leur ralliement au pacifisme pro-italien en 1935, au franquisme en 1936, aux accords de Munich en 1938. Réciproquement, il est des pans entiers de la gauche qui ont prôné le rapprochement avec l'Allemagne par pacifisme et idéal européen et ont continué de le faire après 1933. L'antigermanisme des premiers les prémunit contre une trop forte attirance pour le collaborationnisme à outrance, le pacifisme des seconds les prédispose à prêter l'oreille aux musiques européennes et réconciliatrices d'un Otto Abetz. Simon Epstein affirme[115] : « Il n'est donc pas stupéfiant que dans son ensemble la collaboration ait été plus briandiste que maurrassienne. […] La maurrassification intempestive de la collaboration a pour effet principal de jeter le voile sur la texture idéologique et politique du régime de Vichy et du collaborationnisme parisien. […] elle exonère la gauche et le centre en détournant la faute sur la droite ». À titre d'exemple, il cite Michel Winock qui à partir du cas Maurras affirme que les antidreyfusards sont au pouvoir en 1940, alors qu'« ils n'y sont pas ou très peu alors que leurs opposants sont en effectif assez replet »[115].

Charles Maurras sert de cible à la presse pro-hitlérienne parisienne qui l'accuse de prôner l'attentisme et d'être opposé à tout renforcement de la collaboration[Note 5] : en effet, Maurras défend la thèse de la France seule, celle-ci devant se tenir à la fois à l'écart de l'Allemagne et des Alliés ; il ne prône pas de collaboration politique ou d'aider militairement l'Allemagne. Les Dreyfusards collaborateurs tels Armand Charpentier et René de la Marmande attaquent régulièrement ses positions[120]. Les pacifistes des années 1920 reprochaient à Maurras d'être hostile au rapprochement franco-allemand. Devenus collaborateurs, ces pacifistes témoigneront d'une ténacité idéologique et d'une constance argumentaires remarquables, puisqu'ils lui feront le même reproche sous l'Occupation[121] - [Note 6].

Le thème de l'osmose entre Charles Maurras et Vichy sera développé par des auteurs aux préoccupations divergents[122] :

  • Il s'agit des hagiographes de PĂ©tain qui sont aussi des admirateurs de Maurras tels RenĂ© Benjamin ou Henri Massis qui « idĂ©alisent et sanctifient » le lien qui unit les deux hommes, tout en contestant que l'un ou l'autre aient cherchĂ© Ă  servir l'Allemagne ;
  • Il s'agit, cette fois non pour les cĂ©lĂ©brer mais pour les critiquer des collaborateurs parisiens, comme Marcel DĂ©at, qui considèrent que Vichy ne fait pas une vraie politique de collaboration et veulent voir dans l'Ĺ“uvre de PĂ©tain la manifestation d'une pensĂ©e rĂ©actionnaire et clĂ©ricale qu'ils dĂ©testent ;
  • Il s'agit de la presse rĂ©sistante qui constate que « Maurras soutint PĂ©tain mais en dĂ©duit Ă  tort que PĂ©tain fut maurrassien »[123] ;
  • Il s'agit Ă  partir dans les annĂ©es 1980 et 1990 des dĂ©fenseurs de l'idĂ©e des deux France, soucieux d'amalgamer des tendances politiques diffĂ©rentes.

En fait, Simon Epstein rappelle que Vichy n'attend pas longtemps pour se délester d'une bonne partie de ses maurrassiens[124] : dès 1941, Raphaël Alibert, ministre de la Justice, Paul Baudouin ministre des affaires étrangères en 1941, Georges Groussard, ancien cagoulard qui commande les groupes de protection de Vichy et qui procéda à l'arrestation de Laval trop favorable à l'Allemagne et s'orienta vers la Résistance quittent Vichy. Ceux qui ne sont pas partis quitteront le gouvernement lors du retour de Laval en 1942 : Pierre Caziot, Serge Huard, Yves Bouthillier, René Gillouin, Henry du Moulin de Labarthète, Xavier Vallat, c'est-à-dire avant l'entrée des partisans d'une franche collaboration avec l'Allemagne nationale-socialiste. Ces Maurassiens étaient mal vus des amis de Pierre Laval qui les accusent d'avoir favorisé son renvoi, des Allemands qui n'apprécient pas leur hostilité à la collaboration, des collaborationnistes qui les accusent d'être réactionnaires à l'intérieur et germanophobes à l'extérieur[125].

Notes et références

Notes

  1. Simon Epstein remarque d'ailleurs que Percin, comme Pétain, croient en l'innocence de Dreyfus, les deux sont partisans de la défense tactique, les deux sont soucieux dépargner le sang des soldats. L'un achèvera son parcours en général pacifiste, l'autre en maréchal défaitiste.
  2. Lucien Romier, historien, économiste et homme de presse signa avant la guerre l'avant-propos d'un classique du philosémitisme Israël chez les nations d'Anatole Leroy-Beaulieu.
  3. Les biographies du Dictionnaire des parlementaires français ne mentionnent pas la position par rapport à l'affaire quand elle eut lieu.
  4. Dans son ouvrage, Simon Epstein répartit les collaborationnistes venus de la gauche en trois groupes : les anciens communistes qui forment l'assise du parti populaire français de Jacques Doriot restent étrangers à l'antidreyfusisme irréductible d'un Charles Maurras ; les anciens socialistes qui donnent au RNP de Marcel Déat son substrat idéologique et militant ne sont pas antidreyfusards et le RNP compte d'authentiques dreyfusards à sa direction (Francis Delaisi), dans sa presse (Georges Pioch, Georges de la Fouchardière, Alexandre Zévaès) ; dans les journaux des journaux de la gauche pro-allemande comme L'Atelier ou Germinal, écrivent des plumes dreyfusardes comme Félicien Challaye ou Armand Charpentier).
  5. René de Marmande, dreyfusard et collaborateur, ne reniera pas son combat et saluera en janvier 1944 la figure de Jean Jaurès. Il s'est lancé dans la bataille pour Dreyfus parce qu'il était favorable à un rapprochement avec l'Allemagne et hostile à la germanophobie génératrice de guerre pour le continent ; il flétrira cette germanophobie pendant la Seconde Guerre mondiale comme pendant l'Affaire l'Action française et Charles Maurras
  6. Charles Maurras après la guerre fera le point sur ses rapports avec Philippe Pétain. Après avoir rappelé qu'ils se voyaient à peine avant 1939, il proteste contre « la fable intéressée qui fait de moi une espèce d'inspirateur ou d'Éminence grise du Maréchal. Sa doctrine est sa doctrine. Elle reste républicaine. La mienne est restée royaliste. Elles ont des contacts parce qu'elles tendent à réformer les mêmes situations vicieuses et à remédier aux mêmes faiblesses de l'État. (...) L'identité des problèmes ainsi posée rend compte de la parenté des solutions. L'épouvantable détresse des temps ne pouvait étouffer l'espérance que me donnait le remplacement du pouvoir civil impersonnel et irresponsable, par un pouvoir personnel, nominatif, unitaire et militaire ». Le projet de constitution du 30 janvier 1944 que prépara le maréchal Pétain était d'ailleurs explicitement républicain même s'il renforçait le rôle du chef de l'État, président de la République. Charles Maurras considérait cette orientations préférable à celle du régime précédent et il avait confiance en Philippe Pétain pour ne pas engager militairement la France aux côtés de l'Allemagne, ce que souhaitait les collaborationnistes.

Références

  1. Simon Epstein, Les Dreyfusards sous l'Occupation, Albin Michel, , p. 11
  2. Epstein 2001, p. 13
  3. Epstein 2001, p. 13-14
  4. Félicien Challaye, « Contre l'antisémitisme. Hommage à Spinoza », La Patrie humaine, 23 décembre 1938
  5. Epstein 2001, p. 30
  6. Epstein 2001, p. 31-32
  7. Epstein 2001, p. 32
  8. Hubert Bourgin, De Jaurès à Léon Blum. L'école normale et la politique, Fayard, 1938, p. 515.
  9. Epstein 2001, p. 50
  10. Henri Lémery, D'une république à l'autre. Souvenirs de la mêlée politique, 1894-1944., éd. La Table ronde, 1964, p. 241.
  11. Epstein 2001, p. 52
  12. Epstein 2001, p. 54
  13. Anatole de Monzie, « La leçon perdue de Louis-Philippe », Le Rouge et le Bleu, 7 mars 1942.
  14. Epstein 2001, p. 98
  15. Epstein 2001, p. 67
  16. Epstein 2001, p. 69
  17. Enciclopedia italiana, vol. 14, Edizioni Istituti G. Treccani, p. 848.
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