Alains
Les Alains[1] (en latin : Alani[2] ; en grec ancien : Ἀλανοί[3] / Alanoi) sont un peuple iranien « scythique », mentionné à partir du Ier siècle dans la steppe eurasienne au nord du Caucase.
Alains | |
Alanie et pays voisins au Xe siècle, carte de Guillelmo Del'Isle, v. 1715 | |
Période | Ier au XIVe siècle de notre ère |
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Ethnie | Sarmates |
Langue(s) | langues iraniennes |
Religion | paganisme, puis arianisme (autour du Ve siècle) et christianisme orthodoxe |
Lors des grandes invasions, leur défaite devant les Huns au début des années 370 inaugure une grande dispersion des populations alaniques, dont certaines rejoignent, comme alliés ou mercenaires, les royaumes germaniques d’Occident, tandis que d’autres se sédentarisent en Europe orientale, principalement au nord du Caucase où se développe une Alanie qui joue un rôle stratégique important, d’abord dans le conflit entre l’Empire sassanide et l’Empire romain d'Orient (VIe – VIIe siècles), puis entre l’Empire khazar et l’expansion arabe au Caucase (VIIIe – IXe siècles).
Libérée de la tutelle khazare, l’Alanie caucasienne devient un grand royaume, christianisé au début du Xe siècle et marqué par l’influence culturelle byzantine. Dans les années 1220-1240, les Alains subissent le choc des invasions mongoles qui provoquent une seconde dispersion, et ils sont par la suite assimilés par d’autres peuples. Réfugiés dans les vallées de la Ciscaucasie centrale, les Ossètes sont les seuls Alains à avoir conservé leur langue et l’essentiel de leurs traditions culturelles.
L’Ossétie ou Alanie sont des entités politiques actuelles qui revendiquent leurs racines alanes : les Ossètes d’aujourd’hui, qui vivent de part et d’autre de la passe de Darial ou Dar-i-Alan, la « passe des Alains », se présentent comme les descendants directs des Alains, qui étaient des cavaliers nomades apparentés aux Sarmates et très proches des Iazyges et des Roxolans.
Tableau chronologique synoptique
Origine
L’ethnonyme Alani « Alains » est mentionné pour la première fois par les historiographes gréco-romains et chinois au premier siècle avant J.C. Dans sa Géographie, Strabon, auteur né dans le royaume du Pont, au sud de la mer Noire, puise dans des sources orientales et perses, et décrit les Aorses du Nord. Il affirme que Spadinès, leur roi, pouvait aligner quatre-vingt mille archers à cheval vers 50 avant Jésus-Christ[4]. À peu près à la même période, une source historique chinoise, le Livre des Han postérieurs, signale qu’un royaume appelé Yancai a pris le nom de Alanliao[5]. Dans sa pièce Thyeste, écrite probablement entre 40 et 45, Sénèque mentionne au passage les « féroces Alains »[6].
Au début de leur histoire connue, les Alains apparaissent comme issus du monde nomade iranophone qui avait dominé les steppes euroasiatiques depuis au moins le premier millénaire av. J.-C., avec les Scythes, les Sarmates, les Sakas (Saces), les Massagètes et les Tokhariens, dont ils partagent les traditions religieuses, guerrières et artistiques[7]. Leur langue est de type iranienne orientale comme celles des Sarmates et des Scythes d’Europe[8].
Premières manifestations et migrations
La première mention de leurs campagnes militaires apparaît sous la plume de l’historien juif du Ier siècle de l'antiquité romaine, Flavius Josèphe, qui signale que « les Alains sont une tribu de Scythes, habitant sur les bords du Tanaïs et du marais de la Méotide… »[9], c’est-à-dire entre le Don et la mer d'Azov. Il rapporte ensuite qu'ils lancèrent un raid en Transcaucasie, ravageant les territoires de Pacorus, roi de Médie Atropatène puis en Arménie, dont le roi Tiridate faillit être capturé.
À cette époque, les Alains apparaissent aux abords de l’Iran, où leurs incursions sont l’une des causes de la chute des Parthes, dont les successeurs Sassanides établissent en 226 un empire durable, refoulant les Alains aux confins du Don, de l’Oural et du Caucase, où ces derniers fondent alors un éphémère royaume.
En 375, date du début des migrations qu’on nomme au XIXe siècle « invasions barbares », une partie d’entre eux prend la fuite devant les Huns de Balamber, et se retrouve en Europe occidentale.
En Gaule
Durant la nuit de la Saint-Sylvestre 406/407, les Alains de Germanie franchissent le Rhin, peut-être gelé, près de Mayence, accompagnés principalement de Quades (ces derniers sont pendant longtemps confondus à tort avec les Suèves, en raison d’une mauvaise traduction de Souabes), ainsi que des Vandales Hasdings et Sillings, conduits par deux rois différents.
Selon Grégoire de Tours[10], des Alains alliés aux Vandales et aux Quades, et emmenés par leur chef Respendial (un autre de leurs chefs nommé Goar[11] étant passé dans le camp romain), participent à l’écrasement des auxiliaires francs conduits par le duc de Mayence. Les Alains sauvent ainsi également les Vandales, qui viennent de perdre leur roi Godigisel, d’un énorme massacre ; aux côtés d'envahisseurs germaniques, ils dévastent la Gaule romaine de 407 à 409 : les villes de Worms, Mayence, Strasbourg, Tournai, Arras, Amiens, Reims tombent, et sont mises à sac. Paris et Tours sont menacés.
Puis, les envahisseurs franchissent la Loire en 408 (incendiant au passage le fort gallo-romain de Meung-sur-Loire). Contrairement à leurs compagnons d’armes, les Alains se divisent en divers clans et bandes armées, plusieurs historiens donnant une évaluation d’environ 3 000 individus par clan.
En 411, à la suite du schisme du christianisme jovinien, advient l'intronisation de Jovin comme empereur, à Mayence. Goar, chef alain et Gunther, chef burgonde, assurent la protection de Jovin et de son frère Sébastien contre Honorius, empereur délégitimé par Constantin III quelques années auparavant, dont le pouvoir a été repris par Jovin. Honorius ne reconnaît pas alors Jovin comme son alter ego. Trahi par les Wisigoths qu'il a contribué à installer sur la Garonne, Jovin et son frère sont assiégés à Valence (sur le Rhône), et décapités à Narbonne par Dardannus.
Selon la Chronica Gallica, en 440, le patrice Aetius accorde des terres abandonnées dans la région de Valence (d'où la possible origine du toponyme Allan) à un groupe d'Alains commandés par un certain Sambida, dont il n'existe pas d'autre mention. Leurs relations avec leurs voisins sont aussi difficiles que celles qu'entretiennent leurs cousins installés sur les bords de la Loire.
Toujours selon la Chronica Gallica, en 442, des Alains placés sous l’autorité d’un certain Eochar (il s’agit probablement de Goar, dont le nom a été déformé par les copistes) obtiennent un traité (fœdus) avec l’Empire romain : Aetius leur permet de s’installer sur la Loire, à Orléans et ses environs, mais les Alains, turbulents, sont très mal perçus par les autochtones gallo-romains. Un jour, estimant ne pas être payés assez vite ou suffisamment, des Alains n’hésitent pas à tuer des sénateurs d’Orléans. Le nom du village d’Allaines (Alena vers 1130) évoque probablement un poste des Alains dans cette région[12].
En 445–448, les Alains d'Eochar[13] répriment une révolte de bagaudes en Armorique pour le compte d'Aetius. S'il faut en croire la Vita Germani, l'évêque Germain d'Auxerre se serait placé sur leur route, saisissant même la bride du cheval d'Eochar pour l'empêcher d'avancer. Subjugués, les Alains se seraient alors retirés.
En 451, alors que leur chef est désormais Sangiban, les Alains forment le centre du dispositif tactique mis en place contre les forces d'Attila lors de la grande Bataille des champs Catalauniques (451, près de Châlons-en-Champagne) eu égard à la puissance de leur cavalerie lourde : les Cataphractaires.
À la fin du Ve siècle, les Alains cessent d'être une entité tribale identifiable en Gaule[14].
Témoignages de la présence des Alains en Gaule
Comme pour la plupart des peuples barbares en migration, les Alains n’ont laissé que très peu de traces de leur présence sur le sol gaulois, hispanique, et africain.
Les « Alains de la Loire » sont présents dans la Beauce au nord d'Orléans comme peuple fédéré sous la direction de Sangiban, à la suite du fœdus que le général romain Aetius avait conclu avec leur chef Goar en l'an 442, comme en témoignerait le toponyme local Allaines (Eure-et-Loir)[12]. Par contre, les noms de lieux du type Allainville sont des formations médiévales probablement pas antérieure au VIIe siècle, étant donné les attestations tardives de ce type toponymique. Il s'agit peut-être d'un témoignage indirect, la mode du nom de personne Alain dans la région pouvant perpétuer le souvenir de ce peuple. En outre, les formes anciennes d’Alainville (Yvelines, villa Alleni IXe siècle, Alenvilla, sans date); Allainville (Loiret, Alleinvilla 1236) ne sont pas du type Alanus « Alain », mais Allenus, c'est pourquoi ce type toponymiques Allainville, ainsi qu’Alaincourt sont exclus de cette série par les toponymistes : ils peuvent être composés du nom de personne germanique Allin[us][12] - [15]. Les types antiques Al[l]one[s] (Allonnes, Allonne, etc.) sont aussi exclu de cette série par les toponymistes et les linguistes, quand ils remontent à Alauna bien attesté, probable dérivé en *-mno- (suffixe d'agent en celtique) d'une racine indo-européenne *al[16] - [15].
Comme référence probable au peuples des Alains, on note par ailleurs Allain (Meurthe-et-Moselle), Allamont (Meurthe-et-Moselle, de Alani monte 1194), Allon(n)e(s) (Somme, Alincourt à Parnes dans l'Oise, Alania en 1095), Alaigne (Aude, de Alaniano en 1129), Alanum ? en 836, Alan (Haute Garonne), peut-être Allan (Drôme, Alon 1138), etc.[12] - [17]. Le nom Alanus « Alain » est en effet bien assuré par les formes anciennes.
En Normandie, dans le département du Calvados, la présence alaine est peut-être attestée (mais pas dans la toponymie, ni dans l'onomastique en général) par un important mobilier funéraire daté du début du Ve siècle : « le trésor d’Airan ». Mais il s’agit plutôt d’un groupe de lètes sarmates ou gothiques.
Trouvé par hasard à Moult en 1876, ce trésor contient un certain nombre de pièces d’orfèvrerie polychrome attribuées soit aux Alains, soit aux Huns. La tombe, située à proximité de deux stations romaines du Bas Empire faisant partie de la ligne de défense dressée contre les pirates frisons et saxons, a pu être celle d’une princesse barbare, qui a accompagné là son époux, un fédéré de Rome. Néanmoins, la présence d’éléments germaniques orientaux (fibule, chaîne) et romains (plaque-boucle de ceinture) aux côtés des éléments alano-sarmates rend l’origine ethnique de cette femme impossible à déterminer.
Cette sépulture est classée par les archéologues dans le groupe dit d'« Untersiebenbrunn », du nom de l’endroit, situé en Autriche, où a été trouvée une tombe contenant également un mobilier de provenances diverses. Il en existe plusieurs autres : Balleure (Étrigny, Bourgogne), Hochfelden (Bas-Rhin), Fürst (Bavière), Altlußheim (Bade-Wurtenberg), Beja (Portugal), etc.
Le patronyme Al(l)ain et le prénom Alain, à l’origine populaire en Bretagne, qui sont attestés en Armorique dès le VIe siècle, ne viennent sans doute pas du nom de ces guerriers iranophones : les diverses racines brittoniques al- (al- "nourrir" ; al- "cygne", etc.) suffisent à expliquer ce nom par le celtique.
Hormis les textes anciens, les témoignages directs de la présence des Alains en Gaule sont bien minces et n'égalent pas les témoignages archéologiques et toponymiques de la présence des Germains en Gaule, notamment des Francs et des Saxons dans le nord du pays.
En Hispanie et en Afrique du nord
En 409, une partie des Alains, conduite par Respendial, suit encore les Vandales et les Quades jusqu’en Hispanie. Là, ils errent sur les plateaux du centre de la Péninsule Ibérique, dans la région du Tage. Selon Isidore de Séville et l'évêque hispanique Hydace, en 411 les envahisseurs répartissent entre eux les territoires de la péninsule par tirage au sort. Une des deux tribus vandales et les Quades s’établissent en Galice tandis que les Alains s’établissent en Lusitanie et en Carthaginoise. Ils en sont brutalement délogés en 418 par les Wisigoths, qui les massacrent.
Leur périple avec les Vandales se poursuit alors jusqu’en Andalousie, et les clans alains d’Hispanie, très diminués par les attaques des Wisigoths, se placent sous l’autorité des Vandales unifiés : en 428, le roi vandale Genséric prend le titre de « roi des Vandales et des Alains », et emmène en 429 les 80 000 Barbares qui le suivent en Afrique du Nord. L’histoire des Alains s’y confond dès lors avec celle du « royaume Vandale d'Afrique » : fondé en 429. Le royaume vandale, qui va d'Alger à Carthage, est détruit par les troupes byzantines en 533/534, lors de l’éphémère reconquête byzantine de l’Afrique du nord, les Vandales et les Alains de Carthage ayant survécu se réfugient alors auprès des peuplades berbères.
L’une des rares traces de leur passage et de leur éphémère présence en Occident se trouve également en Espagne, où les Alains sont à l’origine d’une race de chiens robustes importés par eux, race qui a gardé leur nom : les alanos espagnols[18].
À l’est, leurs lointains cousins, après avoir survécu aux massacres des Mongols ou des Tatars de Tamerlan au XIIIe / XIVe siècle, et après avoir assimilé des éléments caucasophones, vivent encore actuellement dans le Caucase sous le nom d’Ossètes. Ces derniers sont majoritairement de religion chrétienne orthodoxe, avec une importante minorité musulmane et Assianism païenne. Une petite partie d'entre eux, alliés aux Mongols, vivent encore aujourd'hui en Mongolie, où ils portent le nom d'Asud.
Sur le plan culturel, seuls les Alains des Ier – VIe siècles sont des cavaliers nomades ou semi-nomades.
Civilisation
L’historien-soldat romain Ammien Marcellin, témoin oculaire qui mêle ses propres observations aux relations d’autres auteurs, apporte quelques informations sur les Alains du nord du Caucase, informations qui doivent être abordées avec circonspection[19]. Il décrit leur apparence physique : les Alains sont de grande taille, ont les cheveux modérément blonds, le regard martial et sont plus civilisés dans leur manière de s’habiller et de se nourrir que les Huns.
Sur le plan des mœurs, selon lui, les Alains sont belliqueux et courageux : leur férocité et la rapidité de leurs attaques n’ont rien à envier à celles des Huns. Ils ignorent l’esclavage et méprisent les faibles et les vieillards. Ils méprisent les vieillards car pour eux (comme pour de nombreux autres peuples barbares), c’est un honneur de mourir au combat, mais un déshonneur de mourir de vieillesse. Pour ce qui est de leur mode de vie, les Alains ignorent le travail de la terre, et utilisent des chariots couverts d’écorce en guise de maisons. Ammien Marcellin leur prête encore la coutume de scalper leurs adversaires, et d’en attacher les cheveux à leur monture.
Ils rendent aussi un culte à une divinité de la guerre (identifiée à Mars) grâce à une simple épée fichée en terre et servant d’autel (le culte d’une épée « magique » est par ailleurs prêté aux Huns). Ces informations correspondent trait pour trait aux légendes traditionnellement attachées aux peuples de cavaliers des steppes par leurs voisins sédentaires : Ammien Marcellin écrit même qu’on lui a rapporté que certains Alains orientaux seraient anthropophages.
Les sources archéologiques, quant à elles, indiquent l’existence chez les Alains d’une ou plusieurs divinités du feu et du soleil[20].
L’art décoratif des Alains est essentiellement animalier : semblable à celui des Saces jusqu’au IIe siècle, il fait la part belle aux décors polychromes cloisonnés aux IIIe et IVe siècles. Ces décors se généralisent en Occident au moment des grandes invasions (IVe – VIe siècles), notamment par le relais des peuples germaniques orientaux, nombreux à adopter des motifs scythiques de l’art des steppes (Goths, Burgondes, Vandales).
Par la suite, de nombreux éléments culturels sarmato-alains se retrouvent chez les Ossètes, jusqu’au XIVe siècle.
Selon Georges Dumézil, les Ossètes sont, linguistiquement et culturellement, le peuple contemporain le plus proche des Alains. Leurs légendes (cycle des Nartes) présentent des similitudes avec les récits présents dans d'autres cultures indo-européennes, notamment celtiques (légende arthurienne).
L'Alanie médiévale
Après la tempête hunnique, une partie des Alains demeure sur place, à l'est du Don. L'irruption dans la steppe de nouveaux groupes nomades, Avars et Bulgares, les pousse à se replier vers le piémont du Caucase, au sud des fleuves Kouban et Terek. Ils s'y sédentarisent, abandonnant le pastoralisme, et adoptent une économie combinant élevage et agriculture.
Au VIIe siècle apparaît sous la plume d'un auteur arménien l'expression Aš-Digor pour désigner une partie des Alains. Digor est actuellement le mot qui désigne les Ossètes occidentaux. Le mot Asses se retrouve par la suite dans plusieurs langues sous des formes légèrement différentes comme ethnonyme des Alains. Au XIIIe siècle, Guillaume de Rubrouck, lors de son voyage vers la cour mongole, mentionne encore « quelques Alains, qui sont appelés ici Aas»[21].
Ils sont au contact des deux grands empires rivaux de la région, l'Empire byzantin et l'Empire sassanide, se mettant au service tantôt de l'un, tantôt de l'autre. Au VIIe siècle, la donne géopolitique change. Les Arabes, qui viennent de détruire la Perse sassanide, atteignent la région. L'historien persan Tabari rapporte qu'en 642, ils lancent un raid en territoire alain. Au début du VIIe siècle, un nouveau peuple turcophone, les Khazars, fonde un empire au nord du Caucase et vassalise les Alains. C'est encore par Tabari que nous savons qu'en 721-22, le pays des Alains fut envahi par les «Turcs» (il faut entendre par là les Khazars). Le VIIIe siècle est émaillé d'affrontements. En 724-25, un général arabe, Abd al -Malik, impose aux Alains le paiement d'un tribut.
Vers 905-915, les Alains se convertissent au christianisme. Cette première conversion est fragile : dans une lettre à l'archevêque d'Alanie, le patriarche de Constantinople, Nicolas Ier Mystikos, lui recommande de faire preuve de patience, tout particulièrement à l'égard des élites, dont dépend le succès de l'œuvre missionnaire[22]. S'il faut en croire l'écrivain arabe Al-Mas'ûdî, les Alains auraient néanmoins abjuré le christianisme et expulsé le clergé byzantin en 931, une situation sans doute temporaire.
Au Xe siècle, les écrits d'Al-Mas'ûdî, qui mentionnent le nom de la capitale des Alains, Magas, donnent un aperçu de la puissance des Alains : l'auteur signale que leur roi dispose de 30 000 cavaliers. Dans le De ceremoniis, l'empereur byzantin Constantin VII Porphyrogénète emploie pour désigner ce souverain le terme grec d'exousiocrator (ce qui signifie « celui qui exerce l'autorité ») et lui accorde une place honorable dans la liste des rois qui gravitent dans l'orbite de Byzance. Au XIIe siècle, l'historienne byzantine Anne Comnène mentionne encore le nom d'un exousiocrator, Rhosmices[23].
Une source russe, la Chronique des temps passés, relate brièvement qu'en 965, le prince de la Rus' de Kiev, Sviatoslav Ier, inflige aux Khazars une défaite, qui porte un coup mortel à leur royaume, et aussi que ce prince vainc les « Iasses et les Kassogues ». Mais les Alains semblent s'être remis de cette défaite, et connaissent un âge d'or. Ils nouent des alliances matrimoniales avec les États voisins, notamment la Géorgie. L'impératrice byzantine Marie d'Alanie en est l'exemple le plus connu. Malgré son surnom, elle n'est en fait qu'à moitié alaine, étant le fruit de l'union entre le roi géorgien Bagrat IV et la princesse alaine Boréna, sœur du roi Dourgoulel.
Au cours du XIe siècle, un nouveau peuple nomade turcophone, les Coumans, occupe la steppe pontique. Bien que nos connaissances à propos des Alains à cette époque soient particulièrement fragmentaires, il semble que ces derniers aient entretenu des relations pacifiques avec les Coumans. Au XIIe siècle, le royaume alain s'émiette. En 1222, la première incursion mongole dans la région résonne comme un coup de tonnerre. Les Alains s'allient aux Coumans pour affronter les envahisseurs, commandés par les généraux Subötaï et Djebé. Après une première bataille indécise, ces derniers recourent à une ruse : selon l'écrivain arabe Ibn al-Athir[24], ils assurent les Coumans qu'ils sont de la même race qu'eux, contrairement aux Alains, et leur promettent de ne pas les attaquer s'ils abandonnent leurs alliés. Les Coumans se retirent, laissant les Mongols écraser les Alains. Leur trahison ne les sauve pas, car les Mongols renieront leur parole et les déferont à leur tour.
Les Mongols se retirent, mais en 1238-39, une grande armée mongole prend le chemin de l'ouest. Les Alains ne sont qu'une de leurs victimes lors de cette vaste entreprise de conquête. Comme c'est souvent le cas, les Alains ne figurent qu'incidemment dans les divers ouvrages qui relatent ces événements. L'historien persan Djuvaini relate[25] de manière assez confuse le siège et la prise d'une ville dont le nom arabe pourrait correspondre à Magas. Tous les Alains ne se soumettent pas. Guillaume de Rubrouck, lors de son voyage à travers l'Empire mongol en 1252-53 parle notamment des Alains ou Aas, qui sont chrétiens et combattent encore contre les Tartares.. L'empire mongol se désintègre progressivement en différents ulus rivaux. Le territoire alain se trouvait à la limite entre deux d'entre eux : la Horde d'or au nord, dont il faisait partie, et l'Ilkhanat de Perse au sud. C'est à cette époque que des groupes alains franchissent les crêtes du Caucase et pénètrent en territoire géorgien. Entre 1290 et 1310, une source anonyme géorgienne, l' Histoire des invasions mongoles fait état de combats qui eurent lieu avec des fortunes diverses entre les deux peuples, mentionnant deux chefs alains (osses en géorgien), Faredjan et Bakatar.
La diaspora alaine (XIIIe et XIVe)
Présence dans l’empire byzantin
Au début du XIVe siècle, les Alains apparaissent en tant que mercenaires ou auxiliaires de l’empereur byzantin, Andronic II Paléologue, comme le signale l’historien catalan Ramon Muntaner lorsqu’il relate l’expédition de la Compagnie catalane en Orient[26]. Leur chef Georges Gircon débarrasse l’empire du chef des Catalans, Roger de Flor, le , à Andrinople, obéissant aux ordres de Michel IX, le fils du basileus. Ces Alains sont défaits plus tard, en 1306, par les Catalans, et Gircon est tué et décapité. Il semble que Gircon n'appréciait pas Roger de Flor, car à la suite d’une querelle entre les hommes de la Compagnie et des Alains, son fils trouve la mort, source d’une haine qui n’allait être assouvie qu’avec la mort du César. On a aussi supposé des origines alanes aux forces byzantines de l'ordre appelées Βαρδαριῶται Vardariotai , dans les Balkans[27].
Présence en Hongrie et Moldavie
Sous les noms de Iasses, Iazyges, Jasons, Jasones, Jassics, Jászok et Iaşi, les Alains apparaissent aussi XIVe siècle comme mercenaires dans la Hongrie médiévale (où des comtés leur sont octroyés par le roi à l'est de Buda : la région du Jászság (pays iasse), autour de Berényszállás) et dans la principauté de Moldavie, où la capitale de leur comté: Aski, apparaît sous le nom de Civitas Iassiorum, en roumain Iași. Ils s'y sont rapidement assimilés aux populations locales et se fondent parmi les Magyars ou les Roumains[28]. En Moldavie, le nom Alani pour désigner le territoire n'est plus utilisé après l'installation du voïvode Bogdan en 1342, ce qui indique que les Iasses avaient déjà disparu. En Hongrie, une église franciscaine est érigée à Jászberény en 1474 afin de convertir au catholicisme les Iasses chrétiens byzantins, et c'est en partie en conséquence de cette conversion qu'en l'espace d'un siècle, ils perdent leur langue, et s'assimilent aux populations environnantes[29].
Présence en Chine et Mongolie
Après le ralliement, dès 1238, d'une partie des Alains aux envahisseurs mongols, des troupes alaines sont incorporées dans l'armée mongole, et même dans la garde du grand khan. Elles suivent son armée jusqu'en Extrême-Orient. Comme c'est souvent le cas pour les Alains, leurs heurs et malheurs ne nous sont connus que par bribes. Au détour d'une page du Devisement du monde, Marco Polo nous apprend qu'en 1275, alors que des soldats alains viennent de s'emparer d'une ville du sud de la Chine, ils s'enivrent. La population en profite pour les tuer tous. En représailles, les Mongols massacrent alors tous les habitants. Ces Alains (en mongol Asud, c'est-à-dire le mot Asse suivi du pluriel mongol -ud[30]) jouent un grand rôle dans la conquête de la Chine par Kubilai Khan. Au début du XIVe siècle, l'armée mongole compte environ 30 000 Alains, probablement installés à proximité de Pékin. Cette communauté (si on y ajoute les familles des soldats) relativement nombreuse, conserve la religion chrétienne (une ambassade est envoyée par eux en 1336 au pape Benoît XII en Avignon). Après le renversement en 1368 de la dynastie Yuan, les Alains suivent le repli des Mongols vers l'Asie Centrale, où ils finiront par se fondre progressivement là encore dans la population[31].
Apparence physique
Selon Ammien Marcellin, historien romain du IVe siècle de notre ère, les Alains étaient « de grande stature[32] et d'une grande beauté, leurs cheveux étaient un peu jaune (blond) et ils avaient des yeux terriblement féroces »[33].
Langue
La langue originelle des Alains doit être du moyen iranien nord-oriental de type scythe (selon Georges Dumézil), probablement semblable à celui des Sarmates. Elle évolue par la suite chez leurs descendants du Caucase au Moyen Âge pour devenir l’ossète actuel, mais la caractéristique commune de la plupart des Alains semble être leur propension à adopter la langue du pays où ils s’établissent, et à s’assimiler ainsi aux populations locales. Dumézil a supposé que cette propension exprimait leur aspiration à se sédentariser.
Notes et références
- Entrée « Alains » [html], sur Encyclopédie Larousse (en ligne), Larousse (consulté le ).
- Entrée « Alānī » [php] dans Félix Gaffiot, Dictionnaire illustré latin-français, Paris, Hachette, , 1719 p., in-8o (BNF 32138560), p. 94 (consulté le 5 juin 2016).
- D'après Charlton T. Lewis et Charles Short, A Latin Dictionary; Founded on Andrews' edition of Freund's Latin dictionary, (lire en ligne), « Alanus »
- Strabon, Géographie, XI, 5
- The Western Regions according to the Hou Hanshu
- Alemany 2000, p. 21
- Vladimir Kouznetsov et Iaroslav Lebedynsky, Les Alains, Paris, Éditions Errance, 2005, 2e éd., p.5
- Kouznetsov-Lebedynsky, ibid., 2005, p.21
- extrait de la Guerre des Juifs , Livre 7, VII, 4
- Grégoire de Tours, Histoire des Francs, 2, 9
- Ne pas confondre Goar, chef alain, avec Saint Goar, ermite d'Aquitaine.
- Albert Dauzat et Charles Rostaing, Dictionnaire étymologique des noms de lieu en France, Paris, Librairie Guénégaud, (ISBN 2-85023-076-6), p. 8a - 10b
- selon Constance de Lyon, auteur de la Vie de Saint Germain d’Auxerre (§ 28).
- (en) Bernard S. Bachrach, A History of the Alans in the West, U of Minnesota Press, (ISBN 9780816656998, lire en ligne), p. 74
- Ernest Nègre, Toponymie générale de la France (lire en ligne)
- Xavier Delamarre, Dictionnaire de la langue gauloise, éditions errance 2003, p. 37.
- Courrier international Kostiantyn Rakhno, Paris, 29 novembre 2012-, hebdomadaire (ISSN 1154-516X)
- Photo d'un alano espagnol
- Ammien Marcellin, Histoire de Rome (en particulier Livre XXXI, 2, 31-2 - seconde moitié du IVe s.) - Édition électronique et traduction en français sur le site AgoraClass: L’Agora des Classiques de l’université catholique de Louvain (Belgique).
- selon Iaroslav Lebedynsky, Les peuples nomades de la steppe des origines aux invasions mongoles IXe siècle av. J.-C. – XIIIe siècle apr. J.-C. (Errance - Paris - 2003).
- de Rubrouck 1997, p. 102
- Nicolas Mystikos, Épitre 52, citée dans Alemany 2000, p. 189
- Anne Comnène, Alexiade, 13, 6, 2
- Ibn al-Athir, Al-Kāmil fī At-tārīkh, cité dans Alemany 2000, p. 256
- Djuvaini, Ta'rikh-i Jahan-Gusha (Histoire du Conquérant du monde, I, 38-40, cité dans Alemany 2000, p. 368.
- Ramon Muntaner, Les Almogavres. L’expédition des Catalans en Orient, Éditions Anacharsis, 2002..
- Alexander Kazhdan (dir.), article « Vardariotai », in: Oxford Dictionary of Byzantium, Oxford University Pres, 1991, 1re éd., vol. 3, p. 2153, (ISBN 9780195046526) et 0-19-504652-8, LCCN 90023208.
- Nathalie Kálnoky : Des princes scythes aux capitaines des Iasses : Présence iranienne dans les chroniques médiévales et des privilèges des peuples auxiliaires militaires, L'Harmattan, Paris, 2006 Titre de la Revue : Droit et cultures [cote INIST : 24217], no 52.
- (hu) Ildikó Katalin Pap, « A jászok » (version du 12 mars 2005 sur Internet Archive), JATE BTK Országos Tudományos Diákköri Konferencia 1999 (« Faculté des sciences humaines de l'université Attila József, conférence (biannuelle) nationale des cercles étudiants scientifiques 1999 »).
- Kouznetsov et Lebedynsky 1997, p. 136
- Vladimir Kouznetsov et Iaroslav Lebedinsky, « Les Alains », Éditions Errance, 2005.
- Pour l'époque, et pour un Romain dont la taille moyenne était inférieure à 170 cm
- Book XXXI. II. 21
Voir aussi
Bibliographie
- (en) Agustí Alemany, Sources on the Alans. A Critical Compilation, Leiden - Boston - Köln, Brill,
- Vladimir Kouznetsov et Iaroslav Lebedynsky, Les Alains, Paris, Éditions Errance, , 2e éd. (1re éd. 1997) (ISBN 978-2877722957)
- Iaroslav Lebedynsky, Les nomades. Les peuples nomades de la steppe des origines aux invasions mongoles, Editions Errance,
- Bernard Bachrach, A History of the Alans in the West : From Their First Appearance in the Sources of Classical Antiquity Through the Early Middle Ages, University of Minnesota Press, 1973. (ISBN 0-8166-0678-1)
- Guillaume de Rubrouck, Voyage dans l'empire mongol. 1253-1255, Imprimerie nationale,
Liens externes
- Notices dans des dictionnaires ou encyclopédies généralistes :