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Présidence de Lyndon B. Johnson

La présidence de Lyndon B. Johnson débuta le , date de l'investiture de Lyndon B. Johnson en tant que 36e président des États-Unis à la suite de l'assassinat de John F. Kennedy, et se termina le . Johnson, un démocrate du Texas qui fut notamment chef de la majorité au Sénat, était vice-président des États-Unis au moment où il succéda à Kennedy. Il se présenta par la suite à l'élection présidentielle de 1964 pour effectuer un mandat complet et il remporta une victoire écrasante face à son adversaire républicain de l'Arizona, le sénateur fédéral Barry Goldwater. Après l'élection présidentielle de 1968, où il ne fut pas candidat, le républicain Richard Nixon lui succéda à la Maison-Blanche. La présidence de Johnson fut marquée par l'entrée massive des États-Unis dans le libéralisme moderne avec son programme appelé Great Society, qui était une extension considérable du New Deal de Roosevelt.

Présidence de Lyndon B. Johnson

36e président des États-Unis

Description de cette image, également commentée ci-après
Portrait officiel du président Lyndon B. Johnson par Elizabeth Shoumatoff.
Type
Type Président des États-Unis
RĂ©sidence officielle Maison-Blanche, Washington
Élection
Système électoral Grands-électeurs
Mode de scrutin Suffrage universel indirect
Élection 1964
DĂ©but du mandat
(remplacement président décédé)
Fin du mandat
Durée 5 ans 1 mois et 29 jours
Présidence
Nom Lyndon B. Johnson
Date de naissance
Date de décès
Appartenance politique Parti démocrate

Johnson, au travers de son programme, crĂ©a notamment Medicare et Medicaid, dĂ©fendit les droits civiques, promut les investissements fĂ©dĂ©raux en matière d'Ă©ducation, d'art, de dĂ©veloppement urbain et rural, de services publics et il mena une vĂ©ritable « guerre contre la pauvretĂ© Â». AidĂ©e en partie par une forte croissance de l'Ă©conomie, la War on poverty permit Ă  des millions d'AmĂ©ricains de s'Ă©lever au-dessus du seuil de pauvretĂ© sous la prĂ©sidence de Johnson. Les dĂ©crets des droits civiques signĂ©s par Johnson interdirent la discrimination raciale lors du vote, dans les Ă©tablissements publics, lors de la recherche d'un logement et sur le lieu de travail. Avec l'adoption de l'Immigration and Nationality Act of 1965, le système d'accueil des immigrĂ©s fut rĂ©formĂ© et tous les quotas d'origine raciale furent supprimĂ©s et remplacĂ©s par des quotas d'origine nationale.

La popularitĂ© de Johnson dĂ©clina lorsque d'autres sujets apparurent au premier plan de la scène mĂ©diatique. Johnson poursuivit la politique d'endiguement au ViĂŞt Nam, dans l'espoir d'arrĂŞter la propagation du communisme en Asie du Sud-Est durant la guerre froide. Le nombre de militaires amĂ©ricains au ViĂŞt Nam augmenta ainsi de façon spectaculaire, de 16 000 conseillers occupant des postes de non-combat en 1963 Ă  550 000 au dĂ©but de 1968, la plupart occupant des postes de combat. Le malaise s'accrut encore avec l'Ă©mergence d'un grand mouvement pacifiste opposĂ© Ă  la guerre du ViĂŞt Nam notamment dans les campus universitaires amĂ©ricains mais aussi Ă  l'Ă©tranger. Johnson dut Ă©galement faire face Ă  d'autres problèmes lorsque des Ă©meutes Ă©clatèrent dans la plupart des grandes villes après 1965 et que les taux de criminalitĂ© se mirent Ă  remonter, ses adversaires demandant alors des politiques de « loi et d'ordre (en) Â». Alors qu'il avait entamĂ© son mandat avec une large approbation, le soutien Ă  Johnson se mit Ă  dĂ©cliner lorsque le peuple se sentit concernĂ© par les questions de guerre Ă  l'Ă©tranger et de violences croissantes au niveau national. Le Parti dĂ©mocrate se divisa lorsque des membres pacifistes se mirent Ă  dĂ©noncer la politique de Johnson.

Éligible à un second mandat complet, Johnson tenta de se représenter pour sa propre succession mais fut mis en difficulté lors des primaires du Parti démocrate de 1968 (en). En mars de la même année, il déclara qu'il ne solliciterait pas la nomination de son parti pour un nouveau mandat. Son successeur désigné, le vice-président Hubert Humphrey, remporta l'investiture démocrate mais perdit au scrutin général face à Nixon. Peu populaire au moment de quitter ses fonctions, Johnson est généralement considéré comme un président supérieur à la moyenne par les historiens et les politologues. Ses réformes en politique intérieure transformèrent durablement les États-Unis et le rôle du gouvernement fédéral, et la plupart de ses législations sont encore en vigueur de nos jours. Si ses initiatives en faveur des droits civiques sont presque unanimement saluées pour avoir contribué à l'instauration de l'égalité raciale, la manière dont il a géré la guerre du Viêt Nam reste cependant très critiquée.

Accession à la présidence

Johnson prêtant serment à bord d'Air Force One, sous l'autorité de la juge fédérale Sarah T. Hughes. Lady Bird Johnson et Jackie Kennedy assistent à la scène.

Lyndon B. Johnson avait été sénateur des États-Unis pour le Texas de 1949 à 1961 et était devenu chef de l'opposition démocrate au Sénat à partir de 1953[1]. Il brigua la nomination de son parti en vue de l'élection présidentielle de 1960 mais fut battu par John F. Kennedy. Afin de s'assurer du soutien des États du Sud et de l'Ouest, Kennedy proposa à Johnson d'être candidat à la vice-présidence et celui-ci accepta de se joindre au ticket. Lors du scrutin général, Kennedy et Johnson remportèrent de justesse l'élection face au vice-président Richard Nixon, candidat du Parti républicain[2]. Toutefois, Johnson ne fut pas un vice-président très influent et il ne prit que rarement part aux prises de décision, sauf dans certains domaines spécifiques comme le programme spatial[3].

Le , le président Kennedy fut assassiné alors qu’il était en visite à Dallas au Texas. Deux heures et huit minutes après l’attentat, le vice-président Johnson fut investi comme président des États-Unis à bord d'Air Force One par la juge fédérale Sarah T. Hughes, une amie de la famille. Johnson ne jura pas sur la Bible, car il n'y en avait aucune sur Air Force One et un missel catholique romain trouvé dans le tiroir du bureau de Kennedy fut utilisé pour le serment[4].

Johnson était convaincu de la nécessité d'effectuer une transition immédiate du pouvoir afin de préserver la stabilité du pays. Lui et le Secret Service craignaient qu’il soit lui-même l’objet d’une conspiration et ils décidèrent de retourner le plus vite possible à Washington. La précipitation du nouveau président fut accueillie par certains comme la preuve que Johnson était impatient d’assumer l’exercice du pouvoir[5]. Dans les jours qui suivirent l’assassinat, Johnson s’adressa au Congrès et déclara qu’« aucune oraison funèbre, ni aucun éloge ne sauraient honorer de manière aussi éloquente la mémoire du président Kennedy que l’adoption dans les plus brefs délais de la loi sur les droits civiques pour laquelle il s’est tant battu »[6]. Le , une semaine après l’assassinat de Kennedy, un ordre exécutif du président Johnson renommait le centre de lancement des missions Apollo géré par la NASA et la base de lancement de Cap Canaveral en « centre spatial Kennedy »[7].

Johnson savait que le grand public était en attente de réponses sur la mort de Kennedy. Pour couper court à toute rumeur de conspiration, il créa immédiatement une commission spéciale présidée par le juge en chef Earl Warren (connue sous le nom de « commission Warren ») chargée d’enquêter sur l’assassinat[8]. Les membres de la commission procédèrent à d’intenses recherches et entendirent de nombreux témoignages avant de conclure à l’unanimité que Lee Harvey Oswald, le principal suspect, avait agi seul[9]. Les conclusions de l’enquête furent toutefois rapidement contestées et les théories évoquant l'existence d'un complot prirent de l'ampleur dans les décennies suivantes[10].

Composition du gouvernement

Johnson garda dans son administration de nombreux membres du cabinet Kennedy dont certains restèrent à ses côtés jusqu'à la fin de sa présidence. Robert Kennedy, le frère du président assassiné, fut maintenu comme procureur général malgré ses relations difficiles avec Johnson. Il resta en poste quelques mois avant de quitter le gouvernement en 1964 et concourut avec succès aux élections sénatoriales de l'État de New York[11]. D'autres membres du cabinet demeurèrent en poste pendant quelques années avant de démissionner à leur tour pour diverses raisons. Quatre des membres du cabinet Kennedy hérité par Johnson (le secrétaire d'État Dean Rusk, le secrétaire à l'Intérieur Stewart Udall, le secrétaire à l'Agriculture Orville Freeman et le secrétaire au Travail W. Willard Wirtz) restèrent en fonction pendant toute la durée de sa présidence[12]. Après la création du département du Logement et du Développement urbain en 1965, Johnson nomma à la tête de ce ministère Robert C. Weaver, qui fut le premier Afro-Américain membre d'un cabinet présidentiel[13].

Au cours de ses six années au pouvoir, Johnson étendit considérablement la taille et l'influence du bureau exécutif présidentiel[14]. Certains des hauts conseillers de la précédente administration, comme Ted Sorensen ou Arthur Meier Schlesinger Jr., démissionnèrent peu de temps après l'assassinat de Kennedy alors que d'autres, en particulier le conseiller à la sécurité nationale McGeorge Bundy et Larry O'Brien, jouèrent un rôle important au sein de l'administration Johnson[15]. Parmi les hommes qui avaient l'oreille du président figuraient George Meany, le chef de la centrale syndicale AFL-CIO, ainsi qu'Abe Fortas, Clark Clifford, Dean Acheson, John McCloy et Robert Murphy[16]. Johnson n'eut jamais de véritable chef de cabinet mais certains assumèrent successivement des responsabilités équivalentes ; le plus important d'entre eux fut Walter Jenkins qui avait la gestion de l'agenda journalier de la Maison-Blanche[17]. Impliqué dans une affaire de mœurs, il dut néanmoins quitter ses fonctions en [18].

Pierre Salinger, qui avait été nommé par Kennedy au poste de porte-parole de la Maison-Blanche, démissionna en et fut remplacé par George Reedy, un fidèle de Johnson. Horace Busby servit essentiellement comme rédacteur de discours et analyste politique. Bill Moyers était le plus jeune membre de l'administration Johnson et se vit confier à temps partiel la rédaction de discours et la planification de l'emploi du temps du président[19]. Il joua un rôle-clé dans la préparation du programme législatif de la Grande société en 1964 et fut, la même année, le principal architecte de la campagne présidentielle de Johnson. À la suite de la démission de Jenkins en , Moyers devint le chef de cabinet officieux de la Maison-Blanche jusqu'en 1966 et remplit également les fonctions d'attaché de presse de à [20]. Les autres membres notables du personnel étaient Jack Valenti, George Christian, Joseph A. Califano, Jr., Richard N. Goodwin et W. Marvin Watson[21]. Johnson surnommait ses assistants « les hommes à la triple menace »[22] en raison de leur loyauté et de leur éclectisme.

Johnson n'eut pas de vice-président pendant les 425 jours de son premier mandat, car aucune disposition dans la loi ne permettait alors de combler une vacance de la vice-présidence. Pour l'élection présidentielle de 1964, le colistier de Johnson fut le sénateur du Minnesota Hubert Humphrey, figure de proue du camp progressiste, qui exerça la fonction de vice-président jusqu'en 1969[23].

Réunion du cabinet Johnson en . De gauche à droite : le commandant du Corps des Marines Wallace M. Greene, le chef d'état-major de l'armée Harold Keith Johnson, le secrétaire à l'Armée Stanley Rogers Resor, le conseiller à la sécurité nationale McGeorge Bundy (debout), le président Johnson et le secrétaire à la Défense Robert McNamara.

Nominations judiciaires

Thurgood Marshall fut le premier Afro-Américain nommé à la Cour suprême, en 1967.

Johnson nomma deux juges à la Cour suprême des États-Unis. Anticipant les contestations judiciaires à son programme législatif, le président souhaitait disposer au sein de la Cour d'un confident qui serait en mesure de lui fournir des informations de première main, et il choisit pour ce rôle son ami Abe Fortas, un avocat renommé. Ce dernier intégra la Cour lorsque le juge Arthur Goldberg, à la demande express de Johnson, accepta de devenir ambassadeur aux Nations unies[24]. Une seconde vacance se produisit en 1967 avec le départ à la retraite de Tom Clark, que Johnson remplaça par l'avocat général Thurgood Marshall, dont la nomination fut historique puisqu'il était le premier Afro-Américain à siéger à la Cour[25]. En 1968, Johnson proposa le nom de Fortas pour succéder au juge en chef sortant Earl Warren et nomma Homer Thornberry en tant que juge assesseur à la place de Fortas. La nomination de Fortas fut cependant rejetée par des sénateurs hostiles à ses idées progressistes et qui voyaient d'un mauvais œil sa proximité avec le président[26]. En dehors de la Cour suprême, Johnson nomma 40 juges aux cours d'appel fédérales et 126 juges aux cours fédérales de district.

Politique intérieure

En dépit de ses talents politiques et de sa longue carrière en tant que chef de la majorité au Sénat, Johnson avait été relativement mis à la marge au cours de la précédente administration. Devenu président, il était déterminé à faire passer les réformes intérieures laissées inachevées par Kennedy et dont la plupart étaient restées bloquées dans les divers comités du Congrès[27] - [28]. Depuis des décennies, la plupart des lois à caractère progressiste avaient été tenues en échec par une coalition conservatrice de républicains et de démocrates sudistes, ce que Johnson, la nuit même de son accession au pouvoir, résuma de la façon suivante à un de ses conseillers : « est-ce que vous vous rendez compte que chacun des dossiers présents sur mon bureau ce soir était sur mon bureau lorsque je suis arrivé au Congrès en 1937 ? »[29].

Au printemps 1964, il commença Ă  utiliser le terme de « Grande sociĂ©tĂ© Â» pour dĂ©signer son programme de politique intĂ©rieure. L'expression avait Ă©tĂ© inventĂ©e par Richard N. Goodwin et provenait d'une observation qu'avait faite Eric F. Goldman Ă  propos du titre du livre de Walter Lippmann The Good Society, qui selon lui captait le mieux l'esprit du programme prĂ©sidentiel de Johnson[30]. Le prĂ©sident utilisa pour la première fois l'expression lors d'un discours Ă  l'universitĂ© du Michigan le : « nous avons maintenant la possibilitĂ© non seulement d'avancer vers une sociĂ©tĂ© riche et puissante, mais de nous Ă©lever vers la Grande SociĂ©tĂ©. La Grande SociĂ©tĂ© repose sur l'abondance et la libertĂ© pour tous. Elle exige la fin de la pauvretĂ© et de l'injustice raciale ; nous y sommes totalement engagĂ©s. Mais ce n'est qu'un commencement »[31]. La Grande sociĂ©tĂ© de Johnson comprenait un ensemble de mesures visant Ă  favoriser le dĂ©veloppement urbain, amĂ©liorer les transports, assurer une meilleure protection de l'environnement, intensifier la lutte contre la pauvretĂ©, rĂ©former le système de santĂ© et l'Ă©ducation et lutter contre la criminalitĂ©[30]. Pour assurer l'adoption de son programme de politique intĂ©rieure, Johnson consacra une attention sans prĂ©cĂ©dent aux relations avec le Congrès[32].

Économie et fiscalité

Finances fédérales et PIB sous la présidence de Johnson[note 1]
Année Revenu Dépenses Surplus/
DĂ©ficit
PIB Dette en %
du PIB[note 2]
1963 106,6 111,3 -4,8 619,3 41,0
1964 112,6 118,5 -5,9 662,9 38,7
1965 116,8 118,2 -1,4 710,7 36,7
1966 130,8 134,5 -3,7 781,9 33,7
1967 148,8 157,5 -8,6 838,2 31,8
1968 153,0 178,1 -25,2 899,3 32,2
1969 186,9 183,6 3,2 982,3 28,3
Sources [33] [34] [35]

Au dĂ©but de l'annĂ©e 1963, Kennedy avait soumis au Congrès un projet de loi prĂ©voyant une importante baisse d'impĂ´ts. En dĂ©pit de nombreuses rĂ©sistances, ce projet de loi fut adoptĂ© par la Chambre des reprĂ©sentants au mois de septembre. Le sĂ©nateur de Virginie Harry F. Byrd espĂ©rait que le texte serait rapidement approuvĂ© par le SĂ©nat, mais il insista nĂ©anmoins pour que le ComitĂ© des finances procĂ©dât Ă  une « dĂ©libĂ©ration complète et prudente »[36]. Une fois Johnson arrivĂ© au pouvoir, celui-ci accepta de rĂ©duire le budget fĂ©dĂ©ral Ă  moins de 100 milliards de dollars et Byrd abandonna son opposition, ce qui permit l'adoption du Revenue Act of 1964. RatifiĂ©e le , cette loi rĂ©duisait d'environ 20 % les taux d'imposition sur le revenu des particuliers, diminuait lĂ©gèrement les prĂ©lèvements sur les sociĂ©tĂ©s et introduisait une dĂ©duction forfaitaire minimale. L'entrĂ©e en vigueur de cette mesure facilita l'application du programme sur les droits civiques[37].

Sous la prĂ©sidence de Johnson, le dĂ©ficit du budget fĂ©dĂ©ral s'accrut avec l'augmentation des dĂ©penses civiles et militaires (3,7 milliards de dollars en 1966 contre 25,1 milliards en 1968) mĂŞme si la part des dĂ©penses dans le PNB fut relativement stable, notamment en raison de la forte croissance de l'Ă©conomie[38]. De 1964 Ă  1968, la croissance moyenne annuelle du PIB fut de 5,3 %, avec un pic Ă  6,6 % en 1966[39]. L'inflation se maintint quant Ă  elle Ă  un niveau assez Ă©levĂ© et ce jusque dans les annĂ©es 1970[40]. En 1968, Johnson signa la loi sur le contrĂ´le des revenus et des dĂ©penses. Fruit de plusieurs mois de nĂ©gociations, le texte fut ratifiĂ© Ă  contrecĹ“ur par le prĂ©sident afin de couvrir le coĂ»t de plus en plus Ă©levĂ© de la guerre du ViĂŞt Nam. La loi combinait Ă  la fois une hausse des impĂ´ts et une rĂ©duction des dĂ©penses[41].

Civil Rights Act de 1964

Rencontre du président Johnson avec les principaux meneurs du mouvement des droits civiques dans le Bureau ovale, en . De gauche à droite : Martin Luther King, Johnson, Whitney Young et James L. Farmer.

Bien qu'étant lui-même un pur produit de la société du Sud et un protégé du sénateur Richard Russell, un ségrégationniste, Johnson était depuis longtemps un sympathisant du mouvement des droits civiques et il estimait que le moment était venu de faire voter la première loi sur les droits civiques depuis la période de la Reconstruction[42]. Le président Kennedy avait présenté une loi similaire au Congrès en juin 1963 mais il s'était heurté à une forte opposition[43] - [44]. Le projet de loi de Kennedy avait déjà été approuvé par la commission judiciaire de la Chambre des représentants mais il n'était pas encore parvenu à franchir la commission sur le règlement de la Chambre et le Sénat[45]. En effet, les sénateurs et les représentants du Sud opposés à cette réforme utilisaient certaines procédures du Congrès pour empêcher la loi d'être soumise au vote, et ils avaient par ce moyen empêché les précédentes tentatives de réforme des droits civiques d'aboutir sous les précédentes administrations[46]. Johnson entendait non seulement faire adopter le projet de loi mais aussi empêcher le Congrès de vider le texte de sa substance, comme cela s'était produit pour les lois votées dans les années 1950[47]. Dans un premier temps, il défia publiquement le Congrès en déclarant au début de son discours sur l'état de l'Union, le : « faites en sorte que cette session du Congrès soit connue comme la session qui a plus fait pour les droits civiques que les cent dernières sessions réunies »[48]. Le biographe Randall B. Woods note que Johnson mit efficacement à profit les valeurs judéo-chrétiennes pour obtenir un soutien à la loi sur les droits civiques et affaiblir l'obstruction menée par ses opposants :

« LBJ enveloppa l'AmĂ©rique blanche dans un habit de droiture morale. Comment des individus qui s'identifiaient avec ferveur, continuellement et massivement, Ă  un Dieu juste et misĂ©ricordieux, pouvaient-ils continuer Ă  tolĂ©rer la discrimination raciale, la violence policière et la sĂ©grĂ©gation ? OĂą, dans l'Ă©thique judĂ©o-chrĂ©tienne, Ă©tait-il justifiĂ© de tuer des jeunes filles dans une Ă©glise de l'Alabama, de refuser une Ă©ducation Ă©gale aux enfants noirs, d'interdire aux pères et aux mères de se battre pour des emplois qui nourriraient et habilleraient leur famille ? Jim Crow Ă©tait-il la rĂ©ponse de l'AmĂ©rique au « communisme sans Dieu Â» ? »[49]

Depuis qu'il était devenu président de la commission du règlement de la Chambre en 1954, le représentant de Virginie Howard W. Smith, opposé à l'intégration raciale, avait profité de sa position pour empêcher diverses tentatives de législation sur les droits civiques d'être votées à la Chambre. Johnson devait par conséquent trouver un moyen de contourner Smith s'il voulait mener à bien son projet de réforme. Le président travailla à obtenir un soutien des représentants pour une motion de décharge qui devait être présentée à la Chambre et lui et ses collaborateurs s'employèrent à convaincre les républicains et les démocrates de soutenir la motion[48] - [50]. Craignant d'être court-circuitée, la commission sur le règlement approuva le projet de loi qui fut débattu en séance plénière et adopté le par 290 voix contre 110[51]. Avant la mise au vote, Smith avait proposé un amendement visant à ajouter à la loi une protection contre la discrimination fondée sur le sexe afin d'empêcher son adoption. Cependant, la manœuvre se retourna contre lui lorsque la Chambre vota à nouveau en faveur du projet de loi. Au total, 152 démocrates et 136 républicains avaient voté pour alors que la principale opposition venait des 88 démocrates représentants des États qui avaient fait sécession pendant la guerre civile[52].

Johnson convainquit Mike Mansfield, chef de la majorité au Sénat, de soumettre directement l'examen du projet de loi au Sénat en court-circuitant la commission judiciaire et son président ségrégationniste, James Eastland[53]. Le projet de loi de finances ayant déjà été adopté et le blocage du projet de loi en commission n'étant plus une option, les sénateurs opposés aux droits civiques n'eurent d'autre choix que de recourir à l'obstruction parlementaire. Afin de surmonter cette opposition, Johnson et ses partisans devaient impérativement être soutenus par au moins une vingtaine de républicains, qui devenaient de moins en moins disposés à le faire du fait que leur parti était sur le point de nommer un candidat à la présidence qui était opposé au projet de loi[54]. Mansfield et le sénateur Hubert Humphrey coordonnèrent leurs efforts pour faire adopter le projet de loi au Sénat et l'une de leurs principales tâches fut de convaincre le chef de la minorité sénatoriale Everett Dirksen et plusieurs conservateurs du Midwest de les appuyer[48] - [55]. Johnson et Dirksen parvinrent finalement à un compromis dans lequel les pouvoirs de mise en application de la commission de l'égalité des chances en matière d'emploi étaient affaiblis mais où les groupes de lutte en faveur des droits civiques continuaient à soutenir le projet de loi parce qu'il signifiait la « fin de la ségrégation de jure »[56]. Après plusieurs mois de débats, le Sénat décida de clôturer définitivement le vote par 71 voix contre 29, atteignant de justesse le seuil des 67 voix nécessaires pour mettre fin à l'obstruction. Bien que l'opposition provenait majoritairement des démocrates du Sud, le candidat républicain à l'élection présidentielle de 1964, Barry Goldwater, et cinq autres sénateurs républicains votèrent contre le projet de loi. Le , le Sénat approuva le projet de loi par 73 voix contre 27 et l'envoya au président pour ratification[57].

Le , le président Johnson signa le Civil Rights Act de 1964. La légende raconte qu'en posant son stylo, Johnson déclara à l'un de ses assistants : « nous avons perdu le Sud pour une génération », anticipant une réaction hostile des Blancs du Sud contre le Parti démocrate[58]. La loi interdisait désormais la ségrégation raciale dans les lieux publics ainsi que la discrimination à l'emploi fondée sur le sexe ou la race et renforçait les pouvoirs d'intervention du gouvernement fédéral en matière de discrimination sexiste ou raciale à l'embauche[59].

Voting Rights Act

Au XIXe siècle, après la fin de la Reconstruction, la plupart des États du Sud avaient instaurĂ© des lois visant Ă  Ă©carter le plus possible les citoyens noirs de la politique sans pour autant violer le quinzième amendement de la Constitution. MalgrĂ© l'entrĂ©e en vigueur du Civil Rights Act de 1964 et la ratification du 24e amendement en janvier de la mĂŞme annĂ©e, qui prohibait la mise en place de taxes de scrutin, de nombreux États continuaient de priver les Afro-AmĂ©ricains de leurs droits par des stratagèmes tels que les « primaires blanches Â» ou les tests d'alphabĂ©tisation[60] - [61]. Peu après l'Ă©lection prĂ©sidentielle de 1964, Johnson demanda au procureur gĂ©nĂ©ral Nicholas Katzenbach de rĂ©diger « la loi la plus fĂ©roce et la plus dure que vous puissiez imaginer ». Ă€ ce stade, le prĂ©sident estimait cependant qu'il n'Ă©tait pas urgent de lĂ©gifĂ©rer ; ses conseillers l'avaient mis en garde sur les consĂ©quences politiques qu'engendrerait une dĂ©marche visant Ă  promouvoir un projet de loi sur le droit de vote des Noirs si tĂ´t après le vote de la loi sur les droits civiques par le Congrès. Johnson craignait en outre qu'un tel projet ne mĂ®t en danger les autres rĂ©formes de la « Grande sociĂ©tĂ© Â» en lui aliĂ©nant les dĂ©mocrates du Sud[62].

Face-Ă -face entre la police et les manifestants sur le pont Edmund Pettus.

Peu après l'Ă©lection de 1964, certaines associations de lutte pour les droits civiques, comme la Southern Christian Leadership Conference ou le Student Nonviolent Coordinating Committee, commencèrent Ă  rĂ©clamer une intervention fĂ©dĂ©rale pour garantir les droits de vote des minoritĂ©s raciales[61]. De nombreuses marches et manifestations en faveur des droits de vote furent organisĂ©es en Alabama mais elles furent brutalement rĂ©primĂ©es par la police et des centaines d'Afro-AmĂ©ricains furent emprisonnĂ©s. Le eurent lieu les marches de Selma Ă  Montgomery au cours desquelles les habitants de la ville de Selma se dirigèrent vers la capitale de l'Alabama, Montgomery, pour souligner l'importance des enjeux liĂ©s Ă  la question des droits de vote et prĂ©senter leurs dolĂ©ances au gouverneur de l'Alabama, George Wallace. Lors de la première marche, les manifestants furent arrĂŞtĂ©s par des policiers Ă  cheval sur le pont Edmund Pettus près de Selma. Les forces de l'ordre lancèrent des gaz lacrymogènes dans la foule et de nombreux manifestants furent piĂ©tinĂ©s. Les images de cet Ă©vĂ©nement, connu sous le nom de Bloody Sunday (« dimanche rouge Â»), furent retransmises Ă  la tĂ©lĂ©vision et suscitèrent une vague d'indignation Ă  travers le pays[63].

Face à une pression politique de plus en plus forte, Johnson décida de soumettre immédiatement une loi sur les droits de vote au Congrès et il s'adressa au peuple américain dans un discours tenu lors d'une session conjointe des deux chambres du Congrès. Le discours de Johnson, rédigé par Richard N. Goodwin, était, d'après le correspondant du magazine Time, « si surprenant et si émouvant qu'il est peu probable que ceux qui l'ont vu ou entendu l'oublieront jamais »[63]. Le président commença son discours de la manière suivante :

« Je viens vous parler ce soir de la dignité de l'homme et du destin de la démocratie. J'exhorte les membres des deux partis, les Américains de toutes les religions, de toutes les couleurs et de toutes les régions du pays, à se joindre à moi pour cette cause […]. Il est rare que le cœur secret de l'Amérique elle-même soit dévoilé. Nous avons rarement été confrontés à un défi, non pas à notre croissance ou à notre prospérité, ni même à notre bien-être ou à notre sécurité, mais plutôt aux valeurs, aux buts et à la signification de notre nation bien-aimée. La question de l'égalité des droits pour les Noirs américains est un problème de cette nature. Et même si nous devions vaincre chacun de nos ennemis, doubler notre richesse et conquérir les étoiles, mais être encore inégaux sur ce sujet, alors nous aurions échoué en tant que peuple et en tant que nation. Pour un pays comme pour une personne, « qu'est-ce qu'un homme a à gagner à conquérir le monde, s'il y perd sa propre âme ? »[63] - [64] »

Le président Lyndon B. Johnson, Martin Luther King et Rosa Parks lors de la signature du Voting Rights Act le 6 août 1965.

Le Voting Rights Act fut prĂ©sentĂ© au Congrès le . Le SĂ©nat adopta le projet de loi deux mois et demi plus tard par 77 voix contre 19 et ce vote fut confirmĂ© en juillet par la Chambre des reprĂ©sentants par 333 voix contre 85. Cette loi historique, que Johnson ratifia le , interdisait la discrimination lors du vote, permettant ainsi Ă  des millions d'Afro-AmĂ©ricains du Sud de voter pour la première fois. ConformĂ©ment Ă  la loi, l'Alabama, la Caroline du Sud, la Caroline du Nord, la GĂ©orgie, la Louisiane, le Mississippi et la Virginie furent soumis Ă  une procĂ©dure d'inspection en 1965, suivi en 1975 par le Texas qui abritait alors la majoritĂ© de la population afro-amĂ©ricaine[65]. Les rĂ©sultats furent Ă©loquents : de 1968 Ă  1980, le nombre d'Ă©lus noirs du Sud Ă  l'Ă©chelle Ă©tatique et Ă  l'Ă©chelle fĂ©dĂ©rale avait presque doublĂ©. La loi amĂ©liora Ă©galement grandement les conditions d'accès des Noirs Ă  la fonction publique : alors que les fonctionnaires noirs n'Ă©taient que quelques centaines en 1965, ils Ă©taient 6 000 en 1989[64], et le nombre d'Ă©lus noirs dans le Sud fut multipliĂ© par dix entre 1965 et 1990[66]. De manière tout aussi impressionnante, le taux d'Ă©lecteurs afro-amĂ©ricains inscrits sur les listes Ă©lectorales dans le Mississippi passa de 6,7 % en 1964 Ă  59,8 % en 1967[67]. L'adoption du Voting Rights Act amĂ©liora l'image du pays Ă  l'Ă©tranger et incita l'URSS Ă  modĂ©rer ses critiques du racisme amĂ©ricain[68].

À la fin du mois de , à la suite du meurtre de la militante des droits civiques Viola Liuzzo, Johnson annonça à la télévision l'arrestation de quatre membres du Ku Klux Klan impliqués dans cet assassinat. Le président profita de l'occasion pour dénoncer vigoureusement le Klan comme « une société de bigots à capuchon » et les inciter à « revenir à une société décente avant qu'il ne soit trop tard ». Il fit également conduire une enquête fédérale sur les activités du Klan, et lorsque les hommes accusés du meurtre de Liuzzo furent acquittés par un jury entièrement blanc, Johnson ordonna au département de la Justice d'utiliser les dispositions du Civil Rights Act pour intenter un nouveau procès. En définitive, trois des accusés furent reconnus coupables du meurtre de Liuzzo et condamnés à une peine de 10 ans de prison[69]. Par ce verdict, Johnson fut en 90 ans le premier président, depuis Ulysses S. Grant, à traduire en justice des membres du Klan[70].

Johnson s'exprima également au sujet de l'injustice raciale et des disparités économiques entre les Noirs et les Blancs lors d'un discours délivré le à l'université Howard. Intitulé « Pour honorer ces droits », ce discours contenait certains des mots les plus progressistes sur la race jamais prononcés par un président américain[71]. Johnson déclara notamment que « la liberté », ce droit de partager pleinement et de façon égale dans la société américaine, « ne suffit pas », et il ajouta : « il ne suffit pas d'ouvrir les portes de l'opportunité ; encore faut-il que l'ensemble de nos citoyens puissent les franchir ». Il annonça ensuite ce qu'il considérait comme la prochaine étape de la bataille pour les droits civiques : « nous ne cherchons pas simplement la liberté mais l'opportunité ; nous ne cherchons pas simplement l'équité juridique mais aussi la capacité humaine, non pas simplement l'égalité comme un droit ou comme une théorie mais l'égalité en tant que fait et en tant qu'aboutissement »[72].

Civil Rights Act de 1968

Johnson s'attendait à perdre des sièges aux élections de mi-mandat de 1966 et il fit d'un projet de loi sur la discrimination au logement sa dernière échéance législative majeure du 89e congrès[73]. En , Johnson soumit au Congrès un projet de loi qui devait empêcher les propriétaires de refuser d'héberger des individus sur les critères de la race. Cette initiative suscita immédiatement l'hostilité de nombreux habitants du Nord qui avaient pourtant accueilli favorablement les deux projets de loi précédents sur les droits civiques[74]. Une première version du projet de loi fut adoptée par la Chambre des représentants mais échoua au Sénat ; ce fut la première grande défaite législative de Johnson[75]. La loi prit cependant une nouvelle impulsion après l'assassinat de Martin Luther King le et les émeutes qui secouèrent le pays à la suite de la mort de King[76]. Le , Johnson écrivit à la Chambre des représentants pour demander instamment l'adoption du Civil Rights Act de 1968[77]. Sous la supervision du directeur législatif Joseph Califano et du président de la Chambre des représentants John McCormack, le projet fut approuvé à une large majorité par la Chambre le [76] - [78]. Le Fair Housing Act, qui était une composante de ce projet de loi, interdisait la discrimination en matière de logement et permit à de nombreux Afro-Américains de déménager en banlieue[79].

Guerre contre la pauvreté

La publication du livre The Other America (« L'autre AmĂ©rique Â») en 1962 avait permis de mettre en lumière la prĂ©caritĂ© dans laquelle vivait une partie de la population amĂ©ricaine, et l'administration Kennedy avait commencĂ© Ă  Ă©laborer un programme de lutte contre la pauvretĂ©[80]. En 1964, 21 % des AmĂ©ricains Ă©taient considĂ©rĂ©s comme pauvres, parmi lesquels 50 % Ă©taient des Noirs[81]. Dans son discours sur l'Ă©tat de l'Union de 1964, Johnson annonça que « cette administration, Ă  partir d'aujourd'hui, ici et maintenant, dĂ©clare une guerre inconditionnelle Ă  la pauvretĂ© en AmĂ©rique »[82]. En avril de la mĂŞme annĂ©e, il promulgua l’Economic Opportunity Act of 1964 qui crĂ©ait le Bureau des opportunitĂ©s Ă©conomiques (OEO). Le rĂ´le de cette agence Ă©tait de superviser le travail des agences locales communautaires qui venaient en aide aux personnes vivant dans la pauvretĂ©[83]. La loi donnait Ă©galement naissance Ă  un programme de formation professionnelle, le Job Corps, et Ă  AmeriCorps VISTA, une variante fĂ©dĂ©rale des Corps de la Paix[84]. Ă€ travers ce texte, Johnson Ă©tait convaincu que le gouvernement serait en mesure de mieux aider les pauvres en leur offrant des opportunitĂ©s Ă©conomiques[85]. Johnson sut obtenir un soutien suffisant de la part des dĂ©mocrates conservateurs pour faire adopter le projet de loi, qu'il ratifia le [86]. Sous la direction de Sargent Shriver, l'OEO mit en Ĺ“uvre des programmes comme Head Start ou le Neighborhood Legal Services[87]. Johnson persuada Ă©galement le Congrès d'adopter le Food Stamp Act of 1964 qui rendait permanents les programmes pilotes de bons alimentaires initiĂ©s par le prĂ©sident Kennedy en 1961[88].

Taux de pauvreté aux États-Unis en nombres absolus et en pourcentage de 1959 à 2011.

En , Johnson signa le Housing and Urban Development Act of 1965. Cette loi, qu'il qualifia de « plus importante rupture » en matière de politique fédérale du logement depuis les années 1920, accrut considérablement le financement des programmes fédéraux existants consacrés au logement et ajouta de nouveaux programmes de subvention au loyer pour les personnes âgées et les handicapés. À cet ensemble s'ajoutaient des subventions pour la réhabilitation de logements aux propriétaires pauvres, des dispositions permettant aux anciens combattants de payer un acompte très bas pour l'obtention de crédits, l'autorisation pour les familles éligibles au logement social d'être placées dans des logements privés vides (des subventions étant accordées aux propriétaires) ainsi que des subventions similaires aux localités pour la construction d'égouts, d'un réseau de distribution d'eau, de centres communautaires dans les zones à faible revenu et pour l'embellissement urbain. Quatre semaines plus tard, le , Johnson promulgua la loi donnant naissance au Département du Logement et du Développement urbain des États-Unis[89] - [90].

Johnson franchit une nouvelle Ă©tape dans la guerre contre la pauvretĂ© lorsqu'il prĂ©senta au Congrès, en , le « programme des villes de dĂ©monstration Â». Pour ĂŞtre admissible, une ville devait montrer sa dĂ©termination Ă  « stopper la dĂ©gradation et la dĂ©cadence et faire un effort considĂ©rable pour le dĂ©veloppement de la ville toute entière ». Johnson demanda un investissement de 400 millions de dollars par an, pour un total de 2,4 milliards de dollars. Ă€ la fin de l'annĂ©e 1966, le Congrès adopta une version du programme au coĂ»t nettement moindre (900 millions de dollars) que Johnson baptisa plus tard le « programme des villes modèles Â». La loi n'eut cependant que peu d'effet, et 22 ans plus tard, le New York Times Ă©crivit que le programme s'Ă©tait globalement soldĂ© par un Ă©chec[91]. NĂ©anmoins, l'une des consĂ©quences de la « guerre contre la pauvretĂ© Â» menĂ©e par Johnson, qui eut la chance de bĂ©nĂ©ficier d'une Ă©conomie forte, fut de faire chuter le taux de pauvretĂ© du pays de 20 % en 1964 Ă  12 % en 1974[92].

Éducation

Le président Johnson s'apprêtant à signer la loi sur l'éducation élémentaire et secondaire aux côtés de son ancienne institutrice, Kate Deadrich Loney.

Johnson, qui avait lui-même échappé à la misère en allant à l'école publique au Texas, était intimement convaincu que l'éducation était un remède contre l'ignorance et la pauvreté[93]. Dans les années 1960, le budget consacré à l'éducation rencontrait des difficultés liées à l'arrivée de la nouvelle génération des baby boomers, mais le Congrès refusa à plusieurs reprises d'augmenter le financement fédéral alloué aux écoles publiques[94].

Johnson fit de l'Ă©ducation la prioritĂ© absolue de son programme de la Grande sociĂ©tĂ© et mit l'accent sur l'aide aux enfants pauvres. Les Ă©lections lĂ©gislatives de 1964 ayant vu la victoire d'un grand nombre d'hommes politiques progressistes, Johnson prĂ©senta au Congrès un projet de loi sur l'Ă©ducation Ă©lĂ©mentaire et secondaire (ESEA). Ce texte prĂ©voyait de multiplier par deux les dĂ©penses fĂ©dĂ©rales en matière d'Ă©ducation, qui passeraient ainsi de 4 Ă  8 milliards de dollars[95]. Le projet de loi fut votĂ© Ă  la Chambre des reprĂ©sentants par 263 voix contre 153 le avant d'ĂŞtre adoptĂ© au SĂ©nat par 73 voix contre 8, sans avoir eu recours Ă  l'arbitrage du comitĂ© de confĂ©rence[96]. Dans la pratique, l'ESEA mettait en place une aide pour tous les arrondissements scolaires publics ; les secteurs accueillant de grandes proportions d'Ă©tudiants issus de familles pauvres recevaient davantage d'argent[97]. La part du gouvernement fĂ©dĂ©ral dans les dĂ©penses relatives Ă  l'Ă©ducation passa ainsi de % en 1958 Ă  10 % en 1965, et continua de croĂ®tre dans les annĂ©es suivantes[98]. La loi contribua Ă©galement Ă  accĂ©lĂ©rer le processus de dĂ©sĂ©grĂ©gation puisque la part des Ă©lèves afro-amĂ©ricains frĂ©quentant des Ă©coles intĂ©grĂ©es atteignit 32 % en 1968 contre seulement % en 1964[13].

Le second projet de Johnson en faveur de l'éducation fut la loi sur l'enseignement supérieur de 1965, qui créait une aide financière pour les étudiants à faible revenu, notamment des bourses, des contrats en alternance et des prêts du gouvernement. Le taux d'obtention de diplômes en études supérieures explosa littéralement après le passage de la loi : en effet, le nombre de diplômes universitaires tripla entre 1964 et 2013[99]. En outre, Johnson ratifia en 1965 un troisième projet de loi qui donnait naissance au programme Head Start[100].

Immigration

L'immigration n'Ă©tait pas la prĂ©occupation première de Johnson, mais les dĂ©mocrates du Congrès, sous l'Ă©gide d'Emanuel Celler, obtinrent le passage de la loi de 1965 sur l'immigration et la nationalitĂ©. Cette dernière mettait fin Ă  la formule des origines nationales avalisĂ©e sous forme de loi par l'Immigration Act de 1924, qui avait imposĂ© des restrictions très fortes Ă  l'Ă©migration des pays situĂ©s en dehors de l'hĂ©misphère ouest. Les rĂ©dacteurs de la loi s'attendaient Ă  ce que celle-ci provoque une hausse de l'immigration en provenance des pays d'Europe du Sud et de l'Est ainsi que, dans une moindre mesure, de l'Asie et de l'Afrique. La loi n'augmentait pas beaucoup le nombre d'immigrants autorisĂ©s Ă  entrer sur le territoire amĂ©ricain chaque annĂ©e (environ 300 000) mais contenait une disposition autorisant le regroupement familial, ce qui permit Ă  certains immigrants d'ĂŞtre accueillis aux États-Unis quel que soit le nombre total de nouveaux arrivants. L'ouverture au regroupement familial fut en grande partie responsable de l'augmentation des flux migratoires bien au-delĂ  des effectifs attendus. En outre, l'immigration n'Ă©tait plus Ă  caractère europĂ©en mais provenait essentiellement du Mexique, des Philippines, de la CorĂ©e, de Cuba, de TaĂŻwan, de l'Inde et de la RĂ©publique dominicaine, qui reprĂ©sentaient en 1976 plus de la moitiĂ© de l'immigration lĂ©gale vers les États-Unis[101]. Le pourcentage d'individus nĂ©s Ă  l'Ă©tranger aux États-Unis passa de % en 1965 Ă  14 % en 2016[102]. Johnson ratifia Ă©galement la loi d'ajustement cubain qui permettait aux rĂ©fugiĂ©s cubains d'accĂ©der plus facilement au statut de rĂ©sident permanent et Ă  la citoyennetĂ©[103].

Réforme de la santé

Le président Johnson officialisant la mise en vigueur de Medicare en présence d'Harry S. Truman et de sa femme Bess le . À l'arrière-plan, Lady Bird Johnson et le vice-président Hubert Humphrey.

En 1945, le président de l'époque Harry S. Truman, dont les idées influençaient fortement celles de Johnson, avait proposé d'instaurer un système national d'assurance maladie[104]. Depuis 1957, certains démocrates plaidaient pour une prise en charge par le gouvernement des frais de visite à l'hôpital pour les personnes âgées, qui avaient vu leurs dépenses de santé augmenter avec l'avènement de nouveaux produits tels que les antibiotiques. Cependant, l'Association médicale américaine (AMA) et les partisans d'une politique fiscale conservatrice s'opposaient à toute ingérence fédérale en matière d'assurance maladie[105]. En 1965, la moitié des Américains de plus de 65 ans n'avaient pas d'assurance santé[106]. Johnson soutint l'adoption de la loi King-Anderson qui établissait une couverture maladie pour les personnes âgées sous la gestion de l'administration de la sécurité sociale et financée par l'impôt sur les salaires[107]. Willbur Mills, le président du comité des voies et moyens de la Chambre des représentants, s'était longtemps opposé à une telle réforme, mais beaucoup d'hommes politiques proches de l'AMA avaient été défaits à l'élection de 1964 ce qui montrait que la population était favorable à une politique de santé publique[108].

Mills suggéra que Medicare fût organisé comme un gâteau en trois tranches, avec un aspect portant sur la sécurité sociale, l'autre sur un programme d'assurance à la demande permettant des visites à domicile du médecin et enfin le dernier sur un programme d'aide médicale pour les pauvres, baptisé Medicaid[109]. Le projet de loi fut adopté à la Chambre par 313 voix contre 115 et une version plus libérale de la loi fut approuvée par le Sénat le . À l'issue d'une réunion de comité, les deux chambres du Congrès adoptèrent des versions similaires de la loi et cette dernière fut ratifiée par Johnson le [110]. La cérémonie de ratification eut lieu dans la bibliothèque présidentielle Harry S. Truman à Independence, dans le Missouri, et Johnson remit à l'ancien président Truman et à sa femme Bess les deux premières cartes Medicare[111]. En 1976, Medicare et Medicaid couvraient un cinquième de la population, mais beaucoup d'Américains n'avaient toujours pas d'assurance médicale[112].

Environnement

En 1962, la biologiste Rachel Carson publia Printemps silencieux, un livre qui entraîna une nouvelle prise de conscience des enjeux environnementaux et des problèmes de santé publique causés par la pollution[113]. Johnson avait conservé dans son cabinet le secrétaire à l'Intérieur de Kennedy, Stewart Lee Udall, très impliqué dans les questions environnementales, et ratifia plusieurs projets de loi liés à la protection de la nature[114]. Il promulgua ainsi le Clean Air Act of 1963 proposé par Kennedy, qui instaurait des normes d'émission pour les émetteurs fixes de polluants atmosphériques et qui orientait des fonds fédéraux vers la recherche sur la qualité de l'air[115]. En 1965, la loi fut amendée par le Motor Vehicle Air Pollution Control Act qui obligeait le gouvernement fédéral à établir des standards nationaux pour contrôler la pollution des véhicules à moteur nouvellement introduits sur le marché[116]. Deux ans plus tard, Johnson, aidé par le sénateur Edmund Muskie, fit adopter le Air Quality Act of 1967 qui augmentait les subventions fédérales pour les programmes antipollution mis en place par les États et les collectivités locales[117].

En , Johnson avait également signé une loi qui donnait naissance au Land and Water Conservation Fund, visant à faciliter l'achat de terres pour les parcs fédéraux et les parcs d'État. Le même mois, il promulgua le Wilderness Act qui créait un système de gestion national des zones de nature sauvage[118]. En 1965, la Première dame Lady Bird Johnson fit campagne pour l'adoption de la loi sur l'embellissement des routes (Highway Embellification Act), tandis que le sénateur Muskie parvint à faire voter une loi sur la qualité de l'eau. Les conservateurs supprimèrent néanmoins une disposition de la loi qui donnait au gouvernement fédéral le pouvoir d'établir des normes en matière d'eau potable[119].

Transports

Au milieu des années 1960, divers militants du droit des consommateurs et des experts en sécurité commencèrent à expliquer au Congrès et à la population américaine qu'il fallait rendre les routes moins dangereuses et les véhicules plus sûrs. Selon eux, le gouvernement fédéral, et plus encore les constructeurs automobiles, avec leur technologie et leur savoir-faire, étaient en mesure d'apporter une solution à ce problème. La publication en 1965 du livre Unsafe At Any Speed de Ralph Nader accéléra la prise de conscience, et au début de l'année suivante, le Congrès tint une série d'auditions très médiatisées sur la sécurité routière. Deux projets de loi furent approuvés (le National Traffic and Motor Vehicle Safety Act et le Highway Safety Act) et ratifiés par le président le , rendant désormais le gouvernement fédéral responsable de l'établissement et de l'application des normes en matière de sécurité routière et automobile. La première loi permit d'établir des normes fédérales en matière de sécurité des véhicules à moteur, imposa le port de la ceinture de sécurité pour tous les passagers, introduisit des volants capables de résister aux chocs ainsi que des réservoirs de carburant plus solides, un système de verrouillage des portes, des rétroviseurs, des dégivreurs de pare-brise, des diodes lumineuses sur les côtés, à l'avant et à l'arrière de la voiture, enfin un « rembourrage et un adoucissement des surfaces intérieures et des parties protubérantes »[120]. La seconde loi demandait quant à elle à chaque État de mettre en place un programme encourageant la formation des conducteurs et renforçait les contrôles sur les véhicules[121].

En , Johnson soumit à l'approbation du Congrès la création d'un département ayant rang au cabinet qui superviserait la politique fédérale sur les transports, coordonnerait la résolution des problèmes posés par ce secteur et impulserait le développement des transports à l'échelle nationale[122]. Ce nouveau département des Transports opérerait une fusion entre le Bureau des transports du département du Commerce, le Bureau des routes publiques, l'Agence fédérale de l'aviation, la garde côtière, l'administration maritime, le Conseil de l'aéronautique civile et la commission du commerce inter-États. Le projet de loi fut adopté par le Sénat après des discussions au sujet de la navigation puis par la Chambre des représentants, avec là encore des débats autour des intérêts maritimes. La loi donnant naissance au département des Transports des États-Unis fut ratifiée par Johnson le [123]. À la suite de son entrée en vigueur, 31 agences qui étaient jusque là dispersées furent rattachées au ministère des Transports, donnant lieu à la plus grande réorganisation du gouvernement fédéral depuis la loi sur la sécurité nationale de 1947[122].

Mouvement d'opposition Ă  la guerre du ViĂŞt Nam

Une manifestante offrant une fleur à un soldat au cours d'une manifestation contre la guerre organisée devant le Pentagone, en .

Ă€ la fin de l'annĂ©e 1964, l'opinion publique amĂ©ricaine Ă©tait dans son ensemble favorable au renforcement de l'engagement militaire des États-Unis au Sud-ViĂŞt Nam, 48 % des sondĂ©s plaidant pour une implication plus forte dans cette rĂ©gion contre seulement 14 % souhaitant un accord de paix et le retrait des troupes amĂ©ricaines[124]. En dĂ©pit de cette situation, un petit mouvement pacifiste commença Ă  prendre forme dans divers campus universitaires Ă  travers le pays, dans un contexte de militantisme Ă©tudiant sans prĂ©cĂ©dent[125]. De nombreux militants opposĂ©s Ă  la guerre s'identifiaient Ă  la Nouvelle gauche, un vaste mouvement politique qui rejetait Ă  la fois le libĂ©ralisme traditionnel et le marxisme[126]. Assez rapidement, Johnson se retrouva pris en Ă©tau entre ceux qui prĂ´naient des mesures militaires plus fortes (les « faucons Â») et les partisans de la nĂ©gociation et du dĂ©sengagement (les « colombes Â»). Les sondages montraient qu'au dĂ©but de l'annĂ©e 1965, 40 Ă  50 % de la population Ă©taient plutĂ´t favorables Ă  une intensification des opĂ©rations militaires alors que 10 Ă  25 % souhaitaient un règlement pacifique du conflit[125]. Johnson, qui s'intĂ©ressait de près aux sondages d'opinion[127], se vit dire par ses conseillers que « les faucons et les colombes [sont frustrĂ©s par cette guerre] et en rejettent la faute sur vous Â»[125].

MĂŞme si d'autres groupes ou individus se mirent Ă  critiquer la guerre du ViĂŞt Nam pour diverses raisons, les Ă©tudiants furent la composante la plus active du mouvement d'opposition au conflit. Les Students for a Democratic Society, une association estudiantine de la Nouvelle gauche opposĂ©e Ă  la politique Ă©trangère de Johnson, virent leurs effectifs tripler au cours de l'annĂ©e 1965[128]. Toutefois, en dĂ©pit des contestations Ă©manant des campus, la guerre resta globalement populaire tout au long des annĂ©es 1965 et 1966[129]. En , Ă  la suite de la publication dans le magazine Ramparts d'un reportage photo de William F. Pepper, consacrĂ© aux blessures infligĂ©es aux enfants vietnamiens par les bombardements amĂ©ricains, Martin Luther King s'exprima pour la première fois contre la guerre[130]. Le suivant, Benjamin Spock, militant au sein des mouvements de King et de la Nouvelle gauche, organisa une marche contre la guerre du ViĂŞt Nam Ă  New York, au cours de laquelle 400 000 personnes, parties de Central Park, dĂ©filèrent jusqu'au quartier gĂ©nĂ©ral des Nations unies[131]. Deux mois plus tard, le , alors que le prĂ©sident faisait une allocution lors d'une collecte de fonds pour le Parti dĂ©mocrate au Century Plaza Hotel de Los Angeles, la police dispersa environ 10 000 manifestants pacifiques qui s'Ă©taient rassemblĂ©s devant l'hĂ´tel pour exprimer leur opposition Ă  la guerre[132].

Un sondage Gallup rĂ©alisĂ© en montrait que 52 % de la population dĂ©sapprouvait la gestion du conflit vietnamien par Johnson[133]. Alors que la cote de popularitĂ© du prĂ©sident avait dĂ©passĂ© la barre des 70 % au milieu de l'annĂ©e 1965, deux ans plus tard, 66 % des personnes interrogĂ©es disaient avoir perdu confiance dans la capacitĂ© du prĂ©sident Ă  gouverner[134]. Après l'incident du Century Plaza Hotel, les apparitions publiques de Johnson se firent de plus en plus rares, le plus souvent dans des endroits sĂ©curisĂ©s comme des bases militaires[135]. PersuadĂ© que le mouvement d'opposition Ă  la guerre Ă©tait infiltrĂ© par des communistes, Johnson donna son feu vert Ă  l'opĂ©ration CHAOS, un projet d'espionnage interne confiĂ© Ă  la CIA et menĂ© en dehors de toute procĂ©dure lĂ©gale, mais cette dernière ne dĂ©boucha sur aucun Ă©lĂ©ment probant[136].

Émeutes urbaines

Des bâtiments en feu pendant les émeutes de Watts à Los Angeles, en août 1965.

Les États-Unis connurent une sĂ©rie de troubles intĂ©rieurs — les « longs et chauds Ă©tĂ©s » — sous la prĂ©sidence de Johnson[137]. Les violences Ă  caractère racial, loin d'ĂŞtre circonscrites aux États du Sud, concernaient Ă©galement ceux du Nord, du Midwest et de l'Ouest dont les grands centres urbains Ă©taient peuplĂ©s d'importantes communautĂ©s noires aux conditions de vie souvent prĂ©caires[138]. Les premières Ă©meutes de ce genre Ă©clatèrent Ă  Harlem et New York en 1964[137], suivies par une autre Ă©meute dans le quartier de Watts Ă  Los Angeles, en , qui fut rĂ©primĂ©e par la garde nationale locale au prix de 34 morts, plus de 1 000 blessĂ©s et 4 000 interpellations[139]. Ces Ă©vĂ©nements suscitèrent des accusations de brutalitĂ© de la police Ă  l'encontre des minoritĂ©s raciales[137].

En 1966, une Ă©meute se produisit Ă  Hough, une communautĂ© de Cleveland Ă  prĂ©dominance afro-amĂ©ricaine. L'annĂ©e suivante, 159 Ă©meutes furent recensĂ©s Ă  travers le pays dans ce qui fut baptisĂ© le « long et chaud Ă©tĂ© 1967 Â». Ă€ Newark, dans le New Jersey, les violences durèrent six jours et se soldèrent par 26 morts, 1 500 blessĂ©s et le centre-ville rĂ©duit en cendres. Ă€ DĂ©troit, le gouverneur George W. Romney dĂ©ploya 7 400 soldats de la garde nationale pour mettre fin aux incendies criminels, aux pillages et aux attaques contre des entreprises ou contre les forces de police. Devant la gravitĂ© de la situation, Johnson fut contraint d'envoyer des unitĂ©s de l'armĂ©e fĂ©dĂ©rale Ă©quipĂ©es de tanks et de mitrailleuses. Lorsque les troubles cessèrent trois jours plus tard, le bilan Ă©tait extrĂŞmement lourd : 43 morts, 2 250 blessĂ©s, 4 000 arrestations et des dĂ©gâts matĂ©riels Ă©valuĂ©s Ă  plusieurs centaines de millions de dollars[140]. Selon l'historien AndrĂ© Kaspi, le bilan humain total des violences raciales entre 1965 et 1968 fut d'au moins 225 morts et 4 000 blessĂ©s[139]. MĂŞme si des Blancs avaient pris part aux Ă©meutes, ces dernières furent essentiellement le fait des Afro-AmĂ©ricains qui dĂ©nonçaient la discrimination en matière de logement, d'emploi et d'Ă©ducation[141].

À la suite des événements survenus à Newark et à Détroit, le président Johnson constitua la commission Kerner, composée de onze membres, afin d'enquêter sur les origines des émeutes et de proposer des solutions susceptibles d'empêcher ce type d'incident de se reproduire à l'avenir. Les conclusions du rapport de la commission, rendu en 1968, contenaient la phrase suivante : « notre nation se dirige vers une société à deux faces, l'une blanche, l'autre noire — séparées et inégales ». La commission prévenait qu'à moins de changements majeurs un « système d'apartheid » s'instaurerait dans les grandes villes américaines. Elle reprochait également aux citoyens blancs de la classe moyenne de négliger complètement les Afro-Américains et suggérait des mesures pour lutter contre la ségrégation raciale et la pauvreté[142]. Johnson, très préoccupé par la situation au Viêt Nam, était parfaitement conscient des contraintes budgétaires et il ne consacra que peu d'attention au rapport[140].

Soldats montant la garde à Washington D.C. après des émeutes raciales à la suite de la mort de Martin Luther King.

Un mois après la publication des travaux de la commission Kerner, l'assassinat de Martin Luther King le engendra une nouvelle vague de protestations dans plus de 130 villes à travers le pays[143]. Quelques jours plus tard, discutant des événements avec son attaché de presse George Christian, Johnson déclara : « à quoi vous attendiez-vous ? Je ne sais pas pourquoi nous sommes si surpris. Quand vous posez votre pied sur le cou d'un homme et que vous le maintenez dans cette position pendant trois cents ans, puis que vous le lâchez, que va-t-il faire ? Il va vous envoyer au tapis »[144]. Le Congrès avait adopté dans l'intervalle l’Omnibus Crime Control and Safe Streets Act of 1968 qui augmentait les financements alloués aux forces de l'ordre et autorisait les écoutes téléphoniques sous certaines conditions. Johnson envisageait initialement de mettre son veto à la loi mais la popularité dont semblait bénéficier le texte le convainquit de le ratifier[145].

Initiatives culturelles

Johnson accrut le champ d'action du gouvernement fédéral dans le domaine des arts, des sciences humaines et de l'audiovisuel. Son administration créa le Fonds national pour les sciences humaines et le Fonds national pour les arts afin de soutenir les lettres et les artistes, comme jadis la Work Projects Administration à l'époque du New Deal[146] - [147]. En 1967, Johnson ratifia la loi sur l'audiovisuel public afin de stimuler le développement des programmes éducatifs à la télévision. Le gouvernement avait acquis dans les années 1950 des programmes radiophoniques à des fins éducatives et la Commission fédérale des communications, sous l'autorité du président Kennedy, avait octroyé pour la première fois des subventions gouvernementales à des chaînes de télévision. Johnson souhaitait créer une télévision publique dynamique qui mettrait l'accent sur la diversité locale et les programmes éducatifs. Cette loi, fondée sur les recommandations de la commission Carnegie sur la télévision éducative, donna naissance à un maillage de chaînes de télévision publique décentralisé[148].

Programme spatial

Sous la présidence de Johnson, la NASA mit en œuvre le programme spatial habité Gemini, développa la fusée Saturn V et se prépara à effectuer les premiers vols habités du programme Apollo. Le , la nation fut stupéfaite en apprenant que les membres d'équipage d'Apollo 1, Virgil Grissom, Edward White et Roger Chaffee, avaient péri dans l'incendie du module de commande de leur vaisseau lors d'une répétition au sol sur la rampe de lancement. Cet accident mit un coup d'arrêt au programme. À la demande du directeur de la NASA James E. Webb, Johnson autorisa l'agence spatiale américaine à conduire sa propre enquête, dont elle devait se tenir responsable devant le Congrès et le président. L'agence mit rapidement sur pied une commission d'enquête pour déterminer les causes de l'incendie ; en parallèle, le Congrès tint des audiences destinées à suivre les travaux de la commission[149]. En dépit de ces événements, Johnson continua de faire confiance à la NASA[150].

LĂ©gislation sur les armes Ă  feu

À la suite des assassinats de John F. Kennedy, Robert F. Kennedy et Martin Luther King, Johnson signa deux lois importantes sur le contrôle des armes à feu. La volonté du président d'adopter une législation plus ferme à l'encontre des ventes d'armes était aussi motivée par des tueries de masse comme celle perpétrée par Charles Whitman[151]. Le , Johnson promulgua le Gun Control Act of 1968, l'une des lois fédérales les plus ambitieuses et les plus contraignantes vis-à-vis du contrôle des armes à feu dans l'histoire des États-Unis. Cette loi interdisait aux criminels condamnés, aux consommateurs de drogue et aux malades mentaux d'acheter des armes de poing et imposait des normes strictes en matière de registres et d'octroi de licences de tir[152]. Johnson souhaitait également obliger les propriétaires d'armes à feu à être titulaires d'une licence et répertorier l'ensemble des armes à feu en circulation, mais il ne put convaincre le Congrès d'agir en ce sens[153].

Prévention contre le tabac

En , le chirurgien gĂ©nĂ©ral des États-Unis Luther Terry publia un rapport dĂ©taillĂ© sur le tabagisme et le cancer du poumon. Terry dĂ©clara plus tard que ce rapport « fit l'effet d'une bombe dans le pays Â» et qu'il « fut publiĂ© en première page des journaux et en annonce principale dans toutes les chaĂ®nes de radio et de tĂ©lĂ©vision des États-Unis ainsi que dans de nombreux autres pays Â». Le rapport de Terry incita le Congrès Ă  adopter en une loi sur l'Ă©tiquetage et la publicitĂ© des cigarettes, qui obligeait les fabricants Ă  placer sur les paquets de cigarettes une mise en garde indiquant : « attention : le tabagisme peut ĂŞtre dangereux pour votre santĂ© Â»[154] - [155].

Politique étrangère

Guerre froide

Johnson et le chef du gouvernement soviétique Alexis Kossyguine à Glassboro, le .

Johnson entra en fonction en pleine guerre froide, à un moment où les relations entre les États-Unis et ses alliés d'une part, et l'Union soviétique et ses alliés d'autre part, étaient très tendues. Johnson n'avait pas l'enthousiasme de Kennedy pour la politique étrangère et les réformes qu'il souhaitait conduire en matière de politique intérieure passaient avant son implication dans les relations internationales[156]. Bien que favorable au principe de l'endiguement, Johnson prôna une politique de coexistence pacifique avec l'URSS qui constitua un préalable à la période de détente initiée dans les années 1970[157] - [158]. L'URSS chercha également à entretenir des rapports moins conflictuels avec les États-Unis du milieu à la fin des années 1960, une attitude motivée en partie par la rupture sino-soviétique. Johnson tenta d'apaiser les tensions avec la Chine en assouplissant les restrictions sur le commerce, mais le déclenchement de la révolution culturelle chinoise mit fin aux espoirs d'un rapprochement plus étroit entre les deux pays[159].

Johnson entendait par-dessus tout Ă©viter une guerre nuclĂ©aire et il chercha dans ce but Ă  rĂ©duire les tensions en Europe[160]. L'administration Johnson poursuivit les nĂ©gociations sur le contrĂ´le des armements avec l'Union soviĂ©tique avec la signature du traitĂ© de l'espace et jeta les bases des futures nĂ©gociations sur la limitation des armements stratĂ©giques[157]. Johnson eut une entrevue amicale avec le chef du gouvernement soviĂ©tique Alexis Kossyguine Ă  Glassboro en 1967, et en , les États-Unis, la Grande-Bretagne et l'URSS ratifièrent le traitĂ© sur la non-prolifĂ©ration des armes nuclĂ©aires dans lequel chacun des signataires s'engageait Ă  ne pas aider au dĂ©veloppement ou Ă  l'acquisition de l'arme nuclĂ©aire par d'autres pays. L'organisation d'une confĂ©rence sur le dĂ©sarmement nuclĂ©aire entre les deux « Grands Â» fut toutefois compromise par la rĂ©pression brutale du printemps de Prague par les forces soviĂ©tiques en [161].

Contexte et résolution du golfe du Tonkin

Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, les rĂ©volutionnaires vietnamiens menĂ©s par le communiste HĂ´ Chi Minh entrèrent en lutte contre la France afin d'obtenir l'indĂ©pendance de leur pays. En 1954, les accords de Genève consacrèrent la disparition de l'Indochine française et donnèrent naissance au royaume du Laos, au royaume du Cambodge, au Sud-ViĂŞt Nam et au Nord-ViĂŞt Nam, ce dernier Ă©tant contrĂ´lĂ© par les communistes du Việt Minh. La guerre du ViĂŞt Nam Ă©clata en 1955 lorsque les troupes nord-vietnamiennes, soutenues par l'URSS, la Chine et les autres gouvernements communistes, voulurent rĂ©unifier le ViĂŞt Nam en s'emparant du Sud-ViĂŞt Nam. Sous l'autoritĂ© du prĂ©sident Dwight D. Eisenhower, qui souhaitait empĂŞcher l'expansion du communisme en Asie du Sud-Est, les États-Unis remplacèrent la France comme principal protecteur du Sud-ViĂŞt Nam[162]. Des conseillers militaires amĂ©ricains furent dĂ©pĂŞchĂ©s sur place par Eisenhower puis par Kennedy[163], si bien qu'au moment oĂą Johnson arriva au pouvoir, 16 263 militaires amĂ©ricains Ă©taient prĂ©sents au Sud-ViĂŞt Nam, la plupart occupant des postes de non-combat[164]. MalgrĂ© ses doutes personnels, Johnson augmenta massivement l'implication des États-Unis dans le conflit[165] et le , au lendemain des funĂ©railles de Kennedy, il signa le NSAM (National Security Action Memoranda) 276 annulant le NSAM 263 que Kennedy avait signĂ© en et qui prĂ©voyait le retrait de 1 000 soldats amĂ©ricains du ViĂŞt Nam avant la fin de l'annĂ©e[166]. Il craignait en effet que la chute du Sud-ViĂŞt Nam ne porte atteinte Ă  la crĂ©dibilitĂ© des dĂ©mocrates sur les questions de sĂ©curitĂ© nationale[167] - [168] et il avait Ă©galement l'intention de poursuivre ce qu'il considĂ©rait comme la politique de Kennedy dans cette rĂ©gion[169]. Enfin, tout comme l'Ă©crasante majoritĂ© des hommes politiques amĂ©ricains du milieu des annĂ©es 1960, il Ă©tait dĂ©terminĂ© Ă  empĂŞcher la propagation du communisme[170].

En , la rumeur circula dans l'armĂ©e amĂ©ricaine que deux destroyers de l’US Navy avaient Ă©tĂ© attaquĂ©s Ă  la torpille par les Nord-Vietnamiens Ă  64 km au large des cĂ´tes du ViĂŞt Nam, dans le golfe du Tonkin. Cependant, les informations communiquĂ©es par la marine et les divers rapports menĂ©s sur l'attaque Ă©taient contradictoires. Bien que Johnson voulait Ă  tout prix Ă©viter d'aborder le sujet du ViĂŞt Nam dans le cadre de la campagne prĂ©sidentielle de 1964, il se sentit obligĂ© de rĂ©pondre Ă  cette prĂ©tendue agression et il demanda et obtint du Congrès la rĂ©solution du golfe du Tonkin le . Johnson, dĂ©terminĂ© Ă  renforcer son image sur le terrain de la politique Ă©trangère, souhaitait ainsi se prĂ©munir des critiques dont Truman avait fait l'objet pendant la guerre de CorĂ©e lorsqu'il Ă©tait intervenu militairement sans l'accord prĂ©alable du Congrès. Cette riposte Ă  la prĂ©tendue agression vietnamienne Ă©tait en outre un moyen commode de rĂ©pondre aux accusations de faiblesse lancĂ©es contre le prĂ©sident par les partisans du candidat rĂ©publicain Barry Goldwater. Ă€ travers cette rĂ©solution, le Congrès donna son accord Ă  l'utilisation de la force militaire afin de repousser de futures attaques et d'aider les pays membres de l'OTASE en cas de besoin. Au cours de la campagne, Johnson rĂ©affirma que le principal objectif des États-Unis restait la prĂ©servation de l'indĂ©pendance du Sud-ViĂŞt Nam via un appui matĂ©riel et la prĂ©sence de conseillers militaires, et qu'une doctrine offensive des troupes dĂ©ployĂ©es dans la zone n'Ă©tait pas Ă  l'ordre du jour[171]. Ă€ la fin de l'annĂ©e 1964, 23 000 soldats amĂ©ricains Ă©taient prĂ©sents au Sud-ViĂŞt Nam[172].

1965-1966

Le secrétaire à la Défense Robert McNamara et le général William Westmoreland au Viêt Nam, en 1965.

Après lecture d'un rapport de Bundy qui recommandait une intervention immĂ©diate des États-Unis pour Ă©viter la dĂ©faite, Johnson ordonna en une intense campagne de bombardement sur le Nord-ViĂŞt Nam. Cette opĂ©ration connue sous le nom de « Rolling Thunder », dont la durĂ©e initiale ne devait pas excĂ©der huit semaines[173], se poursuivit jusqu'en 1968, pĂ©riode durant laquelle les États-Unis larguèrent 864 000 tonnes de bombes sur les positions nord-vietnamiennes[174]. Johnson ne voulait pas avoir affaire Ă  l'opinion publique et les instructions qu'il fit parvenir en ce sens Ă  son administration Ă©taient très claires : aucune information ne devait circuler sur l'accroissement de l'effort de guerre amĂ©ricain. Le prĂ©sident pensait en effet qu'il serait plus Ă  mĂŞme d'inverser le cours de sa politique au ViĂŞt Nam en limitant la diffusion de certaines informations auprès du public et mĂŞme vis-Ă -vis du Congrès[173]. Au mois de mars, Bundy commença Ă  se montrer partisan de l'emploi des forces terrestres, soutenant que les opĂ©rations aĂ©riennes menĂ©es par les États-Unis ne suffiraient pas Ă  arrĂŞter l'offensive de HanoĂŻ contre le Sud. Johnson approuva une augmentation des effectifs militaires stationnĂ©s au ViĂŞt Nam et surtout un passage vers des missions d'ordre dĂ©fensif Ă  des missions d'ordre offensif. Il continua toutefois d'insister sur le fait que ces modifications ne devaient pas ĂŞtre prĂ©sentĂ©s comme un changement dans la politique amĂ©ricaine au ViĂŞt Nam. Plusieurs membres de l'administration, y compris McNamara, les gĂ©nĂ©raux William Westmoreland et Earle Wheeler, William Bundy et l'ambassadeur Maxwell Taylor, se montrèrent Ă©galement favorables Ă  une augmentation des effectifs et le nombre de militaires amĂ©ricains dĂ©ployĂ©s au ViĂŞt Nam fut portĂ© Ă  82 000 Ă  la mi-[175].

L'ambassadeur Taylor ayant rĂ©vĂ©lĂ© l'inefficacitĂ© des bombardements contre le Nord-ViĂŞt Nam[176], le gĂ©nĂ©ral Westmoreland conseilla au prĂ©sident de porter l'effectif des troupes terrestres Ă  175 000 hommes. Après consultation de ses principaux assistants, Johnson, par souci de discrĂ©tion, annonça lors d'une confĂ©rence de presse une augmentation des forces sur place Ă  125 000 hommes, dĂ©clarant par ailleurs que des troupes supplĂ©mentaires pourraient ĂŞtre envoyĂ©es en renfort sur demande. Afin d'attĂ©nuer l'impact de cette information, Johnson annonça en mĂŞme temps la nomination d'Abe Fortas Ă  la Cour suprĂŞme et celle de John Chancellor comme directeur de La Voix de l'AmĂ©rique. Johnson se dĂ©crivit lui-mĂŞme Ă  cette Ă©poque comme tiraillĂ© entre deux options dĂ©sagrĂ©ables : envoyer des AmĂ©ricains mourir au ViĂŞt Nam ou cĂ©der face aux communistes. L'envoi de troupes supplĂ©mentaires risquait de le faire passer pour un interventionniste mais il pensait qu'un manque de rĂ©action lui serait aussi vivement reprochĂ©[177], et en , plus de 200 000 soldats se trouvaient dĂ©ployĂ©s au ViĂŞt Nam[178]. La plupart de ces soldats avaient Ă©tĂ© enrĂ´lĂ©s Ă  la fin de leur lycĂ©e et un nombre disproportionnĂ© d'entre eux Ă©taient issus de familles pauvres (les Ă©tudiants Ă  l'universitĂ© pouvaient quant Ă  eux obtenir un report de leur convocation Ă  l'armĂ©e)[179].

Johnson décorant un soldat américain lors d'une visite au Viêt Nam en 1966.

À partir de 1966, Johnson consacra de plus en plus de temps à la gestion du conflit, au détriment des réformes sociales[180]. Au début de l'année, Robert Kennedy critiqua sévèrement les bombardements ordonnés par Johnson, estimant que les États-Unis étaient en train de se diriger « sur une route à partir de laquelle il n'y a pas de point de retour, une route qui mène à la catastrophe pour l'humanité toute entière »[181]. Peu de temps après, le comité des affaires étrangères du Sénat, présidé par le sénateur J. William Fulbright, réalisa des audiences télévisées qui examinaient la politique américaine au Viêt Nam[182]. L'impatience des parlementaires à l'encontre du président et les doutes exprimés sur sa stratégie militaire continuaient de croître à Capitol Hill. En juin, Richard Russell, président du comité des forces armées du Sénat, dans une phrase qui reflétait l'état d'esprit du pays, déclara à propos de la guerre qu'il était temps « de s'en sortir ou d'en sortir tout court »[183].

Ă€ l'automne 1966, de nombreuses sources concordantes rapportèrent que des progrès avaient Ă©tĂ© faits contre la logistique et les infrastructures nord-vietnamiennes, et Johnson fut pressĂ© de toute part d'entamer des nĂ©gociations de paix avec HanoĂŻ. Le fossĂ© avec le rĂ©gime du Nord-ViĂŞt Nam Ă©tait toutefois trop grand, chacun des deux belligĂ©rants demandant un arrĂŞt des bombardements et un retrait unilatĂ©ral des forces armĂ©es. Averell Harriman fut nommĂ© « ambassadeur de la paix Â» auprès du prĂ©sident pour promouvoir les nĂ©gociations. Westmoreland et McNamara recommandèrent un programme concertĂ© en matière de pacification et Johnson plaça formellement cette responsabilitĂ© sous contrĂ´le militaire en octobre[184]. De son cĂ´tĂ©, Johnson devenait de plus en plus soucieux de justifier les pertes militaires et, en dĂ©pit de l'impopularitĂ© de la cause, expliqua qu'il Ă©tait nĂ©cessaire d'obtenir une victoire dĂ©cisive dans les plus brefs dĂ©lais[185]. NĂ©anmoins, il devint clair Ă  la fin de l'annĂ©e que les nĂ©gociations de paix, tout comme les opĂ©rations aĂ©riennes, Ă©taient inefficaces. En 1967, Johnson accepta Ă  la demande de McNamara d'envoyer 70 000 soldats supplĂ©mentaires par rapport aux 400 000 dĂ©jĂ  engagĂ©s. Il ordonna Ă©galement d'intensifier les bombardements aĂ©riens, cette fois-ci sur le conseil de la CIA[186]. Cette dernière directive fut appliquĂ©e alors que des discussions secrètes Ă©taient en cours Ă  SaĂŻgon, HanoĂŻ et Varsovie. Les bombardements mirent fin Ă  ces pourparlers mais les intentions nord-vietnamiennes n'Ă©taient de toute façon pas considĂ©rĂ©es comme sincères par leurs interlocuteurs amĂ©ricains[187].

1967-1969

Lyndon Johnson discutant avec son secrétaire à la Défense Robert McNamara en 1967.

En , lors d’un discours au Sénat, Robert Kennedy réaffirma publiquement son opposition à la guerre. Selon l’historien Robert Dallek, cette voix discordante et la probable candidature de Kennedy à l’élection présidentielle de 1968 empêchèrent Johnson, empêtré dans le bourbier vietnamien, de donner un caractère plus réaliste à sa politique au Viêt Nam[188]. Au mois de mai, McNamara proposa à Johnson une voie de sortie, où l’administration américaine expliquerait que ses objectifs politiques, c’est-à-dire l’autodétermination de la république du Viêt Nam, étaient en train de se concrétiser et que les élections qui devaient s’y tenir au mois de septembre permettraient la formation d’un gouvernement de coalition. Les États-Unis pouvaient raisonnablement s’attendre à ce que le Sud-Viêt Nam assume la responsabilité du résultat des élections, mais Johnson était rendu réticent par des rapports optimistes quoique d’une fiabilité discutable qui donnaient tort aux évaluations négatives sur le conflit et laissaient entrevoir une amélioration de la situation. La CIA signalait par ailleurs des pénuries alimentaires importantes à Hanoï, l’instabilité du réseau électrique et la baisse des effectifs militaires déployés sur la zone de conflit[189].

Vers le milieu de l’annĂ©e 1967, près de 70 000 AmĂ©ricains avaient Ă©tĂ© tuĂ©s ou blessĂ©s au ViĂŞt Nam et la guerre Ă©tait frĂ©quemment dĂ©crite dans les mĂ©dias et ailleurs comme Ă©tant dans une « impasse »[190]. En juillet, Johnson demanda Ă  McNamara, Wheeler et d’autres fonctionnaires de rencontrer Westmoreland afin de parvenir Ă  un accord sur la conduite ultĂ©rieure des opĂ©rations. Westmoreland sollicita Ă  nouveau 80 000 Ă  200 000 soldats supplĂ©mentaires en plus des 470 000 dĂ©jĂ  prĂ©sents au ViĂŞt Nam[191]. Johnson accepta d’envoyer 55 000 soldats en renfort ce qui porta le total des forces amĂ©ricaines sur place Ă  525 000 hommes[192]. Au mois d’aoĂ»t, Johnson, soutenu par les chefs d’état-major interarmĂ©es, dĂ©cida d’intensifier les bombardements aĂ©riens, les seules cibles exemptĂ©es Ă©tant HanoĂŻ, HaĂŻphong et une zone tampon avec la Chine. Plus tard dans le mois, McNamara confia Ă  un sous-comitĂ© du SĂ©nat qu’une intensification des opĂ©rations aĂ©riennes n’amènerait pas pour autant HanoĂŻ Ă  la table des nĂ©gociations. Les membres du comitĂ© d’état-major interarmĂ©es furent stupĂ©faits et menacèrent de dĂ©missionner massivement. A la suite de cet incident, McNamara fut convoquĂ© Ă  la Maison-Blanche et fut vertement rĂ©primandĂ© par le prĂ©sident pendant trois heures ; cependant, Johnson avait reçu des rapports de la CIA qui confirmaient au moins en partie l’analyse de son secrĂ©taire Ă  la DĂ©fense. Dans l’intervalle, une Ă©lection organisĂ©e au Sud-ViĂŞt Nam avait amenĂ© au pouvoir un gouvernement constitutionnel et permettait d'envisager une reprise des nĂ©gociations Ă  court terme[193].

Le prĂ©sident Johnson en rĂ©union avec les « sages Â», un groupe d'experts de la politique Ă©trangère, au sujet de la situation militaire au ViĂŞt Nam en novembre 1967.

Confronté à une impasse militaire et à la désapprobation généralisée du conflit, Johnson convoqua un groupe d’experts chevronnés en matière de politique étrangère, officieusement connus sous le nom de « sages », afin d’avoir une vision renouvelée et approfondie de la situation au Viêt Nam. Ce comité réunissait Dean Acheson, le général Omar Bradley, George Ball, McGeorge Bundy, Arthur Dean, Douglas Dillon, Abe Fortas, Averell Harriman, Henry Cabot Lodge, Robert Murphy et Maxwell Taylor[194]. Tous s’opposèrent unanimement à un retrait du Viêt Nam et encouragèrent Johnson à « maintenir le cap »[195]. Peu après, le , lors d’une allocution télévisée, le président affirma au peuple américain : « nous infligeons des pertes bien plus grandes que celles que nous essuyons […] Nous faisons des progrès ». Moins de deux semaines après cette déclaration, Robert McNamara démissionna de son poste de secrétaire à la Défense. Il avait déjà commencé en privé à exprimer régulièrement ses doutes sur la stratégie adoptée par Johnson, ce qui avait mis en colère le président. Son nom vint grossir la liste des principaux assistants de Johnson ayant démissionné au cours du conflit, avec Bill Moyers, McGeorge Bundy et George Ball[181] - [196].

Carte de l'offensive du TĂŞt en janvier 1968.

Le , les ViĂŞt-Cong et les Nord-Vietnamiens dĂ©clenchèrent l’offensive du TĂŞt contre les cinq plus grandes villes du ViĂŞt Nam. Bien que cette offensive eĂ»t Ă©chouĂ© militairement, elle se solda par une victoire mĂ©diatique et retourna dĂ©finitivement l’opinion publique amĂ©ricaine contre la guerre. De façon symbolique, le prĂ©sentateur de CBS News Walter Cronkite, Ă©lu « personne la plus digne de confiance » de la nation en fĂ©vrier, dĂ©clara Ă  l’antenne que le conflit Ă©tait dans une impasse et que de nouveaux efforts militaires ne serviraient Ă  rien. La rĂ©action de Johnson fut sans appel : « si j’ai perdu Cronkite, j’ai perdu l’AmĂ©rique »[197]. La guerre du ViĂŞt Nam Ă©tait en effet devenu très impopulaire, 26 % de la population amĂ©ricaine approuvant la gestion du conflit par Johnson contre 63 % la dĂ©sapprouvant. Johnson dĂ©cida malgrĂ© tout d’envoyer un contingent supplĂ©mentaire de 22 000 soldats au ViĂŞt Nam, alors mĂŞme que le comitĂ© d’état-major interarmĂ©es lui conseillait d’en envoyer dix fois ce nombre[198].

En , Johnson Ă©tait secrètement dĂ©sespĂ©rĂ© de parvenir Ă  sortir les États-Unis de cette guerre. Clark Clifford, le nouveau secrĂ©taire Ă  la DĂ©fense, estima que la guerre ne pouvait plus ĂŞtre gagnĂ©e et proposa d’en sortir « en limitant les dĂ©gâts »[199]. Johnson ordonna dans un premier temps de limiter les opĂ©rations aĂ©riennes, ce qui fit que 90 % de la population nord-vietnamienne et 75 % du territoire du Nord-ViĂŞt Nam furent dĂ©sormais Ă©pargnĂ©s par les bombardements. Le , après avoir Ă©tĂ© briefĂ©s par des fonctionnaires du dĂ©partement d’État, du Pentagone et de la CIA, les « Sages » se rĂ©unirent une fois de plus avec le prĂ©sident[195]. Ils lui dĂ©conseillèrent Ă  ce stade toute nouvelle augmentation des effectifs et se montrèrent favorable Ă  la recherche d’une paix nĂ©gociĂ©e par l’administration amĂ©ricaine. D’abord rendu furieux Ă  l’annonce de ces conclusions, Johnson dut cependant rapidement convenir que leur Ă©valuation de la situation Ă©tait exacte[200].

Le , Johnson annonça vouloir mettre un terme aux bombardements au Nord-Viêt Nam et déclara dans le même temps qu’il ne serait pas candidat à sa réélection[201]. En avril, il parvint à ouvrir les pourparlers de paix et, après de longues discussions sur le choix du site, les deux belligérants s’entendirent pour Paris où les négociations débutèrent en mai. Elles ne débouchèrent sur aucun résultat probant mais des discussions informelles continuèrent de se dérouler à Paris jusqu'au mois de juin, sans plus de succès[202]. En août, Harriman, Vance, Clifford et Bundy conseillèrent au président d’arrêter les bombardements pour inciter Hanoï à s’engager sérieusement dans les négociations de paix, mais Johnson refusa[203]. Au mois d’octobre, alors que les deux partis semblaient être sur le point de parvenir à un accord en vue d’un arrêt des bombardements, Richard Nixon, le candidat républicain à l’élection présidentielle, informa les Sud-Vietnamiens qu’il était prêt à leur proposer des conditions plus avantageuses afin de faire traîner en longueur les négociations[204]. Durant la période de transition présidentielle, l’objectif principal de Johnson au sujet du Viêt Nam était de parvenir à convaincre Saïgon de se joindre aux pourparlers de paix à Paris, ce que les dirigeants sud-vietnamiens ne consentirent à faire qu’après y avoir été vivement encouragés par Nixon. Les débats se réduisirent alors essentiellement à des questions de procédure jusqu’à l’investiture de Nixon à la Maison-Blanche, le [205]. Johnson résuma par la suite sa vision de la guerre du Viêt Nam à la journaliste et historienne Doris Kearns :

« Je savais dès le départ que, quoique je fasse, je serais crucifié. Si je quittais la femme que j'aimais vraiment‍ — la Grande société‍ — pour m'engager dans cette saloperie de guerre à l'autre bout du monde, je perdais tout sur le front intérieur : tous mes programmes, et tous mes espoirs de nourrir les affamés et de loger les sans-abri […] Mais si je me retirais de cette guerre et laissais les communistes s'emparer du Sud-Viêt Nam, j'aurais été considéré comme un lâche et ma nation comme une conciliatrice ; et nous aurions été tous deux dans l'impossibilité d'accomplir quoi que ce soit pour qui que ce soit, où que ce soit dans le monde[206]. »

Moyen-Orient

L'USS Liberty après l'incident du 8 juin 1967, au cours duquel le navire fut attaqué par erreur par l'armée israélienne.

La politique de Johnson au Moyen-Orient reposait sur les « trois piliers » qu'Ă©taient IsraĂ«l, l'Arabie Saoudite et l'Iran. Au milieu des annĂ©es 1960, le dĂ©veloppement du programme nuclĂ©aire israĂ©lien contribua Ă  accroĂ®tre les tensions entre IsraĂ«l et les pays arabes voisins, en particulier l'Égypte. Ă€ la mĂŞme pĂ©riode, l'Organisation de libĂ©ration de la Palestine lança des attaques terroristes contre IsraĂ«l depuis ses bases en Cisjordanie et sur le plateau du Golan. L'administration Johnson voulut se poser en mĂ©diateur dans ce conflit, mais elle fit savoir par l'intermĂ©diaire de Fortas et d'autres administrateurs qu'elle ne s'opposerait pas Ă  une action militaire israĂ©lienne. Le , IsraĂ«l lança une attaque contre l'Égypte, la Syrie et la Jordanie connue sous le nom de « guerre des Six Jours Â». IsraĂ«l occupa rapidement Gaza, la Cisjordanie, JĂ©rusalem-Est et la pĂ©ninsule du SinaĂŻ. Le , l'armĂ©e israĂ©lienne s'en prit par erreur Ă  l'USS Liberty, un navire amĂ©ricain ; les causes de cette attaque restent sujettes Ă  controverse, mais les États-Unis acceptèrent le paiement d'une indemnitĂ© et des excuses officielles d'IsraĂ«l. Alors que les forces israĂ©liennes se rapprochaient de Damas, la capitale syrienne, l'URSS menaça d'entrer en guerre si Tel-Aviv n'acceptait pas immĂ©diatement un cessez-le-feu. PressĂ© par Johnson, le gouvernement israĂ©lien finit par donner son accord et la guerre prit fin le . Quelques mois plus tard, les États-Unis et la Grande-Bretagne soutinrent la rĂ©solution 242 du Conseil de sĂ©curitĂ© de l'ONU qui prĂ©voyait le retrait des troupes israĂ©liennes des territoires occupĂ©s au cours du conflit[207].

Amérique latine

Sous l'Ă©gide du sous-secrĂ©taire d'État Thomas C. Mann, les États-Unis s'impliquèrent fortement dans l'Alliance pour le progrès de Kennedy qui fournissait une aide Ă©conomique Ă  l'AmĂ©rique latine. Cette politique fut vidĂ©e de son contenu par sa politique du gros bâton : soutien affirmĂ© dès son avènement aux dictatures militaires de la RĂ©publique dominicaine, du Honduras, d'HaĂŻti, du Paraguay, de l'Uruguay et au coup d'Ă©tat du qui renversa au BrĂ©sil, Joao Goulart. Ă€ l'instar de Kennedy, Johnson chercha Ă  isoler Cuba qui Ă©tait sous la domination de Fidel Castro. En 1965, la guerre civile dominicaine Ă©clata entre le gouvernement du prĂ©sident Donald Reid Cabral et les partisans de l'ancien prĂ©sident Juan Bosch. Johnson dĂ©ploya plus de 20 000 marines en RĂ©publique dominicaine afin d'Ă©vacuer les ressortissants amĂ©ricains et rĂ©tablir l'ordre. Les États-Unis aidèrent Ă©galement Ă  l'Ă©tablissement d'un accord qui prĂ©voyait la tenue de nouvelles Ă©lections. L'utilisation de la force par Johnson pour mettre fin Ă  la guerre civile fut vivement contestĂ©e en AmĂ©rique latine, mais l'importance de la rĂ©gion pour l'administration diminua lorsque la politique Ă©trangère de Johnson fut de plus en plus dominĂ©e par la guerre du ViĂŞt Nam[208].

Grande-Bretagne et Europe de l'Ouest

Le président Johnson et le Premier ministre britannique Harold Wilson à la Maison-Blanche, en juillet 1966.

Le Premier ministre britannique Harold Wilson, en fonction de 1964 Ă  1970, entendait bâtir une « relation spĂ©ciale Â» forte avec les États-Unis et souhaitait mettre en Ă©vidence ses rapports avec la Maison-Blanche pour amĂ©liorer son image. Toutefois, Johnson n'aimait pas Wilson et il ignora toute forme de relation spĂ©ciale durant son mandat. Le ViĂŞt Nam, en particulier, Ă©tait un point de tension rĂ©current entre les deux pays[209]. Johnson, soucieux de redorer le prestige de la puissance amĂ©ricaine, voulaient que les Britanniques participent Ă  cette guerre, mais Wilson refusa d'intervenir militairement et se contenta d'apporter un soutien verbal Ă  Johnson[210]. Wilson et Johnson avaient Ă©galement des avis opposĂ©s sur la relative faiblesse de l'Ă©conomie britannique et de son dĂ©clin sur la scène internationale. Pour l'historien Jonathan Colman, cette forte divergence de point de vue a contribuĂ© Ă  faire de cette « relation spĂ©ciale Â» la plus dĂ©cevante du XXe siècle[211].

À mesure que les économies de l'Europe de l'Ouest se rétablissaient, les dirigeants européens cherchaient de plus en plus à établir un partenariat d'égal à égal avec les États-Unis. Cette tendance, combinée avec la politique de conciliation de Johnson envers l'Union soviétique et l'escalade américaine dans la guerre du Viêt Nam, conduisit à des fractures au sein de l'OTAN. Lorsque Johnson demanda l'envoi de renforts même symboliques au Sud-Viêt Nam aux autres dirigeants des pays membres de l'OTAN, ces derniers refusèrent, arguant qu'ils n'avaient aucun intérêt stratégique dans cette région. L'Allemagne de l'Ouest et surtout la France continuèrent à mener une politique étrangère indépendante, et en 1966, le président français Charles de Gaulle décida de retirer la France du commandement intégré de l'OTAN. Le départ de la France et les réductions du budget de la défense pratiquées en Allemagne de l'Ouest et en Grande-Bretagne affaiblirent considérablement l'organisation mais celle-ci continua toutefois à perdurer ; Johnson s'abstint de critiquer de Gaulle et il refusa, contre l'avis de certains de ses conseillers, de diminuer les effectifs des troupes américaines déployées sur le continent européen[212].

Asie du Sud

Depuis 1954, l'alliance entre les États-Unis et le Pakistan avait incité l'Inde à se rapprocher de l'Union soviétique. Johnson était convaincu qu'une politique plus impartiale à l'égard de ces deux pays permettrait d'atténuer les tensions en Asie du Sud et d'ancrer plus fortement les gouvernements d'Islamabad et de New Delhi dans le giron américain. Pour ce faire, il mit fin à la séparation américaine traditionnelle de l'Asie du Sud entre « alliés » et « neutres » et s'efforça de consolider les relations avec l'Inde et le Pakistan en fournissant des armes et de l'argent à chacun tout en maintenant une position de neutralité dans les nombreuses querelles frontalières opposant les deux nations voisines. Sa politique ne produisit toutefois pas les résultats escomptés en ce qu'elle poussa le Pakistan à intensifier le dialogue avec la Chine communiste et l'Inde à se rapprocher encore davantage de l'URSS[213]. Du côté des dirigeants, Johnson avait ambitionné de cultiver des relations personnelles étroites avec le Premier ministre indien Lal Bahadur Shastri et le président pakistanais Ayub Khan, mais sa décision d'annuler la visite de ces deux dirigeants à Washington, à la suite du voyage d'Ayub Khan en Chine en , exacerba le sentiment antiaméricain dans leurs pays respectifs[214].

DĂ©placements internationaux

Johnson fit onze voyages internationaux dans vingt pays au cours de sa prĂ©sidence[215]. En , il accomplit le premier voyage d'un chef d'État amĂ©ricain autour du monde Ă  l'occasion des funĂ©railles du Premier ministre australien Harold Holt, disparu en mer et prĂ©sumĂ© mort. L'avion prĂ©sidentiel, Air Force One, parcourut 43 386 km en quatre jours et demi. Après avoir assistĂ© aux obsèques de Holt Ă  Melbourne, Johnson fit escale au Sud ViĂŞt Nam, au Pakistan et enfin Ă  Rome avant de regagner Washington juste avant les fĂŞtes de NoĂ«l[216].

Pays visités par Johnson sous sa présidence.
Dates Pays Lieux Raisons du déplacement
1 16 septembre 1964 Drapeau du Canada Canada Vancouver Visite informelle. Rencontre avec le Premier ministre Lester B. Pearson.
2 14 au 15 avril 1966 Drapeau du Mexique Mexique Mexico Visite informelle. Rencontre avec le président Gustavo Díaz Ordaz.
3 21 au 22 août 1966 Drapeau du Canada Canada Île Campobello Inauguration du parc international Roosevelt de Campobello. Rencontre informelle avec le Premier ministre Lester B. Pearson.
4 19 au 20 octobre 1966 Drapeau de la Nouvelle-ZĂ©lande Nouvelle-ZĂ©lande Wellington Visite officielle. Rencontre avec le Premier ministre Keith Holyoake.
20 au 23 octobre 1966 Drapeau de l'Australie Australie Canberra
Melbourne
Sydney
Brisbane
Townsville
Visite officielle. Rencontre avec le gouverneur gĂ©nĂ©ral Richard Casey et le Premier ministre Harold Holt. Conçu Ă  l'origine comme une « visite de remerciement Â» pour le soutien indĂ©fectible du gouvernement australien Ă  l'effort de guerre au ViĂŞt Nam, le prĂ©sident et la première dame furent accueillis par des manifestants anti-guerre[217].
24 au 26 octobre 1966 Drapeau des Philippines Philippines Manille
Los Baños
Corregidor
Sommet avec les chefs d'État et de gouvernement d'Australie, de Corée du Sud, de la Nouvelle-Zélande, des Philippines, du Sud-Viêt Nam et de la Thaïlande. À l'issue de cette réunion, les dirigeants se déclarèrent résolus à combattre l'agression communiste et à promouvoir la démocratie et le développement au Viêt Nam et à travers l'Asie[218].
26 octobre 1966 Drapeau de la République du Sud-Viêt Nam République du Viêt Nam Baie de Cam Ranh Déplacement auprès des troupes engagées dans la guerre du Viêt Nam.
27 au 30 octobre 1966 Drapeau de la ThaĂŻlande ThaĂŻlande Bangkok Visite officielle. Rencontre avec le roi Rama IX.
30 au 31 octobre 1966 Drapeau de la Malaisie Malaisie Kuala Lumpur Visite officielle. Rencontre avec le Premier ministre Tunku Abdul Rahman.
31 octobre au 2 novembre 1966 Drapeau de la Corée du Sud Corée du Sud Séoul Visite officielle. Rencontre avec le président Park Chung-hee et le Premier ministre Chung Il-kwon. Discours devant l'Assemblée nationale.
5 3 décembre 1966 Drapeau du Mexique Mexique Ciudad Acuña Visite informelle. Rencontre avec le président Gustavo Díaz Ordaz. Inspection du chantier du barrage Amistad.
6 11 au 14 avril 1967 Drapeau de l'Uruguay Uruguay Punta del Este Sommet avec les chefs d'État d'Amérique latine.
14 avril 1967 Drapeau du Suriname Suriname Paramaribo Ravitaillement aérien au retour de l'Uruguay.
7 23 au 26 avril 1967 Allemagne de l'Ouest Allemagne de l'Ouest Bonn Présence aux funérailles du chancelier Konrad Adenauer et entretiens avec divers chefs d'État.
8 25 mai 1967 Drapeau du Canada Canada Montréal Rencontre avec le gouverneur général Roland Michener. Visite de l'exposition universelle de 1967. Rencontre informelle avec le Premier ministre Lester B. Pearson.
9 28 octobre 1967 Drapeau du Mexique Mexique Ciudad Juarez Inauguration du nouveau tracé des frontières du territoire de Chamizal entre les États-Unis et le Mexique. Rencontre avec le président Gustavo Díaz Ordaz.
10 21 au 22 décembre 1967 Drapeau de l'Australie Australie Canberra Présence aux funérailles du Premier ministre Harold Holt et entretiens avec divers chefs d'État[217].
23 décembre 1967 Drapeau de la Thaïlande Thaïlande Khorat Déplacement auprès des troupes américaines.
23 décembre 1967 Drapeau de la République du Sud-Viêt Nam République du Viêt Nam Baie de Cam Ranh Déplacement auprès des troupes américaines engagées dans la guerre du Viêt Nam. S'adressant aux troupes, Johnson déclara : « tous les défis ont été relevés ; l'ennemi n'est pas vaincu, mais il sait à présent qu'il a rencontré son maître sur le champ de bataille »[181].
23 décembre 1967 Drapeau du Pakistan Pakistan Karachi Rencontre avec le président Muhammad Ayub Khan.
23 décembre 1967 Drapeau de l'Italie Italie Rome Rencontre avec le président Giuseppe Saragat et le Premier ministre Aldo Moro.
23 décembre 1967 Drapeau du Vatican Vatican Palais du Vatican Audience avec le pape Paul VI.
11 6 au 8 juillet 1968 Drapeau du Salvador Salvador San Salvador Conférence des présidents des républiques d'Amérique centrale.
8 juillet 1968 Drapeau du Nicaragua Nicaragua Managua Visite informelle. Rencontre avec le président Anastasio Somoza Debayle.
8 juillet 1968 Drapeau du Costa Rica Costa Rica San José Visite informelle. Rencontre avec le président José Joaquín Trejos Fernández.
8 juillet 1968 Drapeau du Honduras Honduras San Pedro Sula Visite informelle. Rencontre avec le président Oswaldo López Arellano.
8 juillet 1968 Drapeau du Guatemala Guatemala Guatemala Rencontre avec le président Julio César Méndez Montenegro.

Échéances électorales

Élection présidentielle de 1964

Cote de popularité de Johnson sous sa présidence, selon l'institut Gallup.

Le gouverneur George Wallace, partisan de la ségrégation, participa à un certain nombre de primaires démocrates en vue de l'élection présidentielle de 1964, réalisant des scores importants dans plusieurs États. En juin de la même année, Wallace annonça qu'il briguerait la présidence en tant que candidat indépendant ou comme représentant d'un troisième parti. Pendant ce temps, le Parti républicain organisa une série de primaires qui mit aux prises le sénateur de l'Arizona Barry Goldwater, un conservateur, et le gouverneur progressiste de l'État de New York, Nelson Rockefeller. Ce dernier, donné initialement favori, vit sa candidature sérieusement compromise à la suite de son divorce et fut finalement devancé par Goldwater, qui décrocha l'investiture à la convention nationale républicaine de . Après la nomination de Goldwater, Wallace, à la demande des conservateurs du Sud, accepta de retirer sa candidature[219].

À la convention nationale démocrate, Johnson fut triomphalement désigné comme candidat du parti à l'élection présidentielle et fut acclamé pour son bilan après moins d'une année au pouvoir[220]. Au début de la campagne, Robert Kennedy faisait figure de candidat idéal pour postuler à la vice-présidence aux côtés de Johnson, mais les deux hommes n'avaient aucune affection l'un pour l'autre[221]. Hubert Humphrey, le sénateur du Minnesota, fut finalement sélectionné comme colistier de Johnson car ce dernier pensait qu'il l'aiderait à gagner dans le Midwest et dans le bassin industriel du Nord-Est[124]. Johnson, qui connaissait parfaitement le degré de frustration inhérent à la fonction de vice-président, obligea Humphrey à se soumettre à toute une série d'entretiens afin de s'assurer de sa loyauté absolue. Une fois sa décision prise, il ne rendit ce choix public qu'au dernier moment, laissant courir la rumeur afin de bénéficier d'une couverture médiatique maximale[222]. À l'issue de la convention, les sondages donnaient Johnson vainqueur par une confortable avance au niveau national[223].

Résultats de l'élection présidentielle américaine de 1964.

Johnson et Goldwater s'efforcèrent tous les deux de prĂ©senter cette Ă©lection comme un choix entre progressistes et conservateurs. Goldwater lui-mĂŞme Ă©tait peut-ĂŞtre le candidat le plus conservateur prĂ©sentĂ© par un grand parti depuis l'instauration du New Deal[224]. Au dĂ©but de la campagne, il apparut comme un concurrent sĂ©rieux dont la popularitĂ© au sein de l'Ă©lectorat sudiste menaçait de faire basculer les États du Sud dans le camp rĂ©publicain. Toutefois, au fil des semaines, la campagne de Goldwater commença Ă  s'essouffler. Le , l'Ă©quipe de campagne de Johnson diffusa le Daisy ad, une publicitĂ© qui dĂ©peignait Goldwater comme un dangereux va-t-en-guerre et dont l'impact fut considĂ©rable au sein de la population[225]. Ceci, combinĂ© avec une collecte de fonds efficace, l’extrĂ©misme du programme de Goldwater, la mauvaise organisation de la campagne du candidat rĂ©publicain et la popularitĂ© de Johnson, permit aux dĂ©mocrates de remporter une victoire Ă©crasante sur leurs adversaires[226]. Johnson remporta en effet cette Ă©lection par un raz-de-marĂ©e, raflant 61,05 % des suffrages, soit la plus large part du vote populaire jamais remportĂ©e par un candidat Ă  la prĂ©sidence. Au sein du collège Ă©lectoral, Johnson battit Goldwater par 486 voix contre 52[227]. Celui-ci n'arriva en tĂŞte que dans son État natal de l'Arizona et dans cinq États du Sud profond[228].

Élections de mi-mandat de 1966

Lors des élections de mi-mandat de 1966, les démocrates perdirent 47 sièges à la Chambre des représentants et trois au Sénat[229]. En dépit de ce recul, les démocrates conservèrent la majorité dans les deux chambres du Congrès, mais cette situation était précaire car les démocrates du Sud menaçaient de quitter le parti[230]. Les républicains avaient fait campagne sur le thème de l'insécurité à la suite des émeutes urbaines et sur la critique de la gestion de la guerre du Viêt Nam par Johnson. Ils avaient également pointé du doigt la morosité de l'économie, mettant en garde contre la menace de l'inflation et l'augmentation des déficits[231]. Les pertes démocrates furent particulièrement lourdes chez les progressistes, ce qui signifiait que Johnson allait avoir plus de mal à faire adopter ses projets de loi au Congrès[232]. Ces élections aidèrent également les républicains à redorer leur image après la désastreuse campagne de 1964[233].

Primaires présidentielles

Johnson, qui avait remplacĂ© Kennedy en 1963 pour un mandat de seulement deux ans, Ă©tait constitutionnellement Ă©ligible Ă  un second mandat complet au moment de l'Ă©lection prĂ©sidentielle de 1968, conformĂ©ment aux dispositions du 22e amendement[234]. Cependant, Ă  partir de 1966, la presse releva une perte de crĂ©dibilitĂ© entre ce que Johnson racontait dans ses confĂ©rences de presse et ce qui se passait rĂ©ellement au ViĂŞt Nam[235]. Ă€ la fin de l'annĂ©e, le gouverneur dĂ©mocrate du Missouri, Warren E. Hearnes, prĂ©vint Johnson qu'il perdrait dans son État par 100 000 voix d'Ă©cart, alors mĂŞme qu'il l'avait emportĂ© par 500 000 voix d'avance en 1964. Hearnes rapporta que la position du prĂ©sident avait Ă©tĂ© fragilisĂ©e par « le sentiment de frustration sur la situation au ViĂŞt Nam ; l'excès de dĂ©penses fĂ©dĂ©rales […] et d'impĂ´ts ; le manque de soutien populaire Ă  vos programmes de la Grande sociĂ©tĂ© ; et enfin […] le dĂ©senchantement du public Ă  l'Ă©gard de la lĂ©gislation sur les droits civiques ». En , Johnson dĂ©clara que les salaires n'avaient jamais Ă©tĂ© aussi hauts de toute leur histoire, que le chĂ´mage Ă©tait Ă  son niveau le plus bas depuis 13 ans et que les bĂ©nĂ©fices des entreprises ainsi que les revenus agricoles avaient atteint des niveaux sans prĂ©cĂ©dent ; toutefois, cela masquait la hausse des taux d'intĂ©rĂŞt et des prix de consommation, lesquels avaient bondi de 4,5 %, et l'effritement de la cote de popularitĂ© de Johnson qui ne repassa jamais, Ă  compter de cette date, au-dessus de 50 %. Ă€ la mĂŞme pĂ©riode, le nombre d'Ă©lecteurs dĂ©clarant soutenir sa politique n'Ă©tait plus que de 16 %, contre 25 % quatre mois auparavant, et le prĂ©sident Ă©tait dĂ©sormais au coude-Ă -coude dans les intentions de vote avec le rĂ©publicain George W. Romney. S'Ă©tant vu demander la raison de son impopularitĂ©, Johnson rĂ©pondit : « je suis une personnalitĂ© dominatrice, et lorsque je fais des choses, je ne plais pas toujours Ă  tout le monde ». Johnson en attribua Ă©galement la faute Ă  la presse, affirmant qu'elle faisait preuve d'une « irresponsabilitĂ© totale », qu'elle publiait « des mensonges ou des dĂ©clarations fausses » et qu'elle « n'avait de compte Ă  rendre Ă  personne ». Il critiqua par ailleurs « les prĂ©dicateurs, les progressistes et les professeurs » qui s'Ă©taient ralliĂ©s Ă  l'opposition[236].

Alors que l'Ă©lection de 1968 approchait Ă  grands pas, Johnson commença Ă  perdre le contrĂ´le du Parti dĂ©mocrate, qui se fractura en quatre factions distinctes. Dans le premier groupe se trouvaient Johnson, Humphrey, les syndicats et les chefs locaux du parti, incarnĂ©s par le maire de Chicago Richard J. Daley. Le deuxième groupe comprenait les Ă©tudiants opposĂ©s Ă  la guerre et des intellectuels qui s'Ă©taient ralliĂ©s derrière le sĂ©nateur Eugene McCarthy du Minnesota dans le but de « flanquer Johnson Ă  la poubelle ». Le troisième groupe Ă©tait composĂ© de catholiques, d'hispaniques et d'Afro-AmĂ©ricains avec pour candidat le sĂ©nateur Robert Kennedy. Enfin, le quatrième groupe rassemblait essentiellement des sudistes blancs sĂ©grĂ©gationnistes soutenant la candidature de George Wallace et celle du Parti indĂ©pendant amĂ©ricain. Johnson ne voyait aucun moyen de rĂ©unifier le parti Ă  temps pour lui permettre d'ĂŞtre rĂ©Ă©lu[237]. De manière tout Ă  fait inattendue, McCarthy arriva en deuxième position Ă  la primaire du New Hampshire le , ce qui Ă©tait rĂ©vĂ©lateur de la force du mouvement opposĂ© Ă  la guerre au sein du Parti dĂ©mocrate. Kennedy entra Ă  son tour dans la course le [127]. Le , Ă  l'issue d'une allocution tĂ©lĂ©visĂ©e, Johnson stupĂ©fia la nation toute entière en annonçant qu'il ne serait pas candidat Ă  un nouveau mandat. Il conclut son discours par ces mots : « je ne solliciterai pas et n'accepterai pas la nomination de mon parti pour un nouveau mandat en tant que prĂ©sident »[238]. Dès le lendemain, sa cote de popularitĂ© passa de 36 % Ă  49 %[239].

Rencontre entre le président Johnson et le candidat républicain Richard Nixon à la Maison-Blanche, en juillet 1968.

Les historiens ont débattu des raisons qui avaient poussé Johnson à retirer sa candidature. Pour Jeff Shesol, Johnson souhaitait quitter la Maison-Blanche mais avait attendu un prétexte valable, en l'occurrence divers indicateurs qui traduisaient une réception de plus en plus mauvaise de sa politique, pour prendre sa décision[240]. Randall B. Woods écrit que Johnson avait compris qu'il devait partir pour permettre au pays de se redresser[241]. Selon Robert Dallek, Johnson avait réalisé l'ensemble de son programme de politique intérieure et s'était rendu compte que sa personnalité avait un impact négatif sur sa cote de popularité. Sa mauvaise santé et les ennuis que lui causait la campagne de Kennedy ne jouaient pas non plus en sa faveur, alors que sa femme lui enjoignait de se retirer et que ses partisans se faisaient chaque jour de moins en moins nombreux. Se retirer de la course lui permettrait, pensait-il, de se présenter comme un faiseur de paix[242]. Anthony J. Bennett affirme cependant que Johnson « avait été privé de la possibilité de concourir à un second mandat en 1968 à cause de l'indignation provoquée par sa politique en Asie du Sud-Est »[243]. Il est également possible que Johnson ait espéré que la convention choisirait en définitive de le relancer dans la course à l'investiture[244].

Humphrey se déclara candidat après le retrait de Johnson. Les primaires démocrates de 1968 se résumèrent alors à un affrontement à trois entre Humphrey, Kennedy et McCarthy. Kennedy récupéra très vite une partie de l'électorat progressiste et pacifiste de McCarthy et obtint également le soutien des pauvres et des ouvriers. De fait, il arriva en tête dans plusieurs primaires mais fut assassiné en juin par Sirhan Sirhan, un nationaliste arabe[245]. Avec l'aide de Johnson, Humphrey décrocha l'investiture à la convention nationale démocrate qui s'était réunie à Chicago à la fin du mois d'août. Des heurts violents entre la police et des manifestants opposés à la guerre du Viêt Nam perturbèrent le déroulement de la convention[246]. Dans les sondages effectués immédiatement après la nomination du candidat démocrate, Humphrey était distancé de 20 points au scrutin général par son adversaire républicain[247].

Scrutin général

Lors de la campagne présidentielle de 1968, Humphrey était confronté à deux autres candidats. Le premier, George Wallace, était le candidat du Parti indépendant américain et était soutenu par le Ku Klux Klan et par la John Birch Society, très ancrée à droite. Ses partisans les plus enthousiastes étaient des sudistes favorables à la ségrégation mais il séduisait également une partie des ouvriers blancs du Nord avec son discours axé sur des politiques de loi et d'ordre. En tant que candidat d'un troisième parti, Wallace ne se faisait pas d'illusions sur ses chances de remporter l'élection présidentielle, mais il espérait gagner suffisamment de votes de grands électeurs pour que la nomination du président soit tranchée à la Chambre des représentants[248]. De leur côté, les républicains désignèrent l'ancien vice-président Richard Nixon comme candidat et ce dernier nomma le gouverneur Spiro Agnew en tant que colistier. Nixon articula sa campagne sur la critique de la Grande société et de la Cour suprême, et révéla en outre qu'il avait un « plan secret » pour mettre fin à la guerre du Viêt Nam[249].

Humphrey remonta dans les sondages après un discours prononcĂ© le dans lequel il se dissociait de la politique de Johnson au ViĂŞt Nam, appelant Ă  la fin des bombardements dans le nord du pays. Le , Johnson dĂ©clara Ă  la nation qu'il avait ordonnĂ© une interruption complète de « tous les bombardements aĂ©riens, navals et terrestres du Nord-ViĂŞt Nam », effective dès le 1er novembre, Ă  la condition que le gouvernement vietnamien soit disposĂ© Ă  nĂ©gocier et Ă  reconnaĂ®tre des progrès dans la nĂ©gociation des accords de paix de Paris. Nixon remporta toutefois l'Ă©lection, battant Humphrey de justesse au vote populaire mais avec une marge plus importante au sein du collège Ă©lectoral[247]. Wallace recueillit pour sa part 13,5 % des suffrages et 46 votes de grands Ă©lecteurs. Nixon avait misĂ© sur le mĂ©contentement suscitĂ© par la lĂ©gislation sur les droits civiques pour briser la mainmise du Parti dĂ©mocrate sur les États du Sud. Il rĂ©alisa Ă©galement des scores importants dans les États situĂ©s Ă  l'ouest du Mississippi, notamment Ă  cause d'un ressentiment de plus en plus grand Ă  l'Ă©gard du gouvernement fĂ©dĂ©ral dans ces territoires. Le Sud et l'Ouest devinrent par la suite des bastions traditionnels du Parti rĂ©publicain[250]. MalgrĂ© la victoire de Nixon, les dĂ©mocrates conservèrent leur majoritĂ© dans les deux chambres du Congrès[251].

HĂ©ritage

Lyndon B. Johnson dans le Bureau ovale en mars 1964.

De nombreux historiens tirent un bilan favorable de la présidence de Johnson, associée dans l'historiographie à l'apogée du libéralisme moderne aux États-Unis après l'ère du New Deal[252] - [253]. Son passage au pouvoir laissa une empreinte durable sur les États-Unis et transforma radicalement le pays avec, entre autres, la création de Medicare et de Medicaid, l'adoption de mesures de lutte contre la pauvreté et des lois en faveur de l'environnement et de l'éducation. Les progrès réalisés sous son mandat dans le domaine des droits civiques sont presque unanimement salués comme une étape importante dans le combat pour l'égalité raciale[254] et l'historien Jacques Portes estime que le bilan social de Johnson est comparable à celui de Franklin Delano Roosevelt[255]. Dans un sondage mené en 2018 au sein de l’American Political Science Association, Johnson figurait à la 10e place du classement des présidents américains[256]. Une enquête réalisée par la chaîne de télévision C-SPAN en 2017 classa également Johnson en dixième position[257]. Sa gestion du conflit vietnamien est cependant très décriée et, comme sous son mandat, éclipse le plus souvent ses réformes en politique intérieure[258] - [259]. Un sondage effectué auprès d'un panel d'historiens en 2006 présentait la décision de Johnson d'accroître l'engagement américain au Viêt Nam comme la troisième pire erreur commise par un président en exercice[260].

La force de persuasion de Johnson et sa très bonne connaissance du Congrès lui permirent de faire adopter un nombre remarquable de législations, ce qui lui valut une réputation d'expert en la matière[258]. Il eut la chance de pouvoir s'appuyer sur la confortable majorité de son parti dans les deux chambres du Congrès et sur un public réceptif aux nouvelles législations fédérales[261], mais il dut également affronter la puissante coalition conservatrice formée par les démocrates du Sud et les républicains qui avait fait échouer la plupart des réformes progressistes depuis le début de la Seconde Guerre mondiale[262]. D'ailleurs, si beaucoup de programmes inventés par Johnson s'implantèrent durablement au sein de la société américaine, d'autres aspects de la Grande société, à commencer par le Bureau des opportunités économiques, furent supprimés par la suite[254]. L'impasse dans laquelle se trouvait l'armée américaine au Viêt Nam alimenta la désillusion des citoyens vis-à-vis de leur gouvernement et la coalition du New Deal s'effondra sous le poids des tensions engendrées par ce conflit et par le déroulement de l'élection présidentielle de 1968[254] - [167]. Les républicains remportèrent cinq des six élections présidentielles qui eurent lieu après le départ de Johnson, et Ronald Reagan entra en fonction en 1981 avec l'intention de démanteler la Grande société, même si cela se révéla en fin de compte impossible[254]. L'historien Kent Germany écrit : « les héritages de la mort, du renouveau et de l'opportunité attachés à l'administration Johnson sont ironiques, déroutants et incertains, et il est probable qu'il en soit toujours ainsi »[263].

Selon Fredrik Logevall, « beaucoup de gens dĂ©fendent encore manifestement la thèse « orthodoxe Â» selon laquelle [Johnson] Ă©tait un penseur politique bornĂ© et dĂ©pourvu d'imagination en matière de politique Ă©trangère, qu'il Ă©tait un homme vulnĂ©rable aux clichĂ©s concernant les affaires internationales et qu'il n'avait que peu d'intĂ©rĂŞt pour le monde au-delĂ  des frontières amĂ©ricaines Â»[264]. La personnalitĂ© de Johnson est souvent mise en avant par les historiens pour expliquer les errements de sa politique internationale : dans leur livre Lyndon Johnson Confronts the World, Warren I. Cohen et Nancy B. Tucker font ainsi Ă©tat du consensus historiographique dĂ©peignant Johnson comme un homme politique Ă  la vision Ă©troite et coupable d'avoir « Ă©tĂ© au Texas trop longtemps Â»[265]. Une minoritĂ© de chercheurs, appelĂ©e la Longhorn School, affirme au contraire que, Ă  l'exception du ViĂŞt Nam, le bilan de Johnson en matière de politique Ă©trangère est plutĂ´t solide[266]. Cette analyse recoupe celle de l'historien Robert Dallek qui estime que « les spĂ©cialistes n'ont pas encore apprĂ©ciĂ© Johnson Ă  sa juste valeur en tant que chef de la politique Ă©trangère »[267]. Nicholas E. Sarantakes remarque nĂ©anmoins :

« En ce qui concerne la politique étrangère et les affaires internationales, Lyndon Johnson est considéré comme un désastre. Telle était la vision des gens à son sujet lorsqu'il quitta ses fonctions, et telle est la vision dominante depuis lors, que ce soit auprès du grand public ou chez les historiens. Il y a une bonne raison à cela, et elle peut se réduire en un seul mot : Vietnam[268]. »

Bibliographie

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Notes et références

Notes

  1. Toutes les données, à l'exception du pourcentage de la dette, sont exprimées en milliards de dollars. Le PIB est calculé selon l'année civile. Le montant des revenus, des dépenses, du déficit et de la dette est calculé selon l'année fiscale, qui se terminait le 30 juin avant 1976.
  2. Représente la dette nationale détenue par le public en pourcentage du PIB.

Références

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