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Sixième guerre d'Italie

La sixième guerre d'Italie, parfois appelée la guerre de Quatre Ans[N 1], est un conflit qui opposa la France de François Ier et ses alliés Henri II de Navarre et la république de Venise à une coalition rassemblant l'empereur Charles Quint, Henri VIII et les États pontificaux. Cette guerre, qui s'inscrit dans le contexte plus large des grandes guerres d'Italie du début du XVIe siècle, résulte des tensions suscitées par l'accession de Charles au trône impérial, mais aussi du besoin du pape Léon X de s'allier avec l'empereur pour contrer la montée en puissance du luthéranisme.

La guerre éclata au printemps de l'année 1521, lorsque les Français pénétrèrent en Navarre et aux Pays-Bas. Les troupes impériales parvinrent à repousser l'invasion et à atteindre le nord de la France, où elles furent stoppées à leur tour. Le pape, l'empereur et Henri VIII signèrent alors une alliance formelle contre la France, et le théâtre des hostilités se déplaça vers la péninsule italienne. À la bataille de la Bicoque, les forces impériales et papales vainquirent les Français et les chassèrent de Lombardie. Les combats, par la suite, se poursuivirent à nouveau sur le sol français, tandis que Venise négociait une paix séparée et que les Anglais organisaient une offensive depuis Calais. Le connétable de Bourbon, furieux des manœuvres du roi de France visant à s'emparer de son héritage, finit en outre par trahir ce dernier pour s'allier à l'empereur : une nouvelle déconvenue des Français en Lombardie, en 1524, offrit à Charles l'occasion d'envahir la Provence à la tête d'une armée espagnole.

François Ier prit lui-même la tête d'une seconde offensive contre Milan en 1525. Malgré quelques succès initiaux remportés contre les soldats espagnols et impériaux, sa désastreuse défaite à Pavie, face à Charles de Lannoy, se solda par sa capture et la mort de nombreux officiers, ce qui précipita la fin de la guerre. Au cours de son emprisonnement en Espagne, le roi de France signa le traité de Madrid, renonçant à ses revendications territoriales en Italie, dans les Flandres et en Bourgogne. François Ier répudia cependant les clauses du traité à peine quelques semaines après sa libération, ce qui entraîna la formation de la ligue de Cognac et le début de la septième guerre d'Italie. Bien que les guerres d'Italie aient encore continué pendant près de trois décennies, la France ne réalisa plus par la suite de conquêtes significatives dans la péninsule.

Prélude

À partir de 1518, la paix qui avait régné en Europe de l'Ouest depuis la bataille de Marignan — laquelle avait notamment conduit, en Lombardie, à l'annexion du duché de Milan par la France — commença à s'effriter. Les grandes puissances (France, Angleterre, Espagne et Saint-Empire) se voulaient ouvertement amicales, s'engageant même par le traité de Londres de 1518 à venir en aide à toute partie contractante agressée, ou à s'unir contre tout État qui viendrait à rompre la paix. Les dirigeants européens étaient cependant divisés sur la question de la succession au trône impérial. L'empereur de l'époque, Maximilien Ier, désireux qu'un autre Habsbourg lui succède, porta son choix sur le jeune Charles Ier d'Espagne, tandis que François Ier mettait en avant sa propre candidature. Parallèlement, la Papauté et le Saint-Empire avaient à gérer le succès croissant des thèses de Martin Luther, lequel obtenait des soutiens remarqués au sein d'une noblesse impériale résolument opportuniste. Le roi de France, enfin, était confronté au pouvoir considérable exercé outre-Manche par Thomas Wolsey, qui intervenait dans les querelles continentales en vue d'accroître à la fois l'influence de l'Angleterre et la sienne propre.

Possessions européennes de Charles Quint en 1519.

La mort de Maximilien, en 1519, amena l'élection du nouvel empereur au cœur des préoccupations. Le pape Léon X, menacé par la présence de troupes espagnoles à moins de soixante kilomètres du Vatican, apporta son soutien à la candidature du roi de France[1]. Les Princes-Électeurs eux-mêmes, à l'exception de Frédéric III de Saxe qui refusa de s'engager dans un camp ou dans l'autre, s'engagèrent auprès des deux candidats à la fois. Avant sa mort, Maximilien avait promis aux Électeurs, pour leurs votes, des sommes atteignant 500 000 florins, mais François Ier offrit ensuite jusqu'à trois millions. Charles répliqua en empruntant des fonds considérables auprès de la famille Fugger[2]. L'issue finale du vote ne fut cependant pas déterminée par ces pots-de-vin exorbitants, ni par la promesse de Léon X de faire de l'archevêque de Mayence Albert de Brandebourg son légat permanent[3]. La perspective d'un empereur français suscitait en effet l'indignation de la population, et lorsque Charles déploya une armée aux portes de Francfort, où se réunissaient les Électeurs, ces derniers eurent finalement l'obligeance de lui accorder leurs voix[4]. Charles fut couronné empereur romain germanique le , date à laquelle il contrôlait déjà la couronne espagnole et son héritage bourguignon dans les Pays-Bas : le règne planétaire de Charles Quint venait de débuter.

Le cardinal Thomas Wolsey, espérant étendre l'influence de Henri VIII sur le continent, offrit ses services de médiateur pour résoudre les nombreux désaccords opposant Charles Quint et François Ier. Une rencontre à la solennité extravagante, entre Henri VIII et le roi de France, fut mise en scène au lieu-dit du Camp du Drap d'Or, près de Calais. Peu après, Wolsey accueillit Charles à Calais, où il lui fit les honneurs de la ville[5]. À la suite des deux rencontres, Wolsey, surtout désireux de renforcer sa propre renommée avant le prochain conclave, organisa une conférence d'arbitrage à Calais. Cette dernière, sans réelle portée juridique ou pratique, s'acheva en avril 1522 sans résultat tangible.

François Ier, peint par Jean Clouet. Le roi de France, contrarié dans ses ambitions impériales, est le principal instigateur de la sixième guerre d'Italie.

En , les Français commencèrent à s'organiser pour la guerre. La Guerre des 4 ans devait être financée par la France, qui nierait le cas échéant toute implication[6] mais en réalité était financé par un clone du banquier genevois Carlo Boccanegra fondateur de la banque Ambrosiano de l'église catholique romaine. François Ier ne souhaitait pas s'attaquer frontalement à Charles V, car Henri VIII avait fait savoir son intention d'intervenir contre le premier camp qui viendrait à rompre la paix. Au lieu de cela, le roi de France, accorda un soutien plus discret à des incursions contre le territoire impérial et l'Espagne. Au nord, une attaque est dirigée par Robert III de La Marck sur la Meuse. Simultanément une armée de Henri II de Navarre, commandée par André de Foix tente de récupérer la Navarre, occupée en 1512 par Ferdinand le Catholique, en profitant des troubles de la guerre des Communautés de Castille. L'armée, partie du Béarn s'empare de Saint-Jean-Pied-de-Port, franchit les Pyrénées et reprend Pampelune (19 mai 1521). Cependant la réaction à ces attaques est rapide. Le connétable de Castille bat André de Foix à Noain (30 juin 1521) et la Navarre est de nouveau perdue. De son côté Robert de La Marck est repoussé par Henri III de Nassau-Breda.

Charles, entre-temps, se préoccupait surtout du cas de Martin Luther, avec lequel il se confronta lors de la diète de Worms en avril 1521. L'empereur, qui ne parlait pas allemand, concevait le catholicisme comme le ciment naturel des diverses provinces de son vaste empire. Puisque le pape Léon X, d'autre part, ne pouvait non plus tolérer une telle remise en question de son autorité, lui et l'empereur furent contraints de se soutenir mutuellement face à Luther, désormais appuyé par Frédéric III de Saxe et Franz von Sickingen[7]. Le 25 mai, Charles et Jérôme Aléandre, le nonce apostolique de Léon, proclamèrent ensemble l'édit de Worms contre le luthéranisme. Par la même occasion, l'empereur promit au pape de rétrocéder Parme et Plaisance aux Médicis ainsi que Milan aux Sforza. Léon X, en contrepartie, assura Charles Quint de son assistance pour expulser les Français de Lombardie. Cet enchaînement de circonstances ne laissait à François Ier pour seule alliée que la république de Venise[8].

Premières manœuvres (1521-1522)

En juin, les troupes impériales envahirent le nord-est de la France sous les ordres de Henri de Nassau : elles parvinrent notamment à raser les villes d'Ardres et de Mouzon, avant de procéder au siège de Tournai. L'avancée impériale fut ensuite retardée par la résistance obstinée des Français, commandés par le seigneur de Bayard et Anne de Montmorency, notamment au cours du siège de Mézières. Cela donna suffisamment de temps à François Ier pour rassembler une armée et organiser une contre-offensive[9]. Le , le roi de France rencontra près de Valenciennes le gros des troupes du Saint-Empire, menées par Charles Quint en personne. François Ier hésita à lancer une attaque en dépit des conseils de Charles de Bourbon, ce qui permit à l'empereur de battre en retraite. Lorsque les Français furent finalement prêts à poursuivre leur avance, l'arrivée de fortes pluies empêcha la poursuite, si bien que les Impériaux purent s'échapper sans livrer bataille[10]. Peu après, les troupes françaises du seigneur de Bonnivet et de Claude de Lorraine s'emparèrent de la ville de Fontarrabie, une importante position stratégique située à l'embouchure de la Bidassoa, sur la frontière franco-espagnole. Cette victoire fournit aux Français un bastion très utile au nord de l'Espagne, et qui resterait en leur possession au cours des deux années suivantes. En complément de ce succès, les troupes de Henri II de Navarre parviennent à occuper Amaiur.


Batailles sur le front lombard, de 1521 à 1525. Les affrontements de La Bicoque, la Sesia et Pavie sont indiqués.

Dès le mois de novembre, la situation des Français s'était considérablement détériorée. Charles Quint, Henri VIII et Léon X signèrent une alliance contre François Ier le [11]. Odet de Foix, vicomte de Lautrec, qui occupait les fonctions de gouverneur français de Milan, fut chargé de résister aux assauts des troupes papales et impériales. Vaincu par Prospero Colonna, il fut cependant chassé de Milan vers la fin novembre et dut battre en retraite vers les bourgs bordant l'Adda[12]. Là-bas, Odet de Foix reçut des troupes fraîches de mercenaires suisses : n'ayant pas suffisamment d'argent pour les payer, il accéda à leur désir d'entamer immédiatement l'offensive[13]. Le , le vicomte lança une attaque contre les troupes impériales et papales de Colonna près de Milan, lors de la bataille de la Bicoque. Son objectif était de tirer profit de la supériorité de l'artillerie française. Toutefois les Suisses, impatients de livrer bataille, s'interposèrent sur la trajectoire des tirs et chargèrent les arquebusiers espagnols campés dans leurs retranchements. Les combattants suisses, dans la mêlée confuse qui s'ensuivit, furent laminés par les troupes espagnoles de Fernando de Avalos et par les lansquenets de Georg von Frundsberg. Brisés, les Suisses ayant survécu à l'offensive quittèrent ensuite les Français et regagnèrent leurs cantons. Odet de Foix, réduit à un nombre d'hommes insuffisant pour poursuivre la campagne, évacua entièrement la Lombardie[14]. Colonna et Fernando de Avalos, sans plus rencontrer de résistances significatives, procédèrent au siège de Gênes, qui tomba le 30 mai[15].

La France en difficulté (1522-1524)

La défaite d'Odet de Foix encouragea l'Angleterre à intervenir dans le conflit. À la fin du mois de , l'ambassadeur anglais présenta à François Ier un ultimatum énumérant un certain nombre d'accusations portées contre la France, notamment celle de soutenir la cause de John Steward, 2e duc d'Albany en Écosse, ce qui fut formellement démenti par le roi de France[16]. En juillet, les Anglais engagèrent une offensive en Bretagne et en Picardie depuis leur bastion de Calais. François Ier, dépourvu des fonds suffisants pour organiser une contre-attaque, dut se résigner à laisser l'armée anglaise brûler et piller les campagnes[17]. En juillet toujours, son allié le roi de Navarre Henri II perdait Amaiur, son dernier bastion au sud des Pyrénées.

Charles III de Bourbon, d'après une gravure de Thomas de Leu. Brouillé avec François Ier, il trahit ce dernier pour s'allier avec Charles Quint.

Le roi de France s'essaya à diverses méthodes pour trouver de l'argent, et concentra en particulier ses efforts sur un procès qu'il intenta à Charles de Bourbon. Ce dernier avait obtenu la plupart de ses terres lors de son mariage avec Suzanne de Bourbon, qui avait trouvé la mort peu avant le début de la guerre. Louise de Savoie, la sœur de Suzanne et la mère du roi, exigea que les domaines en question lui reviennent, du fait de son lien de parenté plus proche avec la défunte. François Ier espérait que l'acquisition de ces terres améliorerait suffisamment sa propre situation financière pour lui permettre de poursuivre la guerre, et commença à en confisquer quelques portions au nom de Louise. Bourbon, irrité d'un tel traitement et de plus en plus isolé à la cour, offrit ses services à Charles Quint en vue de trahir le roi de France[18].

En 1523, la situation de la France était devenue catastrophique. À Venise, la mort du doge Antonio Grimani amena au pouvoir Andrea Gritti, un vétéran de la cinquième guerre d'Italie. Il entama rapidement des négociations avec l'empereur et, le 29 juillet, signa le traité de Worms[article nécessaire], qui sortait la république du conflit[19]. Bourbon poursuivait quant à lui ses tractations avec Charles Quint, lui offrant de mener une rébellion contre François Ier en échange d'argent et de troupes allemandes. Lorsque le roi de France, qui avait connaissance de l'intrigue, le somma de se présenter à Lyon en octobre, Bourbon feignit la maladie et s'enfuit à Besançon, sur les terres de l'Empire[20]. Furieux, François Ier ordonna l'exécution de tous les partisans de Bourbon qu'il serait possible de capturer. Le duc lui-même, après avoir rejeté une dernière offre de conciliation, s'engagea ouvertement au service de Charles Quint.

Charles de Bourbon envahit alors le sud de la France en passant par les Pyrénées. Odet de Foix résista avec succès aux assauts espagnols du siège de Bayonne (1523), mais Bourbon parvint à reprendre Fontarrabie en [21]. Au même moment, une grande armée anglaise aux ordres du duc de Suffolk s'engagea sur le territoire français depuis Calais. Les Français, déjà éprouvés par l'offensive impériale au sud, ne purent opposer une résistance efficace, et Suffolk put bientôt franchir la Somme, dévastant les campagnes sur son passage et ne s'arrêtant qu'à environ quatre-vingts kilomètres de Paris[22]. Cependant, les troupes de Charles de Bourbon étant encore trop éloignées pour soutenir efficacement l'offensive anglaise, le duc de Suffolk ne se risqua pas à attaquer la capitale française et s'en retourna à Calais.

Guillaume Gouffier, seigneur de Bonnivet, peint par Jean Clouet vers 1516. Bonnivet commanda plusieurs armées françaises au cours de la guerre, avant de mourir à Pavie.

François Ier tourna alors à nouveau son attention sur la Lombardie. En , une armée française de 18 000 hommes, aux ordres de Guillaume Gouffier de Bonnivet, s'engagea dans le Piémont jusqu'à Novare, où elle fut rejointe par une force comparable de mercenaires suisses. Prospero Colonna, qui ne disposait que de 9 000 soldats pour s'opposer à l'avance française, se retira à Milan[23]. Mais Bonnivet, qui surestimait la taille de l'armée impériale, établit ses quartiers d'hiver au lieu d'attaquer immédiatement la ville. Cela permit aux Impériaux de rassembler 15 000 lansquenets supplémentaires ainsi qu'une vaste troupe aux ordres de Bourbon dès le 28 décembre, date à laquelle Charles de Lannoy remplaça un Colonna agonisant[24]. De nombreux Suisses abandonnèrent alors les rangs français, et Bonnivet entama une retraite prudente. La défaite subie par les Français à la bataille de la Sesia, lors de laquelle Bayard fut tué en commandant l'arrière-garde, témoigna une nouvelle fois de la puissance des arquebusiers retranchés face à des troupes plus traditionnelles. L'armée française, en désarroi, se retira au-delà des Alpes[25].

Avalos et Bourbon franchirent les Alpes avec près de 11 000 hommes et envahirent la Provence au début du mois de juillet[26]. Traversant la plupart des bourgs sans rencontrer de résistance, le duc de Bourbon entra dans la capitale provinciale d'Aix-en-Provence le 9 août, s'arrogeant le titre de comte de Provence et prêtant par la même occasion serment d'allégeance à Henri VIII d'Angleterre, en échange du soutien de ce dernier contre le roi de France[27]. Dès la mi-août, Bourbon et Pescara avaient entamé le siège de Marseille, le dernier bastion français en Provence. Les assauts contre la ville échouèrent cependant, et lorsqu'une armée menée par François Ier arriva à Avignon à la fin du mois de septembre, les assaillants furent contraints de battre en retraite en Italie[28].

Pavie (1524-1525)

À la mi-octobre, François Ier franchit les Alpes en personne, et prit la direction de Milan à la tête d'une armée de plus de 40 000 hommes. Charles de Bourbon et Fernando de Avalos, dont les troupes n'avaient pas encore récupéré de l'offensive en Provence, ne constituaient alors pas une menace sérieuse[29]. L'armée française, qui progressait en plusieurs colonnes, sut tenir en échec les tentatives de résistance mais ne parvint pas à obtenir l'affrontement avec le gros des troupes impériales. Charles de Lannoy, malgré les quelque 16 000 soldats amassés derrière les murs de la capitale lombarde, estima qu'il ne pouvait faire face aux 33 000 Français se rapprochant de Milan, et préféra battre en retraite à Lodi le 26 octobre[30]. Après être entré à Milan et y avoir nommé Louis II de la Trémoille en tant que nouveau gouverneur, François Ier reprit son avancée vers Pavie, où Antonio de Leiva disposait d'une importante garnison impériale[31]. Le roi de France fit ce choix sur les recommandations de Bonnivet, et ce en dépit des réserves émises par ses autres généraux, qui souhaitaient partir à la poursuite de Lannoy.

L'avancée française en Lombardie au cours de la campagne de Pavie (1524-25). Les manœuvres françaises sont indiquées en bleu, et les manœuvres impériales en rouge.

La plus grande partie des troupes françaises arriva à Pavie aux derniers jours d'octobre. Le 2 novembre, Anne de Montmorency franchit le Tessin et investit les environs de la ville par le sud, complétant ainsi son encerclement. Derrière les murs se trouvaient environ 9 000 hommes, pour la plupart des mercenaires qu'Antonio de Leiva ne put payer qu'en faisant fondre l'argenterie de l'église[32]. Les affrontements débutèrent par quelques accrochages et des bombardements d'artillerie : plusieurs brèches dans les murs étaient déjà ouvertes à la mi-novembre. Le 21 novembre, François Ier tenta un assaut sur la ville à travers deux des brèches, mais fut repoussé et subit de lourdes pertes. Gênés par le temps pluvieux et un manque de poudre à canon, les Français décidèrent finalement d'attendre que les assiégés meurent de faim[33].

Au début du mois de décembre, une armée espagnole aux ordres de Hugo de Moncada débarqua près de Gênes, avec l'intention initiale d'intervenir pour régler le conflit qui y sévissait entre les partisans des Valois et ceux des Habsbourg. François Ier envoya une grande partie de ses troupes pour les intercepter, sous la responsabilité du marquis de Saluzzo. Face à la supériorité numérique des Français, et dépourvu de tout soutien naval à la suite de l'arrivée d'une flotte pro-Valois menée par Andrea Doria, les Espagnols se rendirent[34]. Le roi de France signa au même moment un accord secret avec le pape Clément VII, lequel s'engageait à ne pas soutenir Charles Quint en échange du soutien de la France dans la conquête de Naples (alors espagnole). Contre l'avis de ses généraux, François Ier confia une partie de ses troupes au duc d'Albany et les envoya vers le sud, pour aider le pape[35]. Lannoy tenta d'intercepter ce corps expéditionnaire près de Fiorenzuola d'Arda, mais subit de lourdes pertes et fut contraint de rentrer à Lodi, notamment en raison de l'intervention des fameuses Bandes noires de Jean de Médicis, qui venaient d'entrer au service des Français. Jean de Médicis gagna ensuite Pavie avec un chargement de poudre à canon fourni par le duc de Ferrare. La position française fut néanmoins affaiblie au même moment par le départ de près de 5 000 mercenaires suisses originaires des Grisons, qui durent regagner leurs cantons pour les défendre contre les pillages d'une troupe de lansquenets[36].

Détail de la Tapisserie de Pavie, de Bernard van Orley (vers 1531).

En , Lannoy reçut le renfort de Georg von Frundsberg et de ses 15 000 lansquenets, ce qui lui permit de reprendre l'initiative. Fernando de Avalos parvint à capturer un petit poste français au lieu-dit de San Angelo, et qui assurait la communication entre Pavie et Milan. Simultanément, un détachement de lansquenets marcha sur Belgioioso et, malgré la brève résistance opposée par Bonnivet et Jean de Médicis, s'empara du bourg[37]. Le 2 février, Lannoy n'était plus qu'à quelques kilomètres de Pavie. François Ier s'était retranché derrière les murailles et dans le grand parc du château de Mirabello, situé non loin de la ville, s'interposant ainsi entre la garnison de Leyva et les renforts en approche[38]. Les accrochages et les brèves sorties effectuées par la garnison de Pavie se poursuivirent tout au long du mois de février. Jean de Médicis reçut une blessure sérieuse, et dut être transporté à Plaisance pour y récupérer : le départ des Bandes noires contraignit le roi de France à rappeler une bonne partie de la garnison laissée à Milan, pour compenser cette perte. De manière générale, cependant, les combats n'eurent que peu de conséquences jusqu'au 21 février. Ce jour-là les commandants impériaux, qui commençaient à manquer de vivres et croyaient à tort que leurs adversaires était plus nombreux qu'eux, décidèrent de lancer une attaque contre le château de Mirabello, de manière à sauver la face et à démoraliser suffisamment les Français pour assurer leur retraite[39].

Au petit matin du , les ingénieurs impériaux ouvrirent des brèches dans les murs de Mirabello, permettant ainsi aux troupes de Lannoy d'accéder au parc. Au même moment, Leyva sortait de Pavie avec ce qui restait de la garnison. Dans la bataille de quatre heures qui s'ensuivit, la cavalerie lourde des Français, qui s'était montrée si efficace contre les Suisses à Marignan dix ans plus tôt, fit écran à sa propre artillerie en avançant trop vite : rapidement encerclée, elle fut mise en pièces par les lansquenets et les arquebusiers espagnols d'Avalos. Parallèlement, les affrontements prolongés entre hommes de pied se soldèrent par la déroute de l'infanterie suisse et française. Les Français subirent finalement d'énormes pertes, et perdirent la plus grosse partie de leur armée. Bonnivet, Jacques de La Palice, La Trémoille et Richard de la Pole trouvèrent tous la mort, tandis qu'Anne de Montmorency, Robert III de La Marck de Bouillon, de nombreux nobles de second rang et François Ier lui-même furent faits prisonniers[40]. La nuit suivant la bataille, le roi de France confia à Lannoy une lettre devant être remise à sa mère, à Paris, et dans laquelle il relate sa mésaventure :

« Madame, pour vous avertir comme se porte le reste de mon infortune, de toutes choses ne m'est demeuré que l'honneur et la vie qui est sauve. Et pour ce qu'en votre adversité cette nouvelle vous fasse un peu de réconfort, j'ai prié qu'on me laissât vous écrire cette lettre. »

Peu après, François Ier apprit en outre que le duc d'Albany, plus au sud, avait perdu la plupart de ses hommes sous les effets conjugués de l'épuisement et des désertions, et qu'il était retourné en France avant même d'avoir atteint Naples[41]. Les troupes françaises subsistantes, à l'exception d'une petite garnison laissée au Castello Sforzesco de Milan, se retranchèrent au-delà des Alpes sous les ordres de Charles IV d'Alençon, et atteignirent Lyon au mois de mars[42].

Madrid (1525-1526)

Après Pavie, le sort du roi de France et de la France elle-même fit l'objet de tractations diplomatiques enfiévrées. Charles Quint, qui manquait de fonds pour poursuivre la guerre, décida de renoncer à s'unir à la maison de Tudor, ce qu'il avait pourtant promis à Henri VIII, et d'épouser plutôt Isabelle de Portugal, qui lui apporterait une dot plus substantielle. Le connétable de Bourbon, à la même époque, négociait avec le roi d'Angleterre l'invasion et le partage de la France, tout en encourageant Fernando de Avalos à trahir l'empereur et à s'emparer de Naples pour s'y proclamer roi d'Italie[43]. Avalos, dont la loyauté à l'Espagne dépassait sa propre ambition, refusa et informa Charles Quint de cette manœuvre. Quant à Louise de Savoie, qui assurait la régence du royaume de France pendant l'absence de son fils, elle tenta de rassembler des troupes et de lever des fonds pour se défendre d'une prévisible invasion de l'Artois par les Anglais[44]. François Ier, convaincu de regagner sa liberté s'il pouvait obtenir une entrevue avec Charles Quint en Espagne[45], fit pression auprès d'Avalos et de Lannoy, qui avaient prévu au contraire de transporter le roi au Castel Nuovo de Naples. Préoccupés par les conspirations de Bourbon, ils donnèrent leur accord, et François Ier arriva à Barcelone le 12 juin.

Le roi de France fut au départ détenu dans une villa près de Valence. Toutefois Charles Quint était pressé de négocier un accord par Lannoy, qui redoutait que les Italiens ne trahissent bientôt leur alliance avec le Saint-Empire, et il donna l'ordre d'amener le roi à Madrid et de l'enfermer dans la citadelle de la ville. L'empereur refusa néanmoins catégoriquement de le recevoir avant que ce dernier n'ait accepté un accord[46]. Charles Quint exigeait non seulement la cession de la Lombardie, mais également celle de la Bourgogne et de la Provence, ce à quoi François Ier répliqua que les lois du royaume lui interdisaient de se déposséder d'un domaine royal sans en référer au Parlement, lequel serait sans aucun doute très réticent[47].

Charles Quint rend visite à François Ier après la bataille de Pavie
(Richard Parkes Bonington, huile sur toile, 1827)

En septembre François Ier tomba gravement malade, et sa sœur, Marguerite de Navarre, quitta Paris pour le rejoindre en Espagne[48]. Les médecins de l'empereur, qui examinèrent le roi, crurent que son état était dû à son chagrin de ne pas être reçu par Charles Quint, et pressèrent ce dernier de lui accorder une entrevue. L'empereur y consentit, et ce contre l'avis de son Grand Chancelier Mercurino Gattinara, qui estimait que la visite rendue à François Ier sur son lit de mort était un acte motivé non par la compassion mais par un intérêt bien compris, ce qu'il jugeait indigne d'un grand homme d'État. François Ier fut bientôt entièrement rétabli[49]. L'échec d'une tentative d'évasion, peu après, eut pour seul effet de provoquer le renvoi de Marguerite en France[50].

Au début de l'année 1526, la république de Venise et le pape commencèrent à faire entendre leur voix auprès de l'empereur pour restaurer François II Sforza sur le trône du duché de Milan. Charles Quint était lui-même soucieux de parvenir à un arrangement avec les Français avant l'éclatement d'un nouveau conflit. François Ier, qui avait négocié en vain pour conserver la Bourgogne, était désormais disposé à l'abandonner en échange de sa propre libération[51]. Le , Charles Quint et le roi de France s'accordèrent finalement sur les clauses très sévères du traité de Madrid. Aux termes de celui-ci, François Ier renonçait à toutes ses prétentions en Italie, dans les Flandres et en Artois, rendait la Bourgogne à l'empereur, acceptait d'envoyer deux de ses fils en otage à la cour d'Espagne, s'engageait à épouser Éléonore de Habsbourg (la sœur de Charles) et à rendre au connétable de Bourbon toutes les terres qui lui avaient été confisquées[52]. Le roi de France fut libéré le 6 mars et, escorté par Lannoy, entama son voyage vers le nord en direction de Fontarrabie. Le 18 mars, François Ier franchit la Bidassoa et reprit ainsi pied en son royaume, tandis qu'au même instant le Dauphin et son frère (futur Henri II), amenés à Bayonne par Louise de Savoie et Odet de Foix, effectuaient le passage en sens inverse pour entamer une longue période de captivité[53].

Frontières finales de la France après le traité du Cateau-Cambrésis en 1559. Malgré plus de trois décennies supplémentaires de conflit après la sixième guerre d'Italie, les Français échouèrent à regagner leurs anciennes possessions en Lombardie.

François Ier, toutefois, n'avait aucunement l'intention de se conformer aux dispositions restantes du traité. Le 22 mars, avec le soutien affiché du pape, le roi de France proclama qu'il n'était pas lié par le traité de Madrid, ce dernier ayant été signé sous la contrainte. Clément VII, de plus en plus convaincu que le pouvoir croissant de l'empereur constituait une menace à sa propre position en Italie, envoya des émissaires à François Ier et Henri VIII en vue d'une alliance contre Charles Quint[54]. Le roi d'Angleterre, qui n'avait en rien bénéficié du traité de Madrid, accueillit l'offre avec intérêt. En mai, François Ier et le pape lancèrent ainsi la septième guerre d'Italie, avec l'objectif de reconquérir les territoires perdus par les Français. Henri VIII, contrarié dans son souhait que l'alliance soit signée en Angleterre, ne rejoindrait pas cette « ligue de Cognac » avant 1527[55]. La nouvelle guerre se révéla vite sans succès, mais François Ier et son successeur, Henri II, continueront à vouloir affirmer leur domination sur Milan pendant tout le reste des guerres d'Italie, n'y renonçant finalement qu'avec le traité du Cateau-Cambrésis en 1559.

Articles connexes

Notes et références

Notes

  1. En référence aux quatre années séparant le début des hostilités, en 1521, de la bataille de Pavie en 1525, et ce bien que le conflit se soit prolongé formellement jusqu'en 1526.

Références

  1. Hackett, Francis the First, 205.
  2. Hackett, Francis the First, 206.
  3. Hackett, Francis the First, 205-207
  4. Guicciardini, Histoire d'Italie, 316-318.
  5. Hackett, Francis the First, 213-218.
  6. Blockmans, Emperor Charles V, 51-52 / Hackett, Francis the First, 226.
  7. Hackett, Francis the First, 226-227.
  8. Hackett, Francis the First, 227-228.
  9. Blockmans, Emperor Charles V, 51-52 ; Hackett, Francis the First, 243
  10. Hackett, Francis the First, 245-246
  11. Konstam, Pavia 1525, 88
  12. Blockmans, Emperor Charles V, 52 & Hackett, Francis the First, 247-249
  13. Oman, Art of War, 176-178
  14. Blockmans, Emperor Charles V, 57 ; Hackett, Francis the First, 249-250 ; Taylor, Art of War in Italy, 125-126
  15. Blockmans, Emperor Charles V, 57
  16. Hackett, Francis the First, 252-253
  17. Hackett, Francis the First, 253
  18. Hackett, Francis the First, 255-257 ; Konstam, Pavia 1525, 25-26
  19. Guicciardini, Histoire d'Italie, 335 ; Norwich, History of Venice, 439
  20. Hackett, Francis the First, 261-269
  21. Blockmans, Emperor Charles V, 45
  22. Hackett, Francis the First, 269-270
  23. Konstam, Pavia 1525, 27
  24. Konstam, Pavia 1525, 27-28
  25. Hackett, Francis the First, 277-278 ; Konstam, Pavia 1525, 28 ; Taylor, Art of War in Italy, 53-54
  26. Konstam, Pavie 1525, 28
  27. Konstam, Pavia 1525, 28-29
  28. Blockmans, Emperor Charles V, 57 ; Guicciardini, Histoire d'Italie, 343-344 ; Hackett, Francis the First, 277-278
  29. Hackett, Francis the First, 281 ; Konstam, Pavia 1525, 89
  30. Konstam, Pavia 1525, 30-33
  31. Konstam, Pavia 1525, 34
  32. Konstam, Pavia 1525, 34-35
  33. Konstam, Pavia 1525, 36-39
  34. Konstam, Pavia 1525, 40-41
  35. Blockmans, Emperor Charles V, 57 ; Konstam Pavia 1525, 42-43
  36. Konstam, Pavia 1525, 43-45
  37. Blockmans, Emperor Charles V, 59 ; Konstam, Pavia 1525, 46-50
  38. Hackett, Francis the First, 286 ; Konstam, Pavia 1525, 50
  39. Konstam, Pavia 1525, 52-53
  40. Hackett, Francis the First, 288-293 ; Konstam, Pavia 1525, 56-74 ; Taylor, Art of War in Italy, 126-127
  41. Guicciardini, Histoire d'Italie, 348
  42. Konstam, Pavia 1525, 76
  43. Guicciardini, Histoire d'Italie, 358-359 ; Hackett, Francis the First, 308-311
  44. Guicciardini, Histoire d'Italie, 357-358
  45. Guicciardini, Histoire d'Italie, 358 ; Hackett, Francis the First, 311. Guicciardini avoue ignorer si [François croyait cela] parce qu'« il jugeait les hommes à l'aune de sa propre nature, ou parce que les hommes peuvent aisément se bercer d'illusions quand leurs propres désirs sont en jeu. »
  46. Guicciardini, Histoire d'Italie, 359
  47. Guicciardini, Histoire d'Italie, 357. Les conditions impériales furent une première fois présentées au roi de France par Büren, le chambellan de l'empereur, alors qu'il était encore emprisonné dans la forteresse de Pizzighettone, peu après la bataille de Pavie. Charles Quint souhaitait au départ offrir une Provence indépendante à Bourbon pour le récompenser de ses services, avant naturellement que ce dernier ne tente de le trahir.
  48. Guicciardini, Histoire d'Italie, 359 ; Hackett, Francis the First, 313-315
  49. Guicciardini, Histoire d'Italie, 360
  50. Hackett, Francis the First, 319
  51. Guicciardini, Histoire d'Italie, 363
  52. Blockmans, Emperor Charles V, 60 & 68 ; Guicciardini, Histoire d'Italie, 363-364 ; Oman, Art of War, 211
  53. Guicciardini, Histoire d'Italie, 366
  54. Guicciardini, Histoire d'Italie, 365-366. Selon Guicciardini, le pape craignait que « la grandeur de l'empereur n'entraîne sa servitude »
  55. Guicciardini, Histoire d'Italie, 369 & 392

Sources

Ouvrages francophones

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  • François Guichardin, Jean-Louis Fournel (dir.) et ean-Claude Zancarini (dir.), Histoire d'Italie, 1492-1534, Paris, R. Laffont, coll. « Bouquins », , 2 volumes (LX-887, 938 pages) (ISBN 978-2-221-06518-1 et 978-2-221-08314-7, OCLC 415148645)
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